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LIVRE DEUXIÈME : Autorité de Saint Cyprien.
Dans le deuxième livre, lévêque dHippone prouve que les Donatistes ont tort dinvoquer en leur faveur lautorité de saint Cyprien; le bienheureux martyr a toujours soutenu la nécessité de maintenir lunité de lEglise. Par une contradiction manifeste, les schismatiques sarmaient de lautorité de Cyprien dans la réitération du baptême , et la repoussaient dans les questions de paix, de concorde et de fraternité; ils glorifiaient une moitié de lévêque et rejetaient lautre moitié.
SAINT PIERRE PRESCRIVANT LA CIRCONCISION, ET SAINT CYPRIEN LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME.
DISCOURS DE SAINT CYPRIEN A LOUVERTURE DU CONCILE.
AUTORITÉ INFAILLIBLE DES SAINTES ÉCRITURES.
LESPRIT DE PAIX DANS LES DISCUSSIONS ENTRE CATHOLIQUES.
QUEL MOTIF SÉRIEUX AVAIENT DONC LES DONATISTES DE SE SÉPARER.
LEXEMPLE DE CYPRIEN LES INVITAIT A LUNITÉ.
LES EMBARRAS DE SAINT CYPRIEN.
LANCIENNE COUTUME DE LÉGLISE CONSTATÉE PAR CYPRIEN.
INVITATION AUX DONATISTES DE RENTRER EN EUX-MÊMES.
CONTRADICTIONS DES DONATISTES.
LES DONATISTES JUGÉS PAR LEUR CONDUITE A LÉGARD DES MAXIMIANISTES.
PRÉCIEUX AVANTAGES DE LUNITÉ.
LA PÉNITENCE IMPOSÉE A CEUX QUI ONT ÉTÉ REBAPTISÉS.
CHAPITRE PREMIER.SAINT PIERRE PRESCRIVANT LA CIRCONCISION, ET SAINT CYPRIEN LA RÉITÉRATION DU BAPTÊME.
1. Avec laide de Dieu, je me propose de démontrer que les arguments, tels que les Donatistes les empruntent à lautorité de Cyprien et quils veulent retourner contre nous, prouvent au contraire en notre faveur, cest-à-dire en faveur de la paix catholique, et par là même contre nos adversaires. Dun autre côté, si, pour le besoin de la réfutation, je me trouve obligé de répéter ce que jai déjà dit dans quelques-uns de mes autres ouvrages, je le ferai aussi brièvement que possible, afin de ne pas être trop à charge à mes lecteurs. Dailleurs, il est toujours des esprits lents pour lesquels on ne saurait revenir trop souvent sur les éléments essentiels dune discussion; quant aux intelligences plus développées, la multiplicité et la variété des développements leur facilite la connaissance du sujet et leur permet de lenvisager sous des aspects plus larges et plus nombreux. Enfin, je sais par expérience tout lennui quéprouve un lecteur quand, placé tout à coup en face dune question importante, il se voit renvoyé, pour en trouver la solution, à un autre ouvrage quil na peut-être pas à sa disposition. Si donc les questions présentes mobligent à répéter brièvement ce que jai déjà dit ailleurs, que les plus savants me pardonnent en faveur des ignorants ; ne vaut-il pas mieux offrir une chose à celui qui déjà la possède, que de la refuser à celui qui en est privé? 2. Que disent donc ces Donatistes, accablés quils sont par lévidence dune vérité que pourtant ils ne veulent pas admettre? « Cyprien, dont nous connaissons les grandes vertus et létonnante doctrine, après en avoir conféré avec un grand nombre de ses collègues dans lépiscopat, statua dans un concile quon ne saurait admettre lexistence du baptême dans les hérétiques ou les schismatiques, cest-à-dire dans tous ceux qui sont hors de lunique et véritable Eglise; doù il suit que lon doit réitérer le baptême à tous ceux qui reviennent à lEglise, après avoir été baptisés dans le schisme ou lhérésie ». Lautorité de Cyprien ne meffraie pas, parce que lhumilité de Cyprien me rassure. Grande est sans doute lautorité morale de Cyprien, évêque et martyr; mais celle de Pierre, apôtre et martyr, nest-elle pas encore plus grande? Parlant de ce prince des Apôtres, le même Cyprien écrivait à Quintus: « On se souvient de la discussion soulevée entre Pierre et Paul au sujet de la circoncision; or, Pierre, que le Seigneur avait choisi avant tous les autres, et sur lequel il a bâti son Eglise (Matt., XVI, 18), ne témoigne aucune insolence, aucune arrogance à se prévaloir de sa primauté et à exiger avant tout lobéissance absolue de la part de ses inférieurs plus récemment appelés à lapostolat; il se garde bien de reprocher à Paul de sêtre fait dabord le persécuteur de lEglise. Loin de là, il adopte le conseil de la vérité et approuve facilement les raisons légitimes que Paul lui oppose. Pouvait-il nous donner une plus haute leçon de concorde et de patience? nétait-ce pas nous dire que nous devons nous défier de toute obstination dans nos propres idées, et adopter comme nôtres, si elles sont vraies et légitimes, les observations qui nous sont soumises, dune manière aussi utile que salutaire, par nos frères et par nos collègues (Lettre LXXI, à Quintus)? » Tel est le passage dans lequel Cyprien, rappelant ce que nous avons appris dans les saintes Ecritures, nous montre lapôtre saint Pierre, en qui la primauté sur les Apôtres brille avec tant déclat, émettant sur la circoncision une doctrine contraire à la vérité, et corrigée par saint Paul, appelé (84) à lapostolat longtemps après saint Pierre. Ainsi donc, Pierre lui-même a pu ne pas suivre parfaitement la vérité de lEvangile, et vouloir contraindre les Gentils à judaïser, comme nous latteste saint Paul dans cette lettre où il affirme par serment quil ne ment pas: « Je prends Dieu à témoin que je ne mens point en tout ce que je vous écris (Gal. I, 20) ». Or, cest après cette sainte et terrible attestation que Paul nous rapporte ce fait auquel il mêle ces paroles : « Quand je vis quils ne marchaient pas selon la vérité de lEvangile, je dis à Pierre, en face de toute e lassistance : Si vous, qui êtes juif, vous vivez à la manière des Gentils et non pas judaïquement, pourquoi contraindre les Gentils à judaïser Iid., II, 11-14)?» Or, si saint Pierre, contre la règle de la vérité formulée depuis par 1Eglise, a pu vouloir contraindre les Gentils à judaïser, comment ne pas admettre que Cyprien, contrairement à la règle de la vérité, formulée plus tard par lEglise, na pu vouloir contraindre les hérétiques et les schismatiques à recevoir une seconde fois le baptême? Je pense que lévêque Cyprien ne doit pas être blessé de se voir comparé à lapôtre saint Pierre, quant à ce qui regarde la couronne du martyre. Bien plutôt je dois craindre de paraître injurieux à légard de saint Pierre. En effet, qui pourrait ignorer que cette primauté de lapostolat conférait à saint Pierre une prééminence réelle sur tout lépiscopat? Toutefois, si nous oublions le pouvoir de juridiction universelle, pour ne parler que de la gloire du martyre, ici cette gloire est commune à tous; et si cette gloire admet des degrés différents, selon la différence des dispositions du coeur et selon lintensité de la foi dans lunité de la charité, ces secrets mystérieux ne relèvent que de Dieu, et ce serait de notre part le comble de la témérité de vouloir nous expliquer pourquoi le bon larron sur la croix ne confesse quune seule fois la divinité de Jésus-Christ, et le jour même est admis dans les joies du paradis a, tandis que saint Pierre renie trois fois son Maître et voit la couronne séloigner de son front pour plusieurs années encore. Cependant, si avant de baptiser un catéchumène on lobligeait à subir la circoncision selon la manière des Juifs, assurément cette mesure lui inspirerait plus de répugnance que rie peut en inspirer la réitération du baptême. Quand donc nous voyons saint Pierre repris par saint Paul son inférieur, et couronné de la palme du martyre sans avoir porté aucune atteinte aux liens de la paix et de lunité; combien ne doit-il pas nous être plus facile de nous attacher indissolublement à ce qui a été décrété par lEglise universelle, quelle que soit dailleurs lopinion émise, soit par tel évêque de sa propre autorité, soit même par un concile provincial? Cyprien formulait sa propre opinion, mais avec la volonté formelle de rester dans lunité de la paix, et en parfaite harmonie avec ceux de ses collègues qui soutenaient le sentiment contraire. Cest ce qui résulte clairement du premier discours quil prononça à louverture du concile, et qui nous est rapporté par nos adversaires en ces termes :
CHAPITRE II.DISCOURS DE SAINT CYPRIEN A LOUVERTURE DU CONCILE.
