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SIXIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL.
L'Annonciation de Jésus-Christ.
1. Nous avons entendu un mot plein de grâce,une parole vraiment digne d'être bien reçue : «Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. n Mon âme s'est fondue d'aise en l'entendant, mon coeur est embrasé dans ma poitrine, il a hâte de vous faire part de son bonheur et de son allégresse, et de répondre ainsi à vos désirs habituels. Jésus signifie Sauveur: Est-il rien de plus nécessaire qu'un Sauveur à des hommes qui sont perdus, de plus désirable à des gens dans le malheur et de plus utile à quiconque est dans un état désespéré. En effet, sans lui d'où attendre le salut, ou plutôt comment en concevoir même la plus faible espérance sous la loi du péché, dans ce corps de mort, dans ces jours mauvais et dans ce séjour d'affliction, si elle ne renaît inopinément pour nous ? Ainsi peut-être désirez-vous faire votre salut, mais, pénétrés de la gravité du mal qui vous ronge et de votre délicatesse, vous avez peur que le remède soit trop pénible à supporter. Ne craignez plus, le Christ est on ne peut plus doux et aimable, il est plein de miséricorde, et Dieu l'a sacré d'une huile de joie en une manière plus excellente que tous ceux qui participeront à sa gloire, c'est-à-dire que ceux qui recevront au moins une partie de sa plénitude, sinon la plénitude même de l'huile de son sacre. Mais en m'entendant dire qu'il est doux, n'allez pas croire qu'il est inefficace, car le Sauveur est en même temps le Fils de Dieu. Or, tel Père tel Fils, il n'a qu'à vouloir pour pouvoir. Ou bien peut-être encore à ce mot d'un Sauveur aussi utile qu'aimable, murmurez-vous je ne sais quoi et parlez-vous de condescendance. Pour ce qui vous regarde, vous êtes heureux d'avoir un Sauveur, parce que vous êtes cloués par la paralysie sur votre grabat, ou même étendus à demi-mort au milieu de la route qui va de Jérusalem à Jéricho; vous vous sentez même d'autant plus heureux que ce médecin est doux, ne fait point usage de médecines difficiles à prendre ; autrement, peut-être auriez-vous mieux aimé demeurer toujours malades que de vous voir guérir en peu de temps, mais à condition de suivre un traitement bien pénible. Car il y en a beaucoup de nos jours qui périssent parce qu'ils fuient le médecin; ils ne le connaissent que sous le nom de Jésus, mais ne savent point qu'il est le Christ et ne jugent de la difficulté du remède qui leur est préparé que par le sentiment qu'ils ont du nombre et de la malignité des maladies dont ils sont atteints. 2. Mais si vous êtes sûr d'avoir un Sauveur et si vous savez en même temps qu'il est Christ, et ne se sert point de caustique, mais de baume, non du feu, mais de l'huile; je crois qu'il peut encore y avoir une préoccupation dans l'esprit d'une créature de noble origine, c'est que peut-être, ce qu'à Dieu ne plaise, la personne de ce Sauveur ne soit pas digne d'elle. Mais je ne puis croire que vous soyez assez ambitieux, assez vaniteux, ni assez soucieux du point d'honneur pour ne vouloir point au besoin être guéri, même par un de vos compagnons d'esclavage s'il pouvait vous rendre la santé. Si c'était un ange, un archange ou quelqu'un des esprits célestes d'un, rang plus élevé encore, peut-être votre vanité ne trouverait-elle plus rien à dire. Recevez donc ce Sauveur avec d'autant plus d'empressement que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, a reçu un nom plus grand que tous les autres noms. Voyez, en effet, si ce ne sont pas là les trois choses que l'ange qui parla aux bergers de Bethléem, leur recommande clairement, quand, en leur annonçant la bonne et grande nouvelle, il leur dit : «Il vous est né aujourd'hui un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur (Luc. II, 11).» Réjouissons-nous donc, mes frères, félicitons-nous vivement de cette naissance, que signalent d'une manière si éclatante à nos yeux, l'utilité que nous en tirons pour notre salut, la douceur du remède qui consiste en une onction et la majesté du Fils même de Dieu, et qui nous donne tout ce que nous pouvons souhaiter le plus ardemment, l'utile, l'agréable et l'honnête. Oui, réjouissons-nous, vous dis-je, repassons en nous-mêmes et redisons-nous mutuellement cette suave parole, ce mot plein de' douceur : «Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. 