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LIVRE CINQUIÈME : Réfutation de Saint Cyprien.
Ce livre traite de la fin de lépître de Cyprien à Jubaianus, de son épître à Quintes, de sa synodique adressée aux évêques de Numidie et de son épître à Pompeïus.
CYPRIEN CONSTATANT LANTIQUE COUTUME DE LÉGLISE.
LA CHARITÉ DE LUNITÉ COUVRE LA MULTITUDE DES PÉCHÉS.
RIEN NE PEUT JUSTIFIER LES SCHISMATIQUES DANS LEUR SÉPARATIONS.
SAINT CYPRIEN CONSTATANT LANCIENNE COUTUME DE LÉGLISE.
CHAPITRE V. CETTE RÉPULSION NE SAURAIT ÊTRE QUE LUVRE DE DIEU.
LE BAPTÊME LÉGITIME POSSÉDÉ LÉGITIMEMENT.
LA VALIDITÉ DU BAPTÊME INDÉPENDANTE DES DISPOSITIONS DU SUJET.
SI LE BAPTÊME DE SAINT JEAN EFFAÇAIT LES PÉCHÉS.
LE BAPTÊME DE SAINT JEAN NE DISPENSAIT PAS DU BAPTÊME DE JÉSUS-CHRIST.
LE BAPTÊME DE CELUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT.
CE QUE LE SAINT-ESPRIT RÉVÈLE À SAINT JEAN.
LE BAPTÊME TOUJOURS LE MÊME, MALGRÉ LA DIVERSITÉ DES MINISTRES.
LE BAPTÊME PEUT ÊTRE VALIDE, QUOIQUE ILLICITE.
LA PRIMAUTÉ NE SE CONFOND PAS TOUJOURS AVEC LUNITÉ.
CONCLUSION DE LA LETTRE DE CYPRIEN.
LE BAPTÊME RESTE TOUJOURS VIVANT.
LANCIENNE COUTUME FONDÉE SUR LA. RAISON ET LA VÉRITÉ.
CEST DIEU LUI-MÊME QUI BAPTISE PAR SON MINISTRE.
LUNITÉ DU BAPTÊME ET DE LÉGLISE.
CONDITIONS DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS.
RÉFUTATION DE LA LETTRE DE CYPRIEN A POMPÉIUS.
SAINT ÉTIENNE ET SAINT CYPRIEN.
LÉVÊQUE DOIT ENSEIGNER ET SINSTRUIRE.
LÉGLISE, JARDIN FERMÉ, FONTAINE SCELLÉE, SOURCE DEAU VIVE.
LARCHE DE NOÉ, AUTRE FIGURE DE LÉGLISE.
CHAPITRE PREMIER.CYPRIEN CONSTATANT LANTIQUE COUTUME DE LÉGLISE.
1. Cest le témoignage du bienheureux Cyprien lui-même que nous invoquons pour prouver lantiquité de cette coutume de lEglise catholique de ne point réitérer le baptême à ceux des hérétiques ou des schismatiques qui demandent à entrer dans lunité, quand, dailleurs, il est certain quils ont reçu ce sacrement selon la forme évangélique. Cette question fut imposée à ce saint évêque par ceux de ses frères qui cherchaient la vérité ou qui combattaient pour la vérité. Dans le cours des discussions quil souleva pour prouver quil fallait réitérer le baptême aux hérétiques, et auxquelles nous avons déjà répondu, il se posa à lui-même cette objection: « Quelle conduite tenir à légard de ceux qui précédemment ont quitté lhérésie pour entrer dans lEglise et y ont été reçus sans aucune réitération du baptême (Cyp., Lettre LXXIII, à Jubaianus)?» Ces quelques paroles réduisent à néant tout ce système des Donatistes, contre lequel la lutte est engagée. En effet, supposé que ces hérétiques si facilement reçus dans lEglise, fussent réellement sans baptême et sans aucune justification de leurs péchés, comme il est certain quils furent en communion soit avec les catholiques antérieurs à Cyprien, soit avec Cyprien lui-même, de deux choses lune: ou bien lEglise avait péri souillée quelle était par son contact avec ces pécheurs publics, ou bien lunité elle-même nest nullement compromise par le mélange, dans son sein, des bons et des méchants. Or, nos adversaires ne peuvent admettre que lEglise ait péri pour sêtre mise en communion avec ceux qui, selon la parole de Cyprien, furent reçus par elle sans aucune réitération du baptême. Car si lEglise eût péri à cette époque, à quelle source les Donatistes auraient-ils pris naissance? Plus de quarante ans sécoulèrent entre le martyre de Cyprien et cette combustion des livres sacrés, laquelle leur a fourni le thème favori de leurs calomnies et loccasion de faire schisme contre lEglise. Les fastes consulaires sont là pour confirmer cette observation. Le seul parti qui leur reste à prendre, cest donc davouer que lunité de lEglise de Jésus-Christ nest point souillée par la présence, dans son sein, de ces pécheurs même connus. Mais faire cet aveu, cest se mettre dans limpuissance absolue de justifier leur séparation davec toutes ces églises de lunivers dont lorigine remonte aux temps apostoliques. Si donc les chrétiens dont nous parlons, nont point péri pour être restés en communion avec des pécheurs, comment ne pas ,conclure que les Donatistes, qui nauraient pas péri davantage en demeurant dans lunité, du moment quils se sont séparés et quils ont rompu le lien de la paix, nont pu trouver, dans le schisme, quune perte infaillible? Toute séparation qui ne peut se justifier par des raisons suffisantes, nest-elle pas manifestement un schisme sacrilège? Or, si les pécheurs connus comme tels ne souillent pas les bons dans lunité, quel motif peuvent-ils alléguer pour justifier leur séparation? Dun autre côté, nous affirmons que la présence des méchants ne souille pas les bons dans lunité, et nous en donnons comme preuve ces paroles de Cyprien, parlant de ceux « qui précédemment étaient « passés de lhérésie à lEglise et y avaient été « reçus sans aucune réitération du baptême». Pourtant si ces transfuges nétaient point baptisés, ils restaient coupables de tous leurs crimes et de tous leurs sacrilèges; et si dans cet état ils nont pu souiller et détruire la sainteté de lEglise, ne doit-on pas conclure que cette Eglise ne saurait périr par son contact avec les méchants? Par conséquent, sils acceptent comme vraie la parole de Cyprien, le premier accusateur de leur schisme, cest Cyprien lui-même; mais sils prétendent que (130) Cyprien est dans lerreur, quils cessent donc dinvoquer son témoignage dans la question du baptême.
CHAPITRE II.LA CHARITÉ DE LUNITÉ COUVRE LA MULTITUDE DES PÉCHÉS.
2. Mais pour le moment nous navons à discuter quavec Cyprien lui-même; continuons donc et imitons son amour de la paix. « On me demande », dit-il, « quelle conduite on doit tenir à légard de ceux qui précédemment sont venus de lhérésie à lEglise et y ont été reçus sans aucune réitération du baptême ?» Il répond : « Dieu, dans sa miséricorde, est tout-puissant pour pardonner et pour faire participer aux bienfaits de son Eglise ceux qui se sont endormis du sommeil des justes, après avoir été réintégrés dans lEglise sans la réitération du baptême». Il a eu raison dadmettre en principe que la charité de lunité peut couvrir la multitude des péchés. Dès lors que ces hérétiques avaient reçu le baptême, Cyprien se trompait en enseignant avec quelques-uns de ses collègues la nécessité de réitérer le baptême, mais la charité de lunité couvrait cette erreur, tant quelle resta une tentation humaine et ne devint pas une dissension diabolique. Tout ce quils devaient faire, cétait dattendre que Dieu leur révélât le véritable enseignement catholique (Philipp., III 15) . Malheur donc à ceux qui, sacrilègement séparés de lunité, réitèrent le baptême déjà conféré par des catholiques ou par des schismatiques! Et si lon prétend que le baptême nest conféré que dans lEglise catholique, quest-ce que devient leur baptême? Soit donc quils rebaptisent ou quils ne baptisent pas, ils ne sont point dans les liens de lunité et ont besoin pour se guérir des remèdes les plus efficaces. De notre côté, si nous admettons les hérétiques sans les rebaptiser, nous sommes du nombre de ceux que Cyprien croyait dignes de pardon pour sauvegarder lunité. Mais comme je crois lavoir suffisamment prouvé dans les livres précédents, les hérétiques, malgré leur perversité, peuvent posséder le baptême chrétien dans toute son intégrité; si tous ceux qui à cette époque réitéraient le baptême ont pu continuer à appartenir à lunité, comment ne pas admettre que leur amour pour la paix ait pu leur procurer le pardon, comme lont obtenu tous ceux qui, après avoir été admis dans lEglise sans aucune réitération du baptême, ont eu le privilège, selon saint Cyprien lui-même, de participer à tous les bienfaits de lEglise? Dun autre côté, sil est certain que ni les hérétiques ni les schismatiques ne possèdent le baptême de Jésus-Christ; sil est certain ensuite quils peuvent être admis dans lEglise et obtenir la rémission de leurs propres péchés en dehors de toute réitération de ce sacrement, comment prétendre que ceux qui appartiennent à lunité se trouvent souillés par les péchés dautrui? Si le lien de la paix, selon le même Cyprien, jouit dune puissance aussi grande, comment supposer que ceux qui refusent de quitter lunité soient souillés par les péchés dautrui, quand, sans avoir reçu le baptême, il suffit de passer de lhérésie à lunité pour obtenir la rémission de ses propres pêchés?
CHAPITRE III.RIEN NE PEUT JUSTIFIER LES SCHISMATIQUES DANS LEUR SÉPARATIONS.