3. « Aux calendes de septembre, on vit se réunir en concile à Carthage un grand nombre dévêques africains, des provinces de Numidie et de Mauritanie, accompagnés de prêtres et de diacres, et en présence de limmense majorité du peuple. On donna dabord lecture de la lettre de Jubaianus à Cyprien, de la réponse de Cyprien à Jubaianus, et de la réplique opposée par ce dernier au sujet du baptême des hérétiques. Cest alors que Cyprien sexprima en ces termes: Bien-aimés collègues, vous venez dentendre ce que notre coévêque Jubaianus nous écrit, nous consultant, malgré notre médiocrité, sur le baptême illicite et profane des hérétiques; vous avez vu que dans ma réponse je déclare, comme nous lavons souvent déclaré, que les hérétiques qui reviennent à lEglise doivent être baptisés et sanctifiés par le baptême de lEglise. Enfin, la seconde lettre de Jubaianus, écrite dans toute la sincérité de sa foi et de sa religion, nous apprend non-seulement quil adhère à notre décision, mais encore quil nous remercie de lavoir instruit et éclairé. Ce quil nous reste à faire, cest donc démettre chacun notre opinion sur ce point, sans prétendre toutefois ni juger personne, ni priver du droit de communion celui qui (85) formulerait une opinion contraire. En effet, aucun dentre nous ne sest constitué lévêque des évêques, aucun naspire à frapper dune crainte tyrannique ses propres collègues pour les contraindre à suivre son avis, car tout évêque jouit de sa pleine liberté et de toute sa puissance, et ne peut pas plus être jugé par un autre évêque quil ne peut le juger lui-même. Attendons le jugement suprême de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui seul a le pouvoir de nous préposer au gouvernement de son Eglise, et de nous juger selon nos oeuvres ».
CHAPITRE III.AUTORITÉ INFAILLIBLE DES SAINTES ÉCRITURES.
4. Maintenant, que ces orgueilleux hérétiques sélèvent, sils en ont laudace, contre lhumilité de ce discours. Quavez-vous à y opposer, vous surtout, Donatistes insensés, que nous rappelons de tous nos voeux à la paix et à lunité de la sainte Eglise, car cest là seulement que vous trouverez le salut? Vous nous opposez sans cesse les lettres de Cyprien, la doctrine de Cyprien, le concile de Cyprien; mais puisque vous invoquez lautorité de Cyprien en faveur de votre schisme, pourquoi donc ne limitez-vous pas dans son amour sincère pour la paix de lEglise? Personne nignore que la sainte Ecriture, tant de lAncien que du Nouveau Testament, est renfermée dans des termes précis et certains, quelle jouit dune autorité bien supérieure à celle des écrits épiscopaux, et quil nest permis de révoquer en doute aucune de ses propositions , dès quil est certain quelle la formellement exprimée. Quant aux lettres épiscopales écrites depuis la fixation du canon, elles peuvent être discutées, soit par tel ou tel docteur plus habile, soit par les autres évêques, soit par les conciles, toutes les fois que la vérité paraît y recevoir quelque atteinte. Dun autre côté, les conciles particuliers qui se tiennent dans les provinces doivent évidemment céder devant lautorité des con-cites universels; ces derniers enfin reçoivent parfois des conciles postérieurs certains développements à mesure que la vérité se fait jour et se développe selon le besoin des époques et des siècles. Or, toutes ces améliorations restent parfaitement étrangères à toute inspiration dun orgueil sacrilège, à tout sentiment darrogance , à toute inspiration de jalousie, et concordent très-bien avec la sainte humilité, avec la paix catholique et la charité chrétienne.
CHAPITRE IV.LESPRIT DE PAIX DANS LES DISCUSSIONS ENTRE CATHOLIQUES.
