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PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Les oeuvres visibles du Seigneur ont un sens que nous devons chercher dons ce psaume. « Vous êtes infiniment grandi par moi ». Cette parole doit sentendre comme cette autre: Que votre nom soit sanctifié; ce nom toujours saint est sanctifié quand les hommes deviennent assez droits pour que Dieu leur plaise. Alors le nom du Seigneur est grandi quand nous le connaissons assez pour comprendre cette grandeur, et cette connaissance nous grandit à notre tour. Dieu sest revêtu de confession et de beauté, parce que lEglise, non pins que lâme, ne peut sapprocher de Dieu, quen avouant une laideur qui vient à lune du péché, à lautre de lidolâtrie. Toutefois le Christ; en mourant pour les impies, nous aimait malgré notre laideur; il sabaissait pour nous, et navait ni éclat ni beauté, afin de nous en donner, Il a fait les cieux, comme on déploie une peau, et cette peau signifie la mortalité, car elle fut donnée aux premiers coupables, devenus mortels par le péché. Cest encore lEvangile prêché par des hommes mortels et qui couvre la terre. La hauteur des cieux que Dieu couvre deau, cest la sainte Ecriture, et au-delà cette charité quil répand dans nos coeurs, et qui est bien supérieure à tous les autres dons. Les nuées sont une échelle pour lui, cest-à-dire que par les prédicateurs il conduit au ciel des Ecritures ceux qui écoutent avec docilité; malheur à ceux qui ne montent pas, et qui sont ou branches stériles, ou produisant des épines. Il est porté sur les ailes des vents ou des âmes qui sont un souffle de vie, et dont les ailes sont des vertus, La charité en Dieu ou la croix, a sa largeur dans les bonnes oeuvres, sa longueur dans la persévérance finale, sa hauteur dans lespérance des biens de lautre vie, sa profondeur dans les sacrements. Les esprits deviennent ses anges, quand ils portent ses messages : quelquefois il se sert du feu, comme il se sert de lhomme spirituel pour la prédication. LEglise est solidement fondée sur le Christ. Ecoutons la parole de Dieu de manière à porter pour fruit principal le pardon des offenses.
1. Avant-hier, autant que vous daignez vous en souvenir, nous vous avons largement rassasiés. Mais comme après un long discours, vous ne laissiez pas de témoigner une grande avidité, nous navons pas voulu aujourdhui refuser lacquittement de notre dette, afin de joindre à cet acquittement le gain que nous espérons en tirer. Le psaume quon vient de lire est plein de figures et de mystères, et demande non-seulement de notre part, mais aussi de la vôtre, une attention soutenue. A la rigueur, cependant, on pourrait donner à ce quil contient un sens littéral et religieux à la fois. On y retrouve en effet, sinon toutes les merveilles du Seigneur, du moins ces oeuvres connues de tous ceux qui les voient, et qui, dans ces merveilles quil a faites, merveilles visibles, savent lire ses merveilles invisibles 2. Nous y voyons un grand ouvrage, la création du ciel et de la
1. Prêché à Carthage dans la vieillesse de saint Augustin. 2. Rom. I, 20.
terre, et de tout ce quils renferment; et la grandeur et la beauté de cette création nous font sinon voir lineffable grandeur, lineffable beauté du Créateur, du moins laimer. Ce divin ouvrier, que notre coeur nest pas encore assez pur pour contempler, ne cesse de remettre ses oeuvres devant nos yeux, et par ces merveilles que nous pouvons découvrir, de stimuler notre amour envers celui que nous ne pouvons voir, afin que nous méritions de le voir un jour. Toutefois, dans tout ce que nous lisons, il faut chercher un sens spirituel, et avec le secours de Jésus-Christ, vos désirs maideront à sonder ces mystères, et seront comme autant de mains invisibles, frappant à la porte invisible aussi, afin quelle souvre invisiblement, que vous y entriez invisiblement, et que vous soyez invisiblement guéris. 2. Disons donc tous: « Bénis le Seigneur, ô mon âme 1». Adressons-nous tous à notre âme, car nous tous, nous navons par la foi 1. Ps. CIII, 1. 506 quune seule âme, de même que nous tous, qui croyons en Jésus-Christ, ne formons, par notre union corporelle avec lui, quun seul et même homme. Que notre âme bénisse donc le Seigneur pour tant de bienfaits, pour les dons si grands et si nombreux de ses grâces. Nous retrouvons ces dons dans le psaume, avec un peu dattention, en secouant le nuage des pensées charnelles, en élevant notre esprit autant quil nous est possible, en stimulant son attention autant que nous pourrons, en purifiant loeil de notre coeur autant quil est en nous, autant que le permettent les occupations de cette vie, autant que nous ne sommes point aveuglés par les plaisirs du siècle. Elevons-nous donc pour entendre les dons si grands, si admirables, si désirables, si pleins dallégresse et de joies saintes, que voyait en esprit celui qui a chanté notre psaume, quand il exhalait son allégresse, en sécriant : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». 3. « Seigneur, mon Dieu, votre grandeur a e été trop relevée ». Voyez quelles magnificences va chanter le Prophète, et néanmoins dans ces magnificences, il ne faut bénir que lauteur de ces grandes oeuvres. « Vous vous êtes revêtu de: gloire et de beauté ». O Seigneur mon Dieu, dont la grandeur est infinie, doù vient quon chante cette grandeur? Nôtes-vous point toujours grand? toujours magnifique ? Nêtes-vous point parfait, et pouvez-vous croître encore? Y a-t-il chez vous déchéance ou diminution? Mais vous êtes ce que vous êtes, et vous êtes véritablement, cest vous qui vous êtes ainsi nommé à Moïse votre serviteur « Je suis celui qui suis 1 » ; vous êtes grand dès lors, et vôtre grandeur est éternelle; elle na ni commencement ni fin; elle na point commencé avec le temps, elle ne sécoule point vers la 6n du temps, ne souffre point diminution au milieu des temps; cest une grandeur immuable. Comment donc votre grandeur fi-t-elle été trop relevée? Un autre prophète nous avertit ce disant : « Votre science est devenue admirable par moi 2». Or, si lon peut dire avec vérité : «Votre science est devenue admirable par moi » ; on peut dire aussi : « Vous êtes infiniment grandi par moi, Seigneur mon Dieu ». Mais on peut demander encore: Est-ce moi qui puis relever Dieu? moi qui 1. Exod. III, 14. 2. Ps. CXXXVIII, 6. puis le grandir? La prière que nous offrons chaque jour à Dieu pour notre salut, nous enseigne quelque chose de semblable: « Que votre nom soit sanctifié », disons-nous; cest là ce que nous demandons chaque jour, Si quelquun nous interrogeait : Comment demandez-vous que le nom du Seigneur soit sanctifié? Y a-t-il un moment où il ne soit pas saint, pour demander quil soit sanctifié? Et pourtant, si nous ne désirions pas quil en fût ainsi, nous ne le demanderions point. Car autre est la congratulation, et autre la prière; noue félicitons de ce qui est, nous demandons ce qui nest pas encore. Quel est donc le sens de cette parole : « Que votre nom soit sanctifié? » Il nous aidera à comprendre cette autre : « Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à lexcès ». Or, « Que votre nom soit sanctifié », signifie: Que votre nom soit saint parmi les hommes. Sans doute, Seigneur, votre nom est toujours saint, mais il nest pas encore saint pour les âmes impures. Car lApôtre la dit : « Tout est pur pour ceux qui sont purs, mais rien nest pur pour les coeurs immondes et infidèles 2 ». Si rien nest pur pour les coeurs infidèles et immondes, jen demande la cause, et lApôtre me répond que « leur raison et leur conscience sont souillées». Or, si pour eux rien nest pur, Dieu lui-même ne lest pas; à moins de croire peut-être quils le regardent comme pur, tout en le blasphémant. Sil est pur, quil leur plaise donc; et sil leur plaît, quils le bénissent. Mais sils le blasphèment, cest quil leur déplaît; et sil leur déplaît, comment peut être pur celui qui déplaît? Que demandons-nous alors par cette parole : « Que votre nom soit sanctifié ? » Nous demandons que le nom du Seigneur soit saint dans ces hommes, pour qui il ne lest pas à cause de leur infidélité, dans ceux pour qui nest pas encore Saint, celui qui est saint en lui-même, par lui-même, et dans ses saints. Nous prions donc pour le genre humain, nous prions pour lunivers entier, pour tous les Gentils, pour tous ceux qui passent les journées à raisonner et à nous dire que Dieu nest point juste, que ses jugements ne sont point justes, afin quils se corrigent enfin eux-mêmes, et quils redressent leur coeur sur sa droiture, quils sattachent à lui; devenus droits, selon la règle même, quils ne blâment plus léquité de Dieu, 1. Matth, VI, 9. 2. Tit. I, 15. 507 mais que le Seigneur, toujours droit, plaise à ceux qui seront droits eux-mêmes. Car le Seigneur, « le Dieu dIsraël est bon », mais « à ceux qui ont le coeur droit 1 ». Alors celui qui chante ainsi, cest-à-dire nous-mêmes, qui formons le corps du Christ, nous membres du Christ, à la vue des biens qua prodigués le Seigneur au genre humain, pour qui naguère Dieu nétait pas, ou nétait quun faux Dieu, ou du moins un Dieu moins grand, cet homme, dis-je, en voyant Dicta dans ses oeuvres, sécrie : « Seigneur mon Dieu, vous êtes grandi à linfini », cest-à-dire, naguère je ne vous connaissais point, et je comprends que vous êtes grand. Vous êtes toujours grand, même quand vous êtes caché; mais Vous êtes devenu grand pour moi en mapparaissant. Vous êtes donc grandi de ma part; de même que jai contribué à rendre votre science admirable 2, quand elle est devenue admirable pour moi. Je ladmire quand je reviens à elle ; mais quand je ny reviendrais pas, et quand, après y être revenu, je men détournerais, votre sagesse nen demeure pas moins dans son intégrité. Mais quand par elle je deviens grand, que de petit elle me rend parfait, jadmire ce que je ne connaissais pas, non que mon admiration le grandisse, mais arriver à le connaître, de ma part, cest grandir. Ecoute alors où Dieu me paraît grandi à lexcès, lui qui est toujours grand; cest dans ses oeuvres quil nous a paru démesurément grand. 4. « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ». Le Prophète place avant la beauté la confession, qui est la beauté dans la beauté même. Tu veux la beauté, ô mon âme, et tu as raison. Mais pourquoi chercher la beauté ? Afin dêtre aimée de lépoux dans ta laideur tu ne peux que ici déplaire. Quest-i1 en effet lui-même ? « Il surpasse en n beauté les enfants des hommes ». Dans ta laideur, veux-tu donc embrasser un époux si beau ? Mais tu ne considères point que tu es couverte diniquité, « tandis que la grâce est s répandue sur ses lèvres ». Car cest de lui quil est dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes, la grâce est répandue sur mes lèvres : et pour cela les jeunes filles lont aimé 3 ». Cet époux est donc beau, il est plus beau que « les enfants des hommes», et quoique fils de lhomme, il surpasse « les enfants 1. Ps. LXXII, 1. 2. Id. CXXVIII, 6. 3. Id. XLIV, 3. des hommes». Est-ce à lui que tu veux plaire, ô âme humaine, ô unique. Choisie entre tant dautres ? ici entendons lEglise dont les membres nont en Dieu quun coeur et quune âme 1 ; cest à elle que sadresse le Prophète. Veux-tu plaire à cet époux ? Tu ne le peux dans ta laideur, que feras-tu peut être belle? Dabord prends à dégoût la laideur, et embellie par celui-là même à qui tu veux plaire, tu mériteras alors la beauté e celui qui te reformera, est celui-là même qui ta formée. Vois donc tout dabord ce que tu es, afin de naller point dans la laideur toffrir aux baisers dun époux si ravissant. Mais où pourrai-je me contempler, me diras-tu ? Il ta donné pour miroir ses saintes Ecritures ; cest là quil est dit : « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 2 ». Cette parole même est un miroir, vois si tu es ce que dit cette Ecriture; et si tu ne les pointe gémis afin de le devenir. Le miroir te remettra devant les yeux ton propre visage ; et comme il ne te flattera point, ne te flatte point toi-même. Sa pureté te montrera ce que tu es ; et si tu te déplais à toi-même, travaille à nêtre plus telle. Te déplaire dans ta laideur, cest déjà plaire à celui qui est parfaitement beau. Quoi donc? Te déplaire dans la laideur, cest déjà commencer un aveu; comme il est dit ailleurs: « Commencez par confesser au Seigneur 3 ». Accuse dabord ta laideur ; car cette laideur de ton âme vient de tes péchés, de tes iniquités. Commence à confesser ta laideur, et cette confession deviendra pour toi un commencement de beauté; et qui te donnera cette beauté, sinon celui qui surpasse en beauté les enfants des hommes ? 5. Mais pour tembellir, jose le déclarer, il ta aimée dans ta laideur. Quest-ce à dite quil ta aimée dans ta laideur? «Le Christ, en effet, est mort pour les impies 4 ». Quelle vie ne te réserve pas, quand tu seras justifiée, celui qui est mort même pour les impies? Le voilà donc beau, « le plus beau des enfants des hommes », celui qui était le plus juste des hommes, et qui, venant trouver une épouse difforme, je le dirai, puisque je le trouve consigné dans les Ecritures, est devenu lui-même difforme. Ce nest point moi quil faut écouter ici, de peur que je naie avancé trop légèrement cette parole. Mais en disant que Jésus- 1. Act. IV, 32. 2. Matth V, 8. 3. Ps. CXLVI, 7. 4. Rom. V, 6. Christ a aimé son Epouse lorsquelle était difforme encore, de peur de parler dune manière inexacte pour ceux qui aiment le Christ, je me suis appuyé dun témoignage, et jai dit ce qua dit lApôtre : veux-tu savoir comment il a aimé celle qui était laide encore? « Le Christ est mort pour les impies », De même, comment prouver que le Christ, en venant trouver cette épouse difforme, est devenu lui-même difforme afin de lembellir: comment le prouver, si 1Ecriture elle-même ne venait à mon aide, en disant tout dabord qu « il est supérieur en beauté aux enfants des hommes? » Et cest encore dans lEcriture que je lis: « Nous lavons vu et il navait ni apparence, ni beauté 1 ». Dune part, « cest le plus beau des enfants des hommes»; dautre part, « nous lavons vu, et il na ni apparence, ni beauté ». Le Prophète ne dit point : Nous ne lavons pas vu, et dès lors, nous ne savons sil avait apparence ou beauté ; mais « nous lavons vu», dit-il, « et voilà quil navait ni apparence ni beauté ». Où donc la vu le Prophète qui nous dit: « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes? » Et où la vu celui qui dit: « Il navait ni apparence ni beauté ? » Ecoutez où la vu celui qui le proclame « le plus beau des enfants des hommes: étant Dieu par nature, il na pas craint de se dire égal à Dieu 2 ». Il est donc bien supérieur aux hommes, puisquil est égal à Dieu. Je le comprends donc, je sais où la vu celui qui a dit: « Il surpasse en beauté tous les enfants des hommes ». Où lai-je vu, me dit le Prophète? Mais « dans la forme de Dieu ». Où donc las-tu vu, ô Prophète, dans la forme de Dieu ? Comment le voir en la forme de Dieu? « Les perfections invisibles deviennent compréhensibles par tout ce qui est visible 3 ». Tout cela est fort bien, je comprends maintenant, et celui que tu as vu, et sous quel aspect tu las vu, et où tu las vu, et par où tu las vu. Qui as-tu vu? Notre Epoux. Sous quel aspect las-tu vu? « Supérieur en beauté aux enfants des hommes » .Où las-tu vu? « En la forme de Dieu». Par où las-tu vu? « Par ses ouvrages visibles que lon comprend». Voyons maintenant ce que dit de lui lautre Prophète, mais non pas un autre esprit; car ils ne sont pas en désaccord. Lun nous a montré celui qui est supérieur en beauté aux enfants des hommes, que lautre 1. Isa. LIII, 2. 2. Philipp. II, 6. 3. Rom. I, 20. nous montre ce que signifie : « Nous lavons vu, et il navait ni apparence ni beauté». Un seul apôtre vient mettre en accord ces deux Prophètes; le résumé de saint Paul rend témoignage à chacun des deux Prophètes. Dune part, il est supérieur en beauté aux enfants des hommes, « Celui qui, étant Dieu par nature, na pas cru quil y eût usurpation à ségaler à Dieu 1». Cest que je retrouve encore ce qua dit lautre Prophète, quil na ni apparence ni beauté : « Il sest anéanti et a pris la forme de lesclave; il a paru un homme, semblable aux autres hommes, par tout ce qui a été vu de lui; il sest humilié, se rendant obéissant jusquà la mort, et la mort de la croix 2». Cest donc avec raison quon la vu sans apparence ni beauté. Cest avec raison, quen face de la croix, ils branlaient la tète,en disant : Est-ce à quoi est réduit ce Fils de Dieu? « Sil est Fils de Dieu, quil descende de la croix 3 ». Mais il navait alors ni éclat ni beauté. Or, je vous adjure, ô vous à qui déplaît ce Christ, na-t-il donc ni éclat ni beauté? O vous, qui branliez la tête devant la croix, qui ne laffermissiez point dans ce Chef qui y était suspendu? Nest-il pas juste quelle soit branlante, la tête de ceux qui lui insultent, jusquà ce quil soit la tête des insulteurs, lui que lon insultait alors? Mais voilà quil reprend sa beauté, et une beauté incomparable. Tes défis sont bien au-dessous de ce quil a fait. « Sil est Fils de Dieu », dis-tu, « quil descende de la croix ». Il nest point descendu de la croix, mais il est sorti du sépulcre. 6. Donc, ô mon âme, tu ne peux être belle, quen faisant laveu de ta laideur à celui qui est toujours beau, et qui, pour un temps, ne la pas été pour toi; qui ne létait point quand il avait la forme de lesclave, et qui était beau néanmoins dans la forme de Dieu. Tu es donc belle, ô sainte Eglise, et cest toi que le Cantique des cantiques proclame «la plus belle des femmes 4 ». Cest de toi quil est dit: « Quelle est celle-ci qui sélève dans cette blancheur 5? » Quest-ce à dire e dans cette e blancheur? » Dans cette lumière, car cette blancheur nest pas le fard dont se servent les femmes qui veulent paraître ce quelles ne sont point ; elle nest point blanche à la manière dune muraille blanchie 6? car toute 1. Philipp. II, 6. 2. Id. 7, 8. 3. Matth. XXVII, 40. 4. CIII, V, 9 5. Id. VIII, 5, suiv. les Septante. 6. Act. XVIII, 13. muraille blanchie sera détruite 1, a dit lApôtre, cest-à-dire lhypocrisie et la dissimulation. Une muraille blanchie nest un toit quau dehors, une boue au dedans. Ce nest point ainsi que lEglise est blanchie; elle est blanchie parce quelle est illuminée, car elle nest point blanche delle-même. « Jai été tout dabord un blasphémateur 2», dit saint Paul; et encore : « Nous avons été nous-mêmes, par nature, enfants de colère, ainsi que les autres 3 ». La grâce est donc venue nous éclairer et nous blanchir: ainsi donc, ô sainte Eglise, vous avez été noire, et la grâce vous a blanchie: « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ 4 ». Cest donc de vous quil est dit: «Quelle est celle-ci qui sélève dans sa blancheur? » La voilà dans sa beauté, on peut à peine la contempler. Aussi lon dit avec admiration : « Quelle est celle-ci qui sélève dans sa blancheur»; avec tant de beauté, tant de lumière, sans ride et sans tache 5? Nest-ce point celle qui gisait dans le bourbier de liniquité ? Nest-ce point celle qui gisait dans la fange de lidolâtrie? Nest-ce point celle qui était souillée par toutes les convoitises, tous les désirs charnels? « Quelle est donc celle-ci qui sélève dans sa blancheur?» Vois celui qui pour elle est devenu sans apparence, sans beauté, et tu comprendras quelle ait tant déclat. Si tu es surpris de lhumiliation à laquelle son Epoux sest réduit pour elle, ne le sois point de la gloire où elle est élevée à cause de lui. Quel nest point le bonheur de cette Epouse éclatante de blancheur, puisque tendant quelle était noire, elle a pu enfanter lEpoux éclatant de beauté qui est mort pour les impies? Donc, le Seigneur notre Dieu sest revêtu de confession et de beauté, en se revêtant de lEglise: car lEglise est confession et beauté. Confession dabord, beauté ensuite; confession des fautes, beauté dans les bonnes oeuvres, « Vous vous êtes revêtu de confession et de beauté ». 7. « Il se revêt de lumière, comme dun vêtement 6». Tel est le vêtement de celle dont nous avons dit, qu« elle na ni tache, ni ride». On lappelle lumière, daprès ces autres paroles: « Vous fûtes autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur ». Ce nest donc point en vous, car en vous-mêmes, 1. Act. XXIII,3. 2. I Tim, I, 13. 3. Ephés. II, 3. 4. Id. V, 8. 5. Id. 27. 6. Ps. CIII, 2. vous êtes ténèbres, mais cest dans le Seigneur que vous êtes lumière. Dieu donc « sest revêtu de la lumière comme dun vêtement, en étendant le ciel comme une peau ». Le Prophète use de plusieurs figures pour nous montrer comment le Christ sest revêtu, comme dun vêtement, de cette Eglise qui est la lumière, comment elle est devenue lumière, comment sans ridé et sans tache, comment elle est devenue belle, comment éclatante pour être le vêtement de son Epoux, en lui demeurant unie étroitement ; voilà ce quil nous faut écouter. « Il étend les cieux comme une peau ». Je le vois de mes yeux. Qui donc a déployé ce pavillon des cieux que voient nos yeux charnels, si ce nest Dieu ? « Il a étendu les cieux comme une peau », ou à la lettre, avec facilité. Comme on ne saurait faire la moindre voûte sans un grand travail, sans de grandes machines, sans sappliquer longtemps à vaincre les difficultés, lEcriture semble craindre que la vue de ce grand ouvrage de la création ne nous fasse croire à un semblable travail de la part de Dieu. Elle nous donne un exemple de cette facilité, que nous pouvons Plus aisément comprendre, et ne veut point nous laisser croire quil a bâti les cieux comme nous bâtissons le toit dune maison, mais quil a étendu les cieux avec la même facilité quon déroule une peau. Admirable facilité! et cependant le langage de lEsprit-Saint est trop lent encore, oui trop lent, dis-je, car Dieu na pas étendu les cieux comme tu étends une peau; quon mette en effet devant toi une peau avec des rides et des plis ; commande-lui de sétendre, étends-la de ta parole. Je ne puis, me réponds-tu; donc, pour étendre cette peau, tu es loin de cette facilité qui est en Dieu: « Car il a dit, et tout a été fait 1 » ; il a dit: « Quil y ait un firmament entre les eaux et les eaux, et il en a été ainsi 2 ». Mais pour marquer la facilité de Dieu, dans ses ouvrages, on te donne cette comparaison, à la portée de ton esprit. 8. Toutefois si nous regardons cette expression comme le voile de quelque mystère, si nous frappons contre cette porte fermée, nous trouvons que Dieu étend le ciel comme une peau, pour nous désigner, par le ciel, la sainte Ecriture. Dieu lui a donné tout dabord une grande autorité dans son Eglise, 1. Ps. CXLVIII, 5 2. Gen. I, 6. 510 puis il a fait le reste. Il plaça donc le ciel, et létendit comme une peau, et « comme une peau » nest pas inutile. Il étendit comme une peau la renommée des prédicateurs; ce mot de peau désigne la mortalité; de là vient que les deux premiers hommes, nos deux premiers parents, les premiers auteurs du péché parmi les hommes, Adam et Eve ayant méprisé dans le paradis, et, à la persuasion du serpent, violé le précepte de Dieu, furent assujétis à la mort et chassés du paradis; or, pour leur faire comprendre cet assujétissement à la mort, Dieu les revêtit de tuniques de peau. Ils reçurent donc ces tuniques faites avec des peaux 1. Or, ce nest quaux animaux morts que lon enlève la peau, qui dès lors figura la mortalité, Mais si le mot de peau signifie ici lEcriture, comment Dieu de cette peau a-t-il fait un ciel? « Il étendit le ciel comme une peau ». Cest que les hommes qui nous ont prêché lEcriture étaient mortels. Quant au Verbe de Dieu, il est toujours le même, toujours immuable, toujours éternel. Voilà qu « au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Létait-il donc alors, sans lêtre iriaintenérit ? il lest, et lè sera toujours. Si donc le Verbe de Dieu est Dieu en Dieu, lis ce Verbe, si tu le peux. Diras-tu quil est trop relevé, et que tu ne saurais le lire? Le Verbe de Dieu est partout ; il atteint avec force, dune extrémité à lautre, et sétend partout à cause de sa pureté 3. « Il était dans ce monde, et le monde a été fait par lui 4». Et en venant dans ce monde, il y était déjà. Car il y est venu dans sa chair, mais sa divinité na point cessé dy être. Pourquoi donc ne saurais-tu lire le Verbe ? « Cest que le monde par sa sagesse na pu reconnaître Dieu dans les oeuvrés de sa sagesse », bien quil fût constitué dans cette même sagesse; car cest en elle que tout réside, et ce qui sy soustrait nest rien ; et toi, au milieu de ces oeuvres, tu ne pouvais connaître Dieu par la sagesse humaine. Il fallait donc nécessairement, comme le dit ensuite saint Paul « quil plût à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiront en lui 5». Mais si cest par la folie de la prédication que doivent être sauvés ceux qui croient, Dieu a donc choisi un moyen mortel ; il a mis en 1. Gen, III, 21. 2. Jean, I, 1. 3. Sag. VIII, 1 ; VII, 24. 4. Jean, 1,10. 5. I Co, 1, 21. oeuvre des hommes mortels, des hommes qui doivent mourir, il a employé des langues mortelles, à donner des sons mortels ; se servant donc dinstruments mortels pour un ministère mortel, il en a fait un ciel pour toi, afin de te montrer dans des choses périssables ce Verbe qui né meurt point, et de te rendre participant de cette immortalité. Moïse vécut, et il mourut. Dieu lui dit: « Va sur la montagne pour y mourir 1 ». Jérémie est mort, et tous les Prophètes sont morts ; et les paroles de ces morts, paroles qui étaient moins les leurs que de Celui qui parlait en eux, et qui « étend les cieux comme une peau », ont subsisté jusquà nous. Le voilà délivré de cette vie, cet Apôtre qui disait: « Etre délivré et avec le Christ, est pour moi plus avantageux 2 »; il vit maintenant avec le Christ aussi bien que tous les autres Prophètes. Mais par quel moyen nous a-t-il laissé ce que nous lisons de ses écrits ? Par ce quil y avait de mortel en lui, sa bouche, sa langue, ses dents, ses mains ; voilà ce qui a servi à Paul dinstruments pour nous laisser ce que nous lisons : le corps obéissait à lâme, et lâme à Dieu; le ciel fut donc étendu comme une peau. Nous qui sommes sous le ciel comme sous la tenture des saintes lettres, nous lisons tant que Dieu la déploie. « Car elle doit être ensuite repliée comme un livre 3 ». Ce nest point sans raison que lon compare ici lEcriture à un livre, là à une peau. Il y a là pour nous une figure. Quant aux saintes Ecritures, cest la parole des morts qui sétend ; elle sétend dès lors comme une peau, et dautant plus quils sont morts. Car ce nest quaprès leur mort, que les Prophètes et les Apôtres furent connus. Vivants ils étaient ignorés, ces Prophètes connus pendant leur vie en Judée seulement, et après leur mort dans toutes les nations. La tenture nétait donc point déroulée pendant leur vie ; le ciel nétait pas encore étendu de manière à couvrir lunivers entier. « Dieu a déployé le ciel comme une tenture ». 9. « Il couvre deau ses parties les plus hautes 4 ». Voilà ce que nous lisons, et ce que lon peut très-bien prendre à la lettre, Quand Dieu voulut établir le firmament entre les eaux et les eaux, il en fut ainsi1, et il y eut des eaux inférieures pour arroser la terre, 1. Deut. XXXII, 49. 2. Philipp. I, 23. 3. Isa. XXXIV, 4. 4. Ps. CIII, 3. 5. Gen, I, 6. 