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DISCOURS SUR LE PSAUME CVIII.LE CHRIST ET JUDAS.
Prêcher le Christ tel quil est, cest publier sa louange; or, on ne le regardait point comme Fils de Dieu quand la langue des méchants parla contre lui et lui rendit la calomnie au lieu de lamour. A ce sujet distinguons six degrés différents. Dabord rendre le bien pour le mal, puis sabstenir de rendre le mal pour le mal , cest lapanage des bons, et le Sauveur prie pour ses bourreaux ainsi que saint Etienne; et lEvangile nous défend de rendre le mal pour le niai. Ensuite ne pas rendre le bien pour le bien comme les neuf lépreux qui ne remercient point le Sauveur, puis rendre le mal pour le bien comme il est dit dans notre psaume. Enfin rendre le bien pour le bien ne suffit point selon lEvangile ; et rendre le mal pour le mal , ce peut être une justice qui était dans les permissions de la loi, mais qui pouvait engendrer te désir de la vengeance. Donc le Christ a reçu la calomnie en échange de ses bienfaits, et il priait pour ses calomniateurs, comme pour ses disciples, nous donnant lexemple du pardon. Il était descendu pour les Juifs qui ont opposé la haine à son amour. Le Prophète, en forme de souhaits, prononce ici la sentence des coupables. 1. Le diable est à la droite de Judas, qui en a fait le choix. 2. Il sera condamné parce quil ne prie pas avec le Christ, et ne se repent point. 3. Son épiscopat passa à un autre. 4. Ses enfants orphelins, sa femme veuve, tous bannis et mendiants. 5. Liniquité de ses pères quil a imités retombe sur lui. Ces maux furent un châtiment pour Judas, même après sa mort, si les morts voient les choses de cette vie. On peut appliquer ces châtiments au peuple Juif qui a repoussé le Christ pour être assujetti à Satan, peuple dont le royaume a perduré, dont lépiscopat ou le Christ a passé aux nations, dont le royaume perdu devient comme un veuvage , dont les enfants sont bannis, dont les fautes ne sont point remises, dont les travaux sont dissipés parce quil ne travaille point pour le Christ, qui périt dans nue seule génération parce quil ne connaît point la régénération, dont la mémoire disparaît de là terre du Seigneur, qui oublie la miséricorde eu persécutant les membres du Christ, qui a choisi la malédiction en appelant sur lui et sur ses enfants le sang du Christ, et cette malédiction lenvironne de toutes parts. Le Prophète alors ou le Christ eu appelle à son Père pour les oeuvres de sa puissance, et alors lui tout à lheure troublé, mis à mort, persécuté dans ses membres, insulté dans sa mort, se raffermit sous la main de Dieu qui le bénit, et chante sa résurrection dans cette Eglise qui bénit Dieu parmi les peuples.
1. Que ce psaume contienne une prophétie du Christ, cest ce que reconnaît facilement tout homme qui lit avec foi les Actes des Apôtres; car en voyant Matthias ordonné à la place de Judas qui trahit le Christ, et incorporé au collège apostolique 1, il devient évident que cest Judas que désignait le Prophète, quand il disait : « Que ses jours soient s abrégés, et quun autre reçoive son épiscopat 2». Mais si nous ne faisons retomber que sur un seul homme les malédictions contenues dans ce cantique, lapplication pourra bien manquer de justesse, ou du moins paraître forcée; tandis que tout devient clair, si ces anathèmes sont dirigés contre toute une race dhommes, cest-à-dire contre les Juifs ingrats et ennemis du Christ. Et de même que plusieurs passages à ladresse de lapôtre saint Pierre ne reçoivent leur force et leur éclat, que quand nous les entendons de lEglise, dont Pierre était la personnification à cause de la primauté quil eut sur les disciples, en vertu de ces paroles : « Je te donnerai les clés du royaume des cieux 3 », et autres semblables: ainsi Judas est en-
1. Act. I, 15-26. 2. Ps. CVIII, 8. 3. Matth. XVI, 19.
quelque sorte la personnification des Juifs, qui haïssaient le Christ, et qui par une succession dimpiété qui se perpétue dans leur race, le haïssent encore aujourdhui. Cest à ces hommes et à ce peuple que nous pouvons, sans aucune erreur, appliquer non-seulement les passages du psaume qui les concernent indubitablement, mais encore ce qui est dit expressément de Judas lui-même : comme le verset que jai rapporté : « Que ses jours e soient abrégés, quun autre reçoive son épiscopat ». Cest ce qui saplanira avec le secours de Dieu, lorsque nous exposerons par ordre chacun des versets. 2. Le psaume commence donc ainsi : « O Dieu, ne taisez point ma louange parce que la bouche du pécheur, et la bouche de lhomme fourbe se sont ouvertes contre moi 1 ». Ce qui nous montre quil y a mensonge dans tout blâme que ne taisent point le pécheur et lhomme fourbe, comme il y a vérité dans toute louange que ne tait point le Seigneur. Car « Dieu est véritable, et tout homme est menteur 2 » : puisque nul homme ne dit la vérité, si Dieu ne parle en lui. Or, la
1. Ps. CVIII, 2. 2. Rom, III, 4.
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plus grande gloire du Fils unique de Dieu, cest quon le prêche tel quil est, Fils unique de Dieu. Cest ce quon ne voyait point quand il était caché par nos infirmités apparentes, alors que souvrit contre lui la bouche du pécheur, la bouche de lhomme fourbe. Aussi est-il dit: « La bouche de limposteur sest ouverte », parce quil a fait éclater au dehors cette haine quil cachait frauduleusement. Voilà ce qui deviendra plus clair dans les versets qui suivront. 3. « Ils ont parlé contre moi avec une langue trompeuse 1» : surtout quand sous le voile dune captieuse adulation ils lappelaient bon maître. De là vient quil est dit ailleurs « Et ceux qui me louaient faisaient serment contre moi 2 ». Et comme leur haine séchappait par ces cris: « Crucifiez-le, crucifiez-le 3 », notre psaume ajoute : « Ils mont poursuivi avec des paroles de haine » ; ceux dont la langue trompeuse versait, non plus des paroles de haine en apparence, mais des paroles dautour; aussi le Prophète a-t-il dit: « Contre moi », parce quils en agissaient ainsi pour tendre des pièges; ensuite : « ils mont environné de paroles haineuses », non plus dun amour faux et trompeur, mais « dune haine » ouverte, « et mont attaqué sans sujet». De même que lamour des bons pour le Christ est gratuit, de même est gratuite la haine des méchants; les bons en effet cherchent la vérité sans autre avantage quelle-même, et de même les méchants à légard de liniquité. De là vient que des auteurs profanes ont dit, dun homme très-méchant : « Sa malice et sa cruauté étaient absolument gratuites 4 ». 4. « Au lieu de maimer », dit le Prophète, ils me déchiraient 5 ». Il y a dans lamour et la haine six degrés quil suffit dénoncer pour les Faire comprendre facilement: rendre le bien pour le mal, ne point rendre le mal pour le mal; rendre le bien pour le bien, rendre le mal pour le mal; ne point rendre le bien pour le bien, et rendre le mal pour le bien. Les deux premiers sont lapanage des bons, et de ces deux le premier est préférable; les deux derniers sont lapanage des méchants, et le dernier est le pire des deux. Les deux autres tiennent en quelque sorte le milieu, mais le premier touche aux bons, le second touche aux méchants. Voilà ce quil nous fait
