PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXVI.
ESPOIR EN DIEU.
David a pu, dans ce psaume, exprimer les douleurs de son exil, mais son langage convient parfaitement aux membres de lEglise militante, qui se consolent au milieu des fatigues de cette vie par lespérance du repos et de la félicité dont ils jouiront dans la maison de Dieu.
POUR DAVID, AVANT QUIL AIT REÇU LONCTION .
1. Ce langage est celui du soldat du Christ qui arrive à la foi. « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, quaurai-je à craindre? » Cest le Seigneur qui me fait la grâce de le connaître et de me sauver, qui pourra marracher à lui? « Il est le protecteur de ma vie, qui une fera trembler ? » Cest le Seigneur qui doit repousser lassaut et les embûches de mes ennemis, nul ne me fera peur.
2. « Des pervers sapprochent de moi pour dévorer ma chair ». Des méchants sapprochent de moi pour me connaître, minsulter, et se préférer à moi, quand je veux maméliorer ; leur dent maligne va dévorer, Lion pas moi, mais bien maies désirs charnels. «Ces ennemis qui me persécutent». Non seulement ceux qui viennent au nom de lamitié me blâmer et me détourner de mon dessein, mais encore mes ennemis « Ont chancelé à leur tour et sont tombés». En agissant ainsi, pour défendre leur propre sera-liment, ils sont devenus faibles pour embrasser une croyance meilleure, et se sont pris à haïr cette parole qui me lait agir contre leur volonté.
3. « Que des armées campent autour de moi, mon coeur men sera point ému ». Que la foule de mes contradicteurs conspire et se soulève contre moi, mon coeur ne les craindra pas au point de se ranger avec eux. «Quon me livre un assaut, jen redoublerai despérance». Que les persécutions du monde viennent fondre sur moi, jaffermirai mon espoir dans cette prière que médite mon coeur.
4. « Jai fait une demande au Seigneur. Et
je la lui ferai encore». Ce que jai demandé au Seigneur, je le demanderai encore. « Cest dhabiter dans la maison de Dieu, tous les jours de ma vie ». Cest que, durant mon séjour ici-bas, nulle affliction ne me sépare du nombre de ceux qui gardent lunité de la foi dans lunivers entier. « Cest que je contemple un jour la beauté du Seigneur». Cest que la persévérance dans la foi me découvre lineffable beauté du Seigneur, et que je la puisse contempler face à face. « Et que je sois protégé comme son temple », et que la mort, absorbée enfin par la victoire, me revête dimmortalité, et fasse de moi le temple du Seigneur.
5. « Parce quil ma caché dans son pavillon, au jour de mes malheurs ». Parce que datas cette chair mortelle, dont le Verbe sest revêtu, il ma ménagé un abri contre ces tentations auxquelles est assujettie ma vie mortelle. « Il ma reçu dans le secret de son tabernacle». Il ma protégé, quand la foi qui justifie était dans mon coeur.
6. « Il ma établi sur le roc». Et afin de mamener au salut, par la manifestation de ma foi , il ma donné la force de la confesser au grand jour. « Et voilà quil ma fait grandir au-dessus de mes ennemis ». Que me réserve-t-il pour lavenir, puisque, dès aujourdhui, mon corps est mort au péché, et que mon esprit, je le sens, est soumis à la loi de Dieu, sans se laisser assujettir aux rébellions de la loi du péché ? « Jai jeté les yeux de toutes parts, et jai offert à Dieu, dans son tabernacle, une hostie de louanges ». Jai vu que lunivers croit maintenant au Christ, et parce quil sest un moment humilié pour nous, je laï béni dans mon allégresse: cest
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là lhostie que je lui ai offerte. « Je chanterai, je bénirai le Seigneur». Mon coeur et mes oeuvres lui témoigneront ma joie.
