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SERMON DU MÊME NICOLAS, POUR LA FÊTE DE SAINT NICOLAS, ÉVÊQUE DE MYRE.
Un homme noble alla dans une contrée éloignée prendre possession d'un royaume (Luc, XIX, 12).
1. Nicolas, qui est mon patron, et de plus le vôtre, ce saint choisi dés le ventre de sa mère, sanctifié dès son enfance, la gloire des jeunes gens, l'honneur des vieillards, l'éclat des prêtres, la splendeur des pontifes, réjouit notre couvent par la solennité de sa fête. C'est ce Nicolas, dont les miracles se répandent par tout l'univers, que loue la terre entière avec ceux qui l'habitent. Ces prodiges sont si éclatants et si nombreux que toute l'habileté des hommes de lettres suffit à peine à les écrire et nous pouvons à peine venir à bout de les lire. Et quand même ceux qui fréquentent en si grand nombre les écoles, se mettraient à étendre, sur l'enclume de la rhétorique, avec les marteaux de Quintilien et de Cicéron, des discours minces comme les feuilles les plus tenues, la gloire du confesseur surpasserait toujours les mots et la pensée, la langue et le sentiment. Les prodiges qu'il fait se multiplient chaque jour, l'esprit de Dieu ne cesse de continuer ses miracles à la mémoire de son soldat. Il est glorifié sur mer, célébré sur terre, invoqué dans tous les périls. Ceux qui sillonnent la mer sur des vaisseaux, et trafiquent sur les grandes eaux, ont vu les oeuvres du Seigneur, et les miracles qu'il a opérés sur les profondeurs des abîmes par la main de Nicolas. Après le souvenir de l'incomparable Vierge, y a-t-il dans les curs des fidèles, une pensée aussi douce et aussi pieuse que celle qui, au jour de l'épreuve, fait résonner sur les lèvres et reposer dans le cur le nom de Nicolas ? Si les éclairs brillent, si la colère divine fait retentir dans les hauteurs de l'air, la tempête et le tonnerre, on prend saint Nicolas pour patron, on invoque saint Nicolas. Si la fureur de l'orage, si l'agitation des vagues, menacent les matelots, on le conjure d'être favorable, on le supplie de venir, on lui crie d'avoir pitié et d'arracher à la mort les victimes qu'elle menace. Si nous sommes éprouvés, si nous venons nous heurter à quelque obstacle, aussitôt le nom du saint confesseur nous vient à la bouche : nous répétons mille fois le nom de Nicolas, nous implorons sa protection. 2. Ne pensez pas que ce soit là de la déclamation ou que j'exagère pour donner à ma phrase un éclat oratoire : tout le monde éprouve le bienfait de ce confesseur de Dieu, et mil n'échappe à l'influence de son amour. La preuve en est dans ces pèlerinages qui amènent à son tombeau, des extrémités de l'univers des visiteurs qui accourent pour contempler les prodiges qu'il opère. Non seulement les chrétiens, mais encore les païens ont conçu un tel respect pour son nom glorieux, que, de concert, ils se réunissent pour le louer et l'exalter. Une foule de prêtres et de clercs surtout éprouvent une si grande dévotion pour son culte, que de tous les point de l'univers, ils accourent et viennent en troupes, afin de participer à ces solennités si émouvantes. Les enfants sont dans l'allégresse, et les jeunes gens dans la joie. Les vierges se parent, les vieillards ont la figure épanouie, tout âge est dans la jubilation. Chacun, en effet, a des motifs de se réjouir, les enfants ont à louer un enfant qui jeûnait, les jeunes gens louent en eux le jeune homme qui délivre le jeune homme, les vierges celui qui repoussait la honte qui menaçait des vierges, les vieillards celui qui subvenait au besoin d'un vieillard. Jeunes garçons et jeunes filles, jeunes gens et vieillards, tous célèbrent la gloire de son nom. 3. Mais, à présent que ses actes ont été racontés avec éclat dans la langue parfaite des Grecs, qu'oserais-je balbutier dans un pauvre discours? Cependant, pour ne point paraître vouloir m'excuser par des tergiversations, je reviens à la lecture tirée de l'Évangile; et