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DISCOURS SUR LE PSAUME CXXXIX.SERMON PRÊCHÉ AU PEUPLE DANS UNE ASSEMBLÉE DÉVÊQUES.LÉGLISE AU MILIEU DES MÉCHANTS.
Quiconque appartient au Christ doit soupirer après la justice, mais non se séparer des méchants dont le discernement nappartient quà Dieu. Aimons dans les méchants ce que Dieu a fait, haïssons ce quils font. « Pour la fin », ou pour le Christ fin de la loi, « à David », ou au Christ, fils de David selon la chair. Lhomme méchant dont linterlocuteur veut être délivré, cest le diable, appelé aussi lhomme ennemi ; cest encore lhomme vicieux qui se nuit à lui-même et aux autres par lexemple, homme que nous devons essayer de corriger. Il médite le crime, et moppose la guerre ou des projets que je dois combattre, il aiguise sa langue et a le venin du serpent dans ses paroles hypocrites; il cherche à supplanter mes démarches, cest-à-dire ou à marrêter dans la voie de Dieu, ou à men faire sortir. Leur opposer la prière. Les superbes ou suppôts de Satan cachent leurs pièges contre le juste, sefforçant de lentraîner, comme Satan entraîna lhomme. Au lieu de porter envie au juste, soyez justes, la volonté suffit. Ce piège de cordes tendu par les méchants, cest le péché ajouté à lui-même, fil par fil, non fil droit mais tordu ; piège tendu, e long des préceptes ; suivons ceux-ci, nous éviterons lautre. Le Prophète veut que le Seigneur écoute la voix, ou la vie de sa prière, et non un vain son. Il en appelle à Dieu contre les scandales, demande la véritable force qui le fera persévérer, lui donnera la résistance des martyrs, lui fera voir le piége. Ceux qui sont pris dans le cercle de lerreur tourneront sans fin, sépuiseront à mentir, seront exposés aux charbons ardents, qui consumeront les uns, rallumeront les autres. Ce grand parleur qui ne peut subsister, cest lhomme qui se jette au dehors, qui cherche loccasion de paraître ; aimons lintérieur, ninstruisons que par nécessité. Le mal qui sattaque à lhomme diniquité lui donne la mort, au juste il meurtrit la chair sans atteindre lâme. Le pauvre auquel Dieu fera justice est celui qui a faim et soif de la justice, et qui obtiendra lobjet de ses désirs ; les justes confesseront le nom du Seigneur, cest-à-dire quils nattribueront rien à leur propre justice, mais tout à la divine miséricorde, et à cause de leur justice, ils verront Dieu.
1. Mes seigneurs et frères 1 mont ordonné, et par eux le Seigneur de tous, de vous exposer ce psaume autant quil men donnera la force. Puisse-t-il exaucer vos prières , et mettre dans ma bouche ce que je dois dire, ce que vous devez entendre, et quainsi la parole de Dieu nous soit avantageuse à tous. Si elle ne lest pas quelquefois pour tous, cest que tous nont pas la foi 2. Or, cette foi est dans lâme comme une racine vivace qui permet à la pluie daboutir au fruit; tandis que linfidélité, les erreurs du diable, et les mauvais désirs qui sont la racine de tous les maux 3, ressemblent aux racines de lépine qui changent en pointes aigués la bienfaisante rosée. 2. Vous avez remarqué, je crois, ce que contient le psaume, quand on le chantait cest une plainte, un gémissement, cest une prière quadresse à Dieu le corps du Christ confondu avec les méchants. Cest toujours lui qui parle dans ces sortes de prophéties cest lui qui est pauvre, qui nest point rassasié, qui a pour la justice 4 cette faim et cette soif que Dieu promet de rassasier un jour. Mais, jusquà ce moment, quil ait faim,
1. Des évêques, sans doute, réunis alors. 2. II Thess. III, 2. 3. I Tim. VI, 10 4. Matth. V, 6.
quil ait soif ici-bas, quil gémisse , quil frappe et quil cherche. Quil résiste aux charmes de lexil, ne regarde point comme sa patrie ce siècle dont le Christ est venu nous délivrer. Car le Christ a voulu devenir notre tête, la tête dun certain corps ; puisquon ne saurait donner le nom de tête à ce qui na point un corps dont il soit le chef. Donc, si le Christ est la tête, cest quil y a un corps dont il est la tête. Or, la sainte Eglise est le corps de ce chef auguste , et nous en sommes les membres, si nous aimons notre chef. Ecoutons donc les paroles de ce corps, cest-à-dire les nôtres, si nous sommes dans le corps du Christ; quiconque nen est point, fait nombre avec ceux au milieu desquels il gémit. Dès lors, ou bien tu feras partie du corps, tu gémiras au milieu des méchants, ou bien tu ne seras point de ce corps mystique, et alors tu feras partie des méchants parmi lesquels ce corps gémit aujourdhui; tu seras donc ou membre dans le corps du Christ, ou ennemi du corps du Christ. Or, ces ennemis du corps du Christ, ou ses adversaires, ne doivent pas sentendre dans un même sens, et nagissent point de la même manière. Celui qui règne en eux, qui sen fait (176) des instruments, est plein dastuce. Toutefois, le Christ en délivre beaucoup de sa tyrannie. et ils se rangent parmi ses membres ; il nappartient quà celui qui les a rachetés de son sang et à leur insu, de les connaître et den connaître le nombre. Dautres, sans appartenir au corps du Christ, persévèrent dans leur malice et sont connus de celui à qui rien nest inconnu. Mais en attendant, comme ceux qui ont leur place parmi ses membres, sans être arrivés à la résurrection future, laquelle mettra fin à tout gémissement et fera place à la louange, de laquelle toute affliction disparaîtra, pour être remplacée par une éternelle allégresse; comme ceux-là ne possèdent point ce bonheur en réalité, mais seulement en espérance, ils gémissent dans leur impatience, ils supplient Dieu de les délivrer des méchants, parmi lesquels sont forcés de vivre les bons eux-mêmes. Chacun, en effet, nest pas libre de sen séparer en toute sûreté; celui-là seul qui ne peut se tromper doit en faire le discernement. Quest-ce à dire, qui ne peut se tromper? Qui ne saurait mettre le méchant à gauche, et le bon à droite. Pour nous, tant que nous sommes en cette vie, il nous est difficile de nous connaître nous-mêmes; combien serions-nous téméraires de nous prononcer au sujet des autres ? Tel est méchant aujourdhui, et nous ne savons ce quil sera demain ; tel que nous haïssons est peut-être notre frère, et nous ne le savons pas. Nous pouvons donc en sûreté haïr dans les méchants leur malice, et aimer la créature de manière à aimer loeuvre de Dieu, à haïr loeuvre de lhomme; car cest Dieu qui a fait lhomme, et cest lhomme qui a fait le péché ; aime alors ce que Dieu a fait, et hais ce qua fait lhomme; et tu poursuivras ainsi loeuvre de lhomme, en dégageant loeuvre de Dieu. 3. « Pour la fin, psaume à David 1 ». Ne cherchons dautre fin que la fin marquée par saint Paul : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront 2 ». Donc, lorsque le psaume nous dit : « Pour la fin », que vos coeurs se tournent vers le Christ. Le titre dun psaume est comme un héraut qui nous crie: Il viendra, cest de lui que je parle, cest le Christ que je vais chanter. Et par ces mots: «A David lui-même »,je nentends que celui qui viendra dans la lignée de David selon la chair 3. Car le nom rappelle