511 et des eaux supérieures loin de nos regards mais qui sont un objet de notre foi. « Et que les eaux », dit le Prophète, « qui sont au-dessus des cieux, bénissent le nom du Seigneur car il a dit, et tout a été fait; il a ordonné, et tout a été créé 1 ». Voilà donc le sens littéral de ces paroles, que « Dieu couvre deau le plus haut des cieux ». Quel est le sens figuratif ? Car nous avons montré que le mot de peau figurait lEcriture sainte, lautorité du Verbe divin, dispersée par des hommes mortels dont la renommée sest étendue après leur mort. Que signifie donc: «Il couvre deau ses parties les plus hautes?» Quelles hauteurs ? Du ciel. Et quest-ce que le ciel ? La sainte Ecriture. Quels sont les endroits supérieurs de la sainte Ecriture? Que trouvons-nous de plus élevé dans les saintes lettres ? Interroge saint Paul : « Je vous montre, dit-il, une voie bien supérieure encore 2». Que peut-il appeler une voie bien supérieure? « Quand je parlerais les langues des hommes et celles des anges, sans avoir la charité, je ne suis quun airain sonore, une cymbale retentissante 3 ». Si donc on ne saurait trouver dans les saintes Ecritures rien de supérieur à la charité, comment couvrir deau les hauteurs des cieux, si les préceptes supérieurs des saintes Ecritures sont la charité ? Ecoute comment : « Lamour de Dieu », dit lApôtre, « est répandu dans nos coeurs, par dEsprit-Saint qui nous a été donné 4 ». Ce mot seul de répandre marque les saintes eaux dans la charité de lEsprit-Saint. Telles sont les eaux dont il est dit quelque part : « Que vos eaux coulent dans vos rues, et que nul étranger ny ait part 5». Ces étrangers sont tous les hommes en dehors du sentier de la vérité, soit païens, soit Juifs, soit hérétiques, soit même mauvais chrétiens; ils peuvent avoir des dons nombreux, mais non la charité. Et quel est ce don, mes frères? Ne parlons point des dons du dehors, que partagent les autres hommes, puisque Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants 6; de ces dons qui viennent de Dieu, à la vérité, biens communs non-seulement aux bons et aux méchants, mais encore aux animaux, aux bêtes de somme. Etre, vivre, voir, sentir, écouter, jouir des bienfaits des autres sens, voilà des dons qui viennent de Dieu : mais 1. Ps. CXLVIII, 4, 5. 2. I Cor. XII, 31. 3. Id. XIII, 1. 4. Rom. V, 5. 5. Prov. V, 16, 17. 6. Matth. V, 45. voyez avec combien de créatures, et quelles créatures nous les partageons, et auxquelles nous ne voudrions pas ressembler. Les hommes les plus méchants ont aussi lesprit vif et pénétrant; de vils comédiens ont ladresse et la souplesse; des voleurs ont de grandes richesses , des méchants ont une femme et des enfants. Ces dons excellents viennent de Dieu, nul nen doute; mais voyez avec qui tout cela nous est commun. Maintenant jette les yeux sur les dons de lEglise. Quelles richesses dans le baptême, dans lEucharistie et dans les autres sacrements ! Et néanmoins, Simon le magicien y prit part 1. Quels dons chez les Prophètes ! Et néanmoins Saül, ce roi réprouvé, prophétisa, et il prophétisa quand il persécutait David qui était saint. Il envoie des archers prendre David, et David était alors au milieu des Prophètes, du nombre desquels se trouvait Samuel, ce saint personnage tous furent saisis de lesprit de prophétie, et prophétisèrent. Mais peut-être est-ce parce quils étaient venus avec de bonnes intentions, par la seule nécessité de leur charge, ou sans vouloir obéir à lordre quils avaient reçu. Saül en envoya dautres qui firent comme les premiers; et si nous leur prêtons les mêmes intentions, voilà que Saül, parce quils tardaient à revenir, y alla lui-même dans sa fureur, ne respirant que le meurtre, et tout altéré dun sang innocent, quil payait dingratitude: ce fut alors quil fut saisi de lesprit de prophétie, et quil prophétisa 2. Ils nont donc point à se vanter, ceux qui ont reçu de Dieu quelques dons, comme le baptême, sans avoir la charité; mais bien, quils pèsent le compte quils doivent rendre à Dieu, puisquils nusent pas saintement des choses saintes. Cest parmi eux que lon dira: «Nous avons prophétisé en votre nom ». On ne répondra point: Vous mentez ; mais on leur dira: « Je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers diniquité 3. Car jaurais en vain lesprit de prophétie, je ne suis rien si je nai lesprit de charité 4». Saül prophétisa, et il était un ouvrier diniquité. Or, qui fait liniquité, sinon celui qui na point la charité? « Car la charité est la plénitude de la loi 5 ». Que signifie dès lors : « Il couvre deau ses hauteurs? » Cest que, dans toutes les Ecritures, cest la charité qui est la voie 1. Act. VIII, 13, 18. 2. I Rois, XIX, 18-24. 3. Matth. VII, 22, 23, 4. I Cor. XIII, 2. 5. Rom. XIII,10. 512 la plus élevée, qui obtient le plus haut rang; quil ny a que les bons pour y arriver; que les méchants ny ont aucune part; quils peuvent avoir part au baptême, avoir part aux autres sacrements, avoir part aux prières publiques, être dans les murailles de lEglise, et dans lunité extérieure, mais quils nont point de part avec nous dans la charité. Telle est la source de tous les biens, la source propre aux saints, et dont il est dit : « Que nul étranger nait part avec toi 1». Quels sont les étrangers ? tous ceux qui entendent : « Je ne vous connais point ». Puisquon ne les connaît point, puisquon leur dit : « Je ne sais qui vous êtes », ils sont bien des étrangers. La voie suréminente de la charité est donc proprement pour ceux qui appartiennent au royaume des cieux. Donc le précepte de la charité domine les cieux, domine tous les livres; puisque les livres lui sont subordonnés, puisque cest pour elle que combat toute langue des saints, tout mouvement des dispensateurs de Dieu, soit de lintérieur, soit de lextérieur. Cest donc là une voie suréminente, et cest avec raison que Dieu couvre deau les hauteurs du ciel; car, dans les livres saints, on ne trouve rien de supérieur à la charité. 10. Mais écoute plus clairement encore ce quest leau. Nous avons dit que la charité est répandue dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné 2. Nous avons dit encore: «Que les eaux coulent dans nos rues 3». Mais, me dira quelquun, rien ne dit quil faut entendre par là la charité: et sil plaisait à un autre dy assigner un autre sens ? Souviens-toi seulement de cette parole de lApôtre . « La charité est répandue dans nos coeurs ». Comment? « Par lEsprit-Saint, qui nous a été donné ». Ecoute maintenant le Maître des Apôtres: « Si quelquun a soif, quil vienne et quil boive ». Quil poursuive encore : « Si quelquun croit en moi, des fleuves deau vive jailliront de ses entrailles ». Quest-ce à dire? Que lEvangéliste nous lexplique « Or, il parlait ainsi de lEsprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui: car lEsprit-Saint nétait pas encore envoyé, parce que Jésus nétait pas encore glorifié ». Donc, mes frères, si lEsprit-Saint nétait pas encore envoyé, après quil fut glorifié par son ascension au ciel, le Saint-Esprit fut envoyé 4, et 1. Prov. VI, 7. 2. Rom. V, 5. 3. Prov. V, 16. 4. Jean, VII, 37- 39. les Apôtres furent remplis de cette charité 1, qui fut répandue dans leurs coeurs par lEsprit- Saint qui leur était donné, parce que les hauteurs des cieux sont couvertes deau. Et cela est marqué par lascension du Sauveur, qui dut dominer les cieux, et de là répandre la charité. Pour Dieu, en effet, couvrir nest pas être soutenu par ce quil couvre ; il soutient lui-même ce quil couvre sans le surcharger : si donc il couvre deau les cieux, cest plutôt de manière quils soient soutenus par lEsprit-Saint. Ce qui soutient est en haut, ce qui est soutenu est en bas; lun suspend, lautre est suspendu. Si donc lun suspend, si lautre est suspendu , écoute bien que le ciel des Ecritures est suspendu à la charité. Il y a en effet deux préceptes de la charité qui sont très-connus : « A ces deux préceptes sont suspendus la loi et les Prophètes 2. Or, le Seigneur couvre deau ses hauteurs ». 11. « Il se fait des nuées une échelle ». On peut très-bien lentendre à la lettre. Le Seigneur est monté visiblement au ciel. Comment les nuées lui ont-elles servi déchelle? « Quand il parlait ainsi, une nuée le reçut 3». Cest encore ce qui doit arriver à notre résurrection: « Et ceux », dit lApôtre, « qui sont morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers; ensuite nous qui sommes en vie, nous u serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller dans les airs au-devant du Christ; et ainsi nous serons éternellement avec lui 4 ». Voyez les nuées qui sont léchelle du ciel: je vais vous montrer aussi dans ces nuées léchelle de cet autre ciel, ou des saintes Ecritures. Quest-ce à dire, mes frères? Puisse le Seigneur mon Dieu me mettre au nombre de ces nuées, quelles quelles soient. Il sait que je suis une nuée ténébreuse; et cependant regardez comme des nuées tous les prédicateurs de la vérité. Quiconque est assez infirme pour ne point monter à ce ciel, cest-à-dire à lintelligence des saintes Ecritures, doit y monter par ces nuées. Cest peut-être ce qui nous arrive à ce moment; si je dis quelque chose dutile, si mon travail nest point inutile pour vous, vous montez au ciel des divines Ecritures , ou plutôt vous arrivez à les comprendre, au moyen de ma prédication. Combien était haut le ciel de 1. Act. II, 4. 2. Matth. XXII, 40. 3. Act. I, 9. 4. I Thess. IV, 15, 16. 513 notre psaume ! Nul dentre vous ne voyait ce quil figurait: « Alors celui qui couvre deau ses hauteurs, a étendu le ciel comme une tenture ». Cette expression même qu « il se fait des nuées une échelle », voilà que notre parole vous la fait comprendre autant que Dieu nous en a fait la grâce; car ce nest point par elles-mêmes que les nuées répandent la pluie. Montez donc, mes frères, montez par lintelligence, et que cette intelligence porte en vous ses fruits; ne soyez point comme cette vigne dont le Prophète a dit: « Je commanderai aux nuées de ne point pleuvoir sur elle 1». Dieu accusait cette vigne de lui donner des épines au lieu de raisins, et de ne point lui rendre un fruit proportionné à ses pluies douces. Car entendre le bien, et faire le mal, cest recevoir une pluie douce, pour produire des épines. Ne nous imaginons pas; mes frères, que Dieu parle ici dune vigne terrestre et visible. Pour empêcher en effet que lobscurité de cette comparaison ne serve de voile à liniquité, le Seigneur a exposé par la bouche de son Prophète ce quil entendait par cette vigne, et il a dit: « Cette vigne du Seigneur des armées, cest la maison dIsraël ». Pourquoi, hommes diniquité, jeter vos coeurs sur les montagnes et les coteaux des vignerons? Je sais, dit le Seigneur, de quelle ville je veux parler; je sais où je cherchais des raisins, et nai rencontré que des épines. Il est inutile de porter ailleurs vos pensées et vos opinions, sans vouloir comprendre, afin de ne point faire le bien. Car il est écrit aussi : « Il na point voulu comprendre, de peur de faire le bien 2». Bannissez donc de vos esprits toutes ces conjectures. « La vigne du Seigneur des armées, cest la maison dIsraël; et lhomme de Juda, cest le plan choisi 3» ; plan choisi quand il fut planté, plan réprouvé quand il a produit des épines. Direz-vous donc, mes frères, que la maison dIsraël fut la vigne, et que nous ne sommes point la vigne? Ecoutons en tremblant ce qui est dit aux Juifs. Voyez comment lApôtre porte leffroi parmi les branches insérées à propos des branches retranchées 4, et comment, par ces branches retranchées, il nous fait craindre la sévérité, tout en nous signalant la bonté dans les branches insérées. Ne sois donc pas sans fruit au temps de la bonté, afin de ne pas éprouver le châtiment 1. Isa. V, 6. 2. Ps. XXXV, 4. 3. Isa. V, 1-7. 4. Rom, XI, 20-22. de larbre stérile. Mais je ne suis pas une vigne, me diras-tu. Que devient alors cette parole du Seigneur: « Je suis la vigne, et vous êtes les sarments, mon Père est le vigneron 1 ? » Que devient ce qua dit saint Paul? « Qui plante une vigne sans en recueillir le fruit 2?» Tu es donc une vigne, ô sainte Eglise, et tu as Dieu pour vigneron. Nul vigneron ne peut lui-même arroser sa vigne. Vous donc, mes frères bien-aimés, vous, les entrailles de lEglise, les objets de sa tendresse, les enfants. de notre céleste mère, écoutez quand il en est temps. Dieu a menacé cette vigne de la plus terrible vengeance. « Je commanderai aux nuages», dit-il, «de ne point pleuvoir sur elle». Et il en fut ainsi. Les Apôtres vinrent aux Juifs qui les méprisèrent, et ils répondirent : « Nous étions envoyés vers vous, mais comme vous repoussez la parole de Dieu, nous allons chez les nations. 3» Voyez comment le même esprit de Dieu, qui habite au fond de leur coeur et leur enjoint ce quil lui plaît, commande ici aux nuées du Seigneur de ne point pleuvoir sur sa vigne, parce quelle a donné des épines 4, au lieu des raisins quil attendait. Cest pour cela quil sest fait des nuées une échelle, et quil a déployé le ciel comme une tenture. Ne cherchons pas davantage: lautorité des Ecritures englobe toute la terre, les nuées ne cessent de verset leurs eaux, on prêche la parole de la vérité, on éclaircit tout ce qui est obscur, afin que vos coeurs se fassent des nuées une échelle. Voyez comment vous devez croire, voyez comment vous devez recevoir cette parole. Après la prédication viendra le juge, après les semailles viendra celui qui doit recueillir. « Il se fait des nuées une échelle ». 12. « Il marche sur les ailes des vents». Il est difficile de prendre ceci à la lettre, Quelles sont ces ailes des vents? Allons-nous, comme dans les peintures, nous représenter les vents qui volent, qui ont des ailes? Il ny a dautres vents, mes frères, que ceux que nous sentons, un mouvement, une agitation de lair, qui pousse avec effort ce quil rencontre. Quelles sont les ailes des vents? Quelles sont même les ailes de Dieu ? Et néanmoins, il est dit : « Ils espéreront à lombre de vos ailes 5 ». Essayons donc de prendre ces paroles à la lettre, comme un fait particulier à cette créature. 1. Jean, XV, 1, 5. 2. I Cor. IX, 7. 3. Act. XIII, 46. 4. Isa. V, 4 5. Ps. XXXV, 8. 514 LEcriture a signalé quelque part la rapidité de la parole, rapidité dont nous avons déjà parlé dans un autre psaume, où il est écrit « Sa parole court avec rapidité 1 ». Or, chacun le sait, rien nest plus rapide que le vent. De même alors que la tenture nous marquait tout à lheure la facilité de Dieu dans ses oeuvres; car rien nest plus facile pour lhomme que de déployer une tenture: de même ici, pour nous marquer que Dieu ou son Verbe est présent partout, et que la rapidité de ses mouvements ne lui fait rien abandonner, car nous ne connaissons rien de plus rapide que le vent, le Prophète nous dit : « Il marche sur les ailes des vents », cest-à-dire que sa rapidité lemporte sur la rapidité des vents: en sorte que nous devons comprendre par les ailes des vents leur rapidité, que surpasse de beaucoup la parole de Dieu. Voilà le sens qui se présente tout dabord : mais frappons à la porte intérieure, et voyons ce que veut dire le Prophète sous cette figure. 13. Il nest pas absurde, par les vents, dentendre les âmes; non que lâme soit un souffle, mais parce que le vent est invisible, bien quil soit corporel et quil renverse les corps; néanmoins il se dérobe à la perspicacité de loeil humain; notre âme aussi, étant invisible, nous pouvons, sous le nom des vents, comprendre les âmes. De là cette expression, que Dieu souffla lesprit de vie dans lhomme quil venait de former, et que « lhomme eut une âme vivante 2». Le vent peut donc très-bien désigner les âmes dans le sens allégorique. Et toutefois nallez point croire que ce mot dallégorie je lemprunte aux pantomimes certains mots, en effet, parce quils sont des mots, et que la langue les prononce, nous sont communs avec les jeux du théâtre qui nont rien dhonnête; mais ces expressions ont un sens dans lEglise, et encore un sens au théâtre. Je nai rien dit ici que lApôtre nait dit lui-même, quand, à propos des enfants dAbraham, il sécrie: « Tout ceci est une allégorie 3 ». Il y a allégorie quand les paroles semblent nous indiquer un sens, et que lintelligence en voit un autre. Ainsi, dire que le Christ est lagneau 4, est-ce dire pour cela quil est réellement un agneau? Dire quil est le lion 5, est-ce dire quil est animal? Dire quil est la pierre 6, est-ce dire quil en a la 1. Ps. CXLVII, 15. 2. Gen. II, 7. 3. Gal. IV, 24. 4. Jean, I, 29. 5. Apoc. V, 5. 6. I Cor. X, 4. dureté ? Dire quil est la montagne 1, est-ce dire quil est un monceau de terre ? Cest ainsi que beaucoup dexpressions semblent désigner un objet, et en désignent un autre en réalité: telle est lallégorie. Si lon croit que j ai emprunté au théâtre le mot dallégorie, on peut croire également que le Seigneur a aussi pris au théâtre celui de parabole. Voyez à quoi néus oblige une ville qui a tant de spectacles; je parlerais plus librement à la campagne; et mes auditeurs nauraient sans doute connu que par les saintes Ecritures le mot dallégorie, Si donc nous disons que lallégorie est une figure, il y a allégorie chaque fois quun mystère est figuré. Que faut-il dès lors comprendre ici : « Il marche sur laile des vents ? » Nous avons dit que les vents peuvent très-bien figurer les âmes. Quelles sont les ailes des vents ou des âmes, sinon ce qui leur sert pour sélever en haut? Or, les ailes des âmes sont les vertus, les bonnes oeuvres, les actions droites. Toutes les plumes forment deux ailes, comme tous les préceptes se résument en deux préceptes. Quiconque aime Dieu et son prochain, a une âme pourvue dailes, dailes très-libres, et il sélève par lamour vers le Seigneur. Quiconque sembarrasse dans un amour charnel, na que des ailes pleines de glu. Si lâme navait des plumes et des ailes, comment dirait-elle en gémissant dans ses tribulations : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? » et encore: « Je volerai, puis me reposerai 2 ». Ailleurs encore : « Où irai-je, pour fuir votre esprit? où fuir devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends au fond des enfers, vous voilà. Si je prends des ailes comme la colombe, je volerai jusquaux extrémités de la mer 3». Comme sil disait: Je ne puis éviter votre colère quen prenant les ailes de la colombe, pour voler jusquà lextrémité des mers. Et senvoler à lextrémité des mers, cest étendre ses espérances jusquà la fin des siècles, comme la dit encore le Psalmiste : « Tout est labeur devant moi, jusquà ce que jentre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des méchants 4 ». Comment est-il parvenu aux extrémités de la mer, même avec des ailes? « Cest là », répond-il, « que votre main me conduira, que votre droite me fera parvenir 5. 1. Dan. II, 35. 2. Ps. LIV, 7. 3. Id. CXXXVIII, 7 -10. 4. Id, LXIII, 16, 17. 5. Id. CXXXVII, 10. 515 Même avec mes ailes, je tomberai, si vous ne me soutenez. Les ailes solides, libres. et dégagées de toute glu, sont donc pour les âmes qui observent les préceptes de Dieu, qui ont la charité dans une conscience pure, et une foi sans feinte 1. Mais quels que soient les feux de leur charité, quest-ce que cela, en le comparant à cet amour que Dieu avait pour elles, même quand elles étaient embarrassées par la glu ? Lamour de Dieu pour nous, surpasse donc le nôtre pour lui. Nos ailes sont notre amour; mais lui « marche sur les ailes des vents». 14. LApôtre disait aussi à quelques-uns : « Je fléchis le genou pour vous devant le Père, afin que selon lhomme intérieur, il fasse habiter le Christ en vos coeurs par la foi, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité ». Il leur donne déjà la charité, il leur donne déjà des plumes et des ailes. «Afin que vous puissiez comprendre», nous dit-il, « quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur 2 ». Peut-être désigne-t-il ici la croix du Seigneur. Cétait une largeur sur laquelle furent étendues ses mains sacrées une longueur qui sélevait de la terre et où était fixé son corps; une hauteur qui dépassait le bois transversal; une profondeur sur laquelle était affermie la croix, et qui est toute lespérance de notre salut. Largeur, en effet, signifie bonnes oeuvres; longueur, la persévérance finale; hauteur, lélévation du coeur, afin que toutes les bonnes oeuvres, par lesquelles nous persévérons jusquà la fin, naient dautre motif que lespérance des récompenses du ciel, et nous donnent ainsi lampleur du bien, et la longueur par la persévérance finale. Il y a hauteur en effet à ne point chercher ici-bas sa récompense, mais en haut: de peur quon ne nous dise: « En vérité, je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense 3». Enfin ce que jai appelé profondeur était cette partie de la croix quon ne voyait pas, et doù sélevait ce que lon en voyait. Or, quy a-t-il dans lEglise de caché, et quon ne voit point? Les sacrements du baptême et de leucharistie. Car les païens voient nos bonnes oeuvres, mais les sacrements leur sont cachés; et toutefois ce qui est visible sélève sur ce qui ne paraît point, comme cest de la profondeur de la croix cachée en terre que sélève cette croix que lon voit, qui frappe nos regards. Que dit ensuite lApôtre ? 1. I Tim. I, 5. 2. Ephés. III, 14-18, 3. Matth. VI, 2. Après avoir ainsi parlé, lApôtre ajoute: « Afin que vous connaissiez lamour de Jésus-Christ qui surpasse toute connaissance 1 ». Et déjà il avait dit: « Afin que vous soyez enracinés et affermis dans la charité de Jésus-Christ ».Vous aimez en effet le Christ, et dès lors vous travaillez en sa croix. Mais laimez-vous autant quil vous a aimés ? Toutefois en laimant comme vous laimez, vous volez à lui, afin de connaître combien il vous a aimés, cest-à-dire afin de comprendre lamour du Christ qui dépasse toute science. Vous laimez donc autant quil vous est possible, et vous volez autant que vous le pouvez; mais « celui qui marche sur les ailes des vents » sélève bien au-dessus de ces mêmes ailes. 15. « Il fait des esprits ses messagers, et de ses ministres des feux ardents 2 ». Et cela, bien que nous ne voyions pas les anges: leur présence est dérobée à nos yeux; ils sont les citoyens de cette grande république dont Dieu est le chef. Toutefois nous savons par la foi quil y a des anges, et par lEcriture quils ont apparu à plusieurs. Nous en sommes certains, et le doute ne nous est pas permis. Or, les anges sont des esprits ; mais ils ne sont point des anges par cela même quils sont des esprits; ils ne le deviennent que quand ils sont envoyés; car le nom dange désigne un ministère, et non une nature. Tu cherches le nom de cette nature, cest celui desprits; le nom de leur ministère, cest celui danges. Exister, pour eux, cest être esprits; agir, cest devenir anges. Voyez en effet dans ce genre humain: homme est le nom de la nature; soldat un nom doffice: homme est le nom qui convient à la nature; héraut celui qui convient à son ministère : cest-à-dire que celui qui est homme, devient un héraut, mais de héraut on ne devient pas homme. Il en est de même de ces esprits que Dieu créa dès le commencement du monde; il en fait des anges en les envoyant porter ses ordres, et ses ministres sont des feux ardents. Nous lisons en effet quil apparut dans un buisson ardent 3, et nous lisons encore quil fit tomber du ciel un feu qui exécuta ses volontés. Il fut donc sou ministre en accomplissant ses ordres. Etre feu, cétait là sa nature, accomplir des ordres, cétait pour lui un ministère. On peut donc à la lettre entendre ces paroles des créatures. 1. Ephés. III, 14-19. 2. Ps. CIII, 4. 3. Exod. III, 2. 516 15. Mais quel sens leur donnerons-nous dans lEglise ? Dans quel sens dirons-nous que « Dieu prend des esprits pour ses messagers, et des feux ardents pour ses ministres?» Par ces esprits il faut entendre ceux qui sont spirituels. Or, Dieu se sert de ceux qui sont spirituels, pour en faire ses messagers. « Car lhomme spirituel juge de tout, et ne subit « le jugement de personne 1». Voyez lhomme spirituel devenu ange de Dieu. « Je nai pu parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels 2 ». Il descend de sa hauteur spirituelle pour aller à des hommes charnels, comme un ange du ciel qui vient sur la terre. Quel sens donner à ces ministres qui sont un feu ardent, sinon celui que saint Paul exprime: « Ayez la ferveur de lEsprit 3?» En sorte que tout homme à lâme fervente, sera le feu ardent ministre du Seigneur. Nétait-ce donc pas un feu ardent que saint Etienne ? Quel feu le brûlait? Quel était ce feu qui le portait à prier quand on le lapidait, et pour ceux qui le lapidaient ? Dire quun serviteur de Dieu est une flamme, est-ce dire quil va tout brûler? Quil brûle sans doute, mais quil, brûle ce qui est paille chez toi, cest-à-dire que le ministre de Dieu brûle tous tes désirs charnels, en prêchant la parole de Dieu. Ecoute celui-ci: « Que lhomme nous regarde comme les ministres du Christ, et les dispensateurs des mystères de Dieu 4». De quelle flamme nétait-il pas embrasé, quand il disait: « Notre bouche vous est ouverte, ô Corinthiens, notre coeur sélargit 5 ». Il était alors tout ardent, tout brûlant de charité, et il leur portait cette flamme sacrée. Tel est le feu que le Seigneur promettait denvoyer sur la terre, quand il disait : « Je suis venu apporter le feu sur la terre 6 ». Il parle du feu comme du glaive 7. Le glaive tranche les affections charnelles, le feu les consume. Lun et lautre doivent sentendre de la parole de Dieu, se reconnaître dans son esprit. Laisse-toi brûler par cette parole que tu entends, et vois ce quaura lait en loi le ministre de Dieu, « qui fait des esprits ses messagers, et du feu dévorant son ministre ». 17. « Il a fondé la terre sur sa propre base, elle ne sera pas ébranlée de siècle en 1. I Cor. II, 15. 2. Id. III, 1. 3. Rom. XII, 11. 4. Act. VII, 59. 5. II Cor. IV, 1. 6. II Cor. VI, 11. 7. Luc, XII, 49. 8. Matth. X, 34. siècle 1». Je ne sais sil serait possible dadapter ces paroles à notre terre, et si lon pourrait dire : « Elle ne sera pas ébranlée de siècle en siècle » ; puisquil est dit delle: : « Le ciel et la terre passeront 2 ». Il est difficile dassigner ici un sens littéral. Cette expression, en effet : « Il a fondé la terre sur sa propre solidité » , pourrait nous faire croire à une solidité inconnue qui soutient la terre. Aussi le Prophète a-t-il dit: « Il a fondés, sur quoi? sur la solidité de la terre même, appuyée à son tour sur une base qui nous est peut-être inconnue. Que la création nous dérobe des mystères, cette obscurité, chez les créatures, ne nous dérobera point le créateur; voyons ce quil nous est possible, et par ce que nous voyons, aimons et bénissons le Seigneur. Efforçons-nous de chercher ici ce qui est caché sous cette figure. « Il a fondé la terre », et par là jentends lEglise. « La terre est au Seigneur, et tout ce quelle renferme » ; et par cette terre nous comprenons lEglise. Telle est la terre qui a soif, et qui dit dans les psaumes, car une seule parle pour toutes: « Mon âme est sans vous comme une terre sans eau 4». Quest-ce à dire, « sans eau? » Une terre qui a soif. Mon âme a donc soif de vous, comme une terre sans eau ; car si elle nest altérée, elle ne peut être bien arrosée. Pour une âme abreuvée, la pluie est un déluge, il faut quelle ait soif. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 5 ». Quelle dise : « Mon âme est sans vous comme une terre sans eau » ; comme elle dit ailleurs : « Mon âme a eu soif du Dieu vivant 6 ». Cette terre est donc lEglise. Quelle est cette solidité sur laquelle elle est basée, sinon son fondement? Est-ce déroger que dentendre par cette solidité sur laquelle la terre est basée, ce fondement qui est lappui de lEglise? Quel est ce fondement? « Nul »,dit lApôtre, «ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ ». Voilà donc ce qui nous affermit. Aussi, affermis de la sorte, ne serons-nous pas ébranlés de siècle en siècle; rien nest plus inébranlable que ce fondement. Tu étais infirme, mais un fondement aussi solide te rassure. Appuyé sur toi-même, tu ne pouvais être solide, mais tu seras toujours ferme, si tu ne técartes jamais
