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DISCOURS SUR LE PSAUME CIV.LOUANGE A DIEU DANS SA BONTÉ.
Le titre indique le sujet du psaume, ou lordre prophétique intimé aux Evangélistes dannoncer lEvangile aux peuples de 1a terre. Le Prophète nous exhorte à louer Dieu par la parole et par les bonnes oeuvres, à nous tenir en sa présence, à te chercher toute notre vie, même après lavoir trouvé, cest-à-dire à nous attacher à lui par lamour; en un mot, à le prendre pour notre héritage, à le servir pour lui-même ou par une charité parfaite. Voilà pour les chrétiens plus parfaits. Aux faibles il offre pour exemple la foi des patriarches et laccomplissement des promesses qui leur étaient faites. Or, la foi fait de nous des enfants dAbraham ; ce qui regarde le Nouveau Testament, ou héritage de la foi qui en est le précepte et le nerf. Le Prophète nous dit que ces promesses étaient pour mille générations, ce qui sentend de la durée du monde, or, ces générations doivent avoir une fin; mais eu outre de la terre de Chanaan, il y a la terre du ciel qui est la récompense éternelle comme le Testament. Le Prophète nous raconte les bienfaits de Dieu envers ses élus qui vont de nation en nation, et en faveur desquels il châtie les rois de Gérare et dEgypte ; il les appelle Christs, parce quils étaient chrétiens par avance, et Prophètes parce quils étaient des images du Christ. Il envoie Joseph en Egypte, pour y souffrir, et y enseigner la vraie sagesse. Il fit éclater en faveur de son peuple une protection qui stimula lenvie des Egyptiens, puis envoya Moïse et Aaron pour les délivrer par des prodiges tels que les ténèbres, les eaux changées en sang, les moucherons, la grêle qui brisa lea arbres, les sauterelles qui dévorèrent tout; tandis que les Hébreux senrichirent aux dépens de lEgypte qui se réjouit de leur départ, quand elle vit les prodiges du Seigneur. Dieu les couvrit dune nuée, leur envoya des viandes, fit jaillir leau du rocher, leur donna ainsi les biens du temps, afin quils neussent dautre soin que dacquérir ceux de léternité. Cependant ce nest point en vue de ces récompenses terrestres, mais bien par amour, que nous devons servir Dieu.
1. Le psaume cent quatrième est le premier de ceux qui portent linscription: «Alleluia». Ce mot, ou plutôt ces deux mots signifient louange à Dieu. Aussi le psaume commence-t-il ainsi : « Confessez Jéhovah, invoquez son nom 1 ». Or, le mot « confessez» doit sentendre dune confession de louanges, comme cette parole du Christ : « Je vous confesse, Dieu du ciel et de la terre 2». Après la louange vient en effet linvocation, renfermant tous les désirs de celui qui prie. De là vient que loraison dominicale commence par une très-courte louange, qui est celle-ci : « Notre Père, qui êtes aux cieux 3 ». Viennent ensuite les demandes. De là vient que nous lisons dans un autre psaume : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom 4 ». Voilà ce qui est marqué plus clairement ailleurs : « En louant le Seigneur, je linvoquerai, et je serai délivré de mes ennemis 5». De même ici « Confessez le Seigneur, invoquez son nom »; ce qui revient à dire: Louez-le Seigneur, et invoquez son nom. Le Seigneur exauce en effet celai qui invoque, si cette invocation est une louange, et cest une louange, quand il voit que cest un acte damour. Et en quoi le Seigneur exige-t-il
1. Ps. CIV, I. 2. Matth. XI, 25. 3. Id. VI, 9. 4. Ps. LXXIV, 2. 5. Id. XVII, 4.
quun bon serviteur lui témoigne de lamour, sinon dans cette recommandation : « Paissez mes brebis 1? » Cest pourquoi le psaume ajoute : « Annoncez ses oeuvres parmi les « nations»; ou plutôt, selon la force du grec, conservée dans quelques traductions: « Evangélisez mes oeuvres parmi les nations ». A qui peuvent sadresser ces paroles, sinon aux évangélistes, dune manière prophétique? 2. « Célébrez-le dans vos chants et sur le psaltérion 2» ; cest-à-dire dans vos paroles et dans vos oeuvres. Le chant vient de la voix, cest la main qui touche du psaltérion. « Racontez toutes ses merveilles, glorifiez-vous dans son saint nom 3 ». Ces deux derniers versets peuvent très-bien être la répétition des versets supérieurs : « Racontez toutes ses merveilles », se rapporterait à cette autre parole : « Louez-le dans vos chants »; et « Glorifiez son saint nom», à: « Louez-le sur le psaltérion » . La première partie désigne cette louange quon chante en lhonneur de Dieu, en racontant ses merveilles; la seconde, ces bonnes oeuvres faites en lhonneur de Dieu, sans vouloir tirer dune bonne oeuvre la moindre louange pour sa propre vertu. Aussi, après avoir dit : « Glorifiez-vous », ce que lon peut faire pat- de bonnes oeuvres; le Prophète ajoute : « Dans son saint nom, afin
1. Jean, XXX, 17. 2. Ps. CIV, 2. 3. Id. 3.
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que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur 1». Que ceux donc qui prennent le psaltérion, non point pour eux, mais en son honneur, naffectent point de faire leurs bonnes oeuvres devant les hommes, afin den être vus; autrement ils ne recevraient aucune récompense de notre Père qui est dans le ciel 2; mais que leurs bonnes oeuvres éclatent devant les hommes, non point afin quils vous voient vous-mêmes, mais afin quà la vue de vos bonnes oeuvres, ils glorifient leur Père qui est dans le ciel 3. Voilà ce que le Prophète appelle se glorifier en son nom. De là cette parole dun autre psaume : « Mon âme se glorifiera dans le Seigneur; que ceux qui ont le coeur doux mentendent, et partagent mon allégresse 4 ». Ce qui revient presque à cette parole : « Quil soit dans la joie, le coeur de ceux qui cherchent le Seigneur 5 ». En sorte quils sont dans la joie, ces coeurs doux qui nont point une arrière jalousie contre ceux qui font le bien. 3. « Cherchez le Seigneur, et reprenez courage 6, « confortamini ». Cette expression rend mieux la force du grec, bien quelle semble moins latine. Aussi trouvons-nous dans certains exemplaires : Confirmamini, soyez plus fermes; dans dautres: Corroboramini, soyez plus forts. Cest -à Dieu que lon dit en effet: « Vous êtes ma force 7 » ; et encore : « Cest pour vous que je garderai ma force « » ; afin quen le cherchant, et quen nous approchant de lui, nous soyons éclairés et raffermis: de peur que laveuglement ne nous empêche de voir ce quil faut faire, et la faiblesse de faire ce que nous pourrions voir. Donc, afin que nous puissions voir, on nous dit : « Approchez, et soyez dans la lumière 9» ; et afin que nous puissions agir: « Cherchez le Seigneur, et acquérez la force. Cherchez toujours sa face». Quest-ce que la face du Seigneur, sinon la présence de Dieu? Il en est de même de la face du vent, et de la face du feu; il est dit en effet : « Comme le vent chasse la paille devant sa face 10 »; et encore: « Comme la cire coule en face du feu 11», et bien dautres passages de 1Ecrilure, où la face ne signifie rien autre chose que la présence. Mais que signifie : «Cherchez toujours sa face? » Je sais que le souverain bonheur
1. I Cor. I, 31. 2. Matth. VI, 1. 3. Id. V, 16. 4. Ps. XXXIII, 2, 3. 5. Id. CV, 3. 6. Id, 4. 7. Id. XVII, 2. 8. Id. LVIII, 10. 9. Id. XXXIII, 5. 10. Id. LXXXII, 14. 11. Id. LXVII, 3.
