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HOMÉLIE. QU'IL NE FAUT ANATHÉMATISER NI LES VIVANTS NI LES MORTS.
(Voyez tome Ier, chapitre XI, page 133.)
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
En quel temps saint Jean Chrysostome prononça-t-il cette homélie? Il le déclare lui-même par ces mots de lexorde : «Dernièrement j'ai traité devant vous et développé en longs discours la question de l'Incompréhensibilité divine; j'ai prouvé par « les textes de l'Écriture et par des raisonnements naturels que la compréhension de la Divinité est inaccessible même aux « puissances célestes... etc., etc. » Or, il traite ce sujet principalement dans la troisième homélie, sur l'Incompréhensible; c'est donc après celle-ci ou après l'une des suivantes, qu'il prononça celle dont nous nous occupons, c'est-à-dire, à la fin de l'an 386. Ce raisonnement semble ne donner lieu à aucune difficulté ; et pourtant Tillemont, qui embrasse une autre opinion, soulève plusieurs objections. Selon lui, l'exorde ne se lie pas avec la suite du discours, à partir de ces paroles : « Voyons maintenant , après que nous aurons disserté sur l'anathème » ; il pense qu'une lacune considérable doit se trouver ici dans le texte, surtout si l'on considère que cette homélie est beaucoup plus courte que saint Chrysostome n'a coutume de les faire. Tillemont va plus loin; il pense que tout l'exorde est emprunté d'ailleurs et cousu après coup à la place où nous le lisons, et que la partie du discours relative à l'anathème ne fut prononcée qu'après la mort de Paulin d'Antioche (en 388) ; il tire cette conclusion du passage où saint Jean Chrysostome dit : « Les Pères ont condamné celui que j'anathématise et surtout Pantin, son maître. » - Ces paroles, que saint Jean Chrysostome rapporte comme une clameur populaire, prouveraient, selon Tillemont, que Pantin était déjà mort, parce qu'elles attaquent plutôt les disciples de Pantin que Paulin lui-même ; c'est le contraire qui aurait eu lieu, si Paulin eût été encore vivant. Ce raisonnement n'ébranle pas notre opinion, que partagent du reste Baronius et Hermant. Que l'exorde soit emprunté, que l'homélie soit tronquée et trop courte, tout cela est affirmé gratuitement. L'exorde ne jure pas avec le reste du discours : saint Chrysostome a l'habitude d'aborder familièrement ses sujets ; rien n'est plus fréquent chez lui que des entrées en matière du même genre que celle dont nous parlons. On ne voit pas quelle lacune, quel vide on puisse soupçonner. Cette homélie est courte sans doute ; mais si le saint Docteur en a fait de plus longues, il serait facile d'en trouver une vingtaine plus courtes que celle-ci et qui n'offrent aucune trace d'altérations ou de coupures celle-ci est pleine, suivie et complète dans son ensemble et dans ses parties. Quant à ce passage que Tillemont considère comme postérieur à la mort de Paulin, il faudrait avoir des yeux de lynx pour y découvrir ce que pense voir le savant critique ce passage offre un tout autre sens, comme nous le montrerons plus loin.