1. Ps. CVIII, 3. 2. Id. CI, 9. 3. Jean, IX, 6 4. Sallust. de bello Catil. 5. Ps. CVIII, 4.
voir dans les saintes Ecritures. Dieu rend le bien pour le mal, quand « il justifie limpie 1», et quand il était suspendu à la croix, il dit: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 2 ». A son exemple, saint Etienne mit le genou en terre et pria pour ceux qui le lapidaient, en sécriant : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 3». Cest à quoi nous oblige le précepte: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 4». Lapôtre saint Paul nous engage à ne point rendre le mal pour le mal: « Ne rendez à personne le mal pour le mal 5», nous dit-il. Et saint Pierre: « Ne rendez point le mal pour le mal, ni la malédiction pour la malédiction 6 ». De là cette parole quon lit dans les psaumes : « Si jai rendu le mal à ceux qui me maltraitaient 7 »; vous le savez. Quant aux deux derniers degrés, celui qui est le moins coupable se voit chez les neuf lépreux que guérit le Seigneur, et qui ne len remercièrent point 8, Et le dernier, qui est le pire de tous, est le propre de ceux dont le psaume a dit: « Au lieu de maimer, ils me déchiraient ». Tant de bienfaits du Seigneur sollicitaient leur amour, et non-seulement ils étaient loin de le lui rendre, mais au lieu du bien ils rendirent le mal. Les deux degrés intermédiaires, que nous avons assignés aussi à des hommes pour ainsi dire du milieu, sont de telle nature que le premier, qui consiste à rendre le bien pour le bien, soit le propre des bons, et de ceux qui nont quune bonté médiocre, et de ceux qui nont quune médiocre méchanceté. De là vient que Jésus-Christ, sans les blâmer, ne veut point que ses disciples sen tiennent a ces venus médiocres, mais il veut les élever plus haut, quand il leur dit: « Si vous aimez ceux qui vous aiment », cest-à-dire, si vous rendez le bien pour le bien, « quelle récompense méritez-vous », cest-à-dire, quel grand bien faites-vous? « Les Publicains ne le font-ils pas aussi 9? » Ce quil désire, cest que ses disciples en agissent ainsi tout dabord, et même beaucoup mieux, cest-à-dire quils ai ment non seulement leurs amis, mais aussi leurs ennemis. Pour lautre degré, qui consiste à rendre le mal pour le mal, quil soit la part des méchants, de ceux
1. Rom. IV, 5. 2. Luc, XXIII, 34. 3. Act. VII, 59. 4. Math. V, 44. 5. Rom. XII, 17. 6. I Pierre, III, 9. 7. Ps. VII, 5. 8. Luc, XVII, 12, 18. 9. Matth. V, 46.
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qui nont quune méchanceté médiocre, ou quune médiocre bonté ; car la loi leur prescrit la manière de se venger: « Oeil pour oeil, et dent pour dent 1 » : on pourrait appeler cela justice des injustes. Non quil soit injuste quun homme soit traité comme il a traité les autres; car alors la loi ne laurait point statué; mais parce que le désir de se venger est un vice, et quil est mieux pour un juge de lordonner à légard des autres, que pour un homme de bien de le désirer pour lui-même. Aussi une fois tombé de cette hauteur de la vertu, où lon rend le bien pour le mal, à quel profond abîme de malice narrive point limpie, qui rend le mal pour le bien? Quelle chute lui a fait parcourir tous les degrés ? Et nous ne devons pas regarder comme sans importance, que le Prophète ne dit point t Au lieu de lamour ils me donnaient la mort; mais, « ils me calomniaient». Car ils ne lont mis à mort que par leurs calomnies, en niant quil fût Fils de Dieu, et en laccusant « de chasser les démons au nom du prince des démons 2 », et en disant : « Cest un possédé du démon, cest un fou, pourquoi lécouter 3? » et autres blasphèmes. Or, ces calomnies détournaient de lui ceux quil cherchait à convertir. Il a donc choisi ce langage pour montrer que ceux-là qui calomnient le Christ, et tuent ainsi les âmes, sont plus coupables que ceux qui ont tué dans leur fureur sa chair mortelle, surtout quelle devait ressusciter bientôt. 5. Mais après avoir dit: « Au lieu de maimer, ils me calomniaient », quest-ce que le Prophète ajoute ? « Et moi, je priais 4». Il nindique point lobjet de sa prière; mais quel objet plus digne pouvons-nous assigner, sinon quil priait pour eux? Ils calomniaient surtout le crucifié, quand ils laccablaient doutrages comme un homme quils eussent vaincu; et cest du haut de cette croix quil dit: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 5», En sorte que, des profondeurs de la malice, ils lui rendaient le mal pour le bien; et lui, au comble de la bonté, leur rendait le bien pour le mal. On pourrait entendre aussi quil priait pour ses disciples, ce quil dit avoir fait avant sa passion, afin que leur foi ne vînt pas à défaillir 6, quand, sur la croix, il nous donnait un modèle de patience,
1. Deut. XIX, 21. 2. Luc, XI, 15. 3. Jean, X, 20. 4. Ps. CVIII, 15. 6. Luc, XXIII, 34. 7. Id. XXII, 32.
et ne montrait point son pouvoir au milieu des outrages de ceux quil pouvait anéantir dans sa souveraine puissance. Mais, nous donner lexemple de la patience, était plus utile pour nous, que de perdre à linstant ces ennemis, et nous porter à nous venger sans délai le ceux qui nous nuisent; car il est écrit: « Lhomme patient est préférable à lhomme courageux 1». LEcriture donc, et lexemple de Jésus-Christ qui nous dit : « Au lieu de maimer, ils me calomniaient; et moi, je priais », nous enseignent à prier, quand nous rencontrons des ingrats, non-seulement qui ne rendent pas le bien, mais qui rendent le mal pour le bien. Car il a lui-même prié pour ceux qui le tourmentaient, pour ceux qui pleuraient sur lui, et qui chancelaient dans la foi ; mais nous, prions dabord pour nous, afin que par la miséricorde et le secours de Dieu, nous puissions vaincre notre caractère qui nous porte au désir de la vengeance, quand on nous calomnie, soit devant nous, soit en notre absence. Dès que la patience du Christ nous revient en mémoire, on dirait que cest lui qui séveille, comme il arriva quand il dormait dans le vaisseau 2; qui apaise le trouble et lorage de notre coeur, afin que notre âme étant rétablie dans le calme et dans la paix, nous puissions prier pour nos détracteurs, et dire en toute sécurité: u Pardonnez-nous comme nous pardonnons 3 ». Mais lui, qui pardonnait, navait aucune faute, dont il dût obtenir le pardon. 6. Le Prophète ajoute: « Ils mont rendu le mal pour le bien 4 ». Et comme si nous demandions quel mal, pour quel bien? le Prophète répond : « Et la haine au lieu de lamour ». Voilà tout leur crime, leur grand crime. Quel mal ces persécuteurs pouvaient-ils faire à Celui qui mourait, non par nécessité, mais volontairement? Mais la haine était un grand crime pour les persécuteurs, quoique la peine de la victime fût pleinement volontaire. Cest expliquer suffisamment dans quel sens il disait plus haut: « Au lieu de maimer »; car ils devaient laimer, non point comme tout autre, mais à cause de son amour; car il ajoute : « A cause de mon amour pour eux ». Cest de cet amour quil est fait mention dans lEvangile, quand le
