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HOMÉLIE ET LIVRE SUR LE SAINT HIÉROMARTYR BABILAS.
ANALYSE.
L'homélie sur saint Babylas fut prononcée après la troisième homélie sur Lazare, voyez-en la preuve dans l'exorde de la quatrième homélie sur Lazare, tome II, page 432. L'évéque Flavien et plusieurs autres parlèrent le même jour et firent probablement l'éloge des trois enfants mentionnés au début de l'homélie sur saint Juventin et saint Maximin. L'année ne se peut fixer sûrement. Après l'homélie sur saint Babylas, nous avons mis, dit Montfaucon, ce livre si prolixe, intitulé : Sur saint Babylas contre Julien et les Gentils. En cela nous avons suivi l'exemple de Savile et de Fronton du Duc. Nous disons livre et non homélie, car il est impossible qu'une pièce si démesurément longue ait été prononcée dans une assemblée populaire. Au surplus elle ne finit point par la formule en l'honneur de la Sainte-Trinité qui termine toutes les homélies de saint Chrysostome. L'époque de la composition de ce livre se déduit de ce que dit saint Chrysostome lui-même au numéro 21, savoir qu'il l'a écrit vingt ans après que Julien l'Apostat eut entrepris de reconstruire le temple de Jérusalem, c'est-à-dire l'an 382.
1. Je voulais aujourd'hui vous payer ma dette et tenir la promesse que je vous fis naguère ici. Mais quoi l je vois apparaître le bienheureux Babylas; il nous appelle à lui non point avec la voix, mais en attirant nos regards par l'éclat de sa présence. Ne vous irritez donc pas si je diffère le payement de ma dette, car il est sûr qu'à mesure que le temps augmente, les intérêts croissent aussi. Ainsi c'est avec usure que cet argent vous sera rendu, puisqu'ainsi le veut le Maître qui nous l'a confié. (Luc, XIX, 23.) Ainsi, sans crainte pour cette dette, sûrs de toucher enfin intérêt et principal, pourquoi renoncer au gain qui se présente aujourd'hui? Jouissons des admirables actions du bienheureux Babylas. Comment il fut mis à la tête de notre Eg
Dès que cet homme qui a surpassé l'univers entier en impiété, monta sur le trône impérial, dès que Julien saisit le sceptre, aussitôt il leva ses mains contre Dieu son créateur, méconnut son bienfaiteur, et jetant de la terre au ciel des regards audacieux, il aboyait, comme font ces chiens transportés de rage, qui poursuivent également de leurs cris et ceux qui les ont nourris et les étrangers. Sa fureur fut plus sauvage encore : car les chiens ont une égale horreur, une égale haine de ceux qu'ils connaissent et de ceux qu'ils ne connaissent pas; mais Julien flattait les démons, ennemis de son salut, et leur adressait son culte et ses adorations. Son bienfaiteur au contraire, son Sauveur, qui pour lui n'avait pas épargné le sang de son Fils unique, il l'abhorrait, le haïssait, se riait de la croix qui a relevé le monde abattu, et nous a éclairés de l'éclat plus vif des rayons célestes. Et là ne s'arrêta point sa folie; il déclarait qu'il extirperait de la terre la race galiléenne, car c'est de ce nom qu'il nous appelait. Et cependant s'il regardait le nom de chrétien comme un opprobre, comme un sujet de honte infinie, pourquoi ne le choisissait-il pas de préférence à un nom étranger pour nous noter d'infamie? c'est qu'il savait bien que ce nom qui marque une intime union avec le Christ, est un titre d'honneur non-seulement pour les hommes, mais encore pour les anges et pour les pouvoirs célestes. C'est pourquoi il faisait tout pour nous dépouiller de cette gloire et effacer notre titre. Mais cela n'était pas plus possible, ô malheureux, ô infortuné, que de renverser le ciel, déteindre le soleil, d'ébranler et de confondre les fondements de la terre ! N'est-ce point ce que voulut signifier le Christ quand il disait: Le ciel et la terre passeront, niais mes paroles ne passeront point. (Matth. XXIV, 35.) Tu es sourd aux discours de Jésus: entends du moins la voix des faits. Car moi, qui ai eu le bonheur de connaître la vérité de la révélation divine, et son invincible certitude, je la crois plus sûre que l'ordre des choses physiques, plus réelle que toute expérience; quant à toi, qui rampes encore à terre, qui ne t'élèves point au-dessus de la recherche des pensées humaines, reçois du moins le témoignage des faits: je rie soulève ni controverse, ni dispute. 