ce que j'ai pris au fonds commun, je l'apporte pour l'utilité commune. Voici ce que nous y lisons : «Un homme noble alla dans une région éloignée pour y prendre possession d'un royaume et revenir ensuite. Il dit à ses serviteurs: Négociez jusques à ma rentrée (Luc. XIX, 42). » Sur l'ordre du Seigneur, je me livrerai en toute assurance au négoce, je ne craindrai point la parole du Psalmiste disant : « Parce que je n'ai pas connu le trafic, j'entrerai dans les puissances du Seigneur, (Psal. LXX, 15). » Ce qui me donne une très-grande confiance, c'est que le souverain monarque des cieux est devenu mon négociant sans repos tant qu'il resta sur la terre, il fit mes affaires, et, portant à son Père le fardeau de ses précieuses marchandises, il montre à la Majesté divine ce qu'il a acheté, ce qu'il a racheté, et à quel prix il l'a racheté. Votre adorable maître se livre au négoce et vous voulez être oisif, il travaille, et vous voulez vous livrer au repos ? Il est venu trafiquer dans une contrée éloignée et vous ne daignez pas aller dans des pays rapprochés? Partez, entrez dans la région de la dissemblance, c'est-à-dire dans le monde : Voyez combien les marchés y sont nombreux, combien de vanités y pullulent et y repullulent. Oui, c'est la terre de dissemblance, car il est certain que nous avons perdu le pays de la ressemblance, où nous avons été formés à la ressemblance de Dieu. N'est-ce pas, en effet, une dissemblance bien grande, que d'être passé du paradis à l'enfer, de l'ange à la bête, de Dieu au démon ? 4. Pénétrez dans le tumulte des marchés, et regardez de côté et d'autre ceux qui s'y agitent : autant que je puis m'en apercevoir, tout leur attrait se porte sur trois objets : les uns s'attachent aux richesses, les autres aux honneurs, les autres à la gloire. Vous allez aux Indes, vous parcourez l'Éthiopie, vous traversez les mers, et, dans votre navigation hardie, vous allez découvrir un nouveau monde pour ramasser des richesses. Vous fuyez votre patrie, vous ne connaissez plus vos enfants, vous vous arrachez des bras de votre épouse; et, oubliant tout amour, vous cherchez à acquérir, vous acquérez pour perdre, et vous ne pensez que pour souffrir. Vous gravissez des montagnes couvertes de neige,vous parcourez, comme la plaine, leurs cimes élevées. Vous ne tenez aucun compte du gouffre qu'elles cachent à vos yeux, des glaives des voleurs, et vous traversez des chemins pleins d'embûches comme des routes faciles; oubliant votre condition d'homme, vous ne faites attention ni au ciel que sillonne et embrase la foudre, ni à la chaleur ni au froid : vous entassez des trésors sans même savoir pour qui vous les amassez. Souvent vous tombez entre les mains de plus forts que vous qui vous dépouillent de vos biens et vous les enlèvent de force : vous aviez passé une longue vie à vous enrichir; une heure vous plonge dans la pauvreté et l'obscurité. «Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur lourd? Pourquoi chérissez-vous le mensonge (Psalm. IV, 3) ? » Ecoutez en peu de mots ce qui tient aux honneurs. On vous a établi chef, et on vous a donné par-là d'être malheureux et de n'avoir plus de repos. Les sujets d'inquiétudes s'accumulent, et, au milieu des soucis qui vous dévorent, il vous faut avoir un visage joyeux. Peut-on jamais se trouver dans les honneurs sans être dans la souffrance, être prélat sans être dans le trouble, occuper un poste élevé sans ressentir les atteintes de la vanité ? Infortunés que nous sommes, selon la pensée du philosophe, nous aimons la récompense des misères, et nous n'aimons pas les misères elles-mêmes. Nous avons des sentiments de rois, et tout ce qui ne répond point à nos désirs, provoque à l'instant notre courroux. Nous oublions que nous sommes hommes comme tout le monde. Et alors se fait sentir le ver rongeur qui tourmente la conscience, la crainte d'un pouvoir supérieur. Une loi fort juste est que vous viviez