1. Prov. XVI, 32. 2. Matth. VIII, 24, 25. 3. Id. VI, 12. 4. Ps. CVIII, 5.
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Sauveur sécrie : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois jai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne las pas voulu 1». 7. Le Prophète nous prédit ensuite quel sera le salaire de cette impiété; et il lannonce comme si la soif de la vengeance le portait à souhaiter ces malheurs, tandis quil les prédit avec la plus grande certitude et comme leffet bien mérité de la justice de Dieu. Quelques-uns, néanmoins, ne comprenant pas cette manière de prédire, se sont imaginé que le Prophète souhaitait ces malheurs, et appelait la haine contre la haine, le mal contre le mal. Il est vrai quil nappartient quau petit nombre de faire la différence entre la satisfaction que le châtiment dun coupable procure ou bien à un accusateur qui veut assouvir sa haine, ou bien à un juge qui ne punit la faute quavec une volonté droite. Le premier rend le mal pour le mal; mais le second, dans la vengeance quil poursuit, ne rend point le mal pour le mal, en infligeant un châtiment juste à lhomme injuste. Tout ce qui est juste est bien assurément. Il châtie donc, non pour le plaisir que lui procure le malheur des autres, ce qui est rendre le mal pour le mal; mais par amour de la justice, ce qui est le bien pour le mal. Que les aveugles ne calomnient donc point la sainte lumière des Ecritures, en simaginant que Dieu ne punit point les fautes; et que les injustes ne se flattent point, en laccusant de rendre le mal pour le mal. Ecoutons donc ce que nous enseigne cette parole divine ; et dans ces paroles qui semblent souhaiter le mal, ne voyons que la prédiction du Prophète : élevons nos âmes jusquà la loi éternelle, et voyons comment Dieu accomplit toute justice. 8. «Etablissez contre lui le pécheur, et que Satan marche à sa droite 2 ». Tout à lheure la plainte était au pluriel, maintenant le Prophète ne parle que dun seul. Tout à lheure il disait: « Ils ont parlé de moi, avec des langues menteuses, ils mont environné de paroles de haine, et mont attaqué gratuitement; au lieu de maimer, ils me calomniaient, et moi je priais : ils mont rendu le mal pour le bien, et la haine en échange de mon amour ». Tout cela est au
1. Matth. XXIII, 27. 2. Ps. CVIII, 6.
pluriel. Maintenant que le Prophète annonce les châtiments que méritent leurs iniquités, et ce que la divine justice leur tient en réserve, il sécrie : « Etablissez sur lui le pécheur », comme sil navait en vue que celui qui sest livré à ces ennemis quil vient de nous dépeindre. LEcriture, nous faisant donc voir par les Actes des Apôtres que cest le juste châtiment de Judas 1 que nous annonce ici le Prophète, que signifie: « Etablissez le pécheur contre lui », sinon ce quindique le verset suivant: « Et que le diable se tienne à sa droite ? » Il a donc mérité davoir au-dessus de lui le diable, cest-à-dire dêtre soumis au diable, lui qui na pas voulu être soumis au Christ. « Quil se tienne à sa droite », est-il dit, parce quil a préféré les oeuvres du diable aux oeuvres de Dieu, Car ce nest pas sans raison quon assigne la droite à ce que lon préfère, puisque la droite a la préférence sur la gauche. Cest pourquoi, à propos de ceux qui ont préféré à Dieu les joies du monde, et ont appelé heureux le peuple qui les possède, lEcriture dit avec raison que : « Leur droite est la droite de liniquité 2 ». Aussi en appelant bienheureux le peuple qui possède ces biens, leur bouche a parlé vainement, ainsi que la dit le Prophète. Mais au contraire, lhomme dont la bouche dit la vérité, qui ne veut point que lon appelle heureux, comme le font ceux-ci, le peuple qui possède ces biens, doit à son tour répéter cette parole du même psaume: « Bienheureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu 3 ». Ce nest point Satan qui est à sa droite, mais bien le Seigneur, ainsi quil est dit ailleurs : « Javais toujours le Seigneur en ma présence, parce quil est toujours à ma droite, pour mempêcher de chanceler 4 ». Donc le diable se tint à la droite de Judas, quand il préféra lavarice à la sagesse, largent à son salut, au point de livrer celui qui devait le posséder, de peur quil ne tombât au pouvoir de celui dont le Christ a détruit les ouvrages, ce Christ quil renia pour maître. 9. « Quand il sera mis en jugement, quil en sorte condamné 5». Car il na point voulu être de ceux à qui lon dit: « Entrez dans la joie de votre maître » ; mais bien de ceux qui entendent : « Jetez-le dans les
1. Act. I, 20. 2. Ps. CXLIII, 11. 3. Id. 15. 4. Id. XV, 8. 5. Id. CVIII, 7.
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ténèbres extérieures 1. » « Et que sa prière lui devienne un crime». Nulle prière, en effet, nest juste que dans le Christ quil vendit par le plus grand des crimes. Or, la prière quon ne fait point au nom du Christ, non-seulement ne peut effacer le péché, mais devient elle-même un péché. On peut demander : Quand Judas a-t-il pu prier de telle manière que sa prière devint un péché? Cest, je pense, avant de livrer le Seigneur, alors quil pensait à le trahir; car il ne pouvait déjà plus prier au nom du Christ. Car après lavoir trahi, quand il se repentit de son crime, sil eût prié au nom de Jésus-Christ, il eût demandé son pardon : or, demander son pardon, cest avoir lespérance ; avoir lespérance, cest croire en la miséricorde; et sil eût cru à la miséricorde, le désespoir ne lui eût point mis la corde au cou. Aussi, quand le Prophète a dit : « Lorsquil sera mis en jugement, quil en sorte condamné »; de peur quon ne vienne à croire quil eût pu se délivrer par cette prière quil avait apprise de son maître avec les autres disciples, et où lon trouve cette parole : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs 2 ; que sa prière », dit le Prophète, « lui devienne un crime »; parce quelle nest point faite au nom du Christ, quil na pas voulu suivre, mais poursuivre. 10. « Que ses jours soient peu nombreux 3». «Ses jours », dit le Prophète, les jours de son apostolat, qui furent peu nombreux, puisque, même avant la mort du Sauveur, ils se terminèrent par son crime et par sa mort. Et comme si lon demandait ce que va devenir alors le nombre douze, qui est sacré, et que le Seigneur navait pas adopté sans raison pour ses premiers Apôtres, le Prophète ajoute aussitôt : « Quun autre prenne sa place dans lépiscopat ». Comme sil disait: Quil soit puni comme il le mérite, et que ce nombre demeure parfait. Quiconque désire connaître comment cela saccomplit, peut lire les Actes des Apôtres. 11. « Que ses fils soient orphelins, et sa femme veuve 4 ». Assurément, sa mort fait de ses enfants des orphelins, de sa femme une veuve. 12. « Que ses enfants soient chancelants et « emmenés, quils soient mendiants 5 », Le