3. Saint Cyprien continue en ces termes: « Parce que lon sest trompé une fois, il nest point à dire que lon se trompera toujours: nest-ce point le propre des hommes sages et craignant Dieu dobéir librement et promptement à la vérité, quand elle leur est connue et manifestée, plutôt que de combattre obstinément contre leurs frères et leurs collègues en faveur des hérétiques ? »Ce langage est plein de justesse, et résister à lévidence de la vérité cest dabord se poser en ennemi de soi-même. Or, de tout ce qui précède, on peut, je crois, conclure sans aucune hésitation que le baptême de Jésus-Christ ne peut être violé par la perversité des hérétiques, soit quils confèrent ce sacrement, soit quils le reçoivent. En admettant même que cette conclusion ne soit pas évidente, du moins paraîtra-t-elle assez probable aux yeux de quiconque réfléchira quelque peu, même malgré lui, à tout ce quia été dit précédemment. Bien loin donc de résister à lévidence, nous combattons pour la vérité telle qu elle nous apparaît; et si enfin on trouve encore cette prétention exagérée de notre part, ceux mêmes qui ne regardent pas encore la question comme résolue, voudront bien admettre (131) que, du moins, nous cherchons la vérité. Dans cette dernière hypothèse, en admettant que nous soyons dans lerreur, on admettra que si nous recevons ceux qui ont été baptisés par les hérétiques, nous le faisons avec la même simplicité que le faisaient nos prédécesseurs quand ils recevaient ceux que Cyprien juge dignes de pardon par égard pour lunité. Jai suffisamment prouvé que le baptême de Jésus-Christ peut ne rien perdre de son intégrité, quoiquétant conféré à des hommes mal disposés au point de vue de la conduite ou de la doctrine, soit quils paraissent appartenir à lunité, quoiquen réalité ils ne soient pas membres de la colombe unique, soit quils aient rompu avec lEglise et appartiennent manifestement au schisme. Par conséquent, ceux qui le réitéraient à lépoque dont nous parlons, grâce à la charité de lunité, étaient aussi dignes de pardon que pouvaient lêtre ceux qui, selon saint Cyprien, furent admis dans lEglise sans aucune réitération du baptême. Par là même tous ceux qui sans un motif suffisant se sont séparés de la charité de lunité, ont perdu tout droit à lindulgence; et quel motif pourraient-ils alléguer, puisque, selon saint Cyprien lui-même, les bons dans lunité ne sont nullement souillés par la compagnie des méchants? Les schismatiques, voilà donc ceux qui se trouvent évidemment dans un état de perdition, lors même quils ne réitéreraient pas le baptême après lEglise catholique. Mais alors de quel supplice ne sont pas dignes ceux qui, nayant pas le baptême, cest là du moins lopinion de Cyprien, voudraient le réitérer aux catholiques qui déjà le possèdent, ou bien ceux qui, possédant ce sacrement, et lévidence prouve que les hérétiques le possèdent, osent accuser lEglise catholique de ne pas le posséder?
CHAPITRE IV.SAINT CYPRIEN CONSTATANT LANCIENNE COUTUME DE LÉGLISE.
4. Je rappelais tout à lheure que cest uniquement avec Cyprien que je discute. Or, sil était là, je suis persuadé quil ne maccuserait pas « de combattre obstinément contre des frères et des collègues, en faveur des hérétiques »; il ne désapprouverait nullement, je crois, les raisons que nous faisons valoir pour prouver que, malgré la perversité de leur erreur, les hérétiques possèdent le baptême de Jésus-Christ dans toute sa sainteté et toute son intégrité. Il convient lui-même, et de quel poids nest point pour nous un semblable témoignage, que lancienne coutume était de recevoir les hérétiques sans leur réitérer le baptême. Néanmoins, si quelquun soutient encore que ce sacrement doit toujours être réitéré aux hérétiques, quil ait du moins pitié de ceux qui ne peuvent partager son opinion à cause des nombreuses contradictions quelle renferme, et quil les traite comme furent traités précédemment les évêques et les prêtres qui se crurent autorisés à admettre dans les rangs de lunité-, à la seule condition de répudier leur erreur, tous ceux qui avaient reçu le baptême dans lhérésie, et avec lesquels ils purent opérer leur salut, grâce à la puissante efficacité des liens de lunité. Pour peu que lon considère attentivement lantique coutume de lEglise, limposante autorité du concile général sanctionnant cette coutume, les nombreux témoignages des divines Ecritures, les arguments que nous fournissent les écrits de Cyprien, et les raisons sur lesquelles sappuie cette vérité, on comprend facilement que le baptême de Jésus-Christ, consacré par les paroles évangéliques, ne peut être invalidé ni par la perversité du ministre ni par celle du sujet. Soyons également persuadés que, grâce au lien de lunité, ceux qui partagèrent lopinion contraire sans blesser la charité catholique, ont pu faire leur salut éternel. Enfin, restons sincèrement convaincus que ni la zizanie ni la paille nont pu souiller, dans lunité de lEglise répandue sur toute la terre, ceux qui ont eu la volonté sincère de devenir le bon grain; doù il suit que nulle cause sérieuse na jamais pu les autoriser à se séparer de lunité par un divorce sacrilège. Toutes ces conclusions simposent à nous dans toute leur évidence, soit quon partage lopinion de Cyprien, soit quon sen tienne à la coutume de tout temps observée par lEglise universelle, Par conséquent les schismatiques déclarés suivent une voie sacrilège qui ne saurait les conduire au salut; et quant aux sacrements divins quils tiennent de la libéralité du seul époux légitime, dans cet état, ce nest point pour leur salut quils les possèdent, mais pour leur éternelle confusion. (132)
CHAPITRE V.LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME SOULÈVE UNE RÉPULSION UNIVERSELLE.
5. Supposé que des hérétiques, renonçant sincèrement à leur erreur, prennent la résolution de revenir à lEglise, parce quils sont persuadés quil ny a de baptême possible pour eux que dans lEglise catholique; nous naurions nullement le droit de consentir à la réitération de ce sacrement. Tout ce que nous devrions faire, ce serait de leur rappeler que lintégrité du baptême ne peut être daucune utilité à leur perversité, sils refusent de se convertir; que dailleurs lintégrité de ce sacrement na subi aucune atteinte de leur perversité, tant quils nont pas voulu se corriger; et enfin que ce nest point parce quils veulent se corriger quils peuvent recevoir un meilleur baptême. Quils sempressent donc de renoncer à leur situation criminelle, et aussitôt ce qui nétait pour eux quun titre de plus à léternelle damnation, deviendra le principe efficace de leur salut. En présence dune semblable doctrine, ils désireront le salut dans lunité catholique; ils cesseront de sattribuer un sacrement quils ne tiennent que de Jésus-Christ et cesseront de confondre avec leur erreur personnelle le sacrement de vérité quils portent en eux-mêmes. 6. Ajoutons que par leffet dune mystérieuse inspiration de Dieu, les hommes éprouvent toujours je ne sais quelle répulsion dès quil sagit de réitérer le baptême, quelque part quil ait été reçu précédemment. Ce nest pas non plus sans se frotter le front et sans manifester un vif mécontentement que les hérétiques eux-mêmes sont mis en demeure de discuter cette réitération. Enfin, il nest pas jusquaux laïques les plus invétérés dans la secte et les plus indisposés contre lEglise catholique, qui navouent hautement que cette question est, entre toutes, celle qui leur déplaît davantage. Plusieurs, attirés vers le schisme par lespérance de quelques avantages temporels, ou pour échapper à tels désagréments, savent manoeuvrer en secret afin dobtenir comme une précieuse faveur le privilège personnel de ne pas être rebaptisés. Il en est également un grand nombre qui, après sêtre laissé séduire et tromper par toutes les calomnies et toutes les accusations lancées contre lEglise, refusent cependant de se jeter dans le schisme, uniquement pour ne pas être rebaptisés. Effrayés de cette impression quils rencontrent dans tous les hommes, les Donatistes ont cru devoir accepter le baptême conféré par ces mêmes Maximianistes quils avaient condamnés, garder le silence et étouffer leur haine, plutôt que de réitérer le baptême à ces multitudes Mustitaniennes et Assuritaniennes auxquelles ils firent laccueil le plus empressé, ainsi quà Félicianus, à Prétextat et à tant dautres contre lesquels ils avaient lancé lanathème.
CHAPITRE VI.CETTE RÉPULSION NE SAURAIT ÊTRE QUE LUVRE DE DIEU.
7. Comme de tels faits narrivent que rarement, et à de grandes distances, ils inspirent moins dhorreur. Mais je suppose que lon réunisse en un seul lieu tous ceux qui, soit en danger de mort, soit dans les solennités de Pâques, ont été baptisés par les Maximianistes, et quon leur commande de recevoir de nouveau le baptême, sous prétexte que celui quils ont reçu dans le schisme est radicalement nul , quarriverait-il? A quelles récriminations ne les verrions-nous pas se livrer dans lobstination de leur erreur? contre léclat et la chaleur de la vérité nopposeraient-ils pas le vain fantôme de leur constance pour cacher la rigueur et le froid de leur endurcissement? Assurément, ils ne toléreraient pas cette réitération du baptême; ceux mêmes qui voudraient lentreprendre reculeraient devant la multitude de ces réitérations à opérer, surtout quil leur faudrait également rebaptiser les Primianistes, dont plusieurs avaient été baptisés dans la secte de Maximien, et dont le baptême avait été ratifié sans aucune observation, dès quon eût entrevu quelque chance de détruire la secte. Quoi quil en soit, je suis persuadé que les Donatistes ne renonceraient pas à cette réitération, sils ne sentaient pas quen lexigeant ils soulèveraient contre eux une horreur si violente, que tout doit céder devant elle, voire même la honte dune contradiction. Pour moi, je me garderais bien de soutenir que nous devons reculer devant une impression purement humaine, si la vérité nous faisait un devoir de rebaptiser tous ceux qui passent de lhérésie dans lEglise. Mais, entendant (133) saint Cyprien sécrier « que le moyen le plus « puissant de contraindre les hérétiques de revenir à lunité, cétait de leur réitérer le baptême dans lEglise catholique », jai cru devoir rappeler toute lhorreur quinspire aux hommes cette manière de procéder; je tenais à dire que Dieu seul a pu imprimer cette horreur dans lesprit des hommes, puisquelle seule suffirait pour justifier la conduite de lEglise de toutes ces attaques auxquelles les faibles ne sauraient répondre.
CHAPITRE VII.LE BAPTÊME LÉGITIME POSSÉDÉ LÉGITIMEMENT.
8. Ces mêmes paroles de Cyprien mobligent à ajouter dautres observations absolument nécessaires à la solution de la question. « Si », dit-il, « dans notre enseignement et dans « notre manière dagir nous laissons croire « aux hérétiques que leur baptême est juste « et légitime, ils sempresseront de conclure « quils possèdent justement et légitimement « lEglise et les autres bienfaits de lEglise ». Il ne dit pas des hérétiques quils penseront posséder les trésors de lEglise; mais quils penseront « les posséder justement et légitimement ». De notre côté, nous affirmons quils ne possèdent le baptême ni justement ni légitimement; quant à la possession elle-même, nous ne pouvons la leur refuser, puisque nous reconnaissons partout et toujours le sacrement du Seigneur dès quil est conféré dans la forme évangélique. Ils ont donc le baptême légitime, mais ils ne lont pas légitimement. Ce nest que dans lunité catholique et par une conduite vraiment chrétienne que lon possède légitimement le baptême légitime. Au contraire, celui qui, dans lEglise catholique, ressemble à la paille mêlée au froment, et celui qui, en dehors de lEglise, ressemble à la paille emportée par le vent, possèdent, il est vrai, le baptême légitime, muais ils ne le possèdent pas légitimement. Ils le possèdent comme ils en usent; or, ce nest pas- en user légitimement que den user contre la loi, comme en usent tous ceux qui, après avoir été baptisés, vivent avec le péché, soit dans lunité, soit dans le schisme.
CHAPITRE VIII.LA VALIDITÉ DU BAPTÊME INDÉPENDANTE DES DISPOSITIONS DU SUJET.
