|
|
DIX-SEPT QUESTIONS SUR L'EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU.Traduit par M. l'abbé POGNON.
PREMIÈRE QUESTION. Les humbles comparés aux Saints Innocents (1). Ces enfants, âgés de deux ans et au-dessous, qui sont mis à mort, figurent les humbles, animés du double amour de Dieu et du prochain, et rendus par la même dignes de donner leur sang pour Jésus-Christ, à l'imitation de ces jeunes martyrs. II. De la prédication de l'Evangile (2). Ce que je vous dis dans les ténèbres, » c'est-à-dire; maintenant que vous êtes encore esclaves de la crainte charnelle, parce que la crainte recherche les ténèbres ; « dites-le à la lumière, » c'est-à-dire, avec la confiance que donne la vérité, quand vous aurez reçu le Saint-Esprit : « Et ce qu'on vous dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits, » en d'autres termes, ce que vous avez entendu dans le secret, annoncez-le, après avoir foulé aux pieds les considérations de la chair. III. Des divisions qui s'opéreront parmi les hommes, à la suite de la prédication de l'Evangile (3). « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ; car je suis venu séparer l'homme d'avec son père. » Celui qui renonce au démon, l'avait en effet pour père. « Et la fille d'avec sa mère : » le peuple de Dieu d'avec la cité de ce monde, je veux dire, la société corrompue du genre humain, appelée dans l'Ecriture tantôt Babylone, tantôt l'Egypte, tantôt Sodome, et d'autres noms encore. « La belle-fille d'avec sa belle-mère: » l'Eglise d'avec la Synagogue, à qui le Christ, qui est lépoux de l'Eglise, doit sa naissance selon la chair. Or, ces divisions s'opèrent par le glaive spirituel, qui est la parole de Dieu (4). « Et l'homme aura pour ennemis ceux de sa maison, » ceux auxquels les rapports les plus intimes l'unissaient auparavant. IV. Guérison d'un lépreux (5). Etant descendu de la montagne, où il avait enseigné ses préceptes aux disciples et à la foule du peuple, « il guérit un lépreux, aussitôt qu'il eut étendu sa main sur lui : » à ceux qui mettaient en
1 Matt. II, 16. 2 Ib. X, 27. 3 Ib. 34-36. 4 Eph. VI, 17. 5 Matt. VII, 1-3.
doute qu'on pût accomplir ces mêmes préceptes Jésus-Christ fait entendre par là qu'il peuvent par son secours, guérir de cette sorte de lèpre. V. Ce qu'il faut pour suivre Jésus (1). Le Seigneur dit au docteur de la loi qui voulait le suivre : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » On voit par cette réponse que le scribe touché tes miracles du Seigneur, voulut le suivre, mais seulement dans une pensée de vaine gloire, dont les oiseaux sont la figure : il n'avait des bonnes dispositions d'un disciple que les dehors trompeurs, figurés par les renards. Quant à cette expression : « n'a pas où reposer sa tête, » elle marque l'humilité du Sauveur, pour laquelle il n'y avait pas de place dans le coeur de cet homme fourbe et orgueilleux. VI. Les morts du siècle (2). Laissez les morts ensevelir leurs morts. » Jésus-Christ entend par les morts ceux qui ne croient point ; et par cette expression, leurs morts , ceux qui ont quitté la vie sans avoir la foi. VII. Conduite à tenir par les Apôtres, quand on les repoussera (3). Secouez la poussière de vos pieds : » soit en témoignage du travail pénible, vainement entrepris en leur faveur ; soit afin de leur montrer jusqu'à quel point, vous ne voulez tenir d'eux aucun avantage terrestre, puisque vous ne souffrirez pas même que la poussière de leur pays adhère à vos vêtements. VIII. Prudence du serpent et simplicité de la colombe (4). Soyez donc prudents comme des serpents : » gardant la tête, qui est Jésus-Christ, pour vous préserver du mal. Car le serpent expose tout son corps, dans le danger, pour protéger sa tête ; pour se dépouiller de sa peau et en faire une nouvelle, il contraint aussi son corps à passer par d'étroites fissures. C'est ce qu'imitent ceux qui entendent cette parole: « Entrez par la porte étroite (5), » en se dépouillant du vieil homme.