1. Matth. XXV, 21, 30. 2. Id. VI, 12. 3. Ps. CVIII, 8. 4. Id. 9. 5. Id. 10.
mot chancelants, mutantes, signifie incertains de la route, privés de tout secours. « Quils soient chassés de leurs habitations ». Le Prophète explique cette autre expression : « Quils soient emmenés ». Les versets suivants nous disent comment ces malédictions sont tombées sur les fils et sur lépouse de Judas. 13. « Que lusurier dévore toute sa substance, et que son travail soit la proie de létranger. Que nul ne lui soit en aide », pour conserver sa postérité; car le Prophète ajoute: « Que nul nait pitié de ses enfants orphelins 1 ». 14. Mais comme ses enfants sans secours et sans tuteur pourraient encore grandir au milieu de la misère et de lindigence, et conserver ainsi leur race, le Psalmiste continue en disant : « Que sa lignée soit dévouée à la mort, et que son nom séteigne dans une seule génération 2 »; cest-à-dire, que tout ce qui est né de lui ne se régénère pas, et périsse rapidement. 15. Mais quel est le sens des paroles suivantes: « Que liniquité de ses pères revienne continuellement à la mémoire du Seigneur, et que le péché de sa mère ne soit point effacé 3?» Faut-il comprendre que les péchés de ses pères doivent retomber sur sa tête? Ce qui narrive point à celui qui a été changé en Jésus-Christ, et qui commence à nêtre plus le fils des pécheurs, en nimitant plus leurs moeurs; car cette parole est très-véritable : « Je ferai retomber sur les fils les péchés des pères 4»; et cette autre, par lorgane du Prophète: « Lâme du père mappartient, lâme du fils mappartient, lâme qui aura péché mourra 5». Cela est dit de ceux qui se tournent vers Dieu, sans imiter les désordres de leurs pères ; cest ce que le Prophète nous montre avec évidence, car il dit que les iniquités des pères ne nuisent pas à ceux qui accomplissent la justice, et ne leur ressemblent point 6. Mais quand on lit : « Je ferai retomber les péchés des pères sur les fils », il faut ajouter « qui me haïssent 7 » cest-à-dire, comme leurs pères me haïssaient; de même quen imitant les hommes de bien, on obtient la rémission de ses propres péchés, de même, en imitant les méchants, on devient coupable, non-seulement
1. Ps. CVIII, 11,12. 2. Id. 13. 3. Id. 14, 4. Exod. XX, 5. 5. Ezéch. XVIII, 4 6. Id. 20. 7. Exod. XX, 5.
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de ses propres fautes, mais de celles quont pu commettre ceux dont on suit les traces. Si donc Judas eût persévéré dans sa vocation, ni ses propres fautes, ni celles de ses pères neussent pu lui nuire en aucune sorte; mais comme il a renoncé à son adoption dans la famille de Dieu, et quil lui a préféré liniquité du vieil homme, alors liniquité de ses pères est revenue sous les yeux de Dieu, qui a dû la punir en lui-même, et le péché de sa mère na pas été effacé en lui. 16. « Quils soient toujours en face du Seigneur 1 ». Cest-à-dire, que son père et sa mère « soient toujours à lencontre du Seigneur », non pour résister à ses ordres, mais en ce sens que Dieu noublie jamais en Judas les maux quils ont faits, et quil sen venge sur lui. « En face du Seigneur », dit le Prophète, cest-à-dire sous les yeux du Seigneur. Car certains interprètes ont traduit: « Quils soient toujours en face du Seigneur » ; dautres: « Quils soient continuellement sous les yeux du Seigneur »; de même quil est dit ailleurs: « Vous avez placé mes iniquités en votre présence 2 ». Le Prophète a dit « toujours», car ce crime est tel quil ne sera remis ni en ce monde, ni en lautre. « Que leur mémoire sefface de la terre » : la mémoire de son père et de sa mère. Cette mémoire est celle qui se conserve par la succession de la race. Le Prophète annonce quelle sera effacée de la terre, parce que Judas lui-même, et ses fils qui étaient comme la mémoire de son père et de sa mère, doivent périr dans le court espace dune seule génération, et sans postérité, ainsi quil est dit plus haut. 17. Mais, dira-t-on, faut-il croire que ce fut un châtiment pour Judas, quand sa femme et ses enfants durent mendier après sa mort, quils furent emmenés, chassés de leur habitation, parce que lusurier dissipa toute la substance, que les étrangers pillèrent tous ses biens, que nul ne leur vint en aide, et neut pitié de ses orphelins, qui moururent bientôt sans postérité? Les morts sont-ils attristés, après le trépas, de ce qui arrive aux leurs? Faut-il croire quils connaissent seulement ce qui peut les affecter ailleurs, soit en bien, soit en mal, selon leurs mérites ? Il y a là, je lavoue, une grave question, quon ne peut résoudre aujourdhui. Nous serions
1. Ps. CVIII, 15. 2. Id. XXIX, 8.
trop longtemps à dire, si vraiment les morts connaissent ce qui se passe ici-bas, ou jusquà quel point, et de quelle manière. Toutefois lon peut dire en un mot, que sils navaient aucun soin de nous, le Seigneur ne ferait pas dire à ce riche, qui était tourmenté dans lenfer: « Jai là-haut cinq frères, quils ne viennent point à leur tour dans ce lieu de tourments 1 ». Quelque sens que donnent à ces paroles ceux qui les veulent interpréter autrement, il nous faut avouer que si les morts savent bien que les leurs sont en vie, puisquils ne les voient ni dans le lieu de tourments, où se trouvait le mauvais riche, ni dans le repos des bienheureux, où ce riche, quoique de loin, reconnut Lazare au sein dAbraham, ce nest pas une raison pour quils sachent ce qui arrive ici-bas de joyeux ou de triste à ceux qui leur sont chers. On peut dire néanmoins quil y a peu dhommes qui soient de caractère, du moins pendant leur vie, ou à négliger ce qui peut arriver après leur mort, en bien ou en mal, à ceux qui leur sont chers, ou à le mépriser entièrement ; quil en est beaucoup qui sefforcent de procurer aux leurs le bien-être, après leur mort, et cest ce que nous atteste le soin de prescrire leur dernière volonté, en des testaments de toutes sortes. Quant à la perpétuité de leur race, par la succession des générations, il ny a pour en avoir une louable insouciance, que ceux qui se font eunuques en vue du royaume des cieux, qui désirent que leurs enfants le fassent aussi, qui aspirent après la couronne du martyre, en sorte que nul dentre eux ne demeure sur la terre. Tous les autres, ou à peu près, désirent quaprès leur mort leur famille soit heureuse sur la terre, et que leur maison ne périsse point. Aussi, quaprès la funeste mort de Judas, sa femme soit demeurée veuve, ses enfants orphelins, que lusurier ait grugé sa substance, que les étrangers aient dissipé ses biens, que ses enfants aient été chassés de leur demeure, que ces orphelins naient trouvé personne qui les prît en pitié, et quils soient morts dans une seule génération, sans aucune postérité ; si les morts voient tout cela, cest le comble du malheur ; sils ne le voient point, cest là leffroi des vivants. Si lon sétonne que Judas ait pu avoir une fortune que lusurier pût lui enlever, des biens
