BAPTÊME

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HOMÉLIE SUR LE BAPTÊME DE NOTRE-SEIGNEUR ET L'ÉPIPHANIE

 

Contre ceux qui manquent aux assemblées divines. — Du saint et salutaire baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ. — De ceux qui commencent indignement. — Que ceux qui se retirent avant la fin du saint sacrifice et des actions de grâces imitent Judas.

 

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Certains passages semblent indiquer que cette homélie fut prononcée peu de jours après celle qui précède sur la naissance du Sauveur, c'est-à-dire le jour de l'Épiphanie de l'an 387. — D'abord ce qu'on lit dans cette même homélie, paragraphe 4 : Je sais qu'un grand nombre d'entre vous s'approcheront avec empressement de la sainte table, par habitude, à cause de la solennité. Il faudrait, comme je vous l'ai dit souvent ailleurs, qu'on fit moins attention aux fêtes pour communier, qu'à la pureté de sa conscience . . . . . . — or, notre Saint avait dit à peu près la même chose peu de jours auparavant, pour la fête de saint Philogone, 20 décembre 380, paragraphe 4 : Maintenant un grand nombre de fidèles en sont venus à un tel degré de malice et de mépris, que malgré les crimes dont leur conscience est souillée et sans nul souci de réformer leur vie, on les voit aux jours de fêtes, s'approcher de la table sainte sans préparation et sans crainte.

D'autre part, dans cette même homélie sur le baptême du Sauveur, même paragraphe, on lit : Et quelle est cette faute dont je veux parler ? C'est que nous ne nous approchons pas avec tremblement, mais avec un grand bruit, enflés de colère, criant, nous injuriant, nous frappant et nous renversant les uns les autres dans le plus grand tumulte. Je vous ai dit cela souvent et je ne cesserai de vous le répéter.

Or, dans l'homélie sur la naissance de Notre-Seigneur, paragraphe 7, il est dit : Les        exhortations que je vous ai adressées récemment (c'est-à-dire en la fête de saint Philogone), je veux vous les répéter encore et je ne cesserai de vous les répéter à l'avenir. Lesquelles, direz-vous? Lorsque vous vous approchez de cette Table sainte et redoutable, et de ces mystères sacrés, que ce soit avec crainte et tremblement, avec une conscience pure, jeûnant et priant, ne faisant pas de bruit, ne vous frappant pas, ne vous poussant pas les uns les autres . . .. .

D'où il nous semble très-probable que ces trois homélies ont été prononcées en même temps et à peu de jours d'intervalle.

1° Dans cette homélie sur le baptême et l'épiphanie du Sauveur, saint Jean Chrysostome commence par exhorter le peuple à venir à l'ég lise . — 2° Ensuite il traite de la double épiphanie de Jésus-Christ; de sa manifestation aux mages et de sa dernière venue, alors qu'il apparaîtra avec gloire et splendeur à la fin des siècles. — Il rapporte ensuite un miracle au sujet de l'eau du baptême; car comme tous allaient la nuit de l'Épiphanie puiser de cette eau pour la conserver, elle ne se gâtait pas, mais elle demeurait pure, une année entière, quelquefois deux et même trois. — 3° Il explique la différence qui existe entre le baptême des Juifs, celui de Jean et celui de Jésus-Christ. —  4° Il en prend occasion de démontrer comment le Christ a accompli toute justice. — Enfin, il termine en exhortant le peuple à s'approcher des saints mystères avec un grand respect et une grande crainte.

 

1. Aujourd'hui, vous êtes tous dans la joie, seul je suis dans la tristesse. En effet, lorsque je tourne mes regards vers cet océan spirituel, contemplant les trésors immenses de l'Ég lise , et qu'ensuite je fais réflexion que cette solennité passée, toute cette foule s'en ira et se dispersera, j'éprouve une douleur qui me déchire, une angoisse qui m'accable, parce que, mère tendre et féconde, l'Ég lise ne peut jouir de ses nombreux enfants à chaque assemblée, mais seulement aux jours de grandes fêtes. Et cependant, quel sujet de joie spirituelle ! quelle allégresse pour nous ! quelle gloire pour Dieu ! quelle utilité pour les âmes ! si à chaque réunion nous voyions l'enceinte du temple ainsi remplie ! Les matelots et les pilotes se bâtent de traverser les flots pour rentrer au port; nous, au contraire, nous luttons pour ne pas quitter la haute mer et toujours battus par les flots des affaires du siècle, sans cesse sur les places publiques et devant les tribunaux, c'est à peine si nous paraissons ici une fois ou deux par an.