7. « Seigneur, exaucez la voix que jélève jusquà vous». Exaucez, ô Dieu, cette voix
du coeur, que mes vifs désirs élèvent jusquà vos oreilles. « Prenez-moi en pitié, exaucez-moi ». Ayez pitié de moi, exaucez ma prière.
8. « Mon coeur vous a dit : Jai cherché votre face .Ce nest point devant les hommes que jai prié; mais dans le secret où vous entendez seul, mon coeur vous a dit: Je
cherche une récompense, non point hors de vous, mais dans vos regards bienveillants, « Cest ce regard, ô mon Dieu, que je veux chercher». Ce regard, je le chercherai sans cesse; rien de vil ne saurait me plaire; mon amour pour vous sera sans bornes, parce que rien ne mest plus précieux.
9. « Ne détournez point de moi votre face », afin que je trouve ce que je cherche. « Ne vous éloignez point de votre serviteur dans votre colère»; de peur quen vous cherchant, je ne mattache à dautres objets. Quel châtiment plus douloureux pour celui qui vous aime, et qui cherche dans votre face léclat de la vérité ? « Venez à mon aide ! »Quand pourrais-je vous trouver, sans votre secours? « Ne mabandonnez point, ne me méprisez point, ô Dieu, mon Sauveur ». Ne méprisez point un mortel qui ose rechercher un Dieu éternel : cest vous, ô mon Dieu, qui guérissez la plaie de mon péché.
10. « Voilà que mon père et ma mère mont abandonné ». Voilà que le royaume de ce monde, que la cité dici-bas, qui mont donné pour un temps cette vie mortelle, mont délaissé parce que jaspirais à vous posséder, et que je méprisais ce quils pouvaient moffrir; car ils ne peuvent me donner ce que je ne cherche avidement. « Mais le Seigneur ma recueilli». Il ma recueilli, ce Dieu qui peut se donner à moi.
11. « Seigneur, montrez-moi les sentiers que je dois suivre » Je mefforce daller à
1. Ps. XXVI, 7. 2. Id. 8. 3. Id. 9. 4. Ibid. 5. Id. 10. 6. Id. 11.
vous, je commence par la crainte la haute entreprise darriver à la sagesse; enseignez. moi, Seigneur, la voie que je dois suivre, de peur que je ne mégare, et que votre croyance ne mabandonne. «Daignez me conduire dans la voie droite, pour confondre mes ennemis ». Dans vos étroits sentiers, faites-moi prendre le chemin droit. Car il ne suffit point dentreprendre, puisque lennemi ne cessera de me harceler, jusquà mon arrivée.
l2. « Ne me livrez pas à la rage de mes persécuteurs ». Ne souffrez pas que ceux qui maffligent se rassasient de mes peines. « Voilà que de faux témoins sélèvent contre moi ». Des hommes se sont levés pour maccuser faussement, afin de me détacher et de méloigner de vous, comme si je cherchais ma gloire parmi les hommes. « Et liniquité a menti contre elle-même ». Mais liniquité na pu sapplaudir que de sa fausseté; car elle ne ma point ébranlé, et cest de là quune plus belle récompense ma été promise dans le ciel.
13. « Je suis certain de voir les biens du Seigneur dans la terre des vivants ». Et parce que le Seigneur a souffert ces persécutions avant moi, si, à mon tour, je méprise les langues de ces hommes dévoués à la mort, « car la bouche qui ment, tue lâme », je suis certain de voir les biens du Seigneur, dans la terre des vivants, où il ny a plus de fausseté.
14. « Attends le Seigneur , agis avec force; affermis ton âme, et attends le Seigneur ». Quand donc saccomplira cette promesse? Au mortel daccuser la difficulté, à lamour daccuser la lenteur ; écoute néanmoins la voix infaillible qui dit : « Attends le «Seigneur». Souffre courageusement le feu qui brûle tes reins, et vaillamment celui qui brûle ton coeur, ne regarde pas comme refusé ce que tu nas pas reçu. Contre le désespoir et la défaillance, écoute cette parole: « Attends le Seigneur ».
