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DIVERSES QUESTIONS A SIMPLICIEN (1)

LIVRE PREMIER. DEUX QUESTIONS SUR L'ÉPITRE AUX ROMAINS.

 

Oeuvres Complètes de Saint Augustin, Traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Tome Vème, Commentaires sur l'Écriture, Bar-Le-Duc, L. Guérins & Cie éditeurs, 1867. p. 490-508

PRÉFACE.

 

J'ai reçu avec le plus grand plaisir et la plus intime satisfaction les questions que vous avez bien voulu m'adresser, Simplicien, mon père; et si je ne m'efforçais d'y répondre, je ferais acte non-seulement de résistance blâmable, mais d'ingratitude. Déjà nous avions discuté d'une manière quelconque, et même traité par écrit, les difficultés que vous proposez sur l'apôtre saint Paul. Cependant peu satisfait des recherches et des explications précédentes, j'ai étudié avec plus de soin et d'attention les paroles de l'Apôtre et l'ensemble de ses pensées. Car vous ne les soumettriez point à notre examen, si l'intelligence en était facile et à la portée de tous.

 

PREMIÈRE QUESTION. —  Que pense saint Paul de la Loi ancienne? — 1. La première question dont vous m'avez demandé l'éclaircissement, s'étend de ces mots: « Que dirons nous donc ? La Loi est-elle péché ? Point du tout, » jusqu'à ceux-ci : « La Loi est donc un bien pour moi si je le veux, » et ce qui suit , y compris, je pense, ce passage Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ?. » Ici l'Apôtre me semble avoir personnifié,en lui-même l'homme soumis à l'ancienne Loi, et en avoir adopté le langage pour son propre compte. Et comme il avait dit plus haut : « Nous sommes affranchis de la Loi de mort dans laquelle nous étions retenus, afin que nous servions dans la nouveauté de l'esprit, et non dans la vétusté de la lettre ; » et que ces paroles pouvaient passer pour un reproche à l'adresse de la Loi, il se hâte d'ajouter : « Que dirons-nous donc ? La Loi est-elle péché? Loin de là. Mais je n'ai connu le péché que par la Loi. Car je ne

 

1 Simplicien, évêque de Milan, avait succédé à saint Ambroise Voyez le lettre que lui adressa saint Augustin, tom. II, épit. XXXVII, pag. 22. — 2 Rom. VII, 1-26.

 

connaîtrais pas la concupiscence, si la Loi n'eût dit: Tu ne convoiteras pas. »

2. On pourrait objecter ici: Bien que la Loi ne soit pas péché, mais y donne seulement occasion, elle n'en est pas moins blâmée par ces paroles de l'Apôtre. Il faut donc comprendre que l'a Loi n'a été donnée ni pour produire ni pour détruire le péché, mais seulement pour le faire connaître, pour convaincre de sa culpabilité l'âme qui se croyait presque assurée de son innocence ; en sorte que le péché ne pouvant être vaincu que par la grâce, elle devint inquiète de sa faute et se  tournât du côté de la grâce. Aussi l'Apôtre ne dit pas : « Je n'ai commis le péché que par la Loi, mais Je n'ai connu le péché que par la Loi. » Il ne dit pas non plus : Je n'aurais pas convoité, si la Loi n'eût dit : Tu ne convoiteras pas, mais : Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la Loi n'eût dit : Tu ne convoiteras pas. a D'où il résulte que la Loi n'a pas produit, mais simplement fait connaître la concupiscence.

3. Or, puisqu'on n'avait pas encore la grâce pour résister à la concupiscence, il fallait donc qu'elle augmentât. En effet quand le crime de la résistance formelle s'y ajoute, quand elle agit contre la Loi, elle a plus de force que si elle n'était défendue par aucune loi. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute : « Or, prenant occasion du commandement, le péché a produit en moi toute concupiscence. » La concupiscence existait déjà avant la Loi, mais non toute entière, parce qu'il n'y avait pas encore résistance formelle. Aussi saint Paul dit-il ailleurs : c Car où il n'y a pas de loi, il n'y a pas de prévarication (1). »

4. Quant à ce qui suit: « Car sans la Loi le péché est mort, » c'est comme s'il disait: Le péché est caché, c'est-à-dire il est censé mort.

 

1 Rom. IV, 15.

 

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C'est ce qu'il exprimera clairement un peu plus bas. « Et moi, continue-t-il, je vivais autrefois . sans Loi; » c'est-à-dire, la mort, fruit du péché,ne m'épouvantait pas, parce que le péché  ne paraissait pas, puisqu'il n'y avait pas de loi. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu, » c'est-à-dire c'est fait voir. « Et moi je suis mort, » c'est-à-dire j'ai compris que j'étais mort; je sais au moins que la prévarication me tient sous la menace d'une mort certaine. Evidemment ces paroles : « Quand est venu le commandement, le péché a revécu, » indiquent assez que le péché a vécu autrefois, c’est-à-dire, ce me semble, s'est montré dans la prévarication du premier homme, puisqu'il avait reçu lui-même un commandement (1). Car l'Apôtre dit ailleurs : « Mais la femme séduite tomba dans la prévarication (2) ; » et encore: « Par une prévarication semblable à celle d'Adam, qui est la figure de celui qui devait venir (3). » Car pour revivre il faut avoir vécu. Mais le péché était mort, c'est-à-dire caché, parce que les hommes, nés mortels, vivaient sans Loi et suivaient les convoitises de la chair sans s'en douter: car il n'y avait pas de défense. Donc : « Et moi je vivais autrefois sans loi, » nous dit l'Apôtre. Par là il montre clairement qu'il ne parle pas en son propre nom, mais en général et au nom du vieil homme. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu. Et moi je suis mort ; il s'est trouvé que ce commandement, . qui devait me donner la vie, a causé ma mort. » En effet, si on obéit au commandement, c'est certainement la vie. Mais il s'est trouvé qu'il a causé la mort, parce que pécher contre le commandement ce n'est pas seulement pécher, ( on péchait déjà auparavant) mais c'est pécher avec plus de malice et de perversité, puis qu'on commet le mal sciemment et par désobéissance formelle.

5. « Car, continue l'Apôtre, le péché prenant occasion du commandement, m'a séduit et par lui m'a tué. » Le péché abusant de la Loi, pendant que la défense augmentait la convoitise, est devenu plus agréable et nous a séduits. Car c'est une douceur trompeuse, qui est suivie de supplices plus nombreux, plus grands et plus amers. Comme l'homme qui n'a pas encore reçu la grâce spirituelle a plus d'attrait pour une action défendue, le péché séduit par une fausse douceur; et la prévarication s'y ajoutant, il tue.

 

1 Gen. II, 17. —  2 I Tim. II, 14. — 3 Rom, V, 14.

 

6. « Ainsi la Loi est sainte et le commander saint, juste et bon. » En effet la Loi ordonne et défend ce qu'il faut. « Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là. » Le mal est dans celui qui abuse, et non dans le commandement lui-même qui est bon. Car la Loi est bonne, si on en use légitimement (1). Or celui-là en abuse quine se soumet pas à Dieu dans une pieuse humilité, pour pouvoir accomplir la Loi au moyen de la grâce. Ainsi celui qui n'use pas légitimement de la loi ne la reçoit que pourvoir, par sa prévarication, paraître son péché qui se tenait caché avant la défense. Et cela outre mesure; » parce que ce n'est plus simplement un péché, mais une désobéissance au commandement. L'Apôtre continue donc et ajoute : « Mais le péché, pour paraître péché a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort ; de sorte que le commandement a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché. » Il explique par là le sens de ce qu'il a dit plus haut Car sans la Loi le péché est mort; » non qu'il n'existât pas, mais il ne paraissait pas; et dans quel sens il a dit aussi: « Le péché, a revécu, » ce qui ne signifie pas que le péché n'ait existé qu'après la loi, mais qu'alors seulement il a paru comme désobéissance à la loi; puisque dans ce même endroit l'Apôtre dit : « Mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort. » Il ne dit pas: Pour être péché, mais : « Pour paraître péché. »

7. Ensuite, il en donne la raison: « Car nous savons que la Loi est spirituelle, et moi je suis charnel. » Il fait assez voir ici que la Loi ne peut être accomplie que par les hommes spirituels, lesquels ne deviennent tels que par la grâce. En effet plus l'homme se rapproche de la Loi spirituelle, c'est-à-dire plus ses affections s'élèvent dans l'ordre spirituel, mieux il accomplit la Loi; parce qu'il y trouve un plus grand plaisir, vu qu'il n'est plus accablé sous son poids, mais fortifié de sa lumière; car le commande du Seigneur est lumineux et éclaire les yeux, sa loi est pure et convertit les âmes (2) : la grâce remettant les péchés et versant l'esprit de charité qui n'ôte pas seulement à la vertu ce qu'elle a de pénible, mais la rend agréable. Evidemment après avoir dit : « Et moi je suis charnel, » il a dû expliquer jusqu'à quel point. Car on appelle aussi charnels, en un certain sens, ceux qui sont déjà sous l'empire de la grâce,

 

1 I Tim.I, 8. — 2 Ps. XVIII, 8, 9.

 

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déjà rachetés du sang du Seigneur et nés à la vie de la foi, C'est à ceux-là que l'Apôtre dit : «Aussi, mes frères; je n'ai pu moi-même vous parler  comme à des hommes spirituels, tuais comme à des hommes charnels, comme à de petits enfants en Jésus-Christ ; je vous ai abreuvés de fait, « Mais je rie vous ni point donné à manger (1). » il me faut voir par là qu'ils sont nés à la vie de la grâce, eux qui sont de petits enfants de Jésus-Christ et qu'il faut abreuver de lait, et cependant il les appelle encore charnels. Quant à celui qui n'est point encore sous l'empire de la grâce, mais sous celui de la Loi; il est charnel ente sens qu'il n'est point affranchi du péché, mais vendu comme esclave au péché vu qu'il recherche, comme prix d'une fatale volupté, la douceur même qui le séduit et qu’il a violé la loi, avec d'autant plus de plaisir que la défense est plus formelle. Or il ne peut accepter Cette douceur Comme récompense convenable à son état sans être forcé de subir le joug de la passion en esclave acheté. Il sent en effet qu'il est l'esclave de la passion qui le maîtrise; lui à qui une défense est faite, qui connaît parfaitement cette défense et pourtant la transgresse,

8. « Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas: » Ces expressions: « Je ne le comprends pas, » ne veulent pas dire : J'ignore que je pèche; autrement l'Apôtre se contredirait, puisqu'il a dit: « Le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne; opéré en moi la mort; » et plus haut: « Je n'ai connu le péché que par la loi. » Comment le péché paraîtrait-il, comment le connaîtrait-il, s'il l'ignorait ? Mais il parle dans le même sens que le Seigneur, lorsqu'il dira un jour auto méchants : « Je ne vous connais pas (2): » Car rien n'échappe à Dieu, puisque il a les feux ouverts sur ceux qui font le mal, afin d'effacer leur souvenir ici-bas (3). » Quelquefois, pour nous-même, ignorer signifie ne pas approuver. Ainsi quand l'Apôtre dit: « Ce que je fais, je ne le comprends pas » cela veut dire je ne l'approuve pas. C'est ce que la suite démontre quand il ajoute : « Car ce que je veux,  je ne le fais pas; mais ce que je hais, je le fais. » Je hais a ici le sens de  j'ignore,» comme de ceux à qui le le Seigneur dira: « Je ne vous connais pas, » il est écrit : « Vous haïssez, Seigneur; a tous ceux qui commettent l'iniquité (4).

