PSAUME CXXXII
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXII.

SERMON AU PEUPLE, EN FAVEUR DES MOINES ET CONTRE LES DONATISTES.

LE MOINE, OU L’UNITÉ DE COEUR.

 

C’est le bonheur pour des frères de demeurer dans l’unité qui a enfanté leu monastères. Ceux qui le comprirent les premiers furent les Apôtres, puis les disciples qui n’avaient qu’un seul coeur. Comparez le moine catholique, humble et sobre, avec le Circoncellion ivrogne et furieux. Qu’il y ait de faux moines, cela tient à l’humanité, puisque ni parmi ceux qui gouvernent l’Eglise, ni parmi ceux qui servent Dieu dans le calme, ni parmi les gens du monde, tous ne seront point sauvés. Les hérétiques donnent à leurs solitaires le nom d’Agonistiques, du mot agon, combat; puissent-ils justifier ce nom en combattant pour le Seigneur! Les catholiques les appellent moines, de monos, seul, ou plusieurs en un seul par l’âme. Ils peuvent bien nous reprocher le nom de moines, eux qui ne reconnaissent l’unité ni dans l’Eglise ni dans les âmes.

Cette unité ressemble au parfum sur la tète d’Aaron, on du souverain prêtre, lequel descend sur sa barbe, ou sur le signe de sa force, comme les Apôtres, comme Etienne le premier martyr, qui triomphe par la charité. Le parfum descend sur le bord du vêtement ou sur l’Eglise, qui est sans tache, puisqu’elle est purifiée dans le sang du Christ, sans ride puisqu’elle est étendue sur la croix. Ce bord est celui d’en haut qui donne passage à la tête, parce que le Christ entre chez nous par la charité fraternelle. Comme la rosée d’Hermon ; c’est-à-dire que tout cela s’accomplit en nous par la grâce de Dieu. Hermon signifie lumière d’eu haut, et désigne le Christ, qui donne le calme et la paix, et dès lors l’unité des âmes. C’est dans celte paix que nous devons louer le Seigneur; et si nous ne pouvons le trouver sur la terre, habitons dans le ciel par l’âme.

 

1. Notre psaume est court, mais célèbre et fort connu. « Qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter ensemble 1 ». Il y a tant de douceur dans ce verset qu’on le

chante quand même on ne connaîtrait point le Psautier. Il est doux comme est douce la charité qui réunit les frères dans une même demeure. Qu’il soit bon, qu’il soit agréable pour des frères d’habiter ensemble, c’est là ce qui n’a besoin ni d’explication ni de commentaire. Mais dans a suite il faut frapper, afin que la porte s’ouvre. Néanmoins, afin que ce premier verset nous donne

 

1. Ps. CXXXII, 1.

 

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le sens de tout le psaume, considérons si ce n’est point de tous les chrétiens qu’il est dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble », ou s’il n’y en a pas quelques-uns des plus parfaits qui demeurent ensemble, et sur qui tomberait cette bénédiction qui ne serait point dès lors pour tous, mais pour quelques-uns seulement, d’où elle se répandrait sur les autres.

2. Cette parole du psaume, ce chant suave, cette ravissante mélodie que l’on trouve dans le cantique même et dans le sens a enfanté les monastères. Tel est le chant qui a excité les frères à demeurer ensemble; ce verset a été pour eux une trompette éclatante: elle a retenti dans l’univers entier, et ceux qui étaient divisés se sont réunis. Ce cri de Dieu, ce cri du Saint-Esprit, ce cri prophétique n’était pas entendu dans la Judée, et toutes les contrées de la terre l’ont entendu. Ceux qui l’entendaient chanter demeuraient sourds à cette parole du psaume, et il s’est trouvé que ceux-là ont prêté l’oreille dont il est dit : « Voilà qu’ils le verront, ceux qui  n’ont pas entendu parler de lui, et ceux qui une l’ont pas entendu comprendront ». Toutefois, mes bien-aimés, à bien considérer, c’est dans la muraille de la circoncision que cette bénédiction a pris sa source. Tous les Juifs, en effet, ont-ils péri? Et d’où viennent les Apôtres, fils des Prophètes, fils de ceux que l’on a secoués 2? expression que vous comprenez. D’où viennent encore ces cinq cents disciples, qui virent le Seigneur après sa résurrection , et que mentionne saint Paul 3? D’où encore ces cent vingt qui étaient réunis dans un même lieu, après la résurrection et l’ascension du Seigneur, et sur lesquels descendit en ce lieu le Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, envoyé selon la promesse du Sauveur? Tous venaient du peuple juif, et ont les premiers habité ensemble ; ils vendaient leurs biens, et en apportaient le prix aux pieds des Apôtres, comme nous lisons dans les Actes des Apôtres; « et on le distribuait à ceux qui avaient besoin, et nul ne revendiquait rien en propre, mais toutes choses leur étaient communes ». Que signifie « ensemble », ou « en un », in unum? L’Ecriture nous répond : « Ils n’avaient qu’une même âme, et un même coeur en