3. Et que personne ne me dise avec aussi peu de piété que de reconnaissance et de religion : cela n'est pas nouveau; c'est jadis que cette parole s'est fait entendre, il y a bien longtemps qu'on l'a dite pour la première fois, et que le Christ est né. Je suis de votre avis; il y a longtemps qu'on l'a prononcée, elle l'a été bien avant nous, ne vous étonnez pas de m'entendre dire qu'il y a bien1ongtemps, et qu'elle a été prononcée bien avant nous, car je me rappelle ces paroles du Prophète : « Elle est de toute éternité et depuis plus longtemps encore (Exod. XX, 18). » Oui, le Christ est né, non pas seulement avant ce siècle où nous vivons, mais avant tous les temps, sa naissance se perd dais la nuit des temps, ou plutôt dans la lumière inaccessible, dans le sein du Père, sur une montagne couverte d'ombre et de ténèbres épaisses. Or, c'est pour se faire connaître qu'il est né, mais qu'il est né dans le temps, de la chair et dans la chair, que le Verbe s'est fait chair. Faut-il s'étonner après cela qu'aujourd'hui encore l'Eglise, en parlant de celui dont il était dit si longtemps avant sa naissance . « Un enfant nous est né ( Isa. IX, 6), » dise aussi il est né? Cette parole a retenti autrefois à l'oreille des saints qui ne se sont -jamais lassés de l'entendre. D'ailleurs il s'agit de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, hier, aujourd'hui et toujours. C'était sans doute pour exprimer ce grand mystère que l'Apôtre nous a plus tard. si clairement montré dans le Christ et son Eglise, que le premier homme, notre père à tous, a dit : « L'homme abandonnera son père et sa mère, pour s'attacher à sa femme, et de deux qu'ils étaient ils deviendront une seule chair (Ephes. V, 31 et Gen. II, 24).» 4. Mais voilà aussi pourquoi Abraham, le père des croyants, a vivement désiré voir ce jour et l'a vu en effet (Joan. VIII, 56). Et quand il ordonna à son serviteur de placer sa main sous sa cuisse et de lui faire serment au nom du Dieu du ciel, certainement il prévoyait que ce Dieu du ciel devait naître de lui un jour. Ce même Dieu qui, en disant à l'homme selon son coeur. « J'établirai sur votre trône le fruit de votre ventre (Psal. CXXXI, 11), » faisant avec serment une promesse pleine de vérité, dont il ne devait point être frustré, avait initié David au secret de ses desseins, et c'est évidemment pour l'accomplissement des promesses faites à nos pères que, selon ce que l'ange annonce, il est né à Bethléem de Juda, la cité de David. Il avait été annoncé autrefois à nos pères et aux prophètes, en diverses occasions et de diverses manières, qu'il en serait ainsi. Loin de nous la pensée que ces oracles aient été froidement entendus par les amis de Dieu. Certainement, celui qui s'écriait: «Envoyez, Seigneur, celui que vous devez nous envoyer (Exod. IV, 13), » ne les avait point entendus d'une oreille distraite; et celui, qui disait: » O Seigneur, si vous vouliez ouvrir les cieux et eu descendre (Is. LXIV, 1), » ne les avait point non plus entendus avec indifférence. Je pourrais en dire autant de beaucoup d'autres encore. Vinrent ensuite les apôtres qui virent de leurs yeux, entendirent de leurs oreilles, et touchèrent de leurs mains le Verbe de vie, qui leur disait avec raison: Bienheureux les yeux qui voient ce qu'il vous est donné de voir (Matth. XIII, 16). » Enfin, les mêmes merveilles nous ont été réservées à nous autres chrétiens, mais dans les trésors de la