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LIVRE QUATRIÈME : Réfutation de Saint Cyprien.
Augustin y continue lexamen de la lettre de Cyprien à Jubaianus.
LÉGLISE ET LE PARADIS TERRESTRE.
LES BIENS DE LÉGLISE POSSÉDÉS PAR LES MÉCHANTS.
DIEU SEUL CONNAÎT CEUX QUI PERSÉVÉRERONT DANS LUNITÉ DE LÉGLISE.
LA VALIDITÉ DU BAPTÊME EST INDÉPENDANTE DES QUALITÉS DU MINISTRE.
PARALLÈLE ENTRE LHÉRÉTIQUE ET LAVARE.
LERREUR DE CYPRIEN NE JUSTIFIERAIT PAS LE MÉPRIS POUR SA PERSONNE.
LES MÉCHANTS DANS LUNITÉ ET HORS DE LUNITÉ.
LA ZIZANIE DANS LE FROMENT ET LE BAPTÊME DANS LE SCHISME.
LES ENNEMIS INTÉRIEURS ET EXTÉRIEURS DE LÉGLISE.
LA VERTU INHÉRENTE AU SACREMENT DE BAPTÊME.
LE BAPTÊME EST INDÉPENDANT DES CRIMES DU MINISTRE ET DU SUJET.
LA PAILLE ET LA ZIZANIE MÊLÉES AU BON GRAIN.
NOUS NE DEVONS AVOIR DAUTRE RÈGLE QUE LA VÉRITÉ MÊME DE JÉSUS-CHRIST.
LA CONVERSION DES HÉRÉTIQUES REDRESSE LEUR FOI ET NON PAS LEUR BAPTÊME.
LE BAPTÊME DANS LUNITÉ ET DANS LE SCHISME.
LERREUR EST CRIMINELLE ET NON PAS LE BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES.
TOUTES LES VERTUS, HORS DE LUNITÉ, SONT INUTILES AU SALUT.
LA DIVERSITÉ DES CHÂTIMENTS EN ENFER.
LE BAPTÊME ESSENTIELLEMENT BON DANS LES JUSTES ET LES PÉCHEURS.
LE BAPTÊME ET LA JUSTICE NÉCESSAIRES POUR ALLER AU CIEL.
LE BAPTÊME DE SANG ET DE VOLONTÉ
LE BAPTÊME CONFÉRÉ AUX ENFANTS.
LA BONTÉ DE DIEU SUPPLÉE A CE QUI MANQUE AUX ENFANTS.
AUTRE CHOSE EST LE BAPTÊME, AUTRE CHOSE LA CONVERSION DU COEUR.
CONCLUSION DU QUATRIÈME LIVRE.
CHAPITRE PREMIER.LÉGLISE ET LE PARADIS TERRESTRE.
1. LEglise « comparée au paradis (Cyp. Lettre LXXIII, à Jubaianus)» nous enseigne que hors de son sein les hommes peuvent recevoir validement son baptême, mais quils ne peuvent que par elle et avec elle marcher et persévérer dans la voie du salut éternel. LEcriture elle-même nous atteste que les fleuves qui prenaient leur source dans le paradis terrestre sortaient de ce lieu de délices et arrosaient au dehors de larges contrées. Chacun de ces fleuves est désigné par son nom, ainsi que les régions quil parcourait; personne nignore que ces fleuves se répandaient hors du paradis terrestre (Gen., II, 8-14), et cependant ni la Mésopotamie ni lEgypte, arrosées par ces fleuves, ne jouissent de la luxuriante végétation qui nous est décrite dans le jardin des délices. Ainsi donc les eaux du paradis se répandaient au dehors, mais son bonheur était exclusivement renfermé dans son enceinte. De même nous pouvons rencontrer hors de 1Eglise le véritable baptême de IEglise, et cependant ce nest que dans le sein de lEglise que nous trouvons le gage de la vie heureuse. Du reste, cest cette Eglise qui a été fondée sur la pierre et qui a reçu le pouvoir de lier et de délier, ainsi que les clefs du royaume des cieux (Matt., XVI, 18,19). « Cest bien cette Eglise qui seule possède et conserve toute la puissance de son Epoux et Seigneur »; par cette puissance conjugale elle peut enfanter jusque dans le sein des esclaves; si ces enfants ne se laissent pas séduire par lorgueil, ils seront appelés à partager lhéritage du père de famille; mais sils cèdent à lorgueil, ils resteront hors du foyer paternel.
CHAPITRE II.LES BIENS DE LÉGLISE POSSÉDÉS PAR LES MÉCHANTS.
2. Comme nous combattons pour lhonneur et pour lunité de lEglise, gardons-nous dattribuer aux hérétiques la possession des biens que nous trouvons parmi eux; au contraire, sachons leur faire comprendre que ces bienfaits quils tiennent de lunité nauront defficacité pour leur salut quautant quils reviendront à cette même unité. Car « leau de lEglise est fidèle, salutaire et sainte » pour ceux qui en font un bon usage. Or, personne ne peut en faire un bon usage en dehors de lEglise. Dun autre côté, ceux qui en font un mauvais usage soit à lintérieur soit en dehors de lEglise, acquièrent des droits non pas à la récompense mais au châtiment. Il suit de là que « le baptême ne saurait être ni corrompu ni adultère », lors même quil serait possédé par des hommes impurs et adultères; « de même lEglise est elle-même incorruptible, chaste et pudique » ; doù il suit quelle repousse de son sein les avares, les voleurs, les usuriers, et pourtant Cyprien nous atteste dans ses lettres que ces coupables se rencontrent non-seulement hors de 1Eglise, mais jusque dans son sein; leur coeur ne change donc pas, soit quand ils sont baptisés, soit quand ils baptisent. 3. Cest la pensée que ce saint évêque, dans lune de ses lettres (Cyp., Lettre XI, aux Clercs.), communique aux clercs, en les invitant à recourir à la prière, et en se chargeant lui-même des péchés de son peuple, comme avait fait avant lui le saint prophète Daniel. Parmi les maux quil énumère il signale celui-ci : « Ces hommes renoncent au siècle seulement par leurs paroles et non par leurs oeuvres » ; lApôtre avait dit dans le même sens: « Ils confessent quils connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres (Tit., I, 16)». Cyprien reproche donc à ces hommes, en qui le baptême nopère aucun changement du coeur et qui cependant appartiennent à lunité de lEglise, de renoncer au siècle seulement en parole et nullement par leurs oeuvres, démentant ainsi ces paroles de saint Pierre: « Ce qui était la figure à laquelle répond maintenant le baptême qui ne consiste pas dans la purification des souillures de la chair, mais dans la promesse que lon fait à Dieu de garder une conscience pure (I Pierre, III, 21)». Cette conscience pure nétait donc point le partage de ces hommes dont il est dit « quils renoncent au siècle par leurs paroles et non par leurs oeuvres ». Et cependant, Cyprien sarmant des plus sanglants reproches, les presse de marcher enfin dans la voie de Jésus-Christ et de chercher son amour plutôt que lamour du siècle.
CHAPITRE III.DIEU SEUL CONNAÎT CEUX QUI PERSÉVÉRERONT DANS LUNITÉ DE LÉGLISE.
Or, je suppose que ces coupables lui eussent obéi et quils eussent entrepris de vivre désormais non pas en faux chrétiens, mais en véritables disciples de Jésus-Christ, pensez-vous que Cyprien eût ordonné de leur réitérer le baptême? Non assurément, car la grâce dune sincère conversion leur aurait mérité le glorieux avantage de voir le baptême opérer leur salut, tandis quavant leur conversion il nétait pour eux quun nouveau gage de léternelle réprobation. 4. On ne saurait regarder comme « dévoués à lEglise (Cyp., Lettre LXXIII, à Jubalanus) » ceux qui, paraissant être dans lEglise, vivent cependant en opposition avec Jésus-Christ, Cest-à-dire profanent ses commandements; par conséquent ils doivent être traités comme entièrement séparés de cette Eglise que le Sauveur purifie dans le baptême de leau par la parole de vie, pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, nayant ni tache, ni ride ni rien de semblable (Eph., V, 26,27.). Sils ne sont pas dans cette Eglise, sils nen sont pas les membres, ils nappartiennent pas davantage à cette même Eglise en tant quelle nous est prophétisée dans ces paroles : « Elle est « ma colombe unique, la bien-aimée de sa mère (Cat., VI, 8) », car elle est sans tache et sans ride. Et dailleurs, qui donc oserait regarder comme membres de cette colombe ceux qui renoncent au siècle dans leurs paroles et non point par leurs oeuvres? Nest-ce point la pensée que nous trouvons formulée dans ces paroles: « Celui qui distingue les jours, les distingue pour plaire au Seigneur (Rom., XIV, 14,6 )? ». Et, en effet, tous les jours relèvent du Seigneur. Or, si nous envisageons les choses au point de vue de sa prescience infinie, en vertu de laquelle il connaît de toute éternité ceux quil a prédestinés à devenir conformes à limage de son Fils, on peut affirmer en toute sécurité quil est des hommes actuellement hors de lEglise et appelés hérétiques, qui lemportent de beaucoup à ses yeux sur un grand nombre de bons catholiques. Nous voyons bien ce que sont aujourdhui ces hérétiques, mais nous ne savons pas ce quils deviendront demain. Or, ce quils doivent devenir, ils le sont déjà aujourdhui aux yeux de ce Dieu, tour qui les choses futures sont réellement présentes. Nous, au contraire, qui ne connaissons les hommes que par ce quils sont actuellement, nous nous demandons si nous devons regarder aujourdhui comme membres de cette Eglise appelée la colombe unique et lépouse de Jésus-Christ, sans tache et sans ride, tous ces hommes dont Cyprien disait « quils ne persévéraient pas dans la voie du Seigneur, quils nobservaient pas les préceptes qui « leur avaient été donnés pour leur salut, et « quils naccomplissaient pas la volonté du « Seigneur. Au contraire, ils sappliquaient « tout entiers à grossir leur patrimoine et leur pécule, à assouvir leur orgueil, à fomenter leur jalousie et leurs dissensions, à prouver leur négligence pour la simplicité et la « foi, ne renonçant au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, se complaisant en eux-mêmes et déplaisant à tous (Lettre XI, aux Clercs.) ». Si donc la colombe ne les compte pas parmi ses membres, et surtout sils doivent persévérer dans leur iniquité, jusquà mériter ces dures paroles de la part du Sauveur: « Je ne vous connais pas; retirez-vous de moi, « vous qui commettez liniquité (Matt., VII, 23.) », cest en vain quils nous paraissent appartenir à lEglise, ils ne lui appartiennent pas réellement. Bien plus encore, « ils travaillent contre lEglise. Comment donc peuvent-ils baptiser du baptême de 1Eglise (Lettre LXXIII, à Jubalanus) », quand ce sacrement en pareil cas ne profite ni à ceux qui le confèrent, ni à ceux qui le reçoivent, à moins quil ne sopère en eux une conversion véritable? Parce quen recevant le baptême, ils ne renonçaient au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, ce sacrement restait pour eux absolument inutile; (111) mais il commence à porter ses fruits dès que leurs oeuvres réalisent le renoncement qui leur est commandé. De même, sil sagit de ceux dont la séparation est évidente, il est certain quaucun deux nappartient aujourdhui à la colombe unique, mais quelques-uns peuvent plus tard lui appartenir réellement.