 

1. Isa. LII, 15. —  2. Ps. CXXVI, 4. — 3. I Cor. XV, 6.

 

 Dieu 1». Voilà ceux qui ont compris les premiers : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter dans l’unité», Ils sont les premiers pour l’avoir entendu, mais ne sont point les seuls, car cet amour, cette union des frères ne s’est point arrêté en eux. Cette allégresse de la charité, ce voeu que l’on fait à Dieu, ont passé à ceux qui les suivaient. Il y a là, en effet, un voeu fait à Dieu, et il est dit « Promettez à votre Dieu, et tenez à votre promesse ». Toutefois, il est mieux de ne faire aucun voeu, que d’en faire un sans le tenir 3. Mais notre âme doit être fervente à faire des voeux et à les acquitter, de peur qu’en se croyant trop faible pour les acquitter, elle ne soit tiède à les faire. Mais jamais elle ne s’acquittera si elle compte le faire par elle-même.

3. C’est d’un mot de notre psaume qu’est venu le nom de moines, et je vous en fais la remarque afin qu’on ne prenne pas un tel nom pour une injure aux catholiques. Quand vous reprochez aux hérétiques les désordres des Circoncellions, afin qu’ils en rougissent pour leur salut, ils vous objectent les moines. Voyez d’abord s’il est possible de les comparer; vous seriez embarrassés d’exprimer votre pensée. Mais vous n’avez besoin que d’inviter chacun à regarder les uns et les autres; oui, qu’on regarde seulement et qu’on compare. Qu’avez-vous besoin de parler? Que l’on compare des ivrognes avec des hommes sobres, des hommes sans frein avec des hommes mesurés, des furieux avec des hommes simples, des vagabonds avec des hommes qui vivent enfermés ensemble. Mais, nous disent-ils, que signifie ce nom de moines? Avec combien plus de raison leur dirons-nous : Que signifie le nom de Circellions? Mais, disent-ils, Circellions n’est point leur nom. Peut-être les appelons-nous d’un nom qui est altéré. Vous dirons-nous leur nom tout entier? On les nomme peut-être Circoncellions, et non Circellions. Si tel est leur nom, qu’ils nous en donnent le sens. Car on les nomme Circoncellions parce qu’ils errent en vagabonds autour des cellules. Ils vont çàet là, sans avoir de demeures fixes; ils font ce que vous savez, ce que les hérétiques, bon gré, mal gré, ne peuvent ignorer.

4. Toutefois, mes bien-aimés, il y a aussi de faux moines et nous en connaissons ; mais

 

1. Act. I, II, IV. — 2. Ps. LXXV, 12. — 3. Eccl. V, 4.

 

