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LIVRE PREMIER : Validité et Nullité du Baptême Hérétique.
Saint Augustin y prouve que le baptême peut être conféré hors de la communion catholique par des hérétiques ou des schismatiques. Toutefois ce nest pas de leurs mains quon doit le recevoir, et il ne sert de rien tant que lon reste volontairement dans te schisme ou lhérésie.
VALIDITÉ DU BAPTÊME ET DE LORDINATION DES SCHISMATIQUES.
LE BAPTÊME, POUR LES ADULTES, NEST EFFICACE QUE DANS LUNITÉ.
AFFIRMATIONS CONTRADICTOIRES DES CATHOLIQUES ET DES DONATISTES.
CEST UN CRIME DE DEMANDER LE BAPTÊME AUX DONATISTES.
LES DONATISTES CONFONDUS PAR LEURS PROPRES SECTES.
UN SEUL MEMBRE MALADE MET TOUT LE CORPS EN DANGER.
SANS LA CHARITÉ TOUT LE RESTE EST INUTILE.
SANS LA CHARITÉ LES PÉCHÉS NE SONT PAS REMIS.
EN QUEL SENS LES PÉCHÉS REVIVENT APRÈS LE BAPTÊME.
EXEMPLESTIRÉS DU BAPTÊME CONFÉRÉ EN CAS DE MORT.
IL NY A DE BAPTÊME QUE CELUI DE DIEU ET DE LÉGLISE.
CEUX QUI APPARTIENNENT A LANCIEN ET AU NOUVEAU TESTAMENT.
DE QUELLE MANIÈRE LÉGLISE ENFANTE LES UNS ET LES AUTRES.
CEUX QUE LÉGLISE REJETTE OU CONSERVE.
DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LE BAPTÊME.
EXAMINE LA LETTRE DE SAINT CYPRIEN SUR LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME.
CHAPITRE PREMIER.VALIDITÉ DU BAPTÊME ET DE LORDINATION DES SCHISMATIQUES.
1. Dans ma réponse à la lettre de Parménien, jai promis de traiter plus à fond la question du baptême (Contre la lettre de Parménien, liv. II, ch. XIV); et même, en dehors de toute promesse de ma part, je devrais encore entreprendre ce travail, pour faire droit aux instantes supplications qui me sont adressées par mes frères. Mappuyant donc sur le secours du Seigneur, je me propose, non-seulement de réfuter et de résoudre les difficultés que nous opposent les Donatistes, mais encore de justifier de tout schisme le bienheureux martyr Cyprien, sur lautorité duquel ils osent sappuyer pour sobstiner dans leur perversité, et fermer les yeux à lévidence de la vérité. A tous ceux que naveugle pas la fureur du parti pris, je prouverai que Cyprien, loin de les autoriser, les condamne et les réprouve. 2. Dans les livres que je viens de rappeler, jai dit hautement que le baptême peut être conféré en dehors de la communion catholique, comme il peut y être possédé et conservé. Tous les Donatistes naffirment-ils pas que les apostats conservent en eux le caractère du baptême? Et, en effet, quun apostat se repente de son crime et revienne à résipiscence, on ne lui rend pas le baptême, ce qui prouve quon le regarde comme layant conservé. De même, sil sagit de ceux qui par le schisme se sont séparés de lEglise, il nest pas moins certain quils conservent le baptême reçu avant leur séparation; car sils font pénitence, et rentrent dans lunité, on ne leur réitère pas le sacrement, ce qui prouve quon les regarde comme nayant pu perdre, par leur crime, le baptême quils avaient précédemment reçu. Or, si lon peut validement posséder le baptême hors de IEglise, pourquoi donc ne pourrait-on pas ly conférer validement? Mais, me direz-vous, cette collation du baptême hors de lEglise nest pas légitime; je vous réponds La possession du baptême hors de lEglise nest pas légitime, et cependant elle existe; de même la collation nest pas légitime, et cependant elle est valide. Hors de lEglise le baptême que vous aviez reçu vous devenait inutile pour le salut, tandis quil recouvre son efficacité dès que vous êtes rentré dans lunité; de même, dès que vous rentrez dans lunité, le sacrement qui vous avait été inutilement conféré hors de lEglise, commence à produire en vous ses (67) nombreux effets. Cest donc une erreur de soutenir que ce qui a été donné na pas été donné; ou daffirmer que tel homme na pu donner ce quil assure avoir reçu validement. En effet, dès quun homme est baptisé, il possède le sacrement de baptême, et dès quil est ordonné, il ale droit et le pouvoir de baptiser. Or, de même que celui qui est baptisé ne perd pas le sacrement de baptême, en se séparant de lunité; de même en se jetant dans le schisme, celui qui a été ordonné ne perd pas le droit de conférer le baptême. Aucun de ces deux sacrements ne saurait être outragé : si lun des deux quitte les méchants, lautre les quitte également; et si lun des deux persévère au milieu des méchants, lautre y persévère au même titre. De même donc quon ratifie le baptême que na pu perdre celui qui sétait séparé de lunité; de même on doit ratifier le baptême conféré par un ministre, qui, en se séparant de lunité, navait pas perdu le sacrement de lordination. On ne réitère pas le baptême à ceux qui, rentrant dans lunité, avaient reçu ce sacrement avant de tomber dans le schisme; de même on ne réitère pas lordination à ceux qui, rentrant dans lunité, avaient été ordonnés avant de tomber dans le schisme: si lEglise le juge utile, elle leur permet dadministrer ce quils administraient; et si, pour les punir, elle leur refuse cette autorisation, elle ne laisse pas de les regarder comme réellement ordonnés et sabstient de leur imposer les mains, comme elle les impose aux laïques. Félicianus, par exemple, avait-il donc perdu le baptême et lordination, en quittant les Donatistes pour embrasser la secte de Maximien? Est-ce que ces mêmes Donatistes nont pas ouvert leurs rangs à tous ceux que Félicianus avait baptisés pendant quil appartenait au schisme de Maximien? Ainsi donc, des hommes qui navaient jamais appartenu à lEglise, ont pu recevoir de la main des Donatistes et des Maximianistes ce que ceux-ci navaient pas perdu en se séparant de lunité. Jen conclus que cest une impiété sacrilège de vouloir rebaptiser lunité catholique, et que nous sommes parfaitement dans la vérité lorsque nous refusons dinvalider les sacrements, alors même quil ont été conférés dans le schisme. En effet, les schismatiques sont avec nous dans les points sur lesquels ils pensent comme nous; comme aussi ils se séparent de nous dans les points sur lesquels ils ont une doctrine différente de la nôtre. Rappelons-nous quil sagit ici de matières essentiellement spirituelles, et quil serait absurde de vouloir leur appliquer les lois qui régissent les mouvements corporels dans leur rapprochement ou leur éloignement. Lunion des corps sopère par la conjonction des mêmes lignes; de même le contact des esprits sopère par la conjonction des volontés. Si donc, celui qui sest séparé de lunité, prétend faire autre chose et user de pouvoirs quil na pas reçus dans lunité, par cela même il séloigne et se sépare; au contraire, tant quil ne fait que ce qui se fait dans lunité, et observe les conditions essentielles qui lui ont été enseignées, en cela du moins il reste et persévère dans lunité.
CHAPITRE II.LE BAPTÊME, POUR LES ADULTES, NEST EFFICACE QUE DANS LUNITÉ.
3. Ainsi donc les Donatistes sont avec nous sur certains points, et sur dautres ils se sont séparés de nous. Quant aux points sur lesquels ils sont avec nous, toute liberté daction leur est laissée; mais quant aux doctrines qui nous séparent, nous les invitons à venir apprendre de nous, ou à revenir réapprendre la seule doctrine salutaire et véritable. Cest vers ce but que tendent tous nos efforts; ce que désire notre charité, cest leur conversion et leur retour sincères. Nous ne leur disons pas : Gardez-vous de donner; mais : Gardez-vous de donner dans le schisme. A ceux qui nous paraissent devoir accepter le baptême, nous ne disons pas : Gardez-vous de le recevoir; mais Gardez-vous de le recevoir dans le schisme. Je suppose que tel homme, placé dans une nécessité extrême, ne trouve aucun catholique pour lui conférer le baptême, et avec la disposition sincère de conserver la paix catholique, reçoive des mains dun schismatique le sacrement quil aurait reçu dans lunité catholique; dans le cas où il mourrait aussitôt, nous nhésiterions pas à le regarder comme catholique. Si la mort lépargnait, dès quil aura fait acte de présence corporelle dans cette société catholique à laquelle il a toujours été uni par le coeur, non seulement nous ne désapprouverons pas sa conduite, mais nous lui prodiguerons des (68) éloges aussi sincères que mérités. En effet, na-t-il pas cru à la présence de Dieu dans son coeur, par cela même quil conservait lunité? et na-t-il pas prouvé quil ne voulait pas mourir avant davoir reçu le baptême dont il proclamait hautement linstitution divine, quel que fût du reste le ministre qui le lui conférât? Mais je suppose, au contraire, que tel homme, pouvant se faire baptiser dans lunité catholique, se laisse séduire par la perversité de son esprit, et choisisse le baptême schismatique: plus tard il réfléchit, lEglise catholique lui apparaît la seule société où puisse produire tous ses effets ce sacrement quil a pu recevoir ailleurs, mais qui ne peut sauver les adultes que dans lunité; enfin il pense même à revenir à cette unité; or, je dis que dans de telles dispositions cet homme est pervers et criminel, et dautant plus criminel quil est plus instruit. Car il ne doute pas que cest dans lunité quil doit recevoir le baptême, comme cest dans lunité seule que ce sacrement peut produire ses effets, nimporte à quelle source il soit allé le demander.