1. Ps. CIII, 5. 2. Matth. XXIV, 35. 3. Ps. XXIII, 1. 4. Id. CXLII, 6. 5. Matth. V, 6. 6. Ps, XLI, 3. 7. I Cor, III, 11. 517 de ce fondement. « Il ne sera pas ébranlé de siècle en siècle ». LEglise , en effet , est destinée à servir de colonne et de fondement à la vérité 1. 18. « Labîme est pour lui comme un vêtement; ses eaux dépassent les montagnes. Elles fuiront à votre menace, et seront ébranlées à la voix de votre tonnerre. Les montagnes sélèvent et les campagnes sabaissent au lieu que vous leur assignez. Vous leur avez fixé des bornes quelles ne dépasseront point, elles ne reviendront point couvrir la terre. Vous envoyez les fontaines dans les vallons; leurs eaux coulent à travers les montagnes. Cest là que sabreuvent les animaux des champs, lonagre y étanchera sa soif. Les oiseaux du ciel habiteront leurs bords, et feront entendre leur voix du milieu des rochers. Vous arrosez les montagnes des pluies du ciel, la terre sera rassasiée des fruits que répandent vos mains. Vous produisez le foin pour les animaux, et les plantes pour le service de lhomme. Afin de tirer de la terre le pain, et le vin qui réjouit le coeur de lhomme, les parfums qui embellissent sa face, et le pain qui affermit ses forces. Les arbres des campagnes seront abreuvés, et les cèdres du Liban plantés par le Seigneur. Cest là que les oiseaux font leur nid, le nid des foulques est à leur tête 2». Voilà le ciel étendu; vous voulez, je le crois, y monter par la pensée; et je crois encore que vous en mesurez la hauteur. Jai voulu, en effet, vous citer plusieurs versets, afin que vous compreniez mieux à quelle hauteur Dieu élève ses mystères. On dédaigne ce que lon découvre, quand il est facile de le trouver : aussi la recherche de ces vérités nous est-elle pénible, afin que la découverte en soit plus agréable. Dans tout ce que je viens de dire, mes frères, et que lon peut prendre à la lettre, peut-on aussi prendre à la lettre cette parole : « Cest là que les oiseaux feront leurs nids, le nid des foulques est à leur tête? » La famille de la cigogne est-elle à la tête des oiseaux? ou bien serait-elle à la tête des cèdres? Car il y a dans le texte : « Et les cèdres du Liban quil a plantés, cest là que les oiseaux feront leur nid, et le nid des foulques est à leur tête ». Toutefois le latin ne nous permet pas de traduire comme sil 1. I Tim. III, 15. 2. Ps. CIII, 6-17. y avait « de ces cèdres »; puisque dans cette langue « ces » est masculin , tandis que « cèdres » est féminin. Comment alors la famille des foulques est-elle à la tête des passereaux? Cela ne peut se dire de loiseau que nous avons sous les yeux. Le mot « foulques »ou fulicae désigne des oiseaux de la mer ou des étangs. Prenons pour la maison des foulques, domus fulicae, leur nid : comment le nid des foulques est-il un guide pour les oiseaux? Pourquoi lEsprit-Saint mêle-t-il aux choses -visibles des choses qui paraissent absurdes, sinon pour nous forcer à chercher un sens spirituel, quand nous ne pouvons accepter le sens littéral? 19. Si donc vous voulez par lintelligence vous élever jusquau ciel, à ce pavillon que Dieu a déployé, si Dieu fait monter cette intelligence au-dessus des nuées ; cette nuée qui vous parle est impuissante à vous expliquer aujourdhui tant de choses. Epargnez sinon votre faiblesse, du moins la mienne. Lavidité que vous témoignez me fait croire que vous seriez toujours prêts; mais il est ici deux points que nous ne saurions dédaigner, notre faiblesse corporelle, et le souvenir de ce que nous expliquons, voilà ce qui est à considérer. En attendant, réfléchissez à ce que vous avez entendu. Quai-je dit? Digérez votre nourriture, et vous serez ainsi des animaux purs, propres aux festins du Seigneur. Remarquez par vos oeuvres le fruit que vous recueillez ; car cest mal digérer que bien entendre, et ne pas bien faire; et Dieu ne cesse de nous donner une nourriture solide. Or, chacun sait que nous rendrons compte du pair! que nous avons reçu, et que nous distribuons. Votre charité le sait très-bien, lEcriture nest pas sans nous en avertir, et Dieu ne nous flatte point. Voyez avec quelle liberté nous vous parlons, du lieu où nous sommes: et quand moi-même, quand ceux qui vous parlent de ce lieu serions moins libres, la parole de Dieu ne redoute personne. Pour nous, que nous soyons sous le coup de la crainte, ou en pleine liberté, nous devons prêcher Celui qui ne craint personne. Cest une grâce qui vous vient de Dieu et non des hommes, que vous entendiez cette parole si libre par la bouche dhommes qui sont timides. Au jugement de Dieu, vous naurez aucune excuse, si vous ne vous appliquez à lexercice des bonnes oeuvres, et ne portez un 518 fruit proportionné aux paroles que nous répandons sur vous comme une pluie céleste. Ce fruit proportionné consiste dans les bonnes oeuvres: ce fruit proportionné est un amour sincère non-seulement de vos frères, mais aussi de vos ennemis. Ne méprise aucun suppliant ; et si tu ne peux lui donner ce quil te demande, au moins, ne le méprise pas. Si tu peux le lui donner, donne-le ; si tu ne le peux, sois du moins affable. Dieu couronne la volonté intérieure, quand il ne voit pas en nous le pouvoir. Que nul ne dise : je nai rien. Ce nest point dun coffre que la charité tire ce quelle donne : mais tout ce que nous disons, tout ce que nous avons dit, tout ce que nous pouvons dire encore, ou nous, ou ceux qui viendront après nous, ou ceux qui nous ont précédé, tout cela na dautre but que la charité car la fin de la loi cest la charité émanant dun coeur pur, dune conscience irréprochable, dune foi sans feinte 1. En priant Dieu, interrogez vos coeurs, et voyez comment vous récitez ce verset: « Pardonnez-nous nos 1. I Tim. I, 5. offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés 1». On ne prie point, si lon ne fait cette prière; Dieu nexauce point, si lon récite une autre prière, parce quelle ne nous a pas été enseignée par le jurisconsulte quil nous a envoyé. Il faut donc nécessairement que toutes les paroles que nous ajoutons, soient réglées sur cette prière, et quen récitant les paroles, nous comprenions ce que nous disons, parce que Dieu a voulu la rendre claire. Si donc vous ne priez point, vous navez point lespérance; si vous priez autrement que le maître a enseigné, vous ne serez point exaucés; et si vous mentez en priant, vous nobtiendrez point. Il faut donc prier, et en priant dire vrai, et prier comme Dieu nous a enseigné. Bon gré, malgré, il te faut dire tous les jours: « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Et veux-tu le dire en toute sûreté ? Crois alors ce que tu dis. 1. Matth. VI, 12.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CIII.DEUXIÈME SERMON. DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Dieu nous dérobe quelque peu ses enseignements, afin de nous stimuler à les chercher. Cette lumière dont il est revêtu, cest lEglise ; leau qui couvre les hauteurs du ciel, cest la charité; la terre fondée sur la solidité de Dieu, cest lEglise fondée sur le Christ, inébranlable comme lui. Cest encore lEglise qui n pour vêtement labîme ou les eaux de la persécution qui couvrirent jusquaux plus hautes montagnes, cest-à-dire Jusquaux Apôtres qui devenaient invisibles, mais demeuraient inébranlables. Mais la menace de Dieu a dissipé ces eaux de la persécution, et les empereurs sont devenus chrétiens. Dieu qui fait les montagnes et les vallées, a renversé lorgueil des persécuteurs qui ne prévaudront plus. Alors les eaux de la doctrine couleront du milieu des montagnes, cest-à-dire que les docteurs auront une doctrine commune, et nenseigneront rien qui leur soit propre. Quiconque parle de lui-même aboutit au mensonge.
1. Je sais que vous me regardez comme votre débiteur, non par nécessité, mais ce qui est bien plus fort, par la charité. Je suis donc redevable tout dabord au Seigneur notre Dieu, qui habite en vous, et qui exige de moi cet acquittement; ensuite à mon seigneur et Père qui est présent, qui mordonne de parler, et qui prie pour moi: enfin à la sainte violence qui vous porte à me faire parler, dans mon état de faiblesse. Néanmoins autant que me le permettra le Seigneur, qui daignera me donner des forces, selon la prière que vous lui en faites, puisque nous avons expliqué lautre jour la première partie de ce psaume, jentreprends de vous expliquer la suite, et den finir avec la grâce de celui au nom de qui jai commencé. Vous, qui étiez présents, javais averti votre charité, des (519) figures mystérieuses qui composent le psaume tout entier, parce que le plaisir de trouver est proportionné a la peine de chercher. Dieu ne veut point nous les dérober par lobscurité, mais les assaisonner par la difficulté; afin, comme nous lavons dit plusieurs fois, douvrir à ceux qui demandent, de faire trouver à ceux qui cherchent, et entrer ceux qui frappent 1. Mais nous avons besoin de votre part dun silence plus profond, dune plus grande patience, afin que le peu que nous avons à dire ne nous prenne plus de temps à cause du bruit. Notre temps est restreint, et nous devons nous borner, votre charité sait bien quil nous faut assister aux obsèques dun fidèle. Ne nous forcez donc point de répéter ce qui est dit, dexpliquer de nouveau les premiers versets. Si quelques-uns y ont manqué, je ny puis rien. Peut-être leur sera-t-il bon de ne pas bien comprendre ce que comprendront facilement ceux qui mont entendu, afin quils apprennent à se trouver à nos assemblées. Parcourons donc le psaume. 2. « Bénis le Seigneur, ô mon âme 2 ». Que lâme de chacun de nous, devenue une seule âme dans le Christ, répète aussi: « Seigneur, mon Dieu, vous avez été grandi à lexcès ». Comment grandi? Parce que « vous vous êtes revêtu de confession et de beauté» .Offrez donc à Dieu cette confession, afin dêtre embellie, afin quil vous revête « celui qui senvironne de lumière comme dun vêtement 3 », qui sest revêtu de son Eglise, et lui a donné La splendeur de la lumière, à elle qui par elle-même était ténèbres, selon cette parole de lApôtre: « Autrefois vous étiez ténèbres, aujourdhui vous êtes lumière en Jésus-Christ 4. Cest lui qui étend le ciel comme un pavillon ». Cest-à-dire, dans le sens littéral, aussi facilement que tu étends une peau; ou bien par cette peau qui figure la mortalité, nous pouvons entendre lautorité des Ecritures qui couvre le monde entier; et cette autorité des Ecritures nous est venue par des hommes mortels dont la renommée sétend après leur mort. 3. « Lui qui couvre deau ses hauteurs 5». Les hauteurs de quoi? du ciel. Quest-ce que le ciel? Nous avons dit quen figure cest lEcriture sainte. Quelle est la partie supérieure des saintes Ecritures? Le précepte de 1. Matth. VII, 7, 8. 2. Ps. CIII, 1. 3. Id. 2. 4. Ephés. V, 8. 5. Ps. CIII, 3. la charité qui domine tout. Pourquoi comparer la charité à des eaux? « Parce que lamour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné 1». Comment le Saint-Esprit est-il désigné par leau? Parce que « Jésus était là criant et disant : Si quelquun a soif, quil vienne à moi et quil boive. Celui qui croit en moi verra des fleuves deau vive sortir de ses entrailles ». Comment prouver que cela sapplique au Saint-Esprit? Que lEvangéliste nous le dise lui-même, lui qui ajoute: « Or, il parlait ainsi de lEsprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui 2» . « Il marche sur les ailes des vents», cest-à-dire sur les vertus des saintes âmes. Quest-ce que la vertu de lâme? La charité. Or, comment Dieu marche-t-il sur la charité? Parce que la charité de Dieu pour nous, est bien supérieure à la nôtre pour lui. 4. « Il prend des esprits pour ses anges, et la flamme ardente pour ministre 3 »; cest-à-dire quil se fait des messagers, de ces hommes qui sont des esprits, qui sont spirituels et non plus charnels, en les envoyant prêcher son Evangile. « Et la flamme ardente est son ministre». Car si le prédicateur ne brûle du feu sacré, il ne peut lallumer chez les autres. 5. « Il a fondé la terre sur sa propre solidité 4 ». II a affermi !Eglise sur la solidité de lEglise. Quest-ce que la solidité de lEglise, sinon la base de lEglise? Et quelle est la base de lEglise, sinon celle dont parle lApôtre: « Nul ne peut poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus 5? » Dès lors, appuyée sur une semblable base, qua-t-elle mérité dentendre ? « Elle ne sera point ébranlée dans la suite des siècles: il a fondé la terre sur sa propre solidité », cest-à-dire affermi lEglise sur le Christ qui en est le fondement. LEglise sera ébranlée, si ce fondement est ébranlé : mais comment serait ébranlé ce Christ qui, avant de venir à nous et de prendre notre chair, « avait tout fait, et rien navait été fait sans lui 6», qui embrasse tout dans sa majesté, et nous dans sa bonté ? Mais le Christ est immuable, et dès lors lEglise « ne sera point ébranlée de siècle en siècle». Où sont-ils, ces hommes qui nous disent quelle a disparu du monde, cette Eglise qui ne peut même pas être ébranlée? 1. Rom. V, 5. 2. Jean, VII, 37-39. 3. Ps. CII, 4. 4. Id. 5. 5. I Cor. III, 11. 6. Jean, I, 3. 520 6. Mais doù le Seigneur a-t-il commencé à parler de cette Eglise, à en jeter les bases, à la révéler, à la manifester, à la répandre? Doù a-t-il commencé cet ouvrage? Quy avait-il auparavant ? « Car il a fondé la terre sur sa stabilité, et de siècle en siècle elle ne sera point ébranlée. Labîme est comme son vêtement 1 » . De qui? de Dieu peut-être? Mais déjà le Psalmiste a dit, à propos de ce vêtement: « Il est revêtu de lumière comme dun manteau ». Jentends par là que Dieu est revêtu de lumière, et cette lumière cest nous, si nous le voulons, Quest-ce à dire, si nous le voulons? Si déjà nous ne sommes plus ténèbres. Si donc Dieu est revêtu de lumière, à qui labîme servira-t-il de vêtement? On appelle abîme limmense quantité des eaux: toutes les eaux, tout lhumide élément, toute la substance répandue dans les mers, dans les fleuves, dans les réservoirs cachés, prennent le nom générique dabîme. Nous comprenons de quelle terre le Prophète a dit : « Il a fondé la terre sur sa propre solidité; elle ne sera point ébranlée de siècle en siècle ». Cest delle quil dit aussi : « Labîme lenvironne comme son vêtement ». Car leau est pour la terre comme un vêtement qui lenvironne et qui la couvre. Mais il est arrivé pendant le déluge que ce vêtement de la terre sest élevé jusquà la couvrir entièrement, jusquà surpasser les plus hautes montagnes de quinze coudées 2, au témoignage de lEcriture. Cest peut-être ce temps du déluge quavait en vue le Prophète, lorsquil dit: « Labîme est pour elle comme un vêtement ». 7. « Les eaux sélèveront au-dessus des montagnes » : cest-à-dire ce vêtement de la terre, qui est labîme, sest élevé au point que les eaux couvraient les montagnes. Nous lavons lu, dis-je, à loccasion du déluge. Est-ce là ce que dit le Prophète? Parle-t-il du passé, ou annonce-t-il lavenir? Sil parlait du passé, il ne dirait pas: « Les eaux sélèveront sur les montagnes » ; mais bien, les eaux se sont élevées. Nous voyons que lEcriture emploie souvent le passé pour le futur, puisque lEsprit de Dieu voit lavenir comme sil était présent. De là vient que, dans un autre psaume, nous lisons comme un récit de lEvangile : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os, et ont jeté le sort sur mes vêtements 3». Tout cela, que 1. Ps. CIII, 6 2. Gen, VII, 20. 3. Ps. XXI, 17-19. lon prévoyait pour lavenir, est consigné comme un fait accompli. Mais, hélas! que peuvent nos faibles efforts? Où peut aboutir notre travail? Et quand pouvons-nous examiner suffisamment, pour affirmer que tel est le sens du Prophète? Nous voyons donc souvent les Prophètes employer le temps passé pour annoncer lavenir; mais je rencontre difficilement dans mes lectures le futur au lieu du passé. Je nose pas affirmer que cela nest point; jindique seulement aux hommes, qui aiment les saintes Ecritures, un point à rechercher. Sils en trouvent des exemples, quils me les apportent; et dans une vieillesse surchargée doccupations, nous applaudirons à la jeunesse qui voudra bien employer ainsi ses loisirs, et nous profiterons de leurs travaux. Nous ne témoignerons aucun dédain, puisque le Christ se sert de tous pour nous instruire. Le Prophète sécrie donc : « Les eaux sélèveront au-dessus des montagnes», pour nous annoncer lavenir, et non pour raconter le passé, et il parle ainsi pour nous désigner lEglise, qui doit être sous le glaive des persécutions. Il fut un temps, en effet, où les eaux de la persécution couvrirent la terre de Dieu, lEglise de Dieu, et la couvrirent au point que les grands eux-mêmes, ou les montagnes, napparaissaient point, Quant ils fuyaient çà et là, coin. ment eussent-ils pu paraître? Cest peut-être à propos de ces eaux quil est dit : « Sauvez-moi, mon Dieu, parce que les eaux ont pénétré jusquà mon âme 1 ». Ces grandes eaux, qui forment la mer, sont turbulentes et stériles, et quelle que soit la terre quelles viennent à couvrir, elles y causent la stérilité plutôt que labondance. Les montagnes donc étaient sous les eaux, puisque les eaux dépassaient les montagnes : les peuples dans leur résistance dominaient lautorité de ceux qui prêchaient la parole de Dieu avec courage. Les eaux les couvraient, les eaux sélevaient bien au-dessus deux et disaient: Frappez, frappez; et on les opprimait : Eteignez-les, quils dis. paraissent. lis parlaient ainsi et prévalaient sur les martyrs, et les chrétiens fuyaient de toutes parts, et cette fuite rendait les Apôtres invisibles. Comment cette fuite les rendait-elle invisibles? Parce que les eaux sélevaient au-dessus des montagnes. Les eaux avaient alors une grande puissance. Mais combien dura-t-elle? Ecoute ce qui suit. 1. Ps. LXVIII, 2. 521 8. « Elles fuiront devant vos menaces 1 ». Voilà, mes frères, ce qui est arrivé: les eaux ont fui devant la menace du Seigneur, cest-à-dire quelles ont cessé de couvrir les montagnes. Voilà que Pierre et Paul sont debout; quelle majesté dans ces montagnes ! Vexés jadis par les persécuteurs, ils reçoivent aujourdhui lhommage des empereurs. Les eaux ont fui devant la menace de Dieu, car cest dans la main de Dieu quest le coeur des rois, quil tourne comme il lui plaît 2; il lui a plu de donner par eux la paix aux chrétiens, et alors sest élevée dans son éclat lautorité des Apôtres. Ces montagnes, toutefois, en étaient-elles moins grandes, pour être couvertes deau ? Cependant, comme Dieu voulut montrer à tous leur grande élévation, afin quils pussent procurer le salut au genre humain ; car: «Jai levé les yeux vers les montagnes, doù me viendra le secours 3 » : voilà que Dieu par sa menace a mis les eaux en fuite. « Elles trembleront au bruit de votre tonnerre ». Qui ne tremble maintenant à la voix de Dieu qui retentit par les Apôtres, à la voix de Dieu dans les saintes Ecritures, dans ses nuées? La mer sest calmée, les eaux ont tremblé, les montagnes se sont dépouillées, lempereur a fait des lois. Mais les eût-il faites, si Dieu neût fait entendre son tonnerre? Dieu la donc voulu, les princes ont fait des lois, elle calme sest produit dans lEglise. Que nul dentre les hommes ne sattribue rien ici ; les eaux ont tremblé, mais, « Seigneur, cest au bruit de votre tonnerre ». Aussitôt quil a plu à Dieu, les eaux ont fui, pour ne plus couvrir les montagnes ; avant cela, néanmoins, les montagnes étaient sous les eaux, mais inébranlables. 9. « Les montagnes sélèvent, les campagnes sabaissent, au lieu que vous leur assignez 4». Le Prophète parle encore des eaux. Nous ne devons point voir ici des montagnes terrestres, ni des campagnes terrestres; mais bien des flots si grands quon peut les comparer à des montagnes. La mer fut autrefois agitée, ses flots sélevèrent comme des montagnes qui couvrirent dautres montagnes ou les Apôtres. « Mais jusques à quand ces montagnes ont-elles pu sélever, ces campagnes sabaisser? » Leur fureur a monté, puis sest calmée. Dans leur fureur , cétaient des montagnes; dans le calme, des plaines; Dieu leur a assigné leur 1. Ps. CIII, 7. 2. Prov. XXI, 1. 3. Ps. CXX, 1. 4. Id CIII, 8. place. Il est en effet un certain réservoir, où sen vont, en quelque sorte, tous les coeurs des hommes avec, leur furie. Combien sont aujourdhui remplis deau salée et amère, et néanmoins demeurent calmes ? Combien en est-il qui ne veulent point sadoucir? Quels sont ceux qui ne veulent point sadoucir ? Ceux qui refusent encore de croire au Christ. Mais quel quen soit le nombre, quel mal font-ils à lEglise? Montagnes autrefois, aujourdhui ce sont des plaines unies ; et pourtant, mes frères, la mer, quel que soit son calme, nen est pas moins la mer. Pourquoi nont-ils maintenant aucune fureur? Pourquoi ne sont-ils plus en délire? Pourquoi renoncer, sinon à détruire notre terre, du moins à la couvrir deau ? Pourquoi? Ecoutez : « Vous leur avez assigné un terme quelles ne dépasseront point; elles ne reviendront point pour couvrir la terre 1 ». 10. Mais depuis que ces flots si amers sont devenus tels que nous pouvons prêcher librement ces vérités, parce quil leur a été donné des bornes convenables et quils ne dépasseront point ces bornes, pour venir de nouveau submerger la terre, que se passe-t-il sur la terre? Quy fait-on depuis que la mer la mise à découvert? Bien que de légères vagues bruissent encore sur la plage, bien que les païens murmurent, jentends le bruit du rivage, sans redouter le déluge. Que fait-on dès lors, que fait-on sur la terre? « Vous faites couler des ruisseaux dans les vallées».Telle est la réponse du Prophète : Vous faites jaillir « des ruisseaux dans les vallées 2 ».Vous connaissez les vallées, des lieux abaissés dans les terres ; aux collines et aux montagnes, on oppose ici, en figures, les vallons et les vallées. Les collines et les montagnes sont les gonflements de la terre ; les vallons et les vallées sont les lieux les plus bas. Ne méprisez point les lieux abaissés, car de là jaillissent les fontaines : « Vous faites jaillir les ruisseaux dans les vallons ». Ecoute une montagne: « Jai travaillé plus que tous les autres», dit saint Paul. On voit là une certaine hauteur: et toutefois, afin de faire jaillir les eaux, il sabaisse comme une vallée : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 3 ». Il ne répugne point à ces montagnes de devenir des vallées; de même que leur hauteur spirituelle les faisait appeler montagnes, de même 1. Ps. CIII, 9. 2. Id. 10. 3. I Cor. XV, 10. aussi leur spirituel abaissement les fait appeler des vallées. « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi». « Non pas moi », voilà bien le vallon, mais « la grâce de Dieu avec moi», voilà bien la source. « Vous faites jaillir des sources dans les vallons ». Cest de lEsprit-Saint quest dit ce que je citais tout à lheure : « Si quelquun a soif, quil vienne à moi et quil boive: celui qui croit en moi verra jaillir de ses entrailles des sources deau vive. Car il parlait ainsi à cause du Saint-Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui 1». Voyons maintenant sil y a des vallons, afin que la source jaillisse dans ce vallon. Ecoute le Prophète: « Sur qui reposera mon Esprit, sinon sur lhomme humble, sur lhomme calme, sur lhomme qui craint mes paroles ? » Quest-ce à dire: « Sur qui reposera mon Esprit, sur lhomme humble et calme? » Où coulera mon eau vive? Dans le vallon. 11. « Les eaux passeront au milieu des montagnes ». Cest jusque-là que le lecteur a parcouru notre psaume, que cela suffise à votre charité. Voilà ce que nous expliquerons, puis nous terminerons au nom du Seigneur. Quest-ce à dire: « Que les eaux passeront par le milieu des montagnes? » Nous avons déjà vu que par montagnes on entend ces grands prédicateurs de la parole de Dieu, anges sublimes du Seigneur, quoique revêtus encore dune chair mortelle, élevés non par leur propre vertu, mais par sa grâce; mais autant quil est en eux, ce sont des valions, doù jaillissent humblement les eaux. « Et ces eaux », dit le Prophète, « passeront au milieu des montagnes» ; comme sil disait que par lintermédiaire des Apôtres nous viendra la prédication de la parole de vérité. Quest-ce à dire, par lintermédiaire des Apôtres? Une chose intermédiaire est une chose commune, et une chose commune est une chose dont tout le monde vit également, elle est en quelque sorte au milieu, et ne mappartient pas ; elle nest ni à toi ni à moi, Aussi disons-nous de quelques hommes: La paix règne entre eux, la bonne foi règne entre eux, la charité règne entre eux. Ainsi disons-nous. Quest-ce à dire entre eux ? Au milieu deux. Que signifie au milieu deux? Elle leur est commune. Ecoute maintenant le sens de ces eaux au milieu des montagnes. 1. Isa. LXVI, 2. La foi leur était commune, et nul navait des eaux qui lui fussent propres. Des eaux qui ne sont point au milieu, sont des eaux particulières, qui ne coulent point publiquement; jaurai la mienne, un autre la sienne; ce que jai, ce qua cet autre, nest plus dans le milieu. Il nen est pas ainsi de la prédication pacifique de la vérité. Mais pour que ces eaux coulent par le milieu des montagnes, écoute le mot dune montagne: « Que le Dieu de la paix vous donne dêtre toujours unis de sentiments 1 ». Et ensuite : « Afin que vous ayez tous un même langage, et quil ny ait aucun schisme parmi vous 2 ». Mes sentiments sont-ils vos sentiments ? Leau coule entre nous. Je nai rien à moi, toi rien à toi, Que la vérité ne soit ni à moi seul, ni à toi seul, quelle soit à toi et à moi. « Les eaux couleront au milieu des montagnes». Ecoute encore, daprès lune de ces montagnes, que, « Les eaux doivent couler au milieu des montagnes. Que ce soit moi, que ce soit dautres, voilà ce que nous prêchons, et ce que vous avez cru 3». Cest avec sécurité quil nous tient ce langage : « Soit moi, soit dautres, voilà ce que nous prêchons, et ce que vous avez cru ». Les eaux coulaient alors au milieu des montagnes, nulles discordes parmi les montagnes au sujet des eaux, tout y était dans laccord, et dans lunion de la charité. Si quelquun prêchait autrement, cétait une eau privée, et non plus une eau du milieu des montagnes. Voyez encore ce qua dit celui qui a fait couler les eaux dans les vallons: « Celui qui dit le mensonge, dit ce qui lui est propre 4». Aussi, de peur que lon ne mette sa confiance dans quelque montagne qui donnerait ses eaux non du milieu, mais delle-même, lApôtre nous dit : « Quiconque annoncera un Evangile autre que celui que vous avez reçu, quil soit anathème ». Voyez comme il craint que lon ne mette sa confiance dans la montagne, de peur que cette montagne, se séparant des eaux qui coulent dans le milieu, ne vienne à donner une eau qui lui serait propre : « Quand même ce serait moi ». Quelle montagne peut tenir ce langage? Quelles eaux abondantes coulaient dans ces vallons? mais il voulait que cette eau coulât entre les montagnes, et que les fidèles trouvassent une toi certaine, dans la doctrine que les Apôtres tenaient commune 1. Rom. XV, 5. 2. I Cor. I, 10. 3. Id. XV, 11. 4. Jean, VIII, 44. 523 entre eux. « Quand même ce serait moi », dit-il. O vous, Paul, pourriez-vous prêcher autrement? Cest de Paul quil sagit. « Quand même ce serait moi, ou quand un ange venu du ciel vous annoncerait un Evangile autre que celui que vous avez reçu, quil soit anathème 1». Anathème à toute montagne, anathème à tout ange qui vous prêcherait une autre doctrine. Doù vient cela? Parce quil veut couler de lui-même, et non au milieu. Un homme qui a sa chair comme un voile, séparé de la source commune, et réduit au mensonge qui lui est propre, tomberait peut-être ainsi, mais un ange? Un ange, en vérité, le pourrait-il? Si lon avait écouté dans le paradis terrestre un ange distillant une eau qui lui était propre, nous ne serions point précipités dans la mort. Le précepte de Dieu était une eau coulant pour les hommes au milieu du jardin. Cétait une eau dii milieu, une eau en quelque sorte publique, qui sentretenait sans ruse, ainsi que nous lavons dit à votre charité, qui coulait limpide, et sans aucune boue. Boire 1. Gal. I, 8, 9. toujours de cette eau, cétait vivre toujours. Survint alors un ange tombé du ciel et devenu serpent, et qui voulait répandre astucieusement ses poisons. Il lança donc son venin, et parla de lui-même, de ce qui lui était propre; car, « cest parler de son propre, que dire le mensonge » ; et nos misérables parents lécoutèrent pour laisser leau commune qui faisait leur félicité. Réduits à ce qui leur était propre, et voulant, dans leur extravagance, devenir semblables à Dieu, (car on leur avait dit « Goûtez du fruit et vous serez comme des dieux 1 »), ils perdirent ce quils avaient reçu, en voulant être ce quils nétaient point. Puisse, mes frères, ce que nous vous avons dit au sujet de ces eaux, les faire couler de vous-mêmes. Soyez des vallées, communiquez à tous ce que vous avez reçu de Dieu. Que les eaux coulent au milieu, ne les enviez à personne. Buvez, rassasiez-vous, et une fois rassasiés, faites couler. Que la gloire de Dieu soit répandue partout par leau qui est commune, et non par le mensonge de quelque particulier. 1. Gen. III, 5.
TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CIII.TROISIÈME SERMON. TROISIÈME PARTIE DU PSAUME.LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Les bêtes des forêts, qui boivent leau des vallées, sont les nations qui entrent dans 1Eglise pour être purifiées par les sacrements, ainsi que nous le montrent et larche de Noé qui renfermait des animaux purs et des animaux impurs, et le linceul de saint Pierre renfermant aussi des animaux impurs et tenant au ciel par les extrémités. Elles boiront les eaux qui passent ers cette vie, en attendant que le Verbe leur soit donné. Lonagre y vient comme le lièvre, cest-à-dire les grands esprits comme les faibles, parce quil y a des préceptes à la portée de tous. Les oiseaux qui habitent sur les montagnes sont les âmes tout àfait spirituelles, qui se nourrissent de la doctrine des Prophètes et des Apôtres. Elles ne se divisent point non plus que les oiseaux dans le sacrifice dAbraham, tandis que les animaux étaient divisés, cest là le symbole du schisme et de lhérésie, la fournaise du jugement met les uns à droite, les autres à gauche. Pour léviter, ressemblons aux oiseaux qui habitent les montagnes, les rochers, ou le Christ ; cest de là quils prêchent. Dieu donne la rosée de sa parole, ils la répandent en se proportionnant aux simples; delà cette terre arrosée de la grâce de Dieu. Cest lui encore qui produit le foin pour les animaux, et par là le salaire pour les ouvriers évangéliques, lherbe pour la servitude de lhomme ou la substance pour ceux qui ne font serviteurs de tous par la charité et lhumilité, que ne connaissaient point dabord ni Pierre ni les fils de Zébédée. Donnons la subsistance aux prédicateurs : le Seigneur eut une bourse pour recueillir et pour donner, se proportionnant à ceux qui devaient demander, comme il pâlit devant la mort pour se mettre au niveau de nos craintes. Dieu tire de la terre ou des ouvriers évangéliques, ta pain et le vin ou le Christ, et la grâce qui donne léclat des vertus. Les cèdres du Liban sont les grands du monde, et ils sont plantés par le Seigneur, quand ils deviennent chrétiens parfaits. Ces passereaux sont les lares ferventes qui abandonnent leurs biens si elles possèdent, leurs espérances et leurs désirs du lêtre sils sont certaine Pierre et André. Ces âmes font leurs nids sur les cèdres, cest-à-dire dans les monastères ou dans les Eglises que bâtissent les riches du monde. La foulque les guide, elle qui établit sur les rochers des mers, ou sur le Christ, un nid bas et solide. Cest encore au Christ que sattachent les passereaux. Les cerfs des montagnes sont les plus élevés dans la spiritualité; mais il y a aussi le hérisson couvert dépines ou de péchés légers, qui trouve son asile dans la pierre, qui devient ainsi avantageux pour tous. La lune est limage de lEglise, qui semble croître et renaître comme les générations. Le soleil cest le Christ qui se lève pour ceux qui comprennent la charité, mais non pour limpie; il connaît son couchant, cest-à-dire quil a bien voulu mourir. La nuit alors se ferma sur les Apôtres, et les lionceaux demandèrent leur proie, cest-à-dire que le diable demanda de les cribler, comme il demanda de tourmenter Job. Mais il doit demander, car tout pouvoir vient de Dieu. Mais à mesure que le jour se fait, les lions sétendent dans leurs tanières, ou cessent de persécuter lEglise; lhomme ou le chrétien fait son oeuvre, et la terre est remplie des créatures de Dieu par son Christ, ou dhommes renouvelés par la grâce. 1. Votre charité na point oublié que nous vous sommes redevables de ce qui reste du psaume; je nai donc besoin daucun exorde pour stimuler votre attention. Je vous vois tous en suspens, dans le désir de comprendre les mystères quil renferme, et il nest aucunement nécessaire de faire naître chez vous une attention que le Saint-Esprit a fait naître lui-même. Allons donc à ce qui nous presse. Nous avons déjà parlé des ruisseaux qui coulent dans les vallées, et des eaux qui coulent au milieu des montagnes : cest là que jen suis demeuré, là quil nous faut reprendre. 2. Voici ce qui suit: « Les bêtes de la forêt boiront 1». Que boiront-elles? Les eaux qui coulent au milieu des montagnes. Que boiront-elles? Ces eaux qui coulent dans les vallées. Qui boira? Les bêtes de la forêt. Cela se voit à la lettre dans les créatures; les bêtes de la forêt boivent aux fontaines et aux ruisseaux 1. Ps. CIII, 11 qui coulent entre les montagnes; mais comme il a plu à Dieu de nous présenter sous des figures les secrets de sa sagesse, non pour les dérober à une sainte curiosité, mais pour fermer aux paresseux une entrée quil ouvre seulement à ceux qui frappent; il a plu à ce même Dieu de vous exhorter par notre bouche à chercher dans ces créatures corporelles et visibles, dont il est ici question, le sens spirituel qui sy cache, et dont la découverte fera notre joie. Par les bêtes de la forêt, nous entendons les nations, et lEcriture en donne plusieurs témoignages. Deux passages surtout nous paraissent très-évidents. Dans larche de Noé, qui est sans aucun doute la figure de lEglise, Dieu naurait pas fait enfermer toutes sortes danimaux 1, sil neût voulu marquer que tous les peuples seraient ralliés dans cette admirable unité; à moins peut-être que nous ne venions à croire que si 1. Gen. VII, 2, 14 525 tous ces animaux étaient détruits par le déluge, Dieu ne pût ordonner à la terre de les reproduire, comme elle en avait produit tout dabord à sa parole 1. Ce nest donc pas en vain, ce nest pas sans raison, ce nest par aucun besoin, ni par impuissance que Dieu fit enfermer les animaux dans larche. Au temps marqué, en effet (car il faut bien produire lautre témoignage de lEcriture, qui a aussi son évidence), au temps marqué, afin daccomplir dans lEglise ce qui était figuré dans larche, comme lapôtre saint Pierre hésitait à livrer aux incirconcis de la gentililé les mystères de lEvangile, et même comme, sans hésiter, il ne croyait devoir le faire aucunement; un jour quil avait faim, et quil voulait manger, il monta pour prier. Voilà ce que comprennent ceux qui lisent lEcriture, et qui savent nous écouter. Or, pendant quil priait, il eut un ravissement desprit, appelé extase chez les Grecs; cest-à-dire que son âme fit taire tout ce qui est corporel, et loin des choses présentes, sadonna à contempler ce quelle voyait. Ce fut alors quil vit un certain vase, semblable à un linceul, suspendu par ses quatre coins, qui descendait du ciel en terre, et qui renfermait des animaux de toutes les espèces; et une voix se fit entendre: « Pierre, tue et mange». Mais Pierre, instruit dans la loi, et qui avait grandi dans les coutumes des Juifs, qui observait les préceptes de Moïse, sans les avoir jamais enfreints, répondit: « Loin de moi, Seigneur, car jamais rien de commun nest entré dans ma bouche ». Ceux qui connaissent les saintes Ecritures, savent que commun, pour les Juifs, signifie impur. Or, la voix lui répondit: « Nappelle point impur ce que Dieu a purifié». Cela se répéta trois fois, et le linceul, qui paraissait descendre du ciel, disparut 2. Ce linceul tenait au ciel par les quatre coins, et signifiait les quatre Parties du monde, lOrient, lOccident, le Nord, le Midi; et parce que lunivers entier était appelé par lEvangile, Dieu a suscité quatre évangélistes . Or, ce linceul qui descend trois fois du ciel marque celte parole adressée aux Apôtres : « Allez, baptisez les nations, au nom du Père s et du Fils, et du Saint-Esprit 3» De là aussi ce nombre douze qui fut celui des Apôtres. Car ce nest pas sans raison que le Christ et voulut avoir douze; et ce nombre était 1. Gen. II, 24. 2. Act. X, 9 -16. 3. Matth. XXVIII, 19. tellement sacré, quà la place de celui qui était tombé, on ne pouvait se dispenser den ordonner un autre. Pourquoi donc douze Apôtres? Parce quil y a quatre parties du monde, et que le monde entier est appelé à lEvangile, de là quatre évangélistes, et tout lunivers appelé au nom de la Trinité à former lEglise : or, trois répété quatre fois forme douze. Ne nous étonnons donc plus que toutes les bêtes des forêts viennent boire aux eaux qui coulent au milieu des montagnes, ou à cette doctrine des Apôtres qui coule au milieu de 1Eglise, par une harmonieuse communion. Toutes étaient en effet dans larche, toutes dans le linceul; Pierre a dû les tuer toutes, les manger toutes, parce que Pierre est la pierre, et que la pierre est lEglise. Mais quest-ce à dire, tuer et manger? Tuer ce quelles étaient, les faire passer dans ses entrailles. Détourner le païen du sacrilège, cest tuer ce quil est; lincorporer à lEglise en lui donnant les sacrements du Christ, cest le manger. 3. Ces bêtes des forêts boivent de ces eaux, mais des eaux qui passent; car toute doctrine que lon prêche aux hommes est passagère comme cette vie. De là cette parole de lApôtre : « La prophétie passera, la science sera abolie ». Pourquoi passeront-elles? « Nous ne voyons quen partie, nous ne prophétisons quen partie, mais quand sera venu ce qui est parfait, tout ce qui est imparfait disparaîtra 1». Car vous ne croyez pas sans doute que, dans cette ville à laquelle on chante : « Chante le Seigneur, ô Jérusalem bénis ton Dieu, ô Sion; parce quil a consolidé les serrures de tes portes 2»; alors que les portes seront fermées et les serrures consolidées, ainsi que nous lavons dit 3, alors que nul ami ne veut sortir, que nul ennemi ne saurait entrer, vous ne croyez point quon y lise des livres, ou quon y fasse des discours, comme nous en faisons maintenant. Nous expliquons ici-bas, afin que vous possédiez là haut; ici-bas nous divisons le verbe en syllabes, afin que là haut vous puissiez le contempler dans son intégrité. Sans doute la parole de Dieu ne vous manquera pas; mais elle ne vous arrivera ni par des sons, ni par des lèvres, ni par la lecture, ni par la prédication. Comment donc? Comme le dit lEvangile. 1. I Cor. XIII, 8-10. 2. Ps. CXLVII, 12, 13. 3. Voyez D c. sur le Ps. LXXXIV, n. 10. 526 « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Car il nest point venu à nous de manière à quitter le ciel, mais: « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui 1». Tel est le Verbe que nous devons contempler. « Le Dieu des dieux apparaîtra en Sion 2 ». Mais quand? Après lexil de cette vie; si toutefois, après cette vie, nous ne sommes point livrés au juge, et si le juge ne nous jette point en prison. Mais si, après cette vie, nous arrivons à la patrie bienheureuse, comme nous en avons et lespoir, et le désir, et limpatience, nous contemplerons alors ce que nous bénirons. Présent à notre amour, il ne voudra point sy soustraire, non plus que nous en finir; festin sacré, il ninspirera aucune lassitude, et ne manquera jamais à notre avidité. Ce sera une sainte et ravissante contemplation. Et qui peut en parler dignement ici-bas, quand les eaux coulent au milieu des montagnes? Quelles coulent alors, ces eaux, quelles coulent au milieu des montagnes; pendant quelles sécoulent, on peut boire dans cet exil, afin de ne point mourir de soif en chemin. « Les bêtes de la forêt en boiront». Cest de là que vous venez, cest de la forêt que vous avez été recueillis. Et de quelle forêt ! Nul homme ne la traversait, parce que nul prophète ny avait été envoyé. Mais pour construire larche, on a coupé des bois dans la forêt; de là sont venus les bois, de là les bêtes, de là nous tous. Buvez donc, buvez. « Toutes les bêtes des forêts en boiront ». 4. « Lonagre y viendra étancher sa soif ». Par lonagre le Prophète veut désigner les grands animaux. Qui ne sait pas que lâne sauvage sappelle onagre ? Il entend par là ceux qui sont grands et insoumis. Les Gentils nétaient point assujettis au joug de la loi beaucoup de peuples vivaient à leur manière, promenant ça et là leur orgueil audacieux, comme dans un désert. Il est vrai que tous les animaux sauvages vivent de la sorte, mais lonagre désigne ici quelque chose de grand. Ils viendront donc étancher leur soif, et les eaux couleront pour eux. Cest là que sabreuve le lièvre, et que sabreuve lonagre le lièvre est petit, lonagre bien plus grand le lièvre est timide, lonagre féroce ; tous deux viennent y boire, mais chacun selon sa 1. Jean, I, 1, 10. 2. Ps. LXXXIII, 8. soif. Leau ne dit point: Je suffis au lièvre, pour rejeter lonagre ; elle ne dit pas non plus : Que lonagre sapproche, mais si le lièvre vient, il sera emporté. Cette eau inspire tant de confiance, coule avec tant de modération, quelle abreuve lâne sans effrayer le lièvre. Voilà quon entend la voix sonore de Cicéron, je lis un de ses livres, un de ses dialogues, ou de Platon, ou de quelque autre philosophe. Des ignorants le comprennent-ils? des hommes dune médiocre intelligence?qui oserait porter si haut ses prétentions? Cest le bruit dune eau, dune eau quelque peu trouble, et.qui coule avec tant de rapidité, quun animal timide comme le lièvre nose y monter pour y boire. Qui, au contraire, a entendu : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre 1, » et na osé sapprocher pour boire ? Qui entend un psaume, et répond Cest trop élevé pour moi ? A la vérité le psaume que nous expliquons est chargé de symboles, et cependant les enfants mêmes prennent plaisir à lentendre, Les ignorants sen approchent pour boire, et nous donner dans leurs chants lexubérance de cette joie qui les rassasie. Les petits animaux viennent donc à cette eau, comme les grands ; mais les grands y puisent davantage, car: «Lonagre y étanchera sa soif ». Que les petits y viennent puiser ce précepte : « Epoux, aimez vos épouses comme le Christ a aimé son Eglise. « Que les femmes soient soumises à leurs maris 2 ». Voilà pour les petits. On dit un jour au Sauveur: « Est-il permis de renvoyer sa femme, pour tout sujet 3 ? » Le Seigneur le défendit, et dit quil nétait point permis. « Ne savez-vous pas », ajouta-t-il, «que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme ? Que lhomme donc ne sépare point ce que Dieu a joint ». Puis il dit encore: « Quiconque renvoie sa femme, si ce nest pour cause de fornication, la rend adultère, et celui qui épouse la femme renvoyée commet ladultère 4 ». Il resserre le noeud du mariage, ce qui convient à celui qui en est lié : que ne prenait-il garde avant de se lier? « Etes-vous lié avec une femme? Ne cherchez point à vous en délier. Navez-vous point de femme ? ne cherchez point à vous marier 5 ». Si tu nes pas encore lonagre, si tu es dégagé de toute femme, tu 1. Gen. I, 1. 2. Ephés. V, 24, 25. 3. Matth. XIX, 3.9. 4. Id. V, 32. 5. I Cor. VII, 27. 527 peux boire ici comme le lièvre : et toutefois tu nas point péché en prenant une épouse. Les disciples, entendant dire au Sauveur, quil nétait permis de dissoudre le mariage, que pour le seul cas de fornication, lui demandèrent : « Sil en est ainsi de lhomme à légard de la femme, il nest pas avantageux de se marier ». Et le Seigneur: « Tous ne comprennent point cette parole 1». Il est vrai en effet quil nest pas avantageux de se marier, si telle est la condition de lhomme avec la femme ; et pourtant, ny aurait-il que lonagre pour boire de ces eaux ? Tous rie comprenant point cette parole, ce nest pas le grand nombre qui la comprend. Qui donc la comprend? « Lonagre y viendra étancher sa soif». Quest-ce à dire: « Lonagre y viendra étancher sa soif? » « Que celui qui peut entendre, entende 2 ». 5. Voici comment continue le texte du psaume : « Les oiseaux du ciel habiteront au dessus 3 ». Au-dessus de quoi? des onagres ou plutôt des montagnes ? Voici en effet doù nous devons chercher un sens: « Les eaux couleront au milieu des montagnes; tous les animaux des forêts viendront sy abreuver; les onagres y boiront à leur soif; et les oiseaux du ciel habiteront au-dessus ». Il paraît plus convenable, dentendre par là les montagnes, puisque nous voyons en effet cela dans la création. Les oiseaux du ciel habitent sur les montagnes, et non sur les onagres voilà le sens que nous prendrions, si nous y étions contraints. Nous voyons beaucoup doiseaux habiter les montagnes, mais il en est beaucoup aussi pour demeurer dans les plaines, beaucoup dans les vallées, beaucoup dans les bois, beaucoup dans les jardins, tous ne sont point sur les montagnes. Toutefois, il y a des oiseaux qui nhabitent que les montagnes seulement. Cette dénomination désigne quelques âmes tout à fait spirituelles. Ces oiseaux désignent ces âmes élevées, qui volent librement en plein air. La joie de ces oiseaux, cest la sérénité de lair, et pourtant ils paissent sur les montagnes ; cest là quils habitent, Vous connaissez les montagnes, déjà nous en avons parlé. Les Prophètes sont des montagnes, les Apôtres des montagnes, les prédicateurs de la vérité des montagnes. Cest là que doit habiter quiconque veut être spirituel ; quil ne ségare point dans les pensées 1. Matth, XIX, 10 -12. 2. Id. 12. 3. Ps. CIII, 12. de son coeur ; quil y habite, quil sy élève par ses efforts. Il y a des oiseaux qui ont une signification symbolique. Ce nest pas en effet sans raison quil est dit : « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de laigle 1 ». Ce nest pas en vain quil est dit dAbraham qu « il ne divisa point les oiseaux 2 ». Dans ce sacrifice tout à fait mystérieux, Abraham prit trois sortes danimaux, un bélier de trois ans, une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, une tourterelle et une colombe. Il partagea le bélier, et en mit les parties vis-à-vis lune de lautre. Il partagea la chèvre, et en mit les parties, lune vis-à-vis de lautre; il partagea la génisse, dont il mit les parts dans le même ordre, et lEcriture ajoute qu « il ne divisa point les oiseaux 2». On remarque aussi que le bélier avait trois ans, la génisse trois ans, la chèvre trois ans : il nest rien dit de lâge des oiseaux. Pourquoi, je vous le demande, sinon parce que les oiseaux désignent ces hommes spirituels , qui ne comptent point les années des temps, occupés quils sont des années de léternité, et qui sélèvent au-dessus des choses de cette vie, par la charité, par lélan de lesprit? Tels sont les hommes spirituels qui jugent de tout et ne sont jugés par personne 3 : de là vient quils ne forment aucune secte ni par le schisme, ni par lhérésie. Le bélier désigne dans lEglise les pasteurs qui conduisent le troupeau. La génisse désigne le peuple juif, qui a porté le joug de la loi, qui lui était pénible. Quant à la chèvre, elle marque lEglise venue de la gentilité, qui bondissait en toute liberté dans ses forêts, et sy nourrissait de bourgeons amers et sauvages. Les trois années de ces animaux, désignent le troisième âge, ou lâge de la révélation de la grâce. Le premier âge devança la loi, le second suivit la publication de la loi, et le troisième est lâge actuel, depuis qué lon nous prêche le royaume des cieux. Eh quoi donc? disons-nous que le bélier ne fut point divisé? Ne sest-il point trouvé dévêques fauteurs de schismes et dhérésies? Si leurs peuples ne sétaient point divisés, si la génisse, si la chèvre neussent pas été divisées, peut-être eussent-ils rougi de leurs divisions, et fussent-ils rentrés dans le bercail. Les chefs se divisent donc, les peuples se divisent, laveugle suit laveugle, et tous deux tombent dans la fosse 4. Ils sont en face lun 1. Ps. CII, 5. 2. Gen. XV, 10. 3. I Cor. II, 15. 4. Matth. XV, 14. 528 de lautre. « Mais les oiseaux ne sont point divisés ». Car les hommes spirituels ne connaissent ni schismes ni divisions. La paix est en eux-mêmes, ils la gardent chez les autres autant quils le peuvent, et quand elle vient à défaillir chez les autres, ils la gardent en eux-mêmes. « Sil y a là un fils de la paix, votre faix reposera sur lui, sinon elle retournera vers vous 1». Cet homme nest-il pas un enfant de la paix ? A-t-il voulu être divisé ? Votre paix retournera sur vous, car Abraham ne divisa point les oiseaux. Viendra la fournaise, car Abraham se tint là jusquau soir, et alors il éprouva linvincible terreur du jugement. Car ce soir est la fin du monde, et cette fournaise le jour du jugement à venir. La fournaise divisa aussi ce qui était divisé 2. En passant par le milieu elle voit des parties à droite et dautres à gauche. Il y a donc des hommes charnels, qui sont néanmoins dans le giron de lEglise, dautres qui vivent dune certaine manière choisie par eux, et nous font craindre pour eux la séduction des hérétiques. Tant quils sont charnels, ils sont divisibles, « Abraham ne divisa point les oiseaux », mais on divise les hommes charnels. « Je nai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais bien comme à des hommes charnels». Et comment leur prouve-t-il que les hommes charnels se divisent ? Ecoutez ce quil ajoute : « Quand chacun de vous dit: Moi je suis à Paul, moi je suis à Apollo, moi à Céphas, nêtes-vous point charnels, et ne marchez-vous pas à la manière de lhomme 3 ? » Je vous en supplie, mes frères, écoutez, et mettez à profit: secouez tout ce quil y a de charnel en vous, passez à létat de colombe et de tourterelle. Car les oiseaux ne furent point divisés. Mais quiconque demeurera charnel, quiconque vivra dune manière qui convient aux personnes charnelles, sans toutefois se retirer du giron de lEglise, ni céder aux séductions de lhérésie pour passer au parti contraire, la fournaise viendra pour lui, et sans la fournaise il ne peut être mis à droite. Sil ne veut passer par la fournaise, quil devienne tourterelle ou colombe. Que celui qui peut comprendre comprenne. Sil nen est pas ainsi, et « quil bâtisse sur le fondement avec du bois, du foin, de la paille »; sil élève sur le fondement de la foi, lédifice des convoitises charnelles, mais en conservant le 1. Luc, X, 6. 2. Gen. XV, 9-17. 3. I Cor. I, 12, 13; III, 1-15. Christ à sa base, en lui donnant dans le coeur la première place, en ne lui préférant rien autre chose ; on supporte ces sortes de personnes, on les tolère : viendra la fournaise qui brûlera 1e bois, le foin et la paille: « Mais lui, sera sauvé, et néanmoins comme en passant par le feu 1». Tel sera leffet de la fournaise, de mettre les uns à gauche, et ceux quelle aura épurés à la droite. « Abraham ne divisa point les oiseaux ». Cest aux oiseaux à voir sils sont des oiseaux, à demeurer sur les montagnes. Ils ne doivent point suivre leurs pensées altières comme ceux dont il est dit : « Ils ont ouvert leur bouche contre le ciel 2 ». Quils reposent sur les montagnes pour nêtre pas emportés par les vents. Ils ont lautorité des saints : quils reposent sur les montagnes, sur les Apôtres, sur les Prophètes. Cest là que doivent habiter de tels oiseaux, qui trouvent sur les montagnes des rochers, ou la solidité des préceptes divins, De même en effet que cette pierre unique est le Christ, le Verbe de Dieu, de même plusieurs verbes ou paroles de Dieu, sont plusieurs pierres, et ces pierres sont des montagnes. Vois les oiseaux qui habitent ces lieux : « Les oiseaux du ciel y habiteront». 6. Ne va point timaginer, toutefois, que ces oiseaux du ciel suivent leur propre sentiment ; vois ce que dit le psaume : « Leurs voix retentiront du milieu des pierres 3». Si je vous disais maintenant: Croyez, voilà ce que dit Cicéron, ce que dit Platon, ce que dit Pythagore, qui dentre vous ne rirait de moi? Je serais alors un oiseau dont la voix ne retentirait point de la pierre. Que devrait me dire chacun dentre vous? Que devrait me dire quiconque a entendu cette parole: « Anathème à quiconque vous annonce un évangile autre que celui que vous avez reçu 4?» A quoi bon me parler de Platon, de Cicéron, de Virgile ? Tu as devant toi les pierres des montagnes, fais entendre la voix du milieu de ces pierres. « Leurs voix retentiront du milieu des pierres ». Quon écoute ceux qui écoutent la pierre ; quon les écoute, parce que dans toutes ces pierres, cest la pierre que lon écoute: « La pierre était en effet le Christ 4 ». Quon écoute avec empressement ceux qui font entendre leur voix du milieu des pierres, rien nest plus mélodieux que 1. I Cor, I, 12, 13; III, 1-15. 2. Ps. LXXII , 9. 3. Gal. 1, 9. 4. I Cor. X, 4. 529 la voix de ces oiseaux. Ils chantent, et les pierres en retentissent: ils chantent, les hommes spirituels ont des colloques spirituels; les pierres en retentissent, lEcriture leur rend témoignage. Cest ainsi que les oiseaux font entendre leurs voix du milieu des pierres, et habitent les montagnes. 7. Mais à ces montagnes et à ces pierres doù vient la voix? Pour avoir la rosée des saintes Ecritures, nous avons recours à lapôtre saint Paul. Mais à lui doù vient cette rosée? Nous recourons à Isaïe. Mais où Isaïe va-t-il la puiser ? Ecoute : « De ses hauteurs Dieu arrose les montagnes 1». Quun homme, un païen, un incirconcis vienne à nous, pour embrasser la foi du Christ, nous lui donnons le baptême, sans le ramener aux oeuvres de la loi. Quun juif nous demande pourquoi nous en agissons de la sorte, nous faisons retentir la pierre, et nous disons : Voilà ce qua fait Pierre, ce qua fait Paul, nous faisons retentir nos voix du milieu des pierres. Mais cette pierre, ou plutôt Pierre, la grande montagne, quand il priait et avait sa vision, recevait la rosée den haut. Lapôtre saint Paul dit aux Gentils: « Si vous recevez la circoncision, le Christ ne vous servira de rien 2 ». Ainsi dit Paul, cette montagne élevée : voilà ce que nous disons après lui, et parlant du milieu de la pierre. Que Dieu arrose den haut cette pierre. Car elle était encore dans la rudesse de linfidélité, lorsque le Seigneur, pour larroser de ses hauteurs, afin quil en coulât des eaux dans les vallées, lui cria : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 3? » Il ne lui lit point un Prophète, il ne lui cite point un Apôtre, une montagne aussi élevée eût dédaigné tout cela; Dieu donc larrosa de ses hauteurs, et aussitôt quil fut arrosé, il voulut couler : « Seigneur » ,dit-il, « que faut-il que je fasse 4 ? » Prenez cette montagne, prenez cette pierre, doù vous pouvez faire éclater votre voix, prenez-la, et voyez comme elle est arrosée den haut, comme leau en jaillit dans les parties basses. Vois ces deux vérités dans un même passage : « Que nous soyons hors de nous-mêmes, cest pour Dieu ; que nous soyons calmes, cest pour vous 4 ». Ce quil dit ici: « Nous sommes ravis en esprit », cest là que vous ne pouvez atteindre. Nous nous 1. Ps. CIII, 13. 2. Gal. V, 2. 3. Act. IX, 4. 4. Id. 6. 5. II Cor, V, 13. élevons bien au-dessus de tout ce qui est charnel, tandis que vous êtes charnels encore. Cest donc pour Dieu que nous sommes ravis en esprit, et ce que nous voyons dans ces ravissements, nous ne pouvons le redire. « Cest là que nous avons entendu de ces ineffables paroles, quun homme ne peut répéter 1». Quoi donc, diront ces hommes charnels, ces lièvres, ne serons-nous donc point arrosés, nous aussi ? rien ne nous arrivera-t-il ? Comment alors Dieu fait-il jaillir ses fontaines dans les vallées ? Comment ces eaux passeront-elles au milieu des montagnes ? Cest à quoi répond saint Paul: « Soit que nous soyons calmes, cest pour vous ». Pourquoi? Qui voulons-nous imiter en cela ? « Cest la charité de Jésus-Christ qui nous presse », dit lApôtre. O toi, qui es participant du Verbe, toi spirituel aujourdhui, hier encore charnel, dédaignerais-tu de te rabaisser jusquau niveau des hommes charnels, quand le Christ sest fait chair pour habiter parmi nous 3? 8. Bénissons donc le Seigneur, et chantons celui qui de ses hauteurs arrose les montagnes. Cette rosée descendra de là sur la terre, et ce quil y a de plus bas sera rassasié; car le Prophète ajoute : « La terre sera u rassasiée du fruit de vos oeuvres ». Quest-ce à dire, « du fruit de vos oeuvres? » «Que nul ne se glorifie dans ses oeuvres, mais que celui qui se glorifie le fasse dans le Seigneur 4». Si elle est rassasiée, cest par votre grâce ; et quelle ne dise point que la grâce lui a été donnée à cause de ses mérites. Si cest une grâce, elle est donnée gratuitement; si Dieu la donnait en échange des oeuvres, elle serait une récompense 5. Reçois donc gratuitement, puisque dimpie tu es devenu juste. « La terre sera rassasiée du fruit de vos oeuvres ». 9. « Il produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le service de lhomme 6». Cela est vrai, je le vois, je reconnais la création; la terre produit du foin pour les animaux, et des plantes pour le service de lhomme. Mais le Seigneur a dautres animaux désignés par cette parole : « Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le grain ». Un de ces boeufs mystérieux sécrie : « Dieu se met-il donc en peine des boeufs? » Cest pour 1. II Cor. XII, 4. 2. Id. V, 13, 14. 3. Jean, I, 14. 4. I Cor, I, 31. 5. Rom. IV, 4, 5. 6. Ps. CIII, 14. 530