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la sainte fraternité n’a point péri, parce que des hommes se donnent pour ce qu’ils ne sont point. Il y a de faux moines, comme il y a de faux clercs et de faux fidèles. Tous les états de vie, mes frères, les trois dont je vous ai quelquefois parlé, et même souvent, si je ne me trompe, renferment des bons et des méchants. C’est de ces trois genres de vie qu’il est dit « Deux hommes seront dans les champs, l’un sera pris, l’autre sera laissé 1; «deux seront dans un lit, l’un sera pris, l’autre laissé; deux femmes à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée 2 ». Ceux-là sont dans un champ, qui gouvernent l’Eglise. De là ce mot de l’Apôtre, et voyez s’il n’était pas dans un champ : « J’ai planté, Apollo a arrosé , mais Dieu a donné l’accroissement 3 ». Par ceux qui sont dans un lit, l’Evangile entend ceux qui aiment le repos, car le symbole du repos c’est un lit; ceux qui ne se mêlent point à la foule ni au tumulte du monde, qui servent Dieu dans la tranquillité : et pourtant l’un sera pris et l’autre sera laissé. Il y a des bons comme il y a là des méchants. Ne vous étonnez pas que l’on trouve là des réprouvés, il y en a quelquefois de cachés qu’on ne découvrira qu’à la fin. Deux sont à la meule, et il désigne ici des femmes, parce qu’il a voulu indiquer les gens du monde. Pourquoi à la meule ? Parce qu’ils sont dans le monde comme dans un moulin. Le monde, en effet, tourne comme une meule; malheur à ceux qu’elle brise. Les bons d’entre les fidèles y sont de telle sorte, que l’un périt et l’autre se sauve. Il en est qui imitent le monde par amour pour le monde, et deviennent trompeurs et dissimulés. D’autres y sont, comme le dit l’Apôtre : « Usant du monde comme s’ils n’en usaient pas, car la figure du monde passe, et je veux que vous soyez sans inquiétude 4 ». Tu entends celle qui sera prise à la meule. Il est constant que les riches sont exposés à un plus grand nombre de péchés. Engagés dans plus d’affaires, administrant de plus grands biens, ayant de plus hauts emplois, il est difficile pour eux de ne point commettre plus de fautes; et c’est d’eux qu’il est dit « Qu’un chameau passera plus facilement dans le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrera dans le royaume des cieux 5 ». Et comme

 

1. Matth. XXIV, 40.— 2. Luc, XVII, 34, 35. — 3. I Cor. III, 6. — Id. VII, 31, 32. — Matth. XIX, 24.

 

les Apôtres s’affligeaient au sujet de ceux dont ils désespéraient, le Seigneur leur dit pour les consoler : « Ce qui est impossible à l’homme est facile à Dieu 1». Comment Dieu nous rend-il cela facile? Ecoute l’Apôtre, et ne néglige pas ses préceptes: « Ordonnez aux riches du siècle », dit-il, « de n’être point orgueilleux  2 ».Car on trouve souvent un pauvre qui est orgueilleux, un riche qui est humble, un chrétien qui considère avec raison que toutes les choses d’ici-bas passent et s’écoulent, qu’il n’a rien apporté en ce monde, qu’il n’en saurait rien emporter; qui médite sur le riche de l’Evangile, brûlant dans les flammes de l’enfer, et demandant qu’une goutte d’eau tombât du doigt de celui qui désirait autrefois les miettes qui tombaient de sa table 3. Ceux qui méditent ces vérités suivent l’avis de l’Apôtre : « De ne mettre point leur espérance dans les richesses qui u sont incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie. Qu’ils soient riches en bonnes oeuvres, qu’ils donnent facilement, et s’amassent ainsi un trésor ». Et quel bien leur en reviendra-t-il? « Qu’ils s’amassent un trésor et un bon fondement pour l’avenir, afin d’embrasser la vie véritable 4 ». Voilà celle qui sera prise à la meule. Mais tout homme qui sera semblable à ce riche qui était revêtu de pourpre et de du lin, qui faisait chaque jour bonne chère et qui méprisait le pauvre couché à sa porte, celui-là sera laissé. Car l’une sera prise à la meule et l’autre sera laissée.

5. Ezéchiel, à son tour, parle de trois personnes qui désignent bien ces trois catégories : « Quand le Seigneur jettera son glaive sur la terre, dût-on trouver parmi eux Noé, Daniel et Job, ils ne délivreront pas leurs fils et leurs filles, mais ils seront seuls sauvés 5». Ces justes étaient déjà délivrés, mais ces trois noms étaient trois types. Noé désigne ceux qui gouvernent l’Eglise, parce qu’il gouverna l’arche au temps du déluge 6. Daniel choisit la vie paisible, et servit Dieu dans le célibat, c’est-à-dire sans rechercher le mariage. C’était un homme saint, dont la vie s’écoulait en de saints désirs 7, qui passa par beaucoup d’épreuves, et qui fut trouvé comme l’or le plus pur. Quel n’était pas son calme,

 

1. Matth. XXX, 26. — 2. I Tim. VI, 17.— 3. Luc, XVI, 24.— 4. I Tim XV, 19. — 5. Ezéch. XIV, 13-16. —  6. Gen. VII, 14. — 7. Dan. X, 11.