Ne savez-vous donc pas que Dieu a bâti les (181) ég lise s dans les villes comme les ports dans la mer, afin qua ceux qui viendront s'y recueillir à l'abri des tempêtes du siècle, y trouvent la tranquillité parfaite. Ici, en effet, vous n'avez rien à redouter : ni la fureur les flots, ni les incursions des pirates, ni les attaques des brigands, ni la violence des vents, ni les surprises des animaux sauvages. C'est un port à l'abri de tous les maux, c'est le port spirituel des âmes. Vous m'êtes témoins de la vérité de mes paroles. Si quelqu'un de vous, en effet, interroge sa conscience en ce moment, il trouvera une grande tranquillité intérieure. Pas de colère qui le trouble, pas de cupidité qui le brûle, pas d'envie qui le ronge; l'arrogance ne l'enfle pas, l'amour de la vaine gloire ne le corrompt pas; mais tous ces monstres s'apaisent aussitôt que, semblables à un enchantement divin, les saintes Ecritures arrivant par la lecture aux oreilles de chacun ont pénétré jusqu'à l'âme et calmé ces mouvements contraires à la raison. Quel n'est donc pas le malheur de ceux qui, pouvant acquérir une telle sainteté de moeurs, ne s'empressent pas de fréquenter assidûment l'ég lise , notre mère commune ! Pouvez-vous me signaler une occupation plus fructueuse, une réunion plus utile? Qui vous empêche de venir ici avec nous? Vous m'alléguerez la pauvreté comme un obstacle qui vous éloigne de cette assemblée magnifique : Ce n'est qu'un vain prétexte. Il y a sept jours dans la semaine, Dieu les a partagés avec nous et il ne s'est pas réservé la plus grande part, en nous laissant la moindre; il n'a pas même fait les parts égales, en prenant trois jours pour lui et nous en laissant trois, mais il nous a donné six jours et il n'en a réservé qu'un pour lui; et vous ne daignez pas même pendant ce jour vous abstenir complètement des affaires terrestres; mais semblables à ceux qui volent le trésor sacré, vous ravissez ce saint jour pour l'employer aux occupations du siècle, vous abusez dans l'intérêt de la vie matérielle de ces instants qui devraient être consacrés aux choses spirituelles.