foi, et c'est pour nous qu'il a dit encore. « Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru (Joan. XX, 29). » Voilà notre part dans la parole de vie. N'allez point la trouver méprisable, car c'est de la foi qu'on vit, et c'est par elle qu'on vainc le monde; il est dit en effet, le juste vit de la foi (Abac. II, 4), et la victoire par laquelle le monde est vaincu, n'est le fait que de notre foi (I. Joan. V, 4). Oui, semblable à l'éternité, elle renferme dans les vastes replis de son sein, le passé, le présent et l'avenir, en sorte que pour elle, rien n'est passé, rien ne passe, rien ne la dépasse. 5. C'est donc avec raison qu'en témoignage de votre foi, dès que cette nouvelle retentit à vos oreilles, vous avez tressailli d'allégresse, vous vous êtes répandus en actions de grâce, vous vous êtes prosternés jusqu'à terre tous ensemble, comme pour vous réfugier, pleins d'espérance, à l'ombre de ses ailes, et vous cacher jusque dans ses plumes. En apprenant que le Sauveur est né, ne vous êtes-vous point écriés tous au fond de vos coeurs : «Pour moi, mon bonheur est de demeurer attaché a Dieu (Psal. LXXII, 28) ? » Ou plutôt, n'avez-vous point dit avec le prophète : « O mon âme, soyez soumise à votre Dieu (Psal. LXI, 6) ? » O que je plaindrais ceux qui ne se prosternant qu'en apparence, ont abaissé leur corps eu conservant leur coeur toujours orgueilleusement levé, car « Il y en a qui s'humilient malicieusement et qui ont le fond du coeur plein de tromperie (Eccli. XIX, 23). » Je les plaindrais, parce que ceux qui n'ont point suffisamment arrêté leurs regards sur leur misère, sentent moins vivement leurs maux, redoutent moins le danger qui les menace, ont recours avec moins de piété, aux remèdes que leur assure le Sauveur en naissant, se soumettent avec moins d'amour à Dieu et chantent avec une foi moins vive: « Seigneur, vous êtes notre refuge (Psal. LXXXIX, 1), » leurs hommages sont moins agréables, leurs prosternements moins sincères, leurs humiliations moins humbles, leurs victoires moins complètes et leur foi beaucoup moins vive. Mais pourquoi dit-il : « Bienheureux ceux qui n'ont point vu et ont cru (Joan. XX, 29). » Est-ce que croire n'est pas une manière de voir? Remarquez bien à quiet dans quelle circonstance il parlait ainsi; c'était à l'Apôtre qui n'avait cru que parce qu'il avait vu. Il est évident qu'il y a une différence, entre croire parce qu'on a vu, et voir en croyant. D'ailleurs, de quelle manière faut-il penser que votre père Abraham a vu le jour du Seigneur, si ce n'est par la foi ? Mais comment faut-il aussi entendre ces paroles que vous chantiez cette nuit: «Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts, car demain vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous, » si ce n'est pas synonyme de voir en esprit, de se représenter par la piété et la dévotion, d'honorer, par une foi non feinte, ce grand mystère de charité de Jésus-Christ, qui s'est manifesté dans la chair, a été justifié dans l'esprit, a apparu aux anges, a été prêché aux nations, a été cru de l'univers et s'est élevé au ciel plein de gloire. 6. Ce qui renouvelle sans cesse nos pensées est toujours nouveau, et ce qui ne cesse de porter ses fruits sans jamais se faner, n'est jamais vieux. Or, tel est le saint auquel il est donné de ne point connaître la corruption, tel est l'homme nouveau qui, bien loin d'être capable de vieillir, rend une vraie jeunesse pleine de vie, à ceux-mêmes, qui ont vieilli jusque dans la moëlle de leurs os. Voilà pourquoi, dans la joyeuse nouvelle qui nous est annoncée aujourd'hui, il est dit, si vous l'avez remarqué, non pas il est né, mais il naît : « Jésus-Christ, le fils de Dieu, naît à Bethléem, de Juda. » De même que tous les jours, il s'immole encore d'une certaine manière, tant que nous annoncions sa mort, ainsi semble-t-il naître tant que nous représentons, parla foi, sa naissance. Demain donc, nous