V. DE NOËL III
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TROISIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL. Sur ces paroles : « Et vous verrez demain matin éclater la gloire du Seigneur, car vous saurez que le Seigneur va venir aujourd'hui même. (Exod. XVI, 7). »

 

1. Habitants de la terre, enfants des hommes, écoutez : Vous qui dormez dans la poudre, éveillez-vous et chantez les louanges de Dieu, car un médecin va venir visiter ceux qui sont malades; un Rédempteur, ceux qui sont vendus, ceux qui se sont égarés du droit chemin, ceux qui sont morts à la vie. Oui, voici venir celui qui va jeter tous nos péchés au fond de l’abîme, guérir toutes nos infirmités, nous charger sur ses épaules et nous ramener à notre propre et originelle grandeur. Sa puissance est grande, mais sa miséricorde est plus admirable encore, puisque celui qui pouvait nous secourir a daigné venir comme il fa fait. « Aujourd'hui, dit l'auteur sacré, aujourd'hui même, le Seigneur va venir (Exod. XVI, 6). » Ces paroles se trouvent à leur place et dans leur temps, dans la sainte Ecriture, mais l'Eglise notre mère a pu les entendre de la veille de la naissance du Seigneur. L'Eglise, dis-je, que son époux et son Dieu assiste de ses conseils et de son esprit, sur le sein de laquelle le Bien-aimé aime à se reposer, qu’il possède uniquement, et dont il s'est fait un trône pour son coeur. On peut dire, en effet, qu'elle l'a blessé au coeur, et qu'elle plonge l'œil de sa contemplation jusqu'au plus profond abîme des secrets de Dieu, en sorte qu'elle lui fait dans son propre coeur et se prépare à elle-même dans le coeur de son époux une demeure éternelle. Aussi, quand il lui arrive de changer de place ou de sens, les paroles de la sainte Ecriture, l'emploi qu'elle en fait est préférable (a) au sens et à l'ordre primitif du texte sacré; peut-être même est-il permis de dire que son sens l'emporte sur le sens littéral, autant que la vérité l'emporte sur les figures, la lumière sur l'ombre, la maîtresse sur la servante.

2. « Vous saurez donc qu'aujourd'hui même le Seigneur va venir. » A mon avis ces paroles nous donnent bien clairement l'idée de deux sortes de jours; le premier a commencé à la chute du premier homme et se continue jusqu'à la fin du monde; c'est le jour que les saints sont souvent chargé de leurs malédictions. C'est qu'en effet Adam a été chassé par ce jour du jour de splendide lumière dans lequel il avait été créé; et, précipité dans le triste réduit des choses de ce monde, il s'est trouvé au milieu d'un jour ténébreux, et presque privé de tous les rayons de la vérité. Nous venons tous au monde dans ce jour-là, qui ne mériterait même point le nom de jour, mais plutôt de nuit, si l'infatigable miséricorde de Dieu ne nous avait point laissé la lumière de la raison comme une faible étincelle. Le second jour sera celui des saints pendant d'interminables éternités, alors que se lèvera ce demain d'une infinie sérénité, ce demain qui n'est autre que la miséricorde qui nous a été promise, lorsque la mort sera vaincue dans sa propre victoire, quand, à la place des ombres et des ténèbres, on ne verra plus partout, en haut et en bas, au dedans et au dehors, qu'une splendide et véritable lumière. Aussi un saint a-t-il dit : « Faites-moi sentir ce matin même votre miséricorde (Psal. CXLII, 8), et, dès le matin nous avons été comblés de votre miséricorde (Psal. LXXXIX, 14). » Mais revenons à notre jour à nous, à ce jour qui est comparé à une veille de la nuit, à cause de sa brièveté, et que l'organe ordinaire du Saint-Esprit appelle un rien, un néant, quand il s'écrie : « Nos jours se sont évanouis (Ibid.), — mes jours se sont évanouis comme la fumée dans l'air (Ibid.), —  nos jours ont passé comme une ombre (Psal. CI, 12). — Tous les jours de ma vie sont en petit nombre et bien mauvais (Gen. XLVII, 9), » s'écriait le saint patriarche qui avait vu Dieu face à face et s'était entretenu familièrement avec lui. Or, dans ce jour, Dieu donne à l'homme la raison, il lui laisse l'intelligence, mais il faut qu'au sortir de ce monde il l'illumine lui-même de la lumière de la science; car s'il sortait dans l'obscurité complète de la prison où il