2. Quel est donc ce langage des faits? Le Christ a dit que le ciel et la terre passeraient plutôt qu'aucune de ses paroles. (Luc, XVI, 17.) C'est contre ces paroles que s'élevait l'empereur, ce sont les dogmes chrétiens qu'il menaçait de détruire ! Mais où est-il lui-même, le roi qui faisait ces menaces? Il a disparu; il est mort; il est maintenant aux enfers, où il souffre d'inévitables supplices. Où est le Christ qui révélait ces vérités? Aux cieux, à la droite du Père, assis sur le trône de gloire le plus élevé. Où sont les blasphèmes de l'empereur, où cette langue en délire? Cendre et poussière, pâture des vers l Qu'est devenue la parole du Christ? Elle resplendit de la vérité des faits accomplis, comme du faîte d'une colonne d'or où les événements l'ont placée. Et cependant l'empereur n'oublia rien dans ses préparatifs de guerre contre nous : il appelait à lui les devins et les faux prophètes; tout était plein de démons et d'esprits du mal. Et quel fut le prix de ce zèle criminel? Des villes renversées, et la plus terrible des famines. Vous savez et vous vous souvenez qu'on vit le forum vide de marchandises, les boutiques pleines de trouble : car c'était à qui se saisirait de ce qu'il rencontrait et s'échapperait à la hâte. Et que fut cette famine auprès de la sécheresse des fontaines mêmes dont l'abondance dépassait celle des fleuves? Mais puisque j'ai parlé des fontaines, suivez-moi au faubourg de Daphné; mon discours vous montrera les glorieuses actions du martyr. Vous désirez voir divulguer la honte des gentils; elle va éclater aux yeux en même temps : car partout où apparaît le nom des martyrs se manifeste aussi l'opprobre des gentils. L'empereur donc étant venu à ce faubourg de Daphné, fatiguait Apollon d'incessantes (463) prières, le suppliant, le conjurant de lui prédire ce qui lui devait arriver. Que répondit le devin, le dieu puissant des gentils? Les morts m'empêchent de parler, dit-il : brise leurs sépultures, exhume leurs ossements, transporte ailleurs leurs restes. Y a-t-il impiété plus grande que de semblables ordres ? C'est le démon lui-même qui porte des lois inouïes sur la violation des sépultures et imagine de nouveaux moyens de proscription. Qui donc vit jamais chasser les morts, et des corps sans vie forcés de s'exiler, comme le voulaient ces ordres impies qui renversaient jusque dans leurs fondements les lois générales de la nature ? Car c'est une loi générale entre les hommes d'ensevelir en terre celui qui meurt, de l'enfermer au tombeau, de le coucher dans le sein de la mère commune. Cette loi, ni les Grecs ni les Barbares, ni les Scythes ni les peuplades plus sauvages encore ne la violèrent jamais; elle est partout respectée, observée; pour tous, elle est sainte et vénérable. Mais le démon lève le masque, et ouvertement s'élève contre les lois de la nature : c'est un objet impur, dit-il, qu'un cadavre! Non, les cadavres ne sont point impurs, ô esprit du mal ! mais la volonté coupable est un sacrilège. Ecoutez une étonnante parole : les corps des vivants plutôt que ceux des morts sont pleins d'impureté; car les uns obéissent aux volontés de l'âme, les autres gisent insensibles, et tout objet insensible échappe aux accusations. Et même ce ne sont point les corps des vivants que j'appellerai impurs, mais toutes les volontés coupables et corrompues qui sont dignes de toute accusation. Non, les corps des morts ne sont pas impurs, ô Apollon ! mais poursuivre une jeune fille qui veut vivre chaste, tenter la pudeur d'une vierge, et pleurer l'insuccès d'une impudique entreprise, voilà ce qui appelle et les accusations et les châtiments. Combien avons-nous eu de grands et d'admirables prophètes qui ont prédit l'avenir? Pas un d'entre eux n'a ordonné à ceux qui les interrogeaient de tirer de la terre les ossements des morts. (Ezéch. III, 7.) Au contraire , Ezéchiel s'approche de ces ossements, et, loin d'y trouver un obstacle, il leur rend leur enveloppe