pour moi est de mattacher à Dieu 1. Mais si je cherche Dieu toujours, quand le trouverai-je? Ou bien « toujours », signifierait-il pendant toute cette vie que nous passons ici-bas, depuis que nous avons connu que nous devions le faire, puisque après lavoir trouvé, il faut le chercher encore ? La foi la trouvé en effet, mais lespérance le cherche encore. La charité la trouvé par la foi, mais elle cherche à le posséder par la claire vue; cest alors que nous le trouverons de manière quil nous suffira, et que nous ne devrons plus le chercher. Si la foi ne le trouvait en cette vie, lEcriture ne nous dirait point : « Cherchez le Seigneurs; et quand vous laurez trouvé, que limpie abandonne ses voies, et lhomme diniquité ses pensées 2 ». De même, si lon ne devait point le chercher encore après lavoir trouvé, elle ne dirait point: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous lattendons par la patience 3» ; ni avec saint Jean: « Nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est 4 ». Et quand nous laurons vu face à face, et tel quil est, ne faudra-t-il point le chercher encore, et le chercher sans fin, puis. quil faut laimer sans fin? A un homme pré. sent, nous disons en effet : Je ne te recherche point, pour lui dire, je ne taime point. Doù il suit que lon recherche celui que lon aime, alors même quil est présent, et quun amour continuel sefforce de ne sen éloigner jamais. Lamour, loin de se fatiguer de la vue de son objet, le veut toujours sous ses yeux, le cherche même présent. Tel est le sens de cette parole: « Cherchez toujours sa face » ; en sorte que cette recherche qui signifie lamour, ne finit point lorsque lon trouve; mais à mesure que lamour senflamme, on recherche encore celui quon avait trouvé. 4. Mais ce Prophète qui loue, Dieu avec une ardeur si vive, tempère sa flamme et se met à notre niveau pour nous parler; afin dallaiter notre amour encore faible, il nous raconte les merveilles de Dieu : « Souvenez-vous des merveilles quil a faites, des prodiges de sa puissance, et des oracles de sa bouche 5». Parole qui parait assez semblable à cette réponse faite à Moïse qui demandait à Dieu qui il était: après lui avoir répondu : « Je suis celui qui suis», Dieu ajoute : « Tu diras aux
1. Ps. LXXII, 28. 2. Isa. LV, 6, 7. 3. Rom. VIII, 25. 4. Jean, III, 2. 4. Ps. CXV, 5.
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enfants dIsraël : Celui qui est ma envoyé vers vous ». Il faut être une montagne pour comprendre Dieu dans une définition si courte ; puis Dieu, pour expliquer son nom, voulut bien sabaisser jusquà notre proportion, en disant : « Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac, le Dieu de Jacob; cest là mon nom pour léternité 1 ». Il voulut nous faire comprendre que ceux dont il se dit Dieu, vivent avec lui éternellement; et il disait ainsi ce que les plus faibles pouvaient comprendre, afin que cette autre parole: « Je suis celui qui suis», fût comprise autant que possible par ceux dont la charité est assez robuste pour chercher toujours sa face. Si donc cest beaucoup pour vous de voir ou de chercher ce quil est : « Souvenez-vous de ses merveilles, de ses prodiges et de ses jugements ». 5. Et à qui sadresse le Prophète? « Postérité dAbraham son serviteur, fils de Jacob son élu 2 ». Vous, enfants dAbraham, vous, fils de Jacob, « Souvenez-vous des merveilles quil a opérées, de ses prodiges, de ses jugements ». Et de peur quon nattribue ces paroles à la seule nation des Israélites selon la chair, et que par cette race dAbraham on ne comprenne les enfants selon la chair, plutôt que les enfants de la promesse, auxquels saint Paul a dit en parlant aux Gentils: « Vous êtes la race dAbraham, les héritiers selon la promesse 3», voilà que le Prophète nous dit ensuite : « Cest le Seigneur qui est notre Dieu, ses jugements remplissent la terre 4 ». Voici ce que dit Isaïe à cette Jérusalem libre qui est notre mère : « Celui qui ta délivrée, cest ton Dieu, qui sera nommé le Dieu de la terre 5». Est-ce seulement le Dieu des Juifs? Loin de là 6 : « Cest le Seigneur qui est notre Dieu, et ses jugements remplissent toute la terre ». Car lEglise est partout, et cest lEglise qui prêche ses jugements. Pourquoi donc un autre psaume nous dit-il : « Il annonce sa parole à Jacob, sa justice et ses jugements à Israël ; mais il na pas traité ainsi les autres peuples, et ne leur a pas découvert ses jugements 7 ? » Le Prophète a voulu nous dire par là quil ny a quun seul peuple qui soit la postérité dAbraham, et que ce peuple est formé de tous les autres, en sorte quil ny a quun seul peuple appelé à ladoption. En dehors de cette nation, Dieu
1. Exod III, 13, 14. 2. Ps. CIV, 6. 3. Gal. III, 29. 4. Ps. CIV, 7. 5. Isa. LIV, 5. 6. Rom. III,29. 6. Ps. CXLVII, 19, 20.