 

a Telle était l'estime de saint Bernard pour les décisions de l'Eglise catholique qu'il accordait à sa manière d'entendre le sens accommodatice des saintes Ecritures, une autorité que 1'Eglise elle-même est loin d'exiger qu'on y attache.

 

habite maintenant, et des ombres de la mort, il ne pourrait plus être éclairé de toute l'éternité. Voilà pourqnoi le Fils unique de Dieu, le Soleil de justice, tel qu'un flambeau d'une lumière aussi répandue qu'éclatante, a été allumé et projette sa lumière dans la prison de ce monde. Maintenant, tous ceux qui veulent être éclairés doivent s'approcher de lui, se réunir à lui et ne permettre que rien ne se place entre eux et lui. Or ce qui peut nous séparer de Dieu, ce sont nos péchés qu'ils disparaissent et nous sommes éclairés de la vraie lumière, nous nous rapprochons tellement d'elle que nous ne devons plus faire qu'un corps avec elle. Ainsi rapproche-t-on, sans intermédiaire étranger, un flambeau éteint de celui qui brûle encore, pour le rallumer; cet exemple, tiré des choses visibles, nous donne une idée de ce qui se passe dans le monde des choses invisibles.

3. Suivons donc le conseil du Prophète (Ose. X, 12, juxta LXX.), allumons-nous, le flambeau de la science à cet astre si grand et si brillant, avant de sortir des ténèbres de ce monde, de peur que nous ne passions des ténèbres aux ténèbres, mais à des ténèbres éternelles. Mais de quelle science parlé je? De celle       qui consiste à savoir que le Seigneur viendra, quoique nous ne puissions savoir quand il viendra. Voilà tout ce qui nous est demandé. Vous me direz peut-être que tout le monde aujourd'hui a cette science-là; quel homme, en effet, ne fut-il même chrétien que de nom, ignore que le Seigneur doit venir un jour et qu'il viendra en effet, pour juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses oeuvres? Non, mes frères, tout le monde ne sait point cela, ce n'est même su que de peu d'hommes, puisqu'il y en a si peu de sauvés. Pensez-vous, par exemple, que ceux qui sont heureux quand ils ont mal fait, et se réjouissent des pires choses (Prov. II, 14), sachent ou se rappellent qu'un jour le Seigneur viendra? S'ils l'affirmaient eux-mêmes, gardez-vous de les croire, car « celui qui dit qu'il le connaît et ne garde point ses commandements est un menteur, dit l'Apôtre (I Joan. II, 4). — Ils font profession, dit saint Paul, de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres, (Tit. I, 16) — attendu, continue saint Jacques, que la foi sans les oeuvres est une foi morte (Jac. II, 20). » En effet, ils ne se souilleraient point de tant d'impuretés s'ils savaient que le Seigneur doit venir, et s'ils redoutaient sa venue; au contraire, ils veilleraient sur eux, et ne laisseraient pas le mal faire de tels ravages dans leur âme.

