|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXII.SERMON AU PEUPLE, EN FAVEUR DES MOINES ET CONTRE LES DONATISTES.LE MOINE, OU LUNITÉ DE COEUR.
Cest le bonheur pour des frères de demeurer dans lunité qui a enfanté leu monastères. Ceux qui le comprirent les premiers furent les Apôtres, puis les disciples qui navaient quun seul coeur. Comparez le moine catholique, humble et sobre, avec le Circoncellion ivrogne et furieux. Quil y ait de faux moines, cela tient à lhumanité, puisque ni parmi ceux qui gouvernent lEglise, ni parmi ceux qui servent Dieu dans le calme, ni parmi les gens du monde, tous ne seront point sauvés. Les hérétiques donnent à leurs solitaires le nom dAgonistiques, du mot agon, combat; puissent-ils justifier ce nom en combattant pour le Seigneur! Les catholiques les appellent moines, de monos, seul, ou plusieurs en un seul par lâme. Ils peuvent bien nous reprocher le nom de moines, eux qui ne reconnaissent lunité ni dans lEglise ni dans les âmes. Cette unité ressemble au parfum sur la tète dAaron, on du souverain prêtre, lequel descend sur sa barbe, ou sur le signe de sa force, comme les Apôtres, comme Etienne le premier martyr, qui triomphe par la charité. Le parfum descend sur le bord du vêtement ou sur lEglise, qui est sans tache, puisquelle est purifiée dans le sang du Christ, sans ride puisquelle est étendue sur la croix. Ce bord est celui den haut qui donne passage à la tête, parce que le Christ entre chez nous par la charité fraternelle. Comme la rosée dHermon ; cest-à-dire que tout cela saccomplit en nous par la grâce de Dieu. Hermon signifie lumière deu haut, et désigne le Christ, qui donne le calme et la paix, et dès lors lunité des âmes. Cest dans celte paix que nous devons louer le Seigneur; et si nous ne pouvons le trouver sur la terre, habitons dans le ciel par lâme.
1. Notre psaume est court, mais célèbre et fort connu. « Quil est bon, quil est agréable pour des frères dhabiter ensemble 1 ». Il y a tant de douceur dans ce verset quon le chante quand même on ne connaîtrait point le Psautier. Il est doux comme est douce la charité qui réunit les frères dans une même demeure. Quil soit bon, quil soit agréable pour des frères dhabiter ensemble, cest là ce qui na besoin ni dexplication ni de commentaire. Mais dans a suite il faut frapper, afin que la porte souvre. Néanmoins, afin que ce premier verset nous donne
1. Ps. CXXXII, 1.
113
le sens de tout le psaume, considérons si ce nest point de tous les chrétiens quil est dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères dhabiter ensemble », ou sil ny en a pas quelques-uns des plus parfaits qui demeurent ensemble, et sur qui tomberait cette bénédiction qui ne serait point dès lors pour tous, mais pour quelques-uns seulement, doù elle se répandrait sur les autres. 2. Cette parole du psaume, ce chant suave, cette ravissante mélodie que lon trouve dans le cantique même et dans le sens a enfanté les monastères. Tel est le chant qui a excité les frères à demeurer ensemble; ce verset a été pour eux une trompette éclatante: elle a retenti dans lunivers entier, et ceux qui étaient divisés se sont réunis. Ce cri de Dieu, ce cri du Saint-Esprit, ce cri prophétique nétait pas entendu dans la Judée, et toutes les contrées de la terre lont entendu. Ceux qui lentendaient chanter demeuraient sourds à cette parole du psaume, et il sest trouvé que ceux-là ont prêté loreille dont il est dit : « Voilà quils le verront, ceux qui nont pas entendu parler de lui, et ceux qui une lont pas entendu comprendront 1 ». Toutefois, mes bien-aimés, à bien considérer, cest dans la muraille de la circoncision que cette bénédiction a pris sa source. Tous les Juifs, en effet, ont-ils péri? Et doù viennent les Apôtres, fils des Prophètes, fils de ceux que lon a secoués 2? expression que vous comprenez. Doù viennent encore ces cinq cents disciples, qui virent le Seigneur après sa résurrection , et que mentionne saint Paul 3? Doù encore ces cent vingt qui étaient réunis dans un même lieu, après la résurrection et lascension du Seigneur, et sur lesquels descendit en ce lieu le Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, envoyé selon la promesse du Sauveur? Tous venaient du peuple juif, et ont les premiers habité ensemble ; ils vendaient leurs biens, et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, comme nous lisons dans les Actes des Apôtres; « et on le distribuait à ceux qui avaient besoin, et nul ne revendiquait rien en propre, mais toutes choses leur étaient communes ». Que signifie « ensemble », ou « en un », in unum? LEcriture nous répond : « Ils navaient quune même âme, et un même coeur en