verrons la majesté de Dieu, mais en nous, non pas en lui: c'est-à-dire, sa majesté dans l'humilité, sa force dans la faiblesse, Dieu dans l'homme; car il est l'Emmanuel; en d'autres termes, le Dieu en nous. Mais écoutez encore, les mots sont plus clairs : « Le Verbe, est-il dit, s'est fait chair, et il a habité parmi nous (Joan. I, 14). » Aussi, depuis lors et toujours, nous avons vu sa gloire, mais une gloire telle qu'il convient au Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Ce n'est pas la gloire de la puissance ou de la splendeur du Père. Mais la gloire de la bonté du Père, la gloire de la grâce que nous avons vue, cette gloire dont l'Apôtre a dit: « Afin que la louange en soit donnée à la gloire de sa grâce (Ephes.1,6). ». 7. Ainsi donc il naît; mais où pensez-vous que ce soit? « A Bethléem de Juda (Luc. II,15), » il ne faut pas en effet chercher ailleurs, car les bergers ne disent point: allons au-delà de Bethléem, mais «passons à Bethléem. » Eh quoi, n'est-ce point une pauvre petite bourgade ? N'est-ce point la moindre des villes de Juda 2 Oui, mais il n'y a rien là d'indigne de celui qui de riche s'est fait pauvre pour nous, de Seigneur plein de grandeurs et de gloire est devenu pour nous un tout petit enfant ; de celui enfin qui disait : «Bienheureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux est à eux (Matth. V, 3), » et « si vous ne vous convertissez et ne devenez comme ce petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matth. XVIII, 8).» Aussi fit-il choix d'une étable et d'une crèche, d'une maison de terre, d'un abri construit pour des animaux, afin que nous sachions bien qu'il est celui qui élève le pauvre de dessus son fumier, et qui sauve les hommes et les bêtes. 8. Plaise à Dieu que nous soyons la Bethléem de Juda et que le Seigneur nous fasse la grâce de naître en nous et de nous dire : « Puisque vous craignez le Seigneur, le Soleil de justice naîtra au milieu de vous (Malach. IV, 2) ! » Peut-être les paroles que nous citions plus haut signifient-elles que pour voir la majesté de Dieu en nous, nous avons besoin en même temps de nous sanctifier et de nous tenir prêts. En effet, selon le prophète « la Judée devint sa sanctification (Psal. CXIII, 2), » attendu que la confession purifie tout. Quant au nom de Bethléem, qui veut dire la maison du pain, il me semble qu'il est mis là pour signifier la préparation. En effet, comment celui, qui dit « Je n'ai pas de pain à la maison (Is. XXXI, 7), » serait-il prêt pour recevoir un ami? N'est-ce point parce qu'il n'était pas prêt que l'homme de l'Évangile fut contraint d'aller au milieu de la nuit frapper à la porte de son ami en disant : « Un de mes amis qui est en voyage vient de m'arriver et je n'ai rien à lui donner (Luc. XI, 6) . » C'était sans doute du juste que parlait le Prophète, quand il disait : « Il a toujours le coeur prêt à espérer dans le Seigneur; et comme il est fortement affermi dans cette espérance, il ne sera point ébranlé (Psal. CXI, 8). » On ne peut donc pas regarder comme étant prêt, un coeur qui a oublié de manger son pain, il n'a même plus de sang; au contraire, celui qui oublie le passé pour ne plus songer qu'à ce qui est placé devant ses yeux et au but auquel il tend, est vraiment tout prêt, il n'est point troublé et peut garder les commandements qui donnent la vie. Vous voyez qu'il y a deux oublis, l'un qu'on doit fuir, et l'autre qu'on doit désirer, de même que s'il y eut une partie de la tribu de Manassé qui passa le Jourdain, il y en eut une aussi qui resta sur la rive opposée. Il y en a qui oublient le Seigneur qui les a créés, et il y en a qui l'ont sans cesse présent aux yeux de leur pensée, oubliant leur peuple et la maison même de leur père; les premiers oublient le ciel, les seconds, la terre; ceux-là, le présent, ceux-ci, l'avenir; les uns ce qui se voit, les autres les choses invisibles; enfin, les premiers