5. Autant était grande lautorité doctrinale de Cyprien, autant était profonde son humilité; voilà pourquoi, rappelant avec amour lexemple de Pierre, il sécrie : « Pouvait-il nous donner une plus haute leçon de concorde et de patience? nétait-ce pas nous dire que nous devons nous défier de toute obstination dans nos propres jugements, et adopter comme nôtres, si elles sont vraies et légitimes, les observations qui nous sont soumises dune manière aussi utile que salutaire par nos frères et par nos collègues? »Un tel langage ne prouve-t-il pas que Cyprien était tout disposé à modifier son opinion, dès quil lui serait démontré que le baptême de Jésus-Christ peut être validement conféré hors de lEglise par ceux qui nont pu le perdre en se séparant de cette même Eglise? Dans plusieurs circonstances, nous avons déjà formulé notre conviction sur ce point. Dailleurs, nous noserions tenir ce langage si nous nétions appuyés par limposante autorité de lEglise; devant cette autorité, il se serait courbé lui-même, si la question eût été tranchée par décret dun concile universel. En effet, sil fait de saint Pierre un si brillant éloge, parce que cet apôtre, dans une opinion particulière, a reçu avec amour et concorde les observations de Paul, plus récemment appelé à lapostolat; avec quel empressement il se serait soumis, lui et son concile provincial, à limposante décision dun concile général? Bien plus, cette âme si sainte et si pacifique aurait très-facilement accueilli toute parole qui leût éclairé par des raisons solides; peut-être même la-t-il fait, mais nous lignorons. Car, à cette époque, il a dû se passer entre les évêques bien des choses qui nont pu être écrites, ou du moins que nous ne connaissons pas. Avant que cette importante question, jusque-là noyée dans des discussions sans fin, fût soumise à limposante autorité dun concile général, combien de conférences elle a dû provoquer de la part des évêques! Or, cest bien ici le lieu dadmirer la puissante influence de lesprit de paix, car, au sein de ces opinions diverses, provoquées par lobscurité dune question et par la difficulté de la résoudre, une chose domine tous les débats , lunité la plus indissoluble et la crainte de frapper dune plaie invulnérable les partisans de lopinion condamnée.
CHAPITRE V.LA FAILLIBILITÉ HUMAINE.
6. Nest-ce pas là ce qui nous explique pourquoi très-souvent les plus habiles docteurs se trouvent, sur certains points, dans une ignorance qui étonne, Dieu le permettant ainsi afin de mettre à lépreuve leur patience, leur humilité et leur charité, dont le fruit par excellence cest lunité au sein des opinions les plus diverses? Et puis, comment ne pas admirer la docilité avec laquelle ils accueillent la vérité dès quelle leur est manifestée, dût-elle contredire leurs précédentes opinions? Dans la personne de Cyprien, ce que nous admirons surtout, cest de le voir rester en union parfaite avec ceux qui ne partageaient pas ses opinions. Il ne cesse de répéter : « Ne jugeons personne, et celui qui nest pas de notre avis, gardons-nous bien de le retrancher de notre communion ». Quant à la manière dont il accepta la réfutation de sa propre doctrine, si ses lettres gardent le silence, ses mérites parlent assez haut; si les preuves scripturales nous manquent, sa couronne est là pour lattester; si le concile des évêques nous laisse tout ignorer, sa présence dans lassemblée des anges est pour nous la manifestation la plus complète. Pour juger de son amour pour la paix, ne suffit-il pas de savoir quil a mérité les honneurs du martyre dans cette unité, dont il ne consentit jamais àse séparer, malgré sa diversité de doctrine? Nous sommes hommes; et lune des preuves de notre faiblesse humaine, cest de concevoir parfois de fausses idées sur la nature des choses. Mais sattacher exclusivement à son propre sentiment, et jalouser ceux qui ont raison contre nous, et cela jusquà se séparer de lunité et former schisme ou hérésie, cest là une présomption véritablement diabolique. Enfin, ne jamais se tromper, cest un privilège qui nappartient quaux anges. Or, présentement nous ne sommes que des hommes, quoique nous ayons lespérance de ressembler aux anges après la résurrection (Matt., XXII, 30) ; si donc nous navons pas la perfection de ces esprits angéliques, gardons-nous également de la présomption du démon. De là ces paroles de lApôtre : « Quil ny ait en vous que des tentations purement humaines et ordinaires (I Cor., X, 13) ». Se tromper, cest donc une chose tout humaine. Voilà pourquoi le même Apôtre nous dit, dans un autre endroit de ses épîtres : « Nous tous qui sommes parfaits, soyons dans ce sentiment, et si vous avez quelque autre opinion, Dieu vous révélera ce que vous devez en croire ». Or, à qui Dieu fera-t-il cette révélation, soit en cette vie, soit dans lautre? nest-ce pas uniquement à ceux qui marchent dans la voie de la paix et ne sécartent dans aucun schisme? Tels ne sont pas ceux qui nont point connu la voie de la paix (Ps., XIII, 3), et ont par cela même brisé les liens de lunité. Voilà pourquoi lApôtre, après ces mots: « Si vous avez quelque autre opinion, Dieu vous révélera ce que vous devez en croire », semble craindre que certains hommes ne se flattent dobtenir cette révélation, quoiquils soient séparés de lunité; aussi sempresse-t-il dajouter : « Cependant, pour ce qui regarde les connaissances auxquelles nous sommes déjà parvenus, ayons soin de marcher à leur lumière (Phil., III, 15, 16)» Telle fut la voie que suivit Cyprien avec une admirable persévérance; sa gloire fut, non pas de verser son sang, mais de le verser dans lunité; car lors même quil aurait offert son corps aux flammes, sil navait pas eu la charité, tout cela ne lui aurait servi de rien (I Cor., XIII, 3) ; il eut donc la charité dans lunité; voilà pourquoi lhéroïsme de son martyre lui ouvrit les sphères lumineuses du séjour des anges. Supposé donc que jusquà sa mort il ail ignoré la vérité, du moins alors il en reçût lentière révélation, puisquil était resté dans lunité, malgré lerreur particulière où il était tombé.
CHAPITRE VI.QUEL MOTIF SÉRIEUX AVAIENT DONC LES DONATISTES DE SE SÉPARER.