CHAPITRE IV.LA VALIDITÉ DU BAPTÊME EST INDÉPENDANTE DES QUALITÉS DU MINISTRE.
5. Nous nacceptons donc pas le baptême des hérétiques, quoique nous refusions de réitérer ce sacrement à ceux qui lont déjà reçu de leurs mains, Avant tout, ce baptême est loeuvre de Jésus-Christ, même dans les pécheurs, soit dans les schismatiques déclarés, soit dans ceux qui ne sont séparés que dune manière occulte ; que les uns et les autres corrigent ce quil y avait en eux de répréhensible, et nous le recevons aussitôt avec toute la vénération qui lui est due. Je puis paraître embarrassé lorsquon me presse par cette question : «Un hérétique remet donc les péchés » ; mais à mon tour je presse mes adversaires lorsque je leur dis : Les péchés sont donc remis par celui qui nobserve pas les commandements divins, par lavare, le voleur, 1usurier, lenvieux et par quiconque ne renonce au siècle que dans ses paroles et non point par ses oeuvres? Si la rémission des péchés sopère par la vertu propre du sacrement de Dieu, quimporte tel ou tel ministre? au contraire, si cest par son propre mérite que le ministre confère la rémission des péchés , cette rémission nest opérée ni par lun ni par lautre de ceux que nous venons de signaler. En effet, quelque mauvais que soient les hommes le baptême reste toujours le sacrement de Jésus-Christ; mais ces hommes mauvais, quels quils soient, nappartiennent pas à cette colombe unique, incorruptible, sainte, pudique, nayant ni tache ni ride (Eph. V, 27.). De même donc que le baptême nest daucune utilité pour celui qui, en le recevant, ne renonce au siècle que du bout des lèvres et non point par ses uvres ; de même il est sans résultat pour celui qui est baptisé dans le schisme ou lhérésie; tous deux cependant lont reçu validement: quils se convertissent et ils éprouveront les effets de ce qui pour eux jusque-là était sans aucun résultat. 6. « Celui qui est baptisé dans lhérésie ne devient donc pas le temple de Dieu »; et cependant, faut-il le regarder comme nayant pas reçu le baptême? Lavare baptisé dans lunité de lEglise ne devient pas davantage le temple de Dieu, sil ne veut pas renoncer à son avarice, car ceux qui deviennent le temple de Dieu, possèdent également le royaume de Dieu. Or, lApôtre déclaré formellement que « ni les avares, ni les voleurs ne posséderont le royaume de Dieu (I Cor., VI, 10). Ailleurs il compare lavarice à lidolâtrie : « Et lavarice qui est un culte des idoles (Eph., V, 5) ». Cyprien portant peut-être jusquà lexagération la sévérité des paroles de lApôtre, écrivait à Antonianus quil nhésitait pas à comparer lavarice au péché de ceux qui dans un temps de persécution sétaient engagés par écrit à offrir de lencens aux idoles (Lettre LV, à Antonianus). Ainsi donc celui qui dans lhérésie est baptisé au nom de la sainte Trinité, et qui ne renonce pas à son hérésie, subit le même sort que lavare qui reçoit le baptême et ne renonce pas à son avarice; ni lun ni lautre ne deviennent le temple de Dieu. De là cette parole de saint Paul: «Quelle relation entre le temple de Dieu et les idoles (II Cor., VI, 16)? » Quon ne nous demande donc plus de quel Dieu devient le temple, celui à qui nous refusons lhonneur de devenir le temple de Dieu. Et cependant nous sommes loin daffirmer par là quil nait point été baptisé, ou que son erreur et son impiété aient le triste pouvoir dannuler radicalement le sacrement quil a reçu selon toutes les formes évangéliques. De même nous nions que lavarice de lautre, ou que ses nombreuses souillures invalident essentiellement le baptême, lors même que ce sacrement lui aurait été conféré par un avare, mais selon les formes évangéliques.
CHAPITRE V.PARALLÈLE ENTRE LHÉRÉTIQUE ET LAVARE.
7. « Cest donc en vain, a dit-saint Cyprien, que nos adversaires vaincus par la raison nous opposent la coutume, comme si la coutume pouvait lemporter sur 1a vérité; ou bien comme si dans les choses spirituelles on ne devait pas sattacher de préférence à ce qui nous a été révélé par le Saint-Esprit ». (112) On ne peut quapplaudir à ce langage, car la coutume est sans valeur devant la raison et la vérité. Au contraire, quand la vérité vient confirmer la coutume, on a atteint le dernier degré de la certitude. Le saint martyr ajoute : « On peut pardonner à celui qui est simplement dans lerreur, mais sans aucune obstination de sa part ». Cest ainsi que lApôtre a dit de lui-même : « Jai dabord été blasphémateur, persécuteur et outrageux, mais jai mérité dobtenir miséricorde, parce que jagissais dans lignorance (I Tim., I, 13). Mais quand, après avoir reçu linspiration et la révélation, le coupable persévère sciemment dans son erreur première, il na plus le droit dinvoquer lignorance pour obtenir plus facilement son pardon. Dès que la raison le condamne, nest-ce point de sa part obstination et présomption, de persévérer dans sa voie criminelle ? ». Il est parfaitement exact de dire que le péché commis en pleine connaissance est de beaucoup plus grave que celui que lon commet dans lignorance. Voilà pourquoi ce saint martyr, aussi savant, que docile, commentant les éloges prodigués par saint Paul à un évêque (II Tim., II, 24), sexprimait en ces termes: « Ce que lon doit surtout aimer dans un évêque, cest non-seulement quil enseigne pertinemment, mais aussi quil sache recevoir avec patience les lumières qui lui viennent de ses frères (Cyp., Lettre LXIX, à Pompeius) ». Je suis persuadé que si la question de la réitération du baptême dans lEglise avait été soumise à un long et minutieux examen entre lui et de saints et savants collègues, comme ceux qui plus tard confirmèrent lancienne coutume par décret rendu en concile général, non-seulement Cyprien aurait prouvé sa profonde science dans les matières où il avait pour lui la vérité, mais encore il aurait fait preuve de la plus édifiante docilité sur les matières quil ne possédait que dune manière imparfaite. Quoi quil en soit, tout homme avouera sans peine quon est de beaucoup plus coupable quand on pèche en pleine connaissance, que quand on pèche par ignorance. Or, je voudrais quon me dît lequel des deux est le plus criminel, ou celui qui tombe dans lhérésie sans en comprendre la gravité, ou celui qui sobstine dans son avarice dont il apprécie la culpabilité. Je pourrais également poser la question en ces termes: Quel est le plus coupable de celui qui, sans le savoir, tombe dans lhérésie, ou de celui qui, avec une pleine connaissance, sobstine dans lidolâtrie? Je me sers de cette dernière expression,. parce que lApôtre a dit de lavarice « quelle est un culte « idolâtrique ». Cyprien lui-même interprète dans le même sens ce passage de lApôtre, quand il écrit à Antonianus (Cyp., Lettre LV, à Antonianus.): « Que nos nouveaux hérétiques modèrent lenthousiasme avec lequel ils sécrient quils ne sont point en communion avec les idolâtres; car dans leurs rangs se trouvent des adultères et des voleurs, dont le crime constitue une sorte didolâtrie. Car, dit lApôtre, sachez que nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu (Eph., V, 5) ». Et ailleurs : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre; cest-à-dire la fornication, limpudicité, la concupiscence mauvaise et lavarice, qui est un culte rendu aux idoles (Coloss III, 5) ». Je demande donc lequel des deux est le plus coupable, ou celui qui tombe dans lhérésie sans le savoir, ou celui qui sciemment refuse de renoncer à lavarice qui est une idolâtrie? Daprès ce principe que celui qui pèche avec connaissance est plus coupable que celui qui pèche par ignorance, nous devons conclure contre celui qui reste sciemment dans lavarice. Je consens même à placer au même rang de culpabilité lhérétique inconscient et lavare convaincu, afin quon ne maccuse pas de ne faire consister que dans la science du coupable la grandeur du crime de lhérésie comme on le fait pour lavarice; javoue cependant que cette supposition paraît en contradiction avec le passage de lApôtre; et en effet, ce que nous détestons avant tout dans les hérétiques, ce sont leurs blasphèmes. Dun autre côté, voulant nous prouver que lignorance est une raison sérieuse dobtenir plus facilement son pardon, Cyprien apporte en témoignage ces paroles de lApôtre: « Jai dabord été blasphémateur, persécuteur et outrageux, mais jai obtenu miséricorde parce que jai agi dans lignorance (I Tim., I, 13) ». Mais enfin, comme je lai dit plus haut, je suppose sur le pied de parfaite égalité le blasphème de celui qui ignore et lidolâtrie de celui qui connaît; je frappe dune seule et même condamnation celui qui en cherchant Jésus-Christ se laisse (113) tromper par les apparences, et celui qui, en pleine connaissance de cause, résiste à cet oracle divin formulé par lApôtre : « Nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu»; et je demande pourquoi annuler dans le premier, et approuver dans le second, le baptême et les paroles évangéliques, quand il est prouvé que ni lun ni lautre ne sauraient être membres de la colombe unique? Refusera-t-on lentrée au premier, parce quil est un batailleur manifeste, tandis que lon conservera lautre, quoiquil ne soit quun disciple fourbe et rusé?
CHAPITRE VI.LERREUR DE CYPRIEN NE JUSTIFIERAIT PAS LE MÉPRIS POUR SA PERSONNE.
8. Cyprien ajoute : « Que parmi eux aucun ne dise : Nous suivons la voie qui nous est tracée par les Apôtres, car les Apôtres nont établi quune Eglise et quun seul baptême qui est la propriété exclusive de cette même Eglise ». Ces paroles tendraient-elles à me convaincre que je dois réprouver le baptême de Jésus-Christ? Quand je le rencontre parmi les hérétiques, je nai besoin, pour les réfuter, que de leur opposer lobligation où je suis dapprouver lEvangile, toutes les fois que je le rencontre parmi les hérétiques dont cependant je repousse les erreurs. Mais du moins ces mêmes paroles nous apprennent quà lépoque de saint Cyprien, certains évêques présentaient comme venant des Apôtres cette coutume contre laquelle protestaient les conciles Africains, contre laquelle aussi le saint martyre sécriait: « Cest en vain que ceux qui sont vaincus par la raison nous opposent la coutume ». Je ne mexplique pas davantage, pourquoi cette coutume, qui depuis Cyprien fut sanctionnée par un concile général, et que Cyprien lui-même avait trouvée dans toute sa vigueur, fut si vivement attaquée par ce saint évêque, quand pour la condamner et la détruire sa profonde science ne pouvait lui fournir quun seul argument, cest-à-dire un concile africain convoqué et présidé quelques années auparavant par lévêque Agrippinus. Cyprien comprit facilement quun argument aussi faible ne pouvait rien contre une coutume aussi universelle; il eut donc recours à des raisonnements, mais ces raisonnements nétaient que des vraisemblances et nullement des vérités, comme nous lavons prouvé en nous fondant sur lantiquité de cette coutume et sur lautorité du concile général. Toutefois ces vraisemblances, il les prit pour des réalités sur une question aussi obscure que celle de la rémission des péchés, surtout quand il sagit de savoir si cette rémission peut ne pas sopérer dans le baptême de Jésus-Christ, ou si elle peut sopérer par le ministère des hérétiques. Sur ce point la Providence avait permis quil ne fût pas complètement éclairé, afin de faire mieux ressortir cette grande charité qui lempêcha toujours de se séparer de lunité. Mais qui donc, sappuyant sur cette insuffisance de lumières, et sous prétexte quil se sent plus éclairé que ne létait Cyprien, oserait se préférer à ce grand évêque en qui brillèrent dun si vif éclat les vertus les plus héroïques et les grâces les plus abondantes? Que celui qui aurait cette audace se souvienne quil possède aujourdhui. ce que ne possédait pas alors lEglise, cest-à-dire la sentence infaillible dun concile universel. Autant vaudrait se préférer à Pierre, qui obligeait les Gentils à judaïser, quand, instruit par les lettres de Paul et mieux appuyé sur la coutume de lEglise, on nimpose pas aux Gentils cette obligation (Gal., II, 14). 9. « Nous ne voyons nulle part quun homme baptisé par des hérétiques ait été reçu par les Apôtres dans la communion de lEglise, avec ce seul baptême, tel quil lui avait été conféré». Nous ne voyons pas davantage que les Apôtres aient réitéré le baptême à celui qui, voulant entrer dans lEglise, aurait été précédemment baptisé par des hérétiques. Dailleurs, cest à bon droit que nous regardons comme venant des Apôtres cette coutume que les hommes de cette époque, les yeux fixés sur les sphères supérieures, ne voyaient pas régner parmi leurs descendants. Combien dautres faits du même genre, quil serait trop long dénumérer de nouveau! Si donc les adversaires de Cyprien étaient parfaitement en droit de mépriser la défense que leur en faisait Cyprien et de sécrier : « Nous suivons la voie qui nous a été tracée par les Apôtres »; combien plus encore nous sommes autorisés à dire : Ce que la coutume de lEglise a toujours pratiqué, ce qui peut braver toutes les discussions, ce qui (114) a été confirmé par un concile général, cest là ce que nous suivons? Et puis, si nous étudions sérieusement les raisons alléguées de part et dautre, ainsi que les témoignages de la sainte Ecriture,-nous pouvons ajouter sans crainte: Nous suivons la voie que nous a tracée la Vérité elle-même.