nous que lEcriture tient ce langage. Comment donc la terre produit-elle du foin pour les bêtes de somme? « Cest que Dieu a réglé que ceux qui prêchent lEvangile, doivent vivre de lEvangile ». Il a envoyé des prédicateurs, et leur a dit : « Mangez tout ce que lon vous présentera, car louvrier est digne de son salaire 1 ». Après leur avoir dit : « Mangez ce que lon mettra devant vous »; de peur quils ne répondent: Irons-nous donc, lorsque nous aurons faim, nous présenter à la table des hommes, nous commandez-vous cette effronterie ? Non, dit le Sauveur, ce nest point un don qui vous sera fait, mais une récompense que vous recevrez. Une récompense de quoi? Que donnent-ils? Que reçoivent-ils ? Ils donnent le spirituel, ils reçoivent le temporel. Ils donnent de lor et reçoivent du foin. « Car toute chair nest que foin, tout éclat de la chair nest que la fleur dune herbe 2 ». Tous ces biens temporels, qui sont chez toi abondants et superflus, ne sont que le foin des animaux. Pourquoi ? Parce que ce sont des biens charnels. Ecoute à quels animaux ils servent de nourriture : «Si nous avons semé des biens spirituels, est-ce beaucoup de recueillir quelque peu, de vos biens du temps?» Voilà ce que disait lApôtre, ce prédicateur si laborieux, si courageux, si infatigable, qui rendait même à la terre son foin. « Pour moi, dit-il, je nai fait aucun usage de tout cela ». Il montre ce quon lui doit, sans laccepter néanmoins, mais sans condamner ceux qui recevaient ce qui leur était dû. Ils eussent été condamnables daccepter ce qui nétait point dû, mais non daccepter leur récompense : bien que pour lui, il abandonne cette récompense. Quun homme te remette ce que tu dois, tu nen es pas moins débiteur envers un autre; en ce cas, tu ne serais plus une terre arrosée, et produisant du foin pour les animaux. « La terre sera rassasiée de tes fruits; elle produira du foin pour les bêtes de somme ». Quant à toi, ne sois point stérile, produis du foin pour les bêtes de somme; si elles ne veulent pas de ton foin, ne sois pas stérile pour cela. Tu reçois des biens spirituels, donne dès biens temporels : on doit la solde au milicien, donne-lui sa solde, tu es lintendant du Christ. « Qui marche à la guerre à ses propres dépens? Qui plante une vigne sans en goûter le 1. Luc, X, 7,8. 2. Isa. XL, 6. fruit? Qui fait paître le troupeau, sans avoir « quelque part à son lait? » Je ne vous tiens pas ce langage pour que vous en agissiez de la sorte à mon égard. Sil se trouve un milicien pour remettre sa solde à lintendant, que lintendant paie toujours la solde. Et pour parler avec David, ce sont des bêtes de somme; or: « Ne liez pas la bouche au boeuf qui foule le grain 1. La terre produit du foin pour les bêtes de somme » ; et comme pour expliquer cette parole, il ajoute : « Et des plantes pour le service des hommes ». De peur que tu ne comprennes point ces paroles: que « la terre produit du foin pour les bêtes de somme». Il les explique en répétant ce quil a dit dabord. Ce quil avait appelé « foin», il lappelle ensuite « une herbe», et ce quil appelait « bêtes de somme », il lappelle «service de lhomme ». Cest donc pour la servitude, et non pour la liberté. Que devient cette parole : « Vous êtes appelés à la liberté 2? » Mais écoute le même Apôtre: « Libre à légard de tous, je me suis fait le serviteur de tous, pour les gagner en plus grand nombre 3 ». A qui dit-il : «Vous êtes appelés à la liberté?» Que dit-il ensuite? « Gardez-vous seulement dabuser de cette liberté pour vivre selon la chair? Mais assujettissez-vous les uns aux autres par la charité 4 ». Le voilà qui asservit ceux quil appelait tout à lheure à la liberté; toutefois ils ne sont point assujettis par condition, mais par la rédemption du Christ, non par la nécessité, mais par la charité, «Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité » , dit saint Paul. Nous sommes serviteurs du Christ, me répondra quelquun, mais non de la populace, non des hommes charnels, non des faibles, Tu nes vraiment serviteur du Christ, quen servant ceux dont le Christ a été serviteur. Nest-il pas dit de lui, qu « il a été le serviteur de plusieurs? » Le Prophète la dit, et on ne peut lentendre que du Christ. Ecoutons cependant ce quil dit lui-même dans lEvangile : « Quiconque veut être le plus grand, sera votre serviteur 5». Il te fait donc mon serviteur, celui qui ta fait libre par son sang. Parlez-nous de la sorte, et vous direz vrai. Ecoute un autre passage: « Nous sommes vos serviteurs par Jésus-Christ 6 ». Aimez donc vos serviteurs, mais serviteurs dans le Christ. Quil nous donne
1. Deut. XXIV, 4. 2. Gal. V, 13. 3. I Cor. IX, 7-19. 4. Gal, V, 13. 5. Matth. XX, 16. 6. II Cor. IV, 5. 531 dêtre de bons serviteurs. Car, de gré ou de force, il nous faut servir : et si nous servons volontairement, nous servons par charité, non par nécessité. Car cet orgueil des serviteurs se soulevait en quelque sorte à cette parole du Seigneur: « Quiconque voudra être le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Déjà les fils de Zébédée lui avaient demandé les premières places : lun voulait sasseoir à sa droite et lautre à sa gauche, et ils faisaient demander par leur mère ce quils désiraient. Sans leur refuser ces places, le Seigneur leur montra cette vallée de larmes, comme pour leur dire : Voulez-vous venir où je suis moi-même? venez par le même chemin. Quest-ce à dire, par le même chemin? Par lhumilité. Je suis venu den haut, et cest de si bas que je remonte : je vous ai trouvés sur la terre, et vous prétendez voler avant davoir pris des forces : nourrissez-vous dabord, fortifiez-vous, et supportez votre nid. Que dit-il? Comment rappeler à lhumilité ces disciples qui recherchent déjà la grandeur ? « Pouvez-vous boire le calice que je « boirai moi-même? » Et eux, orgueilleux jusque dans la réponse : « Nous le pouvons », dirent-ils; de même que Pierre dira plus tard : « Je vous suivrai jusquà la mort». Il montre du courage, mais jusquà ce quune femme dise: « Celui-ci était aussi avec eux 1 ». «Nous le pouvons », disent les deux frères. «Pouvez-vous? Nous pouvons». Quant au Christ: «Vous boirez à la vérité mon calice », bien que vous ne le puissiez maintenant : « Vous le boirez » néanmoins: comme le Sauveur avait dit à Pierre : « Tu ne saurais me suivre » aujourdhui; tu me suivras plus tard 2. Vous boirez à la vérité mon calice; mais quant à vous asseoir à ma droite ou à ma gauche, il ne mappartient pas de vous le donner 3 ». Quest-ce à dire: « Il ne mapparu tient pas de vous le donner ? » Il ne mappartient pas de le donner à des orgueilleux. Or, vous êtes orgueilleux, vous à qui je madresse; et dès lors: « Il ne mappartient pas de vous le donner». Mais, diront-ils, nous deviendrons humbles. Vous ne serez donc plus ce que vous êtes, et cest à vous tels que vous êtes que jai parlé. Je nai point dit que je ne le donnerai pas aux humbles, mais bien : Je ne le donnerai pas aux superbes. Or, que lorgueilleux devienne humble, il nest plus ce quil était, 1. Matth. XXVI, 35, 69. 2. Jean, XIII, 36. 3. Matth. XX, 20-27. 10. Donc les prédicateurs du Verbe sont tout à la fois, selon les Ecritures, bêtes de somme, et esclaves. Dès quelle est arrosée, que la terre produise, « du foin pour les bêtes de somme, et des plantes pour le service des hommes ». Car le fruit désiré, cest que lon, puisse faire ce qui est prescrit dans 1Evangile : « Afin quils puissent vous recevoir dans les tabernacles éternels ». Vois ce que tu peux faire du foin, acheter à un prix aussi vil. « Afin quils vous reçoivent dans les tabernacles éternels ». Afin quils vous reçoivent où ils seront eux-mêmes. Pourquoi? « Parce que recevoir un juste, au nom du juste, cest recevoir la récompense du juste; et recevoir un Prophète, au nom du Prophète, cest recevoir la récompense du Prophète; et quiconque donnera un verre deau froide au nom dun disciple et au moindre dentre les miens, je vous le déclare, celui-là ne perdra point sa récompense 2». Quelle récompense ne perdra-t-il point? Ils vous recevront dans les tabernacles éternels. Qui , dès lors, ne se hâterait point? qui ne courrait avec ardeur à ces récompenses? Si vous êtes une terre, soyez arrosés du fruit des oeuvres de Dieu, et ne dites point: Il ny a personne envers qui nous puissions agir en charité; nos prédicateurs, ces boeufs mystérieux qui foulent le grain, ces hommes qui nous servent, nont aucun besoin de nous. Cherche néanmoins, de peur quun seul nen ait besoin; et quenfin; celui qui na aucun besoin, trouve en toi de quoi refuser. Car il accueillera toujours ta bonne volonté quand tu recevras sa paix. Car sil ne cherche point le don,, il cherche néanmoins le fruit 3. Cherche donc, de peur que quelquun ne se trouve dans le besoin; et ne dis point: Je donnerai, sil me demande. Tu attends quil te demande ? Peux-tu traiter le boeuf du Seigneur, comme le mendiant qui passe à ta porte? Tu donnes à ce dernier quand il te demande, ainsi quil est écrit : « Donne à quiconque te demande 4 ». Mais quest-il écrit de tout autre? « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et lindigent 5 ». Cherche à qui donner : « Bienheureux celui qui a lintelligence du pauvre et de lindigent », qui devance la prière du mendiant. Ainsi il est parmi vous des soldate du Christ, pressés par le besoin au 1. Luc, XVI, 9. 2. Matth. XVI, 41, 42. 3. Philipp. IV, 17. 4. Luc, VI, 30. 5. Ps. XL, 2. 532 point de mendier. Prenez garde quils ne vous jugent, avant de vous solliciter. Comment, dites-vous, men informer? Soyez curieux, ayez de la prévoyance ; voyez, examinez la vie de chacun, comment il subsiste, quel est son revenu : cest là une curiosité qui nest point répréhensible. Tu seras alors une terre, « qui produira du foin pour les bêtes de somme, et des plantes pour le service des hommes ». Sois curieux, et comprends les besoins du pauvre et de lindigent. Voici que lun vient à toi pour demander; préviens lautre, afin quil ne demande point. De même quil est dit de lun: «Donne à quiconque te demande»; il est dit de lautre : « Que ton aumône sue dans ta main, jusquà ce que tu rencontres un juste pour la lui donner ». Il faut donner, il est vrai, aux pauvres qui vous demandent, puisque Dieu ne détourne point de ces mendiants nos aumônes, et que le Christ nous dit : « Si vous faites un festin, appelez-y les aveugles, les boiteux, les malades, ceux qui nont point de quoi vous rendre, et Dieu vous le rendra à la résurrection des justes 1 ». Invite-les donc, nourris-les : mange, quand ils mangent; réjouis-toi quand ils sont rassasiés, car ils se rassasient de ton pain, et toi de la justice de Dieu, Quon ne vienne point me dire, que le Christ a commandé de donner au serviteur de Dieu, mais pas au mendiant. Loin de là; cette maxime est impie. Donne à lun, mais encore plus à lautre. Lun demande, et dans la prière de celui qui demande, vous savez à qui donner; quant àlautre, moins il demande, et plus tu dois veiller à prévenir sa demande : peut-être même, sans rien te demander aujourdhui, te condamnera-t-il un jour. Ayez donc, mes frères, une sainte curiosité pour toutes ces indigences, et vous trouverez dans lindigence bien des serviteurs de Dieu; il sagit seulement de vouloir les trouver. Mais vous aimez lexcuse; comme vous êtes bien aises de dire: Nous ne savions pas; voilà pourquoi vous ne trouvez point. 11. Le Seigneur avait lui-même une bourse 2, où lon mettait ce qui était nécessaire pour subsister; et lon gardait de largent pour son usage et lusage de ceux qui le suivaient; et il nest pas faux de dire de lui avec lEvangile: « Il eut faim 3 ». Cest pour toi quil voulut 1. Luc, XIV, 13, 14. 2. Jean, XIII, 29. 3. Matth. XV, 2; XXI, 18. avoir faim, de peur que tu ne sois réduit à la faim en celui qui est devenu pauvre, de riche quil était, afin que nous fussions enrichis de sa pauvreté 1. Il avait donc une bourse, et il est dit de quelques saintes femmes, quelles le suivaient dans ses courses évangéliques, et quelles lentretenaient de leur bien propre. Ces femmes sont nommées dans lEvangile, et il y avait avec elles lépouse dun certain Chuza, intendant de la maison dHérode 2. Vois ce qui se passait alors. Paul devait venir, ne demandant rien de semblable, et remettant toute paie aux intendants. Mais comme un grand nombre dinfirmes devaient exiger cette solde, voilà que le Christ personnifie en lui les infirmes. Paul agit-il plus généreusement que le Christ? Le Christ est plus généreux, parce quil est plus miséricordieux. Il voyait que Paul refuserait un jour ces soulagements, mais il ne voulut pas condamner ceux qui les exigeraient, et il donna lexemple aux plus faibles. De même, prévoyant que plusieurs accepteraient les douleurs et iraient avec joie au martyre, quils tressailliraient dans les souffrances, quils seraient forts et produiraient cent pour un dans les greniers du Père céleste, mais prévoyant aussi que bien des faibles se troubleraient aux approches de la passion, il voulut, dans sa propre passion, se les identifier à lui-même, afin quils ne fussent point abattus, mais quils conformassent leur volonté à la volonté de Dieu; aussi dit-il: « Mon âme est triste jusquà la mort»; et ensuite : « Mon Père, sil est possible, que ce calice séloigne de moi ». Il parle dabord comme linfirme, afin de montrer à linfirme ce quil doit faire : « Toutefois, ô mon père, non point ce que je veux, mais ce que vous voulez 3 ». Ainsi donc, de même que dans sa passion, le Christ a voulu se revêtir de la personne des faibles, qui ne laissent point dêtre ses membres; et quil na pas été dit en vain : « Vos yeux ont vu toute mes imperfections, leur nombre est consigné dans votre livre 4»; de même il est revêtu de la personne des pauvres, quand il a tenu une bourse, et a en quelque sorte exigé la solde quil ne demandait point, mais quon avait soin de lui donner. Zachée le reçoit, et en tressaille de joie 5. A qui doit profiter cette réception? Au Christ ou à Zachée? En vérité, si Zachée ne
1. II Cor. VIII, 9. 2. Luc , VIII, 3. 3. Matth. XXVI, 38, 39. 4. Ps. CXXXVIII, 18. 5. Luc, XIX, 6. 533 le recevait point, le Créateur du monde naurait-il donc point où demeurer? Ou si Zachée ne lui donnait point à manger, serait-il dans lindigence, celui qui avec cinq pains nourrit tant de milliers dhommes? Recevoir donc un saint, cest un avantage pour celui qui reçoit, et non pour celui qui est reçu. Pendant une famine Elie nétait-il pas nourri ? Un corbeau ne lui apportait-il point du pain et de la viande, la créature servant ainsi le serviteur de Dieu 1? Et pourtant ce Prophète fut envoyé chez une veuve, non pour que le soldat, mais pour que lintendant reçût une solde. l2. Nous le disions donc, mes frères, le Seigneur avait une bourse doù lon tirait pour nourrir les pauvres, et néanmoins quand il dit à Judas, qui devait le trahir: « Fais promptement ce que tu fais »; les autres, ne comprenant point ce quil disait, crurent quil lui ordonnait de préparer au pauvre quelque aumône. Car Judas tenait largent, au témoignage de lEvangile 2.Cette pensée eût-elle pu venir aux disciples, si le Seigneur neût eu cette coutume ? Sur ces deniers quon lui donnait et que lon mettait en bourse, il y avait une part pour les pauvres, que Dieu nous apprend à ne point mépriser. Mais si tu ne méprises point ce pauvre, combien moins dois-tu mépriser ce boeuf mystérieux qui foule dans laire de lEglise? Combien moins son serviteur? Sil na pas besoin de nourriture, il lui faut peut-être un vêtement. Sil na pas besoin de vêtement, il lui faut peut-être un abri, peut-être construit-il une Eglise, ou fait-il dans la maison de Dieu quelque réparation urgente. Il attend que tu le comprennes, que tu aies lintelligence du pauvre et de lindigent. Mais toi, comme une terre dure, pierreuse, sans rosée, ou arrosée vainement, tu te réserves cette excuse: Je ne savais rien de cela, je lignorais complètement, nul ne men a parlé. Nul ne te la dit? Mais Jésus-Christ ne cesse de dire, mais le Prophète ne cesse de dire : « Bienheureux celui qui a lintelligence du pauvre et de lindigent 3 ». Tu ne vois point si la caisse de ton pasteur est vide? Mais tu vois du moins cette église qui sélève, et où tu dois aller prier. Ne frappe-t-elle pas tes regards? A moins peut-être, mes frères, que vous ne croyiez que vos pasteurs thésaurisent : et moi, jen connais un bon nombre qui, loin de thésauriser, nont pas de 1. III Rois, XVII, 6. 2. Jean, XIII, 27-29. 3. Ps. XL, 2. quoi vivre tous les jours, et dont on ne soupçonne pas le besoin : et vous les trouveriez, si vous le vouliez, si vous y apportiez quelque attention, quelque vigilance, afin de donner du fruit, comme une bonne terre. Jai dit à ce sujet tout ce que jai pu, et autant que jai pu. Je me persuade que je suis assez connu de vous, comme dit saint Paul, et que vous ne croyez point que jaie parlé de la sorte pour attirer sur moi vos largesses. Dieu veuille que, je naie point parlé en vain; Dieu veuille que vous soyez une terre bien arrosée, et non une terre pierreuse comme les Juifs, qui méritèrent de recevoir la loi sur des tables de pierre; mais une terre fertile, une terre arrosée qui produit pour le laboureur. Ils donnaient la dîme, ces hommes au coeur de pierre, comme le marquaient leurs tables de pierre. Vous soupirez, et cependant rien ne sort. Si vous gémissez, soyez en travail, et si vous êtes en travail, enfantez. Pourquoi ces vains gémissements, ces gémissements stériles? Vos entrailles se déchirent, et ce qui est à lintérieur ne paraîtra-t-il point ? « Dieu, de ses hauteurs, arrose les montagnes, et la terre sera rassasiée du fruit de ses oeuvres ». Bienheureux ceux qui écoutent ces vérités, bienheureux ceux qui les écoutent avec fruit, bienheureux ceux qui ne chantent pas en vain: « La terre sera rassasiée du fruit de vos oeuvres : cest vous qui produisez le foin pour les bêtes de somme, et les plantes pour le service des hommes ». Pourquoi? « Afin de tirer le pain de la terre ». Quel pain? le Christ. De quelle terre? de Pierre, de Pan!, des autres dispensateurs de la vérité. Ecoute que cest bien une terre: « Nous avons ce trésor », dit saint Paul, « dans des vases dargile, afin quon reconnaisse léminence de la force de Dieu 1 ». « Il est le pain descendu du ciel 2», afin dêtre tiré de la terre, quand il est annoncé par la voix de ses serviteurs. La terre produit du foin, afin de tirer le pain de la terre. Quelle terre produit du foin? Les peuples pieux, les peuples fidèles. De quelle terre doit-on tirer le pain? Ce pain est le Verbe qui doit nous venir par les Apôtres, par les dispensateurs des sacrements de Dieu, pendant quils vivent sur la terre, et quils ont un coeur terrestre. 13. « Et le vin qui réjouit le coeur de lhomme 3 ». Que nul ici ne se promette 1. II Cor. IV, 7. 2. Jean, VI, 41. 3. Ps. CIII, 15. 534 livresse, ou plutôt que tout homme se prépare à livresse. « Quelle splendeur dans votre coupe enivrante 1 ! » Nous ne disons point: Que nul ne senivre. Au contraire, enivrez-vous, mais voyez à quel calice. Si vous vous enivrez au splendide calice du Seigneur, cette ivresse paraîtra dans vos oeuvres, elle paraîtra dans lamour sacré de la justice, elle paraîtra dans le ravissement de votre esprit, transporté de la terre au ciel. « Et lhuile qui parfume son visage». Je vois quel fruit produit la terre, puisquelle produit du foin pour les bêtes de somme. Ils ne vendent point ce quils donnent, car ils ne vendent point lEvangile : ils donnent gratuitement ce quils ont reçu gratuitement. Ils se réjouissent de vos bonnes oeuvres, parce quelles vous sont utiles : car ils ne recherchent point ce que vous leur donnez, mais le fruit que vous en tirez. Quest-ce en effet que la face embellie par lhuile? Cest la grâce de Dieu, un certain éclat qui rejaillit au dehors, comme la dit lApôtre: « Lesprit est donné à chacun pour la manifestation 2 ». Une certaine grâce qui se transmet dun homme à un autre, et leur concilie un saint amour, prend le nom dhuile à cause de son éclat divin : et comme elle a paru dans le Christ dune manière suréminente, tout lunivers lembrasse dun saint amour. Autrefois méprisé sur la terre, il est aujourdhui adoré dans le monde entier: « Car à lui appartient lempire, et il dominera les nations 3 ». Telle est aujourdhui leffusion de sa grâce, que beaucoup qui ne croient pas en lui, le bénissent, et sexcusent de ne point croire en lui, parce quil commande ce que lon ne peut accomplir. Les louanges les retiennent, eux qui sévissaient avec outrage. Il a néanmoins lamour de tous, la bénédiction de tous, parce quil est le Christ, ou loint par excellence. Car Christ signifie oint; du chrême divin est venu le nom de Christ Messie, en hébreu, signifie Christ en grec, et oint en latin. Mais le Christ oint tout son corps. Tous ceux qui viennent à lui reçoivent sa grâce, et lhuile embellit leur face. 14. « Et que le pain fortifie le coeur de lhomme 4 ». Le Prophète nous force en quelque sorte à comprendre quel est ce pain. Ce pain visible que nous mangeons ne fortifie que lestomac, que les entrailles; il est un autre pain qui fortifie le coeur, parce quil 1. Ps. XXII, 5. 2. I Cor. XII, 7. 3. Ps. XXI, 29. 4. Id. CIII, 16. est le pain du coeur. Déjà plus haut, le Prophète avait dit, en parlant du pain: « Afin de tirer le pain de la terre », mais il navait point dit quel était ce pain. « Et le vin réjouit le coeur de lhomme ». Il semble parler ici dun vin spirituel; car tel est le vin qui réjouit le coeur de lhomme. On pouvait croire toutefois quil nest question que dun vin ordinaire, car ceux qui en sont enivrés paraissent avoir la joie au coeur. Puissent-ils avoir une joie véritable, et non une joie querelleuse! Mais, diras-tu, quoi de plus joyeux quun homme ivre? Et aussi quoi de plus insensé? Quoi de plus irascible? Il est donc un vin qui réjouit le coeur de lhomme, et qui na pas dautre effet, Mais ne timagine pas que lon peut parler ainsi dun vin spirituel, et non dun pain, car le Psalmiste nous montre aussi que ce pain est spirituel encore, quand il nous dit: « Et que le pain fortifie le coeur de lhomme ». Il faut donc lentendre du pain aussi bien que du vin, en avoir une faim intérieure, comme une soif intérieure. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 1 ». Ce pain cest la justice, ce vin cest la justice: cest la vérité, et la vérité cest le Christ 2. « Je suis», dit-il, « le pain de la vie, descendu du ciel 3 » Et encore: « Je suis la vigne, vous les sarments 4. Et que le pain affermisse le coeur de lhomme ». 15. « Les arbres des campagnes seront rassasiés » : de cette même grâce tirée de la terre. « Les arbres des campagnes » sont la populace chez les peuples. « Et les cèdres du Liban quil a plantés 5 ». Les cèdres du Liban désignent les puissants du siècle, qui seront aussi rassasiés. Le pain, le vin, lhuile du Christ sont parvenus aux hommes puissants, aux nobles, aux rois; les arbres des champs sont rassasiés. Les humbles furent tout dabord rassasiés, ensuite les cèdres du Liban, mais les cèdres que Dieu lui-même a plantés: les cèdres pieux, les âmes fidèles et religieuses, voilà ceux quil a plantés. Quant aux impies, ce sont aussi des cèdres du Liban; car « le Seigneur brisera ces cèdres du Liban 6 ». Le Liban est une montagne, et ces arbres sont, à la lettre, des arbres très élevés et qui vivent bien longtemps. Or, Liban veut dire blancheur, comme nous le 1. Matth. V, 6. 2. Jean. XXV, 6. 3. Id. VI, 41. 4. Id. XV, 5. 5. Ps. CIII, 56. 6. Id. XXVIII, 5. disent ceux qui ont parlé des étymologies. Liban signifie donc blancheur: et aujourdhui tout paraît dune blancheur éclatante , tout est brillant de pompes et de magnificence. Mais il y a là des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, et ces mêmes cèdres seront rassasiés. « Car tout arbre» , dit le Sauveur, «que mon Père céleste na point planté, sera arraché 1. Et les cèdres du Liban quil a plantés». 16. « Cest là que les oiseaux font leurs nids. La maison des foulques leur sert de guide ». Où les oiseaux feront ils leurs nids? Dans les cèdres du Liban. Déjà nous savons ce que signifient les cèdres du Liban, ceux qui tiennent dans le monde un rang distingué par la noblesse de leur origine, par leurs dignités, par leurs richesses, De tels cèdres sont aussi rassasiés, ceux-là que le Seigneur a lui-même plantés. Cest dans leurs branches que les passereaux font leurs nids. Quels passereaux ? Tous les oiseaux qui volent dans les airs sont des passereaux, mais ce nom désigne plus spécialement de petits oiseaux. Il est donc des hommes spirituels qui font leurs nids sur les cèdres du Liban; cest-à-dire quil y a quelques serviteurs de Dieu qui comprennent cette parole de lEvangile : « Laisse-là tous tes biens»; ou: « Vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi 5 ». Ce ne sont pas les grands seulement qui ont entendu cette parole, mais les petits aussi lont entendue, les petits ont voulu laccomplir et devenir spirituels, renoncer au mariage, nêtre point distraits par les soins des enfants, nêtre assujettis à aucune demeure particulière , mais embrasser une certaine vie commune. Dès lors, quont-ils abandonné, ces passereaux? Car les petits dans le monde ressemblent à des passereaux. Quont-ils abandonné? Quel sacrifice considérable ont-ils pu faire? Celui-ci se donne àDieu, et laisse la chétive maison paternelle, à peine un lit et un coffre. Il se donne à Dieu néanmoins et devient passereau, il séprend des biens spirituels. Cela est bien, fort bien; loin de nous tout sarcasme, ne lui disons pas: Tu nas rien laissé. Mais que celui qui laisse beaucoup ne senorgueillisse point, Quand Pierre suivit le Sauveur, que put-il abandonner, lui, simple pêcheur, nous le savons? Que purent quitter et André son frère, et les deux 1. Matth. XV, 13. 2. Ps. CIII, 17. 3. Matth. XIX, 21. fils de Zébédée, Jacques et Jean , pêcheurs aussi 1? Et pourtant que dirent-ils ? « Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre 2 ». Or, le Seigneur ne lui dit point: As-tu donc oublié, ô Pierre, combien tu étais pauvre; et quas-tu abandonné, pour recevoir le monde entier en échange? Il quitta beaucoup, mes frères, oui beaucoup, parce quil ne quitta pas seulement ce quil avait, mais ce quil désirait avoir. Quel pauvre ne sélève point par les espérances de cette vie? Qui ne cherche à grossir chaque jour ce quil possède? Tel est le désir quon sacrifie : le borner quand il sétend à linfini, nest-ce donc rien quitter? Pierre a ainsi abandonné le monde entier pour recevoir le inonde entier. Ne possédant rien et néanmoins possédant tout 3, dit saint Paul. Voilà ce que font beaucoup dautres; ce que font ceux qui ont peu, qui viennent à nous et sont des passereaux utiles. Ils paraissent peu, parce quils nont rien de lélévation du monde. Ils font leur nid sur les cèdres du Liban. Les cèdres du Liban sont les grands, les riches, les puissants du siècle, qui nentendent quen tremblant cette parole: «Bienheureux celui qui a lintelligence du pauvre et de lindigent 4», qui ne voient quavec mépris leurs richesses, leurs maisons de campagne, ces biens superflus, vaines pompes du monde, et qui les donnent aux serviteurs de Dieu, qui donnent leurs champs, leurs jardins, qui bâtissent des églises, des monastères, y rassemblent des passereaux, lesquels peuvent ainsi construire leurs nids sur les cèdres du Liban. Quils soient donc rassasiés, « ces cèdres du Liban, que le Seigneur a plantés, et où les passereaux doivent faire leurs nids». Voyez sil nen est pas ainsi dans tout lunivers; ce nest point de le croire que je parle ainsi, mais bien de le voir, et déjà lexpérience ma donné lintelligence. Interrogez les terres les plus lointaines, vous qui tes connaissez, et voyez sur combien de cèdres du Liban les passereaux dont je vous ai parlé ont fait leur nid. 17. Toutefois, mes frères, ces passereaux, dès lors quils sont devenus spirituels, ne doivent en rien envier les cèdres du Liban, quoiquils fassent des nids sur leurs branches, ni croire que les cèdres aient un avantage sur eux, parce quils en tirent ce qui est nécessaire à la 1. Matth. XV, 18, 21. 2. Id. XIX, 27. 3. II Cor. VI, 10. 4. Ps. XI, 2. vie. Les uns sont des passereaux, les autres des cèdres du Liban. Donc « la maison des foulques servira de guide aux passereaux ». Bien que les passereaux fassent leurs nids sur les cèdres du Liban, ces cèdres toutefois ne servent point de guide aux passereaux. Voilà que vont être rassasiés les arbres des campagnes, que seront également rassasiés les cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, tous grands du monde, fidèles élevés en gloire. Là, cest-à-dire parmi les cèdres du Liban, les passereaux feront leurs nids, cest-à-dire que les cèdres étendront les branches de leurs richesses, pour recueillir les humbles, devenus spirituels. Telles sont les ressources que nous fournissent les cèdres du Liban plantés par le Seigneur; ils le font, et le font avec joie, la foi leur fait comprendre ce quils font. Mais quoique les passereaux fassent leurs nids sur les cèdres du Liban, « la maison des foulques est leur guide ». Quest-ce que la maison des foulques ? La foulque, ainsi que nous le savons tous, est un oiseau marin, qui vit sur la mer ou dans les étangs : difficilement ou presque jamais, elle ne fait sa demeure sur le rivage; elle recherche un lieu au milieu des eaux, la plupart du temps un rocher battu par les flots de toutes parts. Le rocher est donc lemplacement qui convient au nid de la foulque; nulle part elle nest plus en sûreté, plus solidement établie, que sur un rocher. Sur quel rocher ? Sur celui que la mer environne. Battu par les flots, il les brise et nen est point brisé : tel est lavantage des rochers en pleine mer. Combien de flots ont battu le Christ Notre-Seigneur, qui est notre rocher! Les Juifs se sont rués sur lui, ils sy sont brisés, sans le briser lui-même. Quiconque veut imiter le Christ, doit être dans le siècle, ou plutôt dans cette mer, où il nest point possible que la tempête ne sagite point, de manière à ne céder à aucune bourrasque, à aucune tempête, mais à recevoir un choc, et à résister toujours. La maison de la foulque est donc tout à la fois, et basse et solide. La foulque nhabite point les lieux élevés : rien de plus solide, comme rien de plus humble que son habitation. Les passereaux font leurs nids sur les cèdres à cause des besoins de la vie : mais ils ont pour guide cette pierre battue par les flots, sans en être brisée; car ils imitent lhumilité du Christ. Que les cèdres du Liban se soulèvent dans leur colère, quils causent du scandale (536) aux serviteurs de Dieu, quils les secouent dans leurs branches; ceux-ci prendront leur essor: mais malheur au cèdre qui nabrite point quelques passereaux. Ces passereaux ne feront pas naufrage, ils ne périront point; car « le nid des foulques est leur guide ». 18. Que trouvons-nous ensuite? « Les hautes montagnes sont pour les cerfs 1 ». Ces grands cerfs désignent les hommes spirituels, qui franchissent dans leur course les épines et les broussailles des forêts. « Cest Dieu», dit le Prophète, « qui a rendu mes pieds légers comme ceux du cerf, qui ma établi sur les hauts lieux 2 ». Quils se tiennent sur les montagnes escarpées, sur les préceptes les plus relevés du Seigneur, quils en méditent les profondeurs, quils se tiennent sur les hauteurs des saintes Ecritures, quils acquièrent la perfection dans ses cimes audacieuses; les hauteurs sont pour les cerfs. Mais que deviendront les animaux inférieurs ? les lièvres, les hérissons? Le lièvre est un animal petit et faible, le hérisson est couvert dépines: lun est donc un animal timide, lautre un animal épineux. Que signifient les épines, sinon le péché? Quiconque tombe chaque jour dans le péché, ces péchés fussent-ils très-légers, est dès lors couvert de petites épines. Sil craint, cest un lièvre; sil est couvert de péchés légers, cest un hérisson; et dès lors il ne peut se tenir ferme dans les préceptes dune sublime perfection. Car ces hauteurs sont pour les cerfs. Ces faibles périssent-ils pour cela? Non; voici ce qui suit : « La pierre est le refuge des hérissons et des lièvres ». Car le Seigneur est un refuge pour le pauvre 3. Mettez ce rocher sur la terre, il sera le refuge des hérissons et des lièvres : mettez-le dans la mer, il sera lasile de la foulque. Il est donc partout avantageux; il est utile sur les montagnes, qui tomberaient dans labîme si elles nétaient soutenues par les rochers qui en sont la base. Nest-il pas dit à propos des montagnes : « Cest là quhabiteront les oiseaux du ciel, qui feront entendre leurs voix du milieu des pierres 4 ? » Partout donc la pierre est pour nous un refuge, quon la mette soit sur les montagnes, soit dans la mer où elle est battue, mais non brisée par les flots, soit sur la terre quelle affermit : elle est lasile des cerfs, lasile des foulques, lasile des lièvres et des hérissons. Que les lièvres se battent la poitrine, 1. Ps. CIII, 18. 2. Id. XVII, 34. 3. Id. IX, 10. 4. Id. CIII, 12. 537 que les hérissons confessent leurs péchés: bien quils se recouvrent chaque jour de fautes légères, la pierre ne leur manquera point pour leur apprendre à dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 1. Le rocher est le refuge des hérissons et des lièvres ». 19. « Il a fait la lune pour marquer les temps 2». La lune est limage de lEglise qui, faible dabord, grandit ensuite, puis à cause de cette vie mortelle, paraît vieillir, mais pour se rapprocher du soleil. Car il nest point ici question de la lune qui apparaît à nos yeux, mais bien de lEglise, appelée ici du nom de lune; or, quand cette Eglise était obscure, quand elle napparaissait point encore, et navait aucun éclat, les hommes tombaient facilement dans la séduction; et lon disait: Voilà lEglise, le Christ est là, « afin de percer de flèches les coeurs droits pendant lobscurité de la lune 3 ». Combien est aveugle aujourdhui, celui qui ségare en pleine lune. « Il a fait la lune pour marquer les temps». Car lEglise est ici-bas dans un lieu de passage, assujettie au temps. Mais cette loi de la mort nexistera point toujours; croître et décroître passeront, la lune est faite pour marquer le temps. « Le soleil connaît son couchant », et quel est ce soleil, sinon le soleil de justice qui fera regretter aux impies, au jour du jugement, quil ne se soit point levé pour eux? Ils diront alors: « Nous avons donc erré loin du chemin de la vérité; la lumière de la justice na pas lui à nos yeux, son soleil ne sest point levé pour nous 4». Ce soleil se lève pour quiconque comprend le Christ. Mais le Christ se dérobe à lintelligence de celui qui se fâche contre son frère jusquà la haine. « Fâchez-vous donc, mais ne péchez point 5». Car la colère de la charité, qui tend à corriger, nest pas un péché, parce quelle nest pas invétérée jusquà la haine. Mais si la colère se changeait en haine, le soleil alors se coucherait sur votre colère. « Or, que le soleil ne se couche point sur votre colère », a dit saint Paul 6. 20. Ne vous imaginez pas cependant, mes frères, quil nous faille adorer le soleil, parce que dans les saintes Ecritures, le soleil est pris quelquefois pour lemblème du Christ . Telle a été la folie de certains hommes, quils ont cru quen disant que le soleil est la figure du 1. Matth. VI, 12. 2. Ps. CIII, 19. 3. Id. X, 3. 4. Sag. V, 6. 5. Ps. IV, 5. 6. Ephés. IV, 26. Christ, on nous demandait un acte dadoration. Adorez donc aussi la pierre qui est un emblème du Christ 1. «Il a été conduit à la mort comme une brebis 2»; adorez donc aussi la brebis. « Il a vaincu, ce lion de la tribu de Juda 3»; adorez donc le lion qui est lemblème du Christ. Voyez combien sont nombreux les symboles du Christ. Tout cela cest le Christ en figure, mais non dans le sens propre. Quest donc le Christ à proprement parler? «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Voilà ce quétait le Christ à proprement parler, et par qui tu as été fait. Veux-tu savoir ce quétait en propre le Christ par qui tu as été refait? « Et le Verbe sest fait chair, et il a habité parmi nous 4 ». Tout le reste nest que figures. Comprends donc, sois à la hauteur des Ecritures, et quand lon met sous tes yeux quelques figures, que ton intelligence sélève plus haut. 21. Mais ce soleil, disons-le en toute sécurité, ce soleil de justice ne se lève point pour les impies, et ce nest pas sans raison, quand même ils le voudraient. Car la Sagesse a dit : « Les méchants me chercheront et ne me trouveront point». Ils la chercheront donc, mais sans la trouver, et pourquoi? « Parce quils haïssent la sagesse ». Cest la Sagesse elle-même qui nous parle et qui nous dit: « Les méchants me chercheront et ne me trouveront point, parce quils haïssent la sagesse 5». Pourquoi la chercher, sils la haïssent? Ils la cherchent, non pour lui obéir, mais pour sen prévaloir; ils la cherchent eu paroles, et la fuient dans leurs moeurs. « Car lEsprit-Saint qui donne la science, fuit le déguisement, et se retire des pensées qui « sont sans intelligence 6 ». Ce soleil se lève donc sur les bons, mais non suries méchants. Quest-il dit au contraire du soleil qui luit à nos yeux? « Que Dieu le fait lever sur les bons comme sur les méchants 7 ». Notre psaume dès lors nous donne je ne sais quel sens mystérieux, à propos du soleil de justice, car nous voyons aussi bien dans toutes les créatures saccomplir même visiblement, ce qui nous est dit ici : « Le soleil connaît son coucher ». Quest-ce à dire qu « il connaît son coucher? » Le Christ connaît ce quil doit souffrir, car son coucher cest sa passion. Mais ce soleil se couche-t-il donc pour ne plus se lever? « Celui qui 1. I Cor. X, 4. 2. Isa. LIII, 7. 3. Apoc. V, 5. 4. Jean, I, 1, 14. 5. Prov. I, 28, 29. 6. Sag. I, 5. 7. Matth. V, 45. 538
dort ne doit-il donc point séveiller 1? » Ne dit il pas lui-même qu « il a dormi tout troublé ? » Et quest-il dit de lui? « O Dieu, élevez-vous par-dessus les cieux 2 ». Donc « le soleil a connu son coucher ». Mais quest-ce à dire, « la connu? » Il lui a plu, il lui a été agréable. Comment prouver quil a connu ce coucher, et quil lui a plu? Quy a-t-il que Dieu ne connaisse? Et pourtant, au dernier jour, il doit dire à quelques-uns: « Je ne vous connais point 3 ». De même alors que dans ce dernier cas: «Je ne vous connais point», signifie vous ne me plaisez point, et non, vous mêtes inconnus; de même ici, «connaître son coucher », cest y mettre ses complaisances; sil neût en effet agréé sa passion, comment eût-il pu lendurer? Un homme nest point ce divin soleil, et voilà pourquoi il souffre, quand même il ne voudrait pas souffrir. Mais le Christ ne souffrirait point, sil ne lui plaisait de souffrir, cest-à-dire quil ne se fût point couché, sil neût dabord connu son couchant. Cest ce quil dit lui-même: « Jai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre; nul ne môte la vie, mais je la donne de moi-même 4 ». Le soleil donc « connaît son coucher ». 22. Et après le coucher du soleil, après la passion du Seigneur, quest-il arrivé? Je ne sais quelles ténèbres couvrirent les Apôtres, leur espérance vint à faillir, eux qui avaient vu tout dabord en lui un grand personnage, le Rédempteur des hommes. Pourquoi? Parce que « Nous avez répandu les ténèbres 5, et la nuit sest faite; cest là que passeront toutes les bêtes des forêts. Les lionceaux rugissent après leur proie, ils demandent à Dieu leur nourriture 6». Que devons-nous comprendre par ces lionceaux, sinon les esprits de malice 7? Que faut-il comprendre, sinon les mauvais esprits, ces esprits qui se repaissent des erreurs des hommes? Car il y a parmi les démons des princes, et dautres qui sont méprisables. Ces démons cherchent à séduire les âmes, mais là seulement où le soleil ne sest point levé, où règnent encore les ténèbres. Et cest dans ces ténèbres que les lionceaux cherchent des proies à dévorer. Or, quest-il dit à propos du premier de ces lions, du chef de ces lionceaux? « Ne savez-vous pas que le diable votre ennemi tourne autour de vous, 1. Ps. XL, 9. 2. Id. LVI, 5, 6. 3. Matth. VII, 23. 4. Jean, X, 18. 5. Ces verset, sont expliqués dans le discours sur le Ps. C, n. 12, 13. 6. Ps. CIII, 20, 21 7. Ephés. VI, 12. comme le lion qui rugit et cherche quelquun à dévorer 1?» Cest donc à Dieu quils demandent leur proie, car nul ne peut être tenté par le diable, sans la permission de Dieu. Job, dans sa sainteté, était en présence du diable, et néanmoins il en était bien éloigné; il était présent aux yeux du démon, mais bien éloigné de sa puissance. Or, comment eût-il osé le tenter dans sa chair, ou dans ses biens, sil nen eût reçu le pouvoir? Pourquoi ce pouvoir lui est-il donné? Pour la condamnation des méchants, et pour lépreuve des justes. En tout cela Dieu agit avec justice: et le diable na de pouvoir ni sur un homme, ni sur rien de ce qui lui appartient, sil ne lui est accordé par celui qui a le grand, le souverain pouvoir. Cest ainsi que ni le diable, ni aucun homme nont de pouvoir sur un autre, sil ne leur vient den haut. Le juge des vivants et des morts comparaissait devant un homme qui le jugeait; et cet homme voyant le Christ à son tribunal, sen enorgueillit, et lui dit: « Ne savez-vous donc pas que jai le pouvoir de vous faire mourir ou de vous renvoyer? » Mais le Christ venant pour instruire celui-là même qui le jugeait, lui répondit : « Vous nauriez sur moi aucun pouvoir, sil ne vous était donné den haut 2 ». Ni lhomme donc, ni le diable, ni aucun démon, ne peuvent nous nuire sils nen ont le pouvoir: mais ils ne nuisent point à ceux qui savancent dans la piété. Ils sont donc pour les méchants, ce que la flamme est pour le foin, et pour les bons, ce que le feu est pour lor. Judas fut consumé comme le foin, Job éprouvé comme lor. « Vous avez répandu les ténèbres, et la nuit sest formée; cest là que passeront les bêtes de la forêt». Ici nous donnons aux bêtes de la forêt un sens différent de celui que nous avons donné; cest que lon donne aux mêmes noms des significations différentes; de même que le Seigneur est tout à la fois un agneau et un lion. Et pourtant quelle différence entre le lion et lagneau ! Mais quel agneau ? Un agneau qui triomphe du loup, qui triomphe du lion. Cest lui qui est la pierre, lui le pasteur, lui la porte. Le pasteur entre par la porte, et dit : « Je suis le bon pasteur »; et encore: « Je suis la porte 3 ». Or, cette dénomination de lion, désigne Notre-Seigneur, car: « Le lion de la tribu de Juda a vaincu 4 », et aussi le 1. I Pierre, V 8. 2. Jean, XIX, 10, 11. 3. Id. X, 7, 11. 4. Apoc. V, 5. diable; car: « Tu marcheras sur le lion et sur le dragon 1 ». Apprenez donc, mes frères, comment il faut entendre ces expressions figuratives, et toutefois ne vous imaginez pas que quand vous entendez que la pierre signifie le Christ 2, toute pierre doit sentendre du Christ. Elle a tantôt un sens, tantôt un autre sens il en est de ceci comme dune lettre, la place quelle occupe nous en indique la force. En voyant la première lettre dans lexpression Dieu, si tu crois q uelle ne peut avoir que cette signification, il faudra donc leffacer de lexpression diable; car cest la même lettre qui commence le nom de diable, et celui de Dieu; et toutefois rien nest plus opposé que Dieu et diable. Comprend dès lors combien il serait étranger aux usages divins et humains, celui qui dirait que le signe D ne doit point commencer le mot diable. Pourquoi? lui direz-vous: parce que jai vu cette lettre dans le mot Dieu, vous répondra-t-il. Un tel homme vous ferait- sourire, mais vous dédaigneriez de lui rendre aucunement raison. Gardez-vous donc de tout sentiment puéril, quand il sagit de choses divines, et parce que jai entendu par les bêtes des forêts, les Gentils, que jentends maintenant les démons, les anges prévaricateurs, quon ne simagine pas que je sois en contradiction avec moi-même. Ce sont là des figures, que lon explique selon les circonstances, et selon la place quelles occupent. « Cest là que passeront les bêtes des forêts ». Où? Dans cette nuit que le Seigneur a répandue, parce que « le soleil a connu son coucher. Les lionceaux rugissent après leur proie, demandant à Dieu leur nourriture ». Cest donc avec raison que le Seigneur, touchant à sa dernière heure, ce même soleil de justice qui connaissait son couchant, dit à ses disciples, aux approches des ténèbres, et quand le lion allait rôder autour deux, cherchant à en dévorer quelques-uns, mais sans pouvoir dévorer personne quil ne lait demandé: « Cette nuit, Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et moi, Pierre, jai prié pour toi, afin que ta foi ne connaisse point la défaillance 3». Or, quand Pierre jusquà trois fois reniait son maître 4, nétait-il point déjà entre les dents de ce lion? « Les lionceaux rugissent après leur proie, demandant à Dieu leur nourriture ». 1. Ps. XC, 13. 2. I Cor. X, 4. 3. Luc, XXII, 31, 32. 4. Matth. XXVI, 70 - 74. 23. « Le soleil sest levé 1 ».Celui qui a dit: « Jai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir encore de la reprendre, a connu son couchant 2 », et a donné sa vie: « Le soleil sest levé », et il la reprise. « Le soleil sest levé», parce que le soleil sétait couché, mais le soleil ne sest pas éteint. La nuit dure encore pour ceux qui ne connaissent pas le Christ; le soleil nest pas encore levé pour eux. Quils se pressent, quils comprennent, afin de nêtre point la proie du lion rugissant. Car les lionceaux nattaquent point ceux qui ont reçu la lumière de ce soleil Aussi nous lisons ensuite : « Le soleil sest levé, et ils se sont rassemblés, et ils sétendront dans leurs tanières ». A mesure que le soleil se lève pour se manifester au monde entier, et faire glorifier le Christ dans lunivers, on voit que les lionceaux se rassemblent, que ces démons cessent de persécuter lEglise, eux qui agissaient dans les enfants de linfidélité, les stimulant à persécuter la maison de Dieu. Car il est dit que «le prince des puissances de « lair agit maintenant suries enfants de lincrédulité 3». Aujourdhui que nul dentre eux nose persécuter lEglise, « le soleil sest couché, et ils se sont rassemblés». Où sont-ils? « Ils sétendront dans leurs tanières»; leurs tanières sont les coeurs des infidèles. Combien en est-il qui portent ces lions couchés dans leurs âmes ! Ils nen sortent plus, ils ne se ruent plus sur cette Jérusalem dans son pèlerinage terrestre. Pourquoi ne le font-ils plus? Cest que « le soleil sest levé », et quil brille dans lunivers entier. 24. Vois donc ce qui suit: « Depuis que le soleil sest levé, que les lions sont rassemblés, quils sont étendus dans leurs tanières », que fais-tu, ô homme de Dieu? Que fais-tu, ô Eglise de Dieu? Que fais-tu, ô corps du Christ, dont la tête est au ciel? Que fais-tu, ô homme, ô unité du Christ? « Lhomme sort pour son travail 4 ». Que cet homme donc sapplique aux bonnes oeuvres dans la paix, dans la sécurité de lEglise, quil sy applique jusquà la fin. Il se fera parfois un certain obscurcissement, il y aura certains chocs, mais au soir, cest-à-dire à la fin des temps: mais aujourdhui lEglise travaille dans la paix et dans la tranquillité, parce que « lhomme sen ira à son travail, et à son labeur jusquau soir ». 1. Ps. CIII, 22. 2. Jean, X, 18. 3. Ephés, II, 2. 4. Ps. CIII, 23.