Mais pourquoi parler d'un jour entier? Imitez ce que fit la veuve dans son aumône. Elle ne donna que deux oboles (Marc, XII, 42 et suiv.), et elle reçut de Dieu une grâce abondante. Donnez, vous aussi, deux heures seulement à Dieu, et vous recueillerez pour votre maison le gain d'une multitude de jours. Si vous méprisez mes avis, craignez qu'en ne voulant pas renoncer pour un faible instant aux profits terrestres, vous ne perdiez le fruit de toutes vos années passées. Dieu a coutume, en effet, de punir le mépris qu'on fait de lui en dissipant les richesses amassées. C'est la menace qu'il adressait aux Juifs, qui négligeaient de venir au temple: Vous avez porté vos biens dans vos maisons et mon souffle les a dissipés, dit le Seigneur. (Aggée, I, 9.) Si vous ne venez à l'ég lise qu'une ou deux fois l'année, comment, je vous le demande, pourra-t-on vous instruire des choses qui sont nécessaires au salut, comme de la nature de l'âme, de celle du corps, de l'immortalité, du royaume des cieux, des peines de l'enfer, de la miséricorde de Dieu, de sa bonté, du baptême, de la pénitence, de la rémission des péchés, des créatures célestes et terrestres, de la nature des hommes, de celle des anges, de la malice des démons, des ruses de Satan, des moeurs et des dogmes, de la vraie foi, des hérésies engendrées par la corruption? Ces choses et beaucoup d'autres encore, un chrétien doit les savoir pour en rendre compte à qui l'interrogera. Mais vous n'en connaîtrez pas même la plus faible partie si vous ne venez ici qu'une fois par circonstance, moins par des sentiments de piété que par un reste d'habitude et à cause de la solennité ; car c'est à peine si les fidèles qui fréquentent assidûment nos assemblées parviennent à apprendre tout ce qu'il faut savoir. Beaucoup de ceux qui sont ici ont des serviteurs et des enfants. Eh bien ! lorsque vous voulez les faire instruire, vous les confiez à des maîtres que vous avez choisis, vous les éloignez de vous, vous leur fournissez vêtements, nourriture, tout ce dont ils ont besoin, puis vous les envoyez habiter avec leurs maîtres et vous ne permettez pas qu'ils reviennent chez vous, afin que, par une assiduité continuelle, ils profitent mieux, et qu'aucun souci, aucune occupation étrangère à leurs études ne viennent les distraire; et quand il s'agit pour vous d'apprendre non plus une science vulgaire, mais la plus grande de toutes les sciences, la science de plaire à Dieu et d'acquérir les biens célestes, vous croyez qu'il suffit de vous en occuper une ou deux fois par hasard? Quelle folie ! Doutez-vous que ce soit là une science qui exige beaucoup d'attention ? Ecoutez : Apprenez de moi, dit le Seigneur, que je suis doux et humble de cœur. (Matth. XI, 29.) Ailleurs, c'est son prophète qui s'exprime ainsi : Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur. (Ps. XXXIII, 12.) Et encore : Soyez attentifs et voyez que je suis le vrai Dieu. (Ps. XLV, 11.) Il faut donc une grande application à qui veut acquérir cette science des choses spirituelles.