CHAPITRE VII.LES MÉCHANTS DANS LUNITÉ ET HORS DE LUNITÉ.
10. Les adversaires de Cyprien lui opposaient ces paroles de lApôtre : « Pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un vrai zèle, je men réjouis (Philip., I, 18.). » Or, le saint évêque les réfutait victorieusement en leur montrant que la cause de lhérésie navait rien à voir dans ces paroles. En effet, lApôtre parlait uniquement de ceux qui prêchaient Jésus-Christ par un esprit denvie et de contention; il est vrai quils prêchaient Jésus-Christ et ne formulaient sur sa personne que des idées conformes aux vérités de la foi, mais lesprit qui les dirigeait nétait point celui qui doit inspirer les prédicateurs, enfants dévoués de la Colombe. Voici les paroles de Cyprien : «LApôtre ne parlait ni de la personne ni du baptême des hérétiques, et cest en vain que lun voudrait invoquer ce passage dans la question qui nous occupe. Il parlait de ceux de ses frères qui dépassaient les limites de la sagesse, ou les règles de la discipline ecclésiastique, ou bien de ceux qui osaient annoncer sans crainte la parole de Dieu. Il rappelle que les uns ont toujours prêché la parole de Dieu avec constance et intrépidité, tandis que dautres se laissent obséder par lesprit denvie et de contention; que les uns prêchent par charité cet les autres par un esprit de jalousie. Paul ajoute quil supporte tout patiemment, pourvu que, soit par occasion, soit par un vrai zèle, le nom de Jésus-Christ arrive à la connaissance de plusieurs, et que la parole évangélique, malgré la rudesse des formes, soit prêchée à plus de peuples et porte des fruits plus abondants. Or, autre chose est la prédication de ceux qui appartiennent à lunité de lEglise et qui parlent au nom de Jésus-Christ; autre chose est de baptiser au nom de Jésus-Christ ceux qui sont hors de lEglise et qui combattent contre lEglise (Cyp., Lettre LXXIII, à Jubaianus). Ces paroles de Cyprien nous avertissent détablir une distinction entre les méchants qui sont séparés de lEglise, et les méchants qui appartiennent à cette unité. Quant à ces hommes qui nous sont dépeints par lApôtre comme annonçant lEvangile par un coupable esprit denvie et de contention, Cyprien les regarde comme appartenant à lEglise, et-il a raison. Toutefois, je ne crois pas être téméraire en posant-le dilemme-suivant : Si nul homme séparé de IEglise ne peut rien posséder de ce qui nous vient de Jésus-Christ, aucun-de ceux qui appartiennent à lunité ne peut rien posséder de ce qui nous vient du démon. Car si dans ce jardin fermé ont pu croître les épines du démon, pourquoi la source de Jésus-Christ ne pourrait-elle pas couler hors de ce même jardin? Si la première proposition est fausse, comment donc du vivant même de lApôtre des prédicateurs ont-ils pu tomber victimes dun mal aussi grand que la jalousie et une dissension malveillante? Ce sont là, du reste, les propres paroles de Cyprien. Dira-t-on que la- jalousie et une dissension malveillante ne sont que des maux très-légers? Mais alors, quon nous dise pourquoi ces hommes nétaient point dans la paix, quoiquils fussent dans lunité? Voici une parole qui nest ni de moi ni des hommes, mais de Dieu lui-même; une parole qui a été dite non point parles hommes mais par les anges au moment de la naissance de Jésus-Christ: « Gloire à Dieu au plus « haut des cieux, et paix sur la terre aux e hommes de bonne volonté (Luc, II, 14) ».En formulant cet oracle par la voix des Anges et sur le berceau du Sauveur, Dieu ne voulait-il pas nous faire comprendre que pour appartenir à lunité du corps de Jésus-Christ il faut être dans la paix de Jésus-Christ, et que pour être dans la paix de Jésus-Christ il faut être doué dune bonne volonté? Or, si la bonne volonté se trouve dans la bienveillance , la mauvaise volonté ne se trouve-t-elle pas dans la malveillance?
CHAPITRE VIII.LA MALICE DE LA JALOUSIE.
11. Mais enfin, quelle est donc la malice de cette jalousie qui ne saurait être que malveillante? Ne cherchons pas dautres témoins, (115) car il nous suffit dun seul, saint Cyprien lui-même, à qui le Seigneur sest plu à révéler les invectives les plus éloquentes et les préceptes les plus salutaires sur lenvie et la jalousie. Lisons donc la lettre de ce saint martyr sur ce double penchant; comprenons quel crime cest de porter envie à ceux qui sont meilleurs que nous, et noublions pas que ce triste défaut na dautre principe que le démon lui-même. « Jalouser ce qui vous semble bon, et porter envie à ceux qui sont meilleurs que vous, cest là un crime que quelques-uns parmi vous, frères bien-aimés, regardent comme léger et de peu dimportance ». Cherchant ensuite la source et lorigine de ce défaut : « Cest par ce vice», dit-il, «que dès les premiers jours du monde le démon sest perdu et en a perdu un grand nombre avec lui ». Un peu plus loin il ajoute : « Quel mal nest donc pas, mes frères, ce crime qui a fait tomber lange lui-même, qui a précipité dans labîme les puissances célestes et qui a séduit le séducteur lui-même? Depuis cette époque la jalousie va croissant sur la terre, multipliant ses victimes, tristes esclaves du maître de la perdition, tristes imitateurs du premier jaloux, le démon; de là cette parole : Par lenvie du démon la mort est entrée dans le monde, et tous ceux qui lui appartiennent se font constamment ses imitateurs (Sag., 24,25) ». Ces paroles de Cyprien, empruntées à celle de ses lettres qui est la plus connue, sont aussi pleines de vérité que dénergie. A lui plus quà tout autre il appartenait de formuler sur lenvie et la jalousie les leçons et les avertissements les plus graves, car dans labondance de sa charité il avait toujours su soustraire son coeur aux cruelles atteintes de ce mal. Sous linfluence de cette charité, il se montra toujours rempli de bienveillance pour ceux de ses collègues qui ne partageaient pas ses opinions au sujet du baptême; il ne connut jamais les dissensions malveillantes, se tint en garde contre les tentations humaines, et par sa persévérance dans la charité il mérita que Dieu le comblât dans la suite de ses grâces et de ses révélations (Philipp., III, 15). Il resta donc indissolublement attaché à lunité, et pouvait hautement sécrier : « Ne jugeant personne et nous abstenant de séparer de notre communion celui qui ne partagerait point notre opinion. En effet, personne dentre nous ne sest constitué lévêque des évêques, et personne na voulu recourir à des menaces tyranniques pour réduire ses collègues à lobéissance (Concile de Carthage.). Voici, du reste, comment il terminait son épître: « Tels sont, frère bien-aimé, les conseils que dans ma bassesse jai cru devoir vous adresser; je ne prescris rien, je ne préjuge rien, car chaque évêque a le droit de faire ce qui lui paraît le plus convenable, il est parfaitement le maître de son libre arbitre. Dans la mesure de ce qui nous est possible, et pour ménager les hérétiques, nous ne discutons jamais avec nos collègues et nous conservons entre nous la concorde chrétienne et la paix du Seigneur. Nous avons toujours devant les yeux ces paroles de lApôtre : Si quelquun aime à contester; pour nous, ce nest point là notre coutume ni celle de lEglise de Dieu (I Cor., XI, 16.). Nous conservons donc avec patience et avec douceur la charité du coeur, lhonneur de notre collège, le lien de la foi et la concorde du sacerdoce. Cest dans ce but, malgré notre médiocrité et avec laide et le bon plaisir de Dieu, que nous avons composé ce petit opuscule sur le Bien de la Patience et nous vous ladressons comme gage de notre affection mutuelle (Lettre LXXIII, à Jubaiainus)
CHAPITRE IX.LA ZIZANIE DANS LE FROMENT ET LE BAPTÊME DANS LE SCHISME.