Disons quelques mots de l'état où se trouvait l'Église d'Antioche à l'époque où fut faite notre homélie. Les Ariens baissaient Eustathe, évêque d'Antioche, homme saint et vraiment catholique; par leurs manoeuvres et leurs calomnies, ils le firent déposer et exiler vers l'an 330, puis ils élurent un évêque de leur secte, auquel ils donnèrent plusieurs successeurs : les catholiques tenaient leurs assemblées à part sous la direction du clergé eustathien. Cet état de choses dura jusqu'au moment où les Ariens prirent pour évêque Mélèce , qu'ils croyaient attaché à leurs erreurs; mais ayant découvert qu'il était l'ami des catholiques et l'adversaire de leur propre cause, ils le chassèrent et le remplacèrent par Eugoius. La ville se divisa en trois partis : celui des catholiques fidèles à Eustathe, qui rejetaient Mélèce comme suspect d'arianisme ; celui des Méléciens catholiques, qui tenaient Mélèce pour orthodoxe, quoique ordonné par des hérétiques; et enfin celui des Ariens, que dirigeait Eugoius. Toutefois, il n'y avait encore que deux évêques, parce que les Eustathiens tenaient leurs assemblées sous la présidence d'un simple prêtre, nommé Paulin. En 362, saint Athanase s'efforça, au synode d'Alexandrie, de fondre les deux partis eustathien et mélécien en un seul et de faire reconnaître par tous les catholiques Mélèce comme évêque. A cet effet, il fit députer à Antioche deux évêques, Astère et Eusèbe de Verceil. Mais , pendant le voyage des deux légats, Lucifer de Cagliari promut à l'épiscopat le prêtre Paulin ; et dès lors on compta trois évêques à Antioche, deux catholiques et un arien. Ce schisme, qui dura plusieurs années, causa un déluge d'injures, d'outrages, de rixes, de malédictions dont se chargeaient les divers partis. Pantin souscrivit au synode d'Alexandrie, dans lequel on admit à la communion Apollinaire de Laodicée, qui s'y était fait représenter par deux moines : ceux-ci donnèrent en son nom sa profession de foi, mais ils déguisèrent subitement ses erreurs. Paulin mourut en 388 on 389.
Revenons au passage allégué par Tillemont. Le voici : « C'est un hérétique, s'écrient-ils! il loge le diable en lui..... c'est pourquoi il a été rejeté par les Pères! voilà comment ils désignent soit Paulin soit Apollinaire. » - A première vue, ce passage suppose que Paulin parle et agit encore; par conséquent qu'il est vivant. Ce n'est pas à un mort qu'on peut attribuer les choses dont il est question en cet endroit. Quant à Apollinaire, son maître, il faut dire qu'après avoir été admis a (444) la communion par le synode alexandrin auquel souscrivit Paulin, il avait été condamné ensuite par saint Athanase et les autres Pères mieux informés. Les injures populaires que rapporte saint Chrysostome sont dirigées contre deux hommes seulement, Paulin et Apollinaire; si elles avaient été proférées après la mort de Paulin, elles n'auraient pas épargné Evagre, son successeur, duquel pourtant. il n'est fait aucune mention. Ce n'est donc pas ce passage qui peut rendre douteuse l'indication de temps fournie par saint Chrysostome dans l'exorde : nous nous en tenons à l'opinion que nous avons énoncée. -Du reste, les propos injurieux d'une multitude courroucée ne doivent pas être tellement pris à la lettre, qu'il faille chercher la raison et l'explication de chacun d'eux.
On peut voir, dans les notes de l'édition de Saville, que Halès soupçonne cette homélie de n'être pas l'oeuvre de saint Chrysostome, ou tout au monts d'avoir été remaniée : il s'appuie sur une dissemblance de style et sur ce que le patriarche Philothée, dans la première partie de son Droit gréco-romain rapporte, d'après Théodore Balsamore, un ou deux fragments de cette homélie qui, dans notre texte, se trouvent plus longs et plus remplis que dans cette citation. Halès en conclut qu'on y a glissé plusieurs passages qui ne sont pas de saint Chrysostome. Pour la diversité de style, je reconnais moi-même que certains endroits ne représentent pas le genre et la touche du saint docteur; la raison que j'en vois, c'est que saint Chrysostome,ayant à reproduire les injures et les anathèmes du peuple contre les sectateurs de Paulin, prend naturellement une certaine étrangeté de style, non-seulement dans les endroits où il cite les propos populaires, mais aussi dans ceux où il les condamne. En outre, nous avons fait remarquer plus d'une fois que dans plusieurs opuscules, certainement authentiques, saint Chrysostome s'est écarté notablement de son style et de son genre habituels. L'argument que Halès tire des citations faites par Philothée ne prouve rien; il ne doit pas ignorer que les écrivains de tous les siècles ont l'habitude de ne prendre dans leurs citations que les endroits qui peuvent servir à leur sujet et d'omettre à leur gré les autres. C'est pourquoi nous croyons cette homélie authentique et digne de saint Chrysostome(1).