1. Ps. CXXXIX, 1. 2. Rom. X, 4. 3. Id. I, 3.
ici la race, race de David selon la chair, race bien supérieure à David selon lesprit; race antérieure non plus à David, mais à Abraham 1; non plus à Abraham, mais à Adam; non plus à Adam, mais au ciel, à la terre,à tous les anges, à toutes les Puissances, à toutes les Vertus, aux choses visibles et aux choses invisibles. Pourquoi ? Cest que pour exister, « toutes choses ont été faites par lui, sans qui rien na été fait 2 ». Cest donc parce quil est de la lignée de David, non point en sa divinité, puisquen elle il est le créateur de David; mais seulement selon la chair, quil a daigné prendre le nom de David dans les prophéties; envisageons la fin, puis. que cest à « David lui-même » que lon chante notre psaume ; écoutons la voix de son corps, et soyons membres de ce même corps. Que la voix que nous avons entendue soit notre voix; prions et disons ce qui suit. 4. « Arrachez-moi, Seigneur, au pouvoir de lhomme méchant 3» ; non pas dun seul, mais de toute la race ; non pas de ses instruments seulement, mais du prince même, cest-à-dire du diable. Mais pourquoi dit-il de lhomme, si cest du diable? Cest que lui-même est appelé homme dune manière figurée : « Lhomme ennemi vint et sema de livraie par dessus » ; et quand les serviteurs viennent demander au Père de famille : « Navez-vous pas semé de bon grain? doù « vient quil y a de livraie ? » il répond: « Cest lhomme ennemi qui a fait cela 4». Cest donc de cet homme méchant que tu dois de tout ton pouvoir demander à Dieu ta délivrance ; « car tu nas pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les Principautés et contre les Puissances, contre les princes des ténèbres de ce monde, cest-à-dire contre les princes des pécheurs 5 ». Cest ce que nous avons été nous-mêmes; écoutons en effet ce que dit lApôtre: « Autrefois vous étiez ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 6». Devenus lumière, non pas en nous, mais dans le Seigneur, prions non-seulement contre les ténèbres , cest-à-dire contre les pécheurs qui sont encore au pouvoir du diable; mais contre le diable qui est leur prince, et qui agit dans les enfants de lincrédulité 7. « Délivrez-moi de lhomme injuste » ; cest-à-dire du
1. Jean, VIII, 58. 2. Id. I, 3. 3. Ps. CXXXIX, 2. 4. Matth. XIII, 25-28. 5. Ephés. VI, 12. 6. Id. V, 8. 7. Id. II, 2.
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méchant qui est aussi injuste. Il est appelé méchant, par cela même quil est injuste : et ne croyons pas quun homme injuste puisse être bon. Il est beaucoup dhommes injustes qui ne paraissent nuire à personne, qui nont ni cruauté, ni aigreur, qui ne persécutent, qui naffligent personne : et néanmoins ils sont injustes, dune autre manière, parce quils sont adonnés à la luxure, à lintempérance, à la débauche. Comment serait innocent cet homme qui se nuit à lui-même? Car être innocent, cest ne pas nuire; on ne lest plus dès quon se nuit. Et comment un homme qui se nuit peut-il ne pas te nuire?Mais, diras-tu, en quoi me nuit-il? Il nen veut pas à mon bien, il nattente pas à ma vie ; il se repaît de ses débauches, met sa joie dans ses voluptés; mais sil a de honteux plaisirs, ils ne flétrissent que lui-même ; que mimporte, dès lors quil ne moffense point? Il toffense du moins par son exemple, car il vit près de toi et tinvite à faire ce quil fait. Quand tu le vois prospérer malgré ses dérèglements, nes-tu point porté à aimer ses actes? Si tu ne cèdes point à ses désirs, il te donne au moins occasion de résister. Comment donc cet homme ne te nuisait-il en rien, puisque tu ne surmontes quavec peine limpression quil a faite en ton coeur? Tout homme injuste est donc un méchant, il faut quil nuise, ou par ses flatteries, ou par ses violences. Quiconque le rencontrera, quiconque tombera dans ses piéges, éprouvera combien est dangereux ce quil croyait innocent. Les épines, mes frères, ne blessent point dans leur racine ; arrache-les de terre, touche cette racine, et vois si tu ressens aucune douleur; et néanmoins ce qui te meurtrit à la surface, vient de cette racine. Ne vous laissez donc point surprendre par ces hommes flatteurs et inoffensifs en apparence, mais adonnés aux plaisirs de la chair, esclaves de leurs honteuses convoitises; ne vous laissez point surprendre. Quelle que soit leur douceur en apparence, ils sont des épines par la racine. Souvent ils consomment dans la débauche tout ce quils possèdent, et quelle fureur ensuite à recouvrer ce quils ont dissipé ! Vont- ils reculer devant la rapine, devant les projets de fraudes, les machinations de friponnerie? Tu vois déjà la méchanceté de cet homme, que tu