9. « Or si je fais ce que je ne veux pas, j'acquiesce à la loi comme étant bonne. » En effet il ne veut pas ce que la loi ne veut pas, car la loi

 

1 1 Cor. III,1, 2. — 2 Matt. XXV,12. — 3 Ps. XXXIII, 17. — 4 Ps V, 7.

 

défend ce qu'il fait. Il acquiesce donc à la loi, non en tant qu'il fait ce qu'elle détend, mais en ce qu'il ne veut pas ce qu'il fait. Il est vaincu parce qu'il n'est pas encore délivré par la grâce, quoiqu'il sache déjà par ta loi qu'il fait le mal et qu'il ne veuille pas le faire. Quant à ce qui suit: « Maintenant donc, ce n'est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi, » cela ne veut pas dire qu'il ne consent pas à faire le mal, quoiqu'il soit d'accord avec la loi pour le condamner. Car il parle encore au nom de1'homme établi sous l'empire de la loi (1) et non sous celui de la grâce; de l'homme par conséquent entraîné à mai faire par la concupiscence qui le domine et qui le séduit parla fausse douceur du péché défendu, bien qu'il le désapprouve, éclairé qu'il est par la loi. «Ce n'est pas moi qui le fais, » :signifie: je le fais parce que je suis vaincu. C’est en effet la passion qui agit ; on lui cède parce qu’elle est la maîtresse. Or pour ne pas céder, pour fortifier l’âme contre la passion, il faut la grâce, dont l’Apôtre va parler

10. « Car je sais, dit-il, que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair.En tant qu'il le sait, il est d’accord avec la loi ; mais en tant qu’il agit, il cède au péché. Or d’où sait-il ce qu’il avance, à savoir que ce qui habite dans sa chair n’est pas le bien, mais le péché ? D’où le sait-il, sinon par la transmission de la mortalité de la mortalité et les continuels assauts de la volupté ? L’un est la punition du péché originel, l’autre la punition des rechutes fréquentes dans le péché. Nous l’apportons l’un en venant au monde, nous y ajoutons l’autre pendant notre vie. Ces deux choses, la nature et l’habitude, réunies, rendent la passion très-puissante, très-difficile à vaincre ; c'est ce que l’Apôtre appelle ici péché, et qu'il déclaré  habiter dans sa chair, c'est-à-dire exercer une entière domination, une sorte d'empire. C'est dans ce sens qu'on lit dans le Psalmiste : « J'aime mieux être le dernier dans la maison du Seigneur que d'habiter dans les tentes des pécheurs (2)» comme si celui qui est méprisé, en quelque lieu qu'il soit, n'était pas considéré comme habitant; ce qui rattache au mot d’habitation l'idée d'une domination quelconque. Mais si la grâce produit en nous l'effet que l'Apôtre exprime ailleurs en ces termes :  « Que le péché ne règne point dans notre corps mortel, jusqu'à nous faire obéir à ses convoitises (3), » on ne pourra plus dire proprement

 

1 Rét. l. I, ch. I. — 2 Ps. LXXXIII, 11. — 3 Rom. VI, 12.

 

que le péché habite en nous.

11. « En effet le vouloir réside en mai, mais  accomplir le bien, je ne l'y trouve pas. » Ces paroles, pour ceux qui ne les comprennent pas bien, semblent presque détruire le libre arbitre. Mais comment cela serait-il, puisque l'Apôtre dit: « Le vouloir réside en moi? » Certainement le vouloir est en notre pouvoir, puisqu'il réside en nous; mais si nous ne pouvons pas accomplir le bien, la faute en est au péché originel. Ce n'est point là la nature primitive de l'homme, mais la peine du péché; d'où résulte la mortalité elle-même, la fragilité devenue comme une seconde nature, et dont nous sommes délivrés par la grâce du Créateur, quand nous nous soumettons à lui par la foi. Mais toutes ces expressions ne s'appliquent qu'à l'homme établi sous la loi, et non encore sous la grâce. En effet celui qui n'est point encore sous la grâce, ne fait pas le bien qu'il veut; mais il fait le mal qu'il ne veut pas, parce qu'il est dominé par la concupiscence fortifiée par le lien de la mortalité, et aussi par l'entraînement de l'habitude. Or s'il fait ce qu'il ne vent pas, ce n'est point lui qui le fait, mais le péché qui habite en lui, suivant ce qui a été dit et expliqué plus haut.

12. Je trouve donc, quand joyeux faire le bien, « une loi, qui s'y oppose, parce que le mal réside en moi; » c'est-à-dire je trouve que la loi est un bien pour moi quand je veux faire ce qu'elle commande, mais le mal réside en moi à cause de la facilité à le commettre. C'est cette facilité que l'Apôtre entend, quand il dit plus haut: «Le vouloir réside en moi. » En effet quoi de plus facile, pour l'homme établi sous la loi, chie de vouloir le bien et de faire le mal? Il veut le bien sans difficulté, quoiqu'il ait 'moins de facilité à le faire qu'à le vouloir; et il fait facilement le mal qu'il hait, bien qu'il ne le veuille pas; il est comme un homme violemment poussé qui arrive sans difficulté an fond du précipice, quoiqu'il ne le veuille pas. quoiqu'il le redoute extrêmement. Je dis cela à cause du mot de l'Apôtre: «Réside. » Donc l'homme établi sous la loi et non encore affranchi par la grâce, rend témoignage à la loi qu'elle est bonne : il le lui rend complètement par là même qu'il se reproche d'agir contre elle, et il trouve qu'elle est un bien pour lui, puisqu'il veut faire ce quelle lui commande, mais il ne le peut à cause de l'empire de la concupiscence ; il se voit ainsi coupable de prévarication, et forcé d'implorer la grâce du Libérateur.

13. « Je me complais, en effet, dans la loi de pieu, selon l'homme         intérieur, dans la toi

qui dit ; tu ne convoiteras pas. Mais     je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de ton esprit, et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres .» Il appelle  loi de ses membres le poids même de mortalité sous lequel nous gémissons (1), car le corps, qui se corrompt, appesantit l'âme (2). D'où il résulte souvent que ce qui n'est pas permis charme irrésistiblement. Ce fardeau accablant, écrasant, il l'appelle loi, parle que c'est une juste punition, un arrêt divin rendu et infligé par Celui qui avait prévenu l'homme en lui disant : « Du jour où vous mangerez de ce fruit, vous mourrez de mort (3). » Cette loi combat la loi de l'esprit qui dit: « Tu ne convoiteras pas, » et dans laquelle l'homme se complaît selon l'homme intérieur; et avant qu'il,soit sous l'empire de la grâce, elle combat tellement qu'elle le captive sous la loi du péché, c'est-à-dire sous son propre joug. Car en disant : «Laquelle est dans mes membres, » l'Apôtre fait assez voir que c'est la même que celle dont il a dit plus haut :  « Je vois dans mes membres une autre loi. »

14. Or le but de tout ceci est de démontrer que l'homme ainsi captif rte doit point présumer de ses forces. C'était le moyeu de confondre l'orgueil des Juifs qui se glorifiaient des oeuvres de la Loi, alors même qu'ils étaient entraînés par la concupiscence à commettre toute sorte de mal, bien que la loi dont ils étaient si fiers leur dit : « Tu ne convoiteras pas. » Donc l'homme vaincu, condamné, prisonnier, prévaricateur plutôt que vainqueur, après même avoir reçu la loi, doit dire, doit s'écrier avec humilité : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ- Notre-Seigneur. » En effet tout ce qui reste au libre arbitre en cette vie mortelle, ce n'est pas d'accomplir la justice quand l'homme le veut, mais de recourir avec de pieuses supplications à Celui qui peut lui donner de l'accomplir.

15. S'imaginerait-on, d'après le texte que nous venons d’exposer que l'Apôtre juge la loi mauvaise ? Il a dit en effet : « La loi est survenue pour faire abonder le péché (4); le ministère de mort a été gravé en, lettres sur des pierres (5) ; 1a force du péché, c'est la loi (6) ; vous êtes morts à la loi parle corps du Christ, a pour être à un autre, à Celui. qui est ressuscité

 

1 II  Cor. V, 4. —  2 Sag. IX, 15. —  3 Gen. II, 17. —  4 Rom. V, 20. — 5 II Co. III, 7. — 8 I Cor. XV, 56.

 

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d'entre les morts (1) ; les passions du péché, qui étaient occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, jusqu'à leur faire produire des «fruits pour la mort ; mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de mort dans laquelle nous étions retenus, pour que nous servions dans la nouveauté de l'esprit, et non dans la vétusté de la lettre (2). » Il a dit cela, et d'autres choses du même genre; mais il faut se souvenir que ces expressions signifient simplement que la loi augmente la concupiscence par la défense, et qu'elle lie le coupable par la prévarication, en donnant des ordres que les hommes ne peuvent remplir à cause de leur infirmité, à moins qu'ils ne recourent humblement à la grâce de Dieu. Voilà pourquoi on dit que ceux qu'elle domine sont sous elle ; et elle domine ceux qu'elle punit, c'est-à-dire tous les prévaricateurs. Or ceux qui ont reçu la loi prévariquent contre elle, à moins que la grâce ne les mette à même d'exécuter ce qu'elle commande. C'est ainsi qu'elle ne domine point ceux qui sont sous la grâce, parce qu'ils l'accomplirent par amour, eux qui étaient condamnés quand ils étaient sous le joug de la crainte.

16. Sion est porté par ces textes de l'Apôtre à croire qu'il blâme la loi, que dira-t-on de ces paroles: « Je me complais dans la loi de Dieu, « selon l'homme intérieur ? » Evidemment c'est là un éloge de la loi. Mais à cela on répond qu'il parle ici d'une autre loi, c'est-à-dire de la loi du Christ, et non de celle quia été donnée aux Juifs. Nous demanderons alors de quelle loi l'Apôtre a dit : « La loi est survenue pour faire abonder le péché? » On dit sans hésiter que c'est de la loi juive. Vois alors si c'est aussi de celle-là qu'il est dit : « Or, prenant occasion du commandement, le péché a produit en moi toute concupiscence. » Ces expressions : « A produit en moi toute concupiscence, » signifient-elles autre chose que celles-ci : « Afin de faire abonder le péché ? » Voyez encore si ce n'est pas le sens de ces mots : « De sorte que le commandement a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché. » En effet : « Pour rendre coupable le péché outre mesure » revient à : « Pour que le péché abondât. » Si donc nous démontrons que le commandement est bon, le commande ment dont le péché a pris occasion pour opérer toute concupiscence, au point de dépasser la mesure ; nous prouverons par là même que la

 

1 Rom. VII, 4. — 2 Ib. 5, 6.

 

loi est bonne, elle qui est survenue pour que le péché abondât, c'est-à-dire pour que le péché opérât toute concupiscence et dépassât toute mesure. Qu'on écoute donc le même Apôtre: « Que dirons-nous donc ? La loi est elle péché ? Loin de là. » Mais, nous dit-on, cela s'applique à la loi du Christ, c'est-à-dire à la loi de grâce. Qu'on nous dise alors comment on entend ce qui suit : « Mais je n'ai connu le péché que parla loi. Car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n'eût dit : Tu ne convoiteras pas. Or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence. » Le contexte montre assez de quelle loi il parle quand il dit: « La loi est-elle péché ? Loin de là. » Evidemment il s'agit de celle dont le commandement a fourni au péché l'occasion d'opérer toute concupiscence, par conséquent de celle qui est survenue pour que le péché abondât et qu'on prétend mauvaise.