 

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puisqu’il fut trouvé tranquille au milieu des lions? Dès lors, le nom de Daniel, qui fut appelé un homme de désirs 1, mais des chastes et saints désirs, indique les serviteurs de Dieu dont il est dit: «Combien il est bon, combien il est agréable, pour des frères, d’habiter ensemble ». Job désigne cette femme qui sera prise à la meule. Il avait une épouse, il avait des enfants, il avait de grandes richesses 2, et tels étaient ses grands biens en cette vie, que le diable lui reprochait de ne point servir Dieu gratuitement, mais pour les biens qu’il avait reçus de lui. Tel fut le reproche de l’ennemi à ce saint homme, et dans ses épreuves Job montra qu’il servait Dieu gratuitement, non pour ce qu’il avait reçu, mais bien pour celui qui avait donné. Quand une ruine soudaine, une triste épreuve lui eut tout enlevé, enlevé son héritage, enlevé ses héritiers, pour ne lui laisser que sa femme, encore n’était-ce point pour consolation, mais pour le comble de l’épreuve, il dit ces paroles que vous connaissez : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; il est arrivé ce qu’il a plu au Seigneur, que le nom du Seigneur soit béni ». Alors s’accomplit en lui ce que nous chantons, si tant est que nous le chantions par nos mœurs : «Je bénirai le Seigneur en tout temps sa louange sera toujours en ma bouche ». Ces trois hommes sont donc trois types humains, que nous avons retrouvés dans les trois états de l’Evangile.

6. Que nous disent maintenant ceux qui nous reprochent avec insolence le nom de moines? Ils diront peut-être: Nous n’appelons point les nôtres Circoncellions; c’est vous autres qui leur donnez ce nom par mépris, car nous ne les appelons pas ainsi. Qu’ils nous disent alors comment ils les nomment, et vous entendrez. Ils les appellent Agonistiques. C’est là un beau nom, il faut l’avouer, si la réalité y répondait. Mais que votre charité voie avec nous; que ceux qui nous disent : Montrez-nous où est écrit ce nom de moines, veuillent bien nous montrer où est écrit celui d’Agonistiques. Nous les appelons ainsi, disent-ils, à cause de leurs combats. Car ils combattent, et saint Paul dit de lui-même « qu’il a bien combattu 4 ». Il en est qui combattent contre le démon, et qui remportent la victoire ; soldats de Jésus-Christ, ils se nomment

 

1. Dan X, 11.— 2. Job, I, 23.— 3. Ps. XXXIII, 2.— 4. II Tim. IV, 7

 