croyais inoffensif. Tu voyais en lui un ivrogne, et il te paraissait homme de bien ; tu le vois voleur, tu crains dêtre volé; les épines sont sorties de la racine. Lorsque les racines te paraissaient douces, tu devais les brûler, si tu le pouvais, il nen serait point sorti de quoi te meurtrir aujourdhui. Vous donc, mes frères, qui êtes le corps du Christ et ses membres, qui gémissez au milieu des. méchants, quand vous rencontrerez de ces hommes qui se laissent entraîner à des passions criminelles, à de pernicieuses voluptés, népargnez ni le blâme, ni le châtiment, ni le feu. Brûlez la racine, afin quil nen sorte aucun aiguillon. Si vous ne le pouvez, soyez assurés quils seront un jour vos ennemis. Ils peuvent garder le silence, ils peuvent dissimuler leurs iniquités, ils ne sauraient vous aimer. Et dès lors quils ne sauraient vous aimer que par haine pour vous, ils doivent chercher à vous nuire; votre langue et votre coeur doivent dire à Dieu : « Délivrez-moi, Seigneur, de lhomme du mal, délivrez-moi de lhomme injuste ». 5. « Ils ont médité le crime dans leur cur 1». Que vous importe que leur langue nose point dire au dehors, si la haine est dans leur coeur? Le Prophète nous tient ce langage à cause de ceux qui nont sur les lèvres que des paroles de douceur. Ils ont la parole du juste, mais non le coeur du juste. Pourquoi, en effet, le Prophète ajouterait-il « Dans leur coeur ils ont médité le crime? »Délivrez-moi de ces hommes, signalez votre puissance en marrachant à leurs mains. Il est aisé de se défendre contre des inimitiés déclarées, il est aisé de se soustraire à un ennemi évident et manifeste, qui montre son iniquité sur ses lèvres; mais celui-ci est dangereux, parce quil est caché; il est difficile à éviter, parce que la douceur est sur ses lèvres et le mal dans son coeur. « Dans leur coeur ils ont médité le crime: tout le jour ils « projetaient des guerres contre moi». Quest-ce à dire, « des guerres?» Ils mopposaient chaque jour des choses que je devais combattre. Car cest du coeur dc ces hommes que sort tout ce que doit combattre un chrétien. Sédition, schisme, hérésie, trouble, contradiction, tout cela ne sort que des pensées que lon tenait secrètes, alors que le bien était sur les lèvres. « Tout le jour ils mopposaient des guerres ». Tu entends des paroles de paix, mais le dessein belliqueux nabandonne point
1. Ps. CXXXIX, 3.
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leurs coeurs. Car « tout le jour » signifie sans interruption, ou tout le temps. 6. « Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent 1 ». Vous cherchez encore lhomme en eux, mais voyez à quoi ils ressemblent. Le serpent a le plus de ruse, le plus dhabileté pour nuire; cest pour cela quil se glisse. Il na pas même de pieds qui vous laissent entendre sa marche. Sa route est marquée dune traînée qui paraît douce, mais qui nest pas droite. Il se coule doucement, il rampe afin de nuire; ainsi ces hommes renferment un venin caché sous une douceur apparente. De là cette parole du Prophète : « Ils ont sous les lèvres le venin de laspic ». Le Prophète nous dit ici sous les lèvres, afin de nous montrer que sous les lèvres et sur les lèvres sont bien différents. Il stigmatise ouvertement ces hommes, quand il dit ailleurs : « Ils ont des paroles de paix avec leur prochain, et le mal est dans leurs coeurs 2 ». 7. « O Dieu, défendez-moi contre la main des pécheurs, délivrez-moi des hommes injustes 3 ». Ceux-ci sont connus, ils sont visibles; il nest point nécessaire ici de comprendre, mais dagir, il faut prier sans demander qui ils sont. Mais le Psalmiste nous montre dans la suite comment nous devons prier contre ces hommes. Il en est qui prient contre les méchants dune manière imparfaite. « Ils ont résolu de me faire tomber », dit le Prophète. Cela peut sentendre encore dune manière charnelle. Chacun a son ennemi, qui cherche à le tromper dans une affaire, à semparer de son argent, quand ils ont commerce ensemble; chacun ason ennemi dans son voisin, qui cherche à lui nuire dans sa maison, à lui causer quelque dommage, qui médite la ruse, qui a recours àla fraude, qui cherche à nuire par toutes les machinations que lui suggère le diable» cela est hors de doute. Ce nest point contre ces maux quil faut nous mettre en garde, mais contre leurs embûches pour nous attirer à eux, cest-à-dire pour nous séparer du corps de Jésus-Christ et nous faire entrer dans leur corps. De même, en effet, que le Christ est le chef des bons, de même le diable est le chef des méchants. « Ils ont résolu de supplanter mes démarches». Quest-ce à dire, « supplanter mes démarches? » Ce nest point pour te