7. Et vous, Donatistes, quavez-vous à répondre? Si la doctrine que nous formulons sur le baptême est la véritable, tous ceux qui, du temps de Cyprien, professaient une opinion (87) contraire, sont restés étroitement unis à lEglise, jusquà ce que Dieu leur eût fait connaître la vérité; mais alors, pourquoi donc avez-vous brisé les liens de la paix par une séparation sacrilège? Mais si cest vous qui avez raison, du moins est-il vrai de dire que Cyprien et ses collègues, réunis avec lui en concile, sont restés en unité parfaite de communion avec ceux qui soutenaient lopinion contraire; encore ici, pourquoi donc avez-vous brisé les liens de la paix? Quelque parti que vous preniez, vous vous trouvez dans la nécessité de condamner votre schisme. Voyons, répondez, pourquoi vous êtes-vous séparés? Pourquoi avez-vous érigé autel contre autel en face de lunivers tout entier ? Pourquoi nêtes-vous plus en communion avec ces églises auxquelles furent adressées ces lettres apostoliques que vous avez entre les mains, que vous lisez, et sur lesquelles vous vous flattez de régler votre vie? Encore une fois, répondez; pourquoi donc vous êtes-vous séparés? Cest, sans doute, pour ne point vous exposer à une perte certaine dans la communion des méchants. Mais alors, comment nont point péri Cyprien et ses nombreux collègues? Ils croyaient les hérétiques et les schismatiques privés du baptême, et cependant, malgré les péchés et les sacrilèges dont ils devaient les croire coupables, ils crurent devoir rester en communion avec ceux qui étaient rentrés dans lEglise sans avoir de nouveau reçu le baptême, plutôt que de se séparer de lunité, et adoptèrent pour règle de conduite ces paroles de Cyprien: « Ne jugeant personne, et se gardant bien de chasser de leur communion « celui qui professait une opinion contraire». 8. Si donc les justes périssent sous linfluence dune telle communion, 1Eglise avait sans doute cessé de vivre au temps de saint Cyprien. Mais alors, quelle fut lorigine de Donat? où fut-il catéchisé, baptisé, ordonné, puisque lEglise sétait éteinte sous le souffle contagieux dune communion coupable? Et si lEglise existait encore, cest donc que les bons nont eu nullement à souffrir de leur communion avec les méchants. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés? Dans les rangs de lunité japerçois Cyprien et ses collègues, qui tous déclarèrent en concile que le baptême conféré hors de lEglise est radicalement nul, et quil doit être réitéré à tous ceux qui rentrent dans lEglise catholique. Mais voici que dans les rangs de cette même unité japerçois dautres évêques qui embrassent lopinion contraire et qui refusent de réitérer le baptême à ceux qui sortent du schisme ou de lhérésie, parce quils croient à la validité du baptême qui leur a été conféré. Tous, quels quils soient, lunité catholique les renferme dans son sein maternel; ils se supportent les uns les autres avec charité et sappliquent à conserver lunité desprit dans le lien de la paix (Eph., IV, 2,3), jusquà ce que Dieu daigne révéler la vérité à ceux qui sont dans lerreur. Ceux dont la doctrine était la véritable se souillaient-ils, oui ou non, en restant en communion avec les autres? Répondez ce que vous voudrez. Sils se souillaient, lEglise avait donc cessé dexister; mais alors, dites-moi doù vous êtes sortis? Si vous admettez la permanence de lEglise, la conclusion nécessaire à tirer, cest que les bons ne sont pas souillés précisément par leur communion avec les méchants; mais encore, répondez, pourquoi avez-vous rompu lunité? 9. Vous direz peut-être que les schismatiques, reçus sans aucune réitération du baptême, ne souillent pas, tandis que lon se souille en communiquant avec les traditeurs des saints Livres? Mais les documents les plus authentiques prouvent quil y a eu parmi vous des traditeurs de ces saints Livres. Et si vous étiez restés fidèles à la vérité dans les accusations que vous portiez contre eux, lunivers tout entier aurait pris parti pour vous; vous seriez restés dans lunité et les autres en auraient été exclus. Si malgré des efforts de toutes sortes vous avez été déçus, nous pou-vous proclamer hautement linnocence de lunivers catholique, car il a cru à la parole des juges ecclésiastiques et rejeté les vaines chicanes de discoureurs vaincus; et si vous avez refusé de plaider votre cause, linnocence de lunivers nen est pas moins constatée, car il na pu condamner des coupables sans les entendre. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés des innocents? Jamais vous ne pourrez justifier ce schisme sacrilège. Mais je passe sur ce point et je dis: Si vous avez pu vous trouver souillés par des traditeurs quil vous a été impossible de convaincre et qui vous ont vaincus, à plus forte raison Cyprien a-t-il dû être souillé par les sacrilèges de ces schismatiques et de ces hérétiques avec lesquels il restait en communion, quoiquon ne leur eût pas réitéré le baptême? Et cependant il refusa de se séparer. Dun autre côté, comme lEglise restait toujours vivante et féconde, il est évident quelle na pu être souillée. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés, je ne dis pas des innocents, ce qui est prouvé, mais des traditeurs eux-mêmes, ce qui nest pas prouvé? Serait-ce, comme je lindiquais plus haut, parce que les traditeurs vous paraissent plus coupables que les schismatiques eux-mêmes? Abstenons-nous de ces balances frauduleuses à laide desquelles nous pesons ce que nous voulons, et comme nous le voulons, disant à notre gré: Ceci est grave, ceci est léger. Nayons dautre balance que la sainte Ecriture, et par elle apprécions la véritable gravité des choses; ou plutôt, ce nest point à nous à peser, nous navons quà accepter la décision formulée par le Seigneur. Dieu lui-même, rappelant les anciens crimes de son peuple, venait de leur infliger les plus rigoureux châtiments; néanmoins la foule se construisit une idole et ladora, le livre prophétique fut sacrilègement jeté dans les flammes, et le schisme fut essayé. Or, lidolâtrie fut punie par le glaive (Exod., XXII.); la destruction du livre fut punie par le massacre et par la captivité (Jérém., XXXVI), et le schisme vit la terre entrouvrir ses entrailles, les fauteurs de ce schisme engloutis tout vivants et les sectaires dévorés par le feu du ciel (Nomb., XVI.). Cest, dordinaire, daprès la gravité du châtiment que lon juge de la gravité de la faute. Si de tels hommes, chargés de sacrilèges, et selon vous privés du baptême, ne souillaient pas Cyprien, comment des traditeurs pouvaient-ils vous souiller, avant même quon eût acquis la certitude de leur trahison ? Au lieu de livrer les saintes Ecritures pour les faire jeter dans les flammes, sils les eussent brûlées de leurs propres mains, leur crime encore serait bien moins grave, que sils sétaient jetés dans le schisme; et, en effet, nous voyons Dieu lui-même punir plus sévèrement le schisme que la destruction des saints Livres.
CHAPITRE VII.LEXEMPLE DE CYPRIEN LES INVITAIT A LUNITÉ.