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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXVI
ESPOIR EN DIEU
Saint Augustin paraphrase le psaume en forme dhomélie, il sempare des expressions et des sentiments du Prophète pour encourager les chrétiens en butte ici-bas à la persécution et attirer en eux le désir du vrai bonheur.
1. Le Seigneur notre Dieu, voulant nous adresser des paroles consolantes , en nous voyant réduits par sors juste arrêt à manger notre pain à la sueur de notre front , daigne emprunter notre langage pour nous parler, afin de nous montrer, non-seulement quil nous a créés, mais encore quil habite avec nous. Nous avons entendu et en partie chanté les paroles du psaume. Si nous disons que ces paroles sont les nôtres, craignons de nêtre pas dans le vrai, puisquelles appartiennent plus à lEsprit-Saint quà nous. Pourtant il y aurait une évidente fausseté à dire que ce sont là nos paroles, puisquelles ne sont que les gémissements dâmes dans la peine ou bien ces cris pleins de douleur et de larmes, qui retentissent dun bout à lautre du psaume, seraient-ils de Celui qui ne peut être dans la détresse? Dieu est miséricordieux, mes frères, et nous misérables. Celui qui est assez compatissant pour daigner adresser la parole à des malheureux, a daigné prendre aussi le langage du malheur, Il est donc vrai de dire, que ces paroles sont les nôtres et quelles ne nous appartiennent point; que cest la voix de lEsprit-Saint, et que néanmoins elle nest pas la sienne. Cest la parole de lEsprit-Saint, puisquelle nest dans notre bouche que par son inspiration; mais elle nest point sa parole, en ce sens quil ne ressent ni la misère ni la fatigue, et ces paroles sont les cris de la douleur et du travail. Elles sont nos paroles, puisquelles témoignent de notre misère ; mais elles ne viennent point de nous, puisque cest à sa grâce que nous devons de pouvoir gémir.
2. « Psaume de David, avant quil ait reçu lonction ».Tel est le titre du psaume: « Psaume de David, avant quil ait reçu lonction ». Cest-à-dire, avant quil fût oint, car
il reçut lonction royale. Il ny avait alors
donction que pour le roi et pour le prêtre et ces deux hommes qui recevaient lhuile sainte, étaient la figure du Christ seul roi et seul prêtre, et appelé Christ, de lonction quil a reçue. Et non-seulement notre chef a reçu lonction, mais nous aussi qui sommes sont corps. Il est donc notre roi, parce quil nous dirige et nous gouverne; il est prêtre, parce quil intercède pour nous ( Rom. VIII, 31.). Il est encore le seul prêtre qui soit en même temps victime. Car la victime du sacrifice, quil offrit à Dieu, nest autre que lui-même : et il neût pu trouver en dehors de lui une victime raisonnable, très-pure, capable de nous racheter par leffusion de son sang, comme lagneau sans tache, et de nous incorporer à lui comme ses membres, et de nous faire avec lui un seul et même Christ. Cest pourquoi tous les chrétiens participent à lonction, qui, dans lAncien Testament, était lapanage exclusif de deux personnes. Doù il suit que nous sommes le corps du Christ, puisque nous avons tous reçu lonction ; et que nous sommes tous en lui des christs et un seul Christ, car la tète et les membres composent le Christ dans son intégrité. Cette onction doit perfectionner en nous la vie spirituelle qui notas est promise. Ce psaume est donc la prière dune âme soupirant après cette vie spirituelle, et demandant avec instance la grâce qui sera parfaite en nous, à notre dernier jour. Aussi a-t-il pour titre: Avant lonction. Car nous recevons, ici-bas, lonction dans le sacrement, et le sacrement est la figure de ce que nous devons être un jour. Et cet avenir inconnu et ineffable, voilà ce que nous devons désirer, ce qui doit nous faire gémir quand nous recevons le sacrement, afin quun jour nous jouissions de cette réalité dont le sacrement est un symbole.