1. Ps. CXXXIX, 4. 2. Id. XXVII, 8. 3. Id. CXXXIX, 5.
tromper dans une affaire que tu as avec lui, ni pour te tendre quelque piége dans un procès que tu soutiens coutre lui. Mais il a supplanté tes démarches, sil ta empêché de marcher dans la voie de Dieu, sil ta fait chanceler quand tu marchais droit, sil ta fait tomber dans la voie, ou jeté hors de la voie, ou retardé dans la voie, ou fait reculer dans la voie. Agir ainsi contre toi, cest te supplanter, te tromper. Arme-toi de la prière contre de semblables piéges, afin de ne point perdre le patrimoine du ciel, ni ton héritage avec le Christ; car tu dois vivre éternellement avec Celui qui ta fait son cohéritier, Tu nes pas, en effet, lhéritier dun homme à qui tu doives succéder à la mort, mais de celui avec qui tu dois vivre dans léternité. 8. « Les superbes ont caché les piéges quils me dressent 1 ». Le Prophète comprend eu un seul mot le corps du diable, quand il dit « les superbes ». De là vient que souvent ils se disent justes, en dépit de leurs iniquités. Delà rien de plus pénible pour eux que laveu de leurs fautes. Dans la fausseté de leur justice ils doivent nécessairement porter envie aux vrais justes. Car nul ne porte envie à un autre dans ce quil ne veut pas être en effet, ou du moins paraître. Lun porte envie à tes richesses, ou bien parce quil désire ces richesses quil tenvie, Ou bien parce quil veut paraître riche; un autre porte envie à ton illustration, à ta noblesse, ou bien lui-même aspire à un rang distingué, ou veut que lon croie à sa distinction. Il en est ainsi de tous les biens, ou du moins de tout ce que le monde regarde comme des biens; un homme envie chez toi ce quil voudrait, ou posséder, ou même posséder à un degré supérieur, ou dont il veut se donner les apparences. Or, ceux qui nont quune fausse justice veulent se donner les apparences de la justice véritable; et dès lors sils rencontrent un juste, ils doivent lui porter envie et sefforcer de lui faire perdre ce dont ils se glorifient. De là viennent toutes les séductions, toutes les trahisons. Tel fut tout dabord le dessein du diable qui, après sa chute, fut jaloux de lhomme demeuré fermé: et comme il a perdu le royaume des cieux 2, il ne voulut point que lhomme y parvînt, il ne le veut point encore; tous ses efforts sont dempêcher lhomme darriver au ciel doù lui-même
1. Ps. CXXXIX, 6. 2. Gen. III, 1.
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est tombé. Comme donc il est orgueilleux, et dès lors comme il est envieux à cause de son orgueil, tous les membres dont il est la tête sont orgueilleux et jaloux. Armons-nous de la prière contre lui qui ne saurait se convertir, mais en faveur de ceux qui le peuvent encore, et disons à lhomme injuste : Pourquoi, dans ton injustice, porter envie à lhomme juste? Afin de te donner à toi-même lapparence de la justice? Prends la voie la plus courte, fais le bien, et tu paraîtras facilement ce que tu seras en effet. Sois juste, et tu aimeras celui dont tu étais jaloux; tu seras toi-même ce quil test pénible de voir en lui, tu taimeras en lui, et lui en toi. Ni ton envie contre le riche ne te donnera le pouvoir dêtre riche, ni ton envie contre un homme illustre, un noble sénateur, ne te donnera lillustration et la dignité, ni ton envie contre un homme doué de beauté, ne tembellira toi-même, ni ton envie contre un homme courageux ne te donnera du courage; mais si tu portes envie au juste, il ne tient quà toi, sois ce quil test pénible de voir dans un autre. Ce que tu nes point, et ce quest un autre, ne sachète point, cela se donne gratuitement et promptement: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 1». 9. Ces hommes superbes mont donc caché un piège; ils ont cherché à supplanter mes démarches, et quont-ils fait? « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes ». Quelles cordes? Çest là une expression des saintes Ecritures, et nous en trouvons le sens quelque part. Ce fut avec des cordes que Jésus fat un fouet pour chasser du temple ceux qui le profanaient par le trafic 2, nous montrant ainsi ce que signifient les cordes car chacun est lié par les cordes de ses péchés 3 » , dit ailleurs lEcriture. Et Isaïe nous dit clairement : « Malheur à ceux qui traînent leurs péchés comme une longue chaîne 4 ». Pourquoi les appeler une chaîne? Parce que tout pécheur qui persévère dans le péché ajoute au péché des péchés nouveaux: et quand il devrait se corriger par laveu, il laugmente en défendant ses fautes, ce que la confession aurait pu dissiper, et souvent du péché quil commet il prétend se faire un rempart contre ceux quil a commis. Tel a commis un adultère, et il médite un homicide pour nêtre point tué lui-même; au
1. Luc. II, 14. 2. Jean, II, 15. 3. Prov. V, 22. 4. Isa. V, 18.
péché il ajoute te péché. Sil a commis un homicide, au lieu dun crime, il craint pour deux ; et quand il voit ses craintes se multiplier, au lieu de diminuer ses crimes, il pense au contraire à en ajouter de nouveaux; il a recours aux maléfices, et cest son troisième crime. Une fois quon arrive à ce point, où est le pécheur qui réfléchit, qui termine la chaîne de ses péchés? Elle est donc bien une corde; et, en effet, filer une corde cest y ajouter des fils, et non des fils droits, mais retors. Ainsi le crime ajouté au crime, est une corde qui se prolonge, et le pécheur ne songe point à rompre son malheureux tissu, il nest occupé quà laugmenter, à létendre, à lallonger; en sorte quà la fin le voilà pieds et mains liés, et jeté dans les ténèbres extérieures 1. Tels sont donc les péchés quils tendent comme des filets aux justes, quand ils les veulent entraîner au mal quils font eux-mêmes. De là le mot du Prophète: « Ils ont tendu devant mes pieds des filets de cordes » ; cest-à-dire: ils me veulent faire tomber au moyen de leurs péchés. Mais où sont tendus ces pièges? « Le long des sentiers ils ont mis des pierres dachoppement ». Non pas dans les sentiers, mais près des sentiers. Vos sentiers sont les préceptes du Seigneur; or, ils ont placé des pièges le long de ces sentiers; pour toi, ne ten écarte pas, tu ne tomberas point dans ces scandales, Ne viens pas dire : Si Dieu leur défendait de me tendre des pièges le long des sentiers, ils nen tendraient point. lia permis au contraire quils missent le long des sentiers ces pierres de scandale, pour tempêcher de técarter du sentier. « Le long des sentiers ils ont placé des pierres de scandale ». 10. Quai-je à faire? Quel remède au milieu de tant de maux, de tant dépreuves, de tant de périls? « Jai dit au Seigneur . « Vous êtes mon Dieu ». Ceux-là sont des hommes, et nont rien de commun avec moi; mais vous, Seigneur, vous êtes Dieu, et mon Dieu. « Jai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu 2 ». Sainte prière qui donne la confiance. Mais Dieu nest-il pas aussi leur Dieu? De qui nest-il pas Dieu, celui qui est le Dieu véritable? Il lest néanmoins plus particulièrement de ceux qui jouissent de lui, qui le servent, qui se font un bonheur de lui être soumis. Il est vrai que les méchants lui sont soumis également, en dépit de leur orgueil. Mais les uns