Agonistiques ou combattants. Plût à Dieu qu’ils fussent les soldats du Christ, et non les soldats du diable, eux dont le mot, louange de Dieu 1, est plus à craindre que le rugissement du lion, ils osent bien nous reprocher que nos frères saluent les hommes qu’ils rencontrent par cette parole : Grâces à Dieu 2. Que signifie, nous disent-ils : Grâces à Dieu? Es-tu donc sourd au point de ne pas comprendre ce que signifie : Grâces à Dieu? Parler ainsi, c’est remercier Dieu. Or, vois si un frère ne doit pas rendre grâce à Dieu quand il rencontre un frère. Quand ceux qui demeurent en Jésus-Christ se voient mutuellement, n’y a-t-il pas lieu de se féliciter? Et pourtant vous riez de notre grâce à Dieu, tandis que les hommes pleurent votre louange à Dieu. Mais puisque vous nous avez expliqué votre nom d’Agonistiques, puissent-ils justifier cette appellation, puissent-ils être combattants, nous y applaudissons. Que Dieu leur donne de combattre le diable, et non le Christ dont ils persécutent l’Eglise. Puisque vous les appelez Agonistiques ou combattants, et que vous trouvez une raison de ce nom dans le mot dc saint Paul: « J’ai combattu un bon combat 3 »; pourquoi ne pourrions-nous pas nous servir du nom de moines, quand le psaume nous dit : « Combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble » ou en un. Or, monos signifie un, et non pas un indifféremment : en effet, un se trouve dans une foule, mais une foule composée de plusieurs ne saurait se dire un, monos, c’est-à-dire seul : car monos signifie un seul. Donc ceux qui vivent en commun, de manière à ne former qu’un seul homme, et à réaliser en eux cette parole de l’Ecriture, « un coeur et une âme 4 », peuvent être plusieurs corporellement, mais non plusieurs âmes ; plusieurs corps, mais non plusieurs coeurs. Voilà bien monos, c’est-à-dire un seul. De là ce seul malade qui était guéri à la piscine. Qu’ils nous répondent ceux qui nous rejettent le nom de moines comme une insulte; qu’ils nous disent pourquoi cet homme paralytique depuis trente- huit années répondit au Seigneur: « Aussitôt que l’eau est troublée, je n’ai personne pour m’y jeter, et un autre descend avant moi 5 ». Un malade était descendu, un autre n’y descendait plus:

 

1. Salut des Circoncellions — 2. Salut des Moines. — 3. II Tim. IV, 7. — 4. Act. IV, 32.— 5. Jean, V, 5, 7.

 

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un seul était guéri, et nous figurait l’unité de l’Eglise. Il est vrai qu’ils ont raison d’insulter à l’unité, ceux qui se sont séparés de l’unité. C’est justement que le nom de moines leur déplaît, eux qui ne veulent pas demeurer dans l’unité avec leurs frères, qui ont abandonné le Christ afin de suivre Donat. Votre charité vient d’entendre la recommandation de l’unité d’un seul ; réjouissons-nous donc avec le Psalmiste et voyons ce qui suit. Le psaume est court, nous pouvons avec la grâce de Dieu le parcourir rapidement. Ce que nous avons dit déjà, nous éclairera sans doute pour la suite, bien qu’on y trouve des obscurités.

7. « Voilà combien il est bon, combien il est agréable pour des frères d’habiter ensemble ». Dire voilà, c’est montrer. Pour nous, mes frères, nous le voyons et nous en bénissons le Seigneur ; nous le prions de pouvoir dire à notre tour: Voilà. Mais à quoi va-t-il comparer ces frères? Que le Prophète nous le dise : « Comme un parfum répandu sur la tête d’Aaron, qui descend le long de sa barbe, et jusque sur le bord de son vêtement 1 ». Qu’était-ce que Aaron ? Le grand prêtre. Quel est le véritable prêtre, sinon celui qui est entré seul dans le Saint des saints ? Quel est ce prêtre, sinon celui qui a été victime et prêtre ? sinon celui qui, ne trouvant dans le monde rien que d’immonde à offrir à Dieu, s’offrit lui-même? Sur sa tête est le parfum, parce que le Christ tout entier comprend l’Eglise. Mais c’est de la tête que descend le parfum. Notre tête, c’est le Christ crucifié et enseveli, et qui est ressuscité pour monter au ciel. Telle est la tête qui a envoyé l’Esprit-Saint ; où? Sur sa barbe. Car la barbe est le symbole de la force, elle est le propre d’une jeunesse vigoureuse, alerte et robuste. De là vient qu’en parlant de ces sortes d’hommes, nous disons : c’est un barbu. Ce fut donc sur les Apôtres que ce parfum descendit tout d’abord; il descendit sut ceux qui soutinrent les premiers chocs du inonde ce fut sur eux que descendit l’Esprit-Saint. Et eux aussi qui avaient commencé à demeurer ensemble, in unum, souffrirent persécution ; mais comme le parfum était descendu sur la barbe, ils la souffrirent sans être vaincus. Déjà la tête avait précédé, et avait fait couler le parfum, et après un si grand exemple, qui

 

1. Ps. CXXXIX, 2.

 

eût pu vaincre la barbe qui en était pénétrée?