9. Parlant de la loi, lApôtre a dit: « La loi est bonne, pourvu quon en use légitimement (I Tim., II, 8) »; on peut également dire du baptême : Le baptême est bon, pourvu quon en use légitimement. De même que ceux qui nusaient pas légitimement de la loi, ne faisaient pas que la loi cessât dêtre bonne ou même dexister; de même narrivera jamais à faire que le baptême cesse dêtre bon ou même dexister quiconque nen use pas légitimement, soit parce quil vit dans lhérésie, soit parce quil se livre au désordre des moeurs. Voilà pourquoi, sil se convertit à lunité catholique ou à une conduite digne de ce sacrement, il ne commence pas à avoir un autre baptême légitime, mais à user légitimement de celui quil possède. Quant à la rémission définitive des péchés, elle ne suit le baptême quautant quil est légitime et surtout quon le possède légitimement. Dans le cas contraire, ou bien les péchés ne seront pas remis, ou bien ils revivront aussitôt après le baptême, et cependant, on ne saurait en conclure ou que le baptême est mauvais, ou bien quil est nul dans celui qui la reçu. De même que Judas a fourni au démon lentrée de son coeur, non pas en recevant un mauvais sacrement, mais en recevant dans de mauvaises dispositions le sacrement qui lui était donné par le Sauveur lui-même (Jean, XIII, 27); de même celui qui reçoit indignement le sacrement du Seigneur ne rend pas ce sacrement mauvais parce quil est mauvais lui-même; ou bien parce quil le reçoit dune manière inutile au salut, il ne sensuit pas quil ne reçoit absolument rien. En effet, le corps et le sang du Seigneur étaient réellement conférés à ceux que lApôtre apostrophait en ces termes : « Celui qui mange indignement le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation (I Cor., XI, 29) ». Limportant nest donc pas de savoir ce que les hérétiques ont de commun avec lEglise, mais plutôt ce quils nont pas, cest-à-dire la fin du précepte, sans laquelle tout ce quils peuvent avoir conservé de bon nest pour eux daucune utilité. « La fin des commandements, cest la charité qui naît dun coeur pur, dune bonne conscience (134) et dune foi sincère (I Tim., I, 5)». Quand donc nous pressons les hérétiques de rentrer dans lunité et dans la vérité de lEglise catholique, ce nest point pour leur conférer un sacrement dont ils conservent, jusque dans lhérésie, le caractère indélébile, mais pour lever tous les obstacles qui empêchent ce sacrement de produire en eux ses effets salutaires.
CHAPITRE IX.LE BAPTÊME DE SAINT JEAN.
10. Voyons maintenant ce que saint Cyprien nous enseigne sur le baptême de saint Jean. « Nous lisons, dans les Actes des Apôtres, que Paul baptisa, ceux mêmes qui avaient reçu le baptême de saint Jean ( Act., XIX, 3-5) ». Or, ceci sexplique parfaitement, puisque le baptême du Précurseur nétait point le baptême de Jésus-Christ ; ce nétait quune cérémonie mystérieuse et sainte, qui navait pour auteur saint Jean-Baptiste quautant quil avait reçu du Sauveur lui-même lautorisation den user, selon cette parole du même Précurseur: «Lhomme ne peut recevoir que ce qui lui vient du ciel (Jean, III, 27) » Et comme on aurait pu croire que ce droit lui avait été conféré par le Père et non par le Fils, cest de Jésus-Christ quil prononce cette belle parole : « Nous avons tous reçu de sa plénitude (Id., I, 16.) ». Or, par leffet dune grâce spéciale, saint Jean reçut le pouvoir détablir cette cérémonie, non point dune manière permanente, mais comme moyen de préparer les voies du Seigneur et daccomplir ses glorieuses fonctions de Précurseur. De son côté, voulant entrer dans la vie publique par un acte de profonde humilité et laisser à la postérité un exemple éclatant de cette précieuse vertu, le Sauveur voulut recevoir le baptême de son serviteur (Matt., III, 13), comme plus tard il sabaissa jusquà laver les pieds à ses Apôtres ( Jean,XIII, 4,5). Cest ainsi quil se prosterna aux pieds de ceux quil dirigeait, comme précédemment il avait voulu recevoir des mains de Jean la grâce même dont il était lauteur. Quoi de plus propre à faire comprendre à tous les hommes à quel excès dorgueil sacrilège doit se livrer celui qui méprise le baptême du Seigneur, quand le Seigneur lui-même a voulu recevoir de son serviteur ce que celui-ci ne pouvait donner quautant quil lavait reçu de celui à qui il le rendait? Si, dun côté, nous entendons saint Jean, le plus grand parmi les enfants des hommes (Matt., XI, 11), sécrier quil ne se trouve pas digne de délier les cordons des souliers de Jésus-Christ 2. dun autre côté, se peut-il parmi les hommes une humilité plus profonde que celle du Sauveur sabaissant aux pieds du Précurseur pour recevoir de ses mains le baptême? Jésus-Christ, sans doute, y fait éclater les preuves de sa divinité; mais, en même temps quil départit la grandeur, il enseigne hautement lhumilité. 11. Nous ne voyons pas dans les saintes Ecritures que tel prophète, que tel homme ait reçu, comme saint Jean, le privilège de baptiser dans leau de la pénitence pour la rémission des péchés ; entre ses mains, dailleurs, cette grâce étonnante nétait quun moyen de sattacher le coeur des multitudes, et de préparer en elles les voies à Celui devant lequel il proclamait hautement son propre néant et sa misère. Par son propre baptême, Jésus-Christ purifie son Eglise, et ce, sacrement une fois donné ne demande plus à être réitéré ; quant au baptême prophétique que conférait saint Jean, il ne dispensait pas du baptême du Seigneur ; après avoir reçu ce baptême préparatoire, il fallait encore recevoir le baptême de Jésus-Christ. Si le Sauveur navait pas vu le besoin de nous laisser lexemple de sa profonde humilité, le baptême de saint Jean ne nous aurait été daucune nécessité ; de même si saint Jean eût été la fin de la loi, après le baptême quil conférait, nous naurions eu aucun besoin du baptême de Jésus-Christ. Mais « Jésus-Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui (Rom., X, 4) » ; voilà pourquoi le baptême de Jean ne faisait que nous annoncer le baptême de Jésus-Christ; et, arrivés à ce baptême, nous devons y persévérer jusquà la fin. Ainsi donc, saint Jean a fait éclater la grandeur de Jésus-Christ, en se posant devant lui comme un néant; et sa profonde humilité, en lui donnant le baptême, comme il laurait donné à un inférieur, Toutefois, si saint Jean neût baptisé que Jésus-Christ, on aurait pu croire que ce baptême de saint Jean, par là même quil était uniquement pour Jésus-Christ, lemportait sur le baptême de Jésus-Christ, lequel était pour tous les chrétiens ; (135) de même sil était nécessaire de conférer toujours le baptême de saint Jean, avant de conférer celui de Jésus-Christ, ce dernier perdrait de son importance et de son efficacité, puisquon pourrait croire que seul il ne suffirait pas au salut. Concluons Le Sauveur a reçu le baptême de saint Jean, afin de confondre toutes les orgueilleuses résistances que les hommes auraient peut-être opposées à son propre baptême ; ensuite il na pas voulu que ce baptême prophétique ne lui fût conféré quà lui seul, dans la crainte que nous ne fussions tentés de croire que ce premier baptême lemportait sur le second, puisquil naurait été conféré quà lHomme-Dieu; enfin le baptême de saint Jean devait disparaître, parce quon aurait pu croire que le baptême de Jésus-Christ était insuffisant par lui-même, puisquil avait besoin dêtre précédé par celui du Précurseur.
CHAPITRE X.SI LE BAPTÊME DE SAINT JEAN EFFAÇAIT LES PÉCHÉS.
12. Mais si Je baptême de saint Jean effaçait les péchés, que pouvait conférer de plus le baptême de Jésus-Christ à ceux qui se virent obligés par lapôtre saint Paul de recevoir le baptême du Sauveur après avoir reçu celui de son précurseur ? Et si le baptême de saint Jean neffaçait pas les péchés, saint Jean nest-il pas de beaucoup inférieur à ces ministres contemporains du grand évêque de Carthage, et quil accuse de semparer du bien dautrui par la ruse et la fraude, et daccroître leur fortune par de nombreuses usures ? De tels ministres ne conféraient-ils pas la rémission des péchés? Dira-t-on quils avaient ce pouvoir parce quils appartenaient à lunité de lEglise? Quoi donc? Est-ce que saint Jean nappartenait pas à lunité, lui qui était lami de lEpoux, lange envoyé pour préparer la voie du Seigneur, et conférer le baptême à Jésus-Christ lui-même ? Le nier, ne serait-ce point le comble de la folie ? Je crois donc que saint Jean baptisait dans leau de la pénitence pour la rémission des péchés, de telle sorte cependant que les péchés nétaient remis dans ce baptême que par lespérance même du baptême de Jésus-Christ, seul capable dopérer efficacement cette rémission. Cest ainsi que la résurrection que nous nattendons que pour la fin du monde, est déjà faite en nous par lespérance, selon cette parole de lApôtre : « Il nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir avec lui dans le ciel (Eph., II, 6) ». Le même Apôtre ne dit-il pas ailleurs: « Nous avons été sauvés par lespérance (Rom., VIII, 24)? » Saint Jean disait de lui-même : « Je vous baptise dans leau de la pénitence, pour la rémission des péchés (Matt., III, 11) » et apercevant le Seigneur il sécriait : Voici « lAgneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde (Jean, I, 29) ». Toutefois si quelquun sobstine à croire que le baptême du précurseur effaçait les péchés, et que le baptême de Jésus-Christ conféré à ceux qui étaient déjà baptisés par saint Jean, ne donnait quune augmentation de la grâce sanctifiante (Act., XIX, 3-5), jy consens et refuse dengager sur ce point toute discussion belliqueuse.
CHAPITRE XI.LE BAPTÊME DE SAINT JEAN NE DISPENSAIT PAS DU BAPTÊME DE JÉSUS-CHRIST.