10. Pourquoi donc vous êtes-vous séparés? Sil vous reste encore quelque peu de bon sens, vous devez sentir que toute réponse (89) vous est impossible. « Non », disent-ils, « les choses nen sont pas encore arrivées à ce point que nous ne puissions répondre. Nous ne consultons ici que notre volonté. Qui êtes-vous, pour oser ainsi condamner le serviteur dautrui? Sil tombe ou sil reste debout, cela regarde son maître(Rom., XIV, 4) ». Cest à eux que sadresse ce reproche, mais ils ne le comprennent pas, eux qui voulaient juger le prochain, non pas sur des oeuvres extérieures, mais sur les dispositions les plus secrètes du coeur. Sil est absolument défendu de juger, comment donc lApôtre saint Paul parle-t-il si souvent des crimes du schisme et de lhérésie? Comment le Psalmiste sécrie-t-il : « Enfants des hommes, si vous aimez véritablement la justice, jugez équitablement (Ps., LVII, 2)? » Pourquoi le Seigneur dit-il lui-même: «Gardez-vous de juger personnellement, mais portez un jugement légitime (Jean, VII, 24)?» Et puis les Donatistes nont pas craint de se prononcer sur les traditeurs; pourquoi donc nont-ils pas craint de juger les serviteurs dautrui? Que ces serviteurs fussent debout ou tombés, cela ne regardait que leur maître. Pourquoi enfin citant à leur barre les Maximianistes et prononçant contre eux, disent-ils, la sentence véridique dun concile général, ont-ils osé les comparer à ces anciens schismatiques que la terre engloutit tout vivants? Pourtant ils ne sauraient nier quils les ont condamnés quoique innocents, ou quils les ont reçus quoique coupables. Mais quand on leur jette quelquune de ces vérités auxquelles ils ne peuvent répondre, ils murmurent avec rudesse : « Cest là ce que nous voulons. Qui êtes-vous pour oser ainsi condamner le serviteur dautrui? Quil tombe ou quil reste debout, cela ne regarde que son maître ». Vous apercevez une faible brebis dans la solitude ; point de pasteur pour la réclamer ; vos dents se desserrent, vous lui lancez dune voix acerbe ces paroles : « Vous seriez un homme excellent si vous nétiez pas un traditeur. Pensez au salut de votre âme; soyez chrétien ». O rage cruelle! Cest à un chrétien que lon dit: Soyez chrétien; nest-ce pas dire clairement quil ne lest pas? et que lui apprend-on autre chose, si ce nest à nier quil le soit? Nest-ce pas là également ce que désiraient enseigner ces persécuteurs du Christianisme, auxquels (89) les fidèles durent résister jusquà mériter la couronne du martyre? Toute faute commise sous la menace du glaive est-elle donc plus légère que celle qui est commise par leffet des séductions de la langue? 11. Répondez à cela, loups rapaces, qui, désirant vous couvrir de la peau des brebis (Matt. VII, 15), osez revendiquer en votre faveur les lettres de Cyprien. Le sacrilège des schismatiques souillait-il Cyprien, ou ne le souillait-il pas? Sil le souillait, lEglise dès cette époque avait cessé dexister, et dès lors à quelle source pouviez-vous prendre naissance? Sil nen était pas souillé, comment osez-vous admettre que dans lunité les innocents peuvent être souillés par le crime dautrui, excepté par le plus grand des crimes, cest-à-dire par le schisme et le sacrilège? Pourquoi donc vous êtes-vous séparés? Lorsque vous fuyez avec tant dhorreur tout contact avec des hommes à qui vous prêtez une culpabilité imaginaire, et malgré cela bien légère, pourquoi vous abandonnez-vous à un schisme sacrilège qui est le plus grand de tous les crimes? Direz-vous quon ne saurait regarder comme schismatiques ou comme hérétiques ceux qui avaient été baptisés hors de lEglise, dans le schisme ou lhérésie, puisque, par cela même quils étaient rentrés dans lEglise, et quils anathématisaient leurs anciennes erreurs, ils nétaient plus ce quils avaient été? Et moi je vous demande comment ils ont pu, en dehors du baptême, se purifier de leurs crimes précédents? Le premier baptême quils avaient reçu était-il le baptême de Jésus-Christ, quoique ce baptême conféré hors de la communion de lEglise, ne pût produire aucun effet? Plus tard, au contraire, lorsque ces schismatiques rentrèrent dans lunité, condamnèrent leur première erreur, et furent reçus dans la paix de lEglise par limposition des mains, ce même baptême, jusque-là stérile, a-t-il commencé à produire en eux ses effets pour la rémission des péchés et pour la sanctification de la vie, parce qualors seulement il les trouva fondés et enracinés dans la charité? 12. Pour appuyer votre doctrine de la réitération du baptême, cessez donc de nous opposer lautorité de Cyprien; avec nous bien plutôt imitez son exemple et conservez lunité. De son temps la question de la réitération du baptême, à peine soulevée, navait point encore été lobjet dun examen sérieux, et cependant lEglise conservait la salutaire coutume de corriger, dans les schismatiques ou les hérétiques, ce quils avaient de dépravé, et de ne pas réitérer ce quils avaient reçu; de guérir les blessures qui leur avaient été faites, en respectant ce qui eu eux était parfaitement sain. Je regarde cette coutume comme venant directement des Apôtres; non pas en ce sens que nous la trouvions formellement signalée dans les écrits apostoliques ou dans les décrets des premiers conciles; pour appuyer ma conclusion, il me suffit de constater que cette coutume a été conservée par toute lEglise. Or, Cyprien nous a déclaré que cette coutume salutaire commença à recevoir quelques corrections de la part dAgrippinus, son prédécesseur. Mais, aidée par des recherches plus approfondies, et saffirmant par lorgane dun concile universel, après avoir surnagé au-dessus des flots de lincertitude et du doute, la vérité se fit jour et déclara quAgrippinus avait commencé, non pas à la corriger, mais à la corrompre. En ce qui concerne la rémission des péchés et la régénération spirituelle de lhomme, se présentait donc limportante question de savoir si des résultats aussi précieux pouvaient se produire dans les rangs des hérétiques ou des schismatiques. La solution devenait très-difficile, quand surtout on avait sous les yeux lexemple dAgrippinus et de quelques autres évêques qui avaient mieux aimé innover que de conserver les anciens usages dont ils ignoraient la raison dêtre. Voilà ce qui nous explique pourquoi de vains sophismes sélevèrent tout à coup, éblouirent les yeux et ne permirent plus à la vérité de se faire jour.
CHAPITRE VIII.LES EMBARRAS DE SAINT CYPRIEN.