8. C’est dans cette barbe qu’était le bienheureux Etienne. Et n’être pas vaincu, cela consiste à ne pas laisser vaincre notre charité par nos ennemis. Ceux qui ont persécuté les saints ont cru avoir vaincu; les premiers frappaient, les seconds étaient frappés ; les premiers égorgeaient, les seconds étaient égorgés. Qui n’aurait cru que les uns étaient vainqueurs, les autres vaincus? Mais parce que la charité n’a pas été vaincue, voilà que le parfum est descendu sut sa barbe. Ecoutez Etienne. La charité fut violente en lui ; il était violent pour eux quand ils l’écoutaient, et il pria pour eux quand ils le lapidaient. Quel était son langage quand ils l’écoutaient? « Têtes dures, hommes incirconcis du coeur et des oreilles, vous avez toujours résisté à l’Esprit-Saint 1 ». Voilà la barbe. Est-il flatteur? Est-il timide ? En entendant ces reproches qui les flétrissaient (car l’emportement d’Etienne n’était que l’emportement des paroles, mais son coeur était plein de charité pour eux, et en lui la charité ne fut pas vaincue) ; ceux-ci donc n’eurent que de la haine contre ses paroles , ils étaient ténèbres et fuyaient la lumière, elles voilà qui prennent des pierres pour lapider Etienne. Les paroles d’Etienne les avaient frappés comme des pierres, et leurs pierres frappèrent Etienne Est-ce pendant qu’on le lapidait, ou pendant qu’on l’écoutait que notre Saint avait plus raison de s’emporter? Toutefois il était doux quand on le lapidait, emporté quand on l’écoulait. Pourquoi ce transport quand on l’écoulait? Parce qu’il voulait changer ses auditeurs. Mais les pierres qui tombaient sur lui ne purent vaincre sa charité : parce que le parfum divin était descendu de la tête sur la barbe, et la tête lui avait dit : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent 2». Il avait ouï de cette tête clouée à la croix cette parole: « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font 3 ». C’est ainsi que de la tête le parfum était descendu sur la barbe, et quand on lapidait ce fervent disciple, il mit le genou en terre en s’écriant : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché 4».

9. Ces saints étaient commue la barbe. Car beaucoup étaient courageux et enduraient de

 

1. Act. VI, 51. —  2. Matth. V, 41. — 3. Luc, XXIII, 34. — 4. Act. VII, 59.

 

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grandes persécutions. Mais si de la barbe ce parfum n’était descendu plus bas encore, nous n’aurions point aujourd’hui de monastères, Nous en avons, parce qu’il est descendu sur le bord du vêtement : car c’est ainsi que dit le psaume : « Qui est descendu sur le bord de son vêtement ». Voilà que l’Eglise a suivi, et du vêtement du Seigneur a fait éclore des monastères. Car le vêtement sacerdotal est le symbole de l’Eglise. Telle est la robe dont l’Apôtre a dit que le Christ a voulu « faire paraître devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride 1». Elle est purifiée, afin de n’avoir aucune tache; elle est étendue, afin de n’avoir aucune ride. Où donc ce divin foulon l’a-t-il étendue, sinon sur la croix? Nous voyons chaque jour les foulons qui mettent les manteaux en croix, en quelque sorte, afin qu’étendus sur des croix, ils n’aient aucune ride, Qu’est-ce donc que le bord du vêtement ? Oui mes frères, que faut-il comprendre par les bords du vêtement? Le bord, c’est la fin du vêtement. Or, que faut-il comprendre par cette fin ? Que l’Eglise, à la fin des temps, aura des frères qui habiteront ensemble ou en un? Ou bien ce bord ne désignerait-il pas la perfection, car c’est le bord qui achève le vêtement , et alors ceux-là seraient parfaits parce qu’ils sauraient habiter en un? Mais ceux-là sont parfaits qui accomplissent la loi. Or, comment la loi du Christ est-elle accomplie en ces frères qui demeurent ensemble ? Ecoute l’Apôtre : « Portez mutuellement vos fardeaux, et ainsi vous accomplirez la loi du Christ 2 ». Tel est le bord du vêtement. Toutefois, mes frères, comment pouvons-nous comprendre que tel est le bord du vêtement, dont parle notre psaume, et où descend le parfum ? Je ne crois pas qu’il soit ici question des bords qui forment les côtés du vêtement. Il y a des bords en effet sur les côtés. Mais de la barbe, le par. fum a pu descendre sur le bord qui est près de la tête, et où s’ouvre le passage de la tête. C’est l’état de ceux qui demeurent ensemble: en sorte que de même que c’est par ces bords que passe la tête de l’homme qui veut se vêtit, de même le Christ qui est notre tête, entre chez nous par la concorde fraternelle, afin que nous nous revêtions de lui, et que son Eglise lui demeure unie.

