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SERMON LVI. Nos péchés et nos vices sont comme une muraille élevée entre Dieu et nous.
1. « Le voici debout derrière la muraille et regardant par les fenêtres et par les treillis (Cant. II, 9). » Selon la lettre, il semble que l'Épouse veuille dire que celui qu'on voyait venir sautant, s'est approché jusqu'à son logis, et, se tenant derrière la muraille, regarde par les fenêtres et par les fentes, n'osant pas entrer dedans. Mais selon l'esprit on peut entendre qu'il s'est vraiment approché, mais d'une autre façon digne de cet époux céleste, et dignement exprimé par le Saint-Esprit, car l'intelligence véritable et spirituelle n'admettra jamais rien qui ne soit bienséant à celui qui agit, et à celui qui rapporte l'action qu'il a faite. Il s'est donc approché de la muraille, lorsqu'il s'est uni à la chair. La muraille c'est la chair; et l'approche de l'Époux est l'incarnation du Verbe. Les treillis et les fenêtres par où l'Épouse dit qu'il regarde, ce sont, comme je le crois, les sens de la chair, et les passions humaines, par où il a éprouvé les infirmités des hommes. Car il a porté lui-même nos langueurs, et il a pris nos douleurs sur lui (Isa. LIII, 4). Il s'est donc servi des passions et des sens du corps, comme de fentes et de fenêtres, afin qu'étant homme, il connût par sa propre expérience les misères des hommes, et qu'il en eût compassion. Il les connaissait sans doute auparavant, mais d'une autre façon. Il connaissait la vertu d'obéissance, parce qu'il est le Seigneur des vertus; et néanmoins, selon le témoignage de l'Apôtre : « Il a appris l'obéissance par les choses qu'il a souffertes (Heb. X, 8). » Voilà aussi comment il a appris la miséricorde, bien que la miséricorde du Seigneur soit de toute éternité. C'est ce que nous enseigne ce même Docteur des nations, lorsqu'il assure, qu'il a souffert toutes sortes de maux à cause de la ressemblance du péché qu'il portait, afin qu'il devint miséricordieux (Heb. IV, 45). Voyez-vous comment il est devenu ce qu'il était déjà, et il a appris ce qu'il serait auparavant, et comme quoi il a cherché parmi nous des fentes et des fenêtres, par où il pût connaître nos faiblesses, avec encore plus de soin ? Or il a trouvé autant d'ouvertures dans notre muraille ruinée et pleine de fentes, qu'il a fait dans son corps d'expériences, de notre infirmité et de notre corruption. 2. Voilà donc comment l'Époux se tenait debout derrière la muraille et regardait par les fenêtres et par les treillis. Et c'est avec raison qu'elle le représente debout, parce que seul il s'est tenu véritablement debout et ferme dans la chair, puisqu'il n'a point senti le péché. On peut entendre encore, qu'étant tombé par la faiblesse de la chair, il est demeuré debout par la puissance de la divinité, selon cette parole qui est de lui : «L'esprit est prompt, mais la chair est faible (Matth. XXVI, 41). » Je pense aussi que ce que David dit touchant ce mystère, favorise cette interprétation. Car, bien que ce prophète du Seigneur parle de Moïse, il avait sans doute le Seigneur en vue, puisqu'il est le véritable Moïse vraiment venu par l'eau, non-seulement par l'eau, mais par l'eau et par le sang tout ensemble. Voici ce que dit ce prophète en parlant de Dieu le Père : «Dieu avait résolu de les perdre, si Moïse son bien-aimé ne se fût tenu debout en sa présence, quoiqu'il fût tout abattu, et n'eût arrêté sa colère, et obtenu de lui qu'il rue les exterminerait pas (Psal. CV, 23). » Comment se peut-il faire qu'il se tint debout, s'il était abattu; où s'il était debout comment était-il abattu? Je vais vous montrer, si vous voulez, qui est celui qui s'est vraiment tenu debout quoiqu'il fût abattu. Je n'en connais point qui l'ait pu faire que mon Seigneur Jésus, qui certainement vivait dans sa mort même, qui était en même temps abattu sur la croix, et debout avec le Père par sa Divinité. D'un côté il priait le Père avec nous, de l'autre, il nous faisait cordé avec le Père. Il était debout derrière la muraille, tandis que ce qui était abattu en lui paraissait manifestement dans la chair, et ce qui était debout se cachait comme derrière la chair; c'était tout à la fois un somme à tous les regards, et un Dieu caché aux yeux des hommes. 