avec votre inférieur, comme vous voulez que votre supérieur vive avec vous. Quant à la gloire, si vous la cherchez, vous allez jeter des sentiments de jalousie dans le cur de ceux qui vous entourent. Vous êtes enflé, et, plein de l'esprit qui vous gonfle, vous crevez, vous ne regardez point de combien de personnes vous êtes suivi, vous comptez seulement combien il y en a avant vous. Tous se réunissent pour vous attaquer, ils aiguisent leurs langues pour médire de vous, et il faut que vous soyez bien fin pour éviter la main ou la langue des envieux ! C'est ainsi que vous perdez toute gloire, là où vous pensiez trouver une source de gloire. Car la multitude ne poursuit personne avec plus de cruauté que celui qui désire l'autorité pour conduire le peuple. A ces trois choses, joignez la puissance et la volupté qui, elles aussi, sont emportées après une jouissance bien mince et bien passagère, et vous verrez que l'abondance est pauvre, l'honneur vil, la gloire laide, la puissance faible et la volupté fatigante, afin que, selon l'enseignement de l'Apôtre : « Nous réduisions toute intelligence à se courber sous le joug du Christ (II. Cor. X, 5). » Relisez le plus grand des philosophes latins, et vous trouverez dans ses écrits le sentiment que je vous inculque en ce moment. Méprisez donc toutes ces choses réellement méprisables : réunissez-les pour en faire votre emplette, ce sera le mépris du monde. 5. Après avoir parcouru cette région, et, ce qui vaut mieux, après en être sorti, pénétrez dans la seconde qui est le paradis du cloître, car le cloître est un vrai paradis. Là se trouvent les prairies verdoyantes de l'Écriture, là les ruisseaux des larmes que l'amour céleste fait couler de la source des pures affections. Là, se voient des arbres très-élevés, les choeurs des saints; il n'en est pas un qui ne soit chargé d'une grande abondance de fruits. Là, cette table sublime où Dieu est à la fois la nourriture et celui qui donne à manger; la récompense et celui qui la donne, l'oblation et celui qui la présente, le convive et le banquet. Là sont entassées les richesses du Tout-Puissant : là, est répandue la gloire des anges. Croyez-vous qu'il n'y a pas là de marchés, et qu'ils sont oisifs ceux qui habitent ainsi, en l'uniformité d'une même règle, dans une maison commune? Voyez, celui-ci s'applique à la lecture, celui-là à la prière: l'un pleure ses péchés, l'autre tressaille en cherchant les bienfaits du Seigneur : ceux-ci veillent, ceux-là jeûnent, tous rivalisent de zèle dans l'accomplissement de leurs devoirs de piété. La nuit, ils se lèvent pour célébrer la grandeur de Dieu, le soir, le matin, à midi, ils racontent et annoncent ses louanges, et toute leur application roule dans le cercle du service du Très-Haut. Allez donc les trouver tous, approchez-vous de chacun en particulier, approchez-vous de tous et de chacun, faites votre ballot d'un modèle de vie. 6. Ayant donc quitté le monde et embrassé un genre de vie, passez à la troisième région qui est celle de l'expiation. Dans cette contrée un père plein de bonté purifie ses enfants que la rouille du péché défigure, comme on purifie l'argent; il les fait passer par l'eau et parle feu pour les conduire ensuite dans un lieu de rafraîchissement. Car ils s'envolent tout de suite vers le ciel, ceux qui ont traité leur corps comme une prison, qui ont conservé, purifiée et sans tache la double substance de l'homme. Au contraire, ceux qui, jusques à leur trépas, ont fait des actions dignes de la mort, sont jetés sans miséricorde dans les gouffres de l'enfer. Pour ceux qui se trouvent dans une sorte de milieu, et n'appartiennent à aucune de ces catégories si tranchées, qui ont commis à la vérité des fautes mortelles, mais en font pénitence à la fin de leur vie, sans pouvoir achever leur expiation, indignes d'entrer incontinent dans la joie du ciel, mais ne méritant pas non plus de brûler toujours, ils