3. Voici donc le psaume : « Le Seigneur
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est ma lumière et mon salut, que pourrai-je craindre ? » Cest lui qui méclaire ; arrière les ténèbres! cest lui qui est mon salut, arrière linfirmité ! En marchant dans la force et dans la lumière, quai-je à craindre? Ce salut qui vient de Dieu nest point un salut quon puisse marracher; ni sa lumière un flambeau que lon puisse éteindre. Cest donc Dieu qui nous éclaire, et nous qui sommes éclairés, cest Dieu qui nous sauve, et nous qui sommes sauvés. Si donc cest Dieu qui est lumière, nous qui sommes éclairés, lui qui est sauveur, nous qui sommes sauvés, sans lui nous ne serions que ténèbres et que faiblesse. Ayant donc en lui une espérance ferme, fondée, inébranlable, qui pouvons-nous craindre ? Le Seigneur est donc ta lumière, le Seigneur est ton sauveur. Crains encore, si tu trouves une puissance plus grande. Jappartiens donc au Dieu plus puissant que tous, car il est le Tout-Puissant; cest lui qui méclaire, lui qui me sauve ; je le crains, et nai pas dautre crainte. « Cest le Seigneur qui protège ma vie, qui pourrait me faire peur? »
4. « Des pervers sapprochaient pour dévorer ma chair, mes ennemis, mes persécuteurs ont chancelé, et sont tombés ». Quai-je donc à redouter? Qui serait à craindre pour moi? Qui me ferait peur, et pourquoi trembler ? Voilà que mon persécuteur chancelle et tombe. Et pourquoi me persécuter ? « Pour dévorer ma chair ». Quest-ce que ma chair? Mes affections charnelles. Quils sévissent donc avec fureur en me persécutant, rien de moi ne peut mourir, que ce qui est mortel. Il y a chez moi quelque chose que la persécution ne saurait atteindre, cest le sanctuaire quhabite mon Dieu. Que mes ennemis mangent ma chair ; une fois ma chair consumée, je serai tout esprit, lhomme spirituel. Et même le Seigneur ma promis un salut si complet, que cette chair mortelle, qui semble être pour un temps la proie de mes persécuteurs, ne périra pas éternellement, et que les membres doivent espérer pour eux-mêmes cette résurrection quils ont admirée dans leur chef. Que peut craindre mon âme, quand le Seigneur y habite ? Que pourra craindre ma chair, quand ce corps corruptible sera revêtu dincorruptibilité? Voulez-vous voir comment ces persécuteurs, qui dévorent
notre chair, ne sont cependant point à craindre pour elle ? « Il est semé un corps animal, il ressuscitera un corps spirituel » .Quelle ne doit donc pas être la confiance de celui qui comprend: « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que puis-je craindre ? Il protège ma vie, qui me ferait peur? » Un prince est environné de ses gardes et ne craint rien; un mortel gardé par dautres mortels est plein dassurance, et quand ce mortel sera gardé par le Dieu immortel, il craindra et tremblera?
