IMPURETÉ
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SERMON (a) SUR LA FUITE DE L'IMPURETÉ DU CŒUR ET DU CORPS.

Sur ces paroles de saint Luc : Que vos reins soient ceints, et portez dans vos mains des lampes allumées (Luc. XII, 35).

 

1. Le Dieu vierge, ami de la chasteté et de la pureté, le Fils de la Vierge, nous a adressé, pour nous engager à éviter l'impureté du coeur et du corps et pour en faire désirer la virginité, un discours, abrégé si on regarde les paroles, mais rempli de profonds mystères; facile à comprendre si on examine les termes, et plein de sens si on en sonde

 

a Il est tout composé de passages des Pères, et surtout de Guerric, abbé d'Igny.

 

le fonds. Sur quoi il faut remarquer, que le plus souvent les paroles que Dieu nous adresse ne sont point tant des sons qui retentissent aux oreilles, que des effets et des opérations. Il en est ainsi, puisqu'il faut chercher dans les termes qui ont été proférés simplement, non un seul mais plusieurs sens, et puisque ce qui résonne au dehors pour le corps, est plein de mystères spirituels. Le Seigneur dit, en effet : « Que vos reins soient ceints. » Si nous voulons prendre ces paroles à la lettre, nous n'y trouverons aucun avantage spirituel. Il servirait fort peu, en effet, pour le salut éternel de l'âme, de ceindre physiquement ses reins et de porter à la main une lampe allumée ; par conséquent, dans les reins qu'il faut ceindre, et dans ces lampes ardentes, on doit chercher une autre signification spirituelle, qui soit digne d'un précepte divin, et qui s'harmonisé avec notre salut et le facilite. Le maître spirituel, dont les paroles sont esprit et vie, ne prendrait point tant de souci de nous instruire à ceindre les reins du corps. Les reins que le Seigneur nous ordonne de ceindre de la sorte sont nos appétits déréglés qu'il veut que nous comprimions, parce qu'il veut voir se calmer en nous les mouvements de la chair. Nous ceignons donc nos reins, lorsque nous arrêtons en nous les concupiscences charnelles. Nous les ceignons, lorsque nous évitons les mauvais désirs, et les oeuvres coupables, quand l'esprit résiste à la passion, lorsqu'on refuse à la luxure les actes qu'elle réclame, qu'on la foule aux pieds et que l'impureté est soumise et vaincue. Nous les ceignons, quand nous n'acquiesçons point aux désirs de la chair et que nous résistons à ses voluptés.