3. Je crois qu'il est encore debout derrière la muraille pour chacun de nous qui désirons son avènement, tant que notre corps, qui est sujet au péché, nous cache sa face ici bas, et nous empêche de jouir de sa présence. « Car, tandis que nous vivons dans ce corps, dit l'Apôtre, nous sommes éloignés du Seigneur (2 Cor. V, 6). » Ce n'est pas simplement parce que nous sommes dans un corps, mais parce que nous sommes dans ce corps-ci qui vient du péché, et qui n'est point sans péché. Et afin que vous sachiez que ce n'est pas notre corps mais nos péchés qui nous séparent de Dieu, écoutez l'Écriture sainte: «Nos péchés, dit-elle, mettent une séparation entre Dieu et nous (Isa. LIX. 2). » Et plût à Dieu qu'il n'y eût d'autre obstacle pour moi que la muraille du corps, et que le péché qui est dans le chair, et que je ne- fusse point empêché par une infinité de vices, comme par autant de murs. Car j'appréhende fort que, sans compter ce qu'il y a de corrompu dans ma nature, je n'aie entame ajouté beaucoup de péchés de ma propre malice, qui aient infiniment éloigné l'Époux de moi, et que, si je voulais avouer la vérité, je ne fusse obligé de confesser, qu'à mon égard, il est plutôt debout derrière plusieurs murailles, que derrière une seule. 4. Mais je veux m'expliquer davantage, l'Époux est également et indifféremment partout par la présence de sa majesté, et par la grandeur de sa puissance, néanmoins on peut dire que par la communication de sa grâce, il est proche de quelques-uns et éloigné des autres, ce qui ne s'entend qu'à l'égard des hommes et des anges, c'est-à-dire des créatures raisonnables. C'est pourquoi le roi Prophète dit que le salut est éloigné des pécheurs (Psal. CXVIII, 55) ; et, en parlant de lui-même tout saint qu'il était : « Pourquoi, Seigneur, vous êtes-vous éloigné de moi (Psal. IX, 1) ? » Et quant aux saints, il s'éloigne quelquefois d'eux par une juste dispensation, mais ce n'est que pour un temps, et encore n'est-ce pas tout-à-fait, mais seulement en partie. Mais pour ce qui est des pécheurs dont il est dit dans le psaume : « Leur orgueil moule toujours (Psal. VII, 23) ; et leur conduite est corrompue en tout temps (Psal. IX, 5) ; » il en est toujours extrêmement éloigné, et cet éloignement est un effet de sa colère, non de sa miséricorde. C'est pourquoi David, s'adressant à Dieu, lui dit : « Ne vous détournez pas de votre serviteur dans votre colère; » il savait qu'il pouvait s'en détourner par miséricorde. Le Seigneur est donc proche des saints et de ses élus, lors même qu'il semble en être éloigné, et il ne s'approche pas également de tous, mais des uns plus, des autres moins, selon la diversité de leurs mérites. Car, bien qu'il soit proche de tous ceux qui l'invoquent avec foi, et de ceux qui ont le coeur brisé par l'affliction, peut-être néanmoins n'est-il pas si proche d'eux, qu'ils puissent dire, qu'il est debout derrière la muraille. Mais comme il est près de l'Épouse, puisqu'elle n'est séparée de lui que par une muraille ! C'est pourquoi elle voudrait être dégagée des liens du corps, afin que ce mur étant renversé; elle pût être avec celui qu'elle espère trouver derrière. 5. Mais, pour moi qui suis pécheur, bien loin de désirer d'être hors de ces liens, je crains au contraire beaucoup que cela n'arrive, parce que je sais que la mort des pécheurs est très-funeste (Psal. XXXIII, 22). Et comment ne le serait-elle pas, puisqu'elle n'est point assistée de la vie? Je redoute de sortir, et je tremble d'entrer dans le port même, parce que je ne vois pas lieu de m'assurer que lEpoux s'approche de moi pour me recevoir. En effet, comment puis-je sortir avec confiance, si le Seigneur lui-même ne me regarde pas lorsque je sortirai ? Hélas ! ne serai-je pas le jouet des démons qui m'emporteront avant que je trouve personne pour me racheter et me sauver? Saint Paul n'avait rien à craindre de pareil, lui qui n'était empêché de voir et d'embrasser son bien-aimé, que par une seule muraille, la loi du péché qu'il trouvait dans ses membres, c'est-à-dire, la concupiscence de la chair, dont il ne pouvait être entièrement exempt, tant qu'il vivait dans la chair. H n'était pas sans doute bien éloigné de Dieu, puisqu'il