La traduction latine a été faite par l'éditeur bénédictin, qui rejeta comme peu exacte celle qu'on trouve dans les éditions antérieures.
Saint Chrysostome rappelle sa controverse contre les Anoméens. Puisqu'il a combattu les hérétiques, il convient qu'il attaque maintenant certaines personnes qui, par un excès de faux zèle, anathématisaient les hérétiques, sans en avoir le droit. Les anathématisants pèchent contre la charité. Charité de Jésus-Christ pour tous les hommes. Exemple de saint Paul. Sa douceur et sa modération. Il ne faut anathématiser, ni les vivants, parce qu'ils peuvent se convertir, ni les morts, parce qu'il n'appartient qu'à Dieu de les juger.
1. Récemment j'ai traité et développé en longs discours la question de l'incompréhensibilité divine; j'ai prouvé par les textes de l'Ecriture comme par des raisonnements naturels que la compréhension de la divinité reste inaccessible même aux puissances célestes, je veux dire à ces êtres, qui, dégagés de tout élément matériel, jouissent de la vie bienheureuse. Et pourtant nous, qui passons notre vie dans la mollesse et l'abrutissement, qui nous jetons en toute sorte d'iniquités, nous prétendons atteindre à cela même qui demeure profondément inconnu aux substances spirituelles. Et, dans cette grande entreprise, nous prenons pour unique point d'appui le discernement de notre jugement personnel et la futile renommée que nous feront nos auditeurs; sans déterminer par la réflexion la mesure de nos forces naturelles, sans suivre l'Ecriture ni les Pères, mais entraînés par la fantaisie de nos opinions comme par un torrent débordé, nous nous précipitons dans une faute capitale. Voyons maintenant ! après que nous aurons disserté sur l'anathème autant qu'il vous sera utile, après que nous vous aurons démontré la gravité d'un mal que vous regardez comme une bagatelle, il faudra que nous mettions un frein à des langues qui ne veulent pas s'arrêter, que nous
1 Cependant l'édition Gaume (tome I, p. 845) refuse cette homélie à saint Chrysostome parce qu'on n'y trouve pas ses pensées, son argumentation et son langage.
dévoilions à tous les regards la plaie cachée que bon nombre d'entre nous portent dans leurs âmes sans y penser et sans rien faire pour la guérir. Nous sommes tombés dans un état si misérable que, réduits à la dernière extrémité du mal, nous ne savons pas vaincre les plus honteuses passions : de la sorte s'accomplit en nous la parole du Prophète: Il n'a été appliqué aucun remède sur notre blessure, elle n'a point été bandée ni adoucie avec de l'huile. Par où donc commencerai-je à parler de ce mal? Partirai-je des prescriptions et des commandements du Seigneur ou bien de votre sotte ignorance et de votre abrutissement? Et, quand j'ouvrirai la bouche, ne serai-je point raillé et moqué comme un fou? Ne serai-je point accueilli par des huées, quand j'aborderai ce sujet si triste et si digne de larmes? Que faire ? Je souffre; je sens mon coeur se rompre, mes entrailles se déchirer à la vue de tant de stupidité ! nous laissons loin derrière nous l'obstination judaïque et l'impiété païenne. Je vois des hommes qui n'ont ni la raison formée par l'étude des saintes Ecritures, ni même la première teinture de cette science sacrée; des fous, des baladins, des gens qui ne savent ce qu'ils disent ni de quoi ils parlent (I Tim. I, 7); je les vois n'ayant pas d'autre courage que celui de dogmatiser à tort et à travers, et de crier anathème à ce qu'ils (445) ignorent; aussi les ennemis de la foi se raillent-ils de nous, parce que, disent-ils, nous ne prenons aucun souci de régler sagement notre vie et de nous instruire dans la pratique des bonnes oeuvres. 