Mais quoi de plus clair que les paroles ajoutées par l'Apôtre : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon?» On nous dit encore qu'il s'agit de l'Evangile, et non de la loi juive: tant est grande, tant est aveugle la perversité manichéenne ! Ils ne font pas attention au passage si exprès, si évident, qui vient à la suite . « Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort ? Loin de là ; mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort, de sorte que le commandement a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché ; » c'est-à-dire le commandement saint, juste et bon, qui est pourtant survenu pour que le péché abondât, c'est-à-dire dépassât toute mesure.

17. Pourquoi donc, si la loi est bonne, l'appelle-t-on « ministère de mort? » Parce que le péché, « pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort. » Ne vous en étonnez point, puisqu'on a dit de la prédication même de l'Evangile : « Nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ à l'égard de ceux qui se sauvent et à l'égard de ceux qui se perdent; « aux uns odeur de vie pour la vie, mais aux autres odeur de mort pour la mort (1). » La loi a été appelée ministère de mort à l'égard des Juifs, pour qui elle a été écrite sur la pierre, emblème de la dureté de leur coeur ; mais non pour ceux qui l'accomplissent par amour. Car l'amour est la plénitude de la loi. » En effet la loi, écrite

 

1 II Cor. 15, 16.

 

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sur la pierre, dit: « Tu ne commettras point l'adultère; Tu ne seras point homicide ; Tu ne déroberas pas; Tu ne convoiteras pas, » toutes choses qui s'accomplissent par amour, au témoignage de l'Apôtre, qui nous dit : « Celui qui aime la prochain a accompli la loi. En effet, Tu ne commettras point l'adultère ; Tu ne tueras pas ; Tu ne déroberas pas; Tune convoiteras pas, et s'il est quelque autre commandement, tout se résume dans jette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (1), » parce que cette parole même est écrite dans la loi.

Si la loi est bonne, pourquoi est-elle « la force du péché ? » Parce que le péché a, par une chose bonne, opéré la mort, de sorte qu'il a dépassé la mesure, c'est-à-dire qu'il s'est fortifié par la prévarication.

Si la loi est bonne, « pourquoi sommes-nous morts par le corps du Christ ? » Parce que, délivrés de l'affection que la loi punit et condamne, nous sommes morts à la loi qui condamne. En effet c'est surtout quand elle menace, épouvante ou frappe, qu'on lui donne le nom de loi. Ainsi le même précepte est la loi pour ceux qui craignent, et la grâce pour ceux qui l'accomplissent avec amour. De là ce mot de l'Evangile La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ (2). » En effet la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ pour faire accomplir la loi même, qui avait été donnée par Moïse pour inspirer la crainte. Donc : « Vous êtes morts à loi, » veut dire : Vous êtes morts au supplice de la loi, « par le corps du Christ, » en vue duquel ont été pardonnés les péchés qui rendaient passible d'une juste punition.

Si la loi est bonne, pourquoi « les passions du péché qui sont occasionnées par la loi, agissaient-elles dans nos membres, jusqu'à leur faire produire des fruits de mort? » Parce que l'Apôtre entend ici par ces passions du péché dont il a été souvent parlé, l'augmentation de la concupiscence occasionnée par la défense, et la punition imposée à la prévarication : c’est-à-dire parce que le péché « a, par une chose bonne, opéré la mort, de sorte que le commandement a rendu coupable outre mesure le pécheur ou le péché. »

Si la loi est bonne, pourquoi « sommes-nous affranchis de la loi de mort dans laquelle nous étions retenus, afin que nous servions dans la

 

1 Rom. XIII, 8, 10. —  2 Jean, I, 17.

 

nouveauté de l'esprit, et non dans la vétusté de la lettre ? » Parce que la loi est seulement la lettre pour ceux qui ne l'accomplissent pas avec cet esprit de charité, qui est le but du nouveau Testament. Ainsi ceux qui sont morts au péché sont affranchis de la lettre dans laquelle sont retenus les coupables qui n'accomplissent pas ce qui est écrit. En effet qu'est-ce que la loi, sinon une simple lettre pour ceux qui savent la lire et ne peuvent l'accomplir? Car ceux pour qui elle a été écrite la connaissent; mais comme ils ne la connaissent qu'en tant qu'elle est écrite, et non pour l'aimer et l'accomplir, elle n'est bien pour eux que la lettre: lettre qui n'est d'aucun secours à ceux qui la lisent, mais qui rend témoignage contre ceux qui pèchent. Donc ceux qui sont renouvelés par l'Esprit sont affranchis de sa condamnation ; ils ne s'attachent plus à la lettre pour y trouver le châtiment, mais à l'intelligence par amour de la justice. De là le mot : « La lettre tue, mais l'esprit vivifie (1). » En effet la loi seulement Luc, mais non comprise ou non accomplie, tue certainement ; et c'est alors qu'on l'appelle lettre. « Mais l'esprit vivifie, parce que la plénitude de la loi c'est la charité, qui a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné (2). »

II. —  Doctrine de saint Paul sur la justification. — (1). Il est temps, je pense, de passer à l'autre question que vous nous avez proposée, c'est-à-dire d'expliquer tout le texte, à partir de ce verset : « Et non seulement elle, mais aussi Rebecca qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père. Car  avant qu'ils fussent nés, ou qu'ils eussent fait ni bien ni mal; »  jusqu'à celui-ci : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe. » Ce passage est assurément plus obscur que l'autre. Mais, comme je vous connais, vous n'avez pu exiger de moi ce travail, sans demander à Dieu pour moi la grâce de pouvoir le faire. Enhardi par cette pensée, j'entre de suite en matière.

2. Tout d'abord je ne perdrai point de vue le but que se propose l'Apôtre dans toute son Epître, et je le prendrai pour guide. Or ce but est d'empêcher qu'on ne se glorifie du mérite de ses oeuvres, comme les Juifs qui osaient se vanter d'avoir observé la loi qu'on leur avait donnée, prétendaient avoir reçu la grâce évangélique comme une récompense due à leur mérite, à leur fidélité à cette

 

1 II Cor. III, 6. — 2 Rom. V, 5.

 

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loi et par conséquent, ne voulaient pas que la même grâce fût accordée aux Gentils, qu'ils en réputaient indignes, à moins qu'il ne fissent profession de Judaïsme, Cette question, élevée précédemment, a sa solution dans les Actes des Apôtres (1). Les Juifs ne comprenaient donc pas que ce bienfait étant la grâce évangélique, n'est point la récompense des oeuvres, « autrement la grâce ne serait plus grâce (2). » En beaucoup d'endroits saint Paul l'atteste, mettant toujours la grâce de la foi au dessus des oeuvres, non pour détruire celles-ci, mais pour montrer qu'au lieu de précéder la grâce, les bonnes oeuvres la suivent ; et que personne ne doit s'imaginer avoir reçu la grâce pour avoir fait le bien, mais comprendre qu'il ne peut faire le bien sans avoir reçu la grâce par la foi.

Or l'homme commence à recevoir la grâce quand, attiré à la foi par une voix du dedans ou du dehors, il commence à croire en Dieu. Mais il importe de distinguer dans quels moments, par la réception de quels sacrements la grâce descend plus pleine, plus manifeste. Les catéchumènes ne sont pas sans l'avoir ; ou il -faudrait dire que Corneille ne croyait pas à Dieu, lui qui, par ses prières et ses aumônes, se rendait digne d'être visité par un ange (3). Or il n'eût point agi ainsi, si d'abord il n'avait cru; et il n'eût point cru, s'il n'avait été appelé ou par quelques visions mystérieuses de l'âme et de l'esprit, ou par quelques manifestations extérieures et sensibles. Chez quelques-uns la grâce de la foi est à un degré insuffisant pour obtenir le royaume des cieux, comme chez les catéchumènes, par exemple, ou chez Corneille lui-même, avant qu'il ne fut incorporé à l'Eglise par la réception des sacrements; chez d'autres elle est si grande, qu'ils font partie du corps du Christ et deviennent le temple de Dieu. « Car le temple de Dieu est saint, dit l'Apôtre, et vous êtes ce temple (3). » Et le Seigneur lui-même: « Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint, il ne peut entrer dans le royaume des cieux (4). » Il y a donc des commencements de foi, analogues à la conception; mais pour parvenir à la vie éternelle, il ne suffit pas d'être conçu, il faut naître. Rien cependant de tout cela n'a lieu sans la grâce de la miséricorde divine, parce que les bonnes oeuvres, s'il y en a, accompagnent la grâce, comme nous l'avons dit, mais ne la précèdent point.

 

1 Act XV. — 2. Rom. ( ?), 6 . — 3 Act. X, 1-4. — 3 Cor. III,  17. — 4 Jean, III, 5.

 

3. C'est ce que l'Apôtre veut persuader. Il dit ailleurs: « C'est la grâce de Dieu qui nous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de nous, car c'est un don de Dieu; ni des oeuvres, afin que nul ne se glorifie (1); » il applique ici ce principe à des enfants quine sont pas encore nés. Personne en effet ne peut dire que Jacob, avant sa naissance, ait mérité par ses oeuvres que Dieu dit de lui: « L'aîné servira sous le plus jeune. » Donc non-seulement elle, » dit l'Apôtre, (car Isaac a été promis, quand Dieu dit : « En ce temps je viendrai, et Sara aura un fils; » et ce fils n'avait certainement pas mérité par ses oeuvres que sa naissance fût promise, qu'en Isaac fût appelée race d'Abraham, c'est-à-dire que ceux-là partageassent le bonheur des saints dans le Christ, qui comprendraient qu'ils sont enfants de la promesse, ne s'enorgueilliraient point de leurs mérites, mais attribueraient à la grâce de la vocation l'avantage d'être cohéritiers du Christ, puisque, n'étant pas encore nés, ils n'avaient certainement rien mérité quand on promettait leur naissance;) mais aussi Rebecca qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père, » Il a grand soin de dire : « à la fois, » car ils avaient été conçus ensemble, et c'est pour qu'on n'attribue rien aux mérites des parents et que personne ne s'avise de dire : Le fils est né tel, parce que le père ou la mère étaient affectés de telle ou telle manière, au moment de la conception. En effet le moment de la conception a été le même pour les deux. Voilà pourquoi l'Apôtre dit : « A la fois, » coupant court ainsi à toutes les observations des astrologues, ou plutôt de ces prétendus tireurs d'horoscopes, qui prédisent les moeurs et les destinées des hommes d'après les circonstances de leur naissance. En effet ils ne sauraient en aucune façon expliquer une si grande différence de sort entre ces a eux jumeaux, conçus dans le même instant, sous la même constellation, dans le même état du ciel, tellement qu'il est impossible de faire la moindre observation pour l'un qui ne puisse s'appliquer à l'autre. Ils peuvent aisément comprendre par là, s'ils le veulent, que les réponses qu'ils vendent à leurs crédules auditeurs, ne sont fondées sur aucun art, mais sur des hasards et des conjectures. Pour revenir à notre sujet : l'Apôtre ne cite ces exemples que pour confondre et humilier l'orgueil des hommes ingrats envers la grâce divine, qui osent se glorifier de leur propres mérites. « Car avant qu'ils

 

Eph. II, 8, 9.