s'oublient eux-mêmes, les seconds oublient Jésus-Christ. Ce sont les deux demi-tribus de Manassé, ayant l'une et l'autre chacune son oubli, mais fane oublie Jérusalem, l'autre, Babylone; l'une oublie ce qui peut la retenir, elle est prête; l'autre au contraire oublie ce qui peut lui être utile et dont elle ne devrait jamais perdre le souvenir; celle-là n'est pas prête pour voir la majesté de Dieu en soi. Car ce n'est point la maison du pain où le Sauveur doit naître, et ce n'est pas le Manassé à qui doit apparaître celui qui est le chef d'Israël, et qui s'assied sur les Chérubins (Psal. LXXIX, 2), selon ces paroles du Prophète : « Apparaissez, Seigneur, devant Ephraïm, Benjamin et Manassé (Ezech. XIV. 14). » Je pense que ces trois tribus représentent ceux qui sont sauvés, les mêmes qu'un autre prophète désigne sous les noms de Noé, Daniel et Job, et que rappellent ces trois bergers à qui l'ange annonça la grande et bonne nouvelle de la naissance de l'Ange du grand conseil. 9. Peut-être aussi les trois mages signifient-ils aussi ceux qui viennent non plus seulement de l'Orient, mais aussi de l'Occident, pour s'asseoir avec Abraham, Isaac et Jacob. En effet, ce n'est peut-être point s'éloigner du sens des mots que de rapporter Ephraïm, qui signifie fructification, à l'offrande de l'encens, attendu que c'est à ceux que Dieu a établis pour aller et pour produire des fruits, c'est-à-dire aux pasteurs de l'Eglise, d'offrir de l'encens pour être un holocauste d'agréable odeur. Quant au mot Benjamin, le fils de la droite, il doit offrir l'or, c'est-à-dire la substance de ce monde, en sorte que le peuple fidèle, placé à la droite du juste juge, s'entende dire de sa bouche : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, etc. (Matth. XXV, 35). » Pour ce qui est de, Manassé, si toutefois il veut être celui à qui Dieu apparaît, il offrira la myrrhe de la mortification, qui, selon moi, est particulièrement le fruit de notre profession. Ce que je dis, afin que nous n'appartenions point à cette demi-tribu de Manassé, qui s'est fixée au-delà du Jourdain, et qu'oubliant ce qui est derrière nous, nous dirigions toutes nos pensées et tous nos efforts vers le but qui est placé devant nous. 10. Mais revenons à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. Comme je vous l'ai déjà dit, Bethléem signifie la maison du pain, il est donc bon pour nous de nous y trouver. Là où est le Verbe de Dieu, ne peut manquer de se trouver en même temps le pain qui fortifie le coeur, selon ces paroles du Prophète: « Fortifiez-moi par vos paroles (Psal. CXVIII, 28). » Après tout, l'homme vit de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, il vit en Jésus-Christ et Jésus-Christ vit en lui. C'est là qu'il vit, là qu'il se manifeste ; or il n'aime point les coeurs inconstant et peu fermes, il n'aime que les coeurs solides et stables. Quiconque murmure, hésite, chancelle, songe à retourner à sa bauge et à son vomissement, quiconque nourrit la pensée de renoncer à ses voeux et à ses engagements, celui-là n'est pas une Bethléem, n'est pas la maison du pain; car il n'y a que la famine la plus intense qui puisse ainsi pousser un homme à descendre en Egypte, à faire paître les pourceaux et à envier les cosses dont on les nourrit, parce qu'il est loin de la maison de son père, loin de la maison du pain, de la maison où les mercenaires mêmes reçoivent du pain à discrétion. Le Christ ne naît donc point dans ces coeurs-là; ils manquent d'une foi forte qui est le vrai pain de vie, selon ces paroles de la sainte Ecriture : « Le juste vit de la foi (Abac. II, 4), » attendu que la vraie vie, qui n'est autre que Jésus même, n'habite que par la foi dans nos coeurs. D'ailleurs, comment Jésus peut-il naître en eux, comment le salut se lèverait-il pour eux, s'il est incontestablement vrai que celui-là seul qui « persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Matth. X, 