12. Grâce à cette patience et à cette charité, Cyprien a toléré ses collègues catholiques malgré la diversité, bienveillante toutefois, de leurs opinions sur cette question difficile et obscure, comme il a été toléré lui-même jusquà ce que la Providence eût permis que lantique et salutaire coutume fût confirmée par décision dun concile général. Et non-seulement il toléra les bons, mais il resta même en communion avec des évêques notoirement mauvais qui exprimaient des opinions diverses, non point à cause de lobscurité même de la question, mais pour justifier la dissolution de leurs moeurs et sautoriser à faire le mal quand ils prêchaient le bien, réalisant ainsi ces paroles de lApôtre : « Vous qui défendez le mal, vous le commettez vous-même (Rom., II, 21). Nest-ce pas de ces évêques, ses contemporains et ses collègues dans lunité, quil écrivait: « Pendant que leurs frères subissent les rigueurs de la faim, ils nont souci que damasser de plus grandes richesses, dacquérir des trésors par la fraude et la ruse, et daccroître leur fortune par des usures multipliées (Discours sur les Tombés.)? » Sur ce point, en effet, la question nest nullement obscure, car lEcriture dit hautement : « Ni les avares, ni les hommes rapaces ne posséderont le royaume de Dieu I Cor., VI, 10.) » ; « celui qui a placé son argent à usure (Ps., XIV, 5) »; « nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne possédera lhéritage dans le royaume de Jésus-Christ et de Dieu (Eph., V, 5) ». Peut-on supposer que, sil neût pas connu parfaitement les coupables, il aurait signalé avec autant de précision ces avares qui non-seulement avaient la passion de thésauriser, mais qui recouraient, pour senrichir, aux moyens les plus iniques et prouvaient ainsi pour la richesse un amour qui nétait autre chose quune véritable idolâtrie ? Peut-on croire quil se fût permis de juger ainsi témérairement ses collègues dans lépiscopat? Et cependant, pour se montrer le fidèle disciple de Jésus-Christ qui est mort pour les faibles et qui a défendu darracher la zizanie avant la moisson, dans la crainte quon arrachât également le bon grain (Matt., XIII, 29.), Cyprien toléra ces coupables avec une charité véritablement paternelle et maternelle. Il devint ainsi limitateur du grand Apôtre qui, par amour pour lEglise, toléra ceux-là mêmes qui montraient à son égard le plus de jalousie et de malveillance (Philipp., I, 15-18). 13. Cependant « cest par la jalousie du démon que la mort est entrée dans le monde, et tous ceux qui lui appartiennent marchent sur ses traces (Sag., II, 24, 25.), non pas en tant quils ont été créés par Dieu, mais en tant quils se sont pervertis eux-mêmes. Cest lobservation que fait Cyprien lui-même; car le démon, avant de devenir démon, était un ange, et un ange véritablement bon. Mais alors ceux qui sont du parti du démon, à quel titre donc peuvent-ils appartenir à lunité de Jésus-Christ? Le Seigneur a dit lui-même : « Cest là loeuvre de lhomme ennemi qui est venu semer la zizanie sur le bon grain (Matt., XIII, 28, 25). De même donc que nous devons condamner ce qui dans lunité appartient au démon, de même devons-nous reconnaître ce qui, hors de lunité, appartient à Jésus-Christ. Ny aurait-il plus rien pour Jésus-Christ en dehors de lunité de lEglise, tandis que dans cette même unité le démon aurait ses victimes et ses oeuvres? Sans doute, sil ne sagit que des hommes eux-mêmes, on peut bien dire que Dieu ne reconnaît comme sien aucun de ceux qui sont formellement hors de lEglise, pas plus que le démon ne possède aucun des saints anges. Mais quant à lEglise de la terre, tant quelle porte le poids de cette misérable mortalité, et quelle chemine loin de Dieu, le démon peut venir y mêler la zizanie, cest-à-dire des pécheurs; et si ce pouvoir lui est donné pendant notre pérégrination ici-bas, cest afin que nous nous sentions enflammés dun désir de plus en plus ardent pour ce repos de la patrie dont jouissent les élus. Au contraire, sil sagit des sacrements, nous ne pouvons plus tenir un semblable langage. En effet, de même que la zizanie intérieure peut recevoir et conférer ces sacrements, non point pour son salut, mais pour sa ruine éternelle, pendant laquelle elle sera dévorée par le feu de lenfer; de même la zizanie extérieure, cest-à-dire les schismatiques ou les hérétiques déclarés peuvent recevoir ces mêmes sacrements par le ministère de ceux qui, après avoir appartenu à lEglise, sen sont ensuite séparés, et nont pu perdre ce quils avaient reçu avant leur séparation. Pour le prouver, il suffit de rappeler que jamais la pensée nest venue de réitérer le baptême à ceux qui , après sêtre séparés de lEglise, demandent à y rentrer. Personne, je pense, naura la pensée de sécrier : La zizanie peut-elle donc avoir quelque chose du froment? Si elle avait quelque chose du froment, lunité et le schisme seraient placés dans une condition absolument semblable. Or, parmi la zizanie extérieure, nous ne trouvons aucun grain de froment, tandis quon en trouve dans la zizanie intérieure. Quand il sagit des sacrements, nous navons pas à demander si la zizanie renferme du froment, mais si elle possède quelque chose qui lui vienne du ciel ; or, quelle soit extérieure, quelle soit intérieure, la pluie lui est commune avec le froment, et cette pluie ne laisse pas que dêtre une rosée douce et céleste, quoiquelle donne un accroissement (117) stérile à la zizanie. De même le sacrement de Jésus-Christ est suave et divin; et, fût-il frappé de stérilité à légard de ceux qui vivent dans le schisme, on ne doit jamais ni le méconnaître ni le condamner.
CHAPITRE X.LES ENNEMIS INTÉRIEURS ET EXTÉRIEURS DE LÉGLISE.
14. Quelquun me dira peut-être que la zizanie intérieure peut plus facilement se changer en froment. Soit, mais quest-ce que cela prouve par rapport à la réitération du baptême? Je suppose que tel hérétique promptement convaincu de son erreur et aidé par le temps et des circonstances plus faciles, se convertisse avant celui qui est dans lunité et sabandonne à ses crimes, devra-t-on sabstenir de lui réitérer le baptême, tandis quon le réitérera à celui qui sest laissé prévenir par cet hérétique et ne sest converti que plus tard? Quant à la question qui nous occupe, il ne sagit nullement de savoir si cest bientôt, ou trop tard que le pécheur sest converti à la foi, à lespérance et à la charité. Il est certain que les pécheurs qui appartiennent à lunité jouissent dune plus grande facilité pour se convertir, et cependant nous voyons quelquefois des hérétiques ou des schismatiques précéder les mauvais catholiques dans leur retour vers Dieu, et produire des fruits au trentième, au soixantième ou au centième (Matt., XIII, 23 ; Luc, VIII, 15.), tandis que les autres, quoique catholiques, restent frappés de stérilité. Enfin, si lon soutient quil ny a de véritable zizanie que celle qui persévère jusquà la fin dans son crime et son erreur, nous en conclurons quil y a beaucoup de froment hors de lunité, et que dans lunité il y a beaucoup de zizanie. 15. Quoi quil en soit, les pécheurs séparés de lEglise sont-ils plus coupables que les pécheurs dans lunité ? Il nest pas facile de décider si Nicolas, hérétique séparé de lEglise, était plus coupable que Simon le Magicien, appartenant à lunité (Apoc., II, 6). Quon soutienne que la séparation, par cela même quelle détruit manifestement la charité, est un péché plus grave, jy consens. Et pourtant, il en est un grand nombre qui, après avoir perdu la charité, ne se jettent pas dans le schisme, parce quils sont retenus par des avantages temporels, parce quils se cherchent eux-mêmes et non pas Jésus-Christ (Philipp., II, 21); voilà pourquoi ils refusent de se séparer, non pas précisément de lunité de Jésus-Christ, mais des avantages que cette unité leur procure. De là ce bel éloge que lon fait de la charité : « Elle ne cherche pas ses propres avantages (II Cor., XIII, 5). » 16. Demandons-nous maintenant comment des hommes esclaves du démon pouvaient appartenir à cette Eglise, qui est sans tache, sans ride ou autre chose de ce genre (Eph., V, 27) ; à cette Eglise dont il est dit : « Elle est ma colombe unique (Cant., VI, 8) ? » Si les pécheurs ne peuvent lui appartenir, il reste évident pour nous que cette Eglise gémit parmi des étrangers, dont les uns lui tendent des embûches dans son propre sein, et dont les autres lui déclarent la guerre au dehors. Cependant ses ennemis intérieurs reçoivent le baptême, le possèdent et le confèrent dans toute sa sainteté essentielle, sans quil puisse recevoir aucune atteinte de la méchanceté dans laquelle ces pécheurs persévèrent jusquà la fin. Voilà pourquoi le même Cyprien nous enseigne que nous devons considérer le baptême tel quil est en lui-même, tel que le constituent les paroles évangéliques et tel quil a toujours été reçu par lEglise, sans tenir aucun compte de la perversité et de la malice de ceux qui le donnent ou le reçoivent. Il nous fait également observer que, même dans lunité de lEglise, il en est qui ne conservent ni la charité ni la bienveillance, et se laissent aller à la jalousie, à la malveillance et à la dissension, comme déjà lApôtre le faisait observer de son temps. Dun autre côté, dans sa lettre sur lenvie et la jalousie, il prouve clairement que tous ceux qui sabandonnent à ce penchant mauvais appartiennent par là même au démon. Par conséquent, il est pour nous de la dernière évidence que ceux mêmes qui appartiennent au démon peuvent posséder dans toute son intégrité le sacrement de Jésus-Christ; non point pour leur salut, mais comme un titre à-leur condamnation, soit quils aient donné libre cours à leur perversité après avoir reçu le baptême, soi quen le recevant, comme dit saint Cyprien, ils naient renoncé au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs (118) oeuvres (Cyp., lettre II, aux clercs.). Si plus tard ils se convertissent, on naura donc pas à leur réitérer le sacrement quils avaient reçu dans de mauvaises dispositions. Il me semble, en effet, que maintenant il doit être évident pour tous que dans cette question du baptême on na point à se préoccuper de celui qui donne, mais de ce quil donne; ni de celui qui reçoit, mais de ce quil reçoit ; ni de celui qui possède, mais de ce quil possède. Si donc ceux-là mêmes qui appartiennent, non pas à la colombe unique, mais au démon, peuvent recevoir, posséder et conférer le baptême, sans que la sainteté de ce sacrement ait à subir aucune atteinte de la part de leur perversité, comme en convient Cyprien lui-même , pourquoi attribuer aux hérétiques ce qui ne leur appartient pas ? Pourquoi regarder comme venant deux ce qui ne vient que de Jésus-Christ? La seule obligation que nous ayons à remplir, cest de reconnaître en eux le caractère et les insignes de notre empereur et de travailler à corriger leurs oeuvres. A ce point de vue, je dirai donc avec Cyprien : « Autre chose est de parler au nom de Jésus-Christ, quand on appartient à lunité de lEglise; autre chose est de baptiser au nom de Jésus-Christ, ceux qui vivent dans le schisme et travaillent contre lEglise (Cyp., lettre LXXIII, à Jubaianus.). Parmi ceux qui appartiennent à lunité de lEglise, il en est un grand nombre qui travaillent contre lEglise par leur mauvaise vie et par la séduction quils exercent sur les âmes faibles. De même parmi les schismatiques, il en est plusieurs qui parlent au nom de Jésus-Christ et auxquels nous défendons, non point de faire les oeuvres de Jésus-Christ, mais de rester dans le schisme; et quand nous les corrigeons, quand nous les reprenons ou les exhortons, tout cela de notre part saccomplit en vue de leur guérison. Appartenait-il à lunité celui qui, refusant de suivre le Christ avec les disciples, chassait cependant les démons au nom de Jésus-Christ? et le Seigneur ordonna quon le laissât faire (Luc, IX, 49, 50) , et nonobstant cette autorisation , ce malheureux devait comprendre que la seule chose qui lui importât avant tout, cétait demployer à sa guérison ces paroles du Sauveur « Celui qui nest pas avec moi est contre moi, et celui qui ne recueille pas avec moi dissipe (Matt., XII, 30). Dans le schisme, certaines oeuvres peuvent donc se faire au nom de Jésus-Christ, et non pas contre lEglise; comme dun autre côté, dans lunité même de lEglise, des chrétiens peuvent appartenir au démon et agir contre lEglise.
CHAPITRE XI.LA VERTU INHÉRENTE AU SACREMENT DE BAPTÊME.