na pas manifesté ses jugements ; car ils ne sont point compris de ceux qui ne croient point, quoiquils soient annoncés ; ne pas croire, cest ne pas comprendre. 6. « Il sest souvenu de son alliance dans la suite des siècles 1». Dautres exemplaires portent, non plus, in saeculum, mais in aeternum, dans léternité ; ambiguïté qui vient du grec. Sil faut coin prendre ici in aeternum, éternellement, et non in saeculum, dans la suite des siècles, comment alors expliquerons-nous ce qui suit: « De ce Verbe quil étend à mille générations? » car ici il y a une fin; mais il dit ensuite : «Que Dieu disposa de cette parole en faveur dAbraham, dun serment en faveur dIsaac; quil laffermit en Jacob comme un précepte, et en Israël comme un testament éternel 2». Ici, nulle ambiguïté: le grec porte aionion , que lon na jamais traduit en latin que par aeternum ; à peine quelques-uns lont-ils traduit par aeternale. A moins, cependant, quon ne traduise plus familièrement aiona par « un siècle », et aionion par « non éternel », mais une durée séculaire; je ne connais personne qui ait hasardé cette traduction. Sil vous faut comprendre ici lAncien Testament à cause de la terre de Chanaan; car voici le texte: « Il la donné à Jacob comme une lois, et à lui encore, à Israël comme un testament éternel, en disant : « Je te donnerai la terre de Chanaan, partagée entre vous comme un héritage 3». Comment alors entendre lexpression « éternel », puisque cette terre ne peut demeurer éternellement en héritage ? Et sil y a un Ancien Testament, cest quil a été aboli par le Nouveau. Mais « mille générations » ne paraissent rien désigner déternel, car elles ont une fin, et sont bien nombreuses pour des années temporelles. Bien quune génération, en grec, genean ne contienne pas beaucoup dannées, puisque lon a borné la moindre à quinze années, âge où un homme peut engendrer, quelles sont ces mille générations, à partir non-seulement dAbraham à qui Dieu fit ces promesses, jusquau nouveau Testament, mais même à partir dAdam jusquà la fin du monde ? Qui oserait assurer au monde une durée de quinze mille années? 7. Il me semble donc que lon ne doit pas appliquer ces paroles du Prophète à lAncien Testament qui devait remplacer le Nouveau ;
1. Ps. CIV, 8. 2. Id. 9, 10. 3. Id, 11.
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puisquun autre Prophète nous dit : « Voici que viennent des jours, dit le Seigneur, et jaffermirai avec Jacob une alliance nouvelle, mais peu semblable à celle que jai établie avec leurs pères, quand je les ai tirés de lEgypte 1»; cest lalliance de la foi, que relève saint Paul, quand il nous recommande Abraham pour modèle, et condamne ceux qui se glorifiaient des oeuvres de la loi, par lexemple de ce patriarche qui crut à Dieu avant la circoncision, et à qui sa foi fut imputée à justice 2. Enfin après avoir dit que Dieu « sest souvenu de son Testament dans la suite des siècles », ce quil faut entendre de léternité, car cest là le Testament de la justification, et de lhéritage éternel, que Dieu promit à la foi : « De cette parole quil enjoignit pour mille générations ». Quest-ce à dire qu « il enjoignit ? » Dire : « Je te donnerai la terre de Chanaan », ce nest point là une injonction, mais une promesse. Une injonction nous dit ce quil faut faire, une promesse ce quil faut recevoir. La foi est donc un précepte, en sorte que le juste vit de la foi 3, et quà cette foi Dieu promet un héritage éternel. Ces « mille générations», sont un nombre parfait qui les désigne toutes, cest-à-dire quil nous est enjoint de vivre selon la foi, tant quune génération succède à une génération. Tel est le commandement que pratique le peuple de Dieu, ou ces fils de la promesse, qui arrivent pal- la naissance, qui sen vont par la mort, jusquà ce quil ny ait plus de génération ; voilà ce que signifie le nombre mille, car le nombre dix, élevé au carré, est dix fois dix, et en le multipliant par dix, nous arrivons à mille. « Il en disposa en faveur dAbraham, il en fit le e serment à Isaac, il le confirma à Jacob », cest-à-dire à Jacob lui-même, « comme une loi ». Tels sont les trois patriarches dont le Seigneur sappelle le Dieu dune manière spéciale, et quil désigne dans le Nouveau Testament, quand il dit : « Beaucoup viendront dOrient et dOccident, et reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux 4». Voilà lhéritage éternel. Car en disant ici qu « il laffermit en précepte pour Jacob », le Prophète montre bien que la foi est un précepte, puisquune promesse ne prendrait pas le nom de précepte.
1. Jérém. XXXI, 31, 32. 2. Gal, III, 5, 6. 3. Rom. I, 17. 4. Matth. VIII, 11.
Le précepte renferme une oeuvre, la promesse une récompense. « Loeuvre de Dieu», dit le Seigneur, « cest que vous croyiez en celui qui ma envoyé 1». Telle est la parole dont il a fait un précepte: « Il sest souvenu de son alliance dans le cours des siècles »; parole de foi que nous prêchons 2: « Dieu la e établie comme un précepte en Jacob lui-même, et à lui, Israël, comme un testament éternel », cest-à-dire quil donnera une récompense éternelle à laccomplissement de cette parole, de ce précepte. « En disant: Je te donnerai la terre de Chanaan, comme le cordeau de ton héritage ». Comment cela serait-il éternel, si cette terre ne nous marquait rien déternel? Elle est appelée terre promise, terre où coulent et le lait et le miel 3, ce qui nous marque la gloire de Dieu, grâce qui nous fait goûter combien le Seigneur est doux 4, et qui nest point le partage de tous les hommes. Car la foi nest point commune à tous Aussi le Prophète a-t-il ajouté: « Cest le cordeau de votre héritage ». De là cette parole que profère, dans un autre psaume, le Christ ou la race dAbraham: « Le cordeau a mesuré ma part dans un lieu ravissant, et la portion de mon héritage est illustre à mes yeux 6 ». Pourquoi dès lors lappeler terre de Chanaan? cest ce que nous indique la signification de ce nom; Chanaan signifie en effet humble. Si on lentend au point de vue de Noé qui prédit que Chanaan sera le serviteur de ses frères 7, nous y retrouvons la crainte servile : « Or, le serviteur ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement 8». On chasse donc Chanaan, pour donner la terre des promesses aux enfants dAbraham; car la charité parfaite bannit toute crainte 9, en sorte que le fils demeure en la maison éternellement. De là vient quil est dit: « Et à Israël lui-même, pour une alliance éternelle ». 8. Le Prophète parcourt ensuite lhistoire si connue et si vraie des Livres saints. « Ils étaient en petit nombre alors, faibles et voyageurs sur cette terre 10 ». Cest-à-dire, cette terre de Chanaan. Quand elle était habitée parleurs pères, Abraham, Isaac et Jacob, avant quils leussent reçue en héritage, ils ny étaient alors quen petit nombre et comme
1. Jean, VI, 29. 2. Rom. X, 8. 3. Exod. III, 8,17, 4. Ps. XXXIII, 8. 5. II Thess. III, 2. 6. Ps. XV, 6. 7. Gen. IX, 25. 8. Jean, VIII, 35. 9. I Jean, IV, 18. 10 . Ps. CIV, 12.