2. Or, il est à remarquer que le Seigneur avait déjà daigné proposer par son serviteur ce qu'il nous propose lui-même. Car Moïse, entre autres commandements qu'il donne au peuple, porte celui-ci : « Luxurieux point ne seras.» Bien plus, si nous voulons examiner la chose d'un regard attentif, nous trouverons que le Seigneur a condamné la luxure dans l'un et dans l'autre Testament, soit par des paroles, soit par des figures. Dans l'Ancien, il la proscrit en propres termes, comme lorsqu'il dit, ainsi que je l'ai rapporté plus haut : « luxurieux point ne seras. » Il la proscrit en figure, comme nous le voyons dans le prophète Daniel dont voici le témoignage : « Et j'ai levé les yeux et j'ai vu : et voici qu'un homme se montra, vêtu d'habits de lin et les reins ceints d'un or étincelant (Dan. X, 5). » Qui entend-on par reins, sinon la délectation de la chair ? Aussi, le Psalmiste prie-t-il en ces termes : « brûlez mes reins (Psalm. XXV, 2). » S'il n'avait pas su que la volupté de la passion animale se trouve dans les reins, il n'aurait pas demandé qu'ils fussent consumés par le feu. Aussi comme le pouvoir du démon a surtout prévalu sur les hommes par le moyen de la luxure, le Seigneur a dit, à ce sujet, au bienheureux Job : « Sa puissance est dans les reins (Job. L, 11). » La ceinture indique donc la répression de la fornication corporelle. Quant au Nouveau Testament, le Seigneur condamne la luxure, lorsqu'il dit : « Que vos reins soient ceints, » ce qui veut dire, que les effets de la luxure         charnelle soient réprimés en vous. Mais comme le péché de luxure se commet par pensées ou par action, notre rusé adversaire, s'il est empêché de le faire consommer par actions, s'efforce de souiller l'intime de l'âme, par de honteuses pensées. Si Moïse défend la luxure du corps, le Rédempteur proscrit celle du coeur. Par Moïse, c'est la luxure en acte, et par l'auteur de la pureté, c'est la luxure par pensée qui est proscrite. En venant parmi les hommes, ce divin Sauveur s'éleva au dessus des préceptes de la loi, et écarta de ses élus non-seulement la luxure du corps, mais encore celle du coeur, en leur ordonnant non-seulement de ceindre les reins du corps, c'est-à-dire d'empêcher la luxure de se porter à ses actes, mais de ceindre aussi les reins de l'esprit, c'est-à-dire de le tenir éloigné même de la pensée impure. De là vient que l'évangéliste saint Jean, exilé dans l'île de Pathmos à cause de l'invincible constance qu'il mettait à prêcher l'Evangile, aperçut entre les autres tableaux qui frappèrent sa vue, notre Rédempteur portant une ceinture autour de ses reins, ainsi qu'il le raconte en ces termes : « Et me tournant, j'ai vu sept chandeliers d'or, et au milieu de ces sept chandeliers d'or, un personnage semblable au Fils de l'homme revêtu d'une longue tunique, et la poitrine entourée d'une ceinture d'or (Ap. I, 12). » Le mot grec dont cette longue tunique tire son nom, signifie en latin, pieds : aussi on dit que ce vêtement descend aux talons, parce qu'il arrive jusqu'au milieu des pieds. Que signifie donc la ceinture sous les mamelles, sinon la répression de la luxure du coeur ? Dans l'Ancien Testament, la loi semble ne proscrire que l'adultère corporel, c'est pour ce motif que le Prophète se montre les reins ceints. Mais comme la pureté du Testament qui a remplacé le premier proscrit même la luxure du coeur, notre Rédempteur apparut avec une ceinture au dessous des mamelles.

3. Mais bien qu'il se trouve dans l'un et dans l'autre Testament, avec ces préceptes, bien d'autres lois qui ordonnent d'éviter l'impureté, les hommes, en ce temps de grâce, s'abandonnent néanmoins à la chair et à leurs propres passions, comme s'ils n'avaient point entendu les prescriptions de Jésus-Christ et de ses saints à cet égard. Ils ignorent que les oeuvres de la justice et de la piété sont nulles aux yeux de Dieu, quand la contagion de l'impureté les souille. Si donc la pureté du coeur n'éteint pas en nous la flamme de la passion, c'est en vain que les vertus y germent. C'est pourquoi, ils sont engloutis dans le déluge immense de ce crime, et ils ne craignent pas que ce feu providentiel, qui est malheureusement allumé dans leur chair et dans leurs membres, ne le soit peut-être par la colère et la fureur de Dieu, selon cette menace du Prophète : « Un feu a été excité dans ma colère; et il brûlera jusqu'au fond de l'enfer et dévorera la terre avec les germes qu'elle contient (Deut. XXXII, 22). » Ce feu s'embrase donc dans la colère du Seigneur, lorsque la démangeaison de la chair et les excitations de la passion dominent dans les membres des impies, au point que, ne s'efforçant pas de les éteindre avec la grâce du ciel, ils ne peuvent réussir à les étouffer. Or, par le nom de terre, on entend ce corps ou cette chair terrestre, à qui il est dit en la personne du premier homme : « Tu es terre, et tu retourneras en terre (Gen. III, 9). » Les plantes qui germent sur cette terre, sont les bonnes oeuvres qui sont produites par ce corps terrestre, mais que le feu de la passion charnelle brûle entièrement. Voilà comment ce feu dévore les produits de cette terre avec la terre elle-même, et la terre avec ses produits : car, le plus souvent, le Seigneur arrête le feu de la passion par le feu de l'enfer, attendu qu'il « dévorera l'impie qui n'est pas coupé dans sa racine et n'est point éteint (Isa. LXVI, 24). » Car le ver qui les ronge ne mourra pas et le feu qui les brûle ne s'éteindra jamais. En effet, le Seigneur mettra dans leur chair du feu et des vers, pour qu'ils soient calcinés et souffrants à jamais. » Ceux qui actuellement violent, en leur corps, le temple de Dieu, et se retirent, par l'impureté de leurs viles passions, de la solidité du corps de Jésus-Christ, qui est l'Église des fidèles, brûlent d'un feu agréable qui leur fait sentir les délices de la chair ; mais, après de courtes jouissances, ils brûleront misérablement. C'est la menace que le Seigneur fait entendre dans son Evangile, en ces termes : « Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme le pampre, et il séchera on le ramassera, on le jettera au feu et il brûlera. (Joan. XV, 6). » Il brûle maintenant par la prescience de Dieu, et peu de temps après il brûlera par les châtiments de la justice, mais il ne brûlerait pas dans l'enfer en y éprouvant le tourment du feu, s'il n'avait commencé par brûler ici-bas du feu de la luxure et de la malice du coeur.