1 Matt. VIII, 20. 2 Ib. 22. 3 Ib. X, 14. 4 Ib. X, 16. 5 Ib VII, 13.
352
Si Jésus-Christ avait voulu que la fuite du mal allât jusqu'à la résistance violente contre les méchants, il n'aurait pas dit précédemment Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. » Mais il veut que ses disciples soient simples comme des colombes, afin de ne nuire à personne. Cet d'oiseau ne fait mourir aucun autre des animaux ; non seulement de ceux qui sont grands, et contre lesquels il est sans force, mais encore des plus petits, de ceux qui font la nourriture même des passereaux. Or, il y a une certaine société entre tous les animaux privés de raison, comme il y a aussi la société formée des êtres raisonnables, c'est-à-dire, des hommes, non-seulement entre eux, mais encore avec les anges. Cette comparaison tirée de la colombe leur apprend donc à ne faire de mal à aucun membre de cette société formée d'êtres raisonnables. IX. De la confession de louange (1). « Je vous confesse,. ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre. » Il est à noter que confession s'entend ici de la louange de Dieu. Car Notre-Seigneur ne confessait pas des péchés qu'il n'avait pas commis; il est remarqué d'ailleurs par un autre Évangéliste qu'il s'exprima ainsi au milieu d'un transport d'allégresse (2) ; enfin les termes eux-mêmes ne laissent pas de doute sur le sens qu'ils renferment, c'est-à-dire, la louange. de Dieu. L'Ecriture appelle donc en général confession, l'expression publique de ce que l'on pense. Ainsi quand Notre-Seigneur dit : « Si quelqu'un me confesse devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père (3); » ou comme on lit ailleurs : « devant les Anges de Dieu (4); » dans cette confession du Christ il n'est pas question évidemment de la confession des péchés. Que si quelqu'un croit que cette confession se rapporte à ce qu'on voit dans les temps de persécution, où le nom du Christ est objecté comme un trimé, alors je demande si le Christ confessera aussi de la sorte devant son Père et devant les anges celui qui l'aura confessé lui-même? Voici encore ce qu'on lit dans l'Ecclésiastique: « Vous direz ceci dans votre confession: « Les oeuvres du.Seigneur sont toutes souverainement bonnes (5). » Il est hors de doute qu'en ce passage il est question de la célébration des louanges de Dieu. Je fais ces réflexions pour éclairer nos frères trop peu réfléchis, qui entendant ce mot de confession à la lecture s'empressent de se frapper la
1 Matt. XI, 26. 2 Luc, X, 21. 3 Matt. X, 32. 4 Luc, XII, 8. 5 Eccli. XXIX, 20, 21.
poitrine, sans faire attention aux circonstances du récit, comme si la confession ne pouvait jamais avoir d'autre objet que l'aveu de péchés. X. Epis rompus le jour du sabbat (1). Les disciples ayant arraché des épis le jour du sabbat, les Juifs considéraient cette action comme illicite. Or, il est remarquable que, pour les défendre, il emprunte un doublé exemple, l'un à la royauté en la personne David, l'autre au sacerdoce en la personne de ceux qui remplissaient le ministère sacré dans le temple au jour du sabbat. Combien, semble-t-il leur dire, êtes-vous moins en droit de faire un crime de quelques épis arrachés le jour du sabbat, à celui qui est à la fois le vrai roi et le vrai prêtre, et par conséquent le maître du sabbat lui-même? XI. L'ivraie semée au milieu du froment (2). 1. « Mais pendant que les hommes dormaient, son ennemi vint, et sema de l'ivraie au milieu du froment, et s'en alla . » Lorsque les pasteurs de l'Eglise étaient négligents, ou lorsque les apôtres entraient dans le sommeil de la mort, le diable vint, et mêla aux bons ces enfants pervers que le Seigneur désigne ici. Mais veut-il parler des hérétiques, ou des catholiques dont la conduite est mauvaise? c'est là une question importante. Car on peut compter aussi les hérétiques au nombre des enfants pervers, puisque devant leur origine à la même semence de l'Evangile et portant le nom du Christ, ils se sont laissé entraîner vers les enseignements de l'erreur par des opinions dépravées. Mais comme il est rapporté que l'ivraie fut semée au milieu du froment, il semble que l'Evangile désigne ici. les chrétiens unis par la même communion : toutefois, comme le Seigneur lui-même entend non pas l'Eglise, mais le monde, sons la figure de ce champ, il est permis de voir ici les hérétiques, quoiqu'ils n'appartiennent pas à l'unité de l'Eglise ou de la foi, mais parce qu'ils font partie de la société qui prend le nom de chrétienne et sont, à ce titre, mêlés aux bons dans le monde. Suivant cette interprétation, ceux qui sont mauvais dans le sein de la vraie foi, doivent être considérés comme de la paille plutôt que comme de l'ivraie; car la paille a de commun avec le froment la racine et la tige. Qu'il soit question des mauvais catholiques dans la parabole du filet, où sont recueillis de bons et de mauvais poissons, il n'y a là assurément rien que de raisonnable. Car autre est la mer, qui représente mieux encore le monde;
1 Matt. XII, 1-8 . 2 Ib, XIII, 25-30, 36-43.
353
autre est le filet qui semble figurer la communion dans l'unité de la foi où de l'Eglise. Il y a cette différence entre les hérétiques et les mauvais catholiques, que les hérétiques s'attachent à l'erreur; tandis que les catholiques, tout en croyant la vérité, ne conforment pas leur conduite à leur croyance. 2. On demande aussi ordinairement en quoi les schismatiques diffèrent des hérétiques : or, ce qui fait les schismatiques, ce n'est pas la différence de foi, mais la séparation delà communion de l'Eglise. Mais faut-il les envisager comme de livraie? Sur ce point, le doute est permis. Ils semblent avoir plutôt de la ressemblance avec les épis dégénérés, suivant ce mot de l'Ecriture : « L'enfant pervers sera corrompu au souffle du vent (1) : » ou bien encore avec les barbes brisées, ou sciées et séparées des épis. En effet plus elles sont élancées, c'est-à-dire, plus ils sont superbes, plus ils sont,fragiles et légers. Il ne s'ensuit pas cependant que tout hérétique et tout schismatique soit séparé du corps de l'Eglise. Mais si quelqu'un s'attache à des erreurs sur Dieu, on sur quelque point de doctrine qui ait rapport à l'édifice de la foi, au point de ne pas hésiter comme un homme qui cherche, mais de croire fermement, et n'ayant point la science voulue, de s'en tenir à ses opinions erronées, il est par là même hérétique et séparé de l'âme de l'Eglise, bien qu'il semble appartenir à son corps. L'Eglise en contient plusieurs de semblables, parce qu'ils ne proclament point- leurs fausses maximes au point d'attirer l'attention de la multitude: ils le feraient, qu'ils seraient expulsés de l'Eglise. De même, tous ceux qui portent envie aux bons, au point de chercher l'occasion de les écarter ou de les humilier ; ou qui sont tellement prêts à défendre leurs crimes, s'ils viennent à être trahis ou découverts, qu'ils pensent à fomenter des divisions ou des troubles dans l'Eglise;ceux-là sont déjà schismatiques et séparés de l'unité par le coeur, quand même ils vivraient extérieurement de la vie sacrée de l'Eglise, par ce qu'ils n'ont pas trouvé l'occasion favorable de se déclarer ou que leur déplorable conduite n'a pas été mise au jour. 3. Par mauvais catholiques, il faut donc entendre ceux qui croient les vérités de la foi, et qui sont décidés à s'instruire de ce qu'ils ignorent ; qui discutent, il est vrai, mais avec une foi soumise et sans vouloir porter , atteinte à la