32) ? » Evidemment, on ne saurait trouver le Christ en eux et ce n'est pas d'eux qu'il a été dit : « Pour vous, vous avez reçu l'onction du Saint-Esprit (Joan. LXVI, 2). » On le voit bien à ce que leur coeur s'est desséché depuis le moment où ils ont oublié de manger leur pain. Mais ils ne con viennent pas davantage au Fils de Dieu qui est tel que son esprit n'a les yeux que sur les gens humbles, pacifiques et craignant ses paroles; il ne peut y avoir d'alliance possible entre l'éternité et une pareille inconstance, en celui qui est par excellence et celui qui n'est pas deux instants de suite dans le même état. Mais d'ailleurs quelque fermes et quelque forts que nous soyons dans la foi, quelque bien disposés et quelque pourvus de pains que nous nous trouvions, grâce à celui à qui nous disons tous les jours . « Donnez-nous aujourd'hui :notre pain de chaque jour (Matth. VI, 14), » nous devons encore ajouter à notre prière, « pardonnez-nous nos offenses » car si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (I. Joan. I, 8). » Or la vérité c'est précisément celui-là même qui naît non pas simplement à Bethléem mais à Bethléem de Juda, c'est-à-dire Jésus-Christ, le Fils de Dieu. 11. Hâtons-nous donc de nous présenter devant le Seigneur pour confesser ses louanges, de nous sanctifier et de nous tenir prêts, afin d'être trouvés des Bethléems de Juda et de mériter de voir naître le Seigneur en nous. Mais s'il se trouve une âme, ce qui nous intéresse beaucoup, une âme, dis-je, qui en soit venue au point d'être une vierge féconde, une étoile de la nuit; une âme pleine de grâce, sur laquelle le Saint-Esprit descende, je pense que le Christ daignera naître non-seulement en elle mais d'elle. Sans doute nulle âme ne peut penser cela de soi, à moins qu'il ne l'ait comme désignée lui-même du doigt, en disant. « voici quelle est ma mère, et quels sont mes frères (Matt. XII, 49). » Mais écoutez pourtant un de ceux que le Sauveur désignait en parlant ainsi; « Mes petits enfants, dit-il, vous pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (Gal. IV, 19). » Si le Christ semblait naître en eux, quand le Christ était formé en eux, comment pourrait-on dire qu'il ne naît pas de même de celui qui, en un certain sens, sentait de nouveau les douleurs de l'enfantement en eux? Mais toi-même, Synagogue impie, c'est toi qui nous as mis cet enfant au jour, sinon avec les sentiments du moins avec la fécondité d'une mère. Tu l'as rejeté de ton sein, tu l'as fait sortir de tes murs, et, l'élevant entre le ciel et la terre, il semble que tu as dit à l'Eglise des nations et à l'Eglise des premiers nés qui sont dans le ciel : ni vous, ni moi ne l'aurons, qu'on le coupe par la moitié, ou plutôt qu'on le partage non pas pour que- nous en ayons chacun notre part, mais pour que nous en soyons également privées. En effet, après l'avoir chassé de ton sein, tu l'as ensuite pris en tes mains et élevé en l'air; mais tu ne l'as éloigné et élevé que dans la mesure nécessaire pour qu'il ne fût plus dans ton enceinte, et qu'il ne touchât plus à la terre; puis tu l'as environné de fer, pour l'empêcher de s'écarter d'un côté ou de l'autre. Tu voulus que, séparé de toi, il n'appartint ni à l'une ni à l'autre Eglise. O mère cruelle, tu as voulu qu'il fût comme un enfant né avant le terme, en empêchant que personne le reçût à sa naissance. Eh bien, vois maintenant à quoi tu as réussi, ou plutôt vois que tu n'as réussi à rien. Toutes les filles de Sion sortent de leur demeure pour voir leur roi Salomon couronné du diadème que tu lui as mis sur la tête. Et lui, quittant sa mère, il s'est attaché à son épouse, pour ne plus faire qu'un avec elle en une seule chair. Chassé de ton enceinte et élevé de terre, il attire tout à lui, car il est le Dieu béni par dessus tout dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.
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