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étrangers. Dans certains exemplaires, on trouve, non plus: Paucissimi et incolae, mais: Paucissimos et incolas. Ce qui prouve que les traducteurs ont suivi la version grecque, version que lon ne peut rendre en latin, sans une absurdité absolument intolérable. Pour traduire exactement, il nous faudra dire : In eo esse illos numero brevi, paucissimos et incolas in ea 1. Mais ce que le grec exprime par: In eo esse illos, se traduit en latin par: cum essent, et ce verbe ne veut point daccusatif, mais le nominatif. Qui dirait en effet: Cum essent paucissimos? Mais on dit: Cum essent paucissimi, comme dans notre version. 9. « Comme ils étaient donc peu nombreux, ou en très-petit nombre, et étrangers en cette terre, ils passèrent de nation en nation, de royaume en royaume». Il y a ici répétition de ces expressions: « De nation en nation » . « Il ne laissa personne leur nuire » , cest-à-dire, il ne le permit point. Le grec porte « les nuire», le latin « leur nuire» . « Il châtia les rois à cause deux. Ne touchez point à mes « Christs», leur dit-il, «ne faites aucun mal à mes Prophètes 2». Ainsi parlait le Seigneur aux rois quil châtiait, quil reprenait, afin de les empêcher de nuire aux saints patriarches, lorsquils étaient en petit nombre et étrangers dans le pays de Chanaan. Bien quon ne lise point ces paroles dans lhistoire, il nous faut néanmoins comprendre que Dieu tint ce langage ou secrètement, commue le Seigneur parle au coeur des hommes, par des visions réelles et néanmoins occultes, ou quil le fit par le moyen des anges. Les rois de Gérare et dEgypte furent avertis de ne point nuire à Abraham 3; un autre roi de ne point nuire à Isaac 4, dautres de ne point nuire à Jacob 5; alors quils étaient en petit nombre et étrangers, et avant que Jacob sen allât en Egypte pour y habiter. Cest ce qui est marqué dans cette parole du Prophète: « Ils passèrent de nation en nation, et de royaume en royaume ». Mais comme nous pourrions chercher comment, en si petit nombre, et étrangers avant dentrer en Egypte et de sy multiplier, ils ont pu subsister dans la terre étrangère, le Prophète ajoute: « Il ne permit à aucun homme de leur nuire, il menaça les rois en leur faveur.
1. En to einai autous arithmon brakeis, oligostous kai paroikous en aute. 2. Ps. CIV, 13-15. 3. Gen. XII, 17- 20; XX, 3. 4. Id. XXVI, 8-11, 5. Id. XXXI-XXXIII.
Ne touchez pas à mes Christs, et ne « faites aucun mal à mes Prophètes ». 10. On peut sétonner quils soient appelés des Christs, avant quil y eût une onction qui fit donner ce nom aux rois : onction que Saül reçut le premier, lui à qui David succéda comme roi; puis les rois de Juda et dIsraël continuèrent de recevoir lonction sainte qui figurait le seul et véritable Christ, à qui il a été dit: « Votre Dieu, ô Dieu, vous a oint dune huile de joie, qui vous élève bien au-dessus de tous ceux qui doivent la partager 1 ». Comment donc ces anciens étaient-ils appelés des Christs? Car nous lisons dAbraham quils étaient Prophètes, et ce qui est dit clairement de lui, doit sentendre aussi des autres. Seraient-ils des Christs parce quils étaient déjà chrétiens, quoique dune manière invisible? Cest deux, il est vrai, quest né le Christ selon la chair, mais le Christ était avant eux, ainsi quil le dit aux Juifs : « Je suis avant quAbraham fût 2 ». Comment eussent-ils pu ne point le connaître, ou ne pas croire en lui, quand ils sont appelés prophètes parce quils annonçaient le Christ quoique dune manière figurée? De là cette parole si claire du Sauveur: « Abraham a désiré voir mon jour, il la vu et sen est réjoui 3». Car sans la foi au Christ, nul na été réconcilié à Dieu, soit avant, soit après lincarnation et lApôtre la défini selon la vérité. « Il ny a quun seul Dieu , quun seul médiateur entre Dieu et les hommes, cest Jésus-Christ homme 4 ». 11. Le Prophète nous raconte ensuite comment ils ont passé de nation en nation, de royaume en royaume. « Le Seigneur appela la e famine sur la terre, et brisa toute la force que donne le pain. Il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave ». Ce fut ainsi quils passèrent « de nation en nation, et de royaume en royaume ». Mais ne passons point légèrement sur les expressions des saintes Ecritures. « Il appela», dit 1e Prophète, « la famine sur la terre 5 » : comme si la famine était un personnage, ou quelque chose, ou quelque esprit qui dût venir à un appel: tandis que la faim nest quun mal qui vient de la disette, et quelle est comme une maladie pour ceux qui lendurent; et comme bien souvent on ne fait cesser la maladie quavec des remèdes, on guérit aussi la faim
1. Ps. XLIV, 8. 2. Jean, VIII, 58. 3. Id. 56. 4. I Tim. II, 5. 5. Ps. CIV, 16.
556 par la nourriture, Que signifie dès lors: « Il appela la faim? » Ces maux quendurent les hommes, seraient-ils soumis à de mauvais anges? (car il est dit dans un autre psaume, que Dieu, par un juste jugement, affligea les hommes en leur envoyant des plaies par les mauvais anges 1), alors appeler la faim, ce serait appeler lange de la faim, en lui donnant le nom du fléau quil dirige. De là viendrait que les anciens Romains sétaient fait de semblables divinités, comme la Fièvre, la Pâleur. Ou bien ne vaudrait-il pas mieux dire que, pour Dieu, appeler la faim, cest ordonner quil y ait une famine, én sorte que appeler, ce serait faire venir ; faire venir, serait dire, et dire ordonner? Ce même Dieu qui appela la faim, « appelle ce qui nest pas comme ce qui est 2 ». LApôtre ne dit point que Dieu appelle ce qui nest pas, afin de lui donner lexistence, « mais comme sil était ». Car, aux yeux de Dieu, ce quil doit faire dans sa sagesse est déjà fait; cest de lui quil est dit ailleurs qu « il a fait ce qui est à faire 3 ». Et quand arriva la famine, il est dit quelle fut appelée, quelle devait arriver, puisquelle entrait dans les secrètes dispositions de la divine sagesse. Le Prophète nous dit ensuite comment le Seigneur appela la famine: « Il brisa toute la force du pain ». « Il brisa », est une expression inusitée en ce sens, et veut dire « anéantit ». 12. « Il envoya devant eux un homme». Quel homme ? Joseph. Comment lenvoya-t-il? « Joseph fut vendu pour être esclave 4 ». Cette action était bien coupable, de la part de ses frères, et cependant cest Dieu qui envoyait Joseph en Egypte. Il est donc bien juste et nécessaire dadmirer comment Dieu tourne en bien les mauvais desseins des hommes, tandis que les hommes font un mauvais usage des biens de Dieu. 13. Le Prophète reprend ici sa narration, pour nous dire ce que souffrit Joseph dans ses humiliations, et comment il fut élevé en gloire. « Ses pieds furent resserrés dans les entraves, le fer traversa son âme jusquà ce que sa parole fût accomplie 5 », Lhistoire ne nous dit point que Joseph ait eu les entraves aux pieds; et toutefois nous nen pouvons douter. Car lhistoire peut omettre quelques détails, connus de lEsprit-Saint qui parle dans