17. Après un examen sérieux, on est tout étonné de voir tel prédicateur enseigner quelque chose dinutile, quoique sans blesser nullement la charité. Cest ainsi que Pierre contraignait les Gentils à judaïser (Gal., II, 14), et Cyprien condamnait les hérétiques à recevoir de nouveau le baptême. Parlant de ces docteurs fortement enracinés dans la charité, et pourtant séloignant de la saine doctrine en quelque point, lApôtre disait : « Si vous avez de vous-mêmes quelque autre sentiment, Dieu vous découvrira ce que vous devez en croire (Philipp., III, 15) ». Dun autre côté, on rencontre des prédicateurs privés de la charité, et qui cependant émettent une doctrine salutaire; cest en parlant de ces derniers que le Sauveur disait : « Ils siégent sur la chaire de Moïse. Faites ce quils vous disent, et ne faites pas ce quils font, car ils disent et ils ne font pas (Matt., XXIII, 2, 3) ». LApôtre, faisant allusion à ces prédicateurs jaloux et malveillants qui annonçaient cependant le salut chrétien, disait également : « Quimporte, pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière que ce soit, par occasion ou par un vrai zèle (Philipp., I, 15.)? ». Ainsi donc, que la perversité se rencontre dans lunité ou dans le schisme, corrigeons-la, mais nattribuons aux hommes ni les divins sacrements ni les oracles divins. Ce nest donc point patronner les hérétiques, que de ne pas leur réitérer ce quils possèdent déjà, pourvu quon ne leur attribue pas ce dont ils ne sont pas les auteurs. « Nous ne concédons pas le baptême à lhérétique », car partout où nous rencontrons ce sacrement, nous reconnaissons quil est loeuvre de Celui dont il est dit : « Cest lui seul qui baptise (Jean, I, 33) ». « Quant à lhomme perfide et blasphémateur », sil persévère dans sa perfidie et dans son blasphème, nous déclarons quil ne reçoit « la rémission de ses péchés ni hors de lEglise », ni dans lEglise; ou bien, si en (119) vertu de la force inhérente à ce sacrement, il reçoit cette rémission pour, un moment, nous disons que cette vertu doit opérer indistinctement dans le schisme et dans lunité, comme la vertu du nom de Jésus-Christ chassait les dénions, par le ministère dun schismatique.
CHAPITRE XII.LE BAPTÊME EST INDÉPENDANT DES CRIMES DU MINISTRE ET DU SUJET.
18. « Nous trouvons que dans toutes leurs épîtres les Apôtres exècrent et détestent la dépravation sacrilège des hérétiques, et les comparent à la gangrène qui répand de tous côtés la corruption ». Quoi donc? Ces hommes qui sécriaient: « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain », ne travaillaient-ils pas à corrompre les bonnes moeurs par leurs conversations mauvaises, selon cette parole de lApôtre: « Les discours mauvais corrompent les bonnes moeurs? » Et cependant ce même apôtre nous indique clairement que ces hommes appartenaient à lunité, puisquil ajoute : « Comment donc quelques-uns parmi vous peuvent-ils soutenir quil ny a point de résurrection des morts (I Cor., XV, 32, 33, 12) ? ». Quant aux avares, peut-il prononcer leur nom sans le couvrir danathème? Et puis, pouvait-il formuler plus. énergiquement sa pensée, quen disant de lavarice quelle est une idolâtrie (Eph., V, 5)? Ainsi la compris Cyprien, comme le prouvent clairement ses lettres, et cependant il nhésite pas à proclamer quà lépoque où il vivait, lEglise renfermait dans son sein, non pas simplement des avares quelconques, mais des ravisseurs frauduleux du bien dautrui ; et ces ravisseurs du bien dautrui nétaient pas de simples fidèles, mais des évêques. De tels hommes dont lApôtre a dit que « leur discours est comme une gangrène qui répand la corruption », je voudrais pouvoir dire quils nappartenaient pas à lunité, mais Cyprien ne me laisse pas cette consolation. En effet, dans sa lettre à Antonianus, après avoir montré quavant la séparation suprême des justes et des pécheurs, le mélange des bons et des méchants ne saurait être un motif suffisant de se séparer de lunité de lEglise ; après avoir prouvé par là son éminente sainteté et ses sublimes dispositions au martyre, il ajoute : « Nest-ce point le comble de larrogance, loubli le plus complet de lhumilité et de la douceur, et le suprême degré de la jactance, doser ou de se croire le pouvoir de faire ce que le Seigneur na pas même voulu permettre aux Apôtres, cest-à-dire de séparer la zizanie du bon grain, de jeter la paille et de purifier laire, et cela dune manière publique et solennelle? LApôtre na-t-il pas dit lui-même: Dans une grande maison se trouvent non-seulement des vases dor et dargent, mais encore des vases de bois ou dargile? Et voici quun simple mortel se permet de choisir les vases dor et dargent, de mépriser, de rejeter et de condamner les vases de bois et dargile, quand le Seigneur sest réservé de jeter les vases de bois dans les flammes allumées par son courroux et de faire briser les vases dargile par celui à qui a été confiée la verge de fer (Ps., II, 9 ; Lettre LV) » Ces reproches adressés par Cyprien à ceux qui sous prétexte déchapper à la société des méchants, se séparaient de lunité, nous prouvent quà ses yeux cette grande maison renfermant des vases dor et dargent, de bois et dargile, ne signifiait autre chose que lEglise elle-même, destinée à porter dans son sein ici-bas des bons et des méchants, jusquà ce quelle soit purifiée par la justice toute-puissante du père de famille. Selon ces principes, lEglise figurée par cette grande maison renfermait des vases dignominie, et ces vases dignominie nétaient autres que ces hommes dont les discours étaient une gangrène qui répandait au loin la corruption. Cest de ces hommes que lApôtre parlait longtemps à lavance, quand il disait : « Les discours que tiennent certaines personnes sont comme une gangrène qui répand insensiblement sa corruption. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns. Mais le fondement de Dieu demeure ferme, ayant pour sceau cette parole : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; et cette autre: Que celui qui invoque le nom du Seigneur séloigne de liniquité. Dans une grande maison il ny a pas seulement des vases dor et dargent, mais aussi des vases de bois et dargile (II Tim., II, 17-20) ». (120) Si donc ces hommes, dont les discours ressemblaient à la gangrène qui répand insensiblement sa corruption, étaient des vases dignominie dans la grande maison, cest-à-dire dans lEglise, comme le comprend Cyprien lui-même, est-ce que cette gangrène allait jusquà souiller le baptême de Jésus-Christ ? Nest-il pas certain quun esclave du démon, fût-il dans le schisme ou lunité, ne peut souiller ni en lui-même, ni en qui que ce soit le sacrement de Jésus-Christ ? Sans doute, « le discours qui se répand comme une gangrène jusquaux oreilles des auditeurs, ne confère pas la rémission des péchés (Cyp., lettre LXXIII, à Jubaianus.) » ; mais du moment que le baptême est administré selon la forme évangélique, la sainteté quil tient de sa divine institution lui est inviolablement conservée, malgré toute la perversité de celui qui ladministre ou de celui qui le reçoit. Supposé quil ny ait de perversité que de la part du ministre, et que le sujet adhère à lunité de lEglise par la foi, lespérance et la charité, il est aussitôt rendu participant, non point de lindignité du ministre, mais de la sainteté du mystère, et dès lors il reçoit pleine et entière rémission de ses péchés. Enfin cette rémission lui est conférée, non point par les paroles gangrenées du ministre, mais par les sacrements évangéliques découlant comme autant de ruisseaux de la source céleste. Au contraire, si le sujet lui-même est animé de dispositions criminelles, le sacrement quil reçoit ne lui est daucune utilité pour le salut, et cependant le sacrement demeure en lui avec toute sa sainteté, et ne lui sera jamais réitéré, supposé que le coupable vienne à se convertir.
CHAPITRE XIII.LA PAILLE ET LA ZIZANIE MÊLÉES AU BON GRAIN.
19. « Il ne peut donc y avoir dunion réciproque entre la justice et liniquité », non- seulement dans le schisme, mais encore dans lunité. « Car Dieu connaît ceux qui sont à lui, et quiconque invoque le nom du Seigneur doit sabstenir de toute iniquité ; et il ne peut y avoir dunion entre la lumière et les ténèbres (II Cor., VI, 14.) », non-seulement dans le schisme, mais encore dans lunité. En effet, dit saint Jean, « Celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres (I Jean, II, 9.) ». Or, ils haïssaient saint Paul, ceux qui annonçant Jésus-Christ avec un esprit de jalousie et de dissension malveillante, se flattaient de venir le troubler jusque sous le poids de ses chaînes (Philipp., I, 15, 17) ; et cependant Cyprien nous enseigne que ces mêmes prédicateurs appartenaient à lunité de lEglise : « Si donc les ténèbres ne peuvent éclairer, ni liniquité justifier», comme parle notre saint martyr, je demande comment ces ministres pouvaient baptiser dans lunité de lEglise? Je demande comment ces vases dignominie peuvent dans la maison même du père de famille opérer la sanctification des hommes, en leur conférant la justice et la sainteté? Nest-ce point parce que la sainteté de ce sacrement ne peut être souillée par les pécheurs, soit quand elle est conférée par eux, soit quand elle est reçue par des hommes qui ne veulent changer ni leur coeur, ni leur vie? Cest en parlant de ces pécheurs extérieurement attachés à lunité, que Cyprien a dit: « Ils ne renoncent au siècle que du bout des lèvres, et non point par leurs uvres (Cyp., lettre XI, aux Clercs.) ». 20. Dans lunité nous trouvons donc « des ennemis de Dieu, des hommes dont le coeur est obsédé par lesprit de lAntéchrist», et cependant « ils remplissent des fonctions spirituelles et divines (Cyp., lettre LXXIII, à Jubaianus)», qui ne peuvent dans cet état, ni leur être daucune utilité pour le salut, ni subir aucune atteinte des souillures de ceux qui les accomplissent. « La grâce ecclésiastique et salutaire nappartient nullement à ceux qui se posent comme adversaires de lEglise et de Jésus-Christ, et sont désignés par les Apôtres sous le nom dAntéchrists». Ces paroles de Cyprien doivent sentendre en ce sens que de tels hommes peuvent se rencontrer, non-seulement dans le schisme, mais encore dans lunité. Toutefois, ces derniers nont de lunité que- les apparences, et leur séparation réelle de la perfection et de lunité de la Colombe est parfaitement connue de Dieu, et quelquefois même des hommes. Il suffit pour cela de considérer leur vie criminelle et leur obstination dans le mal et dy opposer les lois et les préceptes divins; ce contraste frappant donne aussitôt une idée de la grande quantité de pailles et de zizanies renfermées dans le schisme et .dans lunité. Toutes ces pailles et ces zizanies seront (121) dévoilées au dernier jour, et le Juge suprême leur dira : « Retirez-vous de moi, artisans diniquité (Matt., VII, 23); allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges (Id., XXV, 41) ».
CHAPITRE XIV.NOUS NE DEVONS AVOIR DAUTRE RÈGLE QUE LA VÉRITÉ MÊME DE JÉSUS-CHRIST.