5. Ecoutez maintenant quelle doit être la confiance de celui qui par-le ainsi : « Que des armées campent autour de moi, mon coeur nen sera point ému ». Un camp est fortifié, mais quy a-t-il de plus fort que Dieu? « Quon me livre un assaut». Que me ferait un assaut?Peut-il menlever mon espérance? Peut-il marracher le don du Tout-Puissant? Celui qui donne est invincible, et le don quil fait ne peut être ravi. Ravir le don, ce serait vaincre le donateur. Donc, mes frères, ces biens temporels eux-mêmes, nul ne peut nous les-ravir que celui qui nous les a don. nés. Pour les biens spirituels quil nous accorde, il ne les reprend que si tu les perds; mais les biens temporels, les biens de la santé, cest Dieu qui nous les enlève, puisque nul autre ne le peut sil nen a reçu de lui le pou. voir. Nous savons, pour lavoir lu dans Job, que le diable même , qui paraît avoir reçu pour cette vie le plus grand pouvoir, ne peut rien sans la permission de Dieu. Il a reçu quelque puissance sur les biens abjects, lui qui a perdu les plus grands et les plus relevés. Son pouvoir nest pas même leffet de sa colère, mais la peine de sa condamnation. Lui non plus na donc de pouvoir star nous que par la permission de Dieu. Cest ce que nous voyons dans le livre cité, et le Seigneur, dit dans lEvangile : « Cette nuit, le démon a demandé de vous passer au crible comme le froment, mais jai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille point ». Dieu lui accorde ce pouvoir, afin de nous punir ou de nous éprouver. Donc, si nul ne peut nous ravir le don de Dieu, ne craignons que Dieu seul. Quels que soient les frémissements contre nous, quelle que soit linsolence de tout autre ennemi, rassurons notre coeur.
6. « Quon me livre un assaut, cest en elle que je veux espérer». Qui, elle? « Jen ai
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demandé une au Seigneur ». Il met au féminin le bienfait quil a sollicité, comme sil disait: Jai fait une seule demande. Dans la conversation, par exemple, nous autres latins mettons souvent deux au- féminin et non au masculin ; lEcriture a dit de la même manière: « Jen ai demandé une au Seigneur, je la réclamerai». Voyons ce qua demandé celui qui na plus aucune crainte. Quelle sécurité dâme! Voulez-vous ne rien craindre aussi? Demandez cette seule grâce que demande uniquement celui qui ne craint rien mais qua-t-il demandé , afin de ne rien craindre? « Jai fait une demande au Seigneur, et jy reviendrai». Telle est loccupation de ceux qui marchent dans la voie droite. Quelle est donc cette demande, cette grâce unique? « Cest dhabiter dans le palais du Seigneur tous les jours de ma vie». Elle est unique, parce quon appelle palais la demeure où nous devons être éternellement. On appelle maisons les demeures dici-bas, que lon appellerait mieux des tentes, puisque les tentes sont pour les voyageurs, qui sont une certaine milice et qui livrent des assauts à lennemi. Donc, sil y a des tentes, il est visible quil y a des ennemis. Car habiter les mêmes tentes, cest être compagnon sous la tente, ce qui se dit des soldats, vous le savez. Donc ici-bas est la tente, là-haut est le palais. liais on abuse de la ressemblance pour appeler tente ce qui est maison, et souvent encore, le même abus fait appeler maison ce qui est une tente. Toutefois, le ciel est à proprement parler le palais, ici-bas nous sommes sous des tentes.
7. Dans un autre psaume, le Prophète nous marque avec précision ce qui nous occupera dans cette demeure : « Bienheureux, ô mon Dieu, ceux qui habitent votre demeure, ils vous béniront dans les siècles éternels ». Telle est la passion violente, pour parler ainsi, tel est lamour qui dévore comme une flamme celui qui désire passer tous les jours de sa vie dans la maison du Seigneur, et par ces jours à passer dans la maison de Dieu, il entend non pins des jours qui finiront, mais des jours éternels. Il en est de ces jours comme des années dont il est dit : « Et vos années, Seigneur, ne finiront point ». Car les jours de la vie éternelle ne sont quun seul jour sans fin. Il dit donc au Seigneur : « Cest là