CHAPITRE III.AFFIRMATIONS CONTRADICTOIRES DES CATHOLIQUES ET DES DONATISTES.
4. Nous affirmons deux choses, savoir que lEglise possède le véritable baptême et quelle seule le confère légitimement: ces deux choses sont niées par les Donatistes. Nous affirmons ensuite que les Donatistes possèdent également le véritable baptême, mais quils le confèrent illégitimement; de leur côté, ils proclament avec emphase le premier de ces deux points, cest-à-dire quils possèdent le véritable baptême; quant à la collation illégitime quils font de ce sacrement, ils ne veulent pas lavouer. Ainsi, de ces quatre propositions, trois nous sont exclusivement personnelles, une seule nous est commune à eux et à nous. Seuls, nous soutenons contre eux que lEglise catholique possède le véritable baptême, quil ny a quelle pour le conférer légitimement, et que la collation qui en est faite par les Donatistes est illégitime; quant à lexistence du véritable baptême parmi eux, ils laffirment, et nous le leur concédons facilement. Or, je suppose dans un homme le désir de recevoir le véritable baptême; il est convaincu dailleurs que cest uniquement dans lEglise catholique quil doit chercher le salut, et que cest là seulement que le baptême de Jésus-Christ peut produire ses précieux effets, lors même quil aurait été reçu dans le schisme; dun autre côté, cest dans la secte de Donat quil veut être baptisé, dit-il, puisque Donatistes et catholiques, tous sont unanimes à attribuer à cette secte la possession du véritable baptême. Que cette considération le frappe, jy consens, mais quil réfléchisse également aux trois autres propositions. En effet, sil a pris le parti dadopter les trois maximes que nos adversaires rejettent, tout en préférant la doctrine émise en même temps par les catholiques et par les Donatistes, à celle qui nous est exclusivement personnelle; je dois dabord constater que son choix est tout à notre avantage, puisquil préfère nos affirmations aux négations correspondantes de nos adversaires. Or, nous disons que lEglise catholique possède le véritable baptême; les Donatistes le. nient. Nous disons que lEglise catholique confère légitimement le baptême; les Donatistes le nient. Nous disons que la collation du baptême faite par les Donatistes est illégitime; les Donatistes le nient. Donc, puisque sur tous les points contradictoirement affirmés ou niés par les catholiques et par les Donatistes, cest à nous quil donne la préférence, quil se montre conséquent et quil fasse ce que seuls nous lui disons de faire. Quant à la seule vérité sur laquelle les uns et les autres nous tombons daccord, elle doit lui apparaître avec un caractère de certitude que nont pas sans doute, à ses yeux, les propositions émises par nous et niées par nos adversaires. Catholiques et Donatistes, nous affirmons tous que le baptême de Jésus-Christ se trouve dans la secte de Donat; cette affirmation doit donc lui paraître plus certaine que toutes celles que nous formulons seuls, nous catholiques. Mais, dun autre côté, quand nous affirmons que lEglise catholique possède également le baptême de Jésus-Christ, tandis que les Donatistes le nient, cest notre parole quil doit croire et non pas celle des Donatistes, puisquil a pris le sage parti de nous donner la préférence toutes les fois quil y a contradiction entre nous et nos adversaires. De même nous disons que lEglise catholique confère légitimement le baptême, les Donatistes le nient; donc, cest à nous quil doit sen rapporter. Enfin, nous affirmons (69) que la collation du baptême faite par les Donatistes est illégitime; les Donatistes le nient; par conséquent, toujours daprès la même règle, cest nous quil doit accepter comme juges, Par conséquent, cest en vain quil se croirait le droit de recevoir dans cette secte un sacrement quelle possède, il est vrai, nous en convenons tous, mais que selon nous du moins elle ne doit pas administrer. Noublions pas que le néophyte dont je parle est intimement convaincu que cest à nous quil doit sen rapporter, toutes les fois quil y a contradiction entre nous et les Donatistes. Sil veut être en sûreté, quil reçoive donc le baptême là où il se trouve, et là seulement où lon peut le conférer légitimement; au contraire, quil se garde bien de le recevoir dans une secte, qui le possède, il est vrai, mais à laquelle nous refusons le droit de ladministrer, nous dont lopinion doit être pour lui sa règle de conduite. Supposé même que la collation faite par les Donatistes, sans lui paraître absolument illégitime , lui parût seulement douteuse, tandis que la collation faite par les catholiques lui paraît de tous points légitime, je dis quil pécherait mortellement, par cela seul que, sur un point nécessaire au salut, il négligerait ce qui est certain pour embrasser le parti douteux. Ce qui prouve quil est assuré de la légitimité du baptême dans lEglise catholique, cest la résolution quil a prise dentrer dans cette Eglise après avoir été baptisé dans le schisme. Quant à la légitimité du baptême des Donatistes, le moins quil puisse faire, cest de la regarder comme douteuse, puisque ceux dont il doit préférer le témoignage le lui affirment sans hésiter. Quil préfère donc le certain à lincertain, et quil reçoive le baptême là où il est certain de sa légitimité; tel est le seul parti qui lui reste à prendre, puisquil se proposait de revenir à lEglise catholique, après avoir reçu le baptême dans le schisme.
CHAPITRE IV.CEST UN CRIME DE DEMANDER LE BAPTÊME AUX DONATISTES.
5. Quelquun mobjectera peut-être quil ne comprend pas comment il peut se faire que les Donatistes, possédant le baptême véritable, ne puissent le conférer légitimement. Tout dabord je lui fais remarquer quen appliquant à leur collation du baptême la note dillégitimité, nous ne faisons contre eux que ce quils font eux-mêmes contre ceux qui se sont séparés de leur secte. Je lui propose également comme terme de comparaison ce qui constitue les insignes propres de la milice; en dehors de la milice, ces insignes peuvent être portées et conférées par les déserteurs; et cependant, quoique ces déserteurs naient le droit ni de les porter ni de les conférer, on ne laisse pas de les conserver à celui qui rentre librement dans les rangs de larmée. Dun autre côté, tout autre est la condition de ceux qui, par imprudence, saffilient à une secte hérétique, la prenant pour lEglise catholique, et tout autre la condition de ceux qui savent quil ny a dEglise catholique que celle qui, réalisant en elle-même les prophéties, étend ses rameaux jusquaux confins de la terre, croît au sein de la zizanie, et, affligée des scandales qui lentourent, aspire après le repos éternel et sécrie avec le Psalmiste : « Jai crié vers vous des confins de la terre; quand mon âme languissait sous le poids de la douleur, vous mavez exalté sur la pierre ». Cette pierre, cest Jésus-Christ, en qui, selon lApôtre, nous sommes ressuscités et glorifiés (Eph. II, 6), non pas encore en réalité, mais en espérance. De là ces autres paroles du Psalmiste : « Vous mavez retiré de labîme, parce que vous vous êtes fait mon espérance, ma force et mon soutien contre la fureur de mon ennemi Ps. LX, 3,4) ». En effet, appuyés sur ces promesses divines comme sur une tour inexpugnable, non-seulement nous navons rien à craindre, mais nous pouvons repousser victorieusement les assauts de cet ennemi qui revêt ses loups de la peau des brebis (Matt., VII, 15 ), et leur fait crier partout: « Le Christ est ici, le Christ est là (Id. XXXIV, 23) ». A laide de ces séductions, ces loups cruels finissent par arracher à la cité universelle, fondée sur la montagne, un grand nombre de ses habitants, quils étouffent et dévorent dans les étreintes de leur rage. Et des hommes qui savent ce qui les attend, osent encore recevoir le baptême de Jésus-Christ, en dehors de la communion de lunité du corps de Jésus-Christ, sauf à rentrer ensuite dans cette communion avec le baptême quils auront reçu dans le schisme? Ils auront sans doute le baptême de Jésus-Christ, mais ne savent-ils (70) pas quils se posent en adversaires de lEglise de Jésus-Christ, le jour même où le baptême leur est conféré? Nest-ce pas le plus grand des crimes? et des hommes auraient laudace de dire: Quil me soit permis de commettre ce crime, ne fût-ce que pour un seul jour? Sil doit entrer dans lEglise catholique, je demande pour quelle raison? Parce que, me répondront-ils, cest un crime dappartenir à la secte de Donat et dêtre séparé de lunité catholique. Par conséquent, autant vous passez de jours dans cette secte mauvaise, autant de jours vous passez dans le mal. On pourra dire, sans doute, que le mal saccroît avec le nombre des jours, et quil diminue dans la même proportion, selon le petit nombre des jours; pourtant, vous nirez pas jusquà dire quil ny a aucun mal. Or, quel besoin vous presse donc de commettre ce mal, ne fût-ce que pour un jour, ne fût-ce que pour une heure? Celui qui éprouverait ce besoin pourrait tout aussi bien demander à lEglise, et voire même à Dieu, la permission dapostasier, ne fût-ce que pour un jour. Sil ne craint pas dêtre hérétique ou schismatique pour un jour, pourquoi craindrait-il dêtre apostat pour un jour? Je cherche, mais en vain, la raison de cette différence.