4. Que les ennemis du Seigneur soient brûlés, même en cette vie, le Prophète Isaïe nous l'atteste lorsqu'il dit : « et maintenant le feu consume les adversaires (Isa. XXVI). » Non-seulement après cette vie le feu de l'enfer tourmente les méchants en retour de leurs fautes, mais même actuellement la flamme les dévore, et, destinés à subir, dans l'avenir, les supplices qui les puniront, ils s'infligent à eux-mêmes, en cette vie, les tortures de la luxure. Être si grandement asservi à la luxure qui les épuise, n'est-ce pas, à leurs yeux, subir un tourment du corps? L'Apôtre nous l'atteste en ces termes : « Le Seigneur les a livrés à l'impureté, afin qu'ils couvrent en eux-mêmes leur corps de honte (Rom. I. 14). » Et ailleurs : « Tout autre péché que l'homme commette, c'est hors de son corps : mais celui qui se livre à la fornication, pèche contre son corps (I Cor. VI, 18). » Ce que les pécheurs estiment volupté, les autres le réputent châtiment. De même que la chair se nourrit de choses molles, de même filme se nourrit de choses dures. Les douceurs raniment le corps, les âpretés exercent l'âme. La chair s'alimente dans les délices l'âme se fortifie par les amertumes, et comme les choses dures blessent les corps, de même les choses molles donnent la mort. à l’âme. Ce qui est laborieux fait périr le corps, comme les délices étouffent l'esprit . C'est ainsi que l'esprit est tué pour toujours par les douceurs qui réconfortent le corps pour un instant fort court.

5. Puisque nous parlons de la luxure et de la fornication, il faut savoir que la fornication est de quatre sortes, et se            divise en quatre espèces, qui toutes quatre doivent être soigneusement évitées, selon ce qui nous est enseigné, bien que l'une d'elles offre moins de gravité. La première est celle par laquelle on se souille en désirs et en esprit seulement, des voluptés obscènes de la chair. C'est de celle-là que le Seigneur a dit dans l'Evangile : « Quiconque aura vu une femme pour la convoiter, l'a déjà souillée dans son coeur (Matth. V, 28). » L'autre est celle par laquelle on consomme charnellement l'acte désiré par la volonté c'est à ce sujet que l'Apôtre donne l'avertissement qui suit : « Mes frères, fuyez la fornication; quelque péché que l'homme commette, c'est en dehors de son corps : mais quiconque se livre à la fornication, pèche contre son corps (I. Cor. VI, 18). » La troisième est celle par laquelle, brûlant de désirs terrestres, l'homme aime plus la créature que le, Créateur. C'est d'elle que l'Apôtre des nations, cité tout-à-l'heure, rend ce témoignage : « L'avarice est la servitude des idoles ( Eph. X, 6).» La quatrième consiste à honorer les idoles à la place de Dieu et à rendre hommage aux démons. C'est d'elle que le Seigneur se plaint, par le Prophète, contre le peuple d'Israël, en ces termes : « Il s'est souillé avec le bois et la pierre (Jerem. XIII). » Or,  actuellement la fornication la plus commune est de trois espèces, c'est-à-dire celle du désir des actions déshonnêtes, celle de l'affection de la luxure corporelle, et celle de l'ambition et de la soif des félicités terrestres. Et la quatrième, qui consiste dans le culte des idoles, n'est pas encore entièrement disparue. Car nous voyons que la plupart passent de l'espèce au genre, lorsqu'ils s'attachent avec immodération à une suggestion mauvaise, afin d'en arriver à commettre l'action honteuse. Ils n'en seraient pas, en effet, venus à cette extrémité, si d'abord la mauvaise pensée n'avait point pris les devants dans leur esprit, car c'est par la pensée qu'on arrive à l'acte; mais, comme l'homme, placé dans les actions mauvaises, n'a pas de quoi donner à ceux qui lui ont prêté leur concours pour les réaliser, il faut en venir jusqu'à l'avarice. Et comme l'avarice même ne lui fournit pas ce qu'il avait désiré pour se livrer suffisamment à sa passion, il n'a nul souci de savoir de quel homme ou de quel démon, il tient ce qu'il dépense criminellement en goûtant les voluptés de la chair.