entrent dans le purgatoire : ils y sont tourmentés, mais ce supplice n'est pas perdu pour eux, ils en sortiront pour entrer dans le royaume de Dieu. Il ne faut pas prier pour ceux qui sont dans le ciel, nous devons les invoquer, non intercéder pour eux. Il faut suspendre toute prière pour les malheureux qui sont dans l'enfer, la porte de la miséricorde est fermée pour eux, et tout espoir de salut leur est refusé. Quant à ceux gui se purifient dans le lieu de l'expiation, il faut veiller pour eux dans les prières, et leur venir en aide au moyen du sacrifice incomparable, afin que le Père, dans sa bonté, change promptement leur pénitence en satisfaction, et leur satisfaction en gloire. Parcourez ces âmes éprouvées, jetez sur elles un regard de pitié, et faites emplette d'un ballot de compassion. 7. La quatrième région est celle de l'enfer : région dure et redoutable, terre de l'affliction et de l'oubli : terre de misères et de ténèbres, de tourbillon et d'obscurité ; terre de malédiction et de mort; terre de soif et de faim, terre de feu et de froid ; où ne se trouve aucun ordre, mais où règne une horreur éternelle. A la pensée de cette région je frissonne d'horreur et tous mes os sont ébranlés. Là est le feu qui ne cesse jamais de brûler; là, le ver qui ne meurt pas, là, un froid horrible. Là, s'élève une puanteur insupportable, les marteaux qui frappent ne cessent jamais de résonner, les ténèbres répandues s'épaississent sans cesse. Là, la confusion des pécheurs, l'aspect effroyable des démons, un noeud inextricable de liens sans nombre. Là, des pleurs et des grincements de dents, les soupirs et les gémissements, et des maux, qui se remplacent alternativement et déchirent sans pitié les impies. Rien n'est puissant pour extirper la racine de la volupté comme le souvenir de ces tortures et la pensée des blessures de mon Seigneur Jésus-Christ qui a comparu devant un juge, qui a reçu des soufflets, qui fut flagellé et couvert de crachats, couronné d'épines, battu à coups de poings, attaché à la croix, insulté sur cet instrument de son supplice, qui mourut, fut blessé d'une lance et enseveli, qui est ressuscité et monté aux cieux et qui nous a faits royaume et prêtres pour Dieu et son Père. Parcourez ces bruyants marchés, descendez vivant dans l'enfer, faites-y votre emplette de haine du péché. 8. La cinquième région est le paradis sur-céleste, région bienheureuse et glorieuse, pleine, de volupté et de grâce, de suavité et de joie, de bonté et de gloire. Là se trouvent le repos après le travail, l'allégresse que produit la nouveauté, et l'assurance de l'éternité. Là, tous vivent, nul ne meurt, tous tressaillent dans les chants de la réjouissance. David était entré dans ce sanctuaire et son esprit avait été ravi en Dieu ; mais il n'en put rapporter autre chose que ces paroles : « On a dit de vous des paroles glorieuses, ô cité de Dieu (Psalm. LXXXVI, 3) » et : «Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, d Seigneur, ils vous loueront aux siècles des siècles (Psalm. LXXXIII, 5). » On nous promet je ne sais quoi de grand : voir Dieu et le louer. Je me suis réjoui, moi aussi, en ce qui m'a été dit, nous irons dans la maison du Seigneur (Psal. CXXI, 1). Déjà nous sommes dans les parvis de Jérusalem, déjà dans le vestibule de la grande cité, nous songeons à ses joies. Parcourez donc cette région et faites votre emplette de l'amour de Dieu. 9. Négociez donc en attendant que revienne cet homme noble qui est allé dans une région éloignée prendre possession de son royaume et qui doit revenir ensuite. II reviendra, sans nul doute, et exigera avec usure l'argent qu'il nous a confié. Il ne perd rien, il n'oublie rien, il ne laisse rien impuni. 10. Supplions donc notre Confesseur de daigner aujourd'hui intervenir pour nous auprès de notre Rédempteur, son ami, qui est Dieu béni dans les siècles. Amen.
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