1 Sag. I, 4.
vérité elle-même, qui honorent enfin de tout leur pouvoir les bons ou ceux qu'ils jugent tels ; mais qui néanmoins mènent une vie coupable et criminelle, en opposition avec les principes de leur croyance. Que de tels hommes soient reconnus ou accusés pour leur inconduite ; qu'on les en reprenne conformément à la discipline de l'Eglise et dans l'intérêt de leur salut; qu'ils soient môme retranchés de la communion, ils n'auront garde cependant de croire qu'ils doivent se séparer de la communion catholique, et, quoiqu'on exige d'eux, ils chercheront le moyen de réparer leurs fautes :parfois même ils se changeront en froment, soit après la réprimande qu'ils ont reçue, soit après l'éloignement qu'on leur aura fait subir, soit encore sous l'impression de crainte que la parole de Dieu aura fait naître en eux, sans que personne les ait nommément accusés ou réprimandés. Mais aussi, parfois, sous les apparences de pénitents, ils mènent une vie semblable à celle d'autrefois, ou peu différente, ou même quelquefois pire ; sans se retirer néanmoins de l'unité catholique. Si la mort vient à les surprendre en cet état, ils auront été jusqu'à la fin comme la paille du froment. Ils font eux-mêmes profession de le croire; car s'ils croyaient autrement et cela avec certitude, ils deviendraient hérétiques, parce qu'ils penseraient que Dieu fera grâce à tous les hommes même à ceux qui ont persévéré jusqu'à la fin de leur vie dans de grandes fautes, pourvu seulement qu'ils soient restés attachés à l'unité de l'Eglise, non pas d'un coeur sincère, car alors ils eussent bien vécu, mais plutôt dans la crainte des châtiments éternels. Ces catholiques imparfaits ne croient donc point de pareilles erreurs, ou ne les croient point délibérément, quoiqu'ils cherchent peut-être à se les persuader; mais, en différant de se convertir, ils se laissent aller à l'illusion de l'espérance qu'ils vivront de longues années, et qu'un jour ils mettront un terme à la dépravation de leurs moeurs. Malheureux pécheurs, à qui l'Ecriture donne ce démenti: « Ne diffère point de te convertir au Seigneur, et ne remets point de jour en jour; car sa colère éclatera tout d'un coup, et il te perdra au jour de la vengeance (1). » Ceux-là en effet sont de vrais convertis qui :commencent aussitôt à bien vivre : c'est là proprement revenir à Dieu; mais ceux qui continuent de se livrer à leurs passions, lui tournent en quelque sorte le dos, quoique, en restant dans l'unité,
1 Eccli. V, 8, 9.
354
ils s'efforcent souvent de le regarder en élevant la tête vers lui. Ils ne sont donc, eux aussi, suivant le mot du Prophète, ils ne sont que chair, « qu'un vent qui passe et qui ne revient point (1). » Toutefois, comme nous l'avons dit, leur persévérance dans la foi et dans l'unité de l'Eglise ne permet pas de les comparer à l'ivraie, qui a une racine différente de celle du froment; ni à la barbe de l'épi, qui ose élever au-dessus du froment sa pointe hérissée et sa fragile enveloppe ; mais à la paille, qui, malgré son union avec le froment, sera au dernier jour vannée et séparée du bon grain. 4. Les bons catholiques sont ceux qui ont une foi intègre et de bonnes moeurs. En ce qui concerne la foi, s'ils veulent approfondir ses enseignements, ils font en sorte que la discussion ne soit dangereuse ni à celui qui questionne, ni à celui avec qui ils discutent, ni aux témoins de leur discussion. En enseignant, si le devoir d'enseigner leur incombe, ils s'attachent de préférence aux choses communes et certaines, et les font pénétrer dans les âmes avec une sécurité, une douceur et une confiance parfaites; quant aux choses peu communes, lors même qu'elles brilleraient à leurs yeux de tout d'éclat de la vérité, au lieu de les enseigner ou de les affirmer positivement, ils les laissent plutôt à l'état de question, par respect pour la faiblesse de leur auditeur. Car si une vérité est d'un poids trop lourd pour les forces de celui qu'on enseigne, il faut attendre qu'il ait acquis des forces et ne pas imposer à un enfant un fardeau qui l'écrase. De là cette parole du Seigneur : « Mais lorsque le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve de la foi sur la terre (2) ? » Parfois même il faut laisser la vérité dans le secret; mais toutefois il faut en même temps laisser entrevoir l'espérance, afin que le désespoir ne glace pas les tueurs, mais qu'ils soient préparés par leurs désirs à mieux recevoir cette vérité. De là cette autre parole du Seigneur: « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire; mais vous ne pouvez pas les porter présentement (3). » En ce qui concerne les moeurs, voici, en quelques mots, une règle excellente : il faut combattre l'amour des biens temporels, afin de n'être pas vaincu par lui; ou il faut déjà lavoir dompté et soumis, afin que, quand il essaiera de se relever, on n'ait pas de peine à le réprimer; ou enfin, il doit être tellement