de nerfs et de chairs et les ramène à la vie. Et le grand Moïse ! non-seulement il s'approchait des morts, mais il portait partout avec lui le corps tout entier de Joseph (Exod. XIII, 19), et cependant il prédisait l'avenir. Et quoi d'étonnant? Les paroles de nos prophètes découlent de la grâce du Saint-Esprit; celles des oracles païens ne sont que tromperies et mensonges qu'aucun voile ne saurait cacher aux yeux. Mais ce n'étaient là que de vains prétextes : l'empereur craignait le bienheureux Babylas, et sa conduite le prouve. Si ç'eût été de l'horreur et non de la crainte, il fallait faire briser son sépulcre, jeter les ossements à la mer, ou les disperser au désert, enfin les faire disparaître par tout autre moyen. Ainsi se fût manifestée l'horreur. C'est ainsi que Dieu ordonnait aux Hébreux de traiter les objets d'horreur qu'ils rencontraient chez les peuples infidèles: il faisait briser leurs idoles; mais on ne transportait point ces impures images des faubourgs dans les villes. 3. La sépulture du martyr était donc violée, et cependant le démon n'était point encore en sécurité : mais il ne tarda point à apprendre que s'il est possible de transporter les ossements d'un martyr, il n'est point possible d'échapper à ses mains. Car au moment même qu'on traînait ces restes sacrés vers la ville, la foudre du ciel tomba sur la tête de la statue et consuma tout. Certes, si la colère du prince impie était jusque-là sans motif, elle aurait pu alors éclater sur l'ég
Telles furent les oeuvres que ce martyr accomplit après sa mort. Je loue votre ville du zèle qu'elle a montré pour ce saint. Car lorsqu'il revenait de Daphné, nous vîmes toute la ville se répandre sur la route; plus d'hommes sur les places, de femmes dans les maisons, de jeunes filles dans leurs appartements; tous les âges, tous les sexes s'élançaient à l'envi comme au-devant d'un père longtemps désiré et revenant enfin d'un long voyage. Vous l'avez rendu au choeur des saints qu'enflammait le même zèle : la grâce de Dieu n'a pas voulu qu'il séjournât ici perpétuellement: elle l'a transporté à l'autre rive du fleuve, afin que plusieurs contrées fussent remplies du parfum de ses vertus. Et, quand il y fut arrivé, il n'y devait point rester seul; il y trouva aussitôt un voisin, un compagnon plein des mêmes perfections, qui remplit la même charge et montra pour la cause de la religion la même liberté de parole. Aussi est-ce à bon droit qu'il a partagé la demeure du martyr qu'imitaient ses admirables vertus. Que de temps il travailla, écrivant sans cesse à l'empereur, visitant les magistrats, et consacrant son corps même au service du martyr ! Vous savez, vous n'avez point oublié comme, au milieu de l'été, sous les rayons du soleil de midi, suivi de ses assesseurs, il s'en allait là-bas, non point en simple spectateur, mais pour prendre part lui-même à ce qu'on y faisait. Car souvent il mania les pierres, tira le câble, et dans ce besoin pressant de construire un asile au martyr, devança les ouvriers et les manoeuvres. Il savait . bien de quel prix seraient payées ces peines. Aussi restait-il fidèle au culte des martyrs, non-seulement en leur élevant de splendides édifices, en les honorant de fêtes continuelles, mais, ce qui vaut mieux encore, en imitant leur vie, leur courage, et, autant qu'il pouvait , en conservant dans sa personne leur vivante image. Voyez, en effet : les uns exposent leurs corps aux supplices, l'autre mortifie sa chair, l'enveloppe terrestre de son âme; les uns résistent aux feux et aux flammes, l'autre étouffe la flamme de ses passions; ceux-là luttent contre les dents des bêtes fauves, l'autre dompte la plus redoutable de nos passions, l'orgueil. Pour tous ces bienfaits rendons grâces à Dieu qui nous a donné de si nobles martyrs, et des pasteurs dignes de ces martyrs pour le perfectionnement des saints et l'édification des corps de Jésus-Christ, qui, avec le Père , possède la gloire, l'honneur, la puissance, avec le Saint-Esprit, source de vie, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. VIERREJSKI.
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