13. Quoi quil en soit du baptême de saint Jean, quil nous suffise de constater que le précurseur appartenait à lunité de Jésus-Christ. Quant à la question particulière qui nous occupe, il nous reste à savoir pourquoi le baptême de saint Jean devait être suivi du baptême de Jésus-Christ, tandis que ce dernier baptême, fût-il conféré par des évêques avares, ne doit jamais être réitéré. On ne saurait douter que dans le champ du Seigneur saint Jean était un véritable froment, rapportant au moins cent pour un, si lon ne peut rapporter davantage. De même, il est certain que lavarice, cette autre forme didolâtrie, est traitée comme de la paille dans la maison du Seigneur. Pourquoi donc baptiser après le froment, et ne pas rebaptiser après la paille? Si pour avoir baptisé après saint Jean, Paul était meilleur que Jean ; pourquoi donc Cyprien na-t-il pas baptisé après ses avares collègues quil laissait bien loin derrière lui ? Dira-t-on quil ne baptisait pas après eux, parce quil était dans lunité avec eux? Saint Paul était assurément en communion avec saint Jean ; pourquoi donc baptisait-il après lui ? Ces hommes injustes et rapaces étaient ils membres de la colombe unique, tandis que ce privilège naurait pas appartenu à celui à qui le Saint-Esprit, descendant sous la forme (136) dune colombe, révéla toute la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Matt., III, 16 ; Jean, I, 33.)? Disons-le hautement, saint Jean formait avec le Sauveur lunion la plus étroite, tandis que les évêques dont nous parlons avaient cessé dappartenir à Jésus-Christ, soit par le fait même de leur vie scandaleuse, soit quils fussent réservés à être séparés du froment au jour de la suprême purification ; et cependant lEglise baptisait après saint Jean et ne baptise pas après ces évêques. Pourquoi cette différence, si ce nest parce que le baptême que Paul ordonna de recevoir, nétait pas le même que le baptême de saint Jean ? Par conséquent le baptême de Jésus-Christ, fût-il conféré par un ministre avare et usurier, ne doit jamais être réitéré, puisquil est toujours le baptême de lunité ; au contraire, ceux qui navaient reçu que le baptême de saint Jean, devaient encore recevoir le baptême de Jésus-Christ, puisque ces deux baptêmes sont essentiellement distincts.
CHAPITRE XII.LE BAPTÊME DE CELUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT.
44. Je puis donc emprunter à Cyprien lui-même ces belles paroles si propres à frapper lesprit des auditeurs, et à jeter de nouvelles lumières sur le mystère que nous étudions : « Jean était le plus grand de tous les prophètes; dès le sein de sa mère il fut rempli de la grâce divine ; doué de lesprit et de la vertu dElie, il ne fut point ladversaire du Seigneur, mais son précurseur et son héraut; il annonça le Sauveur par ses paroles et le présenta même aux regards de la foule ; enfin il eut la gloire de baptiser Celui par qui tous les autres sont baptisés ». Ainsi donc, malgré toute sa grandeur, il na pu empêcher que ceux quil avait baptisés ne dussent recevoir un second baptême, et dans lEglise personne ne pense à réitérer le baptême après les avares, les trompeurs, les voleurs, les usuriers ? Si josais jeter ce cri de jalousie, ne me répondrait-on pas : Quelle inconvenance voyez-vous à cela? Craindriez-vous de déshonorer saint Jean, ou dhonorer les avares? Le baptême quon ne doit pas réitérer, cest le baptême de Celui dont il est dit : « Voilà celui qui baptise dans le Saint-Esprit (Jean, I, 33.) ». Quel que soit le ministre qui le confère, ce baptême est toujours le baptême de Celui « qui baptise dans le Saint-Esprit (Jean, I, 33)». Quand lapôtre saint Paul ordonne de baptiser en Jésus-Christ ceux mêmes qui ont été baptisés par le Précurseur, ce nest pas le baptême de saint Jean qui leur est réitéré. Ce quils navaient pas reçu de lami de lEpoux, ils durent le recevoir de lEpoux lui-même, cest-à-dire de Celui dont il avait été dit par lami lui-même : « Voilà Celui qui baptise dans le Saint-Esprit ».
CHAPITRE XIII.CE QUE LE SAINT-ESPRIT RÉVÈLE À SAINT JEAN.
15. Le Seigneur aurait pu, sil lavait voulu, mettre en possession de son baptême tels ou tels de ses principaux serviteurs, de ceux quil avait constitués ses amis en leur disant: « Je ne vous nommerai plus mes serviteurs, mais mes amis (Id., XV, 15) ». De même quil avait donné à une simple verge le pouvoir de fleurir pour prouver le sacerdoce dAaron (Nomb., XVII,8); de même, dans son Eglise, où tant de miracles se sont accomplis, ne pouvait-il point, par quelque prodige signalé, montrer ceux de ses ministres à qui léminence de leur sainteté méritait le glorieux privilège de baptiser? Toutefois, si le Sauveur eût agi de cette manière, le baptême, quoique conféré au nom de Jésus, neût-il pas paru nêtre que le baptême de ces ministres, comme le baptême de saint Jean était son propre baptême? Voilà pourquoi lApôtre rend grâces à Dieu de navoir baptisé aucun de ceux qui, oubliant au nom de qui ils avaient été baptisés, se divisaient en autant de sectes quils connaissaient de ministres collateurs du baptême (I Cor., I, 12-15) ». Or, nous savons que ce sacrement, quoique conféré par un indigne, est aussi efficace par lui-même que sil est conféré par un apôtre; voilà pourquoi sous la main de lun ou de lautre nous disons que cest toujours le baptême de Jésus-Christ; cest là du reste ce que saint Jean nous révèle avoir appris de lEsprit-Saint descendant sous la forme de colombe. Quant à ces autres paroles: « Et moi je ne le connaissais pas », il mest difficile den comprendre le sens. En effet, sil navait eu du Sauveur aucune connaissance, comment donc, lorsquil lentendit lui demander le (137) baptême, se serait-il écrié : « Cest moi qui dois être baptisé par vous ( Matt., III, 14)? » Que signifient donc ces paroles : « Jai vu le Saint-Esprit descendant du ciel sous la forme dune colombe, et il sest reposé sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas; mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, ma dit : Celui sur lequel tu verras le Saint-Esprit descendre du ciel et se reposer, cest celui-là « qui baptise dans le Saint-Esprit (Jean, I, 32, 33) ». La colombe est en effet descendue au moment du baptême de Jésus-Christ. Mais auparavant, et dès la demande qui lui fut adressée de donner le baptême, saint Jean sécria : « Cest moi qui dois être baptisé par vous ». Il le connaissait donc; et pourtant il nous dit: « Pour moi, je ne le connaissais pas; mais celui qui ma envoyé baptiser dans leau, cest lui-même qui mavait dit : Celui sur lequel tu verras le Saint-Esprit descendre du ciel et se reposer, cest lui qui baptise dans le Saint-Esprit ». Or, ceci ne se passa quau moment même du baptême; par conséquent, si le précurseur connaissait Jésus à tel point de vue, il ne le connaissait pas à tel autre. Il le connaissait comme lEpoux véritable et comme Fils de Dieu, nous faisant part de la plénitude de ses grâces; mais parce quil avait reçu de cette plénitude le pouvoir de baptiser, de telle sorte que son baptême fut appelé le baptême de Jean, il ignorait entièrement si ce privilège serait accordé à dautres, ou bien sil ny aurait désormais quun seul et même baptême, le baptême de Jésus-Christ, peu importe dailleurs quil fût conféré par un ministre dune sainteté éclatante, ou dune sainteté purement intérieure, par un homme capable de produire cent, ou soixante, ou trente pour un, par le froment ou par la paille. Cest là ce qui lui fut révélé par le Saint-Esprit descendant sous la forme dune colombe et se reposant sur le Sauveur.
CHAPITRE XIV.LE BAPTÊME TOUJOURS LE MÊME, MALGRÉ LA DIVERSITÉ DES MINISTRES.
16. Nous entendons lApôtre se servir dexpressions comme celles-ci : « Ma gloire ( I Cor., IX, 15 ) mon ministère (Rom., XI, 13); ma prudence (Eph., III, 4); mon Evangile (II Tim., II, 8 ) », tout en reconnaissant que ces dons lui viennent du Seigneur; quant au sacrement dont nous parlons, nous ne voyons pas quaucun apôtre ait jamais dit : Mon baptême. La gloire de ces Apôtres nest pas la même pour tous; leur ministère nest pas égal ; ils ne sont pas tous doués de la même prudence; la prédication na pas été aussi fertile et aussi laborieuse pour les uns que pour les autres; on peut même ajouter que lun a été plus savant et plus habile que lautre dans la doctrine du salut. Et cependant de tous les chrétiens on ne peut pas dire que lun ait été plus ou moins baptisé que lautre, que ce sacrement lui ait été conféré par un ministre inférieur ou supérieur. « Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, limpureté, limpudicité, la dissolution, lidolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés , les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches et autres choses semblables (Gal., V, 19-21)». Or, voici la réflexion que me suggèrent ces paroles: Si lon sétonne de voir le baptême de Jésus-Christ conféré à des hommes déjà baptisés par saint Jean, tandis quon ne réitère pas ce sacrement quoique conféré par des hérétiques; pourquoi ne pas sétonner quon ait baptisé des hommes déjà baptisés par saint Jean, tandis quon ne rebaptise pas après des ministres jaloux? Dans sa lettre sur lenvie et la jalousie, Cyprien lui-même ne classe-t-il pas les jaloux au nombre des partisans du démon? ne rappelle-t-il pas, en se fondant sur le témoignage de lapôtre saint Paul, que dès les temps apostoliques, il-se trouvait des ministres qui sinspiraient de lesprit de jalousie ( Cyp., Lettre LXXIII, à Jubaianus )?
CHAPITRE XVI.LE BAPTÊME PEUT ÊTRE VALIDE, QUOIQUE ILLICITE.
17. Je ne crois pas avoir besoin dinsister pour prouver que le baptême de Jean nétait pas le baptême de Jésus-Christ. Par conséquent, on pouvait fort bien baptiser après saint Jean, sans que ce fût une raison pour baptiser après les hérétiques. Saint Jean nétait pas un hérétique, et parce quil avait la charité de Jésus-Christ, il avait pu recevoir lordre de baptiser, quoique le baptême quil conférait ne fût pas le baptême de (138) Jésus-Christ. De même un hérétique peut avoir le baptême de Jésus-Christ et la perversité du démon, comme un membre de lunité peut avoir le baptême de Jésus-Christ et la jalousie du démon. 18. On insiste et lon dit : Pourquoi ne pas rebaptiser après les hérétiques, puisquon baptisait après saint Jean qui nétait pas hérétique? Tel autre ajoutera : Pourquoi ne pas rebaptiser après un ministre ivrogne, puisquon rebaptisait après saint Jean qui était dune sobriété parfaite? A cela voici ce que nous pouvons répondre: Les hommes baptisés par saint Jean navaient pas le baptême de Jésus-Christ; en les rebaptisant on leur donnait ce quils navaient pas encore reçu; quant à ceux qui ont reçu le baptême de Jésus-Christ, à quelque degré de perversité quils sabandonnent, rien ne pourra les empêcher de porter en eux ce baptême. 19. Il est donc faux de dire « que lhérétique a pu obtenir le droit du baptême, parce quil a baptisé le premier»; il faudrait dire : Parce que ce nest pas son propre baptême quil confère; et quoiquil nait pas eu le droit de baptiser, cependant cest bien le baptême de Jésus-Christ quil a conféré, et cest bien à Jésus-Christ quappartient celui qui a reçu ce sacrement. Beaucoup de choses se font contre le droit ; elles nen sont pas moins faites et ne sont pas toujours nulles, Celui qui ne renonce au siècle que du bout des lèvres et non point par ses oeuvres; na pas le droit de recevoir le baptême, et cependant il le reçoit. Quil y eut de tels hommes dans lEglise, Cyprien le constatait de son temps; nous-mêmes nous en avons la preuve sous les yeux et nous en gémissons. 20. Je ne comprends pas que lon puisse dire « que le baptême et lEglise ne peuvent être ni séparés ni divisés ». Car si le baptême demeure inséparablement dans celui qui a été baptisé, comment donc ce dernier peut-il être séparé de lEglise, tandis que le baptême ne peut en être séparé? Or, il est certain que le baptême imprime à celui qui la reçu un caractère ineffaçable ; quel que soit le gouffre du mal dans lequel il se plonge, quels que soient les crimes auxquels il sabandonne, fût-ce même à lapostasie, il est et il reste baptisé; voilà pourquoi ce sacrement ne saurait lui être réitéré. Dun autre côté, peut-on douter quun homme baptisé puisse se séparer de lEglise ? Le nom seul des hérésies ne prouve-t-il pas quelles sont toutes sorties du sein de lEglise ? Cest par là surtout quelles trompent les fidèles.