1. Luc, XVI, 22, 28.
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que les étrangers pussent dissiper, quand il suivait déjà le Sauveur avec les onze autres; on peut croire quil avait abandonné ses biens à sa femme et à ses enfants , sans néanmoins avoir détaché son coeur de tout lien de cupidité, ni sincèrement, ni avec persévérance; et bien quil eût paru le vendre pour en distribuer le prix aux pauvres, il agissait néanmoins comme Ananie après lascension du Seigneur 1. Il ne pouvait craindre que le Seigneur découvrît cette fourberie par sa divinité, lui qui croyait le tromper, quand il enlevait du trésor ce quon y mettait 2. 18. Mais voyons, sil nous est possible, et autant que Dieu nous en fera la grâce, comment tout cela peut convenir au peuple Juif, qui est demeuré obstiné dans sa haine contre le Christ, et dont nous avons dit que Judas étai t la figure, comme lapôtre saint Pierre figurait lEglise : « Etablissez le pécheur au-dessus de lui, et que le diable se tienne à sa droite ». Ceci doit sentendre du peuple aussi bien que de Judas ; car ayant repoussé le Christ, il a été assujetti au diable, dont il a préféré les suggestions à son propre salut, afin de jouir de ses convoitises dépravées et terrestres. «Quand il sera mis en jugement, quil en sorte condamné » ; parce quen demeurant dans son impiété , dans son infidélité , il samasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 3. « Et que sa prière devienne un péché », parce quelle nest point faite au nom du médiateur de Dieu et des hommes, de Jésus-Christ, homme 4 et prêtre pour léternité selon lordre de Melchisédech 5 . « Que ses jours soient peu nombreux ». Ceci doit sentendre du royaume des Juifs, qui na pas duré bien longtemps. « Et quun autre soit mis en son épiscopat ». Cet épiscopat des Juifs peut fort bien sentendre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est né, selon la chair, de la tribu de Juda; et lApôtre a dit : « Je soutiens que le Christ a été ministre de la circoncision, pour vérifier la parole de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères 6». Lui-même a dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison dIsraël 7 »; parce que cest à eux seuls quil sest montré dans sa chair. Et les Mages
1. Act. V, 1, 2. 2. Jean, XII, 6. 3. Rom. II, 5, 6. 4. I Tim. II, 5 5. Ps. CIX, 4. 6. Rom. XV, 8. 7. Matth. XV, 24.
de lOrient firent cette question : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître 1 ? » Cest encore ce que portait le titre apposé à la croix; et ce nest pas sans raison que Pilate répondit à ceux qui voulaient le changer : « Ce que jai écrit, je lai écrit 2 ». Donc, cet épiscopat du peuple Juif, ou plutôt le Christ Notre-Seigneur, cest un autre peuple qui le reçoit en apanage, cest-à-dire le peuple des Gentils. « Que ses fils deviennent orphelins», eux dont il est dit : « Quant aux enfants du royaume, ils iront dans les ténèbres extérieures 3 ». Ils sont devenus orphelins, parce quils ont perdu le royaume, comme sils eussent perdu leur parenté, bien quon puisse fort bien comprendre quils ont perdu Dieu qui est leur père. « Car», la Vérité la dit: « quiconque na point le Fils na point le Père non plus 4 ». Que sa femme devienne « veuve ». Par cette épouse du royaume, on peut comprendre le peuple, sur qui les rois ont la domination, et la perte du royaume a été pour lui un veuvage. « Que ses enfants soient errants et mendiants ». Ils ont erré pour fuir le péril, ces enfants du royaume des Juifs; leurs ennemis les ont emmenés et vaincus. Quest-ce que mendier, sinon vivre de la pitié des hommes, comme ils vivent sous les rois de ces nations où ils sont dispersés? « Quils soient chassés de leurs habitations ». Cest là ce qui est arrivé. « Que lusurier dévore sa substance »; cest-à-dire de ce peuple. Le sens le plus plausible à donner à ces paroles, cest que leurs fautes ne leur soient point remises, puisquelles ne sont remises que dans le Christ quils ont rejeté; cest de lui que nous avons appris à dire : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs 5 ». « Toute sa substance », est-il dit, ou toute sa vie, en sorte que nulle dette, ou plutôt nulle faute, ne lui soit remise. « Et que les étrangers dissipent ses travaux»; cest-à-dire le diable et ses anges; car ils ne thésaurisent point pour le ciel, ceux qui ne possèdent point le Christ, « Que « nul ne lui soit en aide ». Qui vient en aide à celui que naide pas le Christ? « Que nul ne prenne en pitié ses petits enfants » qui, après avoir perdu leur père , ou le royaume, sont demeurés orphelins, ou qui, après avoir perdu Dieu, dont ils ont haï et
1. Matth. II, 1, 2. 2. Jean, XIX, 19-22. 3. Matth. VIII, 12. 4. 1 Jean, II, 24. 5. Matth. VI, 12.
persécuté le Fils, ne trouvent personne qui les prenne en pitié, non-seulement pour leur donner la vie temporelle, ou pour les soutenir, mais pour leur donner la véritable vie, ou la vie éternelle. « Que ses enfants soient a dévoués à la mort »; oui, à la mort éternelle. « Que son nom disparaisse dans une seule génération »; car il ny a pour eux que génération, et non pas régénération de là vient quils séteignent dans une seule génération. Quant à lautre, ou à la régénération, sils la connaissaient, ils ne disparaîtraient point. « Que liniquité de leurs pères revienne à la mémoire en la présence du Seigneur »; afin que le Seigneur fasse retomber sur ce peuple, qui sobstine dans sa malice, liniquité de ses pères. Voici en effet ce quil leur dit: « Vous portez contre vous-mêmes ce témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les Prophètes ». Et un peu après : « Voilà que va retomber sur vous le sang des justes répandu sur la terre, depuis le sang du juste Abel jusquau sang de Zacharie 1. Et que le péché de sa mère ne soit point effacé »; cest-à-dire le péché de Jérusalem, qui est dans la servitude avec ses enfants, qui tue les Prophètes, et qui lapide ceux qui lui sont envoyés. « Quils soient tou«jours sous les yeux du Seigneur », leurs crimes, leurs iniquités; cest-à-dire, quils ne seffacent point de la présence du Seigneur, quil en tire une vengeance éternelle : « Que leur mémoire sefface de la terre ». Cette terre de Dieu est le champ de Dieu; et le champ de Dieu, cest lEglise de Dieu, et leur mémoire a disparu de cette terre, car ils étaient les rameaux naturels, et Dieu les a brisés à cause de leur infidélité 2. 19 « Parce quil ne sest point souvenu de faire miséricorde », ce qui peut sentendre de Judas, ou du peuple Juif; mais il est mieux dappliquer au peuple Juif cette expression: « Il ne sest pas souvenu ». Car si ce peuple a tué le Christ, il devrait en avoir un souvenir de repentir, et faire miséricorde à ses membres, quil a au contraire persécutés avec une persévérance obstinée. Aussi le Prophète nous dit-il : « Quil a persécuté lhomme pauvre et mendiant ». Cela peut sentendre de Judas, puisque le Seigneur na pas dédaigné de se faire pauvre, lui qui était riche, afin de nous enrichir de sa pauvreté 3. Comment dire que