4. Or, cette science, au premier degré, opère dans l'âme un sentiment de pénitence et de douleur qui change les rires en pleurs, les chants en gémissements, la joie en tristesse, et fait que tout ce qui vous plaisait le plus auparavant commence à vous déplaire, et que tout ce dont vous aviez d'abord le plus d'horreur commence à avoir des charmes pour vous. Il est écrit, en effet : « Plus on a de science plus on a de peine (Eccli. I, 18). » La conséquence de la sainte et vraie science est donc la douleur. Au second degré, elle opère la correction en tant que vous cessez, à ce degré de science, de faire servir vos membres à l'iniquité : vous réprimez la gourmandise, vous étouffez la luxure, vous abaissez l'orgueil, voue contraignez votre corps à devenir un instrument de sainteté comme il l'avait été de l'iniquité auparavant. A quoi bon, en effet, le repentir sans la correction? A rien; car, selon le mot du Sage : « Si l'un bâtit et que l'autre détruise que gagneront-ils autre chose que de la perte? Si l'un prie et que l'autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix? Si celui, qui se lave après avoir touché un mort, le touche de nouveau, de quoi lui sert-il de s'être lavé (Eccli. XXXIV, 26)? » Ne doit-il pas craindre au contraire, selon la parole même du Sauveur, qu'il ne lui arrive quelque chose de pire (Joan. V, 14)? Mais comme on ne peut se tenir dans ces deux degrés pendant bien longtemps si l'esprit n'est dans une vigilance et une circonspection continuelle, il s'ensuit que la science au troisième degré produit la sollicitude, et fait que l'homme commence à marcher avec ce sentiment inquiet avec son Dieu, exclut toute chose en tous sens, dans la crainte de choquer, même dans les moindres choses, les regards de sa redoutable majesté. Ainsi le repentir l'enflamme, la correction le brûle, la sollicitude l'éclaire, en sorte qu'il est un homme nouveau aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.

5. Mais alors il commence à respirer un peu des tribulations et de la douleur que les péchés lui ont causées; une joie spirituelle tempère l'excès de sa crainte, et l'empêche de succomber à la tristesse, à la pensée de l'énormité de ses fautes. Aussi, d'un coté, s'il craint son Juge, de l'autre il espère en son Sauveur, et lorsque la crainte et la joie marchent au-devant l'une de l'autre dans son coeur elles finissent par se rencontrer. S'il arrive encore que la crainte soit plus forte que la joie, souvent aussi la joie triomphe de la crainte, et l'enferme dans ses prisons secrètes. Heureuse la conscience où ces deux sentiments se livrent sans relâche cette sorte de combat, jusqu'à ce que ce qui est mortel soit absorbé par la vie, que ce qui reste de crainte s'évanouisse et cède la place à la joie, ce qui est la perfection même; car sa crainte ne saurait être éternelle tandis que sa joie le sera. Mais pour être ainsi allumée et éclairée, elle ne doit pas encore se croire dans la maison où l'on a coutume de porter des flambeaux allumés sans craindre le souffle des vents, il faut qu'elle se rappelle qu'elle est toujours en plein air, qu'elle s'applique à protéger de ses deux mains la lumière qu'elle porte, et qu'elle se défie des vents, lors même que l'air lui semble tranquille; car il peut changer tout-à-coup, à l'heure où elle y pensera le moins, et si elle cesse un seul instant d'être sur ses gardes, elle verra sa lumière éteinte. S'il lui arrive dans l'ardeur de sa marche de se brûler les mains, comme il arrive quelquefois, qu'elle supporte la douleur plutôt que de les éloigner de la flamme qu'elles protègent, car en un instant, en un clin d'oeil, elle peut être soufflée. Ah! si nous étions déjà dans cette demeure qui n'est point faite de main d'homme, dans la demeure éternelle du ciel, où nul ennemi ne peut entrer et dont aucun ami ne peut sortir, il n'y aurait rien à craindre; mais maintenant nous sommes exposés au souffle des trois vents les plus mauvais et les plus forts, aux vents de la chair, du diable et du monde qui ont conjuré ensemble d'éteindre la lumière de notre conscience, en soufflant dans nos cœurs, de mauvais désirs et des mouvements déréglés, et de soulever en nous tout-à-coup une telle tourmente, que nous ne puissions plus distinguer ni d'où nous venons ni où nous allons. Deux de ces vents contraires cessent quelquefois de souffler, mais personne n'a jamais obtenu de trêve du troisième. Voilà pourquoi je vous dis que nous devons protéger notre âme, des deux mains de notre coeur et de notre corps, de peur que le flambeau, qui y est enfin allumé, ne vienne à s'éteindre ; il ne faut ni céder à la tempête, ni reculer devant elle, quand le souffle des passions ébranle trop violemment le double état de l'homme, mais il faut nous écrier avec un saint: « Mon âme est toujours entre mes mains (Psalm. CXVIII, 109). » Oui, mieux vaut nous brûler les mains que céder à l'orage. Et de même qu'on ne peut facilement oublier ce qu'on porte dans ses mains, ainsi nous ne saurions oublier l'affaire de nos âmes, et le soin qu'elles réclament de nous, doit être la principale affaire de nos cœurs.