1. Isa. LII, 15. 2. Ps. CXXVI, 4. 3. I Cor. XV, 6.
Dieu 1». Voilà ceux qui ont compris les premiers : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères dhabiter dans lunité», Ils sont les premiers pour lavoir entendu, mais ne sont point les seuls, car cet amour, cette union des frères ne sest point arrêté en eux. Cette allégresse de la charité, ce voeu que lon fait à Dieu, ont passé à ceux qui les suivaient. Il y a là, en effet, un voeu fait à Dieu, et il est dit « Promettez à votre Dieu, et tenez à votre promesse ». Toutefois, il est mieux de ne faire aucun voeu, que den faire un sans le tenir 3. Mais notre âme doit être fervente à faire des voeux et à les acquitter, de peur quen se croyant trop faible pour les acquitter, elle ne soit tiède à les faire. Mais jamais elle ne sacquittera si elle compte le faire par elle-même. 3. Cest dun mot de notre psaume quest venu le nom de moines, et je vous en fais la remarque afin quon ne prenne pas un tel nom pour une injure aux catholiques. Quand vous reprochez aux hérétiques les désordres des Circoncellions, afin quils en rougissent pour leur salut, ils vous objectent les moines. Voyez dabord sil est possible de les comparer; vous seriez embarrassés dexprimer votre pensée. Mais vous navez besoin que dinviter chacun à regarder les uns et les autres; oui, quon regarde seulement et quon compare. Quavez-vous besoin de parler? Que lon compare des ivrognes avec des hommes sobres, des hommes sans frein avec des hommes mesurés, des furieux avec des hommes simples, des vagabonds avec des hommes qui vivent enfermés ensemble. Mais, nous disent-ils, que signifie ce nom de moines? Avec combien plus de raison leur dirons-nous : Que signifie le nom de Circellions? Mais, disent-ils, Circellions nest point leur nom. Peut-être les appelons-nous dun nom qui est altéré. Vous dirons-nous leur nom tout entier? On les nomme peut-être Circoncellions, et non Circellions. Si tel est leur nom, quils nous en donnent le sens. Car on les nomme Circoncellions parce quils errent en vagabonds autour des cellules. Ils vont çàet là, sans avoir de demeures fixes; ils font ce que vous savez, ce que les hérétiques, bon gré, mal gré, ne peuvent ignorer. 4. Toutefois, mes bien-aimés, il y a aussi de faux moines et nous en connaissons ; mais