2. Hélas ! que tout cela m'est dur ! Que de justes et de prophètes ont désiré voir ce que nous voyons et ne l'ont point vu; ont désiré entendre ce que nous avons entendu et ne l'ont point entendu ! (Matth. XIII, 17.) Et nous, de tout cela nous faisons un jeu. Prenez au sérieux, je vous e ri conjure, l'Evangile qui vous a été prêché, de peur de vous perdre à jamais. Si l'alliance publiée par les anges demeura inviolable et si la prévarication et la désobéissance reçurent autrefois la rétribution méritée, comment échapperions-nous à la vengeance en négligeant les immenses grâces de salut qui nous sont offertes ? Dites-moi, quel est le but de l'Evangile de la grâce? Pourquoi Dieu est-il venu en chair ? Est-ce pour nous apprendre à nous mordre et à nous dévorer les uns les autres ? Non ; la charité est d'autant plus exigée de nous que le christianisme est de tout point plus parfait que les prescriptions légales de l'ancienne alliance. L'une dit: Vous aimerez votre prochain comme vous-même (Lévit. XIX, 18 ; Matth. XXII, 39) ; l'autre nous dit de mourir pour notre prochain. Ecoutez les propres paroles de Jésus-Christ : Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent, le couvrirent de plaies et s'en allèrent, le laissant à demi-mort. Il arriva ensuite qu'un prêtre qui descendait par le même chemin, Voyant aperçu, passa outre.. Un lévite, étant aussi venu au même lieu, et l'ayant considéré, passa outre pareillement. Mais un samaritain qui voyageait, étant venu à l'endroit où était cet homme et l'ayant vu, fut touché de compassion. Il s'approcha donc de lui; il versa de l'huile et du vin dans ses plaies et les banda ; et, l'ayant mis sur son cheval, il le mena dans une hôtellerie où il eut grand soin de lui. Le lendemain, en s'en allant, il tira de sa bourse deux deniers qu'il donna à l'hôte en lui disant Ayez soin de cet homme ; et tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon atour. Lequel de ces trois vous semble-t-il avoir été le prochain de celui qui tomba entre les mains des voleurs ? L'autre répondit C'est celui qui a exercé la charité envers lui. Allez donc, dit Jésus, et faites de même. (Luc, X, 30-37.) Seigneur ! quel prodige ! Ce n'est pas le prêtre, ce n'est pas le lévite que Jésus appelle le prochain; mais l'homme que repoussait la loi des Juifs, le samaritain, l'étranger, le blasphémateur de la loi, voilà le seul qui soit appelé le prochain , parce qu'en lui seul s'est trouvée la miséricorde. C'est ce qu'a enseigné le Fils de Dieu; c'est aussi ce qu'il a montré par ses oeuvres en venant sur la terre ; il est mort non-seulement pour les siens, pour des amis, mais encore pour ses ennemis, pour des tyrans, pour des imposteurs, pour ceux qui le haïssaient et le crucifiaient, pour ceux qu'il connaissait comme tels dès avant la création du monde; il les créa, bien qu'il sût d'avance ce qu'ils devaient être un jour, faisant céder sa prescience à sa bonté; pour eux il versa son sang, pour eux il accepta une mort cruelle. Le pain, dit-il, est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. (Jean, VI, 52.) Et saint Paul dit dans l'Epître aux Romains : Lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils (Rom. V, 10) ; il dit encore dans l'Epître aux Hébreux que le Christ a goûté de la mort pour toutes les créatures. (Hébr. II, 9.) Si le Christ a fait une pareille uvre de miséricorde, et si l'Eglise en reproduit chaque jour l'image en adressant à Dieu de quotidiennes supplications pour tous les hommes, comment osez-vous dire anathème? Qu'est-ce en effet que cet anathème qui sort de vos lèvres ? Examinez ce que vous dites, appréciez vos expressions et reconnaissez-en l'énergie ! Vous trouvez dans les saintes Ecritures qu'il est dit de Jéricho : Vous livrerez la ville entière en anathème au Seigneur votre Dieu. (Josué, VI, 17.) Chez nous a prévalu jusqu'à présent la coutume générale de dire : un tel, en commettant telle action, a encouru l'anathème de telle manière. Est-ce là vraiment l'anathème ? Etre livré en anathème à Dieu-s'emploie le plus souvent en bonne part. Mais qu'est-ce que l'anathème que vous proférez ? il signifie que vous souhaitez à tel ou tel d'être livré au démon, de n'avoir jamais part au salut, de devenir étranger au Christ. 