CHAPITRE V.OBJECTION : RÉPONSE.
6. Jai préféré, dit-il, recevoir le baptême de Jésus-Christ, là où il se trouve, de lavis de tous les adversaires. Mais ceux dans les rangs desquels vous devez vous réfugier vous affirment que, dans le schisme, toute collation du baptême est illégitime , tandis que ceux dont vous devez vous séparer soutiennent quil y est légitimement conféré. Or, noubliez pas que toutes les fois quil y a division entre les Donatistes et les catholiques, cest à ces derniers que vous donnez la préférence ; par conséquent, vous devez regarder comme fausse ou du moins comme très-douteuse, la proposition quémettent ici les Donatistes, et préférer ce qui est vrai à ce qui est faux, ou ce qui est certain à ce qui est incertain. Que lEglise catholique, dans les rangs de laquelle vous devez vous réfugier après avoir reçu ailleurs le baptême, puisse légitimement vous administrer ce sacrement, cest ce que tous les catholiques vous affirment, cest ce que vous avouez vous-même. En effet, si vous en doutiez, comment ne douteriez-vous pas de lobligation où vous êtes dentrer dans nos rangs? Admettons, si vous voulez, que lon puisse douter que la collation du baptême dans la secte de Donat soit réellement un péché; comment ne pas regarder comme certainement coupable celui qui ne va pas chercher le baptême dans la seule société où il soit certain que la collation de ce sacrement nest pas un péché? Quant à ceux qui par ignorance se font baptiser dans la secte de Donat, regardant cette secte comme IEglise de Jésus-Christ, ils sont assurément moins coupables que ceux qui agissent en connaissance de cause ; et cependant ils ne laissent pas de recevoir, de ce sacrilège du schisme, une blessure véritable qui nen est pas moins profonde, quoiquil y en ait dautres plus profondes encore. Sadressant à quelques-uns de ses auditeurs, le divin Maître leur disait: « Au jour du jugement vous serez traités plus sévèrement que les habitants de Sodome (Matt., XI, 24. ) » ; de là faudrait-il conclure que les Sodomites ne seront pas tourmentés, parce que dautres le seront davantage? 7. Javoue que peut-être la vérité que jénonce a pu pendant quelque temps rester inconnue ou douteuse. Mais depuis que tous ceux qui réfléchissent sempressent de se convertir et dimplorer leur guérison, lignorance nest plus possible pour les autres, et leur crime nen devient que plus grave, puisquils sy abandonnent avec plus dobstination et de perversité. Depuis quon a vu les Maximianistes solennellement condamnés, puis quelque temps après réconciliés, ainsi que tous ceux quils avaient baptisés hors de la communion de Donat, et par là même dans le schisme et dans le sacrilège ; depuis que tout cela a été sanctionné et confirmé par leur concile, il ne peut plus y avoir de difficultés à résoudre, toute la question est parfaitement résolue. Entre nous et les Donatistes restés fidèles à Primianus, il est maintenant hors de doute que le baptême de Jésus-Christ peut être non-seulement possédé, mais même conféré par ceux qui sont hors de lEglise. De même quils sont contraints davouer, dans tous ceux qui furent baptisés par Félicianus, la possession du baptême (71) vériable, puisquils les ont reçus dans leurs rangs, avec le seul baptême qui leur avait été conféré dans le schisme; de même nous disons quen dehors de la communion catholique, le véritable baptême de Jésus-Christ peut être conféré par ceux qui sont retranchés de cette communion; car, malgré leur schisme, ils nont pa,s perdu ce sacrement. De plus ils soutiennent quen réintégrant dans leur secte tous les dissidents baptisés dans le schisme par Félicianus, sils ne leur ont pas réitéré le baptême, du moins ils ont détruit la cause qui frappait dune complète stérilité le baptême reçu dans le schisme. Nous disons, nous, que ce bienfait nest conféré par Dieu que dans la communion catholique, à tous ceux qui reviennent à lunité et quittent les hérésies ou les schismes dans lesquels ils avaient reçu le baptême. Ce bienfait na pas four effet de leur donner ce quils navaient pas, cest-à-dire le sacrement de baptême, mais de conférer à ce sacrement une efficacité quil ne possédait ni dans le schisme, ni dans lhérésie.
CHAPITRE VI.LES DONATISTES CONFONDUS PAR LEURS PROPRES SECTES.
8. Entre nous et les principaux donatistes groupés autour de Primianus, évêque de Carthage, il ny a plus de controverse possible. En effet, ce quils avaient toujours refusé aux insinuations de la charité, Dieu lui-même le leur a arraché par la conduite quils se sont vus obligés de suivre à légard des Maximianistes. Toutefois je continue la discussion, pour leur prouver quils nont pas même à alléguer en leur faveur la sévérité quils déploient à se refuser à toute communication avec ces quelques donatistes dont le petit nombre est amplement compensé par la sincérité. Lors même que ces quelques malheureux seraient tous maximianistes, nous naurions pas le droit de dédaigner leur salut. Mais voici quil sagit de la plus petite des sectes du donatisme ; car toutes ces petites sectes reprochent à leur soeur la plus grande, cest-à-dire à celle qui a pour chef Primianus, davoir reconnu comme valide le baptême conféré par les Maximianistes ; toutes soutiennent que le véritable baptême nappartient quà elles, à lexclusion absolument , soit de cette société qui se dit lEglise catholique, parce quelle est répandue sur toute la terre, soit même de la secte qui est restée la plus nombreuse parmi toutes les sectes du donatisme, soit enfin de toutes les autres quelles quelles soient. Si toutes ces petites sectes voulaient écouter la voix, non pas de lhomme, mais de lévidence et de la vérité sil leur plaisait de dompter les élans de leur perversité, ce nest pas au plus gros tronçon du donatisme quelles retourneraient; mais, frappées de leur stérilité propre, elles viendraient senter à la fécondité de la racine catholique. En tant que toutes ces sectes ne sont pas contre nous, elles sont pour nous; mais en tant quelles ne recueillent pas avec nous, elles dissipent.
CHAPITRE VII.PREUVES TIRÉES DE LÉVANGILE.
9. Je crains quon ne maccuse de navoir à fournir que des arguments humains dans une question restée du reste assez obscure pendant les premiers siècles de lEglise jusquau schisme de Donat. Les docteurs les plus illustres, les Pères les plus distingués, quoique toujours unis dans les liens de la paix, ont parfois très-chaudement discuté sur ce point et porté pour leurs propres diocèses des décisions quelque peu différentes , jusquà ce quenfin lon vît intervenir la sentence solennelle dun Concile général qui dissipa toutes les hésitations. A lappui de cette décision je veux apporter des témoignages de lEvangile, pour prouver, avec laide de Dieu, quil entre parfaitement dans les desseins du Seigneur de guérir, par lapplication des remèdes de lEglise, les plaies réelles qui en tenaient éloigné lhérétique ou le schismatique; quant à ce qui demeure sain en eux, lEvangile nous ordonne de le constater et de lapprouver, et non pas de le repousser comme une souillure. Le Seigneur nous dit dans lEvangile: « Celui qui nest pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe ». Mais voici quun jour les disciples rapportent à leur Maître quils ont rencontré tel homme qui chassait les démons au nom de Jésus et quils len ont empêché, parce quil nétait pas du nombre des disciples. « Ne lempêchez pas », répond le Sauveur, « car celui qui nest pas contre vous est (72) pour vous. Personne ne peut opérer de prodige en mon nom et parler mal de moi (Marc, IX, 38, 39 ; Luc, 9, 30)». Puisquil ny avait rien à corriger dans cet homme, ne doit-on pas regarder comme étant en sûreté celui qui, en dehors de la communion de lEglise, recueille au nom de Jésus-Christ, quoiquil soit séparé de la société chrétienne? Mais alors il faut donc accuser formellement de mensonge ces paroles pourtant si claires: « Celui qui nest pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe? » Et si, de la part des disciples, leur zèle à empêcher cet homme nétait répréhensible que parce quils agissaient par ignorance, ce qui nempêche pas quen réalité la conduite de cet homme était mauvaise et coupable; comment donc le Sauveur défend-il à ses disciples dempêcher cet homme : « Gardez-vous de lempêcher? » Et comment dès lors reconnaître comme vraie cette parole explicite : « Celui qui nest pas contre vous est pour vous? » Puisque cet étranger nopérait ses prodiges quau nom de Jésus-Christ, nétait-il pas pour les disciples et non pas contre eux? Il sagit donc de concilier ces deux sentences dont chacune est infailliblement vraie , quoique toutes deux paraissent contradictoires : « Celui qui nest pas pour moi est contre moi, celui qui ne recueille pas avec moi dissipe » ; et cette autre : « Gardez-vous de lempêcher, car celui qui nest pas contre vous est pour vous ». Or, toute contradiction disparaît dès que vous admettez que cet bomme méritait des félicitations en tant quil entourait le nom de Jésus dune vénération réelle, vénération qui le rapprochait de lEglise au lieu de len séparer; au contraire il méritait dêtre blâmé en tant quil refusait dentrer dans la société des disciples, car alors il dissipait tout ce quil pouvait recueillir ; enfin, supposé quil se fût présenté pour entrer dans lEglise, tout ce quon pouvait faire pour lui ce nétait pas de lui conférer ce quil avait déjà , mais de le purifier de sa faute et de son erreur.