 

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fussent nés ou qu'ils eussent fait aucun bien ou aucun mal, non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de Celui qui appelle, il lui fut dit : « L'aîné servira sous le plus jeune. »

La grâce appartient donc à celui qui appelle; et ensuite les bonnes oeuvres sont à celui qui reçoit la grâce, non comme la source de cette grâce, mais comme son produit. En effet ce n'est pas pour être chaud que le feu échauffe, mais il échauffe parce qu'il est chaud; la roue ne court pas pour être ronde, mais parce qu'elle est ronde; ainsi personne ne fait le bien pour recevoir la grâce, mais le fait parce qu'il l'a reçue. Comment en effet celui qui n'a pas été justifié, pourrait-il vivre dans la justice ? Comment celui qui n'a pas été sanctifié, pourrait-il vivre saintement? Comment celui qui n'a pas été vivifié, pourrait-il vivre ? Or c'est ta grâce qui justifie, pour que celui qui est justifié puisse vivre dans la justice. La grâce rient donc on premier lien, et les bonnes oeuvres ensuite, ainsi que l'Apôtre le dit ailleurs: « Or à celui qui travaille, le salaire n'est point imputé comme une grâce; mais comme une dette (1); » comme l'est l'immortalité après les bonnes oeuvres, si toutefois elle est réclamée comme dette. C'est d'elle que le même Apôtre parle ainsi: « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; il me reste la couronne de justice, que le Seigneur, juste juge, me rendra un jour (2). » Peut-être en effet ce mot : « me rendra » suppose-t-il une dette. Mais quand : « Montant an ciel il a rendu la captivité captive, » il n'a pas rendu, mais « donné aux hommes. (3)» Comment, en effet l'Apôtre oserait-il réclamer le paiement d'une dette, s'il n'avait d'abord reçu la grâce gratuite qui, en le justifiant, l'a mis à même de combattre le bon combat? Car il avait été blasphémateur, persécuteur, outrageux; puis il obtint miséricorde, comme il l'atteste lui-même (4), en croyant en celui qui justifie, non l'homme pieux, mais l'impie (5), dans le but de le rendre pieux en le justifiant.

4. « Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de Celui qui appelle, il lui fut dit: L'aîné servira sous le plus jeune. » Ce que l'Apôtre a dit plus haut : « Car avant qu'ils fussent nés,ou qu'ils eussent fait ni bien ni mal, » était une préparation à ceci : « Non a cause de leurs oeuvres, « mais par la volonté de Celui qui appelle : » ce qui fait qu'on est tenté de demander pourquoi il a dit : « Afin que le décret de Dieu demeurât

 

1 Rom IV, 4. — 2 I Tim. IV, 7, 8. — 3 Eph. IV, 5. — 4 Tim I, 13. — 5 Rom. IV, 5.

 

ferme selon son élection ? » Comment en effet une élection est-elle juste, comment même y a-t-il une élection quelconque, là où il n'existe aucune différence? Car si Jacob a été élu avant de naître, sans avoir mérité, sans avoir rien fait, il n'a pu l'être puisqu'il n'y avait aucune différence pour déterminer le choix. De même si Esaü a été réprouvé sans l'avoir mérité, puisqu'il n'était pas né et n'avait encore rien fait quand on disait de lui : « L'aîné servira sous le plus jeune, » comment peut-on dire qu'il l'ait été justement ? Quelle distinction ferons-nous donc, comment entendrons-nous raisonnablement ces paroles : « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü ? » Elles se lisent, il est vrai, dans un prophète qui a écrit longtemps après la naissance et la mort de Jacob et d'Esaü; cependant il semble que ce n'est qu'un souvenir de l'arrêt: « Et l'aîné a servira sous le plus jeune ; » arrêt porté avant qu'ils fussent nés et qu'ils eussent agi. D'où provient donc l'élection ? On comment a-t-elle pu être, puisqu'il n'y a aucune différence de mérites entre deux hommes qui ne sont pas nés et qui n'ont encore rien fait ? Serait-ce la différence des natures ? Mais cela serait difficile à comprendre puisqu'il n'y a eu qu'un père, qu'une mère, qu'une conception, qu'un Créateur. Serait-ce que, comme le même Créateur a tiré de la même terre, différents genres d'animaux et de reproducteurs; il aurait aussi créé, du même couple, dans deux jumeaux conçus ensemble, des enfants d'une nature assez différente pour que l'un attirât son amour et l'autre sa haine ? Il n'y avait donc pas de choix, avant que celui qui devait être choisi, existât. Si en effet Jacob a été créé, afin de plaire ; comment a-t-il plu avant Esaü, pour devenir bon ? Il n'a donc pas été choisi pour devenir bon, mais ayant été créé bon, il a pu être choisi.

5. « Selon son élection » signifierait-il que Dieu, qui prévoit tout, aurait vu d'avance la foi de Jacob avant qu'il fût né ? Alors, bien que personne ne puisse être justifié par ses oeuvres, puisqu'il faut être justifié pour faire le bien, cependant comme c'est par la foi que Dieu justifie les nations (1), et que personne ne croit que par un acte de sa libre volonté, Dieu prévoyant cette foi libre et volontaire, aurait choisi, dans sa prescience, un homme qui n'était pas encore né, afin de le justifier. Mais si l'élection se fait, par prescience et que Dieu ait su d'avance la foi de Jacob ;

 

1 Gal. III, 8.

 

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comment prouverez-vous qu'il ne l'a pas élu à raison de ses oeuvres ? Si, parce qu'ils n'étaient pas encore nés, ils n'avaient fait ni bien ni mal, ils ne croyaient non plus ni l'un ni l'autre. —  Mais la prescience prévoyait que l'un croirait ?Elle pouvait aussi prévoir qu'il agirait ; et si l'on dit que Dieu l'a élu en prévision de sa foi future, un autre pourra prétendre que Dieu l'a plutôt élu à raison de ses oeuvres futures qu'il ne prévoyait pas moins. Comment donc l'Apôtre fait-il voir que ce n'est pas à cause des oeuvres qu'il a été dit: « L'aîné servira sous le plus jeune ? » Si c'est parce que les enfants n'étaient pas encore nés, il n'a donc pas pu parler de la foi plutôt que des oeuvres, puisque la foi comme les oeuvres manque à qui n'est pas né. Il n'a donc pas voulu faire entendre que le plus jeune ait été élu et rainé asservi, en raison de la prescience. Car c'est pour montrer que l'élection ne provenait point des oeuvres qu'il a dit : « Avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni bien ni mal. » Autrement on aurait pu lui objecter : Mais Dieu savait ce que chacun d'eux devait faire. —  On demande donc quelle est l'origine de, ce choix? s'il n'est le fruit ni des oeuvres, qui n'existaient point, ni des hommes qui n'étaient pas encore nés; s'il n'est point le résultat de la foi, qui n'existait pas davantage : d'où vient-il donc ?

6. Faut-il dire qu'il n'y a pas eu de choix, puisqu'il n'y avait entre eux, dans le sein maternel, aucune différence sous le rapport de la foi, des oeuvres, ni de mérites quelconques ? Mais l'Apôtre dit: « Afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection. » Et c'est précisément parce qu'il a employé ce mot que nous nous faisons la question. Peut-être pourrait-on lire autrement: l'Apôtre n'avait pas voulu faire entendre que s'il fût dit: « Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de Celui qui appelle, l’aîné servira sous le plus jeune» c'est «afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection ; » mais en citant ces enfants qui n'étaient pas nés, qui n'avaient rien fait, il aurait plutôt voulu écarter l'idée d'une élection quelconque, et ces mots : Car avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni bien ni mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, » signifieraient :avant qu'ils eussent fait ni bien ni mal, pour déterminer par là l'élection de celui qui aurait fait le bien ; et comme il n'y aurait pas eu de choix fondé sur les oeuvres, et propre à affermir le décret de Dieu, ce n'est donc point à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de Celui qui appelle, » c'est-à-dire de celui qui justifie l'impie par sa grâce, en l'appelant à la foi, « qu'il lui fut dit : L'aîné servira sous. le plus jeune. » Le décret de Dieu ne demeure donc point ferme d'après l'élection, mais l'élection d'après le décret ; c'est-à-dire ce n'est pas parce que Dieu trouve dans les hommes des bonnes oeuvres pour fixer son choix, que le décret de la justification subsiste ; mais c'est parce que le décret subsiste pour justifier ceux qui ont la foi, que Dieu rencontre des oeuvres dignes de l’élection pour le royaume des cieux. En effet, s'il n'y avait pas d'élection, il n'y aurait pas d'élus, et l'Apôtre ne pourrait dire : « Qui accusera les . élus de Dieu (1) ? » Cependant l'élection ne précède point la justification; mais la justification, l'élection. Car personne n'est élu s'il n'est déjà à distance de celui qu'on rejette. Aussi ne vois-je pas qu'on ait pu dire, autrement qu'en admettant la prescience : « Dieu nous a élus avant la fondation du monde (2). » Et ici, quand l'Apôtre dit : « Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de Celui qui appelle, il lui fut dit : « L'aîné servira sous le plus jeune ; » il n'entend point parler de l’élection fondée sur des mérites qui ne se produisent qu'après la sanctification de la grâce, mais de la libéralité du don de Dieu ; et cela afin que personne ne se glorifie de ses oeuvres. « En effet c'est la grâce de Dieu qui nous sauve, et cela ne vient pas de nous, mais de Dieu, car c'est un don de Dieu ; ni des oeuvres, afin que personne ne se glorifie (3). »

7. Mais on demande si la foi, du moins, mérite la justification de l'homme; ou si la miséricorde de Dieu précède les mérites de la foi, en sorte que la foi même soit comptée parmi les bienfaits de la grâce? Or, après avoir dit : « Non à cause de leurs oeuvres, » l'Apôtre n'ajoute pas : à cause de la foi « il lui fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune ; » mais par la « volonté de Celui qui appelle. » Car personne ne croit, s'il n'est appelé. Or Dieu appelle dans sa miséricorde, et non en considération de la foi ou du mérite; parce que les mérites suivent la vocation, plutôt qu'ils ne la précèdent. Car comment croiront-ils à celui qu'ils n'ont pas entendu ? Et comment entendront-ils si personne ne les prêche (4)? » Si donc la miséricorde de Dieu ne prévient en appelant, personne ne peut croire de

 

1 Rom. VIII, 33. —  2 Eph. I, 4. — 3 Ib. II, 8, 9. —  4 Rom. X, 14.

 

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manière à obtenir le commencement de sa justification, et à recevoir la faculté de faire le bien. Donc la grâce précède tout mérite. « Aussi le Christ est-il mort pour les impies (1). » C'est donc par la volonté de Celui qui appelle, et non par les mérites de ses oeuvres, que le plus jeune a eu l'avantage de voir son aîné servir sous lui; comme aussi ce qui est écrit: « J'ai aimé Jacob » doit s'expliquer par la volonté de Dieu qui appelle et non parles bonnes oeuvres de Jacob.