6. Quand nos reins seront ceints et que nous aurons en main nos lampes allumées, il nous faudra veiller sur la troupe de nos pensées et de nos actions, afin que le Seigneur nous trouve prêts, qu'il vienne à la première, à la seconde ou à la troisième veille de la nuit. La première veille n'est autre chose que la régularité de nos actions, et consiste, par conséquent, dans les efforts que nous devons faire pour régler notre vie tout entière selon la règle que nous avons fait voeu de suivre, et de ne point franchir les limites que nos pères ont tracées pour tous les exercices de ce genre de vie, sans incliner ni à droite ni à gauche. La seconde consiste dans la pureté d'intention, si notre oeil est sain tout notre corps sera éclairé; par conséquent, il faut que nous fassions toutes nos actions pour Dieu, et que la grâce que nous recevons retourne à sa source pour en revenir de nouveau. Enfin, la troisième veille consiste à conserver l'union et à nous faire préférer quand nous sommes dans une congrégation, la volonté des autres à la nôtre, en sorte que nous vivions avec tous nos frères, non-seulement sans divisions, mais encore en bonne intelligence, nous supportant tous mutuellement et priant les uns pour les autres, de façon qu'on puisse dire de chacun de nous «C'est un véritable       ami de ses frères et du peuple d'Israël, c'en est un qui prie beaucoup pour son peuple et pour toute la cité sainte (II Macchab. XV, 14). » Voilà donc comment ce jour-là la venue du Fils unique de Dieu allume en nous le flambeau de la véritable science, de ce savoir qui nous apprend que le Seigneur doit venir, et qui est le fondement inébranlable et perpétuel de nos moeurs.

7. « Et demain matin, dit l'écrivain sacré, vous verrez sa gloire. » O quel matin! ô jour meilleur dans les parvis du Seigneur que mille autres passés ailleurs! Quand verrons-nous ce mois succéder au mois, ce sabbat succéder au sabbat, la splendeur de la lumière et l'ardeur de la charité éclairer les habitants de la terre jusque dans ces sublimes merveilles ! Qui osera, je ne dis pas présumer assez de ses forces pour en parler, mais même pour y penser seulement? Mais en attendant, mes frères, édifions notre foi de manière à pouvoir du moins contempler quelque peu les merveilles qui s'accomplissent pour nous sur la terre s'il ne doit pas nous être donné de voir dès maintenant celles qui nous sont réservées dans les cieux. Or la toute-puissante majesté de Dieu a fait trois choses, trois mélanges, en prenant notre chair, mais trois choses si uniquement admirables et si admirablement uniques, qu'il ne s'est jamais fait et ne se fera jamais plus rien de semblable sur la terre. En effet, on a vu s'unir étroitement ensemble, Dieu et l'homme, la maternité et la virginité, 1a foi et un cœur d'homme. Ces mélanges sont admirables, mais ce qui dépasse toute merveille, c'est de voir comment des choses si diverses, si opposées entre elles, ont pu se réunir l'une à l'autre.