CHAPITRE XVI.LA PRIMAUTÉ NE SE CONFOND PAS TOUJOURS AVEC LUNITÉ.
Quand donc un homme baptisé se sépare de lEglise, il est certain quil ne perd pas le baptême, et par conséquent le baptême se sépare avec lui. De là je conclus que tous ceux qui possèdent le baptême nappartiennent pas pour cela à lEglise ; de même tous ceux qui sont membres de lEglise, ne possèdent point par cela seul la vie éternelle. Ou si nous admettons que ceux-là seuls appartiennent à lEglise, qui observent les préceptes divins, nous trouverons que beaucoup possèdent le baptême et nappartiennent pas à lEglise. 21. Il nest donc pas vrai de dire « que lhérétique sempare par avance du baptême », puisque cest de IEglise elle-même quil le reçoit. Dun autre côté, en se jetant dans le schisme il na pas perdu le baptême, puisque nous- avouons quil possède ce sacrement, quoiquil soit lui-même séparé de lEglise. De même « personne ne se dépouille de la primauté pour laccorder à lhérétique », puisque nous affirmons que le schismatique a emporté avec lui dans sa séparation ce même baptême quil ne peut conférer légitimement, et qui cependant est légitimé;et quil ne possède même pas légitimement ,quoique par lui-même ce baptême soit légitime. Quant à la primauté, elle consiste dans une vie juste et sainte, à laquelle sont appelés tous les enfants de lépouse sans tache et sans ride (Ephés., V, 27), et tous les membres de cette colombe qui gémit sans cesse sur là perversité dun si grand nombre de corbeaux. On ne dira pas sans doute que la. primauté appartient à tous ces hommes si bien figurés dans la personne dEsaü vendant son droit daînesse pour un plat de lentilles (Gen., XXV, 29-34) ; je veux parler de ces ministres injustes, voleurs, usuriers, jaloux, ivrognes, comme étaient ceux sur lesquels Cyprien versait de son temps des larmes si amères. Ainsi donc, ou appartenir à lEglise, ce nest pas occuper le premier rang dans les choses divines; ou bien, si tous ceux qui (139) appartiennent à lEglise jouissent par là même de la primauté, il faut regarder comme réellement séparés de lEglise tous ces ministres coupables qui lui appartiennent extérieurement, confèrent le baptême et le possèdent validement. Pour leur accorder la primauté dans les choses divines, ne faudrait-il pas être privé de toute notion religieuse?
CHAPITRE XVII.CONCLUSION DE LA LETTRE DE CYPRIEN.
22. Après toutes les explications et tous les développements qui précèdent nous arrivons à ces paroles pacifiques qui terminent la lettre de Cyprien, et quon ne saurait se lasser ni de lire ni de répéter, tant elles exhalent les joies de lamour fraternel et les douceurs de la charité. « Telles sont, frère bien-aimé, les réflexions que jai cru devoir vous adresser dans ma médiocrité; je ne prescris ni ne préjuge rien, et je laisse à chaque évêque le droit dagir comme il lentendra, dans la plénitude de son libre arbitre. Pour ce qui me regarde, je mabstiens, à loccasion des hérétiques, de discuter avec mes collègues dans lépiscopat; car avant tout je veux rester avec eux dans la concorde et la paix du Seigneur et me rappeler sans cesse ces paroles de lApôtre : Si quelquun aime à contester, pour nous ce nest point là notre habitude, ni celle de lEglise de Dieu (I Cor., XI, 16). Nous conservons dans la patience et dans la douceur la charité de lesprit, lhonneur du collège épiscopal, le lien de la foi, la concorde du sacerdoce. Cest dans ce but que jai composé un petit ouvrage sur le Mérite de la Patience, avec tout le soin que ma permis ma médiocrité, et comptant avant tout sur la grâce et le secours de Dieu. Comme preuve de notre mutuelle dilection, je vous ai adressé ce livre ». 23. Plusieurs considérations nous restent à faire sur ces paroles, dans lesquelles brille de tout son éclat la charité chrétienne de cet évêque qui a aimé la beauté de la maison du Seigneur et la splendeur de son tabernacle (Ps., XXV, 8), Et dabord il a clairement formulé sa pensée; ensuite il sest renfermé dans les bornes de la mansuétude et de la paix; il a vécu en communion avec ceux qui ne partageaient pas son opinion; il a compris quil ny avait de salut et de garanties possibles que dans le lien de lunité; il a aimé par-dessus tout cette unité et la conservée avec autant de prudence que de dévouement; il a compris que les partisans dopinions différentes peuvent cependant conserver réciproquement la charité; à légard des méchants il ne sest jamais flatté de conserver la concorde et la paix du Seigneur; on peut avoir de la charité pour eux, mais quant à vivre dans la paix avec eux, cest une chose impossible, puisquils se posent eux-mêmes en ennemis de la paix; enfin il na voulu imposer à personne ni sa manière dagir, ni sa manière de penser, laissant chaque évêque parfaitement libre de ses oeuvres et de ses jugements, et il nous autorisait ainsi à traiter avec lui pacifiquement ces graves et importants sujets. En effet, nest-il pas toujours présent au milieu de nous, non-seulement par ses lettres, mais surtout par cette charité que lon vit briller en lui dun si vif éclat, et dont jamais il ne voulut se départir? A mon tour, si je nen suis pas. empêché par la multitude et la gravité de mes fautes, désirant lui rester intimement uni et comptant sur le secours de ses prières, je montrerai que Cyprien, par ses lettres surtout, fut linstrument le plus puissant dont Dieu se servit pour gouverner son Eglise dans la paix et dans les joies de lunité. Apprenant par ses paroles à me revêtir des entrailles de lhumilité, si jarrive à prouver que lopinion que je partage avec lEglise universelle est la seule véritable, je naurai garde de me préférer à lui, et tout en regrettant quil se soit trompé, je noublierai pas quil est resté fidèlement attaché à lunité de lEglise. Rappelons-nous que cette question de la réitération du baptême nétait pas encore résolue, et que Cyprien sur cette matière avait embrassé une opinion contraire à celle dun grand nombre de ses collègues; nous comprendrons alors quelle force dâme il dut déployer pour se maintenir toujours dans les bornes de la modération et épargner à lEglise de Dieu les douleurs de la division et du schisme ; à ce titre seul il me semble plus digne dadmiration, quil ne laurait été sil fût resté dans la vérité, mais sans montrer autant de vertu. De ma part ce serait loffenser que dexalter son génie, son éloquence et labondance de sa doctrine, au détriment dun concile général, auquel il assista spirituellement par son (140) attachement à lunité ; ce serait là pour lui une injure dautant plus grave que, placé dans le séjour des élus, il y jouit de tout léclat de cette vérité dont il avait fait sur la terre lobjet de ses paisibles recherches. Du sein de cette abondance dont il goûte les douceurs, tous nos discours qui nous paraissent si éloquents, ne lui semblent que des jeux denfants; il comprend combien il fut sagement inspiré de navoir rien de plus cher que lunité dans lEglise. Ce lui est une bien douce jouissance de contempler linfinie prévoyance et linfinie miséricorde avec lesquelles le Seigneur, pour écraser notre orgueil, a voulu choisir ce quil y avait de plus insensé dans le mondé pour confondre les sages. Enfin il admiré avec quelle sagesse Dieu a coordonné les membres de son Eglise, pour empêcher que ses ministres, se prenant dun coupable orgueil à la vue de leur génie ou de leurs écrits, nen vinssent à ignorer lauteur de ces dons et ne se crussent nécessaires à la diffusion de la parole évangélique. Oh! quelle nest pas la joie de Cyprien! Du sein de la lumière éternelle, comme il comprend quil importe quelquefois au salut de plusieurs, que les orateurs les plus chrétiens et les plus pieux tombent involontairement dans lerreur, tandis que les écrits des Pêcheurs sont absolument irrépréhensibles! Appuyé sur la joie dont jouit ce grand évêque, je me croirais par trop téméraire de penser et de dire que mes livres sont exempts de toute tache et de toute erreur involontaires. Et quand je le condamne davoir voulu recevoir les hérétiques autrement quon ne les recevait dans le passé, comme il le constate lui-même, et autrement quon ne les reçoit aujourdhui selon lantique coutume sanctionnée par le décret dun concile général, ce nest pas mon opinion personnelle que je préfère à la sienne, mais la doctrine de la sainte Eglise catholique, quil a aimée et quil aime et dans laquelle il a produit les fruits les plus abondants par sa patience et sa douceur. Il ne fut pas lEglise universelle, mais il demeura dans luniversalité de lEglise. Il ne quitta jamais le tronc vivant de lEglise, mais afin quil y puisât une plus grande fécondité, il fut émondé par lagriculteur céleste. Enfin, pour assurer la paix et le salut de lEglise, et pour empêcher que le bon grain ne fût arraché avec la zizanie, il réprouva énergiquement les crimes de ces hommes qui appartenaient extérieurement à lunité de lEglise, et cependant il supporta leur présence avec une charité qui ne se démentit jamais.
CHAPITRE XVIII.LE BAPTÊME RESTE TOUJOURS VIVANT.