1. Act. I, II, IV. 2. Ps. LXXV, 12. 3. Eccl. V, 4.
114
la sainte fraternité na point péri, parce que des hommes se donnent pour ce quils ne sont point. Il y a de faux moines, comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. Tous les états de vie, mes frères, les trois dont je vous ai quelquefois parlé, et même souvent, si je ne me trompe, renferment des bons et des méchants. Cest de ces trois genres de vie quil est dit « Deux hommes seront dans les champs, lun sera pris, lautre sera laissé 1; «deux seront dans un lit, lun sera pris, lautre laissé; deux femmes à la meule, lune sera prise, lautre laissée 2 ». Ceux-là sont dans un champ, qui gouvernent lEglise. De là ce mot de lApôtre, et voyez sil nétait pas dans un champ : « Jai planté, Apollo a arrosé , mais Dieu a donné laccroissement 3 ». Par ceux qui sont dans un lit, lEvangile entend ceux qui aiment le repos, car le symbole du repos cest un lit; ceux qui ne se mêlent point à la foule ni au tumulte du monde, qui servent Dieu dans la tranquillité : et pourtant lun sera pris et lautre sera laissé. Il y a des bons comme il y a là des méchants. Ne vous étonnez pas que lon trouve là des réprouvés, il y en a quelquefois de cachés quon ne découvrira quà la fin. Deux sont à la meule, et il désigne ici des femmes, parce quil a voulu indiquer les gens du monde. Pourquoi à la meule ? Parce quils sont dans le monde comme dans un moulin. Le monde, en effet, tourne comme une meule; malheur à ceux quelle brise. Les bons dentre les fidèles y sont de telle sorte, que lun périt et lautre se sauve. Il en est qui imitent le monde par amour pour le monde, et deviennent trompeurs et dissimulés. Dautres y sont, comme le dit lApôtre : « Usant du monde comme sils nen usaient pas, car la figure du monde passe, et je veux que vous soyez sans inquiétude 4 ». Tu entends celle qui sera prise à la meule. Il est constant que les riches sont exposés à un plus grand nombre de péchés. Engagés dans plus daffaires, administrant de plus grands biens, ayant de plus hauts emplois, il est difficile pour eux de ne point commettre plus de fautes; et cest deux quil est dit « Quun chameau passera plus facilement dans le trou dune aiguille quun riche nentrera dans le royaume des cieux 5 ». Et comme
1. Matth. XXIV, 40. 2. Luc, XVII, 34, 35. 3. I Cor. III, 6. Id. VII, 31, 32. Matth. XIX, 24.
les Apôtres saffligeaient au sujet de ceux dont ils désespéraient, le Seigneur leur dit pour les consoler : « Ce qui est impossible à lhomme est facile à Dieu 1». Comment Dieu nous rend-il cela facile? Ecoute lApôtre, et ne néglige pas ses préceptes: « Ordonnez aux riches du siècle », dit-il, « de nêtre point orgueilleux 2 ».Car on trouve souvent un pauvre qui est orgueilleux, un riche qui est humble, un chrétien qui considère avec raison que toutes les choses dici-bas passent et sécoulent, quil na rien apporté en ce monde, quil nen saurait rien emporter; qui médite sur le riche de lEvangile, brûlant dans les flammes de lenfer, et demandant quune goutte deau tombât du doigt de celui qui désirait autrefois les miettes qui tombaient de sa table 3. Ceux qui méditent ces vérités suivent lavis de lApôtre : « De ne mettre point leur espérance dans les richesses qui u sont incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie. Quils soient riches en bonnes oeuvres, quils donnent facilement, et samassent ainsi un trésor ». Et quel bien leur en reviendra-t-il? « Quils samassent un trésor et un bon fondement pour lavenir, afin dembrasser la vie véritable 4 ». Voilà celle qui sera prise à la meule. Mais tout homme qui sera semblable à ce riche qui était revêtu de pourpre et de du lin, qui faisait chaque jour bonne chère et qui méprisait le pauvre couché à sa porte, celui-là sera laissé. Car lune sera prise à la meule et lautre sera laissée. 5. Ezéchiel, à son tour, parle de trois personnes qui désignent bien ces trois catégories : « Quand le Seigneur jettera son glaive sur la terre, dût-on trouver parmi eux Noé, Daniel et Job, ils ne délivreront pas leurs fils et leurs filles, mais ils seront seuls sauvés 5». Ces justes étaient déjà délivrés, mais ces trois noms étaient trois types. Noé désigne ceux qui gouvernent lEglise, parce quil gouverna larche au temps du déluge 6. Daniel choisit la vie paisible, et servit Dieu dans le célibat, cest-à-dire sans rechercher le mariage. Cétait un homme saint, dont la vie sécoulait en de saints désirs 7, qui passa par beaucoup dépreuves, et qui fut trouvé comme lor le plus pur. Quel nétait pas son calme,
1. Matth. XXX, 26. 2. I Tim. VI, 17. 3. Luc, XVI, 24. 4. I Tim XV, 19. 5. Ezéch. XIV, 13-16. 6. Gen. VII, 14. 7. Dan. X, 11.