21. Du reste, que les pécheurs appartiennent au schisme ou à lunité, nous ne devons désespérer de la conversion daucun deux, tant que la patience de Dieu les invite à la pénitence (Rom., II, 4), tant que le Seigneur visite leurs crimes avec la verge et flagelle leurs iniquités. Jamais il ne leur refuse sa miséricorde (Ps., LXXXVIII), pourvu quils aient euxmêmes pitié de leur âme et quils se rendent agréables à Dieu (Eccli., XXX, 24.). De même que le salut appartient au juste qui persévérera jusquà la fin (Matt, XIV, 13) de même celui qui dans le schisme ou lunité persévérera jusquà la fin dans son iniquité sera infailliblement condamné. Si par le baptême on entend la grâce même du baptême et le salut quil confère, nous aussi nous sommes loin de dire que «tous ceux qui ont reçu ce sacrement, de quelque manière que ce fût, ont également reçu la grâce du sacrement»; nen est-il pas qui, le recevant dans lunité, nont aucune part au salut quil confère, quoique par lui-même le baptême conserve toujours sa sainteté essentielle? Il est donc parfaitement exact de dire «que le Seigneur nous avertit dans lEvangile de ne pas accueillir les mauvais conseils (Marc, XIII, 21) et de « nécouler que les hommes qui se montrent « dociles aux lois de Jésus-Christ». Mais ces mauvais conseillers, nous les rencontrons aussi bien dans lunité que dans le schisme, car ces derniers, avant de se séparer, étaient déjà secrètement coupables. Dailleurs, parlant des vases entassés dans la grande maison, lApôtre disait: « Si quelquun se garde pur de ces choses, il sera un vase dhonneur, sanctifié, utile au service du Seigneur et toujours préparé pour toutes sortes de bonnes oeuvres». Quelques lignes plus haut il avait dit en quoi devait consister cette purification: «Que celui qui invoque le nom du Seigneur séloigne de liniquité (II Tim., II, 21, 19)», sil ne veut pas, comme la paille déjà séparée de laire, ou qui en sera séparée au dernier jugement, entendre ces redoutables paroles: «Retirez-vous de moi, « vous tous qui accomplissez liniquité ( Matt., VII, 23)» .Japprouve donc cette conclusion de saint Cyprien: « Gardons-nous daccepter de prime abord « tout ce qui nous est annoncé au nom de Jésus-Christ; attachons-nous uniquement à ce qui se fait dans la vérité de Jésus-Christ ». Or, ce nest pas la vérité de Jésus-Christ qui autorise à semparer, par la fraude, du bien dautrui, de multiplier lusure pour augmenter sa fortune (Discours sur les Tombés), et de ne renoncer au siècle que du bout des lèvres et non point par les uvres (Cyp., lettre XI, aux Clercs.). Que tout cela cependant se soit fait dans lunité, nous devons en croire au témoignage formel de saint Cyprien.
CHAPITRE XV.LA CONVERSION DES HÉRÉTIQUES REDRESSE LEUR FOI ET NON PAS LEUR BAPTÊME.
22. Le saint évêque sétend ensuite très-longuement pour prouver « que ceux qui blasphèment le Père ne peuvent être baptisés en Jésus-Christ (Cyp., lettre LXXIII, à Jubaianus.)». Le blasphème dont il parle nest autre chose que lerreur elle-même ou lhérésie, car celui qui sapproche du baptême de Jésus-Christ ne blasphème jamais ouvertement le Père; sil est blasphémateur, cest parce quil embrasse sur le Père une doctrine contraire à la vérité. Or, jai déjà prouvé que le baptême existe en lui-même par cela seul quil est conféré selon les termes de lEvangile et indépendamment de toute erreur du ministre ou du sujet, relativement au Père, ou au Fils ou au Saint-Esprit. Combien dhommes charnels sont baptisés dans lunité, quoique lApôtre ait hautement déclaré que « lhomme animal ne perçoit pas les choses qui sont de lEsprit de Dieu (I Cor., II, 14.) ! » à combien ne reproche-t-il pas leur vie animale, même après quils ont reçu le baptême ( Id., III, 2.)? Or, une âme livrée aux sens corporels ne peut avoir de Dieu que des idées charnelles. Voilà pourquoi beaucoup de ceux qui progressent après le baptême, et surtout ceux qui ont reçu ce sacrement pendant leur enfance ou pendant leur jeunesse, à mesure que leur intelligence séclaire et se développe, à mesure que lhomme intérieur se forme en eux de jour en jour (II Cor., IV, 16.), (122) se trouvent saisis dun profond mépris pour les premières idées, toutes grossières et charnelles, quils sétaient faites de Dieu, et rejettent tous ces rêves que maintenant ils détestent et abhorrent. Cependant il ne vient à la pensée de personne de conclure quils nont pas reçu le baptême, ou que le baptême quils ont reçu était infecté de leur erreur. Tout ce que lon doit faire cest dhonorer en eux lintégrité du sacrement et de corriger la légèreté de leur esprit, fût-elle confirmée et enracinée par de nombreuses discussions. De même quand il sagit dun hérétique ouvertement séparé de lEglise, sil a reçu le baptême évangélique, nous devons croire que ce baptême en lui-même na pas été infecté par son erreur. Si donc rentrant en lui-même il finit par comprendre quil doit quitter son erreur, rien nautorise à lui faire quitter également le bien quil a reçu; parce quon doit réprouver son hérésie, ce nest pas une raison pour invalider en lui le baptême de Jésus-Christ. Ce qui se fait à légard de ceux qui reçoivent le baptême dans lunité malgré les fausses idées quils ont de Dieu, nous prouve clairement que lon doit établir une distinction essentielle entre la vérité du sacrement et lerreur où se trouve le sujet. Par conséquent, lorsquun hérétique ouvertement séparé de lEglise, a reçu le:véritable baptême et quil rentre dans lEglise, on éclaire sa foi qui était fausse, mais le véritable Baptême quil avait reçu ne saurait être remplacé par un autre baptême véritable. Le même baptême ne peut évidemment se succéder à lui-même; ou plutôt il ne peut disparaître. Quand donc des hérétiques rentrent dans lEglise catholique, ils viennent y chercher le remède aux maux dont ils souffraient, et non point la réitération du bien quils ont déjà reçu.
CHAPITRE XVI.LE BAPTÊME DANS LUNITÉ ET DANS LE SCHISME.
23. Mais, dira quelquun, peu importe donc que deux hommes livrés à la même erreur ou àla même méchanceté, et obstinés à ne changer ni de conduite ni de dispositions, reçoivent le baptême, lun dans le schisme et lautre dans lunité? Il importe beaucoup. En effet, le plus coupable des deux cest celui qui est baptisé dans le schisme, non pas précisément parce quil est baptisé, mais parce quil est baptisé dans le schisme. Ce schisme nest-il point de sa part un mal et un grand mal? Je suppose toutefois que si lautre est baptisé dans lunité, ce nest point parce quil y trouvait un avantage purement temporel, mais uniquement parce que lunité de lEglise répandue sur toute la terre, lui paraissait devoir être préférée àtoutes les divisions du schisme. Si sa démarche navait eu dautre motif quun avantage purement temporel, on devrait le regarder comme appartenant au schisme. Voici donc comment on devrait établir la comparaison entre ces deux néophytes. Lun des deux, par exemple, partage sur la personne de Jésus-Christ les opinions de Photin; et, appartenant à lhérésie, il demande le baptême hors de la communion de lEglise. Lautre partage les mêmes opinions, mais supposant quelles sont en tout conformes à la foi catholique, il demande le baptême à lEglise catholique. Je ne regarde pas ce dernier comme hérétique, tant quil ne lui a pas été prouvé que sa croyance est contraire à la foi catholique, et quil na pas ouvertement déclaré quil reste attaché, malgré tout, à sa première opinion. Jusquà ce quil en vienne là, jaffirme que le plus coupable des deux est celui qui a été baptisé dans le schisme. En effet, dans celui-ci, cest le schisme lui-même que lon a à corriger, tandis que dans lautre il ny a quune fausse opinion; et ni dans lun ni dans lautre, on ne doit réitérer la vérité du sacrement. Enfin, jen suppose un troisième qui sait parfaitement que cette opinion constitue une hérésie séparée de lunité de lEglise ; il y adhère étroitement: mais en vue de se procurer tel ou tel avantage temporel, il demande le baptême à lunité catholique, ou après ly avoir reçu il y reste pour le même motif. Quant à ce dernier, jaffirme quon doit le regarder non-seulement comme séparé, mais comme dautant plus coupable quil joint lhypocrisie et la dissimulation au schisme et à lhérésie. Jen conclus que la dépravation dun homme exige des remèdes dautant plus actifs et violents quelle est elle-même plus dangereuse et plus dissimulée. Toutefois, rien de tout cela nautorise à regarder comme radicalement nul, ou digne de mépris, à cause de la dépravation du sujet, un sacrement conféré dans toute son intégrité et essentiellement divin dans son principe et ses effets. Ce nest donc point à cette (123) dépravation de lhomme que lon doit attribuer ce sacrement, mais à linfinie libéralité de celui qui, même à lâme fornicatrice et courant à la poursuite de ses amants, nhésite pas à donner le pain, le vin, lhuile, les autres aliments et les autres ornements qui ne peuvent lui venir ni delle-même, ni de ses complices, mais de Celui qui dans sa miséricorde linvite à opérer sa conversion (Osée, II, 5-7).
CHAPITRE XVII.LERREUR EST CRIMINELLE ET NON PAS LE BAPTÊME DES HÉRÉTIQUES.
24. « Est-ce que »,dit Cyprien, « la puissance du baptême peut être plus grande et plus efficace que le martyre ou la profession publique de sa foi? Peut-il être plus utile dêtre baptisé que de confesser sa foi devant les hommes ou dêtre baptisé dans son propre sang? Et cependant », ajoute-t-il, « ce baptême de sang lui-même nest daucune utilité à lhérétique, quoiquil ait souffert la mort pour confesser Jésus-Christ hors de lEglise ». Cette dernière observation est parfaitement exacte, car, fût-on martyr hors de lEglise, on nen resterait pas moins privé de cette charité dont lApôtre a dit : « Lors même que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je nai pas la charité, ma mort me devient absolument inutile (I Cor., XIII, 3)». Si le martyre ne sert de rien quand la charité manque, que peuvent donc espérer ceux qui, nappartenant à lunité que par jalousie ou par malveillance, sont évidemment privés de la charité, selon la pensée de saint Paul, développée par Cyprien; et cependant, ils peuvent recevoir et conférer le véritable baptême. « Hors de lEglise, dit-il, point de salut». Qui pourrait en douter? Par conséquent, les biens de lEglise, conférés hors de lEglise, ne peuvent rien pour le salut. Mais, autre chose est de ne point posséder ces biens, autre chose est de les posséder inutilement. Celui qui ne les possède pas doit en chercher la possession dans la réception du baptême; et celui qui les possède inutilement doit se corriger pour se rendre cette possession utile. « Leau, dans le baptême des hérétiques, nest nullement adultère ». En effet, rien de ce que Dieu a créé nest mauvais; et, dun autre côté, les paroles évangéliques, en passant par les lèvres des hérétiques, ne perdent rien de leur sainteté essentielle. Une seule chose est criminelle, cest lerreur, car lâme qui sy abandonne devient adultère , lors même que lornement du baptême lui aurait été donné par son époux légitime. « La possession du baptême peut donc nous être commune, à nous et aux hérétiques»; il en est de même de lEvangile, quoique leur erreur soit directement opposée à notre foi, soit que leur doctrine sur le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit, contredise la vérité; soit quils dissipent, au lieu de recueillir avec Jésus-Christ, précisément parce quils sont séparés de lunité (Matt., XII, 30), Ainsi donc, pourvu que nous soyons le froment du Seigneur, il peut se trouver parmi nous, dans lunité, des avares, des voleurs, des ivrognes et autres pécheurs de ce genre, dont il est dit qu « ils ne posséderont pas le royaume de Dieu (I Cor., VI, 10) »; or, ce quil y aura de commun entre eux et nous, ce sera le baptême et non pas les vices qui les exclueront du royaume de Dieu.