13. En formulant librement sa pensée contre lhabitude catholique, dont il reconnaît la priorité, Cyprien, je le crois, navait dautre désir que de prouver sa parfaite disposition à recevoir la lumière de quelque côté quelle lui vint, et de faire éclater non-seulement son zèle pour enseigner, mais encore son humble empressement à sinstruire. Supposé que personne ne pût ni léclairer ni réfuter les raisons spécieuses dont il était victime, il était disposé à persévérer dans son opinion, tant il était persuadé de posséder la véritable doctrine, et de rester indissolublement dans lunité. En effet, citant ces paroles de lApôtre « Pour ce qui regarde les Prophètes, quil ny en ait que deux ou trois qui parlent et que les autres examinent; que sil se fait une révélation à un autre de ceux qui assistent, que le premier se taise (I Cor., XIV, 29) » ; voici linterprétation que Cyprien vous en donne : « Paul », dit-il, « nous enseigne clairement que telle vérité peut être révélée bien plus clairement aux uns quaux autres; doù il suit que le grand devoir pour chacun nest pas précisément de sobstiner dans sa première impression , mais dembrasser sincèrement ce qui lui paraît être le mieux et le plus utile (Lettre LXXI, à Quintus) ». Or, en sexprimant ainsi, non-seulement Cyprien demandait pour lui-même lassentiment de ceux qui navaient pas des raisons meilleures à lui opposer ; mais encore il provoquait les observations de ceux qui penchaient pour le maintien rigoureux de la coutume primitive. Supposé quil ne pût lui-même réfuter ces observations, il se montrait tout disposé à réaliser dans sa propre personne le conseil quil donnait aux autres ; le grand devoir pour chacun nest pas de sobstiner dans sa première opinion, mais dembrasser sincèrement ce qui lui paraît être le mieux et le plus utile. Malheureusement ses adversaires ne pouvaient lui opposer que le fait même de cette coutume primitive: quant aux raisons quils lui alléguaient pour la conserver, elles étaient insuffisantes pour faire impression sur cette grande âme; voilà pourquoi il ne crut pas devoir sacrifier sa propre opinion, quoique fausse (ce quil ignorait), à une coutume qui était légitime, mais dont la raison dêtre ne lui était pas suffisamment démontrée. Je ne crains même pas dajouter que jamais il neût soulevé dopposition contre cette coutume, si son prédécesseur. Agrippinus et quelques évêques africains navaient tenté de la changer par décision formelle prise en concile. Frappé de stupeur en face des obscurités qui enveloppaient à ses yeux cette question ; dun autre côté, contraint de savouer à lui-même linébranlable coutume qui régnait universellement dans lEglise, le seul parti quil aurait dû prendre était de se prosterner devant Dieu dans le recueillement et la prière, pour lui demander les lumières qui plus tard furent accordées au concile général. Mais épuisé de travaux et de recherches il subit lascendant du concile réuni par Agrippinus et préféra continuer les innovations de ses prédécesseurs, plutôt que de poursuivre péniblement ses investigations. En terminant sa lettre à Quintus, il indique clairement quil a cru trouver ainsi dans lautorité une sorte de lit de repos pour se remettre de ses fatigues.
CHAPITRE IX.LANCIENNE COUTUME DE LÉGLISE CONSTATÉE PAR CYPRIEN.
14. « Cest là », dit-il, « lopinion formulée par Agrippinus dexcellente mémoire, et par ceux de ses collègues qui, à cette époque, gouvernaient les Eglises dAfrique et de « Numidie ; et pour la revêtir dune autorité plus imposante encore, ils la sanctionnèrent dans un concile particulier. Cest à cette doctrine que nous nous sommes attaché nous-même, la croyant légitime, salutaire et conforme à la foi et à lEglise catholique ». Ce langage prouve clairement la conduite quaurait tenue saint Cyprien, si la véritable doctrine de lEglise lui eût été notifiée soit par un concile doutre-mer, soit par un concile universel. Or, cette question navait encore été soulevée dans aucun concile général ; une chose faisait loi, cétait la coutume universellement suivie; cétait le seul argument à opposer à ceux qui voulaient innover, parce quils ne pouvaient comprendre la vérité. Plus tard cependant cette question fut débattue en sens opposé par un grand nombre dévêques, puis enfin soumise à lautorité dun concile générai, quand déjà Cyprien avait remporté la palme du martyre, et avant même que nous eussions pris naissance. Cette ancienne coutume de lEglise, définitivement constatée par un concile général, nous est dailleurs clairement révélée dans une lettre écrite par Cyprien à Jubaianus et lue dans une séance du concile. « On demande peut-être», dit saint Cyprien, « la conduite que lon doit tenir à légard de ceux qui précédemment ont quitté lhérésie pour rentrer dans lEglise et y ont été admis sans aucune réitération du baptême ? » Ces paroles ne sont-elles pas la constatation formelle dun usage que pourtant il condamnait ? Il suffit quil rappelle le concile dAgrippinus pour indiquer (91) clairement quil existait dans lEglise une coutume différente. En effet, dans quel but le concile pouvait-il formuler son décret, sil nétait que lexpression dun usage de tout temps en vigueur ? et même parmi les différentes opinions qui se manifestèrent dans le concile on en trouve plusieurs qui déclarent formellement quelles condamnent la coutume jusque-là suivie dans lEglise. Je soumets donc aux Donatistes cette seule réflexion, qui est pour tous de la dernière évidence : ce que nous devons imiter dans la conduite de Cyprien, cest son attachement sincère à lunité, et non point sa prétention à changer la coutume reçue dans lEglise. Quant au concile dont il a inspiré les résolutions, il ne mérite plus aucune attention depuis le concile général ultérieurement tenu par 1Eglise universelle, dont Cyprien se glorifiait dêtre le membre fidèle. Enfin, ce que Cyprien demandait avant tout à ses contemporains, nétait-ce pas dimiter son attachement indissoluble pour lunité de lEglise? Il est reçu par tous que les conciles postérieurs doivent toujours être préférés aux conciles antérieurs, comme le concile général lemporte toujours sur le concile particulier.
CHAPITRE X.INVITATION AUX DONATISTES DE RENTRER EN EUX-MÊMES.
15. Mais enfin, que prétendent donc ces Donatistes , puisquil est. certain que saint Cyprien, tout en refusant à lhérésie et au schisme la possession du baptême, resta toujours en communion avec ceux qui admettaient la doctrine contraire? Nous en trouvons la preuve dans les paroles suivantes « Ne jugeons personne et gardons-nous de retrancher de notre communion celui qui professerait une opinion contraire (Au concile de Carthage rappelé plus haut, ch. II.) ». Or, sil sest souillé en communiquant avec ses adversaires, pourquoi donc les Donatistes invoquent-ils sans cesse lautorité de son nom pour appuyer leur propre doctrine? Et sil na pas été souillé par ses relations avec les défenseurs de lancienne coutume, pourquoi donc les Donatistes ne cherchent-ils pas à imiter son attachement inviolable à lunité? Quelle ressource peut-il leur rester, si ce nest de dire: Nous le voulons ainsi? Quand des hommes livrés à tous les crimes, à la luxure, à livresse, à ladultère, à limpureté, au vol, à la rapine, à lhomicide, à la malveillance, à lidolâtrie, se voient pressés par la vérité et par la justice, que peuvent-ils répondre autre chose, sinon : Cest là ce que je veux, cest là ce qui me plaît? Et sils portent un nom quelque peu chrétien, ne sécrient-ils pas « Qui êtes-vous donc pour oser juger le serviteur de votre frère (Rom., XIV,4)?» Et cependant ces coupables dont je viens de parler, se voyant sous le coup des châtiments que leur attire la violation des lois divines et humaines, se gardent bien de se couronner eux-mêmes du diadème du martyre. Il nen est pas de même des Donatistes; avec une vie toute de sacrilèges, ils se flattent de passer pour innocents; et après sêtre rendus coupables des plus grands crimes, ils ne croient mériter aucun châtiment; infligez-leur telle punition bien méritée, ils sen feront un piédestal sur lequel ils se couronneront de la gloire du martyre. La seule conclusion que lon puisse tirer, cest que la miséricorde et la patience de Dieu éclatent sur eux dune manière dautant plus visible, quils trouvent dans leurs souffrances passagères loccasion dautant plus favorable de faire pénitence (Sag., XII, 10), que ces souffrances se succèdent avec moins dinterruption, Dieu veut les faire rentrer en eux-mêmes en leur mettant sous les yeux ce quils souffrent et la cause pour laquelle ils souffrent. Eux qui pour assurer lunité du Donatisme ont ratifié le baptême conféré par les Maximianistes, combien plus ne devraient-ils pas, pour la paix du troupeau de Jésus-Christ, ratifier le baptême de lEglise universelle, se rattacher à la souche véritable, se réconcilier avec lunité, comprendre quil ne leur reste rien de leurs vaines déclamations, tandis quil leur reste le mérite de leurs oeuvres. Pour expier leurs péchés passés, le seul moyen cest de chercher à apaiser Dieu par loffrande du sacrifice de dilection, au lieu de continuer à rompre lunité par une scission criminelle, et à prodiguer aux sacrements divins le tribut quotidien de leurs injures sacrilèges. Dieu est rempli de pitié et de miséricorde, de patience et de longanimité, de bonté et de véracité (Ps., CII, 8). Tant quils sont sur la terre, quils invoquent le Dieu miséricordieux et bon, et quils craignent pour lautre vie son inflexible justice. (92) Car Dieu ne veut pas que limpie meure et périsse, mais quil se convertisse et quil vive (Ezéch., XXXIII, 11); devant le repentir Dieu se laisse fléchir et oublie les injures passées. Tels sont les conseils que nous ne cessons de donner.