1 Ps. LXXXII, 39. 2 Luc, XVIII, 8. 3 Jean, XVI, 12.
anéanti, qu'il ne puisse plus en aucune manière donner signe de vie. C'est ce qui inspire le courage d'aller au-devant de la mort avec résolution, avec tranquillité d'âme, et même avec joie. Ce sont les trois genres de fruits produits par la terre fertile : les uns donnent trente, les autres soixante, d'autres cent pour un (1). Si l'on veut sortir de cette vie dans de bonnes dispositions, il faut appartenir à l'une de ces trois catégories. 5. Or, il faut tolérer, jusqu'à la moisson, non pas seulement l'ivraie, que le démon a semée avec les erreurs et les fausses doctrines, quand il a semé les hérésies sous le couvert du christianisme, en se dissimulant et se cachant lui-même le plus possible, car c'est ce que signifie : « Et il s'en alla; » mais il faut encore tolérer la paille jusqu'à ce qu'elle sera vannée. Rien ne fait mieux connaître le poids du froment que les secousses données à la paille : celui qui ne pourra pas y opposer de résistance en défendant la vérité, sortira par là même de l'unité. Cependant, sous le nom d'ivraie, le Seigneur entend, comme il le dit en finissant l'explication de cette parabole, non pas quelques scandales, mais tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité. XII. Suite du même sujet (2). 1. « L'herbe ayant donc poussé, et étant montée en épis, l'ivraie parut aussi. » Lorsque l'homme devient spirituel et juge de tout (3), alors on commence à bien distinguer les erreurs. Les serviteurs dirent au maître : « Voulez-vous que nous allions arracher l'ivraie? » Sont-ce ces mêmes serviteurs qui sont appelés moissonneurs un peu plus loin ? Comme Notre-Seigneur désigné ses anges sous le nom de moissonneurs dans l'explication de la parabole, mais que personne n'oserait dire que les anges ont ignoré qui avait semé l'ivraie, et qu'ils ne l'ont vue que quand l'herbe eût poussé, n'est-il pas préférable d'admettre que les serviteurs signifient les hommes fidèles, figurés d'ailleurs par la bonne semence ? Il n'y a rien d'étonnant que ces hommes soient appelés à la fois la bonne semence et les serviteurs du père de famille, de même que le Sauveur s'appelle lui-même et la porte du bercail et le pasteur du troupeau (4). Une chose reçoit en effet de diverses significations des applications différentes. Ce qui fortifie cette hypothèse, c'est qu'en s'adressant aux serviteurs il ne dit pas: « Au temps de la moisson, » je vous dirai ; mais : « je dirai aux
1 Matt. XIII, 8-23. 2 Ib. 26-30. 3 I Cor. II, 15. 4 Jean, X, 7-11.
3515
moissonneurs. » D'où il suit que le soin de ramasser l'ivraie pour la brûler dans le feu constitue une mission à part et que nul enfant de l'Eglise ne doit s'estimer appelé à la remplir. 2. Lorsque l'homme devient spirituel, il découvre donc les erreurs des hérétiques, les juge à fond et distingue, en les entendant ou en les lisant, ce qui s'éloigne de ta règle de la vérité mais tant qu'il n'est pas arrivé à la perfection de la vie spirituelle, tant que l'herbe en quelque sorte n'a pas donné son fruit, il peut se demander avec surprise pourquoi le nom de chrétien couvre tant de faussetés hérétiques C'est pourquoi les serviteurs disent au maître : « N'avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? D'où vient donc qu'il y a de l'ivraie ? » Puis, quand il connaîtra que le démon est l'auteur de cette supercherie, parce qu'il savait toute son impuissance contre l'autorité attachée au nom chrétien, et la nécessité par conséquent pour lui de cacher ses ruses sous le..voile de ce nom auguste, la pensée pourra lui venir d'exterminer de tels hommes, s'il en a le, pouvoir ; mais en a-t-il le droit? Il demande à la justice de Dieu si elle lui en fait un ordre, ou si elle le lui permet, et si telle est sa volonté, que les hommes remplissent cette mission: de là cette question des serviteurs : « Voulez-vous que. nous allions arracher l'ivraie? » Or, la Vérité même leur répond que l'homme n'est pas dans une condition telle en cette vie, qu'on puisse savoir avec certitude ce que sera dans la suite celui dont nous voyons présentement l'erreur, ni le profit que son erreur peut apporter aux bons ; qu'il ne faut pas les arracher de cette vie de peur qu'en s'efforçant d'exterminer les méchants, on n'extermine les bons, parce qu'ils le seront peut-être un jour; ou de peur qu'on ne nuise aux bons,à qui peut-être ils sont utiles malgré eux. Un temps viendra où cela se fera d'une manière opportune : c'est lorsqu'il ne leur restera plus un moment pour changer de vie, ou que l'occasion et le contraste de leur erreurs ne serviront plus pour amener à la vérité ; et alors ce n'est pas les hommes, mais les Anges.qui recevront l'ordre d'agir. De là vient que le père de famille fait cette réponse : « Non, de peur qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le bon grain: mais au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs » etc. C'est ainsi que Dieu leur inspire une patience et une tranquillité parfaites. 