1. Matth. XXII, 13. 2. Ps. CXXXIX, 7.
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appellent Dieu pour les couronner, les autres veulent secouer son joug parce quil doit les condamner. Quant à lhomme diniquité, qui ne veut point avoir le Seigneur pour son Dieu, où fuira-t-il le Dieu de tous? Le bien pour lui est de se convertir au Dieu de tous, et par cette conversion den faire son Dieu, et au milieu de tant de criminels, de séducteurs, dhypocrites, dorgueilleux, de dire à Dieu devenu son Dieu par sa conversion: « Jai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu, Ecoutez, e Seigneur, la voix de mes supplications »., Ces paroles sont simples, faciles à comprendre; et pourtant il y a un certain intérêt à se demander pourquoi le Prophète na pas dit: «Ecoutez ma prière», et comment il semble donner plus dexpression au sentiment de son coeur, quand il dit: « La voix de ma prière», ce qui donne la vie à ma prière, ce qui lanime, non point le son de mes paroles, mais la vie de mes paroles. Tout autre bruit sans âme peut bien sappeler un son ; mais pas une voix. La voix, en effet, est le propre des êtres animés, vivants. Combien sont nombreux ceux qui prient Dieu, sans avoir le sentiment de Dieu, une pensée digne de Dieu ! Ils peuvent avoir le son de la prière, mais non la voix de la prière, puisque leur prière est sans vie. Elle avait donc une voix, la prière de notre interlocuteur; car il vivait, il comprenait que Dieu était son Dieu, il voyait quil le délivrerait, et il sentait de quels maux il serait délivré. 11. Pour la signaler donc à loreille de Dieu, quil sécrie : « Seigneur, Seigneur ». Vous Seigneur, Seigneur, cest-à-dire vous qui êtes véritablement Seigneur, non Seigneur à la manière des hommes, non Seigneur comme ceux qui achètent à prix dargent, mais Seigneur qui nous avez rachetés de votre sang. « Seigneur, Seigneur, vous, la force de mon salut 1 » ; cest-à-dire qui donnez la force à mon salut. Quest-ce à dire « la force de mon salut? » Le Prophète se plaignait des scandales et des piéges des pécheurs, de ces hommes pervers apostés par le diable pour aboyer autour de lui et tendre des embûches, de ces orgueilleux jaloux des justes, au milieu desquels nous sommes forcés de vivre tant que nous sommes ici-bas dans lexil. Le Sauveur lui-même nous a prédit quil y aura beaucoup de semblables
1. Ps. CXXXIX, 8.
scandales quand il dit: « Liniquité doit abonder, et parce que liniquité abondera, la charité se refroidira dans plusieurs ». Mais il ajoute, pour nous consoler: « Quiconque aura persévéré jusquà la fin sera sauvé 1». Linterlocuteur a donc tout considéré, et saisi de crainte à la vue de tant diniquités, il se réfugie dans lespérance; car celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusquà la fin. Il fait des efforts pour persévérer, et voyant combien la route est longue et difficile, il invoque celui qui lui ordonne de persévérer, afin dobtenir la persévérance parfaite. Je serai certainement sauvé, dit-il, si je persévère jusquà la fin; mais la persévérance qui seule peut me donner le salut est une force; vous donc, Seigneur, qui êtes la force de mon salut, cest vous qui me faites persévérer pour arriveras salut. « Seigneur, Seigneur, vous êtes la force de mon salut ». Mais doù vient que jespère que vous êtes pour moi la force du salut? « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat ». Maintenant encore je suis en guerre; guerre au dehors contre les faux justes, guerre au dedans contre mes convoitises : « Car je vois dans mes membres une autre loi, contraire à la loi de lesprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Donc, fatigué de cette guerre, il jette les yeux sur les faveurs de Dieu, et comme la chaleur du combat épuise ses forces, il semble quil trouve un ombrage qui lui rend la vie: « Votre ombre a protégé ma tête au jour du combat », cest-à-dire dans lardeur du combat, de peur que je ne fusse épuisé par la fatigue. 12. « Seigneur, en considération de mon désir, ne mabandonnez pas au péché 3 ». Cest le bien que doit me procurer votre ombrage; il éteindra en moi les ardeurs qui me consumeraient. Et quelle force aurait contre moi limpie en dérait de ses fureurs? Les méchants ont sévi contre les martyrs, ils les ont emmenés, chargés de chaînes, jetés en prison, frappés du glaive, exposés aux bêtes, consumés dans les flammes. Voilà ce quils ont fait; mais Dieu ne les a point livrés aux pécheurs, parce quils ne sy sont point livrés par leur désir. Telle est donc la grâce quil
1. Matth. XXIV, 12, 13. 2. Rom. VII, 23-25. 3. Ps. CXXXIX, 9.
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faut demander à Dieu de toutes tes forces: cest que Dieu ne te livre point au pécheur en tabandonnant à ton désir, car ton désir ouvre lentrée au diable. Le voilà qui te propose un gain et te porte à la fraude; mais sans fraude ce gain est impossible: ce gain cest lappât, la fraude cest lhameçon. Attention à lappât, afin de voir lhameçon ; tu ne saurais avoir le gain sans la fraude ; mais commettre la fraude, cest se prendre à lhameçon. Et toutefois je nentends pas le mot se prendre dans ce sens quon te découvrira: on peut échapper, oui échapper aux hommes; mais à Dieu, est-ce possible? Tu seras donc pris et livré, et mis à mort; car tout homme qui agit de la sorte est son propre bourreau. Cest là quest lappât, là quest lhameçon : refrène tes désirs, tu échapperas au piége; mais te laisser dominer par la convoitise de lappât, cest te mettre le cou dans le piége, et tu seras la proie du vautour des âmes: « Ne me livrez point au pécheur, en mabandonnant à mon désir». Cest là lombrage au jour du combat. Lardeur produit le désir; mais ce désir est tempéré par lombre du Seigneur, afin que nous puissions refréner notre fougue, et que notre ardeur ne nous entraîne point dans le piége. « Ils ont formé des desseins contre moi: ne mabandonnez pas, de peur quils ne sen glorifient ». Le Psalmiste nous dit ailleurs : « Ceux qui maffligent seront dans lallégresse, sils me voient ébranlé 1 ». Ainsi en est-il deux, parce quil en est ainsi du diable. Quil séduise lhomme, le voilà qui se réjouit, qui triomphe : il sélève parce que lhomme est abaissé. Mais pourquoi cet abaissement de lhomme, sinon parce quil a eu le tort de sélever? Or, celui qui triomphe de sa chute sera humilié. Tel est le sort, en effet, de tous ceux qui mettent leur joie dans le mal on les voit pour un temps se glorifier, senorgueillir, lever la tête. Nayez aucune part dans leur joie, ils ont lappât dans la bouche et lhameçon en même temps. Leurs délices feront leur perte. « Ne mabandonnez pas, de peur quils ne sen élèvent », cest-à-dire, de peur quils ne senorgueillissent, quils ne triomphent de moi. 13. «Le commencement de leur circuit, le travail de leurs lèvres les couvrira 2 ». Pour moi, dit le Prophète, je serai couvert par lombre de vos ailes; car vous mavez