2. Mais ne passons pas tout notre temps à blâmer ceux qui ont coutume d'être absents; en voilà bien assez pour corriger leur négligence; expliquons un peu la solennité du jour. Car plusieurs célèbrent des fêtes dont ils savent le nom sans en connaître ni l'histoire, ni l'occasion , ni l'origine. Ainsi , personne n'ignore que la fête d'aujourd'hui s'appelle Epiphanie, ou manifestation, mais quelle est cette manifestation? Y en a-t-il une ou deux? C'est ce qu'on ne sait pas aussi bien, et chose honteuse non moins que ridicule, on célèbre chaque année cette solennité et on n'en connaît pas le sujet. Il faut donc commencer par faire savoir à votre charité qu'il n'y a pas qu'une manifestation, mais deux : l'une est celle que nous célébrons présentement, l'autre n'est pas encore venue, elle doit se faire avec éclat à la consommation des siècles. Dans ce que vous avez entendu aujourd'hui de saint Paul à Tite, il parle de toutes deux. Voici d'abord pour la présente : La grâce de Dieu notre Sauveur a paru à tous les hommes, et elle nous a appris que, renonçant à l'impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent, avec tempérance, avec justice et avec piété. — Ce qui suit se rapporte à la future : Etant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons, et de l'avènement glorieux du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. (Tite II, 11, 12, 17.) C'est encore dans ce dernier sens que le prophète a dit : Le soleil se changera en ténèbres, et la lune en sang; avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et glorieux. (Joël, II, 31.) Mais pourquoi n'est-ce pas le jour de la naissance du Sauveur plutôt que celui de son baptême qui est appelé Epiphanie? Car c'est en ce jour qu'il fut baptisé et qu'il sanctifia les eaux. Aussi, dans cette solennité, vers le milieu de la nuit, tous vont puiser de l'eau qu'ils mettent en réserve dans leurs maisons, pour la garder l'année entière, en mémoire de ce qu'à pareil jour, les eaux ont été sanctifiées. Et par un miracle évident, le temps n'a aucune influence sur la nature de cette eau, car après un an, quelquefois deux et même trois, elle demeure pure et fraîche, et malgré cet espace de temps, on né la distingue pas de celle qui vient d'être prise à la source. Mais pour quelle cause ce jour est-il appelé manifestation ? Parce que Notre-Seigneur fut manifesté aux hommes, non le jour de sa naissance, mais le jour de son baptême, car jusque-là il était à peu près inconnu. Qu'il n'ait pas été généralement connu, et que la plupart aient ignoré qui il était, c'est ce qui ressort de ces paroles de Jean-Baptiste : Il y a quelqu'un au milieu de vous que vous ne connaissez pas. (Jean, 1, 26.) Et faut-il s'étonner si les autres ne le connaissaient pas quand Jean-Baptiste lui-même l'ignorait jusqu'à ce jour? Et je ne le connaissais pas moi-même, dit-il, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer le Saint-Esprit, est celui qui baptise dans le Saint-Esprit. (Jean, I, 33.) D'où il résulte clairement qu'il y a deux manifestations. Mais pourquoi Notre-Seigneur est-il venu se faire baptiser? C'est ce qu'il nous reste à dire en même temps que nous vous ferons connaître quel baptême il a reçu; car ces deux points sont d'une égale importance. C'est même par la dernière question que nous allons commencer à instruire votre charité, afin de mieux vous faire comprendre la première.