3. A propos de ces paroles du Sauveur : « Liez-la en bottes pour la brûler, » on peut demander pour quel motif l'ivraie ne sera pas réunie en une seule botte, en un seul monceau. Comme l'hérésie est sujette aux variations, et que les hérétiques non-seulement différent du froment, mais encore sont divisés entre eux : peut-être Jésus-Christ a-t-il voulu désigner par là les assemblées propres à chaque espèce d'hérésie, où chaque membre est en désaccord avec sa propre communion . D'après cette interprétation, les hérétiques commenceraient à être liés en gerbes, du moment qu'ils se séparent de la communion catholique pour se créer des églises particulières ; et ce n'est qu'à la fin du inonde qu'ils seraient livrés aux flammes en cet état. Mais s'il en était ainsi, il serait petit le nombre des églises qui viendraient à résipiscence, et sortiraient de l'erreur pour rentrer dans le sein de l'Église catholique. C'est pourquoi l'ivraie ne sera liée en gerbes qu'à la fin des temps, afin que l'opiniâtreté de chaque erreur soit punie, non pas d'une manière confuse et générale, mais suivant le caractère propre de sa perversité. 4. « De peur qu'en arrachant l'ivraie, vous ne déraciniez en même temps le bon grain. » Notre-Seigneur tient-il ce langage, parce que les bons eux-mêmes, quand ils sont encore faibles, ont besoin pour plusieurs motifs d'être mêlés aux méchants, soit afin d'être exercés par eux, soit afin de trouver dans leur contraste une puissante exhortation à une vie meilleure; tandis que si les méchants disparaissaient, la charité des bons serait comme une plante flétrie et desséchée, et se déracinerait ? Voici en effet ce que dit l'Apôtre : « Afin qu'étant enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre (1). » Ou bien le bon grain est-il déraciné quand on arrache l'ivraie, parce que plusieurs, qui étaient d'abord de la zizanie, deviennent ensuite du froment ? Si on ne les supporte pas avec patience, quand ils sont mauvais, ils ne parviendront pas à un changement sérieux: c'est ainsi qu'en les arrachant, on arrache en même temps le bon grain, qu'ils auraient été, si on les avait épargnés. XIII. La perle précieuse (2). Le royaume des cieux est semblable à un marchand qui cherche de belles perles, et qui en ayant trouvé une de grand prix, va vendre tout ce qu'il a,
1 Eph. III, 17, 48. 2 Matt. XIII,45, 46.
356
et l'achète. » Pourquoi Notre-Seigneur passet-il du pluriel au singulier, nous proposant un homme qui cherche de belles perles, et qui, en ayant trouvé une de grand prix, vend tout ce qu'il a pour en faire l'acquisition ? Il s'agit donc ici d'un homme qui cherche des hommes de bien, dont la compagnie puisse lui être utile, et qui trouve le seul entre tous qui soit exempt de péché, le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ fait homme (1). Ou bien il s'agit d'un homme, qui cherchant les commandements dont l'observation lui fera mener une vie édifiante parmi les hommes, a trouvé l'amour du prochain où sont renfermés, dit l'Apôtre, tous les autres commandements ; ainsi : « Vous ne tuerez point, a vous ne commettrez point d'adultère, vous ne a déroberez point, vous ne porterez point de faux témoignage, » et s'il yen a quelque autre, tous ces commandements seraient comme autant de perles qui se trouvent réunis dans cette parole : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même (2). » Il est encore une autre interprétation : Cet homme cherche des intelligences droites, et trouve Celui en qui seul sont contenues toutes les intelligences, et dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu (3), » brillant de tout l'éclat de la vérité, solidement établi sur le fondement de l'éternité, semblable à lui-même en tous points par la splendeur de sa beauté divine , ayant enfin , tout Dieu qu'il est revêtu la chair de l'homme. Car cette perle précieuse était demeurée quelque temps cachée sous l'enveloppe de notre mortalité comme dans une coquille, au milieu des ténèbres de ce siècle, et parmi les duretés du peuple Juif, qui étaient comme autant de rochers. Or, il était déjà parvenu jusqu'à cette perle, celui qui dit : « Et si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte (4). » Il n'y a point d'intelligence vraiment digne d'être considérée comme une perle, que celle qui a secoué tous les langes charnels dont elle était enveloppée, soit par la parole des hommes, soit par les images trompeuses qui l'environnaient, pour se montrer pure, solide et toujours semblable à elle-même. Toutes ces autres intelligences remplies de vérité, de force et de perfection, une seule néanmoins les contient en elle-même, c'est celle par qui toutes choses ont
1 1 Tim. II, 6. 2