1. Ps. LXXVII, 49. 2. Rom. IV, 17. 3. Isa. XLV, 11, suiv. les Septante. 4. Ps. CIV, 17 5. Id.18,19.
notre psaume. Quant au fer qui traversa son âme, nous lentendons dune affliction très-poignante; puisque le psaume ne parle point du corps, mais de lâme. Cest dune expression semblable que sest servi lEvangé1iste, quand Siméon dit à Marie: « Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs en Israël, et comme un signe de contradiction, et votre âme sera percée dun glaive, afin que les pensées de plusieurs coeurs soient révélées ». Car la passion du Sauveur fut pour plusieurs un sujet de ruine, qui révéla les secrets de bien des coeurs, dévoila ce quils pensaient du Seigneur, et fut assurément pour sa mère quelle privait de son fils, un coup douloureux. Telle fut laffliction de Joseph, « jusquà ce que saccomplît la prédiction quil fit en interprétant les songes du roi selon la vérité : ce fut alors quon le signala au roi, et quil lui découvrit ce quil y avait de prophétique dans ses songes 2 ». Mais comme il est dit: «jusquà laccomplissement de sa paroles, le Prophète craint que lon nattribue à un homme une si grande puissance, et il ajoute aussitôt: « La parole du Seigneur lenflamma », ou même, selon le grec en certains exemplaires, « le brûla», an point quon le mit au nombre de ceux dont il est dit: « Glorifiez-vous en son saint nom. La parole du Seigneur le mit en feu ». Aussi, quand le Fils de Dieu envoya lEsprit-Saint, virent-ils comme des langues de feu qui se divisaient 3. Et lApôtre a dit : « Ayez la ferveur de lesprit 4 ». Telle est la ferveur qui manque à ceux dont il est dit, que « la charité de plusieurs se refroidira 5 ». 14. Le Prophète continue : « Le roi envoya le délivrer; le prince des peuples lui donna la liberté ». Ce roi, qui est aussi le prince des peuples, « délia » Joseph « enchaîné », rendit la liberté « au prisonnier». « Il létablit chef de toute sa maison, prince de tous ses états, afin quil instruisît les princes comme lui-même, et quil enseignât la prudence à ses vieillards 6 » On lit dans le grec : « Quil enseignât la sagesse à ses vieillards » ; ce que lon peut rigoureusement traduire ainsi: « Afin quil instruisît, les princes comme lui-même, et quil donnât la sagesse aux vieillards » : car le grec porte presbuterous, que nous
1. Luc, IUI, 34, 35. 2. Gen.XLI, 25. 3. Act. II, 3. 4. Rom. XII, 11. 5. Matth. XXIV, 12. 6. Ps. CIV, 20-22.
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traduisons par les plus anciens, seniores; il ne porte pas gerontas, cest-à-dire, senes, les vieillards : quant à sophisai, on ne peut le rendre en latin par une seule expression, il vient de sagesse, en grec sophia, et non de prudence, en grec phronesis. Nous ne voyons pas toutefois que Joseph sy soit appliqué pendant son élévation, pas plus que nous ne lisons, que dans ses malheurs il ait eu les fers aux pieds. Mais comment se pourrait-il quun si grand homme, adorateur du seul Dieu véritable, fût préposé aux subsistances corporelles, sans chercher à prendre soin de lâme, à rendre ces peuples meilleurs? Lhistorien sacré, inspiré par lEsprit-Saint, a consigné dans lhistoire ce qui suffisait dans sa narration pour prédire lavenir. 15. « Israël entra ainsi en Egypte, et Jacob fut étranger dans la terre de Cham 1 » Israël est ici le même que Jacob, et lEgypte que la terre de Cham. Ici nous voyons clairement que la nation égyptienne tire son origine de Cham, fils de Noé, dont Chanaan était le fils aîné. Ainsi il faut corriger te mot de Chanaan dans les exemplaires où il se trouve. Il est mieux de traduire: « Il fut étranger», accola, que de traduire : « Il habita », comme on lit dans certains exemplaires; on aurait pu mettre « exilé », incola, tout aussi bien, car il ne signifie rien autre chose. On trouve en effet à cet endroit du grec le même verbe que plus haut, où il est dit: « Ils étaient peu nombreux et étrangers sur cette terre ». Or, incolatus ou accolatus, ne désigne pas un indigène, mais un étranger. Voilà comment « ils ont passé de nation en nation, de royaume en royaume ». Le Prophète explique un peu plus au long ce quil navait dit quen un mot. liais on pourrait demander de quel royaume ils passèrent chez un autre peuple. Car ils ne régnaient pas encore dans la terre de Chanaan; le peuple dIsraël ny avait pas été établi en royaume. Comment donc faut-il le comprendre, sinon par anticipation, parce que cétait là que devait régner leur postérité? 16. Le Prophète nous dit ensuite ce qui se lit en Egypte, « Dieu y multiplia son peuple dune manière prodigieuse, et le rendit plus s fort que ses ennemis 2». Le Prophète ne dit ici quun seul, mot, afin de nous raconter plus bas ce qui eut lieu. Car le peuple de Dieu nétait pas plus fort que les Egyptiens, alors
1. Ps. CIV, 23. 2. Id. 24.
que lon tuait ses enfants mâles, quand on les forçait à faire des briques; mais bien quand, avec une force divine, avec des prodiges et des miracles, le Seigneur leur Dieu les rendit redoutables et dignes de considération jusquà ce quenfin lobstination du roi fût vaincue, et quen les poursuivant il allât sengloutir dans la mer Rouge. 17. Ce qui est donc dit en un mot: « Il le rendit plus fort que ses ennemis », le Prophète va nous le raconter dune manière précise, comme si nous lui demandions comment cela arriva. « Il tourna leurs coeurs jusquà la haine contre son peuple, jusquà employer tous les artifices contre ses serviteurs 1 ». Faut-il entendre ou croire que Dieu tourne le coeur de lhomme pour commettre le péché? Ny a-t-il aucun péché, ou même quun péché léger à haïr le peuple de Dieu et à user darti fice envers ses serviteurs? Qui osera le dire? Or, Dieu serait-il lauteur des péchés si graves, lui quil ne faut croire auteur daucune faute, même la plus légère ? Où est lhomme sage, et il comprendra ces choses 2? Car la bonté de Dieu est admirable en ce quil fait agir pour le bien les méchants eux-mêmes, tant les hommes que les anges. Cest par leur corruption quils sont méchants, et lui tire le bien de leur malice même. Avant de haïr son peuple, ils nétaient pas au nombre des bons; mais ils étaient méchants et impies, enclins à envier le bonheur de leurs hôtes. Car lenvie, cest la haine du bonheur des autres. Dieu donc tourna leur coeur, cest-à-dire que lenvie leur fit haïr son peuple et tendre des embûches à ses serviteurs. Ce ne fut donc point en rendant leur coeur méchant, mais en faisant du bien à son peuple, quil tourna àla haine leur coeur spontanément mauvais. Ainsi ce nest point leur coeur droit que Dieu tourne au mal, mais il tourne à la, haine de son peuple, un coeur spontanément pervers, pour tirer de ce mal un bien véritable, non pas en rendant mauvais les Egyptiens, mais en faisant aux enfants dIsraël des faveurs qui pouvaient facilement exciter leur envie. La suite nous montre le parti que Dieu tira de cette haine, pour exercer son peuple et glorifier son nom, gloire qui nous est utile, et que lon relève surtout dans ces psaumes intitulés : Alleluia. 18. « Il envoya Moïse son serviteur, et Aaron lui-même, quil avait élu 3 ». Il suffirait de