6. Et après avoir descendu tous ces degrés de fornication, et être arrivé, ou plutôt tombé dans le fond de l'abîme des péchés, ce malheureux, fermant l'œil de son coeur, se livre et s'adonne à la volupté de la chair, comme «le cheval et le mulet qui sont dépourvus d'intelligence » et sont comparables à ces hommes, « dont la chair », selon l'expression du Prophète, « est comme la chair des ânes (Ezech. XXIII, 20 ). » La pétulance des ânes est telle, en effet que bien souvent ils s'accouplent avec des animaux d'un autre genre. La chair des fornicateurs est comparée à celle des ânes, parce qu'ils se livrent parfois à des unions, non-seulement conformes à la nature, mais encore à des unions contre la nature, ainsi que l'Apôtre le dit en réprimandant honnêtement les vices déshonnêtes des hommes, afin de rappeler avec bienséance beaucoup de pécheurs de l'indécence à la pudeur. ( Rom. I, 26 ). Les malheureux se revêtent aussi, s'ils le peuvent, de pourpre et de bysse ; si cela n'est point en leur pouvoir, ils portent des habits aussi fins que possible : et, chaque jour, ils font la meilleure chère possible. Après avoir loué Jean-Baptiste au sujet de sa nourriture, si médiocre, et de ses habits grossiers, le Seigneur dit : « Ceux qui ont des vêtements mous et délicats, se trouvent dans les palais des rois ( Matth. XI, 8 ). » Il voulait ainsi donner à entendre que ceux qui courent après les délices de la chair, sont les serviteurs de ce monde, et non les serviteurs de Dieu. Mais, hélas! quelle terrible sentence a été portée du haut du ciel, contre la mollesse de cette grande prostituée, qui représentait en sa personne tous les efféminés ! « Autant elle a eu de délices et s'est glorifiée, » dit la voix du ciel, « autant donnez-lui de tourments et de deuil (Ap. XVIII, 7). »

7. Plût au ciel que la tendre délicatesse des enfants de Babylone se contentât de ces délices, des habits mous et des repas recherchés ! plût au ciel que la tige de la volupté ne produisit point en eux d'autres épines de vices, et que tout leur péché fût de se traiter avec soin, et non de se livrer à la luxure ! Qu'on me laisse prendre, en effet, la liberté de dire, au sujet de Babylone, cette grande prostituée, du sein de laquelle paraissent sortir les efféminés qui veulent séduire les élus du Seigneur, quelle goûte autant de délices qu'elle voudra; qu'elle porte tous les habits empourprés qu'il lui plaira; seulement qu'elle ne se prostitue pas; que, selon l'expression du Prophète, « elle ne s'abandonne pas à tout passant (Ezech. XVI, 15 ). » Que les hommes dont nous    parlons voient si ce feu inné et pestilentiel est tellement éteint en eux, qu'il ne puisse être rallumé par tant d'aliments qui l'entourent, surtout lorsque le vent souffle du côté opposé, c'est-à-dire, lorsque les paroles et les rires lascifs viennent le provoquer. J'ai néanmoins souvent ouï dire qu'il vit encore dans les mourants, qu'il est plein de vigueur dans les vieillards, et je sais qu'il s'enflamme et s'élève sans aliment et sans que personne l'excite. Mais ces efféminés, lorsqu'ils se livrent avec délices à la bonne chaire et à l'ivresse, aux mollesses et aux impuretés de ce siècle, si quelque adversité fond sur eux, impriment sur leur front le signe de la croix, absolument comme si tout ce qu'ils font était basé sur les préceptes de Jésus-Christ ; mais remarquons dans quelle perversité et quels abus, les ennemis du Christ veulent que le signe de la croix de Jésus-Christ les protège; eux qui, ait temps de la sécurité, se livrent à la luxure et outragent cette croix au moment du péril, ils veulent que cette croix les défende. Or ceux qui aiment leur ventre sont les ennemis de la croix de Jésus-Christ : « leur ventre est leur Dieu ; » l'argent leur idole, le ver est leur douceur, tout leur souci est d'acquérir la faveur des hommes. Mais pourquoi se glorifient-ils tant dans la louange et la faveur des hommes ? qu'est-elle cette faveur, sinon un vent brûlant, un souffle corrupteur, un air pestilentiel, un larron qui dépouille, un homicide qui tend des embûches, un serpent dans le chemin, un céraste qui, dans le sentier, pique le pied du cheval pour faire tomber en arrière celui qui le monte ? L'homme vaincu s'élève en effet par l'orgueil et, semblable à un coursier qui s'emporte, les sentiments de vanité qu'il éprouve l'entraînent dans l'abîme. Le serpent le blesse et confond ses pas, il caresse la chair et entraîne ensuite, avec lui, l'âme aux enfers.