8. Que dire maintenant d'Esaü ? Puisqu'il n'était pas encore né, qu'il n'avait fait ni bien ni mal, quand on disait: « L'aîné servira sous le plus jeune, »par quel crime a-t-il mérité de servir sous plus jeune que lui, et qu'il fût écrit : « J'ai haï Esaü ? » Serait-ce que, comme Jacob a été aimé sans avoir rien fait de bien, Esaü est devenu odieux sans avoir rien fait de mal? Si en effet Dieu l'a prédestiné à servir le plus jeune, en prévision de ses mauvaises actions; il aura aussi prédestiné Jacob à dominer son aîné, en prévision de ses futures bonnes oeuvres, et alors le mot de l'Apôtre : « Non à cause de leurs oeuvres » cesse d'être vrai. Mais s'il est vrai que ce n'est pas à cause de leurs oeuvres, et l'Apôtre le prouve, puisqu'il parle d'hommes qui ne sont pas encore nés et n'ont encore rien fait, ni à cause de la foi, puisque la foi n'existait chez aucun d'eux : pour quelle raison Esaü est-il haï avant de naître ? Que Dieu ait fait des choses pour les aimer, cela ne souffre aucune difficulté. Mais dire qu'il a fait des choses pour les haïr, c'est une absurdité, au témoignage même de l'Ecriture qui nous dit

« Vous n'avez rien créé par un sentiment de haine, et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait (2). » Qu'avait fait le soleil pour mériter d'être soleil ? En quoi la lune avait-elle démérité pour lui être si inférieure ? Et qu'avait-elle fait à son tour pour être plus brillante que les autres astres ? Mais tout cela a été créé bon dans son espèce. Et Dieu ne dirait pas : J'ai aimé le soleil et j'ai haï la lune; ou: J'ai aimé la lune et j'ai haï les étoiles, comme il a dit: « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü. » Il a aimé toutes ces choses, en proportion de leur excellence; puisque, après avoir créé d'un mot, il a vu que tout était bon (3); mais haïr Esaü, à moins que pour injustice, ce serait injustice de sa part. Si nous accordons cela, il faudra aussi admettre que Jacob n'a été aimé tout d'abord qu'en vue de sa justice. Or s'il en est ainsi, le mot de l'Apôtre : « Non à cause

 

1 Rom. V, 6. — 2 Sag. XI, 25. —  3 Gen. I.

 

de leurs oeuvres, » devient faux. Serait-ce qu'il a été aimé à cause de la justice de la foi? Mais alors que ferez-vous de ces paroles: « Avant qu'ils fussent nés, » puisque la justice de la foi ne saurait exister dans un homme q ai n'est pas né?

9. Aussi l'Apôtre a prévu l'effet que ces paroles pourraient produire sur l'esprit de l'auditeur ou du lecteur, et il s'est hâté d'ajouter : « Que dirons-nous donc? Ya-t-il en Dieu de l'injustice ? Nullement. » Et comme pour nous apprendre combien l'injustice est loin de Dieu, il continue : « Car il dit à Moïse : J'aurai Pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde. » Mais est-ce là une solution, ou une aggravation de la difficulté ? Car là est le noeud de la question : Si Dieu a pitié de qui il a pitié, s'il fait miséricorde à qui il fait miséricorde, pourquoi cette miséricorde a-t-elle fait défaut à Esaü, puisque par elle il serait devenu bon comme Jacob ? Ou bien le sens de ces mots : « J'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde, » serait-il celui-ci: celui dont Dieu a eu pitié pour l'appeler, il en a pitié pour l'amener à croire; et celui à qui il a fait miséricorde pour l'amener à croire, il lui fera miséricorde, c'est-à-dire il le rendra miséricordieux, pour l'amener à faire le bien ? Par là nous serions avertis que personne ne doit se glorifier ni s'enorgueillir des oeuvres de miséricorde, comme si, par elles, on pouvait mériter Dieu de soi-même ; alors qu'on n'est miséricordieux que par le don de Dieu, qui fait miséricorde à qui il fait miséricorde. Et si quelqu'un se vante d'avoir mérite cette miséricorde en croyant, qu'il sache que sa foi est un don de Celui qui manifeste sa pitié en inspirant la foi à celui dont il a eu pitié en l'appelant, quand il est encore infidèle. Car c'est ainsi que le fidèle est distingué de l'impie. « En effet: qu'as tu que tu n'aies reçu ?Et si tu l'as reçu pourquoi t'en glorifies-tu, comme si tu ne l'avais pas reçu (1)? »

10. Très bien. Mais pourquoi cette miséricorde a-t-elle été refusée à Esaü ? Pourquoi n'a-t-il pas été appelé de manière à recevoir la foi, et, ayant la foi, à devenir miséricordieux, pour faire le bien ? Serait-ce qu'il n'a pas voulu? Mais si Jacob a cru parce qu'il a voulu, Dieu ne lui a donc pas donné la foi ? Il se l'est donc procurée par sa volonté, et il a eu quelque chose qu'il n'a pas reçu ? Serait-ce parce que personne ne peut croire sans le vouloir, ni le vouloir sans être appelé ; et que

 

1 I Cor. IV, 7.

 

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personne ne pouvant se donner la vacation, Dieu donne la foi en appelant, en sorte que personne ne puisse croire sans vocation, bien que personne ne croie malgré soi ? « Car comment croiront-ils à celui qu'ils n'ont pas entendu ? Ou comment entendront-ils, si personne ne les prêche ? » Personne ne croit donc sans être ; mais on peut être appelé sans croire. « Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus (1); » et les élus sont certainement ceux qui n'ont point méprisé celui qui les appelait, mais l'ont suivi en croyant, et ont cru, sans doute, par l'acquiescement de leur volonté. Que signifient, alors, les paroles qui suivent : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de  Dieu qui fait miséricorde ? » Serait-ce que nous ne pouvons pas même vouloir à moins d'être appelés, et que notre volonté est sans effet, si Dieu ne nous aide à agir ? Il faut donc vouloir et courir. Car ce n'est pas en vain qu'il est dit : « Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (2) ; » et encore : « Courez donc de manière à arriver (3); »  Cependant « il ne dépend pas de celui qui veut ni de celui qui court, mais du Dieu qui fait miséricorde, » que nous obtenions ce que nous désirons et que nous atteignions le but auquel nous tendons. Esaü ne voulut doue pas et ne courut pas ; mais s'il eût voulu et s'il eût couru, il serait arrivé avec l'aide de Dieu, qui, en l'appelant, lui aurait donné la faculté de vouloir et de courir, à moins qu'il ne fût infidèle à sa vocation et, par suite, réprouvé. Car autre chose est que Dieu nous donne de vouloir, autre chose qu'il nous donne ce que nous voudrions. En effet il a voulu que notre vouloir soit tout à la fois à lui et à nous ; à lui, par, la vocation, à nous, par l'obéissance. Quant à ce que sous désirons, il nous le donne seul, à savoir le pouvoir de faire le bien et de vivre toujours heureux. Pourtant Esaü, qui n'était pas encore né, n'a pu ni vouloir cela, ni ne pas le vouloir. Pourquoi a-t-il été reprouvé dès le sein maternel ? Nous voilà revenus aux mêmes difficultés ; déjà si obscures par elles-mêmes, elles sont aggravées encore par nos continuelles répétitions.

11. Pourquoi en effet Esaü a-t-il été réprouvé, lui qui n’était pas né, qui n'avait pu ni croire ni résister à l’appel, ni rien faire de bien ou de mal? Si c'est parce que Dieu prévoyait sa future mauvaise volonté, pourquoi Jacob n'aurait-il pas été agréé en prévision de sa bonne,volonté future?

 

1 Matt. XX, 16. —  2 Luc, II, 14. —  3 I Cor. IX, 24.

 

Si une fois vous accordez que quelqu'un peut être agréé ou rejeté pour quelque chose qui n'est pas encore en lui, mais que Dieu sait devoir y être un jour ; il en résulte que Jacob a pu être agréé à cause de ses oeuvres, que Dieu prévoyait, bien qu'il n'eût encore rien fait. Peu vous importera alors que les deux enfants ne fussent pas encore nés, quand il fut dit : « L'aîné servira sous le plus jeune ; » vous ne pourrez pas en conclure que si on n'a pas dit à cause de ses oeuvres, c'est parce que Jacob n'était pas encore né.

12. De plus, si vous faites bien attention à ces mots : « Cela ne dépend donc aide celui qui veut,  ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, » vous verrez que l'Apôtre n'a pas seulement voulu dire que nous ne parvenons à notre but qu'avec l'aide de Dieu ; mais qu'il a eu aussi la pensée qu'il exprime ailleurs en ces termes : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement ; car c'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire, salon sa bonne volonté (1) »; par où il fait assez voir que c'est par l'opération de Dieu que la bonne volonté se forme en nous. En effet si, en disant ; « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, » il avait seulement voulu faire entendre que la volonté de l'homme ne suffit pas, à elle saute, pour mener nus vie juste et sainte, quarté la miséricorde de pieu ne lui vient pas en aide ; on pourrait dire de la même manière : cela ne dépend donc pas de Dieu qui fait miséricorde, mais de l'homme qui veut, puisque la miséricorde de pieu ne suffit pas, à elle seule, à moins que notre volonté n'y joigne son consentement. Or il est évident que notre vouloir est impuissant, si Dieu ne fait miséricorde; « Car je ne sais comment on pourrait dire que la miséricorde de Dieu est vaine, si nous ne voulons pas. Au fond, si Dieu nous fait miséricorde, nous voulons ; puisque notre volonté elle-même fait partie de cette miséricorde : « Car c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et la faire, selon sa bonne velouté. » En effet, supposé que nous demandions si la bonne volonté est un don de Dieu, ce serait merveille que quelqu'un osât le nier. Comme la bonne volonté, ne précède pas la vocation, mais la vocation la bonne volonté, on a raison d'attribuer cette bonne volonté à Dieu qui appelle ; mais on ne peut nous attribuer la vacation. Ainsi ces paroles : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » ne signifient

 

1 Phil.II, 12, 18.

 

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pas que nous ne pouvons, sans l'aide de Dieu, obtenir ce que nous désirons, mais plutôt que, sans sa vocation, nous ne pouvons pas même vouloir.

13. Mais si cette vocation produit la bonne volonté de telle façon que tout homme qui est appelé la suive, comment sera-t-il vrai de dire, « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus?» Et si cela est vrai, et que l'appelé 'ne cède pas nécessairement à la vocation, mais qu'il soit fibre d'y résister, on pourra aussi dire avec raison : Donc cela ne dépend pas de Dieu qui fait miséricorde, mais de l'homme qui veut et qui court, puisque la miséricorde de celui qui appelle ne suffit pas, si l'obéissance de celui qui est appelé ne s'y joint. Serait-ce par hasard que ceux qui sont appelés de telle façon et n'obéissent pas, pourraient être appelés d'une autre manière et soumettre leur volonté à la foi, ce qui rendrait vraies ces paroles. « Beaucoup sont appelés et peu sont élus; » en sorte que quoique beaucoup soient appelés de la même manière, et tous cependant n'étant pas dans les mêmes dispositions, ceux-là seuls répondraient à l'appel qui se trouveraient capables de le saisir? Dans ce sens il ne serait pas moins vrai de dire: « Donc cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde » et qui a appelé de la manière qui convenait à ceux qui ont répondu à l'appel. Les autres ont bien entendu l'appel; mais comme il n'était pas de nature à les émouvoir et qu'ils n'étaient pas capables de le comprendre, on a pu dire qu'ils étaient appelés et non élus. Dès lors il n'est plus vrai de dire. Donc cela ne de pend pas de Dieu qui fait miséricorde, mais de l'homme qui veut et qui court; puisque l'effet de la miséricorde de Dieu ne peut pas être tellement au pouvoir de l'homme qu'il soit nul si l'homme n'y consent. Car si Dieu voulait faire miséricorde à ceux-là, il les appellerait            d'une manière accommodée à leur nature, en sorte qu'ils seraient touchés, qu'ils comprendraient et obéiraient. Donc il est vrai de dire : «Beaucoup d'appelés, peu d'élus. » Car les élus sont ceux qui sont appelés d'une manière convenable à leur caractère ; quant à ceux qui ne sont point de nature à s'accommoder de la vocation et à y répondre, ils sont appelés, mais non élus, puisqu'ils n'ont pas répondu à l'appel. Il est donc vrai de dire: « Cela ne dépend pas de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, » puisque, bien que Dieu en appelle un grand nombre, il fait cependant miséricorde à ceux qu'il appelle comme il faut qu'ils soient appelés pour répondre à sa voix. Mais Il est faux de dire: Donc cela ne dépend pas de Dieu qui fait miséricorde, mais de l'homme qui veut et qui court, puisque Dieu ne fait miséricorde à personne inutilement; et qu'il appelle celui à qui il fait miséricorde de la façon qu'il sait lui convenir, pour qu'il ne résiste pas à l'appel.