Il y avait le baptême des Juifs qui effaçait les souillures du corps, mais non les péchés qui sont dans la conscience: si quelqu'un avait commis un adultère, un vol ou un autre crime, ce baptême ne les effaçait pas. Mais si on avait touché les ossements des morts, mangé des mets défendus par la loi, si on venait d'un lieu impur, si on avait demeuré avec les lépreux, on se lavait et on était impur jusqu'au soir, après quoi on devenait pur. Il lavera son corps, est-il dit, dans l'eau pure, et il sera impur seulement jusqu'au soir, puis il sera pur. (Lévitique, XV, 5.) Ce n'étaient point là de vrais péchés ni des souillures proprement dites, mais les Juifs étant un peuple grossier et imparfait, Dieu voulait, parles observances légales, les rendre plus religieux et les préparer de longue main à l'observation de prescriptions plus importantes.

3. La purification des Juifs n'effaçait donc pas les péchés, mais seulement les souillures corporelles. Il n'en est pas de même de la (186) nôtre qui est bien meilleure et remplie de grâces abondantes, car elle délivre du péché, elle purifie l'âme et donne la grâce du Saint-Esprit. Quant au baptême de Jean, il était de beaucoup supérieur à celui des Juifs, mais inférieur au nôtre; c'était comme le trait d'union qui les unissait et il conduisait de l'un à l'autre. Jean ne portait pas les hommes à observer les purifications corporelles, il les en détournait au contraire pour les exhorter à passer du vice à la vertu, et à placer leurs espérances de salut dans les bonnes oeuvres, mais non dans les différents baptêmes et les ablutions. Il  ne leur disait pas: lavez vos vêtements et votre corps et vous serez purs, mais bien Faites de dignes fruits de pénitence. (Matth. III, 6.) Et à ce point de vue le baptême de Jean était supérieur à celui des Juifs, mais inférieur au nôtre, car il ne donnait pas le Saint-Esprit, il ne conférait pas la rémission des péchés par la grâce. Il portait à la pénitence, mais il n'avait pas la puissance de remettre les péchés. C'est pourquoi Jean disait encore: Je vous baptise dans l'eau, mais lui vous baptisera dans l'Esprit-Saint et le feu. (Matth. III, 11.) Donc, lui Jean ne baptisait pas dans l'Esprit. Mais pourquoi dans l'Esprit-Saint et le feu? C'est pour nous rappeler ce jour où l'on vit comme des langues de feu se reposer sur les apôtres. (Act.  II, 3.) Que le baptême de Jean fut imparfait, ne conférant ni la grâce du Saint-Esprit ni la rémission des péchés, c'est ce qui résulte des paroles de saint Paul à certains disciples qu'il avait rencontrés : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent: nous n'avons pas seulement entendu dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Il leur. dit: Quel baptême avez-vous donc reçu? Ils lui répondirent: le baptême de Jean. Alors Paul leur dit: Jean a baptisé du baptême de la pénitence (Act. XIX, 2-6), et non de la rémission. Pourquoi donc baptisait-il? Il baptisait disant aux peuples qu'ils devaient croire en Celui qui venait après lui, c'est-à-dire en Jésus. Ce qu'ayant entendu ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Et après que Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux. Voyez-vous combien le baptême de Jean était imparfait? Car s'il n'eût pas été imparfait, Paul n'aurait pas baptisé de nouveau, il n'aurait pas imposé les mains et puisqu'il a fait ces deux choses, il a proclamé J'excellence du baptême des apôtres et l'infériorité de l'autre. Nous savons maintenant quelle différence existe entre les trois baptêmes dont nous avons parlé. Mais pourquoi le Sauveur a-t-il été baptisé? quel baptême a-t-il reçu? voilà ce qu'il reste à vous apprendre.