CHAPITRE XVIII.TOUTES LES VERTUS, HORS DE LUNITÉ, SONT INUTILES AU SALUT.
25. Ce nest pas seulement des hérétiques que lApôtre a dit : « Ceux qui accomplissent ces oeuvres nentreront pas dans le royaume de Dieu». Mais rappelons les termes mêmes de son énumération: « Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, limpureté, limpudicité, la dissolution, lidolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches et autres choses semblables; or, je vous déclare, comme je lai déjà fait précédemment, que ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu (Gal., V, 19-21) ». Supposons donc un homme qui est chaste, continent, qui nest ni avare, ni idolâtre, qui donne lhospitalité et laumône aux indigents, qui nest ennemi de personne ni porté à la querelle, qui est patient, doux, nayant denvie ni de jalousie contre personne, et enfin, se montrant toujours très-sobre et très-frugal; il a toutes ces qualités, mais, en même temps, il est (124) hérétique; or, personne ne doute que, malgré ses qualités, il suffit quil soit hérétique pour navoir aucun droit au royaume du ciel. Supposons un autre homme; il est fornicateur, impur, impudique, avare, publiquement idolâtre, empoisonneur, vindicatif, chicaneur, jaloux, envieux, séditieux, irascible, ivrogne, gourmand; mais, en même temps, il est catholique. Est-ce que, par cela seul quil est catholique, il possédera le royaume de Dieu, malgré cette sentence formelle de lApôtre « Je vous déclare, comme je lai déjà fait précédemment, que ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu? » Tenir un autre langage que celui de lApôtre, ce serait nous tromper nous-mêmes. La parole de Dieu ne nous trompe pas, elle ne se tait, ni népargne, ni ne trompe par aucune adulation. De là, ces autres paroles : « Sachez que nul fornicateur, nul impudique, nul avare, dont le vice est une idolâtrie, ne sera héritier du royaume de Jésus-Christ et de Dieu; que personne ne vous séduise par de vains discours (Eph., V, 5,6.) ». Ne nous plaignons donc pas de la parole de Dieu. Le Seigneur nous déclare ouvertement et librement que ceux qui vivent dans le crime nappartiennent pas au royaume de Dieu.
CHAPITRE XIX.LA DIVERSITÉ DES CHÂTIMENTS EN ENFER.
26. Ne cherchons donc point à endormir et à flatter dans ses crimes le pécheur catholique, et parce quil appartient à lunité de lEglise, gardons-nous de lui promettre une impunité qui nest promise nulle part dans les saintes Ecritures; ne fût-il coupable que dun seul des crimes que nous venons dénumérer, ne lui promettons pas les joies de la patrie céleste. Sadressant aux Corinthiens, Paul énumère un certain nombre de pécheurs à chacun desquels il est censé dire quil ne possédera pas le royaume de Dieu: « Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les impudiques, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien dautrui ne posséderont le royaume de Dieu (I Cor., VI, 9, 10)». LApôtre ne dit pas : Ceux qui commettront à la fois tous ces vices ne posséderont pas le royaume de Dieu; mais, ni les uns ni les autres, ni ceux-ci, ni ceux-là sous-entendu ne posséderont le royaume de Dieu. Si donc les hérétiques ne doivent pas posséder le royaume de Dieu, les avares ne le posséderont pas davantage. Nous savons parfaitement que les châtiments dont seront frappés ceux qui ne posséderont pas le royaume rie Dieu, seront proportionnés à la diversité des crimes; les crimes plus graves seront frappés par des châtiments plus graves, de telle sorte que justice sera complètement rendue dans les flammes éternelles. Ce nest donc pas en vain que le Seigneur a dit: « Le sort de Sodome sera moins redoutable que le vôtre au jour du jugement (Matt., XI, 24). ». Toutefois, pour mériter dêtre exclu du royaume des cieux, il nest point nécessaire de commettre à la fois plusieurs de ces crimes, ou celui de tous qui nous paraît le plus grave, il suffit de celui qui pourrait paraître le plus léger. Ainsi donc, tandis que le Juge suprême donnera aux uns le royaume de Dieu et les placera à sa droite, ceux qui nauront pas mérité dêtre placés à sa droite, où les placera-t-il, si ce nest à sa gauche? quelle voix pourra-t-il leur faire entendre, si ce nest celle que les boucs entendront des lèvres du Pasteur : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges (Id., XXV, 32, 33, 41) ? » Quant à ce feu éternel, comme je lai dit précédemment, les supplices y seront diversifiés selon les degrés du crime.
CHAPITRE XX.LE BAPTÊME ESSENTIELLEMENT BON DANS LES JUSTES ET LES PÉCHEURS.
27. Maintenant si nous opposons lun à lautre un catholique de mauvaises moeurs avec un hérétique à qui lon ne peut reprocher dautre crime que son hérésie, je noserais dire auquel des deux nous devrions donner la préférence. Mais, dira quelquun, par cela même quil est hérétique, nest-il pas coupable des autres crimes qui en sont la conséquence? Il est charnel et animal, et comme conséquence nécessaire il est jaloux, envieux et ennemi de la vérité dont il est séparé. A celui qui me tiendrait ce langage je dirais également : Mettez dans un homme celui de ces crimes qui vous paraît le plus léger, ce crime ny sera pas seul, du moment que le coupable est charnel et animal. Par (125) exemple, quil sagisse de livresse, de ce crime dont le nom seul nous fait horreur, tandis quil ne soulève parmi les peuples quune outrageante hilarité, pensez-vous que cette passion puisse se trouver seule dans un homme? Tout ivrogne nest-il pas en même temps querelleur, irascible, jaloux, ennemi de la sagesse des préceptes, et fortement hostile à ceux qui lui reprochent lindignité de sa conduite? Il est même difficile dadmettre quil ne soit ni fornicateur ni adultère; cependant il peut nêtre pas hérétique, comme un hérétique peut nêtre pas ou un ivrogne, ou un adultère, ou un fornicateur, ou un impudique, ou un avare, ou un empoisonneur, et même navoir aucun de ces crimes. En effet, ce serait une exagération de dire quun seul vice est nécessairement suivi de tous les autres. Par conséquent, si nous opposons lun à lautre un catholique coupable de tous ces vices, et un hérétique exempt des vices qui ne sont point une suite nécessaire de lhérésie ; lun docile et lautre hostile à la foi, mais tous deux menant une conduite opposée à la foi, bercés dune vaine espérance, étrangers à la charité spirituelle, et par là même séparés du corps de la colombe unique; pourquoi-reconnaître dans le premier et rejeter du second le sacrement de Jésus-Christ, comme sil était la possession propre de lun ou de lautre? Ce sacrement nest-il pas le même dans ces deux hommes? dans lun et dans lautre ce sacrement nest-il pas loeuvre de Dieu? et cesse-t-il dêtre bon parce quil se trouve dans les plus grands pécheurs? Parmi ceux qui lont reçu, lun peut être plus coupable que lautre; mais par lui-même ce sacrement est-il moins bon dans lun que dans lautre ? Supposons-le dans deux mauvais catholiques, dans le plus coupable des deux le baptême est-il moins bon que dans lautre? Et si lun ries deux est bon, tandis que lautre est mauvais, le baptême est-il mauvais dans celui-ci et bon dans celui-là? Non, dans lun et dans lautre il reste essentiellement bon; cest ainsi que la lumière du soleil ou dun flambeau ne perd rien de sa bonté naturelle en passant par des yeux mauvais, et reste essentiellement la même, malgré la diversité des organes qui la reçoivent et dont elle fait la joie ou le tourment.
CHAPITRE XXI.LE BAPTÊME ET LA JUSTICE NÉCESSAIRES POUR ALLER AU CIEL.
28. Parlant des catéchumènes, Cyprien nous affirme « que le privilége de souffrir le martyre et de mourir pour le nom de Jésus-Christ leur méritait le bonheur du ciel avant même davoir reçu le baptême». Je ne comprends pas suffisamment la portée de cette objection, Voulait-il répondre à ceux qui soutenaient que si les catéchumènes martyrs étaient admis au ciel, à plus forte raison devait-on dire que les hérétiques pouvaient y entrer après avoir été régénérés une seule fois par le baptême? na-t-il pas été dit: « Si quelquun ne renaît de leau et du Saint-Esprit, il nentrera pas dans le royaume des cieux (Jean, III, 5) ? » Assurément je nhésite pas à préférer à un hérétique baptisé un catéchumène catholique animé de la divine charité; je préfère même dans lunité catholique un bon catéchumène à un mauvais baptisé. Et cependant je ne crois faire par là aucune injure au sacrement de baptême que lun appelle de ses voeux et que lautre a déjà reçu; je ne pense pas non plus préférer par là le sacrement du catéchuménat au sacrement de baptême, quoique jadmette parfaitement quun catéchumène peut être plus fidèle et meilleur quun chrétien baptisé. Le centurion Corneille, avant son baptême, nétait-il pas meilleur que Simon le Magicien déjà baptisé? Le premier, dès avant son baptême, fut rempli-du Saint-Esprit (Act., X.), tandis que le second, après son baptême, obéissait à linspiration de lesprit immonde (Id., VIII, 13, 18, 19). Toutefois, supposé que Corneille, après avoir reçu le Saint-Esprit, eût refusé le baptême, le mépris seul de ce grand sacrement aurait suffi pour le rendre gravement coupable. A son baptême, le sacrement quil reçut ne fut pas meilleur que celui qui avait été conféré à Simon, mais la diversité de leurs mérites personnels établit entre eux une immense différence, quoique ayant reçu tous deux le même sacrement; par conséquent la sainteté essentielle du baptême ne dépend nullement des dispositions bonnes ou mauvaises du sujet. De même que le baptême manque à un bon catéchumène pour entrer au ciel, de même pour y entrer, un mauvais chrétien a besoin dune bonne et sincère conversion. En effet, celui qui a dit: « Si quelquun ne renaît de leau et du Saint-Esprit, il nentrera pas dans le royaume des cieux», a dit également: « Si votre justice nest pas plus grande que celle des Scribes et des Pharisiens , vous nentrerez pas dans le royaume des cieux (Matt., V, 20) ». Ainsi donc, pour faire comprendre à un catéchumène que sa propre justice ne lui suffisait pas, le Sauveur lui adresse cette sentence : «Si quelquun ne renaît de leau et du Saint-Esprit, il nentrera pas dans le royaume des cieux»; de même, pour faire sentir au chrétien que, même après le baptême, il doit trembler sur son iniquité, Jésus-Christ a dit également : «Si votre justice nest plus grande que celle des Scribes et des Pharisiens, vous nentrerez pas dans le royaume des cieux ». Il y a donc égalité de part et dautre; la justice sans le baptême et le baptême sans la justice ne suffisent pas; il faut lun et lautre pour assurer la possession du royaume des cieux. Ne repoussons pas la justice que nous rencontrons dans un homme, avant même quil soit uni à lEglise, comme nous la trouvons dans Corneille avant quil fût chrétien; et cest ce que prouvent ces paroles : « Vos aumônes ont été tenues pour agréables et vos prières sont exaucées »; dun autre côté, si cette justice eût été suffisante pour posséder le royaume des cieux, il neût pas reçu lordre de sadresser à Pierre (Act., X, 4, 31, 5). De même nous ne devons pas repousser le baptême, eût-il été conféré hors de lEglise; sans doute ce baptême nest daucune utilité pour le salut, tant que celui qui la reçu na point mérité dêtre incorporé à 1Eglise, après avoir corrigé sa perversité précédente. Par conséquent, corrigeons les hérétiques de leur erreur et reconnaissons la validité du sacrement quils tiennent, non pas deux-mêmes, mais de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXII.LE BAPTÊME DE SANG ET DE VOLONTÉ
29. On ne saurait douter que le martyre peut quelquefois remplacer le baptême; et Cyprien nous en fournit une preuve sensible dans le fait du bon larron, à qui il a été dit; «Vous serez aujourdhui avec moi dans le paradis (Luc., XXIII, 43) ». Après y avoir mûrement réfléchi, je crois pouvoir affirmer que le martyre pour le nom de Jésus-Christ na pas seul le privilége de suppléer le baptême, mais quon doit en dire autant de la foi et de la conversion du coeur, quand il est absolument impossible de recourir à ladministration du baptême. En effet, ce nest pas pour le nom de Jésus-Christ que ce larron fut crucifié, mais en punition de ses crimes; il ne souffrit pas à cause de la foi, mais il reçut la foi pendant ses souffrances. Cest ainsi que, en dehors du sacrement visible du baptême, nous trouvons dans ce larron la réalisation de cette parole de lApôtre : « Il faut croire de coeur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut (Rom., X, 10) ». Le même résultat se produit invisiblement lorsque le baptême est rendu impossible, non point par le mépris de la religion, mais par une nécessité instantanée. Pour Corneille et ses amis, beaucoup plus que pour ce larron, leffusion de leau baptismale ne paraissait-elle pas superflue, puisquils avaient déjà reçu le Saint-Esprit qui, autrement, nest donné quà ceux qui ont été baptisés, et se manifestait par le glorieux privilége du don des langues? Cependant Corneille et les autres reçurent le baptême, et ici nous ne pouvons quadmirer lautorité apostolique. Jen conclus que nul homme, eût-il déjà fait de grands progrès dans la vie intérieure, fût-il arrivé, dès avant le baptême, à lintelligence des choses spirituelles et à la piété du coeur, ne doit mépriser le sacrement tel que le confèrent extérieurement les ministres, et par lequel Dieu opère spirituellement la consécration de lhomme. Cependant le baptême que conférait le Précurseur, quoiquil fût appelé le baptême de Jean, nétait point à proprement parler son oeuvre propre, dont il eût exclusivement linitiative et le ministère; il ne le conférait que sur lordre formel du Seigneur, qui voulait, en recevant ce baptême des mains de son serviteur (Matt., III, 6, 13), nous donner un exemple éclatant de sa profonde humilité, et nous apprendre quelle importance nous devrions attacher au baptême véritable quil devait divinement instituer, Inspiré par son ardent désir de notre salut, et plongeant dans les profondeurs de lavenir, il savait que certains hommes, tout fiers de leur intelligence, de la vérité et (127) de lhonnêteté de leurs moeurs, et pleins de mépris pour un grand nombre de chrétiens dont la vie et la doctrine leur paraîtraient de beaucoup inférieures à leur propre vie et à leur doctrine, se gonfleraient dun orgueil insensé et se croiraient parfaitement dispensés de recevoir le baptême, puisquils se regarderaient comme arrivés à une perfection à laquelle seraient loin datteindre un grand nombre de ceux qui auraient reçu ce sacrement.