été faites, c'est le Verbe de Dieu (1). Mais, des trois précédentes interprétations quelque soit celle à laquelle on s'attache, et même si l'on en trouve quelque autre qui explique bien le sens, de cette perle unique et précieuse, c'est nous-mêmes qui sommes le prix de cette perle : et nous ne sommes dignes de la posséder, que quand nous méprisons tous les biens temporels pour parvenir au salut. En effet, lorsque nous avons vendu nos biens, nous n'en recevons pas de prix plus avantageux que nous-mêmes; parce que, tant que nous en étions embarrassés, nous ne nous appartenions pas; alors nous nous donnons nous-mêmes en échange de cette perle, non pas que nous valions autant qu'elle, mais parce que nous ne pouvons donner davantage. XIV. Aveuglement des Juifs (2). 1. « Et ils ont fermé leurs yeux, de peur que leurs yeux ne voient: » c'est-à-dire, ils ont été cause que Dieu leur a fermé les yeux. Un autre Evangéliste dit effectivement: « Il a aveuglé leurs yeux. » Mais est-ce d'une manière irrémédiable ? ou bien cela veut-il dire : dupeur qu'ils n'ouvrent un jour les yeux; que fatigués de leur aveuglement, pleurant leurs misères, en étant humiliés et ébranlés, ils n'avouent leurs fautes et ne cherchent humblement le Seigneur ? Saint Marc dit en effet: « De peur qu'ils ne viennent à se convertir, et que leurs péchés ne leur soient pardonnés (3). » Il suit delà que l'aveuglement de leur esprit aurait été le châtiment de leurs fautes, et que la miséricorde divine aurait voulu cependant leur donner le moyen de reconnaître leurs péchés, de se convertir et d'obtenir leur pardon. Mais saint Jean dit en cet endroit : « C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire, parce que Isaïe a dit encore : Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leur cur, afin que leurs yeux ne voient point, que leur coeur ne comprenne pas, qu'ils ne se convertissent point, et que je ne les guérisse pas (4). » Ceci semble contredire le premier sentiment et exiger qu'on interprète ces mots : « De peur que leurs yeux ne voient, » non pas en ce sens: De peur qu'ils ne puissent voir un jour; mais dans le sens suivant: « Afin qu'ils ne voient a point ; » car l'Evangéliste dit clairement: « afin que leurs yeux ne voient point. » Ces autres mots: « C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croire,» démontrent suffisamment que leur aveuglement n'a
1 Jean. I, 3. 2 Matt. XIII, 15. 3 Marc, IV, 12. 4 Jean, XII, 39,40.
357
pas eu pour résultat de les toucher et d'exciter leur regret de ne pas comprendre, pour les amener à se convertir un jour, à faire pénitence ; car ils ne pouvaient en venir là, avant de croire ; la foi était la condition de leur conversion ; la conversion, de leur guérison ; et la guérison, de l'ouverture de leur intelligence; ces mots, disons-nous, prouvent plutôt qu'ils ont été frappés d'aveuglement, pour qu'ils n'eussent point la foi. Ceci en effet est très-péremptoire : « C'est pour cela quils ne pouvaient croire. » 2. S'il en est ainsi, qui ne se sentirait pressé de prendre en main la défense des Juifs, et de déclarer qu'ils n'ont pas été coupables de ne pas croire ? En effet, s'ils n'ont pas cru, c'est parce que Dieu les a aveuglés. Mais comme il ne nous est pas permis de rejeter la faute sur Dieu, nous sommes forcés d'admettre qu'ils ont mérité cet aveuglement par d'autres prévarications, quoique cet aveuglement les ait empêchés de croire. Car les paroles de saint Jean sont formelles: « C'est pour cela qu'ils ne pouvaient croître, parce que Isaïe dit encore : Il a aveuglé leurs yeux. » C'est donc en vain que nous nous efforçons de comprendre qu'ils ont été aveuglés, afin d'être amenés à la conversion, puisqu'ils ne pouvaient être convertis, à moins de croire, et qu'ils ne pouvaient croire, en raison de leur aveuglement. Il ne serait peut-être pas hors de raison de dire que plusieurs d'entre les Juifs furent susceptibles d'être guéris de leur aveuglement, mais que l'enflure de leur orgueil était pour eux un si grand obstacle à croire, qu'ils ne purent d'abord s'y résoudre, et qu'en conséquence ils furent aveuglés, au point de ne rien comprendre aux paraboles de Notre-Seigneur : ne comprenant rien à ces paraboles, ils ne crurent pas au Seigneur ; et ne croyant point en lui, ils le crucifièrent; d'accord avec les méchants, avec ceux que Dieu abandonnait sans retour: mais qu'après la résurrection, leur conversion fut sincère, quand, profondément humiliés de la part qu'ils avaient prise à la mort du Seigneur, ils l'aimèrent en proportion de la joie qu'ils éprouvèrent d'être pardonnés d'un si grand crime ; cartel était leur orgueil, qu'il devait avoir pour remède une humiliation aussi profonde. On pourrait s'élever contre l'inconvenance de cette interprétation, si on n'en lisait aux Actes des Apôtres la réalisation la plus convaincante (1). Ce passage de saint Jean: « C'est