Il n'a reçu ni le premier baptême des Juifs ni le nôtre, car il n'avait pas besoin de la rémission des péchés: elle était même impossible puisqu'il n'y avait point de péché en lui, selon ce mot de saint Pierre : Lui qui n'avait commis aucun péché et de la bouche duquel aucune parole trompeuse n'est sortie. (I Pierre, II, 22.) Qui de vous me convaincra de péché? Lisons-nous encore dans saint Jean. (Chap. VIII, 46.) Sa chair ne pouvait pas recevoir davantage l'Esprit-Saint, puisqu'elle avait pour principe l'Esprit-Saint lui-même qui l'avait formée. Si donc cette chair n'était ni étrangère à l'Esprit-Saint ni sujette au péché, pourquoi la baptiser? Mais commençons par apprendre quel baptême a reçu Notre-Seigneur et le reste sera de toute évidence. Quel fut donc ce baptême? Ce ne fut ni celui des Juifs ni le nôtre, mais celui de Jean. Pourquoi? Afin que la nature même de ce baptême nous apprît que le Sauveur n'avait pas été baptisé à cause de ses péchés, ni parce qu'il manquait de la grâce de l'Esprit-Saint, puisque ce baptême ne possédait ni l'une ni l'autre de ces deux choses, comme il a été démontré. D'où il est clair qu'il ne vint vers Jean ni pour recevoir la rémission de ses péchés, ni pour recevoir l'Esprit-Saint. Et pour qu'aucun de ceux qui étaient présents ne s'imaginât qu'il venait faire pénitence comme les autres, voyez comme Jean a prévenu d'avance cette fausse interprétation. Lui qui criait à tous : Faites de dignes fruits de pénitence (Matth. III, 8), dit au Sauveur : C'est moi qui dois être baptisé par vous et vous venez à moi. (Matth. III. 14.) Ce qu'il affirmait pour faire savoir que Notre-Seigneur n'était pas venu par le même besoin que les autres, et que loin d'être baptisé pour le même motif, il était bien au-dessus de Jean-Baptiste lui-même et infiniment plus pur. Mais pourquoi était-il donc baptisé si ce n'était ni par pénitence, ni pour la rémission de ses péchés, ni pour recevoir la plénitude de l'Esprit-Saint? Pour deux autres motifs dont l'un nous est révélé par le disciple, et l'autre indiqué à Jean par le Sauveur lui-même. Quelle cause de ce baptême Jean nous a-t-il donnée? Il fallait que le peuple sût, selon le mot de saint Paul, que (187) Jean a baptisé du baptême de la pénitence, afin que tous crussent en Celui qui devait venir après lui. (Act. XXI, 4.) C'était le but de ce baptême. S'il eût fallu parcourir toutes les maisons et faire sortir les gens dehors pour leur montrer le Christ en disant : « Celui-ci est le Fils de Dieu, » un pareil témoignage aurait été suspect et fort difficile. Si Jean eût pris avec lui le Sauveur et fût entré dans la Synagogue pour le montrer, ce témoignage eût été également suspect. Mais qu'en présence du peuple de toutes les villes répandu autour Au Jourdain et se pressant sur ses bords, il soit venu Lui-même pour être baptisé, qu'il ait été recommandé par la voix de son Père entendu du ciel, et que le Saint-Esprit se soit reposé sur Lui, sous la forme d'une colombe, voilà qui ne permet plus de douter du témoignage de Jean. C'est pour cela que le saint précurseur ajoute: Moi-même, je ne le connaissais pas (Jean, I), montrant ainsi que son témoignage est digne de foi. Comme ils étaient parents selon la chair : Voici qu'Élisabeth, votre parente, a conçu elle-même un fils (Luc, I, 36), dit l'ange à Marie en parlant de la mère de Jean, car puisque les mères étaient parentes, il est clair que leurs enfants devaient l'être également: donc, comme ils étaient parents, dans la crainte que cette parenté ne semblât être la cause du témoignage que Jean rendait au Christ, la grâce de l'Esprit-Saint disposa les choses de telle façon que Jean passa sa première jeunesse dans le désert et ainsi son témoignage ne parut point dicté par l'amitié et dans un dessein prémédité, mais inspiré par un avertissement d'en-haut. Voilà pourquoi il dit: Moi-même, je ne le connaissais pas. — Où l'as-tu donc connu? Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit. Et qu'a-t-il dit? Celui sur lequel tu verras l'Esprit-Saint descendre comme une colombe et se reposer, c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint. (Jean, I, 33.) Vous le voyez, le texte sacré parle du Saint-Esprit non comme devant descendre pour la première fois sur Jésus-Christ, mais comme devant le montrer, le désigner du doigt pour ainsi dire et le faire connaître à tous. Voilà donc pourquoi Notre-Seigneur vint se faire baptiser.