1. Ps. XII, 5. 2. Id. CXXXIX, 10.
préparé un ombrage pour le jour de la guerre. Mais eux, qui les couvrira? « La tête de leur circuit », cest-à-dire lorgueil. Quest-ce à dire : leur circuit ? Cest-à-dire quils tourneront sans fin et ne sarrêteront jamais, quils marcheront dans le cercle de lerreur, dont la route est sans bornes. Quiconque savance dans un chemin droit, a son point de départ et son arrivée ; mais dans un cercle on narrive jamais. Tel est le labeur des impies, dont il est dit plus clairement dans un autre psaume : « Les impies marchent dans un cercle 1». Mais la tête ou le commencement de leur circuit, cest lorgueil. Et comment lorgueil est-il « ce labeur de leurs lèvres? »Cest que tout orgueilleux est dissimulé, et que tout homme dissimulé est menteur 2. Or, mentir est un travail pour lhomme; car la vérité on la pourrait dire très-facilement. La peine consiste à rendre un mensonge vraisemblable. Car si lon veut dire la vérité, cest chose facile, puisque la vérité se dit sans effort. Cest donc de cet homme que le Prophète a dit à Dieu Votre ombre me protégera, Seigneur; mais pour eux, leur mensonge les couvrira, et ce mensonge est le travail de leurs lèvres. « Voilà quil a mis au monde linjustice : il a conçu la douleur et a enfanté liniquité 3». Toute oeuvre mauvaise porte sa peine, et toute oeuvre perverse que lon médite, a pour guide le mensonge ; car la vérité ne se trouve que dans le bien. Et parce que chacun se trouve mal à laise dans le mensonge, que dit la Vérité? « Venez à moi, vous tous qui êtes dans la peine et dans laccablement, et je vous soulagerai 4 ». Cest la même voix qui nous dit dans un autre psaume: « Enfants des hommes, jusques à quand serez-vous pesants de coeur? pourquoi vous éprendre de la vanité et rechercher le mensonge 5 ? » Voyez plus clairement ailleurs la peine du mensonge: « Ils ont appris à leur langue à dire le mensonge, ils se sont fatigués à commettre liniquité 6 ». « Le commencement de leur détour, la peine de leurs lèvres les couvrira». 14. « Des charbons ardents tomberont sur eux, sur la terre, et vous les rejetterez 7». Que veut dire sur la terre? Encore en cette vie, ici-bas, « des charbons de feu tomberont sur eux, et vous les rejetterez ». Quels sont
1. Ps. XI, 9. 2. Eccli. X, 15. 3. Ps. VII, 15. 4. Matth. XI, 28. 5. Ps. IV, 3. 6. Jérém. IX, 5. 7. Ps. CXXXIX, 11.
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ces charbons de feu ? Nous connaissons des charbons; mais sont-ils différents de ceux dont nous allons parler ? Ceux-ci me paraissent un châtiment, tandis que ceux dont nous avons parlé sont un moyen de salut. LEcriture, en effet, nous parle de charbons à propos dun homme qui cherche du secours contre es langues trompeuses: « Que vous donnera-t-on, ou comment vous défendre contre une langue trompeuse? Les flèches aiguës du Tout-Puissant avec des charbons désolateurs 1», cest-à-dire la parole de Dieu qui traverse les coeurs, y fait mourir le vieil homme et naître lamour, les exemples des hommes qui sont morts pour reprendre une vie nouvelle, qui étaient noircis par le vice, et ont brillé par la vertu. Des charbons, en effet, sont les ténèbres, la couleur lindique. Mais quand la flamme de la charité en approche, et quils revivent de morts quils étaient, quils écoutent ce que leur dit saint Paul : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 2 ». Cest sur de tels charbons, mes frères, que nous jetons les yeux quand, blessés par les flèches du Seigneur, nous voulons changer de vie, et que nous en sommes détournés par les langues perverses des hommes, dont le Prophète se plaignait tout à lheure. Ils sefforcent de nous éloigner de la voie de la vérité, de nous porter à préférer leurs erreurs, et noms disent que si nous entreprenons une vie plus sainte, nous ne pourrons achever. Nous jetons alors les yeux sur ces charbons, et voilà que celui qui nétait hier quun ivrogne est sobre aujourdhui; tel hier était adultère, qui aujourdhui est chaste; tel autre voleur hier est aujourdhui bienfaisant. Ce sont là tous des charbons de feu. Or, lexemple de ces charbons nous fait des blessures avec les flèches du Seigneur, et je ne crains pas de dire blessures, quand lEpouse des Cantiques sécrie : « Lamour ma blessé 3 ». Alors la paille est incendiée, et de là vient que ces charbons sont appelés désolateurs. Ils consument le foin, mais ils purifient lor. Lhomme alors passe de la mort à la vie, et devient lui-même un charbon ardent, comme autrefois lApôtre, qui dabord était persécuteur, blasphémateur, véritable ennemi, un charbon noir et éteint; mais une fois quil eut obtenu miséricorde 4, il fut rallumé par