1 Act. II, 37.
pour cela qu'ils ne pouvaient croire, parce qu'il a aveuglé leurs yeux, afin qu'ils ne voient point, » ne contredit donc pas notre interprétation, qu'il les a aveuglés, afin qu'ils se convertissent : en d'autres termes, que les enseignements du Seigneur sont demeurés voilés pour eux à travers les obscurités des paraboles, afin qu'après la résurrection ils revinssent à lui dans les sentiments d'une pénitence plus sincère . Aveuglés par l'obscurité du langage de Notre-Seigneur, ils ne comprirent pas ses paroles; ne les comprenant point, ils ne crurent pas en lui; et ne croyant pas en lui, ils le crucifièrent ;puis, après sa résurrection, frappés de crainte à la vue des miracles qui s'opéraient en son nom, ils éprouvèrent une grande componction de leur horrible forfait, se vouèrent à la pénitence, et ayant obtenu la grâce de la conversion, ils en donnèrent la preuve par la charité la plus ardente 3. En effet, ceux qui ne furent point convertis, parce que ce langage des paraboles provoquait leur aveuglement, le prophète en parle ainsi dans un autre passage, que rapporte également l'Apôtre, à propos de l'obscurité des langues: « Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues; et après cela même ils ne m'écouteront point, dit le Seigneur (1). » Le Seigneur ne dirait pas: « Et après cela même ils ne m'écouteront point, » si son dessein n'était d'être écouté par eux après cela : c'est-à-dire, s'il ne voulait, en agissant de la sorte, produire en eux un humble aveu, une recherche exacte de leurs fautes, une conversion sincère et un amour ardent. Telle est aussi d'ailleurs la méthode suivie dans la guérison des corps. La plupart des remèdes font souffrir afin de guérir, et les collyres mêmes, employés pour la guérison des yeux, si l'on est obligé d'en verser sous la paupière, ne peuvent produire un bon effet, qu'après avoir couvert et troublé le sens de la vue. 4. Et qu'on ne soit point surpris de cette autre parole du même Prophète : « Si vous ne croyez point, vous ne comprendrez point (2) ; » qu'on ny voie pas une sorte de contradiction avec ce passage de saint Jean : « Ils ne pouvaient croire, parce que Dieu avait aveuglé leurs yeux ; » ce qui veut dire, que les paraboles de Notre-Seigneur étaient formulées en termes tels, qu'ils ne pouvaient y rien comprendre. Quelqu'un dira en effet Mais s'ils devaient croire pour comprendre, comment
1 I Cor. XII, 21 : Is. XXVIII, 14. 2 Is. VII, 9 selon les Sept.
358
se fait-il qu'ils ne pouvaient pas croire, parce qu'ils ne comprenaient point, c'est-à-dire parce que leurs yeux étaient aveuglés ? Or ces paroles d'Isaïe : « Si vous ne croyez point, vous ne comprendrez point, » s'entendent de l'intelligence des réalités inénarrables, où l'on sera fixé pour toujours; au lieu que quand on nous dit ce que nous devons croire, nous ne pouvons le croire sans le comprendre. Il faut donc comprendre ce qu'on nous dit, afin de comprendre ce qui peut se dire ; et croire ce qui peut se dire, afin de comprendre ce qui ne saurait s'exprimer. XV. Des paraboles de Notre-Seigneur (1). Et il ne leur parlait point sans paraboles. A Cela ne veut pas dire que Notre-Seigneur ne parlait jamais au propre, mais qu'il ne fit presque jamais de discours d'une certaine étendue, où il n'exposât quelque point de doctrine sous la forme de paraboles, bien qu'il entremêlât aussi quelques réflexions dans le sens propre : c'est ainsi que souvent tout son discours est émaillé de paraboles, et qu'on n'en trouve aucun où il ait parlé d'un bout à l'autre sans figures. J'entends par discours étendus, ceux qu'il commençait à propos d'une chose, épuisant tout ce qu'il avait à dire à ce sujet, pour passer ensuite à une autre chose. Parfois il est vrai, un Evangéliste transporte dans son récit ce qu'un autre Évangéliste rapporte à des époques différentes. C'est que chacun d'eux, au lieu de s'asservir à l'ordre des temps où les faits se sont accomplis, conduit sa narration d'après l'ordre où sa mémoire les lui représente. XVI. Le trésor des choses nouvelles et des choses anciennes (2). « Avez-vous bien compris tout ceci ? Oui, répondirent-ils. Et il ajouta : C'est pourquoi tout docteur instruit de ce qui regarde le royaume des cieux, est semblable à un père de famille, qui tire de son trésor des . choses nouvelles et des choses anciennes. » Le Seigneur a-t-il voulu faire entendre, dans cette conclusion de son discours, que le trésor caché dans un champ figure les saintes Ecritures, qui se composent de l'Ancien et du nouveau Testament ; conformément à l'interprétation qu'il donne. suivant un autre Evangéliste, du glaive à deux tranchants (3) ? Ou bien, comme il avait parlé à ses disciples en paraboles ; après leur avoir demandé s'ils les comprenaient, et après la réponse affirmative qu'ils lui firent, n'a-t-il pas