Il y a encore une autre raison qu'il indique lui-même. Quelle est-elle? Comme Jean avait dit: Je dois être baptisé par vous et vous venez vers moi, il lui répondit: Laissez faire, il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. (Matth. III, I, 1-15.) Avez-vous remarqué la modestie du serviteur? l'humilité du maître? Qu'est-ce accomplir toute justice? La justice s'entend de l'accomplissement (te tous les préceptes de Dieu, comme dans ce passage : Ils étaient tous deux justes devant Dieu et ils marchaient dans la voie de tous les commandements et de toutes les ordonnances du Seigneur, d'une manière irrépréhensible. (Luc, I, 6.) Tous les hommes devaient accomplir cette justice, mais nul n'y fut fidèle ni ne l'accomplit; c'est pourquoi le Christ paraît, et il accomplit cette justice.

4. Quelle justice y a-t-il à être baptisé, direz-vous? Obéir aux prophètes était justice. Et de même que Notre-Seigneur fut circoncis, qu'il offrit le sacrifice, qu'il observa le sabbat, et célébra les fêtes des Juifs, ainsi ajouta-t-il ici ce qui restait à accomplir en se soumettant au prophète qui baptisait. C'était si bien la volonté de Dieu que tous reçussent le baptême, que Jean nous dit : Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau (Jean, I, 3), et que le Christ lui-même s'exprime ainsi : Le peuple et les publicains sont entrés dans le dessein de Dieu en, recevant le baptême de Jean, mais les Pharisiens et les Scribes ont méprisé le conseil de Dieu sur eux, n'ayant point reçu le baptême de Jean. (Luc, VII, 29.) Si donc c'est justice d'obéir à Dieu et si Dieu a envoyé Jean pour baptiser le peuple, Notre-Seigneur a accompli ce point de la loi avec tous les autres. Comparez, si vous le voulez, les commandements de la loi à deux cents deniers : il fallait que le genre humain payât cette dette. Nous ne l'avions pas payée et la mort nous saisissait sous le poids de ces prévarications. Le Sauveur étant venu et nous ayant trouvés liés, paya notre dette, acquitta ce que nous devions et délivra ceux qui n'avaient pas de quoi solder. C'est pourquoi il ne dit pas : Il convient que nous fassions ceci ou cela, mais bien que nous accomplissions toute justice. C'est comme s'il disait : Il convient que moi le Maître je paie pour ceux qui n'ont rien. Telle est l'occasion de son baptême, la nécessité de paraître accomplir toute justice et cette cause est à ajouter à celle qui a été donnée plus haut. C'est pourquoi l'Esprit-Saint descendit sous la forme de la colombe qui est le symbole de la réconciliation avec Dieu. — C'est ainsi qu'au temps de l'arche de Noé , la colombe portant dans son bec un rameau (188) d'olivier revint annoncer la miséricorde divine et la fin du déluge. Maintenant encore, c'est sous la forme d'une colombe (remarquez que je dis forme et non pas corps), que l'Esprit de Dieu vient annoncer le pardon au monde, et présager en même temps que l'homme spirituel devra être innocent et simple et éloigné du mal, selon cette parole du Christ : Si vous ne vous convertissez et ne devenez semblables aux petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. (Matth. XVIII, 3.) La première arche est restée sur la terre après le cataclysme , mais la nouvelle arche divine, Notre-Seigneur, est retourné au ciel quand le courroux divin a été apaisé et maintenant son corps innocent et pur est à la droite du Père.

Mais puisque nous venons de parler du corps de Notre-Seigneur, nous devons vous en entretenir un instant, avant de terminer. Je sais qu'un grand nombre d'entre nous s'approchent avec empressement de la table sainte, par habitude, à cause de la solennité. Il faudrait, comme je vous l'ai dit souvent, que l'on considérât autre chose que le temps pour communier, c'est la pureté de la conscience, et non la solennité de tel ou tel jour qui donne le droit de participer à l'hostie sacrée. Car celui qui est coupable et souillé ne doit pas, même aux jours de fête, participer à cette chair sainte et adorable; mais celui qui est pur et qui a lavé ses fautes par une pénitence rigoureuse est digne aux jours de fête, comme en tout autre temps, de participer aux divins mystères et de jouir des dons de Dieu. Cependant, comme quelques-uns, je ne sais pourquoi, ne font nulle attention à cela et que beaucoup, malgré la multitude des crimes dont ils sont souillés, lorsqu'ils voient arriver une fête, sont comme entraînés à participer aux saints mystères que leur état de péché ne leur permettrait pas même de contempler des yeux, nous écarterons impitoyablement ceux que nous saurons indignes, laissant au jugement de Dieu, qui connaît les secrets des coeurs, ceux qui ne nous seront pas connus.

Mais il est une faute que tous commettent ouvertement et dont nous essayerons de vous corriger. Et quelle est cette faute ? C'est que nous ne nous approchons pas avec tremblement, mais avec un grand bruit de pieds, remplis de mauvaise humeur, criant, nous injuriant, nous frappant, nous heurtant les uns les autres, dans le plus grand tumulte. Je vous ai