1. Matth. XXIII, 31- 37. 2. Rom, II, 20, 21. 3. II Cor. VIII.
le Christ fut mendiant, sinon quand il dit à la Samaritaine: « Donnez-moi à boire 1 »; et sur la croix : « Jai soi 2 ? » Mais la suite, je ne vois point comment on peut lappliquer à notre Chef, cest-à-dire au Sauveur de son corps, à Celui qua persécuté Judas. Après avoir dit en effet: « Il a persécuté lhomme pauvre et mendiant », le Prophète ajoute : « Et mis à mort lhomme touché de componction ». Cest-à-dire quil la fait mourir, car cest ainsi que plusieurs ont traduit. Or, ce mot de componction ne semploie dordinaire que pour exprimer la douleur du repentir sous laiguillon des péchés. Ainsi il est dit des Juifs qui écoutèrent les Apôtres après lascension de ce même Sauveur quils avaient nus à mort, quils furent touchés de componction. Ce fut à eux que le bienheureux Pierre adressa la parole, leur disant entre autres: « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom du Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés vous seront remis 3 ». Mais comme ceux-ci devinrent à leur tour membres de Celui dont ils avaient cloué les membres à la croix, le peuple Juif ne sest point souvenu de faire miséricorde; il a persécuté lhomme pauvre et mendiant, mais dans ses membres: cest deux, quen parlant des oeuvres de miséricorde, le Seigneur dira: « Ce que vous navez point fait au moindre des miens, vous ne me lavez point fait à moi-même 4. Ils ont mis à mort lhomme touché de componction»; oui, vraiment touché de componction, mais dans ses membres. Parmi ces persécuteurs qui voulaient donner la mort à lhomme touché de componction, se trouvait Saul, consentant à la mort dEtienne qui était bien touché de componction 5: car Etienne était de ceux dont le coeur avait été touché. Mais Saul se souvint de faire miséricorde; et lui qui au matin enlevait les dépouilles, pour partager au soir la nourriture 6, fut aussi touché de componction, en sorte quen lui aussi les Juifs persécutèrent le pauvre, et voulurent donner la mort à lhomme touché de componction. Ce quils haïssaient en Paul, cétait cette componction qui lui faisait prêcher Celui quil avait persécuté. Car, en persécutant dans ses membres le pauvre, le mendiant, lhomme au coeur contrit, il entendit cette voix du ciel: « Saul,
1. Jean, IV, 7. 2. Id. XIX, 26. 3. Act. II, 37, 38. 4. Matth. XXV, 45. 5. Act. Vii, 59 . 6. Gen. XLIX, 27.
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«Saul, pourquoi me persécutes-tu 1?» Et tout à coup touché de componction, il endura lui-même ce quil faisait endurer aux coeurs contrits. 20. Le psaume continue: « Il a aimé la malédiction, elle viendra sur lui 2». Bien que Judas ait aussi choisi la malédiction, en volant les deniers, puis en vendant et en livrant son maître, néanmoins il est plus visible que test le peuple qui choisit la malédiction quand Il sécria: «Que son sang retombe sur nous, et sur nos enfants 3. II na point la bénédiction, et voilà quelle séloignera de lui ». Judas, il est vrai, ne voulut point du Christ, en qui est la bénédiction éternelle; mais il est plus clair que le peuple Juif refusa la bénédiction quand cet homme éclairé par le Christ lui dit: « Voulez-vous donc, vous aussi, devenir ses disciples ? » Il refusa la bénédiction, la regardant comme un anathème: «Toi, sois son disciple 4» Alors la bénédiction séloigna de lui et passa aux Gentils. « Il a revêtu la malédiction comme un manteau », soit Judas, soit le peuple Juif. « Elle est entrée comme leau dans ses entrailles ». Cest donc à lextérieur, et à lintérieur; à lextérieur comme un vêtement, à lintérieur comme leau : car il tombe sous le jugement de Celui qui peut précipiter lâme et le corps dans lenfer 5; le corps pour lextérieur, lâme pour lintérieur. « Et comme lhuile dans ses os ». Cette expression désigne le plaisir de faire le mal, et de samasser la malédiction, cest-à-dire la peine éternelle, puisque la bénédiction est léternelle vie. Ici-bas, en effet, le mal fait ressentir une joie, comme leau dans nos entrailles, comme lhuile dans les os : on lappelle néanmoins malédiction parce que Dieu menace de tourments ceux qui goûtent cette joie. Or, la malédiction est comme une huile dans les os, parce que les hommes prennent pour une force la licence de commettre le mal, comme sil devait être impuni. 21. «Quelle soit pour lui comme le vêtement dont il se couvre 6 ». Déjà il a été parlé du vêtement, pourquoi cette répétition? Est-ce que cette expression : « Il sest couvert de la malédiction comme dun vêtement », est bien différente de celle-ci, où lon ne dit plus se revêtir, mais se couvrir? On se revêt dune
1. Act. IX, 4. 2. Ps. CVIII, 18. 3. Matth. XXVII, 25. 4. Jean, IX, 27, 28. 5. Matth. X, 28. 6. Ps. CVIII, 19.
tunique, on se couvre dun manteau. Que signifie cette expression, sinon que lon se glorifie de son iniquité en présence des hommes? « Et comme la ceinture», dit le Prophète, « quil a toujours sur les reins ». Or, la ceinture donne plus de liberté, pour le travail, à louvrier, quelle ne laisse point embarrassé dans les plis de ses vêtements. Il se fait donc de la malédiction une ceinture, celui qui commet le mal, non par surprise, mais avec préméditation, et qui saccoutume tellement au mal, quil y est toujours disposé. Aussi le Prophète a-t-il dit: « Comme la ceinture quil a toujours sur les reins ». 22. « Telle est, devant le Seigneur, loeuvre de ceux qui me calomnient 1 ». Le Prophète ne dit point la récompense, mais à loeuvre». Il est clair que par ce vêtement, ce manteau, cette eau, cette huile, cette ceinture, il marquait les oeuvres qui appellent sur nous léternelle malédiction. Ce nest point de Judas seulement, mais de beaucoup dautres quil est dit: « Telle est, devant le Seigneur, loeuvre de ceux qui me calomnient». Toutefois, on a pu mettre le pluriel pour le singulier, comme après la mort dHérode, lange dit : « Ceux qui cherchaient la vie de lenfant sont morts 2 ». Mais quels hommes, principalement, accusent le Christ devant le Seigneur, sinon ceux qui démentent les paroles du Seigneur, en affirmant que ce nest point lui quont annoncé la loi et les Prophètes? « Ils tiennent des discours méchants contre ma vie », en niant que le Christ pût ressusciter à son gré, quand il dit lui-même : « Jai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre 3 ». 23. « Pour vous, Seigneur, ô Seigneur, faites avec moi ». Quelques-uns ont voulu sous-entendre « miséricorde»; dautres même lont ajouté : mais les exemplaires les plus corrects portent : « Et vous, Seigneur, Seigneur, faites avec moi, à cause de votre nom 4 ». Aussi ne faut-il pas oublier un sens plus relevé, dans lequel le Fils dirait à son Père : « Faites avec moi », parce que les oeuvres du Père et du Fils sont les mêmes. Quand nous comprenons encore : Faites miséricorde , (car on lit ensuite : « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur »), comme linterlocuteur ne dit pas:
1. Ps. CVIII, 20. 2. Matth, II, 20. 3. Jean, X, 18. 4. Ps. CVIII, 21.
595
Faites en moi, ou faites sur moi, ou toute autre expression; mais bien : « Faites avec moi », nous avons raison de comprendre que le Père et le Fils font ensemble miséricorde aux vases de miséricorde 1. On peut aussi comprendre: « Faites avec moi », dans le sens de aidez-moi. Cest lexpression ordinaire dont nous nous servons, à propos de quelquun qui est de notre parti; il fait davec nous. Or, le Père aide le Fils, en tant que Dieu aide lhomme, à cause de la forme de lesclave; or, Dieu est père de cet homme, et père aussi de celui qui a la forme de lesclave. Au point de vue de la nature divine, le Fils na pas besoin dêtre aidé par le Père; il est tout-puissant comme le Père avec lequel il assiste lhomme. « De même que le Père ressuscite les morts et donne la vie, ainsi le Fils vivifie ceux quil lui plaît 2 ». Le Père ne donne point la vie aux uns, et le Fils aux autres; ni le Père autrement que le Fils: les oeuvres sont les mêmes, et de la même manière. Ainsi, dans sa nature humaine, le Fils de Dieu a été ressuscité par Dieu dentre les morts, cest-à-dire par son Père, à qui il sadresse dans le psaume : « Ressuscitez-moi, et je me vengerai deux 3». En tant quil est Dieu, il sest ressuscité lui-même ; aussi a-t-il dit : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours 4». Nous retrouvons ici le même sens, quand on lexamine avec soin. Il nous ordonne de sonder les Ecritures, qui rendent témoignage à son sujet 5, et de ne point passer légèrement. Or, il ne dit pas seulement : « Vous, Seigneur, ô Seigneur, faites avec moi » ; mais : « Vous aussi »; et quest-ce à dire: « Vous aussi », sinon moi déjà? Quil ne dise pas Seigneur une seule fois, mais quil le répète : « Seigneur, Seigneur »; cest leffet dune ardente prière, comme: « O Dieu, mon Dieu 6 ». Après avoir dit: « Faites avec moi », quil ajoute : « A cause de votre nom »: cest pour nous signaler la grâce de Dieu. Car la nature humaine navait dans ses oeuvres aucun mérite qui pût lélever à ce comble de gloire, que le Verbe uni à la chair cest-à-dire Dieu et lhomme, fût appelé Fils de Dieu. Or, voilà ce qui sest fait, en sorte que Celui qui avait créé lhomme est venu le rechercher; ce qui navait point péri de lhumanité a recueilli
1. Rom. IX, 23. 2. Jean, V, 21. 3. Ps. XL, 11. 4. Jean, II, 19. 5. Id. V, 39. 6. Ps. XXI, 2.
ce qui avait péri. De là cette parole qui suit: « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur ». 24. «Délivrez-moi, parce que je suis pauvre et indigent 1». Dans cette indigence et cette pauvreté, nous trouvons la faiblesse qui la fait clouer à la croix. « Et mon coeur sest troublé en moi-même » .On peut rapporter ces paroles à ce que dit le Fils de Dieu aux approches de la passion : « Mon âme est triste jusquà la mort 2 ». 25. « Jai passé comme lombre qui décline 3». Voilà ce qui indique la mort. De même que lombre qui sabaisse amène la nuit, ainsi une chair mortelle arrive à la mort. « Jai été secoué comme les sauterelles ». Il me semble que cette parole convient mieux à ses membres, cest-à-dire aux fidèles. Et cest pour sexprimer avec plus de justesse que le Prophète a préféré dire « Comme les sauterelles », et non comme la sauterelle; et toutefois, avec le nombre singulier, on eût encore pu lentendre du pluriel, comme il est dit ailleurs : « Il dit, et vint la sauterelle 4 » ; mais ceût été plus obscur. Donc ses fidèles ont été secoués, mis en fuite par les persécuteurs, dont les sauterelles nous expriment ici ou le grand nombre, ou le passage dun lieu à un autre. 26. « Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne 5 ». Nous lisons que : « Le Seigneur jeûna pendant quarante jours 6 » ; mais ce long jeûne put-il bien affaiblir ses genoux? Ceci ne sappliquerait-il pas mieux à ses membres, cest-à-dire à ses saints? « Et ma chair a été changée à cause de lhuile», ou à cause de la grâce spirituelle. Cest du chrême quest venu le nom de Christ, et chrême signifie onction. Or, ce changement que lhuile a opéré dans ma chair ne la point détériorée, mais cétait une amélioration, puisque des ignominies de la mort elle sélevait à limmortalité glorieuse. Dès lors, après avoir dit: « Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne », ce qui signifie que ceux de ses membres qui paraissaient forts, saffaissèrent une fois que disparut, à la passion, ce pain qui les soutenait, ainsi quon le vit dans le reniement de Pierre: comme pour les fortifier contre la chute, le Prophète ajoute : « Et ma chair a été changée à cause de lhuile»,