115
puisquil fut trouvé tranquille au milieu des lions? Dès lors, le nom de Daniel, qui fut appelé un homme de désirs 1, mais des chastes et saints désirs, indique les serviteurs de Dieu dont il est dit: «Combien il est bon, combien il est agréable, pour des frères, dhabiter ensemble ». Job désigne cette femme qui sera prise à la meule. Il avait une épouse, il avait des enfants, il avait de grandes richesses 2, et tels étaient ses grands biens en cette vie, que le diable lui reprochait de ne point servir Dieu gratuitement, mais pour les biens quil avait reçus de lui. Tel fut le reproche de lennemi à ce saint homme, et dans ses épreuves Job montra quil servait Dieu gratuitement, non pour ce quil avait reçu, mais bien pour celui qui avait donné. Quand une ruine soudaine, une triste épreuve lui eut tout enlevé, enlevé son héritage, enlevé ses héritiers, pour ne lui laisser que sa femme, encore nétait-ce point pour consolation, mais pour le comble de lépreuve, il dit ces paroles que vous connaissez : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; il est arrivé ce quil a plu au Seigneur, que le nom du Seigneur soit béni ». Alors saccomplit en lui ce que nous chantons, si tant est que nous le chantions par nos murs : «Je bénirai le Seigneur en tout temps sa louange sera toujours en ma bouche ». Ces trois hommes sont donc trois types humains, que nous avons retrouvés dans les trois états de lEvangile. 6. Que nous disent maintenant ceux qui nous reprochent avec insolence le nom de moines? Ils diront peut-être: Nous nappelons point les nôtres Circoncellions; cest vous autres qui leur donnez ce nom par mépris, car nous ne les appelons pas ainsi. Quils nous disent alors comment ils les nomment, et vous entendrez. Ils les appellent Agonistiques. Cest là un beau nom, il faut lavouer, si la réalité y répondait. Mais que votre charité voie avec nous; que ceux qui nous disent : Montrez-nous où est écrit ce nom de moines, veuillent bien nous montrer où est écrit celui dAgonistiques. Nous les appelons ainsi, disent-ils, à cause de leurs combats. Car ils combattent, et saint Paul dit de lui-même « quil a bien combattu 4 ». Il en est qui combattent contre le démon, et qui remportent la victoire ; soldats de Jésus-Christ, ils se nomment
1. Dan X, 11. 2. Job, I, 23. 3. Ps. XXXIII, 2. 4. II Tim. IV, 7
Agonistiques ou combattants. Plût à Dieu quils fussent les soldats du Christ, et non les soldats du diable, eux dont le mot, louange de Dieu 1, est plus à craindre que le rugissement du lion, ils osent bien nous reprocher que nos frères saluent les hommes quils rencontrent par cette parole : Grâces à Dieu 2. Que signifie, nous disent-ils : Grâces à Dieu? Es-tu donc sourd au point de ne pas comprendre ce que signifie : Grâces à Dieu? Parler ainsi, cest remercier Dieu. Or, vois si un frère ne doit pas rendre grâce à Dieu quand il rencontre un frère. Quand ceux qui demeurent en Jésus-Christ se voient mutuellement, ny a-t-il pas lieu de se féliciter? Et pourtant vous riez de notre grâce à Dieu, tandis que les hommes pleurent votre louange à Dieu. Mais puisque vous nous avez expliqué votre nom dAgonistiques, puissent-ils justifier cette appellation, puissent-ils être combattants, nous y applaudissons. Que Dieu leur donne de combattre le diable, et non le Christ dont ils persécutent lEglise. Puisque vous les appelez Agonistiques ou combattants, et que vous trouvez une raison de ce nom dans le mot dc saint Paul: « Jai combattu un bon combat 3 »; pourquoi ne pourrions-nous pas nous servir du nom de moines, quand le psaume nous dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères dhabiter ensemble » ou en un. Or, monos signifie un, et non pas un indifféremment : en effet, un se trouve dans une foule, mais une foule composée de plusieurs ne saurait se dire un, monos, cest-à-dire seul : car monos signifie un seul. Donc ceux qui vivent en commun, de manière à ne former quun seul homme, et à réaliser en eux cette parole de lEcriture, « un coeur et une âme 4 », peuvent être plusieurs corporellement, mais non plusieurs âmes ; plusieurs corps, mais non plusieurs coeurs. Voilà bien monos, cest-à-dire un seul. De là ce seul malade qui était guéri à la piscine. Quils nous répondent ceux qui nous rejettent le nom de moines comme une insulte; quils nous disent pourquoi cet homme paralytique depuis trente- huit années répondit au Seigneur: « Aussitôt que leau est troublée, je nai personne pour my jeter, et un autre descend avant moi 5 ». Un malade était descendu, un autre ny descendait plus:
1. Salut des Circoncellions 2. Salut des Moines. 3. II Tim. IV, 7. 4. Act. IV, 32. 5. Jean, V, 5, 7.
116
un seul était guéri, et nous figurait lunité de lEglise. Il est vrai quils ont raison dinsulter à lunité, ceux qui se sont séparés de lunité. Cest justement que le nom de moines leur déplaît, eux qui ne veulent pas demeurer dans lunité avec leurs frères, qui ont abandonné le Christ afin de suivre Donat. Votre charité vient dentendre la recommandation de lunité dun seul ; réjouissons-nous donc avec le Psalmiste et voyons ce qui suit. Le psaume est court, nous pouvons avec la grâce de Dieu le parcourir rapidement. Ce que nous avons dit déjà, nous éclairera sans doute pour la suite, bien quon y trouve des obscurités. 7. « Voilà combien il est bon, combien il est agréable pour des frères dhabiter ensemble ». Dire voilà, cest montrer. Pour nous, mes frères, nous le voyons et nous en bénissons le Seigneur ; nous le prions de pouvoir dire à notre tour: Voilà. Mais à quoi va-t-il comparer ces frères? Que le Prophète nous le dise : « Comme un parfum répandu sur la tête dAaron, qui descend le long de sa barbe, et jusque sur le bord de son vêtement 1 ». Quétait-ce que Aaron ? Le grand prêtre. Quel est le véritable prêtre, sinon celui qui est entré seul dans le Saint des saints ? Quel est ce prêtre, sinon celui qui a été victime et prêtre ? sinon celui qui, ne trouvant dans le monde rien que dimmonde à offrir à Dieu, soffrit lui-même? Sur sa tête est le parfum, parce que le Christ tout entier comprend lEglise. Mais cest de la tête que descend le parfum. Notre tête, cest le Christ crucifié et enseveli, et qui est ressuscité pour monter au ciel. Telle est la tête qui a envoyé lEsprit-Saint ; où? Sur sa barbe. Car la barbe est le symbole de la force, elle est le propre dune jeunesse vigoureuse, alerte et robuste. De là vient quen parlant de ces sortes dhommes, nous disons : cest un barbu. Ce fut donc sur les Apôtres que ce parfum descendit tout dabord; il descendit sut ceux qui soutinrent les premiers chocs du inonde ce fut sur eux que descendit lEsprit-Saint. Et eux aussi qui avaient commencé à demeurer ensemble, in unum, souffrirent persécution ; mais comme le parfum était descendu sur la barbe, ils la souffrirent sans être vaincus. Déjà la tête avait précédé, et avait fait couler le parfum, et après un si grand exemple, qui