3. Qui êtes-vous donc? Quelle puissance et quelle autorité avez-vous? Est-ce que le Fils de Dieu va tout à l'heure siéger par vos ordres pour opérer la séparation de ses brebis, pour mettre les unes à sa droite et repousser les (446) autres à sa gauche ? Pourquoi usurpez-vous cette dignité éminente à laquelle ne participent que le collège des apôtres et ceux qui par une exacte perfection se montrent leurs vrais successeurs, remplis de grâces et de vertus ? Ceux-là, observant avec soin le précepte évangélique, ne rejettent du sein de l'Eglise les hérétiques que de la manière qu'ils s'arracheraient à eux-mêmes 1'il droit; ils montrent la pitié et la douleur qu'ils ressentent, comme s'ils se coupaient un membre gangrené. Le Christ appelle cela s'arracher l'il droit, pour indiquer quelle commisération douloureuse doivent éprouver ceux qui ont charge de retrancher; de l'Eglise les hérétiques. En cela comme en tout le reste, les hommes apostoliques se conduisaient avec une prudence consommée; ils repoussaient l'hérésie en la réfutant, mais ils n'infligeaient à aucun hérétique le châtiment de l'anathème. L'Apôtre n'emploie cette expression qu'en deux endroits ; encore paraît-il ne l'avoir proférée que sous la pression de la nécessité, et, de plus, il ne l'applique pas à telle ou telle personne spécialement désignée quand il écrit aux Corinthiens : Si quelqu'un n'aime pas Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème (I Cor. XVI, 22) ; et aux Galates : Si quelqu'un nous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème. (Gal. I, 3.) Quoi donc ! ce que n'a osé décider et accomplir aucun de ces hommes qui en avaient le plein droit, vous osez le faire, vous osez faire acte d'opposition aux mérites de la mort du Seigneur, vous osez prévenir la sentence du Maître ! Voulez-vous savoir ce qu'a dit un saint personnage, qui, avant nous, reçut l'héritage traditionnel des apôtres et fut jugé digne du martyre? Pour faire ressortir la gravité de ce mot d'anathème, il se sert de la comparaison suivante : De même, dit-il, qu'un simple particulier, s'il usurpe la pourpre royale, mérite la mort pour lui et pour les complices de son attentat, de même ceux qui, abusant de la sentence du Maître, prétendent rendre un homme anathème à l'Eglise ; se précipitent eux-mêmes à leur perte, parce qu'ils empiètent sur les droits réservés au Fils de Dieu. Pensez-vous donc que ce soit une petite affaire que de frapper votre prochain d'une pareille sentence avant le temps marqué, avant l'arrivée du vrai Juge? L'anathème sépare complètement du Christ. Mais que disent, pour s'excuser, ces gens toujours audacieux pour le mal ? C'est un hérétique , s'écrient-ils , il loge en lui le diable ; il profère contre Dieu des horreurs; par les caresses et les misérables artifices de sa parole il entraîne toute une foule à l'abîme de la perdition; c'est pourquoi les Pères l'ont banni de l'Eglise, lui et surtout son maître qui a fait schisme dans une portion de l'Eglise. Voilà comment ils parlent soit sur Paulin, soit sur Apollinaire. En insistant sur le schisme de chacun d'eux, ils parviennent assez facilement à éviter la note de nouveauté et à montrer comment l'erreur a pris pied et empire dans les secrets, replis d'une opinion préconçue et téméraire. Enseignez, dit saint Paul, en reprenant avec modestie ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour l'esprit de pénitence pour la leur faire connaître; et qu'ainsi revenant de leur égarement ils sortiront des piéges du démon qui les tient captifs pour en faire ce qu'il lui plaît. (II Tim. II, 25.) Déployez donc le filet de la charité; ne jetez pas le boiteux à terre, gué, rissez-le plutôt. Prouvez que vous voulez, par un sentiment de générosité, rendre commun à tous le bien qui vous est propre. Jetez la douce amorce d'une sympathique pitié; et, après avoir sondé les replis cachés de l'erreur, retirez du