CHAPITRE VIII.UN SEUL MEMBRE MALADE MET TOUT LE CORPS EN DANGER.
10. Prenons pour exemple Corneille encore païen. On ne saurait dire que ses prières nont pas été exaucées, ou que ses aumônes nont pas été agréées. Un ange ne lui fut-il pas envoyé? Ne mérita-t-il pas de contempler la face de ce messager céleste, par lorgane duquel, sans le concours daucun homme, il aurait pu recevoir la connaissance de toutes les vérités nécessaires? Dun autre côté, tout ce quil pouvait y avoir de bon dans ses prières et dans ses aumônes, ne devait lui être daucune utilité tant quil ne serait pas incorporé à lEglise par le lien de la paix et de la société chrétienne? Voilà pourquoi Dieu lui-même lui ordonne daller trouver Pierre, et cest par ce dernier que Corneille apprend à connaître Jésus-Christ; cest par lui quil est baptisé; cest par lui quil est incorporé au peuple chrétien et quil devient membre réel de cette communion à laquelle il nappartenait jusque-là que par la similitude des bonnes uvres (Act., X.). Supposé que, se confiant orgueilleusement dans le bien quil possédait, il eût méprisé le bien quil ne possédait pas encore, ce mépris neût-il pas été pour lui tout à la fois un malheur et un crime? De même ceux qui, se séparant de la société catholique, violent les lois de la charité et brisent les liens de lunité, peuvent être envisagés par nous à un double point de vue. Ou bien ils refusent absolument de faire ce qui a été fait pour eux dans lEglise, et renoncent à tout sans aucune exception; alors, si les adeptes quils ont pu se créer manifestent le désir dentrer dans lEglise, on doit leur conférer tout ce quils nont pas reçu. Au contraire, sils administrent quelques sacrements, quant à ces sacrements ils ne sont pas séparés de lEglise et ne cessent pas de lui appartenir, quoique sur les autres points ils aient criminellement brisé avec elle. Par conséquent, ceux quils se sont associés appartiennent à lEglise au même titre quils lui appartiennent eux-mêmes; et sils veulent entrer dans lEglise, il suffit de guérir leurs blessures sans toucher aux parties saines quils présentent; vouloir guérir en eux ce qui est sain, ce serait bien plutôt les blesser. Ainsi donc, en conférant le baptême, les schismatiques guérissent de la blessure de lidolâtrie ou de linfidélité, mais ils impriment la blessure plus grave encore du schisme ou de lhérésie. En effet, nous voyons dans le peuple de Dieu le glaive frapper les idolâtres(Exod, XXIII), tandis que la terre entrouvre (73) ses entrailles pour engloutir les schismatiques (Nom., XVI). Dun autre côté lApôtre sécrie : « Lors même que jaurais toute la foi suffisante pour transporter les montagnes, si je nai pas la charité je ne suis rien». 11. Prenons pour comparaison tel malade présenté à un médecin comme atteint dune blessure grave dans lune des parties nécessaires de son corps. Le médecin déclare que la mort est imminente si le membre blessé nest point soumis à un prompt traitement; comment supposer que ceux qui ont apporté ce malheureux seront assez insensés pour répondre au médecin : Comptez et voyez tous ceux de ses autres membres qui sont parfaitement sains, est-ce que tous ses membres sains ne pourront pas, pour conserver la vie, ce quun seul membre pourrait pour provoquer la mort? Loin de tenir un semblable langage, ils demandent la guérison pour le membre malade, sans que le médecin ait à soccuper des membres sains ; ils le conjurent dappliquer des remèdes prompts et efficaces à cette seule partie dont la blessure menace dune mort certaine les autres parties dont pourtant la santé est jusque-là florissante. De même je demande de quoi il peut servir à lhomme de posséder dans toute son intégrité la foi ou le sacrement de la foi, si le schisme a tué en lui la charité dont la mort suffit à elle seule pour conduire à la ruine éternelle les autres dons les plus parfaits? Pour empêcher cet effroyable malheur, la miséricorde de Dieu se répand à flots pressés sur le monde par le moyen de lunité de la sainte Eglise et par le lien de la paix, afin que toutes les brebis égarées reviennent au bercail et soient guéries par le puissant remède de la réconciliation. Parce que nous disons des schismatiques quils ont quelque chose de sain, quils se gardent bien den conclure quils jouissent dune santé parfaite; et parce que nous leur dévoilons telle blessure dont ils sont atteints, pourquoi conclueraient-ils quils doivent guérir ce qui est sain? Ainsi donc, quant à lintégrité du sacrement, les Donatistes sont avec nous, puisquils ne sont pas contre nous; mais quant à la blessure que leur a faite le schisme, puisquils ne recueillent pas avec le Christ, ils dissipent réellement. Quils ne se glorifient pas de ce quils possèdent. Pourquoi, surtout, jeter des regards orgueilleux sur les quelques parties saines quils peuvent posséder? Quils daignent aussi regarder humblement la triste blessure qui leur est faite, quils envisagent non pas seulement ce quils ont, mais encore ce qui leur manque.
CHAPITRE IX.SANS LA CHARITÉ TOUT LE RESTE EST INUTILE.
12. Quils veuillent bien remarquer que les dons les plus nombreux et les plus signalés ne sont plus daucune utilité pour le salut, si un de ces dons fait défaut; mais quel est ce don si précieux? Saint Paul va le leur dire lui-même: « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je navais point la charité, je ne serais que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Et quand jaurais le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères, et que jaurais une parfaite science de toutes choses, et quand jaurais toute la foi possible et capable de transporter les montagnes, si je navais point la charité, je ne serais rien (I Cor., XII, 1-3) ». Les Donatistes se flattent de parler la langue des anges dans les saints mystères et de posséder le don de prophétie; mais Caïphe (Jean, XI, 51) et Saül (I Rois, XVIII, 10) ont prophétisé, et cependant la sainte Ecriture les a condamnés. Ils se flattent, non-seulement de connaître, mais encore de posséder les sacrements; mais Simon le Magicien navait rien à leur envier (Act., VIII, 13). Ils croient, mais les démons eux-mêmes croient et confessent; ne faisaient-ils pas un acte de foi, quand ils sécriaient : « Quy a-t-il entre nous et vous, Fils de Dieu? Nous savons qui vous êtes (Marc, I, 21) ». Ils se dépouillent de leurs biens pour le donner aux pauvres; mais ce fait est-il si rare, non-seulement parmi les catholiques, mais encore dans les diverses hérésies? Enfin, si pendant une persécution ils livrent avec nous leur corps aux flammes pour rendre également témoignage à la foi; comme cet acte héroïque est accompli dans le schisme; comme ils ne supportent pas leurs frères avec charité comme ils ne font rien pour conserver lunité dun même esprit par le lien de la paix (Eph., I, 2,3) comme enfin ils nont pas la charité, tout le reste ne leur sert absolument de rien, et ils ne peuvent parvenir au salut éternel. (74)
CHAPITRE X.EN QUEL SENS LES SCHISMATIQUES PEUVENT DIRE DE LEUR SECTE QUELLE ENGENDRE DES ENFANTS A JÉSUS-CHRIST.