 

1. Ephés. V, 27. — 2. Gal. VI, 2.

 

10. Que dit encore le Prophète? « Comme la rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion 1 ». Dans ces paroles, mes frères, le Prophète veut nous marquer que la grâce de Dieu est parmi les frères qui demeurent en un : que ce n’est point un effet de leurs forces, ni de leurs mérites, mais que c’est par un don de Dieu, une de ses grâces, comme la rosée qui nous vient du ciel. Car ce n’est point la terre qui peut se la donner, et tout ce qu’elle produit sécherait bientôt, si la pluie ne venait d’en haut. Il est dit quelque part dans un psaume: « Vous ménagez, ô Dieu, une pluie volontaire à votre héritage 2». Pourquoi dire volontaire? C’est qu’elle n’est point due à nos mérites, et qu’elle nous vient de sa bienveillance. Quel bien avons-nous pu mériter, nous qui sommes pécheurs? Quel bien avons-nous pu mériter, au milieu de nos iniquités? Adam vient d’Adam, et sur cet Adam beaucoup de péchés. Qu’un homme vienne au monde, c’est Adam qui vient au monde, un damné qui vient d’un damné, et qui surcharge Adam par les péchés de sa vie. Or, quel bien a mérité Adam ? Et toutefois Dieu dans sa miséricorde a aimé, 1’Epoux a aimé cette épouse, qui n’était point belle, mais qu’il voulait embellir. C’est donc la grâce de Dieu que le Prophète appelle la rosée d’Hermon,

11. Mais vous devez savoir ce qu’est Hermon. C’est une montagne assez éloignée de Jérusalem ou de Sion. Dès lors il y a de quoi nous surprendre dans cette parole du Prophète: «  Comme la rosée d’Hermon qui descend sur les montagnes de Sion », puisque la montagne d’Hermon est éloignée de Jérusalem, et qu’elle est, dit-on, au-delà du Jourdain. Cherchons donc un sens dans la signification d’Hermon. C’est un nom hébreu, dont le sens nous est donné par ceux qui savent cette langue. Or, Hermon signifie lumière élevée. Du Christ nous vient la rosée, puisque nul autre que le Christ n’est une lumière élevée. Comment dès lors est-il- une lumière élevée ? D’abord sur la croix, ensuite dans le ciel. Il a été élevé sur la croix quand il s’est humilié; mais son humiliation n’a pu être que relevée. Ce qu’il y avait de l’homme diminuait de plus en plus, comme il est arrivé à Jean; mais ce qui était de Dieu devait croître eu Jésus-Christ Notre-Seigneur : c’est encore

 

1. Ps. CXXXII, 3. — 2. Id. LXVII, 10.

 

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ce qui est marqué par leur naissance. Car selon la tradition de l’Eglise, Jean est né le huit des kalendes de juillet, quand les jours commencent à diminuer, et Notre-Seigneur, le huit des kalendes de janvier, quand les jours commencent à croître. Ecoute Jean qui nous dit : « Quant à lui, il doit croître, et moi diminuer 1 ». Or, voilà ce que marque leur genre de mort. Le Seigneur fut élevé en croix, et Jean diminué de la tête. Le Christ est donc une lumière élevée; et de là vient la rosée d’Hermon. Mais vous qui voulez habiter ensemble, soupirez après cette rosée, soyez-en trempés. Sans cela vous ne pourrez posséder ce dont vous faites profession, comme vous ne pourrez avoir le courage de le professer, si le Christ ne vous fait entendre son tonnerre dans votre coeur. Vous ne pourrez persévérer, s’il cesse de rassasier vos âmes, parce que cet aliment sacré descend sur les montagnes de Sion.