CHAPITRE XXIII.LE BAPTÊME CONFÉRÉ AUX ENFANTS.
30. Mais quels sont donc les effets, quelle est la puissance de cette sanctification sacramentelle appliquée corporellement à lhomme? Sans oublier que cette sanctification fut conférée au bon larron sur la croix, parce quil eut la volonté do la recevoir, quoique les circonstances impérieuses len eussent empêché, nous déclarons quil est très-difficile de résoudre cette question. Toutefois, remarquons que si une telle sanctification neût pas été très-importante, le Sauveur naurait point tenu à recevoir le baptême des mains de son serviteur. Quoi quil en soit, si nous la considérons en elle-même, et en dehors de son effet principal qui est le salut de lhomme, tout nous indique quelle jouit de toute son intégrité dans les méchants et dans ceux qui renoncent au siècle seulement du bout des lèvres, et non point par leurs oeuvres, et cependant ils nont de salut à attendre quautant quil sopérera dans leur âme une conversion sincère. Cette sanctification ne fut pas appliquée corporellement au bon larron, par suite dune impossibilité absolue; mais, comme il la reçut spirituellement par lardeur de ses désirs, le salut lui fut conféré dans toute sa plénitude. De même quand cette application corporelle du sacrement est faite à quelquun, supposé que par une cause involontaire la piété intérieure lui soit réellement impossible, le salut nen est pas moins pour lui une bienfaisante réalité. En effet, telle est la croyance générale de lEglise universelle relativement au baptême des enfants; à cet âge ils ne peuvent ni croire de coeur pour la justice, ni confesser de bouche pour le salut; à cet égard ils sont dans une position pire que celle du larron; bien plus, il ne leur arrive que trop souvent, par leurs cris et leurs larmes, de troubler la célébration du sacrement qui leur est conféré, et cependant il nest personne parmi les chrétiens qui ose douter de la validité de leur baptême.
CHAPITRE XXIV.LA BONTÉ DE DIEU SUPPLÉE A CE QUI MANQUE AUX ENFANTS.
31. A celui qui demanderait si cet usage de conférer le baptême aux enfants repose sur lautorité, je répondrais que lon doit regarder comme un fait de tradition apostolique ce qui sobserve dans toute lEglise, et ce qui sest toujours pratiqué, lors même quon naurait à produire aucune décision formelle dun concile général. De plus, pour se rendre compte de lefficacité du baptême des enfants, il suffit de se rappeler la circoncision de la chair, prescrite au peuple juif et imposée à Abraham lui-même, quoiquil eût déjà reçu le bienfait de la justification. De même, avant de recevoir le baptême, Corneille nétait-il pas déjà orné des dons de lEsprit-Saint? Cependant lApôtre nous dit en parlant dAbraham lui-même: « Il reçut la marque de la circoncision, le sceau de la justice de la foi », lui qui avait cru par le coeur, et à qui la foi fut imputée à justice(Rom., IV, 11,13.). Pourquoi donc cet ordre qui lui est intimé de circoncire désormais le huitième jour tout enfant mâle (Gen., XVII, 9,14.), puisquil était impossible que cet enfant crût par le coeur, et que sa foi lui fût imputée à justice? Nest-ce point une preuve évidente que par lui-même ce sacrement était doué dune puissante efficacité? Un ange nous en donne la preuve dans la personne du fils de Moïse; en effet, avant que ce fils eût été circoncis, et pendant que sa mère le portait dans ses bras, Moïse se vit menacé par le Seigneur de lui ôter la vie; Séphora circoncit aussitôt lenfant, et Moïse fut épargné (Exod., IV, 24.). De même donc quAbraham jouissait déjà de la justice de la foi, avant de recevoir la circoncision, qui fut pour lui comme le sceau de cette justice de la foi; de même Corneille reçut dabord la sanctification spirituelle dans le don du Saint-Esprit, et ensuite le sacrement de régénération dans le bain du baptême. Au contraire, Isaac, circoncis le huitième jour après sa naissance, reçut dabord le sceau de la justice de la foi; (128) et comme dans la suite il imita la foi de son père, la justice dont il avait reçu le sceau dans son enfance alla se développant sans cesse dans son coeur. Il en est de même pour nos enfants baptisés; ils reçoivent dabord le sacrement de la régénération; et, pourvu quils conservent la piété chrétienne, il sopère en eux par la suite une véritable transformation, dont le signe mystérieux a été appliqué sur leur corps. Quant au bon larron sur le Calvaire, il navait pu recevoir le sacrement de baptême, mais linfinie bonté du Tout-Puissant suppléa largement à ce qui navait manqué que par nécessité, et non point par orgueil ou par mépris. De même en est-il pour les enfants qui meurent après le baptême : sils nont pas cru par le coeur pour la justice; sils nont pas confessé de bouche pour le salut, ce nest point par suite dune volonté mauvaise, mais uniquement à cause de la faiblesse de leur âge; voilà pourquoi nous devons croire que le Seigneur y supplée dans son infinie miséricorde. Pour que la célébration du sacrement soit complète, dautres, au nom de ces enfants, professent solennellement la foi; et, comme ils ne peuvent répondre par eux-mêmes, leur consécration conserve toute sa validité. Il nen serait pas de même si un adulte catéchumène chargeait un autre de répondre pour lui, quand il peut parler lui-même. Ce serait alors le lieu de lui appliquer cette parole si frappante de lEvangile: « Il a lâge nécessaire, quil parle pour lui-même (Jean, IX, 21)».
CHAPITRE XXVAUTRE CHOSE EST LE BAPTÊME, AUTRE CHOSE LA CONVERSION DU COEUR.
32. Tout ce qui précède nous prouve clairement quautre chose est le sacrement de baptême, autre chose est la conversion du coeur. Ces deux choses concourent à la fois an salut de lhomme; cependant labsence de lune ne prouve pas nécessairement labsence de lautre, car si la conversion du coeur manque aux enfants, le sacrement a manqué au bon larron, et Dieu supplée dans les uns et dans les autres ce qui leur manque par un pur effet de la nécessité, et non de leur volonté. A.u contraire, si cest volontairement que lune de ces deux conditions leur fait défaut, les péchés ne leur sont point remis. Le baptême peut se trouver là où il ny a aucune conversion du coeur; dun autre côté, il peut y avoir conversion du coeur là où le baptême fait défaut; mais si cest par leffet du mépris quil fait défaut, aucune conversion du coeur ne peut plus être admise. Comment, en effet, supposer quil y a conversion du coeur vers Dieu, quand le sacrement de Dieu est formellement méprisé? Cest donc en toute justice que nous blâmons, anathématisons, détestons et réprouvons la perversité de coeur des hérétiques; toutefois, sils nont pas ce qui peut rendre ce sacrement utile, ce nest pas un motif pour en conclure que le sacrement évangélique ne leur a pas été conféré. « Quand donc ils reviennent à la foi et à la vérité, quand ils font pénitence et implorent le pardon de leurs fautes, nous ne les trompons ni ne les séduisons, lorsque, après les avoir corrigés et réformés » dans tout ce qui constituait leur perversité, « nous leur prodiguons les enseignements divins pour les conduire au ciel ». Ce quils ont intégralement conservé, nous ne le violons pas; et malgré les vices que nous pouvons trouver dans lhomme, nous nous abstenons avec soin dinvalider ou de déclarer vicieux le sacrement quils ont reçu de Dieu.
CHAPITRE XXVI.CONCLUSION DU QUATRIÈME LIVRE.
33. Quelques points seulement nous restent à examiner dans la lettre de Jubaianus. Mais il y est question de lancienne coutume de lEglise et du baptême de Jean, et comme ce baptême présente de graves difficultés à ceux qui napportent point dans ces matières un examen assez sérieux, comme il leur paraît étrange que les Apôtres aient commandé le baptême de Jésus-Christ à ceux qui auraient déjà reçu le baptême du Précurseur (Act., XIX, 3-5), nous devons ici procéder avec toute lattention possible; et comme ce livre est déjà dune certaine étendue, nous continuerons dans le livre suivant la réfutation que nous avons commencée.
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