1. Ps. CIV, 25. 2. Id. CVI, 43. 3. Id. CIV, 26.
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dire « quil avait élu », mais ne cherchons aucun sens dans celui même quajoute le Prophète. Cest une locution des saintes Ecritures, comme celle-ci : « Dans laquelle ils habiteront en elle 1 », expressions fréquentes dans les saintes Ecritures, 19. « Il mit en eux les paroles de ses signes et des prodiges dans la terre de Cham 2 ». Il ne faut pas entendre ici « ces paroles de signes et de prodiges », comme des paroles au moyen desquelles on fait des signes et des prodiges. Bien des miracles ont été opérés sans aucune parole, mais au moyen dune houlette, en étendant la main, en jetant de la poussière en lair. Mais parce que ces miracles opérés nétaient point dénués de signification, non plus que les paroles que nous proférons on les appelle des paroles, non point à cause de la voix et des sons, mais à cause des signes et des prodiges. « Il mit », cest-à-dire, il fit par eux. 20. « Il envoya les ténèbres, et tendit la nuit 3 ». Voilà ce qui est écrit dans les plaies dont lEgypte fut frappée; lhémistiche suivant se lit dune manière diverse dans les différents exemplaires. Les uns portent : « Et ils aigrirent ses paroles »; les autres: « Et ils naigrirent pas ses paroles ». La première version se lit en beaucoup dendroits; et cest à peine si jai vu deux exemplaires avec la particule négative. Mais peut-être que le sens qui paraissait alors plus clair a fait glisser une faute, Quy a-t-il de plus clair en effet que cette parole : « Et ils aigrirent ses paroles », pour marquer leurs contradictions opiniâtres? Nous nous sommes efforcé dexpliquer aussi cette autre proposition dans un sens orthodoxe, et voici ce qui sest présenté : « Ils nont pas aigri ses paroles», ce qui doit sentendre de Moïse et dAaron, qui endurèrent les vexations les plus cruelles, jusquà ce que Dieu eût accompli ce quil voulait faire par leur ministère. 21. « il changea leurs eaux en sang, et tua leurs poissons. Il forma leur terre en grenouilles, jusque dans le palais des rois eux-mêmes 4 »; comme sil disait : Il changea leurs terres en grenouilles. Telle était en effet la multitude des grenouilles, quon pouvait lappeler en grec uperbolen. 22. « Il dit, et alors naquirent les mouches
1. Nomb. XIII, 20, Lévit. XVIII, 3, suiv. les Septante. 2. Ps. CIV, 27. 3. Id. 28. 4. Id. 29, 30.
et les moucherons, dans toutes leurs contrées 1». Si lon demande à quel moment Dieu fit ce commandement, il était dans se parole avant dêtre fait; bien que par le ministère des anges, et par ses serviteurs Moïse et Aaron, il ait commandé de le faire quand cela devait arriver. 23. « Il plaça leurs pluies en grêle 2». Cest une manière de parler comme celle-ci : « Il forma leurs terres en grenouilles » ; avec cette différence que toute la terre ne fut pas changée en grenouilles, tandis que toute la pluie fut changée en grêle. « Un feu brûlant dans leur terre », sous-entendu : « Il plaça ». 24. « Il frappa leurs vignes, leurs figuiers, il brisa tous les arbres de leur pays », par la violence de la grêle et de la foudre : de là vient lexpression de feu brûlant. 25. « Il dit, et alors vint la sauterelle et la chenille 4 ». Sauterelles et chenilles ne sont quune même plaie, lune suit lautre. 26. « Ils mangèrent tout le foin dans leurs terres, et dévorèrent tous les fruits de leurs champs 5 ». Le foin est aussi un fruit, dans le langage de lEcriture, qui appelle foin même les moissons de blé : mais le Prophète a marqué deux expressions différentes à cause des deux insectes, de la sauterelle et de la chenille quil venait de nommer. Tout ceci a pour but de varier lexpression, afin déviter lennui, non pour varier la pensée. 27. « Il frappa tout premier-né sur leur terre, les prémices de leurs travaux 6 ». Ce fut la dernière plaie dEgypte, excepté la mort dans la mer Rouge. Quant à ces prémices des travaux, cela signifie, sans doute, les premiers-nés dans les troupeaux. Or, ces plaies au nombre de dix, ne sont pas toutes énumérées, ni rapportées dans lordre de leur arrivée. Quand on loue Dieu, on peut saffranchir des lois rigoureuses de lexactitude historique. Or, lauteur de ces louanges, cest le Saint-Esprit lui-même par la bouche de son Prophète; la mème autorité qui lui a fait dicter cette histoire par son serviteur Moïse, lui fait citer ici ces faits qui ne sont point dans lhistoire et omettre dautres faits quelle a rappelés. 28. Le Prophète ajoute aux louanges de Dieu, quil a tiré de lEgypte les Israélites chargés dargent et dor ; tel était en effet létat des Hébreux quils ne pouvaient, même