mon désir, cest là ma prière unique; celle que je répéterai». Et comme si nous lui disions : Que ferez-vous dans la maison de Dieu? Quel plaisir y goûterez-vous? Quelle joie y sollicitera votre coeur? Quelles délices alimenteront votre joie? Car vous ny demeurerez point si vous ny êtes heureux. Doù vous viendra cette félicité durable? Ici-bas les plaisirs de lhomme sont variés, et lon appelle malheureux celui qui est privé de ce quil aime. Les hommes ont des goûts différents, et lon appelle heureux celui qui paraît avoir ce quil aime. Toutefois, celui-là est vraiment heureux, non qui possède ce quil aime, mais bien qui aime ce qui est aimable. Il est quelquefois plus malheureux de posséder ce que lon aime que den être privé. Il est malheureux daimer ce qui peut nuire, plus malheureux encore de le posséder. Quand notre amour est dépravé, Dieu met sa bonté à nous refuser ce que nous aimons; et cest dans sa colère quil nous accorde ce que nous avons tort daimer. Saint Paul nous lenseigne clairement, quand il dit des anciens que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs curs ». Il leur a donc livré ce quils désiraient, mais pour leur damnation. Il nous dit encore que Dieu rejette nos demandes: « Trois fois », dit-il, « jai prié le Seigneur de me délivrer (de laiguillon de la chair), et il ma répondu: Ma grâce te suffit, car la vertu se fortifie dans la faiblesse ». Dieu donc livra les philosophes aux désirs de leurs coeurs, et rejeta la prière de saint Paul. Il exauce les uns pour leur damnation, il refuse à lautre pour son bien spirituel. Mais quand lobjet de nos désirs est daccord avec la volonté de Dieu, sans aucun doute, il nous loctroiera. Et ce que nous devons désirer uniquement, cest dhabiter dans la maison du Seigneur tous les jours de notre vie.
8. Il y a toutefois, pour les hommes, dans nos demeures terrestres, des délices et des joies bien diverses ; et chacun veut choisir pour lhabiter le lieu où rien ne blessera son âme, et où elle trouvera de nombreux agréments ; que ces agréments disparaissent et lhomme cherche ailleurs. Ayons la curiosité de demander au psalmiste, et quil veuille bien nous dire ce quil doit faire, ce que nous ferons avec lui, dans cette agréable demeure où il désire, où il souhaite si vivement, où il demande comme grâce unique au Seigneur
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dhabiter tous les jours de sa vie. Que faites-vous là, dites-moi? quel est lobjet de vos désirs? Ecoutez sa réponse : « Cest de contempler la beauté du Seigneur ». Cest là ce que je désire, et voilà pourquoi je veux habiter dans la maison du Seigneur, tous les jours de ma vie. Spectacle immense, contempler la beauté du Seigneur même! Quand la nuit dici-bas sera écoulée, il veut se reposer à la lumière de Dieu. Notre nuit sera passée alors, et le matin se lèvera pour nous. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Au matin je serai debout, et je vous contemplerai » .Maintenant que je suis tombé, je ne puis vous contempler; mais alors je me tiendrai debout et je vous contemplerai. Cest lhomme qui parle ainsi, car cest lhomme qui est tombé, et si nous ne fussions tombés, le Messie ne serait point venu pour nous relever. Nous sommes donc tombés, et il est descendu. Il est remonté, et nous sommes relevés: « Car nul ne peut remonter, si dabord il nest descendu ». Celui qui était tombé est relevé, celui qui était descendu est remonté. Sil est remonté seul, nallons point nous décourager. Car il nest descendu que pou-r nous relever; et alors nous nous tiendrons debout, et nous contemplerons, et nous serons comblés de joie. Voilà tout ce que jai dit, et vous vous récriez sous le poids du désir de cette beauté que vous ne voyez pas encore. Elevez votre coeur au-dessus de tout ce qui vous est ordinaire, élevez votre intelligence au-dessus de toutes ces pensées Charnelles, qui vous viennent des convoitises du corps, et qui vous représentent je ne sais quels fantômes. Bannissez tout de votre esprit, renoncez à tout ce qui se présentera, et confessant la faiblesse de votre coeur, dites à propos de toute pensée qui vous viendra dans lesprit : Ce nest point cela; si cétait là ce que lon me promet, il ne me viendrait point à la pensée. De cette manière, vous aspirez à quelque bien. Quel bien? Le bien de tout bien, doù découlent tous les biens, et auquel on ne peut rien ajouter de bien. Partout ailleurs, tu diras un homme de bien, une bonne terre, un bon édifice, un bon animal, un bon arbre, une bonne santé, un bon naturel, tu ajoutes à la qualité de bien; mais ici, cest le bien simplement, le bien doù vient à tout le reste la bonté, le bien doù découlent tous les autres biens: telle est la
beauté du Seigneur que nous contemplerons. Voyez, mes frères: si tout ce que lon appelle ici-bas des biens, a pour nous des charmes; si nous sommes épris dun bien qui nest pas le bien par lui-même; car tout ce qui est mobile nest pas par lui-même un bien; jugez quel sera le charme du beau immuable, éternel, et demeurant toujours le même. Car ce que lon appelle ici-bas des biens, naurait pour nous aucun attrait , sil navait réellement quelque chose de bien; et il ny aurait là rien de bien, sil ne découlait de celui qui est simplement le bien.