24. Le saint martyr nous enseigne donc clairement que beaucoup dhommes morts au péché, et par là même exclus de la société de Jésus-Christ et nétant plus membres de la colombe unique, innocente et simple, paraissent cependant appartenir à lunité, reçoivent le baptême et le confèrent, ce quils ne feraient pas si la colombe seule avait le pouvoir de baptiser. Quoiquen eux la grâce soit morte, le baptême y vit, car il est le baptême de Celui qui ne meurt plus et sur qui la mort a perdu tout empire. De tels ministres sont réellement morts à lunité, ou à lâme de lEglise, et cette mort nest point secrète, car autrement Cyprien ne formulerait pas contre eux des accusations aussi précises; par conséquent ils nappartiennent pas ou ils nappartiennent plus à cette colombe toujours vivante et pure. Dun autre côté, on doit regarder commue morts extérieurement, cest-à-dire au corps même de lEglise, tous ceux qui par des crimes manifestes ont montré quils nappartiennent pas ou quils nappartiennent plus à lEglise. Or, il est admis en principe que « personne ne peut être vivifié « que par celui qui a la vie »; et cependant il est certain que tous ceux qui apportent au baptême une véritable conversion du coeur et lamour de lunité, fussent-ils baptisés; dans cette même unité, par des ministres indignes, sont réellement vivifiés, ce qui prouve que celui qui les vivifie, cest Celui-là même qui a institué le baptême. Au contraire, sils ne renoncent au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, comme font, selon saint Cyprien, un trop grand nombre de ceux qui appartiennent à lunité, il ny a de vivification possible pour eux quautant quils se convertiront sincèrement, et cependant, dussent-ils ne pas se convertir, ils ne laissent pas davoir le baptême véritable. Par la même raison, ceux qui sont morts extérieurement à lunité, « quoiquils ne puissent ni vivre ni vivifier», possèdent cependant le baptême vivant, qui sera pour eux le principe de la vie véritable dès quils se convertiront et rentreront dans la paix de lunité. (141)
CHAPITRE XIX.LANCIENNE COUTUME FONDÉE SUR LA. RAISON ET LA VÉRITÉ.
25. Quand donc « sappuyant sur lancienne coutume » nos évêques accueillaient les hérétiques comme lEglise les accueille aujourdhui, cest-à-dire avec le seul baptême quils avaient reçu dans le schisme, personne nétait en droit de les blâmer et de leur dire : « Dans le principe tous les anciens hérétiques et schismatiques avaient dabord appartenu à lEglise et y avaient reçu le baptême avant de se jeter dans le schisme; voilà pourquoi il nétait nullement nécessaire de les rebaptiser quand ils rentraient dans lunité».Dès quune hérésie existait, dès quelle se séparait de la communion catholique, elle pouvait, je ne dis pas le lendemain, mais le jour même conférer le baptême à ceux qui demandaient à entrer dans son sein. Or, selon lancienne coutume que personne ne peut révoquer en doute, on recevait les hérétiques sans leur réitérer le baptême; nest-il donc pas évident que dans le nombre il sen trouvait qui navaient été baptisés que dans le schisme ou lhérésie? 26. Je ne comprends pas pour quel motif on ne regarderait point « comme une brebis errante » celle qui, tout en cherchant le salut chrétien, sest laissé séduire par lerreur et a été baptisée par les hérétiques; peut-on la regarder comme appartenant à lunité catholique, quand il est certain quelle ne renonçait au siècle que du bout des lèvres et non point par ses oeuvres, et recevait le baptême dans cette mauvaise disposition? Ou bien, si elle ne devient brebis quau moment où elle se tourne vers Dieu par une communion sincère, jétablirai la comparaison suivante : Celui qui avait le baptême sans devenir brebis, na pas besoin de recevoir le baptême quand il devient brebis; de même Celui qui renonce à lhérésie pour devenir brebis, na pas besoin de recevoir de nouveau le baptême, sil a été baptisé dans lhérésie, quoiqualors il neût pas été brebis. Jusque dans lunité catholique il y a des pécheurs, des avares, des jaloux, des ivrognes, des profanateurs de la discipline chrétienne, qui tous peuvent mériter le nom de menteurs, daveugles, de cadavres et dantéchrists. Et cependant, soutiendra-t-on quils ne baptisent pas, parce quil « ne peut rien y avoir de commun entre le mensonge et la vérité, entre les ténèbres et la lumière, entre la mort et limmortalité, entre lantéchrist et Jésus-Christ? » 27. Ce nest donc pas seulement « au nom de la coutume, mais au nom de la raison « et de la vérité», que nous affirmons du baptême de Jésus-Christ quil ne peut être perverti par la perversité des hommes, et quil reste valide dans les plus grands pécheurs. Lapôtre saint Jean proclame hautement que « celui qui hait son frère, demeure encore « dans les ténèbres (I Jean, II, 9.)», et que « celui qui hait son frère est homicide (Id., III, 15) », Pourquoi donc de tels hommes sont-ils baptisés dans lunité de lEglise par des ministres auxquels Cyprien reproche de sabandonner à une envie haineuse (Cyp., Lettre LXXIII, à Jubaianus)?
CHAPITRE XX.CEST DIEU LUI-MÊME QUI BAPTISE PAR SON MINISTRE.
Comment un homicide peut-il purifier et sanctifier leau? Comment lhuile peut-elle être bénite par les ténèbres? Or, pourvu que Dieu reste présent à ses sacrements et à ses paroles, nimporte par qui ses sacrements soient administrés, ils conservent toujours leur validité essentielle, et les pécheurs auxquels ses sacrements restent inutiles, deviennent pécheurs aussi bien dans lunité que dans le schisme. 28. Que peut donc signifier cette parole « Lhérétique na pas le baptême, puisquil nest pas dans lunité de lEglise? » Il est certain cependant « quon linterroge sur la « sainte Eglise avant de lui conférer le baptême ». De même celui qui ne renonce au siècle que du bout des lèvres, et non point par ses oeuvres, doit répondre à la même question dans la cérémonie du baptême. Or, la fausseté de sa réponse ne lempêche pas de recevoir validement le baptême; pourquoi donc en serait-il autrement de lhérétique? Plus tard, quand ce mauvais catholique, revenant à de meilleures dispositions, parlera franchement, on se contentera de constater sa conversion sans lui réitérer le baptême; de même doit-il en être de lhérétique, quand il revient à lEglise; interrogé sur ce point il (142) avait répondu mensongèrement, parce quil croyait avoir ce quil navait pas; dès quil se convertit on lui donne ce quil navait pas, cest-à-dire la véritable Eglise, mais on ne lui réitère pas ce quil a déjà validement reçu, cest-à-dire le baptême. Avec les paroles qui procèdent de la bouche dun homicide, Dieu « peut sanctifier lhuile; pourquoi donc ne le pourrait-il pas sur lautel érigé par les hérétiques? » Je lignore, à moins quon nadmette que Dieu ne sarrête pas devant un coeur criminel appartenant à lunité, tandis quil sarrête devant le bois fallacieusement érigé dans le schisme; de telle sorte que ce même Dieu, qui ne se laisse jamais surprendre aux mensonges des hommes, se rendrait présent dans le premier cas, et dans le second refuserait son assistance aux sacrements. Si cette parole de lEvangile « Dieu nécoute pas le pécheur (Jean, IX, 31) », signifie que les sacrements ne peuvent être validement conférés par des ministres pécheurs; comment donc exauce-t-il lhomicide qui linvoque soit sur leau du baptême, soit sur lhuile, soit sur lEucharistie, soit sur la tête de ceux auxquels on impose les mains? Or, ces sacrements sont quelquefois conférés et toujours validement par des homicides, cest-à-dire par ceux qui nourrissent de la haine pour leurs frères, jusque dans lunité de lEglise? « Personne ne peut donner ce quil na pas ». Comment donc un homicide donne-t-il le Saint-Esprit? Et cependant cet homicide baptise dans lunité. Cest donc Dieu. lui-même qui, par son ministère, donne le Saint-Esprit.
CHAPITRE XXI.LUNITÉ DU BAPTÊME ET DE LÉGLISE.
29. « Celui qui revient à lEglise», dit saint Cyprien, « doit être baptisé et renouvelé, afin quil soit. sanctifié dans lunité par les saints ». Mais que fera-t-il donc de celui qui dans lunité aura marché dans la voie des pécheurs? Un homicide est-il un saint? Et si lon baptise dans lEglise afin que « lhérétique se dépouille du crime quil a commis, quand, cherchant un prêtre pour revenir à Dieu, il est tombé dans le sacrilège par la séduction de lerreur», comment pourra se dépouiller de sa faute celui qui dans lunité même de lEglise, cherchant lhomme de Dieu, sest adressé à un homicide par la séduction de lerreur? Si « dans un même homme il ne peut arriver quune chose soit vaine, et quune autre prévale », pourquoi dans un homicide le sacrement peut-il être saint tandis que le coeur est coupable? Si « celui-là ne peut pas baptiser, qui ne peut pas donner « le Saint-Esprit », pourquoi lhomicide baptise-t-il dans lunité? Ou bien, comment un homicide peut-il avoir le Saint-Esprit, puisque celui qui possède le Saint-Esprit jouit de la lumière, tandis que « celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres? » « Parce quil ny a quun seul baptême et un seul Esprit », si les hommes qui nont pas le seul Esprit ne peuvent avoir le seul baptême, pourquoi dans lunité celui qui est innocent et celui qui est homicide ont-ils le même baptême, tandis quils nont pas le même Esprit? Ainsi donc lhérétique. et le catholique peuvent avoir le seul et même baptême sans avoir la seule Eglise, comme dans lunité celui qui est innocent et celui qui est homicide peuvent avoir le seul baptême sans avoir le même Esprit; car, comme il ny a quun seul baptême, il ny a non plus quun seul Esprit et une seule Eglise. Par conséquent, à légard de chaque homme il faut reconnaître ce quil a et lui donner ce quil na pas. Si « rien de bon ni de valide ne peut être fait devant le Seigneur par ceux que le Seigneur regarde comme ses adversaires et ses ennemis », pourquoi donc le baptême conféré par un homicide est-il valide? Est-ce que nous ne regardons pas les homicides comme les adversaires et les ennemis du Seigneur? Or, «celui qui hait son frère est homicide ». Comment donc conféraient-ils le baptême, ceux qui, nourrissant de la haine contre Paul, le serviteur du Christ Jésus, en nourrissaient par là même contre Jésus qui disait à Paul « Pourquoi me persécutez-vous (Act., IX, 4 )? » quand ce nétait que ses serviteurs qui étaient persécutés? A la fin du monde le souverain Juge ne doit-il pas sécrier : « Ce que vous navez pas fait pour le dernier des miens, vous ne lavez pas fait pour moi-même (Matt., XXV, 45) » Par conséquent, tous ceux qui nous quittent ne sont plus davec nous, mais tous ceux qui sont avec nous ne sont pas pour (143) cela des nôtres. Dans une aire où lon bat le grain, ce qui senvole nest pas du froment, mais tout ce qui reste nest pas pour cela du froment. De là ces paroles de saint Jean : « Ils sont sortis davec nous, mais ils nétaient pas des nôtres. Car sils eussent été des nôtres ils tussent demeurés avec nous (I Jean, II, 19)». Ainsi donc Dieu ne craint pas de se servir des méchants pour nous donner le sacrement de la grâce; quant à la grâce elle-même, sil nous la donne, cest par lui-même et par ses saints. Par exemple, sil sagit de la rémission des péchés, il nous laccorde par lui-même ou par les membres de la colombe auxquels il a dit: « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Jean, XX, 23 ) ». Quant au baptême, qui est par excellence le sacrement de la rémission des péthés, il est certain quil peut être possédé par les homicides, encore plongés dans les ténèbres puisquils nont pas arraché de leur coeur la haine fraternelle; dun autre côté, doit-on dire que ce sacrement, reçu dans des coeurs mai disposés, ny a pas opéré la rémission des péchés, ou que ces péchés à peine remis ont repris une existence nouvelle? Je ne saurais me prononcer sur ce point. Quoi quil en soit, j affirme sans hésiter que par lui-même et en tant quil vient de Dieu ce sacrement est saint, et que, soit dans lunité, soit dans le schisme, il ne saurait être souillé par la perversité ni de ceux qui le donnent ni de ceux qui le reçoivent.