CHAPITRE XI.CONTRADICTIONS DES DONATISTES.
16. Et pourtant ces Donatistes nous traitent en ennemis, parce que nous disons la vérité, parce que nous craignons soit de nous taire, soit de ne pas rendre nos instances aussi pressantes que possible; parce quenfin nous obéissons à ce précepte de lApôtre: « Annoncez la parole, pressez les hommes à temps et à contre-temps; reprenez, suppliez, menacez (II Tim., IV, 2)». Mais, selon la parole de lEvangile, ils préfèrent la gloire des hommes à celle de Dieu 8Jean, XII, 45); et, pour sépargner des reproches passagers, ils sexposent témérairement à une éternelle condamnation. Ils voient parfaitement le mal quils font et limpossibilité quils éprouvent de donner aucune réponse sérieuse. Tout leur désir est damonceler des ténèbres sous les yeux des simples et des ignorants, tandis quils senfoncent eux-mêmes de plus en plus dans une ruine infaillible, dont ils ont une pleine et entière connaissance. Ils ont compris toute lhorreur quinspirent aux hommes leurs sectes et leurs divisions ; Carthage surtout, cette illustre cité, reine de lAfrique, rougit de leur présence et du schisme dont elle est le centre ne nous étonnons donc pas quils cherchent à se justifier par tous les moyens possibles. Persuadés quils pourraient détruire les Maximianistes, ils prêtèrent main-forte à Optat le Gildonien, et ouvrirent la voie des mauvais traitements et des persécutions de toute sorte. Quelques Maximianistes firent en effet leur soumission, et les Donatistes se flattèrent de ramener tous les autres par la terreur. Or, pour ménager ceux qui leur revenaient, ils leur épargnèrent linjure de la réitération du baptême , quoique pourtant le premier baptême leur eût été conféré dans le schisme; à plus forte raison, ils les dispensèrent de se faire baptiser dans le Donatisme, par ceux-là mêmes qui les avaient baptisés dans la secte ennemie ; cest ainsi quils prescrivaient eux-mêmes contre la funeste coutume quils avaient adoptée. Ils comprennent maintenant quaprès avoir ratifié le baptême des Maximianistes, ils ne peuvent, sans un crime manifeste, violer le baptême de lunivers tout entier. Dun autre côté, ils ont tout à craindre de la part de ceux quils ont rebaptisés; quadviendrait-il, en effet, si les uns exigeaient absolument la réitération du baptême, tandis que les autres en donneraient facilement dispense ; si les uns continuaient la persécution, tandis que les autres y auraient formellement renoncé?
CHAPITRE XII.LES DONATISTES JUGÉS PAR LEUR CONDUITE A LÉGARD DES MAXIMIANISTES.
17. Quand on leur objecte la manière dont ils ont reçu les Maximianistes, ils ne savent que répondre. Sils disent : Nous avons reçu des innocents ; nous leur répliquons : Vous avez donc condamné des innocents. Nous étions dans une entière ignorance. Vous avez donc jugé témérairement, comme vous laviez fait à légard des traditeurs; et quand vous avez osé dire : « Regardez-les comme condamnés « par le décret véridique dun concile général (le concile de Bagaïum) », ce nétait là de votre part quun audacieux mensonge. Toute condamnation portée contre des innocents peut-elle être une sentence véridique ? Sils disent: Nous ne les avons pas condamnés; il nous suffit de leur donner lecture du concile, de leur citer le nom des évêques et des villes. Sils répondent : Ce nest pas là notre concile; nous leur déroulons les actes proconsulaires dans lesquels ils ont si souvent allégué la sentence et lautorité de ce concile, afin dobtenir que les Maximianistes fussent chassés de leurs basiliques et dispersés par léclat des condamnations et par le secours de la force armée. Sils soutiennent que Félicianus de Mustitanum et Prétextat dAssurium nont jamais eu de relation avec Maximianus ; nous leur citons les Actes dans lesquels ils ont requis les tribunaux civils, de ratifier la sentence du concile et de prononcer contre les Maximianistes lexclusion de leurs basiliques. Sils répondent : Cest pour le bien de la paix que nous les avons reçus ; nous leur disons : Pourquoi donc nassurez-vous pas la paix véritable et générale ? Qui vous a forcés, qui vous a contraints, pour la paix de Donat, daccueillir un (93) schismatique condamné, tandis que contre la paix de Jésus-Christ, vous condamnez lunivers sans lentendre ? Ils se sentent pressés de toute part par la vérité ; ils comprennent quils nont rien à répondre, et ils ne savent plus ni quel parti prendre, ni à quelle explication sarrêter. Le silence ne leur est pas permis, et ils aiment mieux sobstiner aveuglément contre la vérité, que de confesser leur erreur et de rentrer dans la paix.
CHAPITRE XIII.PRÉCIEUX AVANTAGES DE LUNITÉ.