8. Et d'abord, considérez la création, la position et la disposition des choses. Quelle puissance a éclaté dans la création, quelle sagesse dans la disposition, quelle bonté dans la composition. Dans la création, voyez combien grandes et nombreuses sont les choses créées par la puissance, dans la position avec quelle sagesse elles ont été disposées; et dans la composition avec quelle bonté les choses les plus élevées ont été unies aux choses les plus humbles par les liens d'une si aimable et si admirable charité. En effet, au limon de la terre il a uni, dans les arbres, par exemple, une force vitale qui donne la beauté au feuillage, l'éclat aux fleurs, la saveur et leurs propriétés médicinales aux fruits. C'est peu; le Créateur a mis dans notre limon une autre force encore, la force sensible qu'on voit dans les animaux qui non-seulement ont la vie, mais encore sont doués de sensibilité, dont le siège repose dans cinq organes différents. Dieu voulut combler ensuite notre limon d'un nouvel honneur, et il lui donna la force raisonnable que nous voyons dans l'homme qui, non-seulement vit et sent, mais encore discerne entre ce qui convient et ce qui ne convient pas, entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux. Il voulut après cela élever notre bassesse à de plus hautes destinées encore, et sa grandeur se fit petite afin d'unir à notre limon ce qu'il y a de plus grand en lui, c'est-à-dire lui-même, et de ne plus faire qu'une seule et même personne de Dieu et de notre être de boue, d'une si grande majesté et d'un pareil néant, d'une telle grandeur et d'une semblable bassesse. En effet, il n'y a rien au-dessus de Dieu ni au-dessous de la boue; et pourtant Dieu daigna si bien descendre dans cette boue, et cette boue se trouva élevée si haut vers Dieu, que tout ce que Dieu fit dans notre limon, la foi nous dit que c'est notre limon même qui l'a fait; tout ce que notre limon a souffert nous disons que c'est Dieu même qui l'a enduré en lui, par un mystère non moins ineffable qu'incompréhensible. Mais remarquez encore que de même que dans cette unique divinité subsiste la Trinité des personnes, en même temps que l'unité de substance, ainsi dans ce mélange tout particulier, il y a trinité de substance et unité de personne : si dans l'une, les trois personnes ne détruisent point l'unité, de même que l'unité ne fait point disparaître la Trinité, ainsi dans le mélange dont nous parlons, l'unité de personne n'est point la confusion des substances, non plus que le nombre des substances n'empêche point l'unité de personne. Voilà l'œuvre admirable, l'oeuvre unique entre toutes et qui les dépasse toutes, que la suprême Trinité nous a montrée, cette Trinité où le Verbe de Dieu, l'âme et le corps, forment une seule personne; ces trois ne font qu'un et cet un fait trois, sans confusion de substances mais par l'unité de personne. Voilà le premier et surexcellent mélange, il est le premier des trois. Mais, ô homme, n'oublie pas que tu n'es que boue et ne te laisses point aller à l'orgueil; que tu es uni à Dieu, ne te montre point ingrat.