1 Matt. XIII, 34. 2 Ib. 51, 52, 44. 3 Apoc. I, 16.
voulu leur enseigner, par cette dernière comparaison du père de famille, qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes, que l'homme vraiment docte dans l'Eglise sera celui qui comprendra aussi les anciennes Ecritures avec leurs paraboles, en prenant les nouvelles pour règle d'interprétation des anciennes ? Car le Seigneur est aussi l'auteur de ces discours énigmatiques, quoique le Christ soit lui-même la fin des anciennes Ecritures, c'est-à-dire, quoi. qu'elles aient en lui leur accomplissement. Que si le Christ lui-même, en qui s'accomplit et se manifeste ce qu'elles ont dit, parle encore en paraboles, jusqu'au jour où sa passion viendra déchirer le voile, et où tout ce qui est caché doit être révélé au grand jour ; à combien plus forte raison faut-il admettre le sens caché des paraboles dans les choses qui ont été écrites de lui, si longtemps à l'avance, pour annoncer au monde la grande nouvelle du salut ! prenant ces Ecritures au pied de la lettre, les Juifs ont refusé d'être instruits de ce qui regarde le royaume des cieux et de venir jusqu'à Jésus-Christ, pour qu'il fit disparaître le voile étendu sur leurs curs. XVII. Les frères de Notre-Seigneur (1). Ses frères, Jacques et Joseph, Simon et Jude, et ses sceurs, ne sont-ils pas tous parmi nous ? D'où lui viennent donc toutes ces choses ? Et il leur était un sujet de scandale. » Il est d'une telle évidence que, chez les Juifs, le nom de frère était attribué aux parents, que non-seulement ce nom s'appliquait à ceux qui étaient du degré, le plus rapproché,. comme sont les enfants de frères et soeurs, et ainsi que cela se pratique encore parmi nous très-souvent mais encore que l'oncle et le fils de la soeur, le neveu, comme étaient entre eux Jacob et Laban, sont désignés par l'Écriture sous le nom de frères (2). Il n'est donc pas étonnant que l'Évangile appelle frères du Seigneur tous ses parents du côté maternel ; et ceux qui pensaient que Joseph était le père du Seigneur, pouvaient également bien donner ce nom aux parents de ce saint patriarche.
Pensées détachées.
1. Violer la justice générale. Nul ne viole la justice générale, s'il ne transgresse avec passion, soit les lois de la société humaine, par exemple, par le larcin, la rapine, l'adultère, l'inceste et autres désordres du même
1 Matt. XIII, 55, 56. 2 Gen. XXIX,15.
359
genre ; soit les lois de la nature, par exemple, par la contumélie, le meurtre, l'homicide, les abominations et les bestialités ; soit la mesure dans les choses permises, comme quand on accable l'orgueilleux plus qu'il ne faut quand on mange ou qu'on boit au-delà du nécessaire , quand on use du légitime mariage au delà de ce qui est permis, et choses semblables. 2. Confiance que devait inspirer le don des langues. On comprend bien qu'en accordant aux hommes le don des langues, qui ont été établies par le bon plaisir et l'entente réciproque des hommes, et qui s'apprennent, grâce aux sens extérieurs, par l'habitude d'entendre, le Saint-Esprit ait eu le dessein de leur apprendre combien il lui est facile de les rendre sages, en répandant dans leurs coeurs la, sagesse qui vient de Dieu. 3. Comment tout est dans le Verbe. La volonté du Verbe éternel est toujours immuable, parce qu'elle possède en même temps toutes choses : mais la nôtre n'a point de stabilité, précisément parce qu'elle n'est pas dans les mêmes conditions ; c'est pourquoi nous voulons tantôt une chose, tantôt une autre. Tout ce qui a été fait pour l'homme a été connu par lui à l'avance, de la même manière qu'un peintre a dans l'idée de reproduire sur la toile tout un palais, et prévoit ou tonnait le lieu où il doit le. peindre : ainsi le Verbe a tout en idée, en préparation, en volonté, quoiqu'il exécute chaque chose en son temps et à des époques déterminées. C'est ainsi que toute créature, et l'humanité même, en qui devait se personnifier la Sagesse d'une manière mystique et ineffable, était de tout temps, comme par un art éternel de Dieu, dans cette même sagesse, quoiqu'elle fasse chaque chose en son temps, atteignant avec force depuis une extrémité jusqu'à l'autre, disposant tout avec douceur, et renouvelant toutes choses, en demeurant immuable en elle-même (1). 4. La mort et le progrès dans la vertu. A propos de la manière dont on désirerait vouloir mourir, si un homme, doué d'une foi intègre et qui voit où il doit en venir, parvenait à vouloir mourir comme il le souhaite, il aurait déjà fait du progrès, pour être prêt à quitter cette vie sans répugnance. Car autre chose est de voir où il faut en venir, autre chose d'aimer ce terme de l'existence et de désirer l'atteindre : celui qui éprouve ce désir dans son coeur doit nécessairement mourir sans regret. C'est donc en vain que plusieurs, qui sont animés d'une foi véritable, disent qu'ils ne veulent pas mourir, afin de faire des progrès; puisque leur progrès consiste précisément à vouloir mourir. Par conséquent, s'ils veulent être sincères, qu'ils ne disent pas : Je ne veux pas mourir, afin de l'aire des progrès ; mais : Si je ne veux pas mourir, c'est parce que je n'ai pas fait de progrès. Ne pas vouloir mourir, n'est donc pas un conseil de perfection pour des fidèles, mais c'est l'indice qu'ils n'ont point fait de progrès. Ce qu'ils ne veulent pas. dans le dessein d'être parfaits, qu'ils le veuillent donc, et la perfection leur est assurée.
1 Sag. VIII, 1 ; VII, 27.
Traduit par M. l'abbé POGNON.
|