18. On comprend facilement ce quils peuvent dire dans leur propre coeur. Que ferons-nous, disent-ils, de ceux que nous avons déjà rebaptisés? Nous leur répondons Rentrez avec ,eux dans le sein de lEglise ; la paix est le seul remède que vous puissiez leur offrir pour guérir les plaies que vous leur avez faites; la charité est la seule vie que vous puissiez procurer à ceux que vous avez tués. La concorde fraternelle est toute-puissante pour apaiser Dieu. « Si deux dentre vous », dit le Seigneur, « se réunissent sur la terre, tout ce quils demanderont leur sera accordé (Matt., XVIII, 19)». Sil en est ainsi pour deux hommes, combien plus pour deux peuples? Prosternons-nous ensemble aux pieds du Très-Haut; participons ensemble à lunité, nous partagerons votre douleur, et la charité couvrira la multitude des péchés. Prenez conseil du bienheureux Cyprien lui-même ; comprenez quelle importance il attachait au bien de lunité, puisquil refusa toujours de se séparer de ceux qui ne partageaient pas son opinion. Sans doute il regardait comme invalide le baptême conféré hors de la communion de lEglise, et cependant il admettait, à cause du bien de lunité, la possibilité du pardon pour ceux qui avaient été admis dans lEglise sans aucune réitération du baptême. Cest en ce sens quil trancha la question dans sa lettre à Jubaianus: « Quelquun demandera peut-être quelle conduite on doit tenir à légard de ceux qui, après avoir appartenu à lhérésie, sont entrés dans lEglise sans recevoir de nouveau le baptême? Or, dans son infinie miséricorde, Dieu est tout-puissant pour pardonner et pour ne pas priver des bienfaits de son Eglise ceux qui sont rentrés et se sont endormis dans son sein sans aucune réitération du baptême (Lettre LXXIII, à Jubaianus) ».
CHAPITRE XIV.LA PÉNITENCE IMPOSÉE A CEUX QUI ONT ÉTÉ REBAPTISÉS.
19. Il serait bien difficile de dire ce qui serait le plus pernicieux pour un homme, ou dêtre absolument privé du baptême, ou de le recevoir deux fois. Je sais bien pour laquelle de ces deux alternatives les hommes éprouvent le plus de crainte et dhorreur ; cependant, si je ne considère que cette balance du Seigneur dans laquelle la valeur des choses est appréciée, non pas daprès les jugements humains, mais selon lautorité divine, je trouve que le Seigneur a hautement formulé sa pensée sur ce double sujet. En effet, il dit à Pierre : « Celui qui est lavé na pas besoin de se laver de nouveau (Jean, XIII, 10) » ; et à Nicodème «Si quelquun ne renaît de leau et du Saint-Esprit, il nentrera pas dans le royaume des cieux (Id., III, 5)». Sil sagit de scruter les plus secrètes pensées de Dieu, nous, pauvres humains, nous devons avouer notre impuissance; toutefois, à sen tenir simplement aux paroles, il est facile de comprendre la différence qui se trouve entre ces deux manières de sexprimer : « Il na pas besoin de se laver de nouveau »; et : «Il nentrera pas dans le royaume des cieux ». Or, lEglise admet en principe que celui qui na pas reçu le baptême ne saurait être admis à lautel ; dun autre côté, puisquelle exige que celui qui a reçu le baptême une seconde fois fasse une pénitence suffisante avant dêtre admis à lautel, ne prouve-t-elle pas quelle reconnaît en lui lexistence du baptême? Si donc Cyprien, par respect pour le lien de lunité, admettait que lon pût recevoir au pardon ceux-là mêmes dont il croyait le baptême invalide; dira-t-on que Dieu na pas le pouvoir, par ce même lien de lunité et de la paix, de pardonner à ceux qui ont été rebaptisés, de sadoucir à leur égard par la vertu et lefficacité de cette paix, et de faire condonation de toutes les fautes commises dans le sein de lerreur, à tous ceux qui offrent le sacrifice de cette charité qui couvre la multitude des péchés? De cette manière, il ne considère plus le nombre de ceux qui ont été blessés par leur schisme, (94) mais la multitude de ceux pour qui leur retour a été une cause de délivrance. En effet, grâce à lefficacité de ce lien de la paix Cyprien a cru que ceux quil regardait comme ayant été admis dans lEglise sans baptême, pouvaient par la miséricorde de Dieu ne pas être exclus des munificences de lEglise; or, cest dans lefficacité de ce même lien de la paix, que mériteront toujours, par la même miséricorde de Dieu, le pardon de leurs péchés, ceux qui auraient le malheur de se soumettre à la réitération du baptême
CHAPITRE XV.PUISSANCE DE LUNITÉ.
20. Au temps de saint Cyprien et avant lui, lEglise catholique admettait dans son sein ceux qui avaient été rebaptisés et ceux qui navaient reçu que le baptême schismatique. Les uns et les autres, du reste, narrivaient au salut que par le mérite de lunité. Si donc, comme laffirme Cyprien, ceux qui sortaient de lhérésie nétaient nullement baptisés, leur admission dans lunité catholique était illégitime, et cependant jamais on na désespéré de leur pardon de la part de la miséricorde de Dieu, à cause de lunité de lEglise. Dun autre côté, si le baptême quils avaient reçu était valide, la réitération de ce même sacrement était un crime; par conséquent ce nest que dans la charité de lunité quils trouvaient un secours assez puissant pour mériter que la miséricorde divine nimputât pas à ceux qui aimaient la paix, les fautes qui échappaient à la faiblesse humaine dans ladministration du sacrement de baptême. Puisque vous craignez ceux mêmes que vous rebaptisez, pourquoi donc vous fermez-vous à eux et à vous le port du salut? Autrefois certains doutes régnaient par rapport au baptême; et pourtant les partisans des opinions opposées restèrent fidèles à lunité. Plus tard la vérité se fit jour et ces doutes sévanouirent; la question nétait point encore résolue du temps de saint Cyprien, et cependant elle ne put le déterminer à se séparer de lunité; elle est résolue aujourdhui et nous presse de rentrer dans le sein de lEglise. Venez à cette Eglise catholique dans laquelle toute diversité dopinion a disparu; et que Cyprien na point quittée, quoiqualors elle fût agitée de sentiments divers. Ou bien, sil vous déplaît de voir Cyprien rester en communion avec ceux qui étaient réintégrés avec le baptême des hérétiques; si vous ne pouvez lentendre sécrier : « Ne jugeons personne et gardons-nous avec soin de retrancher de notre communion ceux qui ne partagent pas notre opinion »; où donc allez-vous, malheureux, que faites-vous donc? Fuyez-vous vous-mêmes, puisque vous êtes sortis de cette Eglise, à laquelle il resta attaché du fond de ses entrailles. Et si labondance de la charité, lamour de la fraternité et le lien de la paix lui ont mérité que Dieu ne lui imputât ni ses propres péchés, ni les péchés de ses frères; revenez à cette unité dans laquelle nous avons encore bien moins à répondre, vous et nous, de toutes les erreurs fabriquées par les auteurs de votre schisme. (95)
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