14. Ici quelqu'un dira peut-être: Pourquoi Esaü n'a-t-il pas été appelé de manière à vouloir répondre à l'appel ? Nous voyons en effet, les mêmes vérités et les mêmes faits déterminer différemment les hommes à croire. Par exemple Siméon crut en notre Seigneur Jésus-Christ encore tout petit enfant, parce ,qu'il le connut par l'inspiration de l'Esprit-Saint (1). A ce seul mot entendu de la bouche du Sauveur: « Avant que Philippe t'appelât, lorsque tu étais sous le figuier, je t'ai vu, » Nathanaël répondit. «Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi d'Israël (2), » Pour en avoir fait la confession longtemps plus tard, Pierre mérita de s'entendre appeler bienheureux et de se voir confier les clefs du royaume des cieux (3). Lors du miracle de Cana en Galilée, le premier que fit Jésus au rapport de saint Jean l'évangéliste, quand l'eau fut changée en vin, ses disciples Crurent en lui (4). Le Christ en attira beaucoup à la foi par ses paroles, et beaucoup ne crurent pas en le voyant ressusciter des morts. Effrayés de sa croix et de sa mort les disciples mêmes chancelèrent, et à cet instant le larron crut, sans le voir rien faire d'extraordinaire, mais simplement partager son supplice (5). Un de ses disciples encore, après sa résurrection, crut moins sur le témoignage de ses membres vivants qu'à la vue ses cicatrices toutes récentes (6). Beaucoup de ceux qui l'avaient crucifié,, et l'avaient dédaigné lorsqu'ils le voyaient faire ses prodiges, ont cru aux apôtres lorsqu'ils le prêchaient et faisaient des miracles en son nom (7). Donc l'un étant porté à croire pour tel motif, l'autre pour tel autre ; la même chose faisant impression quand elle est dite de telle façon, et n'en faisane point quand elle est dite de telle autre ; touchant celui-ci, et ne touchant point celui-là qui oserait dire que Dieu manquait d'un genre d'appel qui eût déterminé Esaü à croire, et à apporter le concours de cette bonne volonté par laquelle Jacob fut justifié? Et si l'obstination de

 

1 Luc, II, 25. — 2 Jean, I, 48, 49. —  3 Matt. XVI, 16-19. — 4 Jean, II, 11. —  5 Luc, XXIII, 40-42. — 6 Jean, XX, 27. — 7 Act. II, IV.

 

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la volonté peut aller jusqu'à un tel point d'endurcissement que l'âme résiste à tous les genres d'appel, on demande si cet endurcissement est une punition de Dieu, puisque le signe de l'abandon de Dieu c'est quand il n'appelle pas de manière à exciter à la toi? Qui pourrait dire en effet que le Tout-puissant lui-même ne peut trouver un moyen de décider une âme à croire?

15. Mais à quoi bon cette question, quand l'Apôtre lui-même ajoute : « Car l'Ecriture dit à Pharaon: Voici pourquoi je t'ai suscité : c'est pour faire éclater en toi ma puissance et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre?» L'Apôtre dit cela en preuve de ce qu'il a avancé plus haut, que cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » Comme si on lui eût demandé : d'où tenez-vous cette doctrine ? il répond : « C'est que l'Ecriture dit à Pharaon: Voici pourquoi je t'ai suscité : c'est pour faire éclater en toi ma puissance et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre. » Evidemment il fait voir par là que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » D'ou il conclut: « Donc il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut : » deux choses qu'il n'avait pas énoncées plus haut. S'il a dit: « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, » il n'a pas également dit: cela ne dépend pas de celui qui ne veut pas, qui dédaigne, mais de Dieu qui endurcit. Par là il donne à entendre que les deux pensées qu'il exprime plus bas: « Donc il a pitié de qui il veut, » s'accordent avec ce qu'il a dit plus haut en ce sens que, de la part de Dieu, endurcir c'est ne vouloir pas faire miséricorde ; ce n'est pas donner quelque chose pour rendre pire, mais ne pas accorder ce qui pourrait rendre meilleur.            Et si cela arrive sans aucune différence de mérite, qui ne fera aussitôt l'objection que se fait l'Apôtre: « Certainement tu me diras: de quoi se plaint-il encore ? Car qui résiste à sa volonté? » En effet on voit par d'innombrables passages de l'Ecriture que Dieu se plaint souvent de ce que les hommes ne veulent pas croire et bien vivre. Aussi dit-on des fidèles et de ceux qui font la volonté de Dieu qu'ils marchent sans reproche (1), parce que l'Ecriture ne se plaint pas d'eux. Mais de quoi se plaint-il ? dit l'Apôtre; car qui résiste à sa volonté, puisqu'il a pitié de qui il veut et en

 

1 Luc, I, 6.

 

durcit qui il veut? » Cependant reprenons les choses de plus haut, afin de pouvoir, avec l'aide de Dieu, former notre sentiment.

16. L'Apôtre a écrit tout à l'heure : « Que dirons-nous donc ? Y a-t-il eu Dieu de l'injustice ? Nullement. » Que ce point reste donc fixe et immuable dans toute âme que la piété anime et qui est ferme dans sa foi : il n'y a aucune injustice en Dieu. Par conséquent il faut croire très-solidement, très-fermement que si Dieu a pitié de qui il veut et endurcit qui il veut, » c’est-à-dire a pitié de qui il veut et n'a point pitié de qui il ne veut pas, c'est l'effet d'une certaine équité mystérieuse, inaccessible à la faiblesse humaine, que l'on peut d'ailleurs remarquer dans les choses mêmes de ce monde et dans les contrats terrestres. Car si nous n'y trouvions les traces et comme le cachet d'une justice supérieure, jamais notre infirmité n'oserait lever les yeux ni aspirer à pénétrer dans le saint et très-pur sanctuaire des préceptes spirituels. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (1). Dans cette vie aride, dans notre condition mortelle, nous serions desséchés avant même d'avoir soif, si nous n'étions comme rafraîchis par le souffle, si léger soit-il, de la justice d'en haut.

Ainsi donc comme la société humaine repose sur un commerce de mutuel échange, qu'on donne et qu'on reçoit ce qui est dû comme ce qui n'est pas dû ; qui ne voit qu'on ne peut accuser d'injustice celui qui exige ce qui lui est dû, encore moins celui qui le remet à qui il lui plait ; et que cela dépend, non du débiteur, mais du créancier? Or c'est une empreinte, ou, comme je l'ai dit plus haut, un vestige de l'équité suprême, imprimé sur les choses humaines. Tous les hommes, et c'est l'Apôtre qui nous le dit : « Tous «meurent dans Adam (2), » de qui le péché originel a passé dans tout le genre humain; donc tous les hommes ne forment qu'une seule masse de péché, redevable d'une punition à la divine et souveraine justice : punition qui peut être exigée ou remise sans ombre d'injustice. Les débiteurs, dans leur orgueil, jugent de qui elle doit être exigée, à qui elle doit être remise, absolument comme ces ouvriers loués pour travailler à la vigne qui s'indignaient injustement qu'on donnât à d'autres le salaire qu'ils avaient reçu (3). Or c'est cette curiosité insolente que l'Apôtre réprime en disant : « O homme, qui es-tu, pour contester avec Dieu? »

 

1 Matt. V, 6. —  2 I Cor. XV, 22. —  3 Matt, XX, 11.

 

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Car c'est contester avec Dieu que de trouver mauvais qu'il se plaigne des pécheurs, comme s'il forçait quelqu'un à pécher, quand il se contente de ne point accorder à certains pécheurs la grâce de sa justification; et que, pour cela, on dit de lui qu'il les endurcit, non en les excitant à pécher, mais en ne leur faisant pas miséricorde. Or il ne fait point miséricorde à qui il juge à propos de la refuser, pour des raisons profondément mystérieuses et tout à fait inaccessibles à l'intelligence humaine. Car ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables (1). Et il a raison de se plaindre des pécheurs, puisqu'il ne les force point à pécher. Son but est aussi d'exciter par ces plaintes ceux à qui il fait miséricorde à maintenir leur vocation, à gémir en leur cœur et à recourir à sa grâce. Il se plaint donc avec justice, et même avec miséricorde.

17. Sion s'étonne de ce que, personne ne résistant à sa volonté, il secourt qui il veut et abandonne qui il veut; de ce que celui qu'il secourt et celui qu'il abandonne sont de la même masse de péché; de ce que, bien que tous les deux soient redevables de la même peine, il l'exige de l'un et en fait reluise à l'autre: si, dis-je, on s'étonne de cela: « O homme, » répondrons nous, « qui es-tu pour contester avec Dieu ? » Je pense en effet que le mot « homme » à le même sens ici que dans cet autre passage : « N'êtes-vous pas hommes et ne marchez-vous pas selon l'homme ? » Car ici sous ce nom on désigne l'homme charnel et animal, ceux à qui l'Apôtre dit : « Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, » puis : « Vous ne le pouviez pas encore, et à présent même vous ne le pouvez point, parce que vous êtes encore charnels (2); » et ailleurs: « L'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu (3). » C'est donc à ceux-là qu'il dit : « O homme, qui es-tu, pour contester avec Dieu ? Le vase dit-il au potier: Pourquoi m'as-tu fait ainsi ? Le potier n'ait-il pas le pouvoir de faire, de la même masse d'argile, un vase d'honneur et un autre d'ignominie ? » Ces paroles prouvent assez, ce me semblé, que l'Apôtre s'adresse à l'homme charnel : car il indique la matière dont le premier homme a été formé, et comme selon le même Apôtre, ainsi que je l'ai fait remarquer plus haut, « tous meurent en Adam, » tous aussi forment ici une même masse d'argile. Et bien que l'un soit

 

1 Rom. XI, 33. —  2 I Cor. III, 1, 4. — 3 Ib. II ,14.

 

un vase d'honneur et l'autre un vase d'ignominie, cependant le vase d'honneur a nécessairement commencé par être charnel, avant d'arriver à l'âge spirituel. Les Corinthiens étaient déjà vases d'honneur et régénérés dans le Christ; cependant l'Apôtre leur parle comme à de petits enfants, les appelle même charnels et leur dit ; « Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. Comme de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai abreuvés de lait, mais je ne vous ai point donné à manger, parce que vous ne le pouviez pas encore; et à présent même vous ne le pouvez point, parce que vous êtes encore charnels. » Quoiqu'il les appelle charnels, cependant il dit qu'ils sont régénérés dans le Christ, petits enfants dans le Christ et qu'ils doivent être abreuvés de lait. En ajoutant : « Et à présent même vous ne le pouvez pas, » il donne à entendre que, s'ils font des progrès, ils le pourront plus tard, puisqu'ils sont déjà spirituellement régénérés et que la grâce a commencé à opérer en eux. Donc ils étaient destinés à être des vases d'honneur, et pourtant on aurait eu raison de leur dire : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu? » Or si on pouvait tenir ce langage à de tels hommes, à bien plus forte raison peut-on l'adresser à ceux qui ne sont pas encore régénérés, ou qui sont des vases d'ignominie. Seulement regardons comme incontestable, qu'il ny a point d'injustice en Dieu. Soit qu'il remette la dette soit qu'il l'exige, celui de qui il l'exige ne peut l'accuser d'injustice, celui à qui il la remet ne peut se glorifier de ses mérites. L'un ne paie que ce qu'il doit, et l'autre n'a que ce qu'il a reçu.