1. Ps. CVIII, 22. 2. Matth. XXVI, 38. 3. Ps. CVIII, 23. 4. Id. CIV, 34. 5. Id. CVIII, 24. 6. Matth. IV, 2.
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afin que ma résurrection vînt soutenir ceux que ma mort avait ébranlés, et quils reçussent lonction de lEsprit-Saint, qui ne serait point descendu sur eux, si je ne les avais quittés. Car il avait dit : « Cet Esprit ne peut avenir, si je ne men vais dabord 1 ». Et lEvangéliste a dit : « Le Saint-Esprit navait pas été envoyé, parce que Jésus nétait pas encore glorifié 2 ». La chair nétait point changée alors. Mais soit que lon désigne lEsprit-Saint par leau qui arrose, ou par lhuile qui donne la joie, ou par le feu de la charité, il nest point différent en lui-même, quelque différents que soient les signes. La différence est grande entre le lion et lagneau, et néanmoins lun et lautre figurent le Christ: le lion a certaines qualités, lagneau dautres qualités. Cependant le Christ est le même, bien que lagneau nait pas la force, ni le lion linnocence ; mais le Christ est fort comme le lion, innocent comme lagneau. Jésus-Christ, en effet, dit lui-même en lsaïe : « LEsprit de Dieu est sur moi, aussi ma-t-il oint 3 ». 27. « Je suis devenu pour eux un opprobre 4 », à cause de ma mort sur une croix. Le Christ, en effet, nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant malédiction pour nous 5. Ils mont vu, et ont branlé la tête». Parce quils ne lont vu que suspendu à la croix, et non ressuscité : ils lont vu quand ses genoux étaient affaiblis, et ne lont point vu quand sa chair était changée. 28. « Secourez-moi, Seigneur mon Dieu, sauvez-moi selon votre miséricorde 6 ». Ceci peut sappliquer au Christ tout entier, cest-à-dire et à la tête et au corps; à la tête, à cause de la forme de lesclave; au corps, à cause des esclaves eux-mêmes. Car cest en eux quil a pu dire à Dieu: « Secourez-moi, et sauvez-moi», lui qui disait en eux aussi : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 7? » Sil ajoute : « Selon votre miséricorde », cest pour nous montrer que la grâce est gratuite, et non point la récompense des oeuvres. 29. «Quils sachent que cest là votre main, et que cest vous qui lavez faite 8 ». Le Christ dit: « Quils sachent », cest-à-dire les bourreaux pour qui il a prié, car ceux qui nont vu en lui quun objet dopprobre, qui ont
1. Jean, XVI, 7. 2. Id. VII, 39. 3. Isa. LXI, 1. 4. Ps. CVIII, 25. 5. Galat. III, 13. 6. Ps. CVIII, 26. 7. Act. IX, 4. 8. Ps. CVIII, 27.
branlé la tête par dérision, étaient ceux-là mêmes qui plus tard crurent en lui. Mais que ceux-là qui attribuent à Dieu la forme dun corps humain, sachent bien comment Dieu peut avoir une main. Si ses oeuvres sont les oeuvres de sa main, est-ce encore avec la main quil a fait sa main? En quel sens donc est-il dit ici : « Quils reconnaissent ici votre main, et que cest vous, ô mon Dieu, qui lavez faite? » Comprenons bien que la main de Dieu, cest le Christ; aussi est-il dit ailleurs « A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 1?» Cette main était donc, et néanmoins Dieu la faite ; et en effet : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe sest fait chair 2». Dans sa divinité, il est en dehors du temps; mais il lui a été fait, dans la race de David, selon la chair 3. 30. « Ils me maudiront, mais vous me bénirez 4 ». Elle est donc vaine, elle est donc fausse, la malédiction des hommes, qui aiment la vanité, qui recherchent le mensonge 5: mais Dieu, quand il bénit, fait ce quil dit. « Quils soient confondus, ceux qui sélèvent contre moi ». Ils ne sélèvent ainsi que par lespérance dun avantage sur moi ; mais quand jaurai été élevé par-dessus les cieux, et que ma gloire sera étendue par toute la terre, alors ils seront confondus. « Mais pour votre serviteur, il sera dans la joie » : soit à la droite du Père, soit dans ses membres qui se réjouiront eux-mêmes, et dans les tentations par lespérance, et après les tentations, par la vie éternelle. 31. « Quils soient revêtus de honte, ceux qui me calomnient ». Cest-à-dire, quils rougissent de leurs calomnies contre moi. Cette parole peut aussi se prendre en bonne part, en ce sens que les calomniateurs se corrigent. « Que la confusion leur soit un double manteau 6 ». Il y a dans le latin diplois, ce qui a donné lieu à cette autre traduction: « Que la confession soit pour eux duplex pallium, un manteau double». Cest-à-dire, quils soient confondus au dedans et au dehors, ou devant Dieu et devant les hommes. 32. «Ma bouche confessera le Seigneur avec excès 7 ». Il y a en latin nimis, expression que lon emploie daprès le génie de cette langue, pour désigner un excédant; elle est contraire à peu, parum, qui signifie moins quil ne
1. Isa. LIII, 1. 2. Jean, I, 1, 14. 3. Rom. I, 3. 4. Ps. CVIII, 28. 5. Id. IV, 3. 6. Id. CVIII, 29. 7. Id. 30.
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faut. Mais en grec, nimis, se dit agan: or, ce nest pas agan que lon lit dans ce verset, mais sphodra. Nos traducteurs lui ont donné un sens quils expriment tantôt par nimis, tantôt par valde, extrêmement. Mais si nimis peut avoir le sens de valde, on peut mettre nimis à propos de la louange, car cette confession du Psalmiste est une louange véritable. Le Psalmiste en effet continue ainsi : « Ma bouche le bénira au milieu dhommes nombreux ». Dans un autre psaume, il est dit : « Je vous chanterai au milieu de lEglise 1 ». Mais quand cest lEglise qui chante, elle qui est le corps du Christ, comment lEglise peut-elle chanter au milieu de lEglise? De même, quant à ces hommes nombreux de notre psaume, dès lors quils sont les membres du Christ, si le Christ bénit le Seigneur quand ils le bénissent, comment dire quil le bénit au milieu dhommes nombreux, puisque cest lui qui bénit Dieu, quand ils bénissent Dieu? Ou bien bénit-il Dieu au milieu de beaucoup, parce quil est avec son Eglise jusquà la consommation des siècles 2 ; en ce sens que: « Au milieu de beaucoup », sentendrait des honneurs quil reçoit de la multitude? Car on assigne la place du milieu à celui qui reçoit les principaux honneurs. Et si le coeur est comme le milieu de lhomme, on ne saurait donner à
1. Ps. XXI, 23. 2. Matth. XXVIII, 20.
ces paroles un sens plus plausible que celui-ci: Je le bénirai dans les coeurs de la multitude, car le Christ habite par la foi dans nos coeurs 1. Le Prophète a dit: « Ma bouche », cest-à-dire la bouche de mon corps, qui est IEglise. Cest le coeur, en effet, qui croit pour être justifié, cest la bouche qui confesse pour obtenir le salut 2. 33. « Car il sest tenu à la droite du pauvre 3 ». Il est dit de Judas : « Que le diable se tienne à sa droite »: parce quil a voulu augmenter ses richesses, en vendant le Christ. Mais ici cest le Seigneur qui « sest tenu à la droite du pauvre », afin dêtre lui-même la richesse du pauvre. « Il sest tenu à la droite du pauvre », non point pour multiplier les années dune vie qui doit finir un jour, non pour augmenter ses richesses, non pour lui donner la force corporelle, ou la santé pour un temps; mais afin, dit le Prophète, «de délivrer son âme des persécuteurs ». Or, lâme est délivrée des persécuteurs, quand leurs suggestions ne la font point consentir au mal; et elle ny consent point, quand le Seigneur se tient à la droite du pauvre, pour le soutenir contre sa pauvreté, cest-à-dire sa faiblesse. Tel est le secours que Dieu a prêté au corps du Christ dans tous ses saints martyrs.
1. Ephés. III, 17. 2. Rom. X, 10. 3. Ps. CVIII, 1.
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