13. Ils croient faire preuve de beaucoup desprit en posant cette question : « Le baptême de Jésus-Christ, dans le parti de Donat, engendre-t-il, oui ou non, des enfants à Dieu? » Si nous répondons affirmativement, ils sempressent de conclure : Donc, notre Eglise est mère, puisquelle peut engendrer des enfants à Dieu dans le baptême de Jésus-Christ; et comme il est certain quil ne saurait y avoir quune seule Eglise véritable, comment peut-on nous accuser encore de ne pas appartenir à cette Eglise? Au contraire, si nous affirmons que leur secte nengendre pas: « Pourquoi donc », nous demandent-ils, « ne conférez-vous pas la renaissance du baptême à ceux qui nous quittent pour repasser dans vos rangs? A quoi notre baptême a-t-il pu leur servir, sils ne sont pas encore nés enfants de Dieu? » 14. Ils ne veulent pas comprendre que, si leur secte engendre, ce nest pas en tant quelle est séparée, mais uniquement en tant quelle reste unie en quelque chose à la seule et véritable Eglise. Elle en est séparée, parce quelle a brisé les liens de la charité et de la paix; mais elle lui est unie dans la réalité dun seul baptême. Non, il ny a quune seule véritable Eglise, appelée Eglise catholique; autour delle circulent un certain nombre de sectes séparées de son unité; et sil arrive que ces sectes engendrent, ce nest pas elles qui engendrent, cest lEglise catholique qui engendre en elles et par elles. En effet, en tant que sectes elles sont frappées dune stérilité absolue, mais elles peuvent encore posséder le principe de fécondité quelles ont reçu de lEglise; quil leur plaise de rejeter jusquà ce principe, aussitôt elles cessent dengendrer. Celle qui engendre réellement, cest donc lEglise catholique, dont on conserve les sacrements, et cest par ces sacrements quelle enfante partout les hommes à la vie, lors même que ces hommes nappartiendraient pas à son unité;quant à ceux qui persévèrent jusquà la fin dans cette féconde unité, après les avoir enfantés elle les sauvera. Sachez dailleurs que pour cesser dappartenir à lEglise, il nest point nécessaire de rompre avec elle par le crime manifeste dun schisme sacrilège, il suffit de se séparer de son esprit par une vie criminelle, tout en lui restant uni par le corps. LEglise, par le baptême, avait enfanté Simon le Magicien, et cependant cest à lui quil fut dit quil naurait aucune part dans lhéritage de Jésus-Christ (Act., VIII, 13,21) . Sil lui a manqué quelque chose, est-ce le baptême, ou lEvangile, ou les sacrements? Non, cest la charité; et parce quil navait plus la charité, le baptême lui devint inutile, et peut-être eût-il mieux valu pour lui ne jamais le recevoir. Navaient-ils pas reçu la naissance chrétienne ceux à qui lApôtre écrivait : « Jai dû vous parler comme à de petits enfants en Jésus-Christ? » Et cependant il les soustrait à un schisme sacrilège vers lequel le poids de la chair les entraînait : « Jai dû vous parler comme à de petits enfants en Jésus-Christ; en cette qualité, je ne vous ai nourris que de lait et non pas de viandes solides, parce que vous nen étiez pas capables; et à présent même vous ne lêtes pas encore, parce que vous êtes encore charnels. Car, puisquil y a parmi vous des jalousies, des disputes, nest-il pas visible que vous êtes charnels et que vous vous conduisez selon lhomme? En effet, puisque lun dit: Je suis à Paul; et lautre : Je suis à Apollo, nest-il pas évident que vous vous conduisez selon lhomme (I Cor., III, 1-4) ? » Parlant à ces mêmes chrétiens, il leur avait dit auparavant: « Je vous conjure, mes frères, par le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, davoir tous un même langage et de ne point souffrir de divisions parmi vous, mais dêtre tous unis ensemble dans un même esprit et dans un même sentiment. Jai été averti, mes frères, par ceux de la maison de Chloë, quil y a des contestations parmi vous. Je veux dire que chacun de vous prend parti en disant: Pour moi, je suis à Paul, et moi je suis à Apollo, et moi je suis à Céphas, et moi je suis à Jésus-Christ. Jésus-Christ est-il donc divisé? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous, ou bien avez-vous été baptisés au nom de Paul (Id., I, 10-13)? » Supposé donc que ces Corinthiens se fussent obstinés dans leur perversité , ne serait-il pas toujours vrai de dire quils étaient nés dans lEglise par le baptême, et quils cessaient dappartenir à lEglise par les liens de la paix et de lunité? Oui, cest (75) toujours lEglise qui engendre, soit par son propre sein, soit par le sein des esclaves, et sa fécondité, cest dans les sacrements quelle la puise. Ce nest pas en vain que lApôtre a dit quelle était figurée dans tous les événements du peuple juif (I Cor., X, 11). Or, ceux qui cèdent à lorgueil et ne sont pas unis à leur mère légitime, ne ressemblent que trop à Ismaël, dont il est dit: « Chassez lesclave et son fils, car le fils de lesclave ne partagera point lhéritage avec mon fils (Gen., XXI, 10) ». Au contraire, ceux qui dans la paix et lamour chérissent lépouse légitime de leur père, cest-à-dire lauteur légitime de leur génération , doivent être assimilés à Jacob; car si leurs mères selon la nature ne sont que des servantes, cependant elles ont reçu le droit de participer à un seul et même héritage (Id., XXX, 3). Enfin ceux qui, nés dans le sein de la même mère et dans lunité intérieure, négligent la grâce qui leur a été conférée, ressemblent à cet autre fils dIsaac, Esaü, qui a été réprouvé selon cette solennelle parole « Jai aimé Jacob et haï Esaü »; et cependant cétaient là deux frères formés en même temps dans le sein de leur mère(Mal., I, 2, 3 ; Gen., XXV, 24.).
CHAPITRE XI.SANS LA CHARITÉ LES PÉCHÉS NE SONT PAS REMIS.
15. Ils demandent également « si dans la secte de Donat les péchés sont remis par le baptême ». Si nous répondons affirmativement : Donc, concluent-ils, le Saint-Esprit est avec ce schisme que vous maudissez; car ce nest quaprès avoir donné le Saint-Esprit à ses disciples que le Sauveur leur confia cette mission: « Baptisez les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit (Matt., XXVIII, 19); « les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à« qui vous les retiendrez (Jean, XX, 22, 23). Or, continuent-ils, si nous possédons ces glorieux privilèges, nous sommes dans lEglise de Jésus-Christ; car ce nest que dans lEglise que le Saint-Esprit opère la rémission des péchés. Et si nous sommes lEglise de Jésus-Christ, nécessairement vous avez cessé de lêtre vous-mêmes. En effet, lEglise est essentiellement une, car cest delle quil a été dit : « Elle est ma seule colombe, elle est la fille unique (76) de sa mère (Cant., VI, 8) » ; et puis, il est évident quil ne saurait y avoir autant dEglises quil y a de schismes divers. Dun autre côté, si nous affirmons que le baptême des Donatistes ne remet pas les péchés: Donc, concluent-ils, ce nest pas là le véritable baptême; doù il suit que vous devriez baptiser ceux qui quittent le donatisme pour se faire catholiques. Or, vous ne les baptisez pas, et par ce refus vous avouez implicitement que vous nêtes pas dans lEglise de Jésus-Christ. 16. Nous appuyant sur les Ecritures, nous les prions à notre tour de se poser à eux-mêmes la question quils nous adressent et de se faire la réponse. Je leur demande de me dire si les péchés sont remis là où la charité nexiste pas. Les péchés sont pour les âmes les ténèbres les plus profondes. Ecoutons plutôt lapôtre saint Jean : « Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres (I Jean, I, 11)». Or, il ny aurait jamais de schisme, si la haine fraternelle nétait pas là pour en établir. Si donc nous disons que chez les Donatistes les péchés ne sont pas effacés, comment alors peut renaître celui qui reçoit leur baptême? Renaître par le baptême nest-ce pas dépouiller le vieil homme pour revêtir lhomme nouveau? Et comment peut-on dépouiller le vieil homme, si les fautes passées ne sont pas effacées? Pourtant, si le baptisé ne renaît pas à une vie nouvelle, il ne revêt pas Jésus-Christ et par conséquent il semble nécessaire de lui réitérer le baptême. LApôtre écrivait: « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu Jésus-Christ (Gal., II, 27) »; par conséquent celui qui na pas revêtu Jésus-Christ ne saurait être regardé comme ayant reçu le véritable baptême. Dun autre côté, quand nous disons de quelquun quil a été baptisé en Jésus-Christ, nous affirmons par là même quil a revêtu Jésus-Christ et par conséquent quil a été régénéré; enfin, sil a été régénéré, ses péchés ont été effacés. Mais alors que peuvent signifier ces paroles de saint Jean : « Celui qui hait son frère, est encore dans les ténèbres? » Cet état peut-il donc se concilier avec la rémission des péchés? Est-ce que la haine fraternelle nest pas le principe de tous les schismes? Nest-ce pas dans cette haine que tout schisme va puiser nécessairement son origine et son obstination? 17. Les Donatistes se flattent davoir résolu (76) la question à leurs propres yeux en formulant la conclusion suivante : « Dans. le schisme la rémission des péchés nest donc pas possible; dès lors on ne saurait y admettre aucune régénération de lhomme nouveau; par conséquent le baptême qui peut y être conféré nest pas le baptême de Jésus-Christ». Nous, au contraire, nous soutenons que le baptême conféré par ces schismatiques est bien le baptême de Jésus-Christ, et dès lors voici la question que nous leur proposons à résoudre : Simon le Magicien avait-il reçu le véritable baptême de Jésus-Christ? Leur réponse sera nécessairement affirmative, car les textes de la sainte Ecriture ne sauraient être contredits sur ce point. Mais alors, quils me disent si ses péchés lui avaient été remis? Oui encore. Pourquoi donc saint Pierre lui déclare-t-il quil na aucune part à lhéritage des saints? Parce que, répondent-ils, Simon avait péché depuis son baptême en voulant acheter à prix dargent le don de Dieu, et en croyant que les Apôtres en faisaient commerce.
CHAPITRE XII.EN QUEL SENS LES PÉCHÉS REVIVENT APRÈS LE BAPTÊME.
18. Et si de la part de Simon la réception du baptême navait été quun acte dhypocrisie, aurait-il reçu, oui ou non, la rémission de ses péchés? Libre à eux de répondre dans quel sens ils voudront; mais quelque parti quils prennent, la victoire nous est assurée. Sils affirment que les péchés lui ont été remis, comme cette rémission na pu être opérée que par le Saint-Esprit, nonobstant la fourberie du sujet, je demande ce que peuvent signifier ces paroles : « Le Saint-Esprit fuira la feinte dans la discipline ( Sag., I, 5)? » Sils soutiennent que les péchés ne lui ont pas été remis, je demande quils me disent si lon devra lui réitérer le baptême, quand touché dun véritable repentir il confessera son hypocrisie et son mensonge? Ils me répondent que cette réitération du baptême serait le comble de la folie; ils ont raison, mais alors quils avouent donc que le véritable baptême de Jésus-Christ peut être validement conféré à un homme dont le coeur reste attaché à la matière et au sacrilège, et qui dès lors ne peut recevoir la rémission de ses péchés. La conclusion quils doivent en tirer, cest que les hommes sont baptisés validement dans toutes les communions séparées, pourvu que lon nomette rien de ce qui est essentiel à la célébration du sacrement de baptême. Bien plus, cest en vertu de ce même sacrement que plus tard sopérera la rémission des péchés, lorsque; mû par le repentir, il secouera les liens du schisme et du sacrilège qui sopposaient à la rémission des péchés et rentrera dans le sein de lunité catholique. Ainsi donc celui qui sest hypocritement approché du baptême ne sera point condamné à le recevoir de nouveau; mais pourvu quil se convertisse et fasse de sa faute une confession sincère, il obtiendra la rémission de ses péchés par la vertu même du sacrement de baptême qui alors seulement commencera à produire ses effets pour le salut éternel. De même celui qui, ennemi de la charIté et de la paix de Jésus-Christ, reçoit de la main des hérétiques ou des schismatiques le véritable baptême de Jésus-Christ, quils nont pas perdu en se séparant de lEglise, celui-là, lorsquil se convertira et quil entrera dans la société et dans lunité de lEglise, ne sera nullement condamné à recevoir de nouveau le baptême, quoique jusque-là le schisme ou lhérésie aient rendu pour lui la rémission des péchés absolument impossible. Par le fait même de la réconciliation et de la paix qui lui sont conférées, il obtient dans lunité la rémission de ses péchés par la vertu du baptême qui commence seulement alors à produire ses effets, parce que dans le schisme il était frappé dune nullité absolue, malgré la validité dont il était revêtu. 19. Diront-ils que celui pour qui le baptême na été quun acte simulé, a réellement reçu la rémission de ses péchés, au moment même de la collation du sacrement, mais que tous ces péchés ont revécu aussitôt par suite de son hypocrisie même? il suivrait de là que le Saint-Esprit aurait communiqué au baptême toute sa vertu pour chasser les péchés; mais que la présence obstinée de lhypocrisie laurait fait luire, et quaprès cette fuite tous les péchés auraient reparu. Cest ainsi que lon concilierait ces paroles : « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu Jésus-Christ » ; et ces autres : « Le Saint-Esprit fuira la feinte dans la discipline ». La sainteté du baptême laurait (77) revêtu de Jésus-Christ, et la fiction laurait immédiatement dépouillé de ce même Jésus-Christ. Cela ressemblerait assez à ce que nous éprouvons, lorsque nous passons subitement des ténèbres à la lumière et de la lumière aux ténèbres ; nos yeux ne laissent pas que de sagiter continuellement dans les ténèbres; mais, pour que la lumière puisse nous arriver, il nous faut sortir des ténèbres. Or, si telle est lopinion des Donatistes, quils sen fassent à eux-mêmes lapplication immédiate, car tout séparés quils soient de la communion de lEglise, ils reçoivent cependant le véritable baptême de Jésus-Christ, dont la sainteté est absolument indépendante des dispositions du ministre. Par conséquent le baptême quils confèrent nest pas leur propre baptême, mais le baptême de lEglise dont ils se sont séparés; voilà pourquoi ce baptême est valide, mais sils quittent la lumière de ce sacrement pour retourner aux ténèbres de leur dissension, leurs péchés, quoique effacés au moment même de la collation du baptême et par le baptême lui-même, reparaissent ( Non pas sans doute dans leur entité criminelle, mais dans leurs tristes effets et leur effrayante responsabilité), comme reparaissent les ténèbres lorsquon se sépare de la lumière. 20. Que les péchés revivent moralement lorsque la charité fraternelle cesse dexister, cest ce que le Seigneur nous enseigne assez clairement dans la parabole du serviteur insolvable. A la prière de ce dernier, le maître lui avait fait condonation de la somme de dix mille talents. Mais quand le maître eut appris que ce même serviteur avait refusé de faire miséricorde à lun de ses frères qui ne lui devait pourtant que cent deniers, il exigea quon lui payât toute la somme dont il avait fait condamnation. Le moment dans lequel nous recevons notre pardon par le baptême est assez semblable à ce moment de rendre ses comptes et dans lequel on reçoit remise de toute la dette connue. On ne saurait dire cependant que cet ingrat serviteur a fait condonation à son frère de la somme que celui-ci lui devait, puisquil refusa duser envers lui de miséricorde; son frère lui devait donc lorsque son maître le somma de lui rendre compte et de lui payer tout ce quil lui devait; par conséquent, avant de pardonner à son frère, il conjurait son maître de lui pardonner à lui-même. Cest ce que prouvent ces paroles formulées par son collègue « Usez de patience à mon égard et je vous satisferai ». Dans le cas dun pardon intérieur, il lui aurait dit : Vous mavez fait condonation entière, pourquoi me réclamer de nouveau? Les paroles du Sauveur sont plus formelles encore : « Ce serviteur se retira », dit-il, « et rencontra lun de ses collègues qui lui devait cent deniers (Matt., XVIII, 23-25), et non pas : A qui il avait fait condonation de cent deniers. Car si cette condonation avait eu lieu, toute la dette aurait été éteinte. Or, ces mots : « Qui lui devait », prouvent suffisamment quil ny avait eu aucune remise antérieure. Or, il est de toute évidence que pour ce débiteur appelé à rendre compte à son maître, et à lui payer une somme aussi importante, le plus sage parti à prendre, pour obtenir miséricorde, eût été de faire dabord miséricorde à son collègue; et, appuyé sur cette bonne oeuvre, de se présenter humblement devant son maître pour implorer la remise de sa dette. Et cependant, pour se décider à lui pardonner, le maître nexigea même pas de son serviteur quil eût accompli cette bonne action, il lui pardonna sans condition. Mais quel fruit cet ingrat serviteur retira-t-il de la libéralité de son maître, puisque sa dureté à légard de son collègue rappela son maître à des sentiments dune juste sévérité pour le paiement de la dette? De même la grâce du baptême ne laisse pas, en elle-même, que de conférer la rémission des péchés alors même que la haine fraternelle persévère dans le coeur de celui à qui ses péchés sont pardonnés. En effet, tout ce qui était dû avant le baptême et au moment du baptême, est pardonné à linstant même du baptême et dans le baptême. Mais à peine sorti du baptême, le coupable retrouve la responsabilité et la culpabilité de tous les moments et de tous les instants antérieurs, par la réapparition morale de tous les péchés pardonnés. Or, cest là ce qui arrive très-souvent dans lEglise.
CHAPITRE XIII.EXEMPLES TIRÉS DU BAPTÊME CONFÉRÉ EN CAS DE MORT.
21. Il arrive très-souvent à un homme dêtre animé dune haine très-coupable à légard de son ennemi, malgré le précepte (78) formel qui nous ordonne daimer nos ennemis et de prier pour eux. Tout à coup le danger de mort se fait sentir, on demande le baptême et on le reçoit avec une telle précipitation quon na le temps ni de beaucoup interroger ni de beaucoup discourir, pour amener le malade à arracher de son coeur cette haine invétérée, alors même que le ministre en aurait connaissance. Des circonstances de cette nature se présentent souvent, non-seulement parmi nous, mais encore parmi les Donatistes. Que disons-nous donc ? Cet homme reçoit-il, oui ou non, la rémission de ses péchés? Libre à nos adversaires daffirmer ou de nier. En effet, si ces péchés sont pardonnés, ils revivent aussitôt, comme nous venons de le prouver daprès lEvangile. Par conséquent, quils soient remis ou quils ne le soient pas, toujours est-il quils ont besoin dune guérison ultérieure; et, pourtant, si le malade revient à la santé, sil se repent de sa haine et la dépose, jamais la pensée ne viendra de lui réitérer le baptême, soit parmi les Donatistes, soit parmi nous. Ainsi tout ce que les schismatiques ou les hérétiques possèdent et observent en commun avec la véritable Eglise, nous lapprouvons, nous le ratifions lorsquils entrent dans nos rangs. En effet, dans toutes les matières qui leur sont communes à eux et à nous, ils ne sont pas séparés de nous. Cependant, comme ces points communs ne leur sont daucune utilité dans le schisme ou lhérésie, à raison de leur opposition sur dautres matières et de leur séparation criminelle, nous les pressons vivement de revenir à lheureux état de la paix et de la charité, sans trop nous occuper de savoir si leurs péchés leur ont été remis ou sils ont reparu aussitôt après leur rémission. Non-seulement nous voulons leur donner ce quils nauraient pas, mais nous voulons surtout faire fructifier en eux ce quils possédaient inutilement.
CHAPITRE XIV.IL NY A DE BAPTÊME QUE CELUI DE DIEU ET DE LÉGLISE.