8. Si parfois un religieux les reprend et les réprimande afin de les corriger, en leur disant : Pourquoi vous séduisez-vous et vous négligez-vous vous-mêmes? pourquoi ne regardez-vous pas en vous les oeuvres du Seigneur? Evitez le mal et faites le bien (Psal. XXXVI, 27). Cessez de mener une conduite blâmable (Isai. I, 16). Attachez-vous à la discipline, de crainte que le Seigneur ne se mette en courroux, et que vous ne périssiez loin de la voie juste (Psal. II, 12) ; » et autres choses semblables. Ils répondent : Est-ce que les moines ou les habitants des cloîtres seront les seuls à obtenir le royaume des cieux ? Les séculiers en seront-ils exclus? non, ils y seront admis aussi. En effet qu'a commandé le Seigneur dans l'Évangile, lorsqu'il dit : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant an nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit? Celui qui croira et aura reçu le baptême sera sauvé (Matt. XXVIII, 19 et Marc. XXI, 16). » Nous avons reçu le baptême et nous avons la foi, nous obtiendrons donc le salut par cette foi, selon la parole du Sauveur. En quoi ils ne font pas attention que la foi sans les oeuvres est morte, absolument comme le corps sans l'âme. Ils s'appuient trop sur la foi dont ils répudient les oeuvres. Car aujourd'hui, si vous interrogez les hommes sur le mystère de la foi, nous les trouvons presque tous fort chrétiens. Si vous sondez les consciences, peu le seront en effet. Tout le monde confesse de bouche qu'il connaît Dieu, mais tout le monde le nie par les oeuvres ; c'est au point que ceux qui paraissent avoir l'apparence de la piété, souvent en répudient la vertu. Je sais bien « que la terre est remplie des louanges du Seigneur, » mais j'entends néanmoins le Prophète se plaindre et s'écrier que la foi a péri sur la terre (Jer. VII, 33). « Pensez-vous » en effet « que le Fils de l'homme, lorsqu'il viendra, trouvera de la foi en ce monde (Luc. XVIII, 8)? » Prendra-t-il pour de la foi, cette foi des âmes qui n'ont que négligence et mépris, cette foi qu'il proscrit plus durement (lue l'aveuglement des infidèles, et qu'il trouve inférieure à la foi des démons, car les démons croient et tremblent ; les hommes croient et ne tremblent pas. Les démons redoutent celui à qui ils croient, tandis que les hommes ne craignent et ne respectent pas celui en qui ils croient ; c'est à cause de ce mépris qu'il seront jugés plus sévèrement. Ne nous laissons point abuser, mes frères, par ce mot général de foi, comme si n'importe quelle foi devait être imputée à justice. Mais rappelons-nous quelle définition le Docteur des nations a donnée de cette vertu dans la foi et la vérité, par laquelle il faut plaire à Dieu. « La foi » dit-il, est la substance des choses qu'il faut espérer (Heb. XI, 1). » C'est cette foi qui opère, par la charité, afin que la conscience des mérites acquis donnant la persuasion, l'espérance naisse de la foi, et que la foi soit placée comme un fondement sur lequel on bâtit les biens éternels, qui sont l'objet de notre espoir. Sans cette foi, il est impossible de plaire à Dieu, avec elle il est impossible de lui déplaire.