1. Ps. CXIX, 3, 4. 2. Ephés. V, 8. 3. Cant. II, 5, 4. I Tim. I, 13.
le souffle du ciel; la voix du Christ lui donna une vie nouvelle, nulle tache de noirceur ne demeura en lui, et il embrasa les autres de la flamme qui embrasait son coeur. Est-ce donc ainsi quil nous faut comprendre ces charbons de feu qui doivent tomber suries méchants, et les renverser ? Rien ne nous empêche de lentendre ainsi. Jentrevois dans ces paroles un sens qui est assez probable, et irrépréhensible. Jentends que ces charbons tomberont sur eux pour les renverser, mais ils tomberont sur les uns pour les allumer, sur les autres pour les renverser. Car ce charbon rallumé la dit : « Aux uns, nous sommes une odeur de mort pour la mort; aux autres, une odeur de vie pour la vie 1 ». Ils voient les justes au coeur enflammé, à la lumière éclatante, et lenvie contre eux les fait tomber. Voilà ce que signifient ces charbons de feu qui tombent sur eux sur la terre, et qui les renversent. Quest-ce à dire, sur la terre ? Pendant quils sont encore en cette vie; outre cette peine qui est réservée aux impies, ces charbons les renversent, avant quils encourent les flammes éternelles. « Des charbons enflammés tomberont sur eux, ici-bas, et les renverseront. Ils ne pourront subsister dans leurs misères ». Le malheur fondra sur eux, et ils ne pourront le sup. porter; quant au juste, il se tient debout dans le malheur, comme se tient debout celui qui nous dit « Nous nous glorifions dans nos tribulations, sachant que la tribulation engendre la patience, la patience la pureté, la pureté lespérance; or, lespérance nest point confondue, parce que lamour de Dieu est répandu dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné 2 ». Mais sur les hommes dont nous parlons, que laffliction, que la misère tombe sur eux, et ils ne peuvent la supporter, ils tombent, Et quand ils ne peuvent supporter les malheurs qui viennent tondre sur eux, ils tombent dans le crime, parce quils sont livrés au pécheur, abandonnés à leurs désirs. 15. « Le grand parleur ne marchera point droit sur la terre 3». Le grand parleur aime le mensonge. Quel est en effet son plaisir, sinon de parler? Peu lui importe ce quil dise, pourvu quil parle. Or, un tel homme ne saurait toujours marcher droit. Mais, comment doit être un serviteur de Dieu enflammé
1. II Cor. II, 16. 2. Rom. V, 3-5. 3. Ps. CXXXIX, 12.
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de ces charbons, et devenu lui-même un charbon salutaire ? Il doit se plaire à écouter plus quà parler, comme il est écrit : « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler 1 ». Il doit même désirer, sil est possible, de nêtre point obligé de parler, de répondre, denseigner. Car je le dis à votre charité, mes frères, si nous vous parlons maintenant, cest pour vous instruire. Combien vaudrait-il mieux que nous fussions tous instruits, que nul nait rien à enseigner à lautre; quil ny eût ni lhomme qui parle ni lhomme qui écoute, mais que tous fussent occupés à écouter celui-là seul à qui il est dit : « Vous me ferez entendre une parole de joie et dallégresse 2 ». Aussi Jean ne se réjouissait-il ni de ce quil prêchait, ni de ce quil parlait, mais de ce quil écoutait. « Lami de lEpoux, dit-il en effet, se tient debout et lécoute, et sil tressaille à cette voix de lEpoux 3 ». Je dirai en un mot, mes frères, à votre charité comment chacun doit séprouver sur ce point : il ne sagit pas de ne jamais parler, mais de le faire quand le devoir lexige; que lon ait dans le coeur lamour du silence, et que lon soit prêt à instruire au besoin. Or, quand faut-il instruire? Quand on rencontre un ignorant, un homme sans instruction. Quun homme se plaise à instruire, il sera toujours bien aise de rencontrer un ignorant; mais avoir la charité, vouloir linstruction pour tous, ce nest plus désirer quil y ait des ignorants à instruire; alors exercer la science, ou faire preuve de science, ne sera plus une oeuvre volontaire, mais une oeuvre de nécessité. Que ta joie soit découter Dieu; que la nécessité seule tengage à parler; et tu ne seras point le grand parleur que lon ne saurait diriger. Pourquoi vouloir parler, sans vouloir écouter? Toujours être dehors, sans jamais rentrer en toi-même? Celui qui tinstruit est dans ton coeur; mais, pour toi, instruire cest sortir de toi-même pour parler à ceux qui sont au dehors. Or, cest à lintérieur que nous écoutons la vérité, et nous parlons à ceux qui sont au dehors de notre coeur. Dire en effet que nous avons dans le coeur ceux à qui nous pensons, cest dire que nous en avons une certaine image intérieure. Car sils étaient au dedans de nous, ils sauraient ce qui est dans notre coeur, et ils nauraient aucun besoin de notre parole. Mais si
1. Jacques, I, 19. 2. Ps. L, 10. 3. Jean, III, 29.
tu aimes laction du dehors, crains aussi lorgueil du dehors, crains de ne pouvoir entrer par la porte étroite, de peur que Dieu ne puisse te dire : « Entre dans la joie de ton maître 1 »; et comme tu as aimé ce qui était au dehors, crains au contraire quil ne te dise : « Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures 2 » ; parole qui nous apprend que cest un mal dêtre jeté à lextérieur, un grand bien de rentrer à lintérieur. Que dit-il en effet au bon serviteur? « Entre dans la joie de ton maître ». Et au méchant serviteur? « Jetez-le dans les ténèbres extérieures ». Naimons donc point ce qui est au dehors, mais ce qui est à lintérieur. Mettons notre joie dans lintérieur; quant à lextérieur, subissons-le, mais dégageons-en notre volonté. « Le grand parleur ne marchera pas droit sur la terre». 16. « Le mal poursuivra lhomme inique pour la mort ». Les maux fondent sur lui, et il ne saurait subsister; voilà pourquoi le Prophète sécrie quils le poursuivront comme des chasseurs à sa mort. Le mal est venu fondre sur beaucoup dhommes de bien, sur beaucoup de justes; le mal a paru les rencontrer. Au contraire, il dit ici que le mal les poursuivra, parce que chacun cherche à se dérober au mal; mais quand il en est surpris, il en devient comme la proie. Toutefois, ny a-t-il que le méchant qui se dérobe au méchant, quand il en est poursuivi ? Nest-il pas dit aux bons : « Sils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre 3? » Donc, quand les méchants persécutaient les bons ou les martyrs, quand ils sen rendaient maîtres, ils les chassaient, comme dit le Prophète, mais non pour la mort. La chair a été meurtrie, lâme couronnée; lâme a été expulsée de la chair, mais la chair na rien subi qui pût nuire à lavenir. La chair a été brûlée, a été frappée, a été déchirée; mais pour être dans les mains du persécuteur, était-elle arrachée des mains du Créateur? Celui qui la créée de rien ne peut-il point lui donner un état meilleur ? Donc, en saisissant les justes, les méchants fondaient sur eux comme des chasseurs, mais non pour leur mort. Mais pour ces hommes grands parleurs, et qui ne marchent pas droit, le mal fondra sur eux pour les détruire entièrement. Pourquoi?