1. Ps. CXXXIX, 2.
eût pu vaincre la barbe qui en était pénétrée? 8. Cest dans cette barbe quétait le bienheureux Etienne. Et nêtre pas vaincu, cela consiste à ne pas laisser vaincre notre charité par nos ennemis. Ceux qui ont persécuté les saints ont cru avoir vaincu; les premiers frappaient, les seconds étaient frappés ; les premiers égorgeaient, les seconds étaient égorgés. Qui naurait cru que les uns étaient vainqueurs, les autres vaincus? Mais parce que la charité na pas été vaincue, voilà que le parfum est descendu sut sa barbe. Ecoutez Etienne. La charité fut violente en lui ; il était violent pour eux quand ils lécoutaient, et il pria pour eux quand ils le lapidaient. Quel était son langage quand ils lécoutaient? « Têtes dures, hommes incirconcis du coeur et des oreilles, vous avez toujours résisté à lEsprit-Saint 1 ». Voilà la barbe. Est-il flatteur? Est-il timide ? En entendant ces reproches qui les flétrissaient (car lemportement dEtienne nétait que lemportement des paroles, mais son coeur était plein de charité pour eux, et en lui la charité ne fut pas vaincue) ; ceux-ci donc neurent que de la haine contre ses paroles , ils étaient ténèbres et fuyaient la lumière, elles voilà qui prennent des pierres pour lapider Etienne. Les paroles dEtienne les avaient frappés comme des pierres, et leurs pierres frappèrent Etienne Est-ce pendant quon le lapidait, ou pendant quon lécoutait que notre Saint avait plus raison de semporter? Toutefois il était doux quand on le lapidait, emporté quand on lécoulait. Pourquoi ce transport quand on lécoulait? Parce quil voulait changer ses auditeurs. Mais les pierres qui tombaient sur lui ne purent vaincre sa charité : parce que le parfum divin était descendu de la tête sur la barbe, et la tête lui avait dit : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent 2». Il avait ouï de cette tête clouée à la croix cette parole: « Mon Père, pardonnez-leur, parce quils ne savent ce quils font 3 ». Cest ainsi que de la tête le parfum était descendu sur la barbe, et quand on lapidait ce fervent disciple, il mit le genou en terre en sécriant : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 4». 9. Ces saints étaient commue la barbe. Car beaucoup étaient courageux et enduraient de
1. Act. VI, 51. 2. Matth. V, 41. 3. Luc, XXIII, 34. 4. Act. VII, 59.
117
grandes persécutions. Mais si de la barbe ce parfum nétait descendu plus bas encore, nous naurions point aujourdhui de monastères, Nous en avons, parce quil est descendu sur le bord du vêtement : car cest ainsi que dit le psaume : « Qui est descendu sur le bord de son vêtement ». Voilà que lEglise a suivi, et du vêtement du Seigneur a fait éclore des monastères. Car le vêtement sacerdotal est le symbole de lEglise. Telle est la robe dont lApôtre a dit que le Christ a voulu « faire paraître devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride 1». Elle est purifiée, afin de navoir aucune tache; elle est étendue, afin de navoir aucune ride. Où donc ce divin foulon la-t-il étendue, sinon sur la croix? Nous voyons chaque jour les foulons qui mettent les manteaux en croix, en quelque sorte, afin quétendus sur des croix, ils naient aucune ride, Quest-ce donc que le bord du vêtement ? Oui mes frères, que faut-il comprendre par les bords du vêtement? Le bord, cest la fin du vêtement. Or, que faut-il comprendre par cette fin ? Que lEglise, à la fin des temps, aura des frères qui habiteront ensemble ou en un? Ou bien ce bord ne désignerait-il pas la perfection, car cest le bord qui achève le vêtement , et alors ceux-là seraient parfaits parce quils sauraient habiter en un? Mais ceux-là sont parfaits qui accomplissent la loi. Or, comment la loi du Christ est-elle accomplie en ces frères qui demeurent ensemble ? Ecoute lApôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Tel est le bord du vêtement. Toutefois, mes frères, comment pouvons-nous comprendre que tel est le bord du vêtement, dont parle notre psaume, et où descend le parfum ? Je ne crois pas quil soit ici question des bords qui forment les côtés du vêtement. Il y a des bords en effet sur les côtés. Mais de la barbe, le par. fum a pu descendre sur le bord qui est près de la tête, et où souvre le passage de la tête. Cest létat de ceux qui demeurent ensemble: en sorte que de même que cest par ces bords que passe la tête de lhomme qui veut se vêtit, de même le Christ qui est notre tête, entre chez nous par la concorde fraternelle, afin que nous nous revêtions de lui, et que son Eglise lui demeure unie.