540 25. « Combien sont grandes vos oeuvres, ô mon Dieu 1 ». Oui vraiment grandes, vraiment élevées. Où donc vos oeuvres sont-elles devenues si grandes? Où Dieu sest-il arrêté, sest-il assis, pour accomplir ses oeuvres? En quel lieu les a-t-il faites? Doù sont émanées tout dabord de si grandes merveilles? A prendre ces paroles à la lettre, doù vient toute créature réglée, toute créature qui marche dans lordre, qui a sa beauté dans lordre, se lève dans lordre, se couche dans lordre, mesure le temps avec ordre? Quant à lEglise, doù viennent ses agrandissements, ses progrès, sa perfection? Quelle immortalité Dieu lui a-t-il réservée? Par quels éloges peut-on la relever? par quels mystères la signaler? Sous quels symboles la voiler? Par quelle prédication la révéler? Où Dieu a-t-il fait toutes ces merveilles? Oui, je vois de grandes oeuvres. « Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur mon Dieu ! » Je cherche en quel lieu Dieu les a faites, et je naperçois aucun lieu. Mais jécoute ce qui suit : « Vous avez tout fait dans la sagesse ». Donc vous avez tout fait dans le Christ. Ce Christ méprisé, souffleté, couvert de crachats; ce Christ couronné dépines, ce crucifié, cest en lui que vous avez tout fait. Jentends, Seigneur, je comprends ce que vous avez fait annoncer aux hommes par votre infatigable soldat, ce que vous avez fait prêcher aux Gentils par votre saint prédicateur, que le Christ est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. Que les Juifs se raillent dun Christ crucifié, qui est pour eux un scandale; que les païens se moquent dun Christ crucifié, qui est pour eux une folie : « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié , scandale pour les Juifs , folie pour les Gentils , mais la force de Dieu , la sagesse de Dieu pour 1. Ps. CIII, 21. ceux qui sont appelés, quils soient Juifs ou Gentils 1. Vous avez fait tout dans votre sagesse » 26. « La terre a été remplie de vos créatures ». Cest des créatures du Christ que la terre est remplie. Et comment? Comme nous le voyons. Quelle créature ne vient pas du Père par son Fils? Tout ce qui marche ou qui rampe sur la terre, tout ce qui nage dans les eaux, tout ce qui vole dans lair, tout ce qui tourne dans le ciel, et à plus forte raison sur la terre, le monde entier est créature de Dieu. Mais le Prophète semble parler ici de je ne sais quelle créature nouvelle, dont lApôtre a dit : « Si donc quelquun est à Jésus-Christ, cest une nouvelle créature, le passé nest plus; tout est devenu nouveau, et tout vient de Dieu 2 ». Quiconque a embrassé la foi du Christ, et sest dépouillé du vieil homme, pour revêtir lhomme nouveau, celui-là est une créature nouvelle 3. « Vos créatures couvrent la terre ». Le Christ na été crucifié quen un seul lieu du monde, ce grain de froment nest tombé que dans un petit coin de la terre pour y mourir; mais il a porté un grand fruit. Vous étiez seul, Seigneur Jésus, quand vous passiez ici-bas; jentends dans un autre psaume votre voix qui sécrie : « Me voilà seul, jusquà ce que je sois passé 4 »; vous étiez donc seul, quand vous connaissiez votre couchant; mais du couchant vous avez passé au levant. Oui, vous vous êtes levé, vous avez resplendi, vous avez été élevé en gloire, en vous élevant au ciel, et voilà que « la terre est remplie de vos créatures ». Notre psaume nest point terminé, mes frères, nous en réservons quelque peu pour dimanche, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. 1. I Cor. I, 23, 24. 2. II Cor. V, 17, 18. 3. Ephés. IV, 22, 21. 4. Ps. CXL, 10.
QUATRIEME DISCOURS SUR LE PSAUME CIII.QUATRIÈME SERMON. QUATRIÈME PARTIE DU PSAUME.LE MONDE INVISIBLE DANS LE MONDE VISIBLE.
Dieu a tout fait avec une sagesse que plusieurs créatures ne peuvent comprendre, que nous ne pouvons méconnaître sans crime et qui serait notre flambeau si nous la cherchions sincèrement ; cette sagesse est le Verbe de Dieu. Dans ces créatures qui remplissent la terre, arrêtons-nous à lhomme nouveau, qui renonce au passé pour soccuper uniquement de lavenir mais pour arriver à cet avenir, il faut passer la mer dont leau stérile et amère renferme des reptiles grands et petits ; et nous la passerons dans les vaisseaux ou les Eglises que dirige le Christ. Il y a toutefois dans cette mer le dragon qui a empoisonné le genre humain à sa source, et don-t nous devons observer la tête ou repousser les premières suggestions, ce que nous ne pouvons faire que par Jésus-Christ notre vraie lumière. Job en observant cette tête, lui ferma son coeur et ne pécha point en paroles : sil désire un arbitre, cest la médiation du Christ. Le pouvoir du dragon est grand, mais il est le jouet des anges qui nous protégent contre lui; il est tombé et ne peut rien que Dieu ne permette. Prenons alors Jésus-Christ pour chef. Dieu donne le pain à toute créature; notre pain cest le Christ; celui du dragon, cest nous, si nous sommes éloignés du Christ., si nous devenons terre par nos goûts terrestres. Mais cette nourriture, Dieu doit la donner aux animaux, et au démon qui ne peut toucher à personne, si Dieu ne lautorise. Cette main que Dieu ouvre pour nous rassasier de ses dons, cest le Christ ; quil se détourne et nous sommes dans le. trouble ; et il se détourne quand nous présumons de nous-mêmes. Il nous retire notre esprit ou nos pensées humaines, et nous envoie le sien qui fait de nous des créatures nouvelles. Alors il se complaît dans ses oeuvres et nous fait travailler avec crainte ; les coeurs les plus impies sembrasent damour quand il les touche. Cette discussion dont il est parlé à la fin, cest la discussion de notre conscience, et dès lors notre confession. Alors les pécheurs disparaîtront de la terre, cest-à-dire que les hommes cesseront dêtre pécheurs.
1. Votre charité ne la point oublié: sans doute il ny a quune seule parole de Dieu répandue dans toutes les Ecritures, et dans toutes les bouches des saints, quun seul Verbe qui retentit. Ce Verbe étant au commencement en Dieu 1, na là aucune syllabe, puisquil nest point soumis au temps; mais il ny a rien détonnant que pour se proportionner à notre faiblesse, il sabaisse jusquà nos particules et nos syllabes, puisquil sest abaissé jusquà se revêtir de notre chair si fragile. Déjà nous avons fait sur notre psaume plusieurs discours, et pour apercevoir les figures qui ny sont voilées que pour se découvrir àceux qui frappent, il nous a fallu pendant quelques jours des heures assez longues pour les lire, les signaler, en expliquer les symboles, les exposer, les développer, les montrer en un mot. Votre charité, dis-je, na point oublié quhier nous navons pu terminer notre psaume, et que nous lavons remis pour aujourdhui. Dieu nous a donné du temps pour acquitter notre dette : il ma donné le moyen dy satisfaire, à moi qui suis débiteur, et de vous mettre en repos, vous qui êtes mes créanciers : puisse-t-il nous suggérer le bien 1. Jean, I, 1. que nous vous devons rendre, lui qui ne nous a pas rendu le mal que nous méritions! 2. Il vous souvient sans doute, mes frères, et cest un doux souvenir pour vous, que toutes les fibres de notre coeur ont chanté avec le psaume: « Combien vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu! Vous avez tout fait dans votre sagesse; la terre est remplie de vos créatures ». Tout ce que Dieu a fait, est fait avec sagesse, fait dans la sagesse. Tout ce qui connaît la sagesse, et tout ce qui ne la connaît point, et qui est néanmoins créé par Dieu, est tait dans la sagesse, fait par la sagesse. Connaître la sagesse, cest avoir la sagesse pour flambeau; ne pas la connaître, cest avoir la sagesse pour créatrice, et demeurer dans la folie: et avoir la sagesse pour lumière, cest lavoir encore pour créatrice, mais elle peut être notre créatrice, et non pas notre lumière. Il en est beaucoup parmi les hommes qui ont part à la sagesse, et que lon nomme sages, comme il en est beaucoup qui lignorent, quon appelle insensés. Ce nom de fous est une marque de mépris, parce que sils étudiaient la sagesse, sils la demandaient, sils la cherchaient, sils frappaient à la porte, 1. Ps. CIII, 24. 542 ils pourraient avoir part à ses lumières, qui se dérobent à la négligence, et non à la nature. Il est dautres créatures que la sagesse ne saurait éclairer, telles que les bêtes et les animaux, les arbres, qui nont pas même le sentiment. Mais pour être privées des lumières de la sagesse, en sont-elles moins créées dans la sagesse, et par la sagesse? Dieu donc nattend aucune intelligence du cheval et du mulet mais il dit aux hommes: « Ne soyez point comme le cheval et le mulet, qui nont point dintelligence 1». Ce qui est naturel dans le cheval devient criminel dans lhomme. Voici donc ce que dit le Seigneur : Je nexige point la lumière de ma sagesse dans les créatures que je nai point faites à mon image; mais je lexige dans celles que jai faites ainsi, et leur demande lusage des dons que jai départis. Donc en rendant à Dieu ce qui est de Dieu, et à César ce qui est de César 2; cest-à-dire en reportant à César sa monnaie, et à Dieu ce qui est à Dieu, les hommes élèvent leur esprit, non point jusquà eux-mêmes, mais jusquà Dieu leur créateur, jusquà cette lumière doù ils viennent, jusquà ce foyer spirituel qui les embrase , loin duquel ils sont glacés, loin duquel encore ils ne sont que ténèbres, où ils retrouvent la lumière dès quils sen approchent; et comme ils ont dit pieusement : « Cest vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau, vous dissiperez mes ténèbres, ô mon Dieu 3 » ; les ténèbres de leur folie terrestre se dissipent, et voilà quils ouvrent la bouche, quils respirent, et quils élèvent avec confiance les yeux du coeur, que la pensée leur découvre le monde entier, la terre, la mer et le ciel, quils voient dans toutes ces créatures une admirable disposition, un cours parfaitement régulier, chaque créature distincte dans son genre, se reproduire par ses germes , renaître successivement, durer un temps marqué, et alors ils admirent dans ses oeuvres le divin ouvrier, de manière que lartiste divin les voit eux-mêmes avec complaisance au milieu de ses oeuvres. Alors sous le poids de leur joie, de cette joie incomparable, ils sécrient: «Que vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu! Vous avez fait tout avec sagesse ». Où est cette sagesse dans laquelle vous avez tout fait? Par quel sens latteindre? par quel oeil la découvrir? Avec quel empressement la chercher ? 1. Ps. XXXI, 9. 2. Matth. XXII, 21. 3. Ps.XVII, 29. Par quel mérite la posséder? Quel autre croyez-vous, sinon la grâce? Celui qui nous a fait don de lexistence, nous a aussi fait don de la bonté. Il donne aux uns de se convertir, car avant leur conversion, quand ils marchaient encore dans les chemins de lerreur, ne les a-t-il point cherché? Nest-il point descendu? Le Verbe ne sest-il pas fait chair, afin dhabiter parmi nous 1? Na-t-il pas allumé la lampe de sa chair, lorsquil était à la croix, pour chercher la dragme perdue 2? Il la cherchée, et la retrouvée au milieu des applaudissements de ses voisins, cest-à-dire de toute créature spirituelle qui sapproche de Dieu. La dragme a été retrouvée aux applaudissements des voisins, et lâme humaine rachetée aux applaudissements des anges. Quelle tressaille donc, cette âme retrouvée, et quelle dise : « Combien vos oeuvres sont admirables, ô mon Dieu! vous avez tout fait dans votre sagesse ». 3. « La terre est remplie de vos créatures ». De quelles créatures est remplie la terre? Les arbres et les arbrisseaux, les troupeaux et les bêtes sauvages, le genre humain tout entier, voilà ce qui remplit la terre, créature de Dieu elle-même. Nous le voyons, nous le savons, nous le lisons, nous le reconnaissons, nous en louons Dieu, nous prêchons sa gloire, et nos louanges sont bien en arrière des jubilations de nos coeurs, à la vue de ces merveilles. Mais arrêtons-nous de préférence à cette créature, dont lApôtre a dit : « Si quelquun est à Jésus-Christ, cest une nouvelle créature; le passé nest plus, tout est devenu nouveau 3 ». Quel est ce passé qui nest plus? Chez les Gentils toute idolâtrie, chez les Juifs tout asservissement à la loi, les anciens sacrifices, ombres du sacrifice nouveau. Le vieil homme abondait, alors est venu celui qui devait renouveler son oeuvre, il est venu jeter son argent à la refonte, y graver son effigie, et nous voyons la terre remplie de chrétiens qui croient en Dieu, qui ont en horreur leurs anciennes impuretés, leur idolâtrie, qui renoncent aux espérances du passé pour espérer une vie à venir; ces biens ne se réalisent point encore, nous les tenons néanmoins en espérance, et cette espérance nous fait chanter et dire : « La terre est remplie de vos créatures ». Ce nest point encore là le chant de la patrie, ni de ce 1. Jean, I, 14. 2. Luc, XV, 8. 3. II Cor. V, 17. 543 repos qui nous est promis alors que seront affermies les portes de Jérusalem 1. Mais dans notre pèlerinage, à la vue de ce monde entier, de ces hommes qui de toutes parts accourent embrasser la foi, qui craignent lenfer, qui méprisent la mort, qui aspirent à la vie éternelle, qui dédaignent celle-ci, transportés de joie à la vue dun tel spectacle, nous chantons: « O Dieu, la terre est remplie de vos créatures ». 4. Cette vie, toutefois, est encore battue par les flots des tentations, elle est troublée par les tempêtes et par les orages de la tribulation et de lorgueil; telle est néanmoins la voie. Que la mer nous menace, que ses flots samoncèlent, que ses tempêtes grondent, cest là quil faut aller ; nous avons pour naviguer le bois sacré : « La terre est remplie de vos créatures ». Nous ne sommes point encore, il est vrai, à la terre des vivants, celle-ci est encore la terre où lon meurt ; mais nous crions et nous disons : « Vous êtes mon espérance, vous êtes mon héritage dans la terre des vivants 2 ». Mon espérance dans la terre de la mort, mon héritage dans la terre des vivants. Telle est la terre remplie de la créature de Dieu. Celui-ci qui est sur la terre de la mort, et pas encore dans la terre des vivants, par où va-t-il passer? Ecoute ce qui suit : « Voilà la grande mer qui sétend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits 3 ». La mer a un son effrayant : « Là se meuvent des reptiles innombrables ». Les piéges se glissent de toutes parts ici-bas, les imprudents y sont pris. Qui peut énumérer toutes les tentations qui se glissent partout? Elles se glissent; mais veille à nêtre pas enlacé. Veillons sur le bois sacré, et alors nous sommes en sûreté, et sur les ondes et au milieu des flots: que le Christ ne dorme point, que notre foi ne dorme point; si le Christ dort, éveillons-le, et il commandera aux vents, et la mer sapaisera 4; cette voie aura un terme qui nous donnera la joie de la patrie. « Là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Sur cette mer si formidable, je vois encore des incrédules; je les trouve dans les eaux stériles et amères, les uns grands, les autres petits. Nous voyons cela. Il est encore dans cette vie bien des petits qui nont 1. Ps. CXLVII, 13. 2. Id. CXLI, 6. 3. Id. CIII, 25. 4. Matth. VIII, 24-26. pas encore embrassé la foi, beaucoup de grands du monde ne croient point encore ; il y a dans cette mer « de grands et de petits animaux » : ils haïssent lEglise, le nom de Jésus-Christ leur pèse; ils ne nous outragent point, parce que la loi ne le permet pas; leur cruauté, nosant éclater, se renferme dans leurs coeurs. Tous ceux, en effet, petits ou grands, qui voient avec douleur les temples fermés, les autels renversés, les idoles brisées, les lois qui défendent comme un crime capital de sacrifier aux idoles, tous ceux qui en sont affligés sont encore dans la mer. Mais nous, par où donc pourrons-nous aller à la patrie? En traversant la mer, mais appuyés sur le bois. Ne crains aucun danger, le bois qui te porte soutient le monde entier. Redoublez donc dattention : « Cette mer est vaste et sétend au loin, là se meuvent des reptiles sans nombre, grands et petits ». Mais rassure-toi , bannis toute crainte , soupire après la patrie, et sache que tu es dans lexil. 5. « Cest là que passeront les navires 1». Voyez, sur cette mer effrayante, des vaisseaux qui se promènent sans être submergés. Dans ces vaisseaux, nous voyons les Eglises. Elles traversent et les tempêtes et les orages des tentations, et les flots du monde, au milieu des petits et des grands animaux. Le Christ est là pour les diriger avec le bois de sa croix. « Cest là que passeront les navires ». Que ces navires ne craignent point, quils ne considèrent point la mer quils traversent, mais le pilote qui les conduit. « Cest là que passeront les navires ». Or, quelle traversée peut être fâcheuse, quand on sent que le Christ est le pilote? Ils passeront donc en sécurité, ils passeront avec persévérance, ils arriveront au port, et seront conduits sur la terre du repos. 6. Mais il y a dans cette mer quelque chose de plus redoutable que ces animaux grands et petits. Quest-ce donc? Ecoutons le psaume: « Là est ce dragon que vous avez formé, pour être un jouet 2 ». Il y a donc là des reptiles sans nombre, des animaux grands et petits, des navires qui passent et qui ne craindront ni les reptiles sans nombre, ni les animaux grands et petits, ni même le dragon qui est là, et « que Dieu a formé pour être un jouet ». Il y a ici un grand mystère, et néanmoins vous 1. Ps. CIII, 26. 2. Ibid. 544 connaissez ce que je vais vous en dire. Vous connaissez ce dragon ennemi de lEglise; sans lavoir vu des yeux de la chair, vous lavez vu des yeux de la foi. Cest lui qui est encore appelé lion, et dont 1 Ecriture nous a dit: «Vous foulerez aux pieds le lion et le dragon 1». Sois toi-même soumis à ta tête, et tiens ton corps en servitude, que les membres se tiennent unis à leur chef, afin den être véritablement les membres. Il est dit dEve, la première femme, que ce dragon la séduisit, en lui donnant un conseil de mort, en se glissant comme un serpent dans son coeur, par ses persuasions malignes. Alors arriva ce que nous savons, ce que nous fîmes là nous-mêmes, ce que nous déplorons. Dans ces deux premières tiges était le genre humain tout entier, De là vient cette source de mort; de là ces dettes, ces fautes chez les enfants. « Qui donc est pur en votre présence », dit lEcriture? « pas même lenfant qui na vécu sur la terre quun seul jour 2 ». De ce premier péché vient la transmission du péché, la transmission de la mort. Car vous savez ce qui a été dit à la femme, ou mieux au serpent, lorsque Dieu entendit le péché du premier homme. « Elle observera ta tête et tu « observeras son talon 3 ». Il y a ici un grand mystère, une figure de lEglise à venir, tirée du flanc de son époux, et de son époux endormi. Car Adam était la figure de lAdam futur, ainsi que la dit lApôtre : « Cet Adam figurait lAdam à venir 4». En lui, nous voyons une image de ce qui devait arriver, puisque lEglise a été formée du côté du Christ qui dormait sur la croix. Cest du flanc du crucifié, ouvert par une lance 5, quont découlé les sacrements de lEglise. Quest-il donc dit à lEglise? Ecoutez bien, mes frères, comprenez, et tenez-vous en garde : « Elle observera ta tête, et tu observeras son talon ». O Eglise, observe donc la tête du serpent. Quest-ce que la tête du serpent? La première suggestion du péché. Te vient-il à lesprit quelque désir du mal? Ny arrête point ta pensée, ny consens point. Une telle suggestion est la tête du serpent; brise cette tête, et tu échapperas aux autres mouvements. Quest-ce à dire, brise la tête? Dédaigne ses suggestions. Mais cest un gain quil me suggère, il y a là beaucoup à gagner, 1. Ps. XC, 13. 2. Job, XIV, 4, 5. 3. Gen III, 15. 4. Rom. V, 14. 5. Jean, XIX, 34. beaucoup dor; telle fraude tenrichira. Cest la tête du serpent, brise-la. Quest-ce à dire, brise-la? Dédaigne ce quil te suggère. Mais il me propose un grand trésor. Et que sert à lhomme de gagner le monde entier, sil vient à perdre son âme 1. Périsse le gain du monde, plutôt que mon âme. Parler ainsi, cest observer la tête du serpent, et lécraser. Mais le diable observe aussi ton talon. Quest-ce à dire quil observe ton talon? Quand tu abandonnes le chemin de Dieu. Le quitter, cest tomber; tomber, cest être au pouvoir du diable. Pour ne point tomber, nabandonne pas le chemin. Dieu ta ouvert un sentier étroit, tout ce qui lenvironne est glissant. Aussi le Christ est ta lumière, comme le Christ est ta voie. « Il y avait », dit lEvangile, « une lumière véritable, éclairant tout homme qui venait en ce monde 2 ». Et encore: «Je suis la voie, la vérité et la vie 3 ». Venir par moi, cest venir à moi. Si donc il est notre lumière, il est aussi notre voie; et nous éloigner de lui, cest nêtre ni dans la voie, ni dans la lumière, Que doit-il tarriver ensuite? Ce que dit le Prophète , dans un autre psaume : « Que leur voie soit ténébreuse et glissante 4». 7. Donc ce dragon, cet antique ennemi, écumant de rage, si astucieux dans ses embûches, habite cette vaste mer. « Ce dragon que vous avez fait pour être un jouet». Fais de lui un jouet, car cest pour cela quil est devenu dragon, Son péché la fait tomber du haut du ciel; dange quil était, devenu démon, il sest choisi pour habitation cette mer si vaste et si spacieuse. Ce que tu prends pour son royaume est une prison. Beaucoup nous disent: Pourquoi tant de pouvoir au diable, qui domine ainsi le monde, qui a tant de force, tant dautorité? Quelle est cette puissance, cette autorité? Il ne peut rien quon ne lui permette, Agis de façon quil ne lui soit rien permis sur toi; ou sil lui est permis de te mettre à lépreuve, quil soit vaincu et se retire sans avoir rien gagné. Dieu lui a permis de tenter quelques saints serviteurs de Dieu; ils lont vaincu, parce quils ne se sont pas éloignés de la véritable voie, et ils ne sont point tombés, quoique ce dragon observât leurs pieds. Job, cet homme si saint, était assis sur un fumier, et courait néanmoins dans cette voie de Dieu. Voyez comment il observait la tête 1. Matth. XVI, 26. 2. Jean, I, 9. 3. Id. XIV, 6. 4. Ps.XXXIV, 6. 545 du serpent, et comment le serpent observait son talon. Lun repoussait la suggestion lautre comptait sur la chute : il sempara même de sa femme, qui était si faible; il ôta tous les biens à Job, et ne lui laissa que celle dont il devait se faire une aide, non pour consoler son mari, mais pour lui tendre des embûches; il sempara delle, parce quelle nobservait point sa tête. Cétait une nouvelle Eve, mais Job nétait plus Adam. Privé de tout bien, Job demeura avec son épouse, qui devait le tenter, et avec Dieu qui devait le diriger. Quelle pauvreté plus grande et plus subite que la sienne, si lon considère sa maison? Quelle plus grande richesse, si lon considère son coeur? Vois le dénuement de sa maison. Tout en a disparu. Vois les richesses de son coeur: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; ainsi quil a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni ». « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté 1 »; il savait qui le conduisait, qui le tentait, qui avait donné ce pouvoir à son tentateur. Que le diable, dit-il, ne sattribue rien; il a bien la volonté de nuire, mais il nen aurait pas le pouvoir, sil ne lavait reçu; je ne souffre quautant quil en a reçu la puissance; ce nest point de sa part que je soufire, mais de la part de celui qui lui a donné ce pouvoir : méprisons lorgueil du tentateur, respectons les châtiments dun père. Le tentateur fut repoussé, sa tête était observée, elle ne put entrer dans le coeur. Il assiégea extérieurement une ville bien fortifiée, et ne put lemporter. Nouvelle épreuve. Dieu donna au diable un pouvoir sur son corps, et Job fut frappé dun ulcère effroyable, de la tête aux pieds; il tombait en pourriture, les vers sortaient de son corps, et nayant plus de maison, il sasseyait sur un fumier. Là, Eve séduite, que le diable avait laissée à ce nouvel Adam, non pour le soutenir, mais pour le faire tomber, lui suggère le blasphème contre Dieu. Dans le paradis, il poussa au mépris de Dieu; ici, il pousse au blasphème. Dans le paradis, il vainquit lhomme qui était sain de corps; ici, il est vaincu par un homme en pourriture; il renversa lhomme dans le paradis, et fut renversé par lhomme du fumier. Or, ce dragon épiait si Job ne pécherait point par la langue. Pour tout homme, en effet, laction est une démarche; et agir, cest aller au but, et en 1. Job, I, 21. quelque sorte avoir des pieds. Or, Job parlait beaucoup; ceux qui lisent lEcriture le savent bien; et dans toutes ses paroles, le serpent observait son talon, afin de voir sil ne tomberait point. Mais Job observait à son tour. la tête du serpent, et repoussa toute suggestion. Il répondit à sa femme, comme il fallait répondre à une femme : « Vous avez parlé comme une femme insensée; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi nen recevrions-nous pas les maux? En toutes ces choses, Job ne pécha point par la langue 1 ». Plusieurs néanmoins, ne comprenant pas bien les paroles de Job, y voient des expressions quelque peu dures contre le Seigneur. 