9. Voilà pourquoi, dit le Prophète, je veau habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie. Je vous ai exposé ce motif: « Cest pour contempler la beauté du Seigneur ». Mais pour que je contemple sans relâche, pour que rien ne me trouble dans cette contemplation, que nulle suggestion ne men détourne, que nulle puissance ne men arrache, que je ne sois en butte à nulle jalousie et que je goûte en paix les délices du Seigneur, mou Dieu, que doit-il marriver? La protection du Seigneur. Non-seulement donc je veux contempler la beauté du Seigneur, dit le Prophète, mais je veux être « protégé comme son temple ». Pour quil me protége comme son temple, je deviendrai son temple en effet, et je serai sous sa garde. En est-il dun temple du vrai Dieu comme des temples des idoles? Les idoles sont à couvert dans leurs temples, mais le Seigneur notre Dieu protége lui-même son temple, et je serai en sûreté. Le contempler sera mon bonheur, sa protection sera ma sûreté. Autant ma contemplation sera parfaite, autant le sera sa protection; et plus sera parfait le bonheur de la contemplation, plus ma sainteté sera inaccessible à la corruption. A ces deux paroles : « Je contemplerai et je serai protégé », nous pouvons ramener celles qui commencent le psaume: «Le Seigneur est ma lumière et mon salut, quaurai-je à craindre? » Le Seigneur est ma lumière, puisque je contemplerai sa beauté. Il est mon salut, puisquil me protégera comme son temple.
10. Mais pourquoi Dieu nous accordera-t-il cette grâce pendant léternité? « Parce quil ma caché dans son pavillon au jour de mes malheurs (Ps. XXVI, 5) ». Jhabiterai donc dans son palais tous les jours de ma vie, afin de contempler (234) la beauté du Seigneur et dêtre protégé comme son temple. Doù me vient cependant la confiance dy arriver un jour? « Cest quil ma recueilli dans son pavillon au jour de mes malheurs ». Il ny aura plus alors de jours mauvais pour moi, mais cest dans les jours difficiles de cette vie que le Seigneur a jeté sur moi les yeux. Si donc il me regarde avec une telle bonté quand je suis si éloigné de lui, que sera-ce quand je jouirai de lui? Je nagissais donc point avec témérité, quand je lui faisais cette prière unique, et mon coeur ne me disait point : quelle demande, et à qui la fais-tu? Oses-tu bien tadresser à Dieu, misérable pécheur? Oses-tu bien espérer de contempler le Seigneur, faible créature au coeur souillé? Oui, jose bien lespérer, non pas de moi, mais de son ineffable bonté; cet espoir nest point une présomption chez moi, mais un gage de sa tendresse. Celui qui me témoigne tant de bonté dans le cours de mon pèlerinage, mabandonnera-t-il au terme, « lui qui ma recueilli dans son pavillon, en des jours mauvais?» Nos jours mauvais sont les jours de cette vie. Autres sont les jours mauvais pour les impies, et autres pour les fidèles. Sil ny avait pas de jours mauvais pour ceux qui ont la foi, mais qui sont encore éloignés du Seigneur, car, selon lApôtre, « nous sommes loin du Seigneur, tant que nous habitons un corps » ; que signifierait cette parole de lOraison dominicale : « Délivrez-nous du mal ? » si nous ne sommes pas au jour des malheurs. Mais les jours mauvais sont bien différents pour ceux qui nont pas la foi : Dieu néanmoins ne les méprise pas, puisque Jésus-Christ est mort pour eux . Que notre âme donc senhardisse, et demande au Seigneur ce bien qui est unique; elle lobtiendra et le possédera en toute sûreté. Si elle est tant aimée dans sa laideur, que sera-ce quand elle sera purifiée! « Il ma recueilli dans son pavillon, au jour de mes malheurs, il ma protégé dans le secret de son sanctuaire ».Quel est le secret de son sanctuaire? Quentendre par là? Le tabernacle avait, ce semble, plusieurs parties à lextérieur; mais il y avait, à lintérieur du temple, un lieu mystérieux appelé sanctuaire secret. Quétait ce sanctuaire? Le grand prêtre seul y pénétrait . Et peut-être est-ce le Pontife qui
est lui-même ce tabernacle secret du Seigneur. Car il sest formé un corps du tabernacle de notre chair, et il est devenu pour nous un asile mystérieux; et de la sorte, les membres qui croient en lui, fouineraient le tabernacle, et lui-même en serait le lieu secret. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ », a dit lApôtre.
11. Veux-tu comprendre que tel est le sens de lApôtre? La pierre, cest le Christ . Ecoute ce qui suit : « Il ma recueilli dans son tabernacle au jour de mes malheurs, il ma caché à lombre de son sanctuaire». Tu voulais connaître le secret de ce sanctuaire; écoute la suite : « Il ma élevé sur la pierre mu. Donc il ma élevé sur le Christ. Tu tes humilié dans la cendre, et Dieu ta élevé sur la pierre. Mais le Christ est au ciel, et toi sur la terre. Ecoute la suite : « Dès maintenant, il a élevé ma tête au-dessus de la tête de mes ennemis ». Dès maintenant, avant que je fusse arrivé à ce palais que je veux habiter tous les jours de ma vie, avant que je fusse arrivé à contempler le Seigneur, « dès aujourdhui, il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis». Je suis persécuté , il est vrai , par les ennemis du corps de Jésus-Christ; il est vrai que je ne suis point complètement au-dessus de mes ennemis : toutefois « le Seigneur a élevé ana tête au-dessus de tous mes adversaires ». Déjà notre chef, qui est le Christ, est au ciel; et pourtant nos ennemis peuvent encore sévir contre nous, puisque nous ne sommes pas élevés au-dessus deux; mais notre chef est dans le ciel doù il a dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ?» Il montrait ainsi quil est en nous ici-bas; donc, nous sommes en lui au ciel, puisque, « dès aujourdhui, il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis». Tel est le gage que nous avons de notre union éternelle par la foi, lespérance et la charité, avec notre chef qui est dans le ciel; cest que lui-même demeure avec nous sur la terre, jusquà la consommation des siècles , par sa divinité, sa bonté, son unité.
12. « Jai jeté les yeux de toutes parts , et jai offert dans son tabernacle un sacrifice de louanges ». Nous offrons une hostie de jubilation, une hostie de joie, une hostie de félicitation, une hostie dactions de grâces,
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qui demeure au-dessus de toute expression. Où loffrons-nous? Dans son tabernacle, dans la sainte Eglise. Quelle est cette hostie? Une joie infinie , inénarrable , que nulle parole ne peut exprimer. Telle est cette hostie dallégresse. Où la chercher et où la trouver? En cherchant de toutes parts. « Jai jeté les yeux partout », dit le Prophète, et « jai offert