1. Ephés. V, 27. 2. Gal. VI, 2.
10. Que dit encore le Prophète? « Comme la rosée dHermon qui descend sur les montagnes de Sion 1 ». Dans ces paroles, mes frères, le Prophète veut nous marquer que la grâce de Dieu est parmi les frères qui demeurent en un : que ce nest point un effet de leurs forces, ni de leurs mérites, mais que cest par un don de Dieu, une de ses grâces, comme la rosée qui nous vient du ciel. Car ce nest point la terre qui peut se la donner, et tout ce quelle produit sécherait bientôt, si la pluie ne venait den haut. Il est dit quelque part dans un psaume: « Vous ménagez, ô Dieu, une pluie volontaire à votre héritage 2». Pourquoi dire volontaire? Cest quelle nest point due à nos mérites, et quelle nous vient de sa bienveillance. Quel bien avons-nous pu mériter, nous qui sommes pécheurs? Quel bien avons-nous pu mériter, au milieu de nos iniquités? Adam vient dAdam, et sur cet Adam beaucoup de péchés. Quun homme vienne au monde, cest Adam qui vient au monde, un damné qui vient dun damné, et qui surcharge Adam par les péchés de sa vie. Or, quel bien a mérité Adam ? Et toutefois Dieu dans sa miséricorde a aimé, 1Epoux a aimé cette épouse, qui nétait point belle, mais quil voulait embellir. Cest donc la grâce de Dieu que le Prophète appelle la rosée dHermon, 11. Mais vous devez savoir ce quest Hermon. Cest une montagne assez éloignée de Jérusalem ou de Sion. Dès lors il y a de quoi nous surprendre dans cette parole du Prophète: « Comme la rosée dHermon qui descend sur les montagnes de Sion », puisque la montagne dHermon est éloignée de Jérusalem, et quelle est, dit-on, au-delà du Jourdain. Cherchons donc un sens dans la signification dHermon. Cest un nom hébreu, dont le sens nous est donné par ceux qui savent cette langue. Or, Hermon signifie lumière élevée. Du Christ nous vient la rosée, puisque nul autre que le Christ nest une lumière élevée. Comment dès lors est-il- une lumière élevée ? Dabord sur la croix, ensuite dans le ciel. Il a été élevé sur la croix quand il sest humilié; mais son humiliation na pu être que relevée. Ce quil y avait de lhomme diminuait de plus en plus, comme il est arrivé à Jean; mais ce qui était de Dieu devait croître eu Jésus-Christ Notre-Seigneur : cest encore