22. Cest donc en vain quils nous objectent: « Si vous acceptez notre baptême, que peut-il nous manquer et pourquoi tant nous presser dentrer dans votre communion ? » Nous leur répondons : Ce nest pas précisément votre baptême que nous acceptons, car ce baptême que vous conférez nest le baptême ni des hérétiques, ni des schismatiques, mais le baptême de Dieu et de lEglise, quelque part quil se rencontre ou se transporte. Ce qui est proprement à vous, cest la dépravation de votre doctrine, le sacrilège de vos oeuvres et limpiété de votre séparation. Supposé que sur tout le reste vous soyez dans le vrai, et que pourtant vous vous obstiniez dans votre séparation et dans votre opposition à la paix fraternelle et à cette imposante unité qui brille aujourdhui , et avec tant déclat, sur lunivers tout entier ; supposé que vous refusiez aveuglément dentrer dans les rangs de ces catholiques que vous avez condamnés sans avoir pu connaître et discuter ni le fond de leur doctrine, ni le fond de leur coeur, et qui ne sauraient être blâmés de sêtre confiés à la parole des juges ecclésiastiques plutôt quaux diatribes de leurs querelleux adversaires; supposé tout cela, jaffirme encore quil vous manque quelque chose dabsolument nécessaire, cest-à-dire ce qui manque à celui qui na pas la charité. Quel besoin nous presse de vous dévoiler nous-mêmes ? Regardez lApôtre , et vous comprendrez mieux limportance de ce que vous navez pas. Celui qui na pas la charité, quimporte quil se laisse emporter au dehors par le vent de la tentation, ou quen restant dans la moisson du père de famille, il soit destiné à en être éternellement séparé au jour de la purification suprême ? Et cependant, il suffit que tous ces malheureux aient reçu une première fois le baptême, pour quon ne puisse le leur réitérer.
CHAPITRE XV.CEUX QUI APPARTIENNENT A LANCIEN ET AU NOUVEAU TESTAMENT.
23. LEglise est la mère de tous les chrétien, soit quelle enfante delle-même, cest-à-dire de son propre sein, soit quelle les enfante hors delle-même, par linfinie fécondité de son divin Epoux; en dautres termes, soit quelle les enfante dans son sein ou dans le sein de lesclave. Esaü, né de lépouse véritable, a cependant été séparé du peuple de Dieu, à cause de la discorde fraternelle. Aser, né de lesclave , et par la permission de lépouse, a reçu sa part de la terre promise à cause de la concorde fraternelle. Pour (79) Ismaël, sil fut séparé du peuple de Dieu, ce fut bien moins à cause de lesclavage de sa mère que de la discorde entre les deux frères ; du reste, il ne retira aucun avantage de la puissance de lépouse légitime dont il était pourtant le fils, en tant du moins quelle avait elle-même demandé que, en vertu du droit conjugal, son époux connût lesclave, et quelle en avait reçu le fruit. De même, cest en vertu du droit de lEglise sur le baptême que les Donatistes procurent la naissance spirituelle à tous ceux quils baptisent. Si ces nouveaux baptisés vivent dans une parfaite union avec leurs frères, cette union dans la paix leur procure la possession de la terre promise, uniquement en vertu de la fécondité paternelle, et sans avoir besoin de sortir immédiatement du sein de lépouse légitime. Au contraire, sils persévèrent dans la discorde, ils nont dautre sort à attendre que celui dIsmaël. Ismaël était laîné, et Isaac le plus jeune ; de même à Esaü appartenait naturellement le droit daînesse sur Jacob ; en continuant cette comparaison, on ne pourrait pas dire que lhérésie a enfanté avant lEglise, ou que lEglise elle-même a dabord enfanté dune manière charnelle et animale, avant denfanter spirituellement. Cependant, selon lordre établi dans notre mortalité, tel-le que nous la recevons dAdam, « ce nest pas ce qui est spirituel qui a été formé le premier, cest le charnel et ensuite le spirituel (I Cor., XV, 46) » Quant aux dissensions et aux schismes, ils naissent tous du sens animal, car « lhomme animal ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu (Id., II, 14) ». Ceux qui persévèrent dans ce sens animal, lApôtre les regarde comme appartenant à lAncien Testament (Gal., IV.), cest-à-dire au désir des promesses terrestres, qui nétaient que la figure des promesses spirituelles; mais « lhomme animal ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu ». 24. Ainsi donc, on doit regarder comme des hommes charnels tous ceux qui, apparaissant en cette vie à quelque époque que ce soit, -et enrichis des sacrements divins, selon le siècle dans lequel il sont nés, se laissent dominer par des désirs charnels, et nattendent de la part de Dieu, pour cette vie ou après la mort, que des biens charnels et grossiers. Quant à lEglise, qui est le vrai peuple de DieS elle est, dans le pèlerinage même de cette vie, une société aussi ancienne que le monde, et a toujours renfermé dans son sein, soit des hommes en qui dominait la partie animale, soit des hommes en qui dominait la partie spirituelle. Aux hommes charnels se rapporte lAncien Testament; tandis que le Nouveau se rapporte aux hommes spirituels. Dans les premiers temps depuis Adam jusquà Moïse, ces deux éléments se trouvaient plus ou moins cachés et confondus. Depuis Moïse, ce qui sest surtout manifesté, cest lAncien Testament, et en lui se cachait le Nouveau car il y était figuré dune manière occulte. Mais depuis que le Verbe divin sest revêtu de notre chair, le Nouveau Testament sest solennellement révélé ; les sacrements de lAncien ont cessé, sans que cependant les concupiscences aient disparu. Nest-ce pas sous leur joug que gémissent tous ceux qui, quoique nés par le sacrement de la nouvelle alliance, sont néanmoins appelés par lApôtre des hommes charnels qui ne perçoivent pas ce qui est de lEsprit de Dieu? De même que dans les sacrements de lAncien Testament vivaient certains hommes spirituels, qui appartenaient par là même au Nouveau Testament, dont lexistence était toute figurée et mystérieuse ; de même aujourdhui beaucoup dhommes vivent dans la vie animale, malgré léclatante révélation qui a été faite du sacrement du Nouveau Testament. Tous ceux qui refusent de progresser pour percevoir ce qui est de lEsprit de Dieu, malgré les pressantes exhortations de lApôtre, appartiennent à lAncien Testament. Au contraire, ceux qui se perfectionnent, par le fait même des efforts quils font pour avancer, appartiennent au Nouveau Testament; et si la mort vient les frapper avant quils aient pu devenir spirituels, ornés quils sont de la sainteté du sacrement, ils sont admis au nombre des vivants dans ce séjour où Dieu seul est notre espérance et la part de notre héritage. Telle est, je crois, linterprétation la plus vraie que lon puisse donner de ces paroles: « Vos yeux ont vu mes imperfections » , et lécrivain sacré ajoute aussitôt: « Et tous seront inscrits dans votre livre (Ps., CXXXVIII, 16) ». (80)
CHAPITRE XVI.DE QUELLE MANIÈRE LÉGLISE ENFANTE LES UNS ET LES AUTRES.
25. La même Eglise qui enfanta Abel et Enoch, Noé et Abraham. enfanta également Moïse et les Prophètes, dans les derniers temps qui précédèrent la venue du Messie, et après la venue du Messie elle forma les Apôtres, nos martyrs et tous les bons chrétiens. Tous ces personnages sélevèrent à de longs intervalles, et cependant ils appartenaient à une seule et même société ; ils étaient les concitoyens dune même cité, appelés à soutenir ici-bas les fatigues dun même pèlerinage ; la même carrière est encore courue aujourdhui et le sera jusquà la fin des siècles par les enfants de lEglise. De même cette Eglise qui enfanta Caïn et Cham, Ismaël et Esaü, enfanta également Dathan et autres pécheurs semblables signalés dans lhistoire de ce peuple; depuis elle enfanta aussi le faux apôtre Judas, Simon le Magicien et tous ceux qui jusquà nos jours et jusquà la fin du monde, se jetant dans un faux christianisme, se sont endurcis ou sendurciront dans les affections terrestres et animales, soit quils appartiennent encore extérieurement à lunité, soit quils sen séparent par un schisme manifeste. Or, quand de tels hommes sont évangélisés par des ministres spirituels, quand les sacrements leur sont conférés, cest bien lEglise qui les enfante par elle-même, mais alors elle enfante comme Rébecca a enfanté Esaü; au contraire, quand ces mêmes hommes sadressent à des ministres fornicateurs de la parole évangélique (Philipp., I, 17), ils nen sont pas moins associés au peuple de Dieu, lEglise les enfante, cest vrai, mais elle enfante comme Sara, cest-à-dire par lintermédiaire de lesclave Agar. Et puis, quand des hommes bons et spirituels se trouvent engendrés à la foi par des ministres charnels, cest encore lEglise qui les enfante, mais elle les enfante comme Lia ou Rachel en vertu de son droit conjugal, mais par le sein des servantes. Enfin, voici des ministres vraiment spirituels, qui enfantent à lEvangile de véritables fidèles ; ces derniers arrivent promptement à la possession de la vie spirituelle, ou du moins ils ne cessent dy tendre par lardeur de leurs désirs; ou bien, sils ny arrivent pas, cest quils ne le peuvent absolument; ceux-là encore, cest toujours lEglise qui les enfante à la vie nouvelle et au Nouveau Testament, mais elle les enfante par elle-même et dans son propre sein, comme Sara enfanta Isaac, comme Rébecca enfanta Jacob.
CHAPITRE XVII.CEUX QUE LÉGLISE REJETTE OU CONSERVE.