1. Ps. CIV, 31. 2. Id. 32. 3. Id. 33. 4. Id. 34. 5. Id. 35. 6. Id. 36.
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au point de vue temporel, négliger la récompense justement due à leurs travaux; et si les Israélites trompèrent les Egyptiens en leur demandant à emprunter de largent ou de lor, il ne faut pas croire que Dieu ordonne ces larcins aux hommes qui ont le coeur droit, ou quil les approuve quand ils les accomplissent. Ces paroles font plutôt voir que Dieu qui voyait leur coeur, qui examinait le fond de leurs passions, permit quils en agissent ainsi plutôt quil ne lordonna : et pourtant les âmes charnelles peuvent encore sédifier, puisque les Egyptiens avaient mérité ce quon leur fit, et que si les Hébreux usèrent de ruse, ils ne prirent à des hommes injustes que leur juste salaire. Et comme Dieu sétait servi de liniquité des Egyptiens, il fit servir linfirmité des Hébreux, pour donner dans ces actions des symboles prophétiques. « Il les fit sortir en argent et en or ». Cest une locution des saintes Ecritures : et «les faire sortir en argent et en or», signifie avec de largent et de lor. « Et dans leurs « tribus il ny avait nulle faiblesse 1 » ; de corps seulement, mais non desprit. Ce fut un grand bienfait de Dieu de navoir aucun malade dans cette nécessité de changer de pays. 29. « Les Egyptiens les virent partir avec joie, parce quils étaient frappés de terreur à leur sujet 2». Frayeur que les Hébreux inspiraient aux Egyptiens. « Cette frayeur à leur sujet », les Hébreux ne la ressentaient point, mais on la ressentait à leur sujet. Mais, dira-t-on, comment les Egyptiens sopposaient-ils à leur départ? Pourquoi nautoriser leur départ que comme sils devaient revenir? Si « lEgypte se réjouit de leur départ», pourquoi sur leur demande leur prêter de largent et de lor, comme sils devaient revenir et le rendre? Mais il faut comprendre quaprès la dernière plaie dEgypte, ou la mort de ses premiers-nés, après cette grande catastrophe quessuya dans la mer Rouge larmée qui les poursuivait, les Egyptiens qui survivaient craignirent que les Hébreux ne revinssent, pour exterminer facilement ce qui restait en Egypte. Alors saccomplit celte parole du Prophète, quand après avoir dit : « Il augmenta son peuple dune manière merveilleuse », il ajoute : « Et le rendit plus fort que ses ennemis ». Pour nous développer cette pensée renfermée dans un seul verset,
1. Ps. CIV, 37. 2. Id. 38.
et nous montrer comment cela saccomplit, le Prophète ajoute ce quil nous n dit des plaies dEgypte dans son cantique, jusquà cet endroit : « LEgypte se réjouit de leur départ, parce que ce peuple la frappait de terreur »; comme pour nous prouver ce quil avait avancé, que Dieu rendit son peuple supérieur à ses ennemis. 30. Alors il nous expose les bienfaits divins quils recueillirent pendant quils traversaient le désert. « Il étendit une nuée pour les couvrir, et leur alluma un flambeau pendant la nuit 1 ». Tout cela est évident et connu. 31. « Ils demandèrent, et des cailles vinrent en abondance 2». Ils ne demandaient point de cailles, mais de la viande. Mais comme la chair est une viande, et que dans ce psaume il nest pas question de leurs murmures qui déplurent au Seigneur, mais seulement de cette foi des élus qui sont la véritable postérité dAbraham 3, il faut sous-entendre ici que les élus demandèrent à Dieu ces viandes pour arrêter le murmure des rebelles. Dans le verset suivant : « Il les nourrit du pain du ciel »; bien que le Prophète ne nomme pas la manne, ce passage nest obscur pour aucun lecteur des saintes Ecritures. 32. « Il rompit la pierre, et en fit jaillir leau; des fleuves coulèrent dans le désert 4 ». Il suffit de lire ces paroles pour les comprendre. 33. Dans toutes ces faveurs quil fit à son peuple, Dieu veut nous signaler en Abraham le mérite de la foi. Voici en effet ce quajoute le Prophète « Il se souvint de la parole sacrée quil avait donnée à son serviteur Abraham. Il tira son peuple dans la joie, et ses élus dans lallégresse ». Ce quil appelle « son peuple », est répété dans « ses élus », et « sa joie », est répétée « dans lallégresse ». « Et il leur donna les terres des nations, et les mit en possession des labeurs des peuples 5 ». Cette expression, « les terres des nations », a le même sens que cette autre, « les travaux des peuples », et « leur donna », le sens de « mit en possession ». 34. Comme si nous demandions au Prophète, pourquoi Dieu comblait son peuple de tant de faveurs, et de peur que lon ne simagine que ces faveurs temporelles sont la souveraine félicité, le Prophète nous montre que
1. Ps. CIV, 39. 2. Id. 40. 3. I Cor X, 5. 4. Ps. CIV, 41. 5. Id. 42-44.
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cest ailleurs quil nous faut chercher le souverain bien. « Afin», dit-il, « quils gardent ses ordonnances, et quils observent ses lois 1 ». Doù il nous taut comprendre que les serviteurs de Dieu, les élus, les enfants selon la promesse, la véritable postérité dAbraham, qui imitent la foi dAbraham, reçoivent de Dieu ces biens terrestres, non pour se répandre dans le luxe ou pour sendormir dans une fausse sécurité, mais afin quétant mis par la divine miséricorde en possession de ces biens dont lacquisition leur eût coûté des travaux très-compliqués, ils neussent plus à soccuper que de senrichir des biens éternels, cest-à-dire : « Afin quils gardent ses ordonnances et quils observent ses lois ». Enfin, comme le Prophète veut désigner par la postérité dAbraham les hommes qui sont la véritable postérité, tels quil y en eut assurément chez ce peuple, ainsi que nous le montre suffisamment lApôtre : « Mais tous ne furent « point agréables à Dieu » (si tous ne le furent point, il y en eut assurément qui le furent); comme cest de ces justes que le Prophète nous parle, il ne fait aucune mention de leurs fautes, de leurs murmures, de leurs révoltes, qui déplurent au Seigneur. Toutefois, parce que Dieu fit éclater sur les impies eux-mêmes, non-seulement les effets de sa justice, mais aussi les effets de sa miséricorde et de sa clémence; le psaume suivant nous en parlera dans ses louanges au Seigneur. Néanmoins les uns et les autres étaient dans le même peuple, et la contagieuse iniquité des uns ne souillait pas les autres, « Car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Et si dans ce monde nous ne pouvons nous séparer des méchants, « quiconque invoque le nom de Jésus-Christ, quil renonce à la malice 2 ». 35. Si nous voulons découvrir lâme qui senveloppe en quelque sorte dans le corps du psaume, ou le sens intime caché sous les paroles extérieures, il me semble que cest un avertissement pour les enfants dAbraham, qui sont les vrais fils de la promesse, appartenant à lhéritage du testament éternel, de se choisir pour héritage le Seigneur lui-même, de le servir gratuitement, cest-à-dire pour lui-même, et non pour aucune autre récompense que lui. Ainsi doivent-ils agir, en louant Dieu, en linvoquant, en le prêchant,