12. Déjà, nous le savons, « les montagnes de Sion » sont grandes en Sion. Qu’est-ce que Sion ? L’Eglise. Et quelles sont les montagnes dans l’Eglise? Les grands. Ceux qui sont les montagnes sont aussi désignés par la barbe, et par le bord du vêtement. Car la barbe n’a d’autre sens que la perfection. Il n’y a donc pour habiter ensemble que ceux qui ont la charité parfaite. Car ceux qui n’ont point la charité parfaite en Jésus-Christ, lors même qu’ils demeurent ensemble deviennent odieux, imposteurs, troublent les autres par leur turbulence, et cherchent à les critiquer; de même que dans un attelage, un cheval fougueux non-seulement ne tire point, mais par ses ruades brise tout l’attelage. Mais quiconque a reçu cette rosée d’Hermon, qui descend sur les montagnes de Sion, il est tranquille, calme, humble, tolérant, et la prière coule sur ses lèvres au lieu du murmure. Dans un endroit dc l’Ecriture on lit cette belle description des murmurateurs : « Le coeur u de l’insensé est comme la roue d’un chariot 2 ». Pourquoi comparer au chariot le coeur de l’insensé? Il porte du foin et crie. Car la roue d’un char ne peut qu’elle ne crie. Ainsi en est-il de beaucoup de frères; ils demeurent ensemble, mais de corps seulement. Quels sont donc ceux qui habitent véritable-

 

1. Jean, III, 30. —  2. Eccl. XXXIII, 5.

 

ment ensemble? Ceux dont il est dit : « Ils n’avaient tous qu’un même coeur et une même âme en Dieu : nul ne considérait comme à lui lien de ce qu’il possédait, mais tous leurs biens étaient en commun 1». Les voilà donc désignés et caractérisés ceux qui sont figurés par la barbe, figurés par le bord du vêtement, et qui sont au nombre des montagnes de Sion. S’il y a parmi eux des murmurateurs, qu’ils se souviennent de cette parole du Seigneur : « L’un sera pris, l’autre laissé 2 ».

13. « Car c’est là que le Seigneur veut qu’on le bénisse 3 ». Où veut-il qu’on le bénisse ? Parmi les frères qui demeurent en un. C’est là qu’il veut être béni, là que bénissent ceux qui demeurent ensemble dans la concorde. Car on ne saurait le bénir dans la division: et c’est en vain que tu diras que ta langue bénit le Seigneur , si ton coeur est muet; car alors la bouche bénit et le coeur maudit. « Ils bénissaient de la bouche et maudissaient dans le coeur 4 ». Est-ce moi qui tiens ce langage ? Le Prophète a voulu désigner quelqu’un par ces paroles. C’est bénir Dieu que prier, et en continuant ta prière, tu maudis ton ennemi. Est-ce là ce que tu as appris du Seigneur, qui dit « Aimez vos ennemis 5? » Si tu pratiques ce commandement, si tu pries pour ton ennemi, c’est « là que le Seigneur a commandé qu’on « le bénisse » ; c’est là que tu auras « la vie dans le siècle », c’est-à-dire dans l’éternité. Chez beaucoup l’amour de cette vie leur fit maudire leurs ennemis: et pourquoi, sinon à cause de cette vie et de certains avantages mondains? Où donc ton ennemi t’a-t-il fait souffrir pour te forcer à le maudire de la sorte? Est-ce sur la terre que tu as souffert? Abandonne la terre et monte au ciel. Mais, diras-tu, comment puis-je habiter le ciel, moi qui suis revêtu de chair, absorbé par la chair? Elève ton coeur, où ton corps doit aller ensuite. Ne ferme pas l’oreille quand on dit: Les coeurs en haut. Oui, que ton coeur soit en haut, et nul ne l’y fera souffrir. C’est ce que nous voyons très-bien dans le psaume suivant.

 

1. Act. IV, 32. — 2. Matth XXIV, 40. — 3. Ps. CXXXII, 3. — 4. Id. LXI, 5 — 5. Matth V, 44.

 

 

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