18. Mais nous devons tâcher ici, avec l'aide du Seigneur, de concilier la vérité de ce texte : « Vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait, (1) » avec celle de cet autre texte : « J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü (2). » Si en effet Dieu a haï Esaü parce qu'il était un vase d'ignominie, et que ce soit le même potier qui fasse les vases d'honneur et les vases d'ignominie, comment sera-t-il vrai de dire : « Vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait ? » Car Dieu hait Esaü, dont il a fait lui-même un vase d'ignominie. Pour résoudre cette difficulté, il faut comprendre que Dieu est l'auteur de toutes les créatures. Or toute créature de Dieu est bonne (3); et tout homme une créature en tant qu'il est homme, mais non en tant qu'il est pécheur. Dieu étant donc le créateur du corps

 

1 Sag. XI, 26. — 2 Mal. I, 2, 3. —  3 I Tim. IV, 4.

 

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et de l'âme de l'homme , ni fun ni l'autre n'est mauvais, et Dieu ne hait ni l'un ni l'autre : car il ne hait rien de ce qu'il a fait. Mais l'âme l'emporte sur le corps; et Dieu sur l'âme et sur le corps. lui qui les a créés tous les deux ; et il ne hait dans l'homme que le péché. Orle péché dans l'homme est un désordre, un acte de perversité; c'est-à-dire un éloignement du Créateur qui est plus parlait; et un rapprochement de la créature. Ce n'est donc pas l'homme, mais le pécheur, que Dieu hait dans Esaü. C'est ainsi qu'on dit du Seigneur : « Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu (1); » et qu'il dit lui-même aux Juifs : « Si vous n'écoutez point, c'est parce due vous n'êtes point de Dieu (2). » Pourquoi les appeler « siens, » et pourquoi dire qu'ils ne sont point de Dieu, » sinon parce que, dans le premier cas, il est parlé des hommes que le Seigneur lui-même avait faits, et que dans le second il s'agissait des pécheurs qu'il reprenait ? Et pourtant ces hommes et ces pécheurs ne faisaient qu'un; mais ils étaient hommes par la création de Dieu, et pécheurs par leur propre volonté.

Or, de ce que Dieu a aimé Jacob, faut-il conclure que Jacob n'était pas pécheur? Non ; mais Dieu a aimé en lui la grâce qu'il accordait, et non le péché qu'il effaçait. Car le Christ est mort pour les impies (3); non pour qu'ils demeurassent impies, mais afin que, justifiés de leur impiété, ils se convertissent en croyant en celui qui justifie l'impie (4) : car Dieu hait l'impiété. Ainsi donc il la punit chez les uns par la damnation, il la détruit chez les autres par la justification, selon qu'il le trouve bon dans ses impénétrables jugements. Et quoique, des impies qu'il ne justifie pas, il fasse des vases d'ignominie, il ne hait cependant point en eux son ouvrage. Sans doute, en tant qu'impies, ils sont dignes d'exécration ; mais en tant que vases, ils ont une utilité; Celle de tourner au profit des vases d'honneur, par leurs justes châtiments. Dieu ne les hait donc ni comme hommes, ni comme vases, c'est-à-dire qu'il ne hait en eux ni ses créatures, ni les instruments de sa Providence; cari il ne liait rien de ce qu'il a fait. Mais en faisant d'eux des vases de perdition, il en fait aussi des moyens de correction. Il hait en eux l'impiété, qui n'est point son ouvrage. Ainsi le juge hait le vol dans l'homme, mais non la condamnation du voleur aux mines; car le vol est le fait du voleur, et la condamnation celui du juge. De même Dieu en faisant, de

 

1 Jean, I, 11. —  2 Ib. VIII, 47 . — 3 Rom. V, 6. — 4 Ib. IV, 5.

 

la masse des impies, des vases de perdition, ne hait point ce qu'il fait, c'est-à-dire l'oeuvre de sa Providence dans la juste punition des réprouvés, qui devient une occasion de salut pour ceux dont il a pitié. C'est ainsi qu'il a été dit à Pharaon : « Voici pourquoi je t'ai suscité; c'est pour faire éclater en toi ma puissance et pour que ton nom soit annoncé dans toute la terre. » Cette manifestation de la puissance de Dieu et la prédication de son nom par faute la terre profitent à ceux chez qui la vocation est efficace, en ce qu'elles lent impriment la crainte et les excitent à redresser leur voies.

C'est pour cela que l'Apôtre dit : « Que Dieu, voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême, les vases de colère propres à être détruits, » sous-entendu : « Qui es-tu, pour contester avec Dieu ? » Ces dernières paroles se rattachant à celles qui précédent, le sens serait donc : si Dieu, voulant manifester sa colère, a supporté des vases de colère; qui es-tu pont contester avec lui ? Et non-seulement, dit l'Apôtre, c'est en « voulant manifester sa colère, et signaler sa puissance qu'il a supporté avec une patience extrême des vases de colère; propres à être détruits; » mais encore, ajoute-t-il, « c'est afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde. » Que sert en effet aux vases de perdition que Dieu les supporte avec patience pour les détruire en leur temps, et s'en servir comme d'instruments de salut à l'égard de ceux dont il a pitié? Mais cela est utile à ceux qu'il se propose de sauver ainsi ; afin que, comme il est écrit, le juste lave ses mains dans le sang du pécheur (1), c'est-à-dire se purifie des oeuvres mauvaises par la crainte de Dieu; à l'aspect du supplice des pécheurs: Donc si a Dieu voulant manifester sa colère; a supporté des vases de colère, » c'est pour inspirer aux autres une crainte salutaire, et « afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde, qu'il a préparés pour la gloire. » En effet cet endurcissement des impies montre deux choses : d'abord ce qu'il faut craindre, afin que chacun se tourne pieusement vers Dieu; puis quelles actions de grâces il faut rendre, à la divine miséricorde qui fait voir, par la punition des uns, ce qu'elle accorde aux autres. Cependant, si la punition qu'elle exige des uns n'est pas juste, en ne l'exigeant pas des autres elle ne

 

1 Ps. LVII, 11.

 

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leur donne rien. Maïs comme cette punition est juste et qu'il n'y a pas d'iniquité dans la vengeance divine, qui pourra rendre de dignes actions de grâces à celui qui remet ce qu'il pourrait exiger, sans que personne pût dire : Je ne dois rien?

19. « Et nous qu'il a de plus appelés, non-seulement d'entre les Juifs, mais d'entre les gentils, » c'est-à-dire, nous, vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire. Il n'a point appelé tous les Juif, tuais d'entre les Juifs; ni tous les gentils, mais d'entre les gentils. C'est la même masse de pécheurs et d'Impies, née d'Adam, et dans laquelle, sauf la grâce de Dieu, Juifs et Gentils ne font qu'un. Si en effet le potier fait, de la même masse, un vase d'ignominie et un vase d'honneur, il est clair que, parmi les Juifs comme parmi les gentils, Dieu fait des vases d'honneur et des vases d'ignominie, et que, par conséquent,   tous doivent être considérés comme appartenant à la même masse. Saint Paul, cite ensuite les témoignages des prophètes relatifs aux deux espèces de races, mais en intervertissant l'ordre; car il avait dit en premier lieu : « d'entre les Juifs, puis d'entre les Gentils. » Mais maintenant il cite d'abord ce qui regarde les gentils, et ensuite ce qui concerne les Juifs. « Comme il dit dans Osée : J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple; « celle qui n'est pas bien-aimée, bien-aimée ; et il arrivera que dans le lieu même où il leur fut dit: vous n'êtes point mon peuple, ils seront appelés enfants du Dieu vivant. » Ce texte s'applique aux gentils qui n'avaient point de lieu désigné pour les sacrifices,comme les Juifs avaient Jérusalem. Or les apôtres ont été envoyés aux gentils, afin que chacun pût croire là même où il était, et qu'en quelque lieu qu'ils fussent, ceux à qui Dieu a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu, pussent lui offrir un sacrifice de louange. L'Apôtre continue : « Et Isaïe s'écrie à l'égard d'Israël. » Pour qu'on ne croie pas que tout Israël est allé à sa perte, il nous apprend que, là aussi, il y a eu des vases d'honneur et des vases d'ignominie. « Le nombre des enfants d'Israël, dit le prophète, fût-il comme le sable de la mer, il y aura un reste de sauvé. » Tous les autres sont donc des vases destinés à la perdition. « Car le Seigneur accomplira et abrégera sa parole sur la terre; » c'est-à-dire que dans sa miséricorde il sauvera les croyants par le moyen abrégé de la foi, et non au moyen des pratiques

 

1 Jean, I,12.

 

innombrables dont le peuple Juif était servilement accablé et comme écrasé. Le Seigneur, en effet, n'a-t-il pas accompli et abrégé par la grâce sa parole sur la terre, quand il a dit : « Mon joug est doux et mon fardeau léger (1) ? » C'est ce que l'Apôtre rappelle aussi un peu plus bas : « Près de toi, dit-il, est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur; c'est la parole de la foi que nous annonçons; parce que, si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus, et si en ton coeur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé. Car on croit de crieur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé (2). » C'est là la parole que Dieu a accomplie et abrégée sur la terre; c'est par cet accomplissement et au moyen de cet abrégé; que le larron a été justifié, Attaché à la croix par tous ses membres, n'ayant de libres que le crieur et la bouche, il a cru de crieur pour être justifié, confessé de bouche pour être sauvé, et a mérité aussitôt de s'entendre dire : « Aujourd'hui tu seras avec moi en paradis (3). » Sans doute si, après avoir reçu la grâce, il eût longtemps vécu sur la terre, les bonnes oeuvres auraient suivi sa conversion. Mais elles ne l'ont point précédée, de manière à lui mériter cette grâce, puisqu'il passa du brigandage à la croix et de la croix en paradis.