9. Le second mélange est celui d'une vierge-mère; il est admirable et sans exemple; jamais on n'a entendu parler d'une vierge qui fût mère et d'une mère qui fût vierge; jamais, dans le cours ordinaire des choses, la virginité ne se rencontre là où est la fécondité, ni la fécondité là où se trouve la virginité. Il n'y a que dans ce mélange que la virginité et la fécondité se sont rencontrées; là seulement s'est fait ce qui ne s'était jamais vu auparavant, et ne se renouvellera plus jamais dans la suite; car ce mélange est sans exemple avant lui et ne se répètera plus. Le troisième mélange est celui de la foi et du coeur de l'homme; il est sans doute bien inférieur aux deux premiers mélanges, mais peut-être n'est-il pas moins fort. Est-il, en effet, rien d'aussi surprenant que de voir comment le coeur de l'homme a ajouté foi aux deux premiers mélanges, au point de croire que Dieu fût homme, et qu'une vierge mère fût demeurée vierge? De même que le fer et l'argile ne peuvent s'unir, ainsi ces deux choses ne peuvent se fondre en une si l'esprit même de Dieu n'en fait le mélange. Faut-il donc croire que celui qui est déposé dans une crèche, qui vagit dans des langes, et ressent les mêmes nécessités que les autres enfants, qui est flagellé, conspué, crucifié, mis dans un sépulcre et renfermé entre deux pierres, soit le Dieu grand et immense? Sera-ce une vierge que cette femme qui allaite son enfant, et dont un mari partage la couche et la table? qu'il accompagne lorsqu'elle va en Egypte et quand elle en revient, et fait seul avec elle un voyage si long et si solitaire? Comment a-t-on pu faire croire cela aux hommes, le faire accepter de l'univers entier? Et pourtant cela s'est cru avec une telle facilité et une telle force, que moi-même je me sens porté à le croire, à cause de la multitude de ceux qui le croient. Des jeunes gens et des jeunes filles, des vieillards et des enfants ont préféré souffrir mille morts plutôt que de douter un seul instant de ces merveilles.

10. Oui, le premier mélange est excellent, mais le second l'est davantage, et le troisième l'est bien plus encore. Le premier, l'oreille l'a entendu, mais l'oeil ne l'a point vu. Eu effet, on a entendu prêcher et on a su d'un bout du monde à l'autre ce grand mystère d'amour; mais l'œil de l'homme n'a point vu, il n'y a que vous, ô mon Dieu, qui ayez vu, comment vous vous êtes uni à un corps semblable au nôtre dans l'étroit espace du sein d'une vierge. Quand au second mélange, l'oeil de l'homme l'a vu; car cette reine unique, qui conservait soigneusement le souvenir de toutes ces merveilles et les repassait dans son coeur, sut qu'elle était en même temps vierge et féconde; et Joseph, qui ne fut pas moins le témoin que le gardien d'une telle virginité, en eut aussi connaissance. Enfin, le troisième a trouvé place dans le coeur de l'homme, qui a cru ce qui a été fait, comme il a été fait; qui tient pour certain et croit très-fermement, non parée qu'il J'a vu, mais parce qu'il l'a entendu prêcher, ce qui s'est fait, et lui a été annoncé. Or, voyez dans le premier mélange ce que Dieu vous a donné; dans le second, par quel moyen il vous l'a donné; et dans le troisième, pour quel motif il vous l'a donné. Il vous a donné le Christ par Marie, pour vous guérir. Dans le premier mélange est un remède, un cataplasme fait de Dieu et de l'homme pour guérir toutes nos infirmités. Ces deux espèces se sont trouvées mélangées dans le sein de la Vierge, comme dans un mortier, le Saint-Esprit fut le pilon qui les mêla avec douceur. Mais, comme tu étais indigne, ô homme, de le recevoir directement, il fut donné à Marie, afin que tu reçusses d'elle tout ce que tu peux avoir; et Marie, en tant qu'elle est mère, 'a donné pour toi le jour à Dieu, et en tant qu'elle est vierge elle a mérité d'être exaucée dans ta cause, dans la cause du genre humain tout entier. Si elle n'était que mère, il lui suffirait d'être sauvée en mettant des enfants au monde; si elle n'était que vierge, elle se suffirait à elle-même ainsi; mais le fruit béni de ses entrailles ne serait point le prix du genre humain. Ainsi, dans le premier mélange se trouve le remède, dans le second il nous est appliqué; car Dieu a voulu que nous n'eussions rien qui ne nous vînt par Marie; mais dans le troisième se trouve le mérite, attendu que nous ne pouvons croire, avec une ferme foi, toutes ces choses, sans acquérir par là un mérité; or, dans la foi se trouve la guérison, puisqu'il est dit . « Celui qui croira sera sauvé (Marc. XVI, 16). »

 

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