dit cela souvent, et je ne cesserai de vous le répéter. Voyez ce qui se passe dans les jeux olympiques. Quand le président s'avance dans l'assemblée, couvert de son costume, une couronne sur la tête et une verge à la main, quelle docilité, quel ordre aussitôt que le héraut crie que tous soient silencieux et tranquilles. N'est-il pas étrange que le bon ordre règne dans les pompes du démon, tandis qu'il n'y a que tumulte là où le Christ appelle à lui? Silence sur les places publiques et clameurs dans les ég lise s ! La tranquillité sur la mer, au port la tempête ! Pourquoi ce bruit, encore une fois? Qui vous presse ! Est-ce la nécessité des affaires qui vous appelle ! Et ne regardez-vous donc pas comme affaire importante ce que vous faites à cette heure? Ne pensez-vous donc qu'à la terre qui vous porte ? Croyez-vous être encore dans la société des hommes? N'est-ce pas l'indice d'un coeur de pierre que de se croire encore sur la terre en ce moment et ne pas être transporté au milieu des anges avec lesquels vous avez fait monter en haut l'hymne mystique, avec lesquels vous avez chanté à Dieu le cantique du triomphe. Notre-Seigneur nous a appelés aigles lorsqu'il a dit : En quelque lieu que soit le corps, les aigles s'y rassembleront. (Luc, XVII, 37.) Afin de nous faire comprendre que nous devons monter vers le ciel et nous élever en haut, portés sur les ailes de l'Esprit; mais semblables à des reptiles nous nous traînons à terre, nous mangeons la terre. Faut-il vous dire d'où vient ce bruit et ce tumulte? De ce que nous ne vous tenons pas les portes fermées durant tout le temps de l'office divin, de ce que nous vous permettons de vous retirer et de rentrer dans vos maisons, avant la dernière action de grâces, et cependant c'est une irrévérence d'en user ainsi. Car enfin, voyons un peu ce que vous faites. A la face du Christ, en présence des saints anges, devant la table sainte, tandis que vos frères participent aux divins mystères, vous vous en allez, vous quittez tout. Mais quand vous êtes invités à un festin, quoique rassasiés les premiers, tant que vos amis sont à table vous n'osez vous séparer d'eux. Et quand il s'agit des saints mystères de Notre-Seigneur, alors que ce sacrifice saint s'accomplit encore, vous oubliez tout respect et vous vous retirez ! Qui pourrait dire que cette conduite soit pardonnable? Qui pourrait l'excuser? Faut-il vous apprendre ce que font ceux qui se retirent avant que tout soit (189) entièrement terminé et avant d'offrir les hymnes d'actions de grâces après la Cène? Ce que je vais dire paraîtra dur sans doute, mais il le faut bien à cause de la négligence du plus grand nombre. Quand, à la dernière cène et dans cette dernière nuit, Judas eut communié, il se précipita dehors et se retira, tandis que les autres apôtres étaient encore à table. Ce sont ses imitateurs qui s'en vont avant la dernière action de grâces. S'il ne fût pas sorti, il n'aurait pas trahi ; s'il n'eût pas quitté ses frères, il n'aurait pas péri ; s'il ne se fût pas précipité hors du bercail sacré, le loup ne l'aurait pas trouvé seul pour le dévorer; s'il ne s'était pas éloigné lui-même du pasteur, il ne serait pas devenu la proie de la bête féroce. Aussi s'en alla-t-il avec les Juifs tandis que les autres disciples sortirent avec le Seigneur après le cantique d'action de grâces. Voyez-vous comment cette dernière prière que nous faisons après le sacrifice rappelle l'hymne que chantèrent les apôtres? Maintenant donc, mes bien-aimés, pensons à ces choses, réfléchissons-y et redoutons la damnation qui suivit cette faute de Judas. Dieu vous donne sa propre chair et vous ne lui donnez pas même des paroles en échange ? Vous ne lui rendez pas grâces pour ce que vous avez reçu? Quand vous avez pris votre nourriture corporelle, après le repas, vous priez; mais quand vous avez participé à la nourriture spirituelle, infiniment au-dessus de toute créature visible et invisible, malgré votre bassesse et votre néant, vous ne prenez pas même le temps de témoigner la moindre reconnaissance soit par des paroles, soit par des actes. N'est-ce pas vous exposer aux derniers supplices? Ce que je vous dis, non-seulement pour vous porter à remercier Dieu, et à éviter le tumulte et les cris, mais afin que dans l'occasion le souvenir de nos exhortations vous rende plus modestes. Il s'agit ici de mystères réels ; et qui dit mystère dit aussi le silence le plus absolu. Donc, que ce soit désormais dans le plus grand silence, avec une modestie parfaite, un respect convenable que nous participions à ce sacrifice saint, afin de mériter une plus grande miséricorde de Dieu, de purifier notre âme et d'obtenir les biens éternels.

Qu'il en soit ainsi par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur, à qui soient gloire , empire et adoration, avec le Père et le Saint-Esprit maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. l'abbé GAGEY, curé de Millery.

 

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