9. Pour nous, mes frères, comme si nous étions sans foi, nous plaçons Dieu derrière nous, en sorte que, oubliant la crainte qui lui est due, nous portons nos regards de préférence vers la vanité. Par quel mérite espérons-nous attirer, sur nous, les yeux du Seigneur ? Oui, Dieu nous regardera? Mais de quelle façon? « Le visage du Seigneur est sur ceux qui font le mal (Psal. XXXVIII, 17). » Mais combien il est irrité, combien terrible, combien insupportable, on le saura enfin, alors que fuiront loin de sa face ceux qui l'ont haï. « Et où fuiront-ils, loin de sa présence, ô Dieu, » sinon dans les ténèbres extérieures, sinon dans ce chaos immense et profond, qui sépare la région de la mort de la région de la vie; dans l'abîme des sombres obscurités, du soufre brûlant: et du feu dévorant? Mais qui de nous pourra habiter en ces ardeurs consumantes ? qui supportera ces flammes éternelles? Alors, les malheureux réprouvés, diront aux montagnes : « tombez sur nous, et aux collines : ensevelissez-nous (Luc. XXIII, 30). » Il leur paraîtra plus doux d'être engloutis dans les gouffres de l'abîme, que de soutenir la vue d'un Dieu irrité. Je l'avoue à votre sainteté, je suis confus en moi-même, je suis saisi de honte et d'horreur en redisant à plusieurs d'entre vous des vérités assurées, mais si terribles. Mais, vive le Seigneur, je n'ose pas flatter, je ne saurais faire des concussions ni mettre la main sous tous les coudes, quand je sais que le Seigneur a dit à son peuple par l'organe du Prophète : « Mon peuple, ceux qui te proclament bienheureux , te trompent (Isa. III, 12). » Le Seigneur est debout pour faire le jugement ; si j'avais entendu redire les bonnes actions de ceux fiant je blâme les vices, je les, aurais certainement louées.

10. Comment pourrais-je, en effet, louer ceux qui ne sont chrétiens qu'en paroles, qui prennent en vain sur eux, le nom du Christ, alors que, dans toute leur conduite, ils pratiquent librement ce qui est opposé à ce titre, alors que; par toute l'apparence et l'extérieur de leur conduite et de leur vie ils se proclament les adversaires de Jésus-Christ ? Faut-il louer en eux l'extérieur et cette démarche de courtisane, ces conversations bouffonnes, ces regards impudiques, ce ventre traité en Dieu, et toute cette vie houleuse qui est publiquement étalée aux regards du     Seigneur ? Car il est honteux de réduire même ce qu'ils font en secret. Qu'il perce leur muraille, celui qui a été envoyé vers eux pour prophétiser, ce n'est pas moi qui le ferai, et qu'il voie les abominations plus grandes encore, auxquelles ils ne         rougissent pas de se livrer sous les yeux d'une majesté si redoutable. Quelles bonnes actions puis-je célébrer en eux, en eux, dis-je, dont la vie n'est point une tentation, n'est point un combat contre le péché, mais bien une servitude volontaire de l'iniquité; eu eux qui, soit d'esprit soit de corps, semblent obéir à la loi du mal et qui paraissent avoir conclu avec la prudence de la chair, qui n'est et ne peut être soumise à la loi de Dieu et avec l'amour du monde, deux choses ennemies du Seigneur, un pacte malheureux, une alliance parfaite avec la mort et par péché avec l'enfer ? ô pacte, pacte déplorable, mais qui pourtant n'est point inexorable, nous savons en effet, qu'il a été écrit : « Votre pacte avec la mort sera détruit, et celui que vous avez fait avec l'enfer ne tiendra pas (Isa. XXVIII, 15), parce que la cité du grand Roi est le côté de l'Aquilon, et que toujours le nombre des élus s'est accrû au détriment de celui des impies.