L'Apôtre continue : « Et comme Isaïe avait dit auparavant : Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe. » Ici ne nous avait réservé un rejeton a revient à ce qu'il a dit plus haut: « Il y aura un reste de sauvé. » Les autres ont péri, comme vases de perdition, par un châtiment mérité. Et si tous n'ont pas péri comme les habitants de Sodome et de Gomorrhe, ils ne l'ont point dû à leurs mérites, mais à la grâce de Dieu qui a laissé des rejetons, pour produire une nouvelle moisson dans tout l'univers. C'est ce que l'Apôtre exprime un peu plus bas: « De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé, par l'élection de la grâce. Mais si c'est par la grâce,  ce n'est donc point par les oeuvres ; autrement la grâce ne serait plus grâce. Qu'est-il donc arrivé ? Ce que cherchait Israël, il ne l'a point trouvé; mais ceux qui ont été choisis l'ont trouvé; les autres ont été aveuglés (4). » Les vases de miséricorde ont trouvé, les vases de colère ont été aveuglés; et tous cependant étaient

 

1 Matt. XI, 30. — 2 Rom. X, 8-10. —  3 Luc, XXIII, 43. — 4 Rom. XI, 5, 7.

 

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de la même masse, comme dans la multitude des gentils.

20. Il y a dans l'Ecriture un passage qu'il est indispensable de citer pour le sujet que nous traitons, et qui confirme merveilleusement tout ce que nous avons exposé. Il se trouve dans le livre appelé par les uns Jésus Sirach, par les autres Ecclésiastique; on y lit: « Tous les hommes viennent de la boue, et Adam a été fait de terre. Dans la grandeur de sa sagesse, le Seigneur les a séparés et il a changé leurs voies. Il a béni et élevé quelques-uns d'entre eux, il les a sanctifiés, il s'est uni à eux; il en a maudit et humilié quelques autres, et il les a dispersés quand ils se sont séparés de lui. « Comme l'argile dans la main du potier qui la façonne et la forme à son gré, ainsi toutes les voies de l'homme sont en la disposition du Seigneur; ainsi l'homme est dans la main de celui qui l'a fait et qui lui rendra selon son jugement. Le bien est contraire au mal, la vie à la mort, et le pécheur au juste. Considérez toutes les oeuvres du Très-Haut, elles sont ainsi deux à deux, et l'une opposée à l'autre. »

D'abord on y fait l'éloge de la sagesse de Dieu: « Dans la grandeur de sa sagesse, le Seigneur les a séparés. » Et de quoi les a-t-il séparés, si ce n'est du bonheur du paradis? Et il a changé leurs voies, » afin qu'ils vécussent comme sujets à la mort. Alors tous ensemble n'ont formé qu'une masse, ayant le péché pour origine et la mort pour punition, quoique tout ce qui est bon soit créé et formé par Dieu. Car tous ont la beauté du corps, et l'union de leurs membres est tellement harmonique que l'Apôtre en tire une comparaison pour recommander la charité (1). Tous ont aussi l'esprit vital qui anime les membres matériels, et toute cette nature humaine si merveilleusement pondérée par la domination de l'âme et l'obéissance du corps. Mais la concupiscence charnelle, punition du péché, ayant pris le dessus, avait confondu tout le genre humain en une seule et même masse, la tâche originelle ayant tout envahi. Et cependant nous lisons ensuite : « Il a béni et élevé quelques-uns d'entre eux; il les a sanctifiés et il s'est uni à eux; il en a maudit et humilié quelques autres, et il les a dispersés quand ils se sont séparés de lui. » Ce qui revient à ce mot de l'Apôtre : « Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire, de la

 

1 I Cor. XII, 12.

 

même masse d'argile, un vase d'honneur et un autre d'ignominie? » La suite du texte présente une idée semblable : « Comme l'argile dans la main du potier qui la façonne et la forme à son gré, ainsi toutes les.voies de l'homme sont en la disposition du Seigneur, ainsi l'homme est dans la main de celui qui l'a fait. » Et comme l'Apôtre ajoute : « Y a-t-il en Dieu de l'injustice? » voici ce que dit l'autre écrivain : « Il lui rendra selon son jugement. » Mais comme les réprouvés sont justement punis, et que leur punition tourne au profit de ceux à qui il fait miséricorde, faites attention à ceci : « Le bien est contraire au mal, la vie à la mort, et le pécheur au juste. Considérez ainsi toutes les oeuvres du Très-Haut; elles sont deux à deux, et l'une opposée à l'autre; » évidemment pour que le contraste des méchants fasse briller et profiter les bons. Cependant cette amélioration étant l'effet de la grâce, comme pour dire : « Il y aura un reste de sauvé, » l'écrivain ajoute, au nom même de ceux qui sont sauvés : « Et moi j'ai été suscité, le dernier, et je suis comme celui qui recueille les grappes après les vendangeurs. » Et comment prouve-t-il qu'il le doit à la miséricorde de Dieu, et non à ses mérites ? J'ai espéré moi-même, dit-il, enta bénédiction du Seigneur, et, comme celui qui vendange, j'ai rempli le pressoir (1). » Bien qu'il ait été suscité le dernier, cependant, comme il est écrit que les derniers seront les premiers (2), le peuple recueilli des restes d'Israël, en espérant la bénédiction de Dieu, a rempli le pressoir d'une récolte surabondante, qui s'est produite par tout l'univers.

21. Le but de l'Apôtre, comme celui de tous les justifiés par qui les mystères de la grâce nous ont été révélés, est donc d'amener celui qui se glorifie à se glorifier dans le Seigneur (3). En effet, qui discutera avec le Seigneur quand, de la même masse, il condamne l'un et justifie l'autre? Le libre arbitre peut beaucoup; il existe certainement; mais que peut-il chez des hommes vendus comme esclaves au péché (4) ? La chair, « dit l'Apôtre, convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez (5). » On nous ordonne de bien vivre, en nous proposant pour récompense le bonheur éternel; mais qui peut bien vivre et bien agir, s'il n'est justifié par la foi ? On nous ordonne de croire, afin de recevoir le don

 

1 Eccli. XXXIII, 10-17. — 2 Matt. XX, 16. — 3 II Cor. X, 17. — 4 Rom. VII, 14. — 5 Gal. V,17.

 

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du Saint-Esprit et de faire le bien par l'amour; mais qui peut croire sans être appelé de quelque manière, c'est-à-dire excité par quelque témoignage ? Qui est le maître de se procurer le signe qui éclairera son esprit, et déterminera sa volonté à croire ? Qui s'attache de coeur à ce- qui ne lui plait pas? Qui a la faculté ou de rencontrer l'objet qui peut le charmer, ou d'en être charmé quand il le rencontrera? Donc quand nous trouvons du plaisir dans ce qui peut nous faire avancer vers Dieu, c'est un don et une inspiration de la grâce, et non le résultat de notre volonté, de notre talent ou du mérite de nos oeuvres; parce que c'est lui qui donne et distribue et le consentement de la volonté, et les ressources du talent, et les oeuvres animées du feu de la charité. On nous ordonne de demander pour recevoir, de chercher pour trouver, et de frapper pour qu'on nous ouvre (1). Mais notre prière n'est-elle pas quelquefois tiède, ou plutôt froide, presque nulle et même absolument nulle, au point que nous ne nous en apercevons même pas pour en gémir ? Car gémir en pareil cas, ce serait encore prier. Que voyons-nous donc par là, sinon que celui-là seul qui nous ordonne de prier, de chercher, de frapper, peut nous accorder le pouvoir de le faire ? « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, » puisque nous ne pouvons ni vouloir ni courir, s'il ne nous touche et ne nous excite lui-même.

22. S'il y a ici quelque élection, comme semble l'indiquer ce texte : « Un reste a été sauvé par l'élection de la grâce (2) : » c'est-à-dire élection de ceux qui doivent être justifiés, et non élection de ceux qui sont justifiés, pour la possession de la vie éternelle, cette élection est tellement mystérieuse qu'elle nous échappe complètement au sein de la même masse ; ou du moins, si quelques-uns l'y découvrent, j'avoue sur ce point mon impuissance. En effet si ma pensée se permet d'examiner cette question, je n'aperçois que trois motifs qui puissent déterminer le choix de ceux qui doivent parvenir à la grâce du salut : un génie au dessus du vulgaire, ou une culpabilité moindre, ou les deux réunis ; ajoutez-y, si vous le voulez, des connaissances honnêtes et utiles. Par conséquent quiconque n'aura contracté que de très légères souillures, ( car qui est absolument innocent ?) sera doué d'un génie vif et

 

1 Matt. VII, 7. — 2 Rom. XV, 5.

 

poli par la culture des arts libéraux, celui-là paraîtra digne d'être choisi pour la justification. Eh bien ! à peine ai-je posé ce principe, que je me vois pris en pitié par Celui qui choisit ce qui est faible selon le monde, pour confondre ce qui est fort, et ce qui est insensé selon le monde pour confondre les sages (1) ; et levant les yeux sur lui et tout couvert de honte, je prends moi-même en pitié un grand nombre d'hommes plus purs que certains pécheurs et plus éloquents que certains pêcheurs. Ne voyons-nous pas beaucoup de nos fidèles marcher dans les voies de Dieu, bien que, au point de vue du génie, ils soient fort au dessous, je ne dis pas de certains hérétiques, mais même de certains comédiens ? Ne voyons-nous pas également des personnes de l'un et l'autre sexe vivre sans reproche dans la chasteté conjugale, et néanmoins entachées d'hérésie ou de paganisme, ou, si elles sont dans la vraie foi et dans la véritable Eglise, tellement tièdes que nous sommes étonnés de voir des courtisanes et des histrions, subitement convertis, les surpasser, non-seulement en patience et en modération, mais même en foi, en espérance, en charité ? Reste donc que le choix soit déterminé par les volontés. Mais la volonté elle-même ne s'ébranle pas, si elle ne rencontre quelque chose qui soit capable de charmer et d'attirer l'esprit ; et cette rencontre n'est pas au pouvoir de l'homme. Que voulait Saul, sinon attaquer, traîner, garrotter, tuer les chrétiens ? Quelle volonté furieuse, forcenée, aveugle ! Et cependant, terrassé par un seul mot, et frappé de la vue d'un objet propre à briser sa colère, à changer et à retourner son esprit et sa volonté vers la foi, il devient tout à coup, de persécuteur extraordinaire, prédicateur bien plus extraordinaire, de l'Evangile (2).

Et pourtant, que dirons-nous? « Y a-t-il en Dieu de l'injustice, » parce qu'il fait payer qui il lui plaît, et remet la dette à qui bon lui semble; qu'il n'exige que ce qu'on lui doit, et ne donne que ce qui lui appartient ? « Y a-t-il en Dieu de l'injustice ? Loin de là. » Cependant, pourquoi ainsi traiter l'un, et non l'autre ? « O homme, qui es-tu ? » Si on te remet ta dette, tu peux te féliciter ; si on l'exige, tu ne peux pas te plaindre. Croyons seulement, bien que nous ne puissions le comprendre, que Celui qui a tout créé, esprit et corps, a tout fait avec nombre, poids et mesure (3). Mais

 

1 I Cor. I, 27.  —  2 Act. VIII, 3 ; IX, 1. — 3 Sag. XI, 21.

 

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ses jugements sont 1ntômpréhensibles et ses voies impénétrables (1). Chantons Alleluia, il entonnons un cantique et gardons-nous de dire : Pourquoi ceci, ou pourquoi cela ? Car toutes choses ont été créées en leur temps (2).

 

1 Rom. XI, 39.

2 Éccl. XXXIX, 19-26.

 

 

 

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