1. Ps. CXXXII, 3. 2. Id. LXVII, 10.
118
ce qui est marqué par leur naissance. Car selon la tradition de lEglise, Jean est né le huit des kalendes de juillet, quand les jours commencent à diminuer, et Notre-Seigneur, le huit des kalendes de janvier, quand les jours commencent à croître. Ecoute Jean qui nous dit : « Quant à lui, il doit croître, et moi diminuer 1 ». Or, voilà ce que marque leur genre de mort. Le Seigneur fut élevé en croix, et Jean diminué de la tête. Le Christ est donc une lumière élevée; et de là vient la rosée dHermon. Mais vous qui voulez habiter ensemble, soupirez après cette rosée, soyez-en trempés. Sans cela vous ne pourrez posséder ce dont vous faites profession, comme vous ne pourrez avoir le courage de le professer, si le Christ ne vous fait entendre son tonnerre dans votre coeur. Vous ne pourrez persévérer, sil cesse de rassasier vos âmes, parce que cet aliment sacré descend sur les montagnes de Sion. 12. Déjà, nous le savons, « les montagnes de Sion » sont grandes en Sion. Quest-ce que Sion ? LEglise. Et quelles sont les montagnes dans lEglise? Les grands. Ceux qui sont les montagnes sont aussi désignés par la barbe, et par le bord du vêtement. Car la barbe na dautre sens que la perfection. Il ny a donc pour habiter ensemble que ceux qui ont la charité parfaite. Car ceux qui nont point la charité parfaite en Jésus-Christ, lors même quils demeurent ensemble deviennent odieux, imposteurs, troublent les autres par leur turbulence, et cherchent à les critiquer; de même que dans un attelage, un cheval fougueux non-seulement ne tire point, mais par ses ruades brise tout lattelage. Mais quiconque a reçu cette rosée dHermon, qui descend sur les montagnes de Sion, il est tranquille, calme, humble, tolérant, et la prière coule sur ses lèvres au lieu du murmure. Dans un endroit dc lEcriture on lit cette belle description des murmurateurs : « Le coeur u de linsensé est comme la roue dun chariot 2 ». Pourquoi comparer au chariot le coeur de linsensé? Il porte du foin et crie. Car la roue dun char ne peut quelle ne crie. Ainsi en est-il de beaucoup de frères; ils demeurent ensemble, mais de corps seulement. Quels sont donc ceux qui habitent véritable-
1. Jean, III, 30. 2. Eccl. XXXIII, 5.
ment ensemble? Ceux dont il est dit : « Ils navaient tous quun même coeur et une même âme en Dieu : nul ne considérait comme à lui lien de ce quil possédait, mais tous leurs biens étaient en commun 1». Les voilà donc désignés et caractérisés ceux qui sont figurés par la barbe, figurés par le bord du vêtement, et qui sont au nombre des montagnes de Sion. Sil y a parmi eux des murmurateurs, quils se souviennent de cette parole du Seigneur : « Lun sera pris, lautre laissé 2 ». 13. « Car cest là que le Seigneur veut quon le bénisse 3 ». Où veut-il quon le bénisse ? Parmi les frères qui demeurent en un. Cest là quil veut être béni, là que bénissent ceux qui demeurent ensemble dans la concorde. Car on ne saurait le bénir dans la division: et cest en vain que tu diras que ta langue bénit le Seigneur , si ton coeur est muet; car alors la bouche bénit et le coeur maudit. « Ils bénissaient de la bouche et maudissaient dans le coeur 4 ». Est-ce moi qui tiens ce langage ? Le Prophète a voulu désigner quelquun par ces paroles. Cest bénir Dieu que prier, et en continuant ta prière, tu maudis ton ennemi. Est-ce là ce que tu as appris du Seigneur, qui dit « Aimez vos ennemis 5? » Si tu pratiques ce commandement, si tu pries pour ton ennemi, cest « là que le Seigneur a commandé quon « le bénisse » ; cest là que tu auras « la vie dans le siècle », cest-à-dire dans léternité. Chez beaucoup lamour de cette vie leur fit maudire leurs ennemis: et pourquoi, sinon à cause de cette vie et de certains avantages mondains? Où donc ton ennemi ta-t-il fait souffrir pour te forcer à le maudire de la sorte? Est-ce sur la terre que tu as souffert? Abandonne la terre et monte au ciel. Mais, diras-tu, comment puis-je habiter le ciel, moi qui suis revêtu de chair, absorbé par la chair? Elève ton coeur, où ton corps doit aller ensuite. Ne ferme pas loreille quand on dit: Les coeurs en haut. Oui, que ton coeur soit en haut, et nul ne ly fera souffrir. Cest ce que nous voyons très-bien dans le psaume suivant.
1. Act. IV, 32. 2. Matth XXIV, 40. 3. Ps. CXXXII, 3. 4. Id. LXI, 5 5. Matth V, 44.
|