11. Mais qu'ai-je affaire, moi, qui suis moine à tous les yeux, de juger ce qui est du dehors? Mon âme s'est troublée par rapport à mon état intérieur. Que les autres s'occupent d'eux-mêmes : il ne m'importe nullement de juger des consciences de mes frères, lorsque je sais que plusieurs ont vécu avec tempérance et pudeur au sein de toute l'abondance et de toute la gloire du monde, et que plusieurs au contraire, sous des habits plus rudes et dans un régime plus sobre, ont mené une conduite criminelle. Portez votre attention sur vous, mes frères, ne jugez pas les séculiers, ne les condamnez point; ceignez les reins de votre âme et de votre corps, de peur de tomber, par pensée dans le mal qu'ils sont exposés à commettre par action : « car les mauvaises idées séparent de Dieu (Sap. I, 1). » Autre est la luxure de la chair par laquelle nous souillons la chasteté, autre la luxure du coeur par laquelle nous nous glorifions de la chasteté. Et nous sommes d'autant plus luxurieux aux yeux de Dieu, que nous paraissons plus chastes aux yeux des hommes, si nous ne le sommes point en effet. Pour vous, éloigné: en quelque sorte des actions corporelles, il vous est facile d'éviter les oeuvres coupables, mais il est un peu moins facile de purifier votre coeur des pensées mauvaises. Il y a néanmoins une différence à penser à une chose afin de l'obtenir, et à être tenté en pensée par l'ennemi caché. d'avoir des idées de ce genre. Car bien des fois le coeur est sollicité et il trouve une certaine délectation aux actes mauvais de la chair, et cependant, par la raison, if résiste à cette iniquité : en sorte que, au fond de son esprit, ce qui lui sourit le contriste, et ce qui le contriste lui paraît préférable. Quelquefois l'âme est tellement plongée dans l'abîme de la tentation, qu'elle ne résiste nullement : mais la réflexion lui suggère le motif qui lui fait repousser la délectation : mais avec la facilité extérieure de mal faire, bientôt elle assouvit ses désirs par les actes. Si vous regardez le jugement du juge sévère, ce n'est plus une faute de pensée, c'est un péché d'action : car, bien que le retard apporté par les circonstances, diffère à l'extérieur l'accomplissement du péché, au dedans, la volonté de celui qui y a consenti, l'a déjà consommé réellement.

12. « Mais grandes sont les miséricordes du Seigneur. » Souvent, en effet, il efface promptement, dans sa bonté, les péchés du coeur, et ne permet point qu'ils aillent jusqu'aux oeuvres; et le mal, auquel la pensée s'est arrêtée, est plus promptement enlevé, parce qu'il n'est pas trop étroitement lié dans le cœur par l'accomplissement de l'acte qui l'a consommé; en sorte que la faute n'étant pas allée jusqu'à cette extrémité, la pénitence ne s'étend pas jusqu'au châtiment et au tourment; et l'esprit se purifie en pensant qu'il expie l'affliction qu'il mérite parce qu'il ne s'est souillé qu'en pensant à l'iniquité. Si, entraîné par le charme de la pensée, quelqu'un en est venu à commettre l'action coupable, il est juste qu'il subisse ensuite une affliction qui lui fasse faire pénitence de la douceur que lui a fait goûter cette action. « Donc que vos reins soient ceints et que des lampes brûlent en vos mains; et vous, vous êtes semblables à des hommes qui attendent leur maître à son retour des noces : veillez donc parce que vous ne savez point à quelle heure votre Seigneur viendra, si ce sera le soir, à minuit, au chant du coq, ou le matin, afin que lorsqu'il arrivera et frappera, de suite vous lui ouvriez, de crainte que lorsque vous frapperez et vous crierez en disant : « Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous! » il ne vous réponde avec dureté comme à des gens négligents et endormis: « Je vous le déclare en vérité, je ne vous connais point : » mais que bien plutôt, il vous ouvre la porte de son royaume, et vous introduise avec lui au festin des noces. Efforcez-vous donc d'assister aux noces de l'Epoux et de l'Epouse, afin de voir l'Epoux se réjouir de son Epouse, en ce lieu où mille et mille voix le célèbrent par une douce mélodie, de le contempler en l'éclat de sa beauté et de pouvoir vivre et respirer à jamais avec l'Epoux qui vit et règne avec Dieu le Père en l'unité du Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

 

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