gouffre de perdition l'infortuné qui se noie dans les fausses opinions Corrigez, comme opposé à la tradition apostolique, ce que le préjugé ou l'ignorance fait passer pour vrai. Et, si le malheureux qui avait adopté l'erreur veut accueillir votre enseignement, il vivra de la vraie vie; vous aurez sauvé son âme. (Ezéchiel, III, 21.) S'il refuse, s'il résiste et s'opiniâtre, contentez-vous pour mettre à couvert votre responsabilité de rendre témoignage à la vérité avec douceur et patience; dès lors le Juge souverain n'aura plus à vous réclamer lâme de votre frère. Point de haine ! point d'aversion ! point de persécution ! Faites preuve d'u franche et vraie charité : il y a un gain qui ne vous échappera pas; car lors même vous n'obtiendriez aucun autre résultat, favorable , sachez que c'est un beau profit un gain magnifique que de pratiquer charité et d'enseigner la doctrine du Christ. C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. (Jean, XIII, 35.) Otez la charité, et ni la science des mystères de Dieu, ni la (447) foi, ni le don de prophétie, ni la pauvreté, ni le martyre ne vous serviront de rien.; l'Apôtre l'a déclaré en ces termes: Quand je pénétrerais tous les mystères , quand je posséderais la science parfaite et une foi telle que je pusse transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me servirait de rien. Quand je parlerais le langage des anges, quand j'aurais distribué tout mon bien aux pauvres et livré mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. La charité est bénigne et sans enflure; elle ne cherche pas ses propres intérêts; elle supporte tout, elle croit tout, elle espère tout , elle souffre tout. (I Cor. XIII, 1-4.) 4. Mes bien-aimés , aucun de vous n'a montré pour Jésus-Christ un amour pareil à celui de cette sainte âme ; jamais une créature humaine n'a prononcé de paroles semblables à celles qui ont jailli du coeur de saint Paul, de ce coeur tout embrasé de charité. Il s'écriait: J'accomplis en ma chair ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ (Colos. I, 24) ; Je souhaiterais de devenir moi-même anathème, à l'égard de Jésus-Christ, pour le salut de mes frères. (Rom. IX, 3.) Qui souffre parmi vous, sans que je souffre moi-même ? (II Cor. XI, 29.) Eh bien ! malgré cet ardent amour de Dieu, il ne proféra jamais contre qui que ce fût ni injure, ni paroles violentes, ni anathèmes : autrement, il ne serait point parvenu à faire à son Dieu 'l'hommage de tant de villes et de tant de nations converties. Humilié, maltraité, souffleté, tourné en dérision, il ne laissa pas d'accomplir son oeuvre en caressant, en exhortant, en suppliant. C'est par des moyens insinuants qu'il captive l'attention des Athéniens : il les voit tous affolés d'idolâtrie, cependant il ne les attaque point par des paroles outrageantes « Vous êtes des athées et de francs impies ! » il ne leur dit pas : « Tout est Dieu pour vous excepté Dieu même ; vous ne reniez que lui, le Maître et le Créateur de l'Univers ! » Que leur dit-il ? En parcourant votre cité et en examinant les statues de vos dieux, j'ai aperçu aussi un autel sur lequel il est écrit « au Dieu inconnu. » C'est donc ce Dieu que vous adorez sans le connaître , que je vous annonce aujourd'hui. (Act. XVII, 23.) O prodige ! O tendresse d'un coeur paternel ! Il dit que ces Grecs pratiquent un culte pieux, bien qu'ils fussent idolâtres et impies ! Pourquoi ? parce qu'ils s'acquittaient des devoirs du culte comme s'ils eussent eu la vraie piété, parce qu'ils croyaient rendre honneur à Dieu, se l'étant persuadé à eux-mêmes. Imitez tous saint Paul, je vous en conjure, et puissé-je l'imiter moi-même à votre égard ! Si Dieu, qui prévoit les futures résolutions de tout homme et qui sait d'avance quel sera le sort de chacun de nous, a tout disposé pour donner la dernière perfection à ses dons et à sa gloire; si Dieu ne crée rien pour les méchants, et si néanmoins il a jugé convenable de les faire