n'y avait que cette muraille entre deux. C'est ce qui le portait à s'écrier dans l'ardeur de ses désirs : « Qui me délivrera de ce corps de mort (Rom. VII, 24) ? » Sachant qu'aussitôt qu'il serait mort, il arriverait à la vie. Il n'y avait donc qu'à cette loi, c'est-à-dire à la concupiscence, que saint Paul fût sujet, et il n'y avait qu'elle qui était obligée de souffrir, parce qu'elle était attachée inséparablement à sa chair. « Du reste, disait-il, je ne me sens coupable de rien (I Cor. IV, 4). » 6. Mais qui est semblable à saint Paul? Qui ne consent pas quelquefois à cette concupiscence, et n'obéit pas au péché? Que celui donc qui consent au péché, sache qu'il met devant soi une autre muraille, qui est ce consentement illicite et criminel. Et celui qui est en cet état ne peut pas se glorifier que l'Époux est pour lui derrière la muraille, puisqu'il y a déjà deux murailles entre eux, mais il le peut beaucoup moins encore si le consentement va jusqu'à l'acte. En effet, une troisième muraille empêche l'Époux d'approcher de lui, cette muraille, c'est l'acte du péché. Mais si à cela on ajoute la fréquence de l'acte, qui change le péché en habitude, et que l'habitude ensuite porte au mépris, suivant ce qui est écrit, que «lorsque l'impie est arrivé jusque dans l'abîme du mal, il méprise tout (Prov. XVIII, 3) ; » n'est-il pas vrai que si vous sortez de la vie dans cet état, vous pourrez être dévoré mille fois par les lions rugissants qui attendent leur proie, avant que vous arriviez à l'Époux que vous avez séparé de vous par une infinité de murailles, dont la première est la concupiscence; la seconde, le consentement; la troisième, l'acte; la quatrième, l'habitude; la cinquième, le mépris? Ayez donc soin de résister de toutes vos forces avant tout à la concupiscence, afin qu'elle n'attire point le consentement, et vous verrez que toute la machine du péché tombera par terre; et n'y ayant plus que la muraille du corps qui empêche l'Époux d'approcher de vous, vous pourrez vous glorifier aussi avec l'Épouse, en disant comme elle : « Le voici qui est debout derrière notre muraille. » 7. Mais il faut encore que vous ayez soin qu'il trouve ouvertes vos fenêtres, et vos treillis, ce qui signifie vos confessions, afin que par là il puisse regarder favorablement au dedans de vous; car ses regards sont votre avancement. On dit que les treillis, sont de petites fenêtres, tels que ceux qui composent les livres s'en font pour recevoir la lumière sur le papier. D'où vient qu'on appelle chanceliers, ceux dont la charge est de dresser les actes publics. Il y a donc deux sortes de componctions, l'une de tristesse, à cause des fautes que nous commettons, l'autre de joie, à cause des grâces que nous recevons ; toutes les fois que je ressens celle qui ne va jamais sans une vive douleur, c'est-à-dire toutes les fois que je fais la confession de mes péchés, il me semble que j'ouvre des treillis, c'est-à-dire des petites fenêtres. Et il n'y a point de doute que celui qui se tient debout derrière la muraille, ne regarde volontiers par là. Car Dieu ne rejettera point un coeur contrit et humilié. Et il nous exhorte lui-même à cela en disant par le Prophète : « Confessez vos iniquités, afin que vous soyez justifié. » plais si l'amour, me dilatant le coeur, je suis bien aise, à la vue de la bonté et de la miséricorde de Dieu, d'exhaler de mon cur des louanges et des actions de grâces, alors je crois ouvrir 'une grande fenêtre à l'Époux qui est derrière la muraille, par laquelle, si je ne me trompe, il regarde avec d'autant plus de joie que ce sacrifice de louanges l'honore extrêmement. Je pourrais aisément prouver l'une et l'autre confession, par l'autorité de l'Ecriture sainte, mais je parle à des personnes qui savent cela aussi bien que moi, et il ne faut point vous charger de choses superflues, puisqu'à peine suffisez-vous pour la recherche des nécessaires, tant sont grands les mystères de cet épithalame, et les louanges qui y sont célébrées en l'honneur de l'Église, et de son époux, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui étant Dieu par dessus toute chose est béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
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