1. Matth. XXV, 21, 23. 2. Id. XXII, 13. 3. Id. X, 23.
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Parce quils ne subsisteront pas dans leur misère. 17. « Je connais que le Seigneur fera justice au pauvre 1». Ce pauvre nest donc point grand parleur. Car le grand parleur veut labondance, et ne peut souffrir la pauvreté. Ceux-là sont pauvres à qui le Prophète a dit : « Frappez et lon vous ouvrira, cherchez et vous trouverez, demandez et il vous sera donné 2 ». Celui-là est pauvre, dont il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 3 ». Ils gémissent parmi les scandales des méchants, ils en appellent à leur chef, afin quil les délivre de lhomme méchant, quil les arrache à lhomme de liniquité, aux mains des hommes injustes. Tels sont les hommes dont le Seigneur ne dédaignera point la cause: quelles que soient leurs afflictions en cette vie, leur gloire doit éclater quand leur chef apparaîtra. Parce que ces hommes sont sur la terre, saint Paul leur dit « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ 4». Nous sommes donc des pauvres, notre vie est cachée, appelons notre pain céleste. Car il est un pain vivant qui descend du ciel 5, et celui qui nous fortifie en chemin nous rassasiera dans la patrie. Maintenant il rétablit nos forces afin de nous faire vivre. Mais il nous faut endurer la faim jusquà ce que nous soyons rassasiés. « Je connais que le Seigneur fera justice au pauvre et vengera lindigent ». Il montrera aux hommes diniquité comme il aime ses pauvres. Ce que le Prophète appelle riches, ce sont les orgueilleux; ce quil nomme pauvres, ce sont les humbles; il appelle riches ceux que labondance dispense de chercher, pauvres ceux que leurs désirs font soupirer. Dieu leur fera justice. 18. « Toutefois les justes confesseront votre nom 6 ». Quand vous prendrez leur cause en main, quand vous leur rendrez justice, ils confesseront votre nom; ils nattribueront rien à leurs mérites, mais ils attribueront tout à votre miséricorde. «Toutefois les justes confesseront votre nom ». Et quand ils confesseront votre nom de manière à ne rien attribuer à leur justice, quelque grande quelle soit, comment se fera-t-il quils dresseront leur coeur? Tourner leur coeur vers eux-
1. Ps. CXXXIX, 13. 2. Matth. VII, 7. 3. Id. V, 6. 4. Coloss. III, 3. Jean, VI, 41. Ps. CXXXIX, 14.
mêmes, cest le rendre tortueux; le tourner vers Dieu, cest le redresser. Dès lors, où trouveront-ils leur bien , leur repos, leur joie, leur félicité? En eux-mêmes? Non, mais en celui qui les a fait lumière. « Maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur 1 », dit saint Paul. Vois ce que dit ensuite le Prophète , vois sa conclusion : « Les hommes droits habiteront dans votre face ». Ils nont habité en eux-mêmes que pour leur perte, leur félicité sera dhabiter dans votre face. Aimer leur face, cétait manger leur pain à la sueur de leur front 2. Quils reviennent, essuyant leur sueur, mettant fin à leurs travaux et à leurs gémissements, et votre face, ô mou Dieu, leur donnera labondance. Ils ne chercheront rien de plus, parce quil nest rien de meilleur, ils ne séloigneront plus de vous, et vous ne les éloignerez plus. Quest-il dit en effet du Christ après sa résurrection? « Vous me comblerez de joie par la lumière de votre face 3 ». Sil ne nous montrait sa face, Dieu ne serait point notre joie. Ce qui nous porte à purifier notre face, cest lespoir de jouir de la face de Dieu. « Car nous sommes les enfants de Dieu, et ce que nous serons ne nous apparaît pas encore; nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui ; car nous le verrons tel quil est 4. Puisque les justes habiteront dans la lumière de son visage ». Faut-il croire que ce sera la face du Père, et non celle du Fils? ou bien la face du Fils et non celle du Père? Doit-on admettre que le Père, le Fils et lEsprit-Saint nont en quelque sorte quune même face? Voyons si le Fils ne nous aurait point promis de nous montrer sa face pour combler notre joie. Cest Dieu lui-même qui nous a fait lire ce passage de lEvangile, qui est proprement la confirmation de notre psaume. Voici en effet ce que dit le Sauveur: « Celui qui écoute mes préceptes et les met en pratique, est celui qui maime; et celui qui maime sera aimé de mon Père, et moi je laimerai, et me montrerai à lui Quelle récompense nous promet-il, mes bien-aimés? Ne le voyaient-ils donc pas, ceux à qui il promettait de se montrer? Nétait-il pas devant eux? Ne voyaient-ils pas son visage en sa chair? Comment voulait-il se montrer à ceux qui le voyaient? Mais les
1. Ephés. V, 8. 2. Gen. III, 19. 3. Ps. XV, 11. 4. I Jean, III, 2. 5. Jean, XIV, 21.
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disciples le voyaient tel que les Juifs le crucifièrent; or, un Dieu était caché dans cette chair et les hommes pouvaient voir un homme, mais non un Dieu,quoiquil fût dans cet homme ; car « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 1 ». Il mettait donc sous les yeux des justes et des impies la nature humaine, mais il réservait aux saints et aux hommes purs de voir la nature divine; afin dêtre notre joie et de nous réserver dans la lumière de sa face un bonheur sans fin.
1. Matth. V, 8.
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