participer à ses bienfaits généreux ; si Dieu ordonne que nous soyions tous ses imitateurs, pourquoi faites-vous opposition à cette disposition divine, vous qui prenez part aux assemblées de l'Eglise et à l'accomplissement du sacrifice de Jésus-Christ ? Ignorez-vous que le Christ n'a pas brisé le roseau abattu, ni éteint la lampe qui fume? (Isaïe, XLII, 3.) Que signifie cette comparaison? Elle signifie que Jésus-Christ n'a pas repoussé Judas et ceux qui l'ont imité dans son apostasie avant que chacun d'eux, librement entraîné, ne se fût livré entièrement à l'imposture et au mal. Est-ce que nous ne faisons pas des supplications publiques pour les ignorances du peuple ? Est-ce que nous ne sommes pas obligés de prier pour nos ennemis, pour ceux qui nous baissent et nous persécutent? En ce moment, je remplis un devoir de mon ministère en vous exhortant; l'imposition des mains qui nous a faits prêtres n'est pas une source d'enflure et d'orgueil, elle ne donne pas droit au despotisme : nous avons reçu tous le même Esprit, nous sommes appelés tous au titre de fils adoptifs : ceux à qui le Père a donné la puissance, ne l'ont que pour servir leurs frères selon leur pouvoir. C'est pourquoi, fidèle aux obligations de ma charge, je vous prie et vous supplie de renoncer à cette funeste habitude de l'anathème. Celui que vous prétendez anathématiser est vivant ou mort ; s'il vit, vous commettez un acte inhumain en repoussant cet homme qui, susceptible encore de conversion, peut revenir du mal au bien; s'il est mort, vous faites encore pis : et comment ? après la mort, c'est pour Dieu seul qu'il est debout ou abattu; il n'appartient plus aux puissances humaines. Il est périlleux de porter un jugement sur les secrets que se réserve le Juge des siècles : c'est lui qui apprécie la mesure de la science et la qualité de la foi. Comment pourrions-nous connaître les termes dans lesquels (448) on s'accusera, la défense qu'on présentera le jour où Dieu jugera tous les mystères humains ? Les jugements du Seigneur sont inscrutables et ses voies demeurent inconnues. Qui a connu la pensée du Seigneur, et qui fut son conseiller ? (Isaïe, XL, 13.) Peut-être aucun de vous, mes amis, ne songe qu'il a été jugé digne du baptême, aucun ne pense que le jugement doit avoir lieu un jour. Que dis-je, le jugement ! Passionnés jusqu'à, la frénésie pour les choses de 'cette vie terrestre , nous ignorons même notre mort et notre départ de ce monde. Renoncez donc, je vous en conjure, à cette mauvaise habitude. Car je vous le dis en face de Dieu et de ses saints anges, et. je les prends à témoin que vous vous préparez pour le jour du jugement un affreux malheur et d'intolérables flammes. Si, dans la parabole des vierges folles, le Maître universel, dont le regard discerne toutes les oeuvres, a repoussé loin de sa demeure à cause du manque de charité, ceux même qui vécurent dans la pureté de la foi et dans la chasteté des moeurs, serait-il possible que nous, qui traînons notre vie à travers toutes les licences, qui nous montrons sans entrailles à l'égard de nos frères, serait-il possible que nous fussions trouvés dignes de l'éternel salut? N'écoutez pas mes paroles d'une oreille indifférente, je vous en prie. Dire anathème aux dogmes hérétiques, ennemis de nos traditions, réfuter les doctrines impies, c'est un devoir; mais épargner les personnel, et prier pour leur salut, c'est un devoir encore. Puissions-nous, enchaînés à l'amour de Dieu, et du prochain, fidèles observateurs des préceptes du Seigneur, accourir tous ensemble au jour de la résurrection, à la rencontre de l'époux céleste et lui offrir en hommage une foule d'âmes que nous aurons sauvées par notre commisération, par la grâce et la bonté de ce Fils de Dieu à qui, avec le Père et l'Esprit-Saint, appartient la gloire parfaite, aujourd'hui et toujours, et dans les siècles éternels? Ainsi-soit-il.
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