26. Ainsi donc, quil sagisse, soit de ceux qui paraissent appartenir à lunité, soit de ceux qui ont rompu avec elle ouvertement, tout ce qui est chair est chair; de même, dans laire du père de famille la paille est toujours la paille, soit quelle y reste avec toute sa stérilité, soit quelle disparaisse emportée au loin par le vent de la tentation. Dailleurs cette Eglise qui aspire à devenir sans tache et sans souillure, rejette toujours de son sein et de son unité celui qui sobstine dans son endurcissement charnel, fût-il extérieurement mêlé à lassemblée des saints. Toutefois il ne faut jamais désespérer daucun homme, soit de celui qui paraît encore catholique, soit de celui qui se pose extérieurement et manifestement son adversaire. Quant aux chrétiens véritablement spirituels ou qui aspirent à le devenir, ils ne sortent jamais de lunité ; alors même quils en paraissent chassés soit par la perversité, soit par la violence, la position qui leur est ainsi faite devient pour eux une épreuve, bien plus efficace et méritoire que ne serait leur participation à lunité ; car, loin de sinsurger contre lEglise, ils adhèrent du fond de leurs entrailles et par la puissance de leur charité à la pierre angulaire, fondement inébranlable de lunité. Cet état nous est clairement indiqué par cette parole de 1Ecriture au sujet du sacrifice dAbraham : « Il ne partagea point les oiseaux (Gen., XV, 10). »
CHAPITRE XVIII.DOCTRINE DE SAINT CYPRIEN SUR LE BAPTÊME.
27. Si je ne me trompe, la question du baptême me paraît suffisamment discutée. Dun autre côté, comme il est de toute évidence que les Donatistes sont réellement dans le schisme, il ny a pour nous dautre doctrine à embrasser que celle de lEglise universelle, restée entièrement pure de tout schisme et de tout sacrilège. Dailleurs, supposé que les (81) docteurs fussent encore séparés dopinions sur des points accidentels, qui ne touchent en rien à lunité, plus tard, il sera donné à quelque concile général de réunir toutes ces opinions dans une doctrine clairement formulée ; jusque-là, les erreurs de faiblesse humaine sont suffisamment couvertes par la charité de lunité, selon cette parole : « La charité couvre la multitude des péchés (I Pierre, IV, 8.) ». Que cette charité disparaisse, tout le reste devient absolument inutile ; avec la charité, au contraire, certains errements ne sont pas même des fautes légères. 28. Mais venons à la doctrine du bien heureux martyr Cyprien, dont la puissante autorité est sans cesse et charnellement invoquée par les Donatistes, tandis que sa charité les confond et les écrase spirituellement. Avant donc quun concile général eût tranché la question, avant que laccord unanime de toute lEglise se fût prononcé sur ce point, Cyprien, de concert avec environ quatre-vingts évêques de lAfrique, avait cru devoir décider que le baptême devait être réitéré à quiconque avait reçu ce sacrement en dehors de la communion de lEglise catholique. Le Seigneur permit que ce grand homme tombât ainsi dans lerreur, afin de nen faire éclater que mieux sa pieuse humilité, et son ardente charité à conserver précieusement la paix dans lEglise. A ce titre donc, ne peut-il pas être proposé comme modèle non-seulement aux chrétiens de ce temps, mais encore à ceux des siècles futurs, car à tous il apprend dans sa personne que le remède à tous les maux, cest lunion parfaite avec lEglise catholique? On vit alors, dun côté, ce grand évêque, occupant lun des premiers siéges de lAfrique, aussi illustre par ses mérites que par son zèle et par son éloquence, embrasser sur le baptême une opinion contre laquelle la vérité mieux connue et un examen plus approfondi devaient protester; dun autre côté, limmense majorité de ses collègues, sur une question qui nétait point encore tranchée dogmatiquement, soutenaient la doctrine fondée sur les anciens usages de lEglise, et destinée à recevoir la sanction de lEglise universelle. Or, malgré cette diversité dopinions, Cyprien se garda bien de se séparer de ses contradicteurs, et ne cessa de rappeler à tous le besoin et le devoir de se supporter réciproquement dans la charité, et de sappliquer à conserver lunité desprit dans le lien de la paix (Eph., IV, 2,3). De cette manière le corps tout entier restait sain, malgré linfirmité de quelques-uns de ses membres; ceux-ci, de leur côté, devaient recouvrer la santé parfaite en restant unis au corps, tandis que sils se fussent séparés, leur guérison devenait bien plus difficile et la mort presque certaine. Et puis, si saint Cyprien se fût séparé, combien dantres lauraient suivi ? Quelle influence son nom seul naurait-il pas exercée parmi les hommes? Les schismatiques nauraient-ils pas été fiers de sappeler Cyprianistes, et non point Donatistes ? Mais loin dêtre du nombre de ces fils de perdition, dont il est dit: « Vous les avez précipités dans labîme, alors même quils aspiraient à sélever (Ps., LXXII, 18) », Cyprien était lenfant de la paix de lEglise ; et si, malgré les lumières dont il était doué, Dieu permit quil tombât dans lerreur, cétait pour que sa chute éclairât le monde de lumières plus éclatantes encore. « Je vais encore vous montrer », dit lApôtre, « une voie beaucoup plus excellente : quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges eux-mêmes, si je navais point la charité, je ne serais que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante (I Cor., XII, 31 ; XIII, 1) ». Sans doute, Cyprien neut pas toute la pénétration suffisante pour sonder les secrets cachés du sacrement; mais eût-il possédé la science parfaite de tous les sacrements, sans la charité, il neût rien été. Quelque chose lui reste inconnu, mais parce quil a gardé la charité, humblement, fidèlement, courageusement, il a mérité de parvenir à la couronne du martyre; quelques ténèbres, triste condition de notre nature humaine, auraient pu faire ombre au sein des splendeurs de son esprit, mais ces ombres devaient disparaître devant la glorieuse sérénité de leffusion de son sang. Ce nest pas en vain que le Seigneur Jésus, se nommant la vigne et nommant ses disciples les rameaux, ordonne de trancher parmi ces rameaux et de couper comme des sarments inutiles ceux qui ne donneraient aucun fruit. Or, ce fruit, quel est-il, sinon celui dont il est dit: « Je vous donne, pour commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres (Jean, XIII, 34) ». Telle est cette charité sans (82) laquelle tout le reste devient inutile. LApôtre dit encore : « Les fruits de lesprit soit la charité, la joie, la paix, la longanimité, la bienveillance, la bonté, la foi, la mansuétude, la continence (Gal., V, 22, 23). » Tous ces fruits découlent de la charité, et avec elle et par elle, forment comme une admirable grappe de raisin. Toutefois, ce nest pas en vain que le Seigneur ajoutait: «Quant aux sarments qui donnent du fruit en moi, mon Père les émonde « afin quils portent des fruits plus abondants (Jean, XV, 1-5) ». Ces paroles ne prouvent-elles pas que ceux-là mêmes qui portent des fruits de charité, peuvent encore avoir besoin de quelque purification? et cette purification est toujours opérée par notre Père qui est au ciel. Si donc le bienheureux Cyprien eut sur le baptême des opinions erronées qui plus tard durent disparaître devant lévidence produite par un examen plus attentif ; du moins il persévéra dans lunité catholique ; son erreur se trouva compensée par labondance de sa charité, et purifiée par leffusion de son sang et la gloire de son martyre.
CHAPITRE XIX.EXAMINE LA LETTRE DE SAINT CYPRIEN SUR LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME.
29. Ce qui précède suffirait sans doute pour venger la gloire du bienheureux martyr dans une cause qui nest pas à proprement parler la sienne, mais celle de lauteur même de la grâce. Toutefois, si je me bornais à ces simples réflexions, je pourrais paraître quelque peu incertain de la solidité des preuves; cest pourquoi, sa lettre en main, je veux en tirer des témoignages qui réduiront les Donatistes au plus honteux silence. Ne sait-on pas avec quelle affectation ils invoquent lautorité de ce grand homme, pour prouver quils sont parfaitement en droit de réitérer le baptême aux fidèles qui, senrôlent dans leur secte? Malheureux schismatiques! ils se précipitent eux-mêmes dans une infaillible réprobation, sils persévèrent dans cette voie; la seule chose quils imitent dans ce grand homme, cest lerreur, mais une erreur qui ne compromit nullement son innocence, parce quil resta jusquà la fin inébranlablement attaché à cette unité que les Donatistes ont criminellement déchirée, pour navoir pas connu la voie de la paix (Ps., XII, 3). Quelque part quil se trouve, le baptême y porte toujours sa sainteté essentielle; fût-il conféré par des hérétiques ou des schismatiques, il nest le baptême ni de lhérésie, ni du schisme; doù je conclus que lEglise catholique na jamais à le réitérer. Cependant, autre chose est denseigner la réitération du baptême, autre chose est de prononcer que tous ceux qui errent loin de la paix catholique et se précipitent dans le gouffre du schisme doivent être baptisés de nouveau. De la part dun catholique, lerreur sur la réitération du baptême est facilement couverte par léclat et labondance de la charité; mais, de la Part des schismatiques, elle imprime sur leur front un caractère de réprobation de plus en plus prononcé. Mais réservons pour un autre livre ce que nous avons à dire au sujet du bienheureux Cyprien. (83)
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