1. Ps. CIV, 45. 2. II Tim. II, 19.
en agissant par la foi, non pour leur propre gloire, mais pour la gloire de Dieu, en se réjouissant dans lespérance, et dans la ferveur de la charité 1. Voilà ce qui est renfermé dans ces versets : « Confessez le Seigneur, invoquez son nom, annoncez sa gloire au milieu des peuples. Bénissez-le dans vos chants et sur le psaltérion. Chantez son nom, que la joie règne dans le coeur de celui qui cherche le Seigneur. Cherchez-le, et reprenez courage, cherchez toujours sa face 2 ». 36. Ensuite, pour nourrir les petits, pour raffermir leurs coeurs dans la foi, le Prophète propose à notre foi lexemple des patriarches et des promesses de Dieu, afin quen imitant lune, quen espérant dans les autres, nous entrions dans leur postérité, non-seulement ceux qui viennent des Hébreux, mais tous ceux qui ont part à cette grâce dans toute la terre. Cest ce que contiennent les versets suivants: « Gardez la mémoire des merveilles quil a opérées, de ses prodiges, des oracles de sa bouche; vous qui êtes la race dAbraham son serviteur, les fils de Jacob son élu. Cest lui qui est le Seigneur notre Dieu, ses jugements sont dans toute la terre. Il sest souvenu dans les siècles de son testament et de la parole quil avait donnée pour mille générations ; de cette parole donnée à Abraham, renouvelée à Isaac avec serment. Il en a fait une loi pour ce même Jacob, un testament éternel pour Israël, en disant : Je te donnerai la terre de Chanaan, pour la part de ton héritage 3». Tout cela, je vous lai exposé selon mes pouvoirs. 37. Ici se présentait une objection pour un esprit peu croyant. Sil faut adorer Dieu gratuitement, sil faut le demander à lui-même, comme lhéritage du testament éternel; noublie-t-il pas la vie passagère de ceux qui le cherchent, et va-t-il multiplier sa miséricorde jusquà létendre à leurs besoins temporels? Or, voyez ce quil a fait pour nos pères, soit dans ceux quil nous propose comme des modèles de foi, soit dans ceux qui sont nés de leur chair, et qui ont imité leur piété. « Alors quils étaient en petit nombre et étrangers en cette terre »,la terre de Chanaan, « ils passèrent de nation en nation, et de royaume en royaume. Il ne permit à aucun homme de leur nuire, et il
1. Rom. XII, 11, 12. 2. Ps. CIV, 1-4. 3. Id. 5-11.
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menaça les rois à cause deux. Ne touchez pas à mes Christs, et ne faites aucun mal à mes Prophètes 1». 38. Si vous demandez comment ils passèrent de nation en nation et de peuple à peuple, écoutez : « Il appela la famine sur la terre, il détruisit toute la force du pain, il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave. Ils humilièrent ses pieds dans les entraves, le fer traversa son âme, jusquà ce que sa parole saccomplit. La parole du Seigneur le mit en feu; le roi envoya, et le délia; le prince des peuples lui donna la liberté, afin quil instruisît ses princes comme lui-même, et quil apprît la prudence aux plus anciens. Israël entra en Egypte, et Jacob fut étranger sur la terre de Cham 2 ». Voilà comment « ils passèrent de nation en nation, et de royaume en royaume ». 39. « Il multiplia son peuple avec une grande force, et le rendit supérieur à ses ennemis ». Or, si vous voulez écouter comment il le rendit supérieur à ses ennemis, écoutez: « Il tourna leur coeur de manière quils haïrent son peuple, et quils opprimèrent ses serviteurs par de malicieux artifices. Il envoya Moïse son serviteur, et Aaron lui-même quil avait choisi, il mit en eux les paroles de ses signes, et de ses prodiges sur la terre de Cham. Il déploya les ténèbres et les couvrit de la nuit, et ils aigrirent ses paroles. Il changea leurs eaux en sang, et tua leurs poissons. Il donna leur terre en grenouilles, jusque dans le palais des rois. Il dit, et vint la mouche avec les insectes dans toutes leurs campagnes. Il changea leurs pluies en grêle, et un feu dévorant dans leurs terres. Il frappa leurs vignes et leurs figuiers, il brisa les arbres dans tous leurs confins. Il dit et vinrent la sauterelle et la chenille, en multitude innombrable. Il frappa tout premier-né dans leur terre, les prémices de tous leurs travaux. Il les fit sortir en or et en argent, et il ny avait dans leurs tribus aucun malade. LEgypte se réjouit de leur départ, dans la terreur quils lui inspiraient 3 ». Voilà comment il rendit son peuple supérieur à ses ennemis. 40. Mais quand sa justice a infligé tous ces maux à leurs ennemis, écoutez quelles grâces
1. Ps. CIV, 12-15. 2. Id. 16-23. 3. Id. 24-38.
temporelles eux reçoivent de sa miséricorde: « Il étendit la nuée pour les protéger, et un feu dut les éclairer pendant la nuit. Ils prièrent, et des cailles vinrent en abondance; il les rassasia dun pain du ciel. Il ouvrit la pierre, et il en jaillit de leau, un fleuve coula dans le désert. Car il se souvint de la parole sainte quil avait donnée à son serviteur Abraham. Il emmena son peuple dans la joie, et ses élus dans lallégresse. Il leur donna les contrées des nations, ils semparèrent des travaux des peuples 1 ». Non point afin que les Juifs le servissent en vue de ces biens, mais afin que ce peuple usât de ces biens pour acquérir les biens éternels, cest-à-dire «afin quils gardent ses ordonnances , et quils observent ses lois 2 ». Quels que soient donc les autres bienfaits de Dieu, il faut les rapporter au culte gratuit que nous lui devons, et ce culte ne doit pas être motivé sur les autres dons quil nous fait; cest alors seulement quil sera gratuit. Cest à ce combat que nous provoque le démon, quand il dit à Job : « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur 3? » Si Joseph fut vendu en esclavage, puis humilié, puis élevé en gloire, ouvrant ainsi au peuple de Dieu la carrière des récompenses terrestres, qui le rendirent supérieur à ses frères; combien plus Jésus vendu et humilié par ses frères, selon la chair, puis élevé jusquaux cieux, doit-il ouvrir la carrière des biens éternels à ce peuple de Dieu qui triomphe du diable et de ses anges. Ecoute alors, ô race dAbraham, non pour te glorifier dêtre à lui, selon la chair, mais pour imiter sa foi; écoutez, ô serviteurs de Dieu, élus de Dieu, qui avez les promesses de la vie présente et de la vie future 4. Si les épreuves de la vie sont pesantes pour vous, souvenez-vous de Joseph dans sa prison, de Jésus sur la croix. Si vous êtes heureux selon le temps, ne servez pas Dieu en vue de ce bonheur, mais servez-vous de ce bonheur, afin de mieux servir Dieu. Ne vous persuadez pas que les vrais adorateurs lui rendent leur culte pour en obtenir ce qui est nécessaire à la vie, puisquil donne cela aux blasphémateurs de son nom; mais : « Cherchez dabord le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît 5».
1. Ps. CIV, 39-44. 2. Id. 45. 3. Job, I, 9. 3. I Tim. IV, 8. 4. Matth. VI, 33.
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