8. Dans cette colère contre Dieu, que lui prêtent ceux qui ne le comprennent point, il dit ceci, entre autres, sadressant à Dieu, alors quil était la grande personnification dune grande prophétie : Puisse-t-il y avoir un « arbitre entre vous et moi 2 ! » Quest-ce à dire, «un arbitre 3?» Un homme jugeant entre nous, et dont le jugement ferait triompher ma cause. Tel est le premier sens qui soffre dabord: mais examine, afin déviter une erreur ; car le serpent a toujours loeil sur ton talon 4.Quel paraît être le sens de cette parole; « Puisse-t-il y avoir un arbitre entre vous et moi ! » cest-à-dire un médiateur capable de juger entre vous et moi. Ce langage dun homme à Dieu, dun homme sur un fumier, un ange dans le ciel le tiendrait-il à Dieu: Puisse-t-il y avoir un arbitre entre nous! Mais que prévoyait Job, que désirait-il? « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir », dit le Sauveur, « ce que vous voyez et ne lont point vu ». Il souhaitait donc un arbitre; et quest-ce quun arbitre? Un médiateur qui accommode un différend. Nétions-nous donc pas ennemis de Dieu, et notre cause contre lui nétait-elle point désespérée? Or, qui pouvait terminer ce malheureux différend, sinon cet arbitre médiateur, sans lavènement duquel toute voie miséricordieuse nous était fermée? Cest de lui que lApôtre a dit : « Il ny a quun Dieu, et quun médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 6». Sil nétait homme, il ne serait point médiateur; comme Dieu, en effet,il est égal à son Père. Il est dit ailleurs : « Un médiateur ne 1. Job, II, 10. 2. Id. IX, 33, suiv. les Septante. 3. O mesites emon . 4. Gen. III, 15. 5. Matth. XIII, 17. 6. I Tim. II, 5. 546 lest pas dun seul, et il nest quun seul a Dieu 1 ». On nest médiateur quentre deux; le Christ est donc médiateur entre lhomme et Dieu, Non parce quil est Dieu, mais parce quil est homme: comme Dieu, il est égal à son Père ; mais dans cette égalité il nest point médiateur, Pour être médiateur, il doit descendre entre le supérieur et linférieur, et dès lors nêtre plus égal au Père; il doit faire ce qua dit lApôtre: « Il sest anéanti en prenant la forme de lesclave, en se faisant semblable aux hommes et reconnaître homme par tout ce qui a paru en lui 2 ». Quil répande son sang, effaçant ainsi notre condamnation 3; quil apaise le différend qui est entre nous, en redressant notre volonté selon la justice, et en inclinant sa sentence vers la miséricorde. Cest ainsi que nous expliquons avec le secours de Dieu, et selon quil nous est possible, une expression qui nous paraît dure dans Job; de même il y a manière dentendre les autres expressions qui semblent dures et blasphématoires. Nous pourrions penser le contraire, si Dieu neût rendu témoignage à son serviteur et avant quil eût parlé, et après quil eût achevé de parler. Car Dieu lui rendit tout dabord témoignage, en lappelant: « Un homme irréprochable, un véritable adorateur de Dieu 4 ». Ainsi dit le Seigneur, ainsi dit-il avant la tentation. Mais afin quon ne pût se scandaliser en interprétant mal ces paroles, et en simaginant que Job fût juste à la vérité avant lépreuve, mais quune épreuve si rude le fit tomber, et même tomber dans le sacrilège et le blasphème, voilà quaprès tous les discours et de Job et des amis qui étaient venus pour le consoler, le Seigneur déclare que ces amis nont point parlé selon la vérité comme avait fait son serviteur Job. « Vous navez dit en ma présence aucune vérité, comme Job mon serviteur 5». Puis il ordonne à Job doffrir pour eux un sacrifice, afin que leurs péchés soient effacés. 9. Courage donc, mes frères, que celui qui veut observer la tête du serpent, et passer en toute sécurité la mer de cette vie, prenne garde au serpent dont elle est la demeure, et comme je le disais, le diable tombé du ciel, occupe maintenant cette place; quil observe sa tête, loin de toute crainte et de tout désir du siècle. Car ses suggestions aboutissent à la 1. Ga. III, 20. 2. Philipp. II, 7. 3. Colos, II, 14. 4. Job, I, 8. 5. Id. XLII, 7, 8. crainte ou au désir; cest ton amour ou ta crainte quil sapplique à sonder, Toi donc, si tu crains lenfer, si tu désires le ciel, tu observeras sa tête; en évitant sa tête, tu es en assurance ; il ne te verra point tomber, et naura point de ta ruine une joie féroce. Que personne donc, je le répète, ne nous dise quil a un grand pouvoir. Les hommes semblent ne voir que la puissance quil a reçue, sans voir ce quil a perdu. Mais Job, ce saint personnage, dans un langage figuré et dune haute profondeur, nous parle de ce pouvoir que lon attribue au diable, et le décrivant sous un grand nombre de formes et de figures, nous dit ce quest ce diable : « Rien de semblable ne sest fait sur la terre, afin que mes anges se jouent de lui ». Cest Dieu qui parle ainsi dans le livre de Job: « Rien de semblable ne sest fait sur la terre, afin que mes anges se jouent de lui. Il voit tout ce qui est élevé; il est le roi de tout ce qui est dans les eaux 1». Ces paroles sont daccord avec celles de notre psaume. Car en parlant de cette mer vaste et spacieuse, où se meuvent des animaux grands et petits, des reptiles sans nombre, où passent les navires que sauvegarde le bois, il sécrie : « Là est ce dragon que vous avez formé pour être un jouet ». Si donc il est un jouet, comment Dieu se jouet-il de lui? Ou bien Dieu la-t-il livré à dautres comme un jouet, cest-à-dire afin quon lui insulte? Nous croirions que cest de Dieu quil est le jouet, si le livre de Job ne tranchait la difficulté; car il nous dit : « Pour être le jouet de mes anges ». Veux-tu que le diable soit ton jouet ? Sois un ange de Dieu. Mais tu nes pas encore un ange du Seigneur. Jusquà ce que tu le deviennes, si tu prends le moyen de le devenir, il est dautres anges qui peuvent se jouer du dragon, lempêcher de te nuire. Car ces anges du ciel sont établis sur les puissances de lair, cest par eux que vient toute parole qui saccomplit ici-bas. Ils contemplent cette loi immuable, éternelle, qui commande sans écriture, sans syllabe, sans aucun son, toujours fixe, toujours la même; les anges la contemplent dun coeur pur, et selon ses préceptes, ils font tout ce qui saccomplit ici-bas; et depuis la plus haute puissance jusquà la dernière, tout est réglé par cette loi. Or, si les hautes puissances des cieux sont gouvernées par la parole de Dieu, combien 1. Job, XLI, 24, 25, suiv. les Septante. plus les puissances inférieures et terrestres? Il ne reste donc aux méchants que la volonté de nuire. Cest ce désir de nuire que lhomme a en propre, et désir qui le perd. Mais quil ne se glorifie point davoir pu nuire à quelquun : ce nest pas lui qui a nui, cest Dieu qui lui en a donné le pouvoir. Cest un arrêt prononcé, une sentence irrévocable : « Il ny a point de puissance qui ne vienne de Dieu 1 ». Que crains-tu donc ? Que le dragon soit dans les eaux, quil soit dans la mer, tu passeras. Il est destiné à être un jouet, cest le rang quon lui a donné, la demeure qui lui est assignée. Si tu regardes comme grandes encore ces demeures, cest que tu ne connais point les demeures des anges doù i1 est tombé; ce que tu vois comme une gloire, est une damnation. 10. Ecoutez une simple comparaison; car cest un grand point que connaître et comprendre tout ceci. Imaginez-vous que toute ces créatures ainsi coordonnées forment une vaste maison; or, dans cette maison est un souverain maître qui a des serviteurs, et parmi ces serviteurs quelques-uns lapprochent de plus près, ont des emplois plus nobles, comme la garde des vestiaires, des trésors, des greniers, des grands fermages; il a aussi des serviteurs pour des emplois inférieurs, toujours soumis à ce maître, qui en a même destiné aux cloaques; voyez combien sont nombreux les degrés entre les premiers officiers et ces derniers. Mais quun des premiers vienne à offenser son maître qui lenvoie comme portier, par exemple, en quelque lieu écarté; quen exerçant le pouvoir qui lui est assigné, il maltraite ceux qui voudront entrer ou sortir, selon le pouvoir quil a reçu du maître, et que ceux-ci ne sachent point quil occupa jadis un rang très-élevé, ils lui croiraient une grande puissance, parce quils ne connaîtraient point de quel rang il est tombé. Et pourtant, mes frères, ce portier dont je vous parle, dans cette comparaison dune grande maison de la terre, pourrait agir encore à linsu de son maître, et maltraiter quelquun sans son ordre. Mais le diable nest pas même placé à cette porte par laquelle nous allons à Dieu. Car cette porte cest le Christ, et cest par le Christ que nous entrons dans la vie éternelle 2. Mais il est une autre porte par laquelle on entre dans le monde, cest la porte de la mortalité; il est 1. Rom. XIII, 1. 2. Jean, X, 9. comme portier à cette porte où notre chair infirme se détruit et se refait : il a le pouvoir sur cette mer que traversent les vaisseaux, mais pas un pouvoir tel quil agisse à linsu ou contre la volonté du maître. Quon ne dise point : Il a perdu la puissance quil avait dans les grands emplois ; mais moi je suis dans les plus basses régions, il peut avoir un pouvoir sur moi, et je devrais le servir. Ici point dillusion; ton Naître te connaît, et il te connaît au point de savoir le nombre de tes cheveux 1. Que crains-tu donc? Le démon taiguillonnera peut-être dans ta chair: mais cest là le fouet de ton maître, et non le pouvoir du tentateur. Il voudrait nuire au salut qui test promis, mais il en est empêché; afin quon nele lui permette point, prends Jésus-Christ pour chef; repousse la tête du dragon, éloigne ses suggestions, et ne téloigne point de ta voie. « Là est le dragon que vous avez fait pour servir de jouet». 11. Veux-tu voir quil ne peut te nuire, si Dieu ne le permet? « Toutes les créatures attendent de vous la nourriture au temps marqué 2 ». Ce dragon voudrait manger aussi, mais il ne dévore point celui quil voudrait. « Toutes les créatures attendent de vous la nourriture au temps marqué » « Toutes», et celles qui rampent, qui sont sans nombre, et les grands animaux et les petits, et ce dragon, et toutes les créatures dont vous avez rempli la terre: « Toutes attendent de vous la nourriture au temps marqué » ; à chacun la nourriture qui lui est propre. Tu as ta nourriture, le dragon aussi a la sienne. Si la vie est chrétienne, tu as pour nourriture le Christ; en téloignant du Christ, tu seras la nourriture du dragon. « Toutes les, créatures attendent de vous-leur nourriture au temps marqué » Quest-il dit au dragon? « Tu mangeras la terre ». Dieu dit donc au dragon: « Tu mangeras la terre, tous les jours de ta vie. » Voilà quelle est la nourriture du dragon. Tu ne veux pas que Dieu te donne en pâture à ce dragon? Eh bien! non, ne sois pas la pâture du dragon, cest-à-dire, nabandonne pas les préceptes de Dieu. A cet endroit même où Dieu dit au dragon: «Tu mangeras la terre», il est dit à lhomme prévaricateur: «Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 3 ». Veux-tu nêtre point la proie du serpent? Ne sois point terre. Mais, diras-tu, comment nêtre pas une terre? Arrière les goûts terrestres. Ecoute saint 1. Matth. X, 30. 2. Ps. CIII, 27. 3. Gen. III, 14, 19. Paul, afin de nêtre pas une terre. Ton corps est une terre à la vérité, mais toi ne sois pas terrestre. Quest-ce à dire? « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, où est le Christ assis à la droite de Dieu; ayez des goûts den haut, et non des goûts de la terre 1». Ne pas goûter la terre, cest nêtre point terrestre : et si tu nes pas une terre, tu ne seras point la pâture du serpent, qui a la terre pour nourriture. Dieu donne au serpent sa nourriture, quand il veut, et comme il veut; mais il fait un discernement exact, et ne saurait se tromper, il ne lui donnera point de lor pour de la terre. « Toutes les créatures, Seigneur, attendent de vous la nourriture au temps marqué; vous donnez, elles recueillent 1 ». Cette nourriture est en leur présence; mais si vous ne donnez, elles ne recueillent point. Job était en présence du diable; et le démon nen fit point sa proie, nosa même lattaquer, que sur la permission de Dieu 3. «Elles lattendent de vous; quand vous donnez, elles recueillent» : elles ne recueillent point, si vous ne donnez. 12. Et nous, mes frères, quelle est notre nourriture? Voici ce que dit notre psaume: « Vous ouvrez la main, elles sont rassasiées de vos dons ». Que signifie cette parole, ô mon Dieu, vous ouvrez votre main? Votre main, cest le Christ. « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 4 ? » Révéler ici, cest ouvrir; car une révélation est une manifestation. « Or, vous ouvrez la main, et elles sont rassasiées de vos dons ». Quand vous révélez votre Christ, « tout est comblé de vos bontés ». Ces créatures nont point par elles-mêmes ces richesses ; et souvent vous le leur faites sentir: « Car vous détournez votre face, et elles sont dans le trouble 5 ». Plusieurs au comble des biens se sont attribué ce quils avaient, et ont voulu sen glorifier comme dun fruit de leur propre justice, et se sont dit : Me voilà juste, me voilà grand : ils ont mis en eux-mêmes leur complaisance. Et lApôtre leur dit : « Quavez-vous, que vous nayez reçu 6?» Or, Dieu voulant nous prouver que cest de lui que nous tenons tout, et nous faire unir lhumilité aux dons de sa bonté, nous jette parfois dans, la confusion. Il détourne de nous son visage, et nous tombons dans lépreuve; nous montre que notre justice, que notre 1. Coloss. III, 1, 2. 2. Ps. CIII, 28. 3. Job, I, 12. 4. Isa, LIII, 1. 5. Isa. CIII, 29. 6. I Cor. IV, 7, vie régulière ne nous venaient que de sa direction. « Vous détournez votre face, et ils sont dans le trouble ». Voyez ce qui est dit dans un autre psaume : « Jai dit dans mon abondance : Je ne serai point ébranlé éternellement 1». Comblé de richesses, il a présumé de lui-même, il a cru que ses richesses venaient de lui-même, et il a dit dans son coeur: « Je ne serai point ébranlé éternellement». Mais bientôt lexpérience lui ayant appris quil a reçu de Dieu la grâce, il remercie le Seigneur : « Cest dans votre bonté, Seigneur, que vous mavez donné la beauté et la force 2 ». De même ici : « Vous ouvrez votre main, vous ouvrirez donc votre main, la vôtre et non la leur, et toutes les créatures seront comblées de vos bontés. Elles seront dans le trouble quand vous détournerez votre face ». 13. Mais pourquoi en agir ainsi? Pourquoi les jeter dans le trouble en détournant votre face? « Vous retirez leur esprit, et ils meurent ». Leur esprit, cest leur orgueil. Ils se glorifient donc, sattribuent à eux-mêmes ce quils sont, et se croient justes par eux-mêmes. Détournez donc votre face, afin quils soient dans le trouble; retirez leur esprit,afin quils tombent, quils crient vers vous en disant: « Exaucez-moi, ou plutôt, Seigneur, mon esprit est en défaillance; ne détournez point de moi votre face 3. Vous retirez leur esprit et ils succomberont, et rentreront dans leur poussière ». Lhomme qui se relient de son péché reconnaît quil na en lui-même aucune force, il confesse à Dieu quil nest que cendre et poussière. O homme superbe, te voilà donc rentré dans la poussière : ton esprit nest plus en toi; tu nas plus de jactance, plus dorgueil, plus de confiance dans ta justice; tu vois que tu viens de la poussière, et que le Seigneur,: en détournant sa face, te fait rentrer dans ta poussière. Implore donc sa démence, en confessant que tu es poussière et faiblesse. 14. Voyons la suite: « Vous enverrez votre esprit, et ils seront créés 4». Vous retirerez deux leur esprit pour leur envoyer le vôtre: « vous retirerez donc leur esprit » et ils nauront plus leur esprit propre; Sont-ils alors dénués complètement? « Bienheureux ceux qui sont pauvres desprit » ; mais ils ne sont point dans le dénuement, puisque: « Le royaume des 1. Ps. XXIX, 7. 2. Id. 8. 3. Id. CXLII, 7. 4. Id. CIII, 30. 549 cieux leur appartient 1 ». En renonçant à leur propre esprit, ils auront lesprit de Dieu. Voici ce quil dit aux martyrs futurs: « Quand ils vous auront saisis, et quils vous emmèneront, ne vous inquiétez pas comment vous parlerez, ni de ce que vous direz; car ce nest point vous qui parlez, mais bien lEsprit de votre Père qui parle en vous 2 ». Ne vous attribuez point votre force, car si elle venait de vous et non de moi, ce serait une dureté plutôt quune force. « Vous retirerez leur esprit et ils tomberont et retourneront dans leur poussière; vous enverrez votre esprit, et ils seront créés. Car nous sommes loeuvre de Dieu», nous dit lApôtre, «créés dans les bonnes oeuvres 3 ». De son esprit nous vient la grâce qui nous fait vivre dans la justice; car cest lui qui justifie limpie 4. « Vous retirerez leur esprit et ils tomberont; vous enverrez votre esprit et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre»: cest-à-dire, vous y mettrez des hommes nouveaux, qui confesseront que leur justice ne vient pas deux-mêmes, afin que votre grâce soit en eux. Voyez quels sont les hommes par qui la face de la terre a été renouvelée. Saint Paul nous répond : « Jai travaillé plus que tous les autres ». Quest-ce à dire, ô Paul? Voyez bien si cest ,vous, si cest votre esprit. « Non pas moi », dit-il, « mais la grâce de Dieu avec moi 5 ». 15. Quarrivera-t-il donc lorsque Dieu aura enlevé notre esprit, et que nous serons dans notre poussière, considérant pour notre bien quelle est notre infirmité, afin quen recevant lesprit de Dieu nous soyons renouvelés ? Vois la suite: « Que la gloire de Dieu subsiste à jamais 6 ». Non ta gloire, non la mienne, non celle de celui-ci ou de celui-là, mais « la gloire de Dieu »; quelle subsiste non pour un temps, mais « à jamais 6» . « Le Seigneur se complaira dans ses oeuvres ». Non point dans les tiennes comme venant de toi; car si tes oeuvres sont mauvaises, cest à cause de liniquité qui vient de toi; si elles sont bonnes, cest par la grâce de Dieu. « Le Seigneur se complaira dans ses oeuvres ». 16. « Cest lui qui regarde ta terre, et elle tremble; il touche les montagnes, et elles sembrasent 7 ». O terre, tu tapplaudissais dans ta bonté, tu tarrogeais tes forces, ton 1. Matth. V, 3. 2. Id. X, 19, 20. 3. Ephés. II, 10. 4. Rom. IV, 5. 5. I Cor. XV, 10. 6. Ps. CIII, 31. 7. Id. 32. opulence, et voilà quun regard du Seigneur te fait trembler. Ah ! quil te regarde, et que son oeil te fasse trembler ; mieux vaut lhumilité qui tremble, que lorgueil qui sapplaudit. Voyez comment Dieu regarde la terre et la fait trembler. Voilà que lApôtre, sadressant à une terre qui sapplaudit, qui a confiance en elle-même, lui dit : « Travaillez à vous sauver, avec crainte et tremblement; car cest Dieu qui opère en vous 1». Voici donc vos paroles, ô bienheureux Apôtre : « Travaillez », cest le travail qui nous est commandé; pourquoi « avec tremblement?» «Cest que Dieu », dit lApôtre, « opère en vous ». Ainsi donc cest parce que « Dieu opère » que nous devons travailler « avec crainte ». Parce que cest lui qui nous donne, que ce qui est en nous ne vient pas de ,nous, il nous faut travailler avec crainte et avec tremblement; si nous navons aucune crainte, il nous ôtera ce quil nous a donné. Travaille donc avec crainte; vois dans un autre psaume: « Servez le Seigneur avec crainte, et tressaillez devant lui avec tremblement 2». Si donc notre allégresse doit être mêlée de crainte, Dieu regarde la terre, et elle tremble : que son regard fasse trembler nos coeurs; et alors Dieu y prendra son repos. Ecoute aussi un autre passage : « Sur qui reposera mon esprit ? Sur lhomme humble et calme, sur lhomme qui tremble à ma parole 3. Lui qui regarde la terre et elle tremble ; qui touche les montagnes « et elles sembrasent u. Ces montagnes, cétaient les superbes, qui sapplaudissaient, et que Dieu navait pas encore touchés; il les touche, et les voilà qui sembrasent. Quest-ce que sembraser pour des montagnes ? Offrir à Dieu leur prière. Voilà donc ces montagnes grandes, superbes, gigantesques, et qui ninvoquent point le Seigneur: elles voulaient être invoquées, sans invoquer aucun supérieur. Quel est sur la terre lhomme puissant, élevé, orgueilleux, qui daigne shumilier devant Dieu pour prier? Je parle ici des impies, et non des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés. Tous ces impies, toutes ces âmes infortunées, ne savent invoquer le Seigneur, et veulent recevoir les hommages des hommes. Telle est la montagne qui a besoin dêtre touchée par le Seigneur, pour senflammer; mais dès quelle sera embrasée, sa prière montera vers Dieu comme le sacrifice 1. Philipp. II, 12, 13. 2. Ps. II, 11. 3. Isa. LXVI, 2. 550 du coeur. Ce nest dabord quune fumée légère, puis on se frappe la poitrine, puis on répand des larmes, car la fumée provoque les larmes. « Il touche les montagnes, et elles sembrasent ». 17. « Je chanterai au Seigneur durant ma vie ». Que doit-il chanter ? Il chantera tout ce quil est. Chantons au Seigneur dans notre vie. Maintenant la vie est pour nous une espérance, elle sera ensuite une éternité. La vie dune vie mortelle est lespérance dune vie immortelle, « Je chanterai durant ma vie au Seigneur; je chanterai mon Dieu sur la harpe tant que je subsisterai 1 ». Puisque je dois être en lui sans fin, je chanterai mon Dieu tant que je subsisterai. Nallons pas nous imaginer quaprès avoir commencé à chanter Dieu dans la céleste Jérusalem, nous puissions faire autre chose ; toute notre vie sera de chanter Dieu. Si Dieu pouvait nous fatiguer, nos louanges à sa gloire le pourraient aussi : mais laimer toujours, cest le louer toujours. « Je chanterai mon Dieu, tant que je vivrai ». 18. « Que mon entretien soit agréable à son coeur; pour moi, je naurai de joie que dans mon Dieu ». « Que mon entretien lui soit agréable 2». Quel entretien peut avoir un homme avec Dieu, qui ne soit une confession de ses péchés? Avouer à Dieu ce que tu es, cest avoir un entretien avec lui. Dispute avec lui, fais de bonnes oeuvres, et compte avec Dieu. « Lavez-vous, purifiez-vous », dit lsaïe, « effacez de devant mes yeux la malice de vos pensées; cessez de commettre linjustice, apprenez à faire le bien, relevez lorphelin, défendez la veuve, puis venez, disputons ensemble, dit le Seigneur 3 ». Quest-ce que disputer avec Dieu? Fais-toi connaître à celui qui te connaît déjà, et il se fera connaître à toi qui lignores. « Que ma dispute lui soit agréable ». Voilà donc ce qui plaît au Seigneur, ta discussion, le sacrifice de ton humilité, laffliction de ton coeur, lholocauste de ta vie, voilà ce qui est agréable au Seigneur. Pour toi, où trouves-tu quelque douceur? « Pour moi, je mettrai ma joie dans le Seigneur ». Tel est lentretien: dont je parlais. Fais-toi connaître à celui qui te connaît, et il se fera connaître à toi, qui ne le 1. Ps. CIII, 33. 2. Id. 34. 3. Isa. I, 16 -18. connais pas. Ta confession lui est agréable, et sa grâce est pour toi une douceur. Car il sest dit à toi. Comment se dire à toi ? Par son Verbe. Quel Verbe ? Le Christ, lite parle, et il se dit. Envoyer son Christ, cétait se dire. Ecoutons donc, mes frères, écoutons le Verbe lui-même : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père 1. Pour moi, je mettrai ma joie dans le Seigneur ». 19. « Que les pécheurs soient effacés de la terre 2». On dirait une colère du Prophète. O bénie soit lâme dont cest là lhymne et le gémissement! Plaise à Dieu que votre âme soit avec cette âme, quelle y soit unie, liée, attachée! Elle verrait alors la douceur de cette colère. Qui peut comprendre ceci, sil nest rempli de charité? « Que les pécheurs soient effacés de la terre ». Tu trembles devant cette malédiction, et de qui vient-elle? Dun saint. Assurément il sera exaucé. Mais il est dit aux saints : « Bénissez, et ne maudissez, point 3 ». Que signifie donc: « Que les pécheurs disparaissent de la terre?» Oui, quils disparaissent; que leur esprit leur soit retiré, et quils saffaissent, afin que Dieu envoie son esprit qui les créera de nouveau. « Que les pécheurs disparaissent de la terre, ainsi que les méchants, en sorte quils ne soient plus ». Quest-ce quils ne seront plus, sinon quils ne seront plus méchants ? Mais pour nêtre plus méchants, ils deviendront donc justes. Voilà ce que veut le Prophète, et il en est au comble de la joie, et il en revient au premier verset du psaume . « O mon âme, bénis le Seigneur ». Oui, mes frères, que notre âme bénisse le Seigneur, qui a daigné nous donner, à moi des forces et des paroles, à vous lattention et la bonne volonté. Que chacun se souvienne de ce quil a entendu; quil sen entretienne intérieurement, quil rumine la nourriture quil a prise, et ne la perde point dans les entrailles de loubli. Que ce précieux trésor repose dans votre bouche 4. Il en a coûté un grand travail, pour étudier et pénétrer ces symboles, un grand travail encore pour les prêcher et les élucider : que cette fatigue vous soit profitable, et que notre âme bénisse le Seigneur. 1. Jean, XIV, 9. 2. Ps. CIII, 35. 3. Rom. XIX, 14. 4. Prov. XXI, 20.
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