CHAPITRE XXII.CONDITIONS DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS.
30. Nous disons donc avec Cyprien: « Les hérétiques ne peuvent donner la rémission « des péchés » ; mais ils peuvent donner le baptême, sauf que cette collation est pour eux une cause de ruine, soit quils le donnent soit quils le reçoivent, parce qualors ils font un mauvais usage de lun des plus grands bienfaits de Dieu. De même les ministres pêcheurs et jaloux dont Cyprien constatait la présence dans lunité de lEglise ne peuvent donner par eux-mêmes la rémission des péchés, quoiquils puissent sans aucun doute conférer le sacrement de baptême. A légard de ceux qui nous ont offensés, lEcriture nous dit: « Si vous ne pardonnez pas les péchés de vos frères, votre Père céleste ne « vous pardonnera pas davantage vos propres péchés (Matt., VI, 15) » ; à plus forte raison ny aura-t-il aucune rémission des péchés pour ceux qui rendent à leurs frères la haine pour lamour et reçoivent le baptême dans cette coupable disposition. Si plus tard ils reviennent à de meilleures dispositions, le pardon quils navaient pas dabord mérité leur est accordé, sans quil soit aucunement besoin de leur réitérer le baptême. De là nous pouvons conclure que la lettre de saint Cyprien à Quintus, et celle quil écrivit, de concert avec ses collègues Libéralis, Caldonius, Junius et autres, à Saturninus, Maximus et autres, pour peu quon les étudie sérieusement, ne contredisent nullement lancienne coutume de lEglise catholique, dont ils se glorifiaient dêtre les membres, dont ils ne se séparèrent jamais et dont ils nexclurent aucun de ceux qui ne partageaient pas leurs opinions. Plus tard toute difficulté disparut sur ce point, lorsquil plut à la volonté du Seigneur de décider, par la voix dun concile général, le seul parti conforme à la vérité et reposant, non point sur une nouveauté quelconque, mais sur une coutume de tout temps observée.
CHAPITRE XXIII.RÉFUTATION DE LA LETTRE DE CYPRIEN A POMPÉIUS.
31. Cyprien traita le même sujet dans une lettre à Pompéius, et à cette occasion il avoue sans détour quEtienne, alors évêque de Rome, loin de partager son opinion, la réfute par écrit et prescrit de suivre la coutume contraire. On naccusera pas cependant ce pape « davoir été en communion avec les hérétiques », parce quil refusa de condamner comme invalide le baptême de Jésus-Christ, dont il reconnaissait la validité, malgré la perversité de ceux qui le conféraient ou le recevaient. En effet, sil suffit davoir sur Dieu des idées erronées pour perdre le baptême; nai-je pas suffisamment prouvé que ces idées sont parfois embrassées par certains catholiques? Sans doute « les Apôtres nont rien statué sur ce point » ; mais cette coutume que lon opposait à Cyprien, ne doit-on pas lui reconnaître une origine apostolique, (144) et lassimiler ainsi à une multitude dautres pratiques traditionnelles que lon fait remonter légitimement aux Apôtres, quoiquelles ne se trouvent consignées dans aucun de leurs ouvrages? 32. Mais il est écrit des hérétiques qu « ils se sont eux-mêmes condamnés (Tit., III, 11 ) ». Est-ce donc par dautres que par eux-mêmes quont été condamnés ceux à qui sadresse cette parole: « En condamnant les autres, vous vous condamnez vous-mêmes? » Cest encore à eux que lApôtre disait: « Vous qui proclamez quon ne doit point dérober, vous dérobez (Rom., II, 1, 21 )», etc. Ces reproches ne sadressent-ils pas à ces évêques restés en communion avec lEglise catholique, et avec Cyprien lui-même, et qui semparaient frauduleusement du bien dautrui, tout en rappelant aux peuples ces paroles de lApôtre: « Les voleurs ne posséderont pas le royaume de Dieu (I Cor., VI, 10 ) ? » 33. Je vais donc, sans plus tarder, examiner successivement et daprès les mêmes principes , les propositions émises par Cyprien, dans sa lettre à Pompéius. « Il est contraire au précepte de Dieu que ceux qui renoncent à lhérésie ne reçoivent pas le baptême, lors même quils auraient été baptisés dans lhérésie » ; dans quel endroit des saintes Ecritures ce précepte est-il donc formulé ? Nest-il pas évident quun grand nombre de pseudo-chrétiens possèdent le même baptême que les saints, quoiquils ne possèdent pas avec eux cette charité sans laquelle les dons les plus sacrés ne peuvent leur être daucune utilité ? Cette vérité, dailleurs, me semble suffisamment prouvée par tout ce qui précède. « LEglise, le Saint-Esprit et le baptême ne peuvent être séparés lun:de lautre; par conséquent, ceux qui sont séparés de lEglise, le sont également du Saint-Esprit et même du baptême ». Selon cette doctrine de Cyprien, quiconque a reçu le baptême dans lEglise catholique, demeure dans ce baptême tant quil demeure lui-même dans lEglise; et, sil se sépare de lEglise, il se sépare par le fait même du baptême. Or, il nen est point ainsi. Car si ce dernier revient à lEglise, on ne lui réitère pas le baptême ; et pourquoi donc, si ce nest parce quil ne lavait pas perdu en se jetant dans le schisme? Dun autre côté, si les justes possèdent le Saint-Esprit, les méchants ne le possèdent pas , et pourtant les uns et les autres possèdent le baptême ; de même les catholiques possèdent la véritable Eglise tandis que les hérétiques ne la possèdent pas, et cependant le baptême leur est commun à tous. Nous lisons : « Le Saint-Esprit fuira lhypocrite (Sag., I, 5 )», et cependant le baptême ne le fuira pas. De même donc que le baptême reste, tandis que le Saint-Esprit se retire ; de même le baptême peut être là où nest pas lEglise. « Limposition des mains, pourvu quelle ne se fasse pas sur un homme qui « revient de lhérésie » , serait regardée comme parfaitement innocente ; or, les hérétiques convertis reçoivent limposition des mains, en vertu de leur union avec la charité qui est le don par excellence du Saint-Esprit, et sans laquelle tous les autres dons ne sont absolument daucune utilité pour le salut.
CHAPITRE XXIV.CONTINUATION DU MÊME SUJET.
34. Nous avons Suffisamment montré dans quel sens on doit interpréter ce qui est dit « du temple de Dieu», ou ces autres paroles: « Vous tous qui êtes baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus de Jésus-Christ (Gal., III, 27 )». Et dabord les avares ne sont pas le temple de Dieu, puisquil est écrit : « Quelle union peut-il y avoir entre le temple de bien et les idoles (II Cor., VI, 16)? » Or, Cyprien lui-même a cité le passage dans lequel saint Paul fait de lavarice une véritable idolâtrie. Ensuite les hommes se revêtent de Jésus-Christ, quelquefois jusquà la réception du sacrement, et quelquefois jusquà la sanctification de leur vie. Dans le premier cas nous pouvons rencontrer indistinctement les bons et les méchants dans le second nous ne trouvons que les hommes justes et pieux. Si donc « le baptême ne peut exister sans le Saint-Esprit », il faut admettre que les hérétiques possèdent le Saint-Esprit, non pas pour leur salut, mais pour leur ruine éternelle à lexemple de Saül (I Rois, XIX, 23 ). Les démons sont chassés par la vertu du nom de Jésus-Christ dans le Saint-Esprit; or, nous lisons dans lEvangile que les disciples rencontrèrent un juif qui était hors de lEglise et qui cependant chassait les démons ( marc., IX, 37 ). Les avares ont le baptême, et cependant ils ne sont pas le temple de Dieu, car « quelle union peut-il y (145) avoir entre le temple de Dieu et les idoles?» Si donc les avares ont le baptême sans avoir lEsprit de Dieu, ne faut-il pas en conclure que le baptême peut exister là où ne se trouve pas le Saint-Esprit? 35. Si « lhérésie ne peut engendrer des enfants à Dieu par Jésus-Christ, parce quelle nest pas lépouse de Jésus-Christ », cette foule de pécheurs appartenant à lunité ne le peut pas davantage, puisquelle nest pas non plus lépouse de Jésus-Christ. En effet, lépouse de Jésus-Christ nous est désignée comme étant sans tache et sans ride (Eph., V, 27 ). Ainsi donc, ou bien tous ceux qui sont baptisés ne sont pas enfants de Dieu, ou bien ces enfants de Dieu peuvent être engendrés par celle qui nest pas lépouse. Comme on demande « si celui qui a reçu le baptême de Jésus-Christ parmi les hérétiques est né spirituellement », on peut également demander si lon doit reconnaître une naissance spirituelle à celui qui a reçu le baptême dans lEglise catholique, mais sans y apporter les dispositions dun repentir véritable, ce qui nempêche pas que le baptême soit valide.
CHAPITRE XXV.SAINT ÉTIENNE ET SAINT CYPRIEN.
36. Je ne réfuterai pas les arguments que Cyprien, sous le coup dune certaine irritation, opposait à saint Etienne; dailleurs cette réfutation nest nullement nécessaire, car sauf la forme ce sont toujours les objections que nous avons discutées dans les livres précédents ; abstenons-nous donc dinsister sur ces matières qui ont pu donner lieu à de fâcheuses dissensions. Etienne opinait pour excommunier ceux qui tenteraient de changer lancienne coutume jusque-là suivie dans la réintégration des hérétiques ; Cyprien, tout pénétré des difficultés de la question, et enflammé de toutes les ardeurs de la charité, soutenait quil fallait rester en communion avec ceux-là mêmes qui professaient des opinions opposées. De part et dautre la discussion devint très-vive, mais sans sortir des bornes de la fraternité, et la paix de Jésus-Christ finit enfin par remporter un éclatant triomphe, puisquil ny eut même pas jusquà lapparence dun schisme. Cest donc une erreur de soutenir « que cette question fut comme le point de départ de laccroissement des schismes et des hérésies »; on se contenta dapprouver ce qui vient de Jésus-Christ et de désapprouver ce quil y avait dexclusivement personnel. Du reste, tous ceux qui voulurent rester fidèles à cette prétendue loi de la réitération du baptême, neurent plus à invoquer de nouveaux arguments, sous peine de se voir aussitôt confondus.
CHAPITRE XXVI.LÉVÊQUE DOIT ENSEIGNER ET SINSTRUIRE.
37. Citant ces paroles de lApôtre: «Lévêque doit être capable dinstruire (II Tim., II, 24 ) », Cyprien les commente en ces termes : « Celui-là est capable dinstruire qui sait apporter dans ses leçons beaucoup de douceur et de patience; car lévêque doit non-seulement enseigner, mais encore apprendre; or, celui qui instruit le mieux, cest celui qui profite de chaque jour pour développer et perfectionner ses connaissances ». Ces paroles du saint et pieux évêque nous prouvent que nous navons point à redouter la lecture de ses lettres comme si elles devaient ébranler notre croyance et notre conviction par rapport aux décisions solennellement formulées par lEglise, après de nombreuses et constantes recherches. En effet, si la science de Cyprien pouvait se prononcer sur un grand nombre de sujets, son humilité lui permettait dapprendre chaque jour quelque chose. Suivons surtout cet excellent conseil quil nous donne: « Remontons aux sources, cest-à-dire à la tradition apostolique, et suivons-en le cours jusquà lépoque où nous sommes ». Or, il rappelle lui-même que nous avons appris des Apôtres « quil y a un Dieu, un Christ, une « espérance, une foi, une Eglise et un baptême ( Eph., IV, 4, 5) ». Or, du temps même des Apôtres, nous trouvons que certains hommes navaient pas la même espérance et avaient un seul et même baptême; de là nous pouvons conclure quil peut arriver que, malgré lunité dEglise, despérance et de baptême, quelques chrétiens aient le même baptême sans avoir la même Eglise; comme autrefois dautres avaient le même baptême sans avoir la même espérance. Comment pouvaient-ils navoir quune seule et même espérance avec les saints, ceux qui sécriaient: « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain (I Cor., XV, 32 ) »; ce qui prouve quils ne croyaient pas à la résurrection des morts? (146) Toutefois cest parmi eux encore que se trouvaient ces hommes à qui lApôtre écrivait : « Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous? Avez-vous donc été baptisés au nom de Paul ( I Cor., I, 13 )? » Ils étaient baptisés, et cependant lApôtre nhésite pas à leur dire : « Comment donc quelques-uns parmi vous osent-ils dire quil ny a point de résurrection des morts (Id., XV, 12 )? »
CHAPITRE XXVII.LÉGLISE, JARDIN FERMÉ, FONTAINE SCELLÉE, SOURCE DEAU VIVE.
38. Cest bien lEglise qui nous est dépeinte dans ces paroles du Cantique des cantiques « Elle est un jardin fermé, mon épouse et ma soeur, la fontaine scellée, la source deau vive, le paradis avec labondance de ses fruits (Cant., 17, 12 ) ». Ces paroles me semblent ne sappliquer quaux saints et aux justes, et non aux avares, aux fraudeurs, aux voleurs, aux usuriers, aux ivrognes, aux envieux. Sans doute le baptême est absolument le même pour tous, mais tous nont pas la charité; telle est la doctrine clairement formulée dans la lettre de Cyprien, comme nous avons pu nous en convaincre par les différents passages que nous avons cités. On me demande « comment dans ce jardin fermé, dans cette fontaine scellée ont pu se glisser » tous ceux que Cyprien nous signale comme appartenant à lunité, quoiquils naient renoncé au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres? Sils sont dans lunité, ils sont par là même lépouse de Jésus-Christ; or, de tels membres ne doivent-ils pas souiller cette Eglise sans tache et sans ride ( Eph., V, 27 ), cette colombe unique et éclatante de beauté? Ces pécheurs sont-ils ces épines au milieu desquelles se dresse « le lis » dont nous parle le même livre des Cantiques ( Cant., II, 2 )? Comme lEglise est le lis au milieu des épines, elle est également le jardin fermé et la fontaine scellée; elle est cela dans la personne de ces justes qui sont les véritables juifs dans la circoncision du coeur ( Rom., II, 29 ), selon cette parole du Psalmiste « Toute la beauté de la fille du roi est dans lintérieur ( Ps., XLIV, 14 ) ». Tels sont ceux qui constituent le nombre déterminé des élus que Dieu sest choisis dès avant la formation du monde. A ce nombre vient sadjoindre extérieurement la multitude des épines, rejetées, soit par une séparation occulte, soit par une séparation publique. « Jai annoncé», dit le Seigneur, « et jai parlé; ils se sont multipliés au-delà du nombre ( Ps., XXXIX, 6 ). » Quant au nombre des justes qui ont été appelés selon le décret éternel ( Rom., VIII, 28 ) dit: « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ( II Tim., II, 19 ) »; cest ce nombre qui constitue « le jardin fermé, la fontaine scellée, la source deau vive, le paradis aux fruits abondants». Dans ce nombre, il en est qui vivent spirituellement et marchent sans cesse dans la voie suréminente de la charité. Si quelquun tombe par surprise dans quelque péché, ils le relèvent dans un esprit de douceur et sappliquent eux-mêmes à ne point succomber à la tentation ( Gal., VI, 1 ). Ont-ils le malheur de tomber eux-mêmes? la charité se refroidit dans un certain degré, mais bientôt elle reprend son cours et son ardeur primitive. Car ils savent sécrier: « Mon âme sest endormie sous le poids de la tristesse; affermissez-moi dans la confiance en vos paroles ( Ps., CXVIII, 28 ). Ainsi, lors même quils partageraient sur certains points des opinions diverses, pourvu quils persévèrent dans les liens de la paix et de la charité, Dieu leur révélera ce quils doivent croire en toutes choses (Philipp., III, 15 ). Quant à ceux dont la vie était jusque-là charnelle et animale, ils tentent sans cesse de sélever à une vie supérieure, et se nourrissent du lait des mystères, afin de se rendre capables de la nourriture plus solide des hommes spirituels. Dans ce but, et sous linspiration salutaire de la crainte de Dieu, ils retranchent peu à peu de leur conduite tout ce que lopinion populaire y signale de dépravé; ils redoublent de vigilance sur eux-mêmes, afin de se soustraire de plus en plus à lentraînement des choses terrestres et temporelles; ils recherchent avec avidité la règle de la foi et sy attachent fidèlement, sauf à chercher dans lautorité catholique le remède à tout ce qui pourrait encore leur échapper dillégal et de coupable, car toujours plus ou moins entraînés par le sens charnel, ils flottent parfois à la dérive sur les vagues de leur imagination. Enfin, dans ce nombre, il en est encore qui mènent une vie criminelle, et sont plus ou moins les esclaves de lhérésie ou des ( 147) superstitions païennes; et cependant, même parmi eux, « Dieu connaît ceux qui sont à lui ». En effet, grâce à lineffable prescience de Dieu, beaucoup de ceux qui paraissent hors de lEglise appartiennent réellement à lunité, tandis que beaucoup de ceux qui paraissent dans lunité sont réellement hors de lEglise. Or, tous ceux qui appartiennent à lunité, de quelque manière que ce soit, lors même que ce serait secrètement, constituent « ce jardin fermé, cette fontaine scellée, cette source deau vive, ce paradis aux fruits délicieux et abondants ». Parmi les bienfaits quils ont reçus de Dieu, les uns leur sont propres et personnels, comme leur infatigable charité dans cette vie, et le bonheur éternel après la mort; dautres sont communs tout à la fois aux bons et aux méchants, aux justes et aux pécheurs : tels sont en particulier les saints mystères.
CHAPITRE XXVIII.LARCHE DE NOÉ, AUTRE FIGURE DE LÉGLISE.
39. Mais si lEglise peut être facilement comparée à quelque chose, cest à larche de Noé ( Gal., VI, VII ). Saint Pierre sexprime en ces termes « Dans larche, très-peu de personnes, huit seulement, furent sauvées des eaux du déluge; ce qui était la figure à laquelle répond « maintenant le baptême, qui ne consiste pas dans la. purification des souillures de la chair, mais dans la purification de la conscience ( I Pierre, III, 20, 21 ). Or, il est des hommes qui, ne renonçant au siècle que dans leurs paroles et non point dans leurs oeuvres, sont regardés cependant comme baptisés dans lEglise catholique; mais comment donc ceux qui nont pas là conscience pure peuvent-ils appartenir à ce mystère de larche ?Comment peuvent être sauvés par leau ceux qui, faisant un mauvais usage du saint baptême, persévèrent jusquà la fin de leur vie dans des moeurs criminelles, quoiquils paraissent appartenir à lunité? Comment ne sont pas sauvés par leau ceux qui, après avoir été baptisés dans lhérésie, ont été reçus dans lEglise, selon lancienne coutume, cest-à-dire, comme Cyprien le constate lui-même, sans aucune réitération du baptême? Puisque dans cette unité de larche personne nest sauvé que par leau, cest donc aussi par ce même moyen que ces anciens hérétiques ont obtenu leur salut. Cyprien nous dit lui-même: « Dieu, dans son infinie miséricorde, est tout-puissant pour vous pardonner et pour faire jouir des richesses de son Eglise ceux qui se sont endormis dans. lunité de lEglise après y avoir été reçus sans aucune réitération du baptême ( Cyp., Lettre LXXIII, à Jubaianus ). Si donc ils nont point été sauvés par leau, comment ont-ils été sauvés dans larche? Et sils ne lont pas été dans larche, comment lont-ils été dans lEglise? Sils ont été sauvés dans lEglise, ils lont été dans larche, et sils lont été dans larche, ils lont été par leau. Il peut donc arriver que tels hommes qui ont été baptisés dans le schisme, soient traités par la prescience de Dieu comme ayant été baptisés dans lunité, en ce sens que leau commence à être utile à leur salut, car, même dans larche, ils ne peuvent être sauvés que par leau. De même, tels hommes qui paraissaient baptisés dans lunité sont regardés par la prescience divine comme ayant été baptisés dans le schisme; car en faisant du baptême un mauvais usage, ils meurent réellement par leau, et pour mourir ainsi, ne faut-il pas être en dehors de larche? Ainsi donc, pour juger si lon appartient à lunité de lEglise ou au schisme, on doit examiner, non point les dispositions du corps, mais uniquement celles du coeur. En effet, tous ceux qui appartiennent à lunité par le coeur, sont sauvés dans lunité de larche par cette même eau, par laquelle meurent tous ceux qui sont hors de lunité par le coeur, et sont regardés comme les adversaires de cette unité, soit quils lui appartiennent, soit quils ne lui appartiennent pas corporellement. De même donc que cest la même eau qui sauve ceux qui sont dans larche et perd ceux qui sont hors de larche, de même les bons catholiques sont sauvés par le même baptême qui perd les mauvais catholiques et les hérétiques. Jai déjà dit ce que Cyprien pensait de lunité catholique; jai déjà montré que le poids de sa grande autorité suffit pour écraser les hérétiques. Cependant, si Dieu me le permet, je traiterai avec plus dabondance et de clarté cette importante matière. Mais, auparavant, je dois étudier sérieusement le concile de Carthage, et cest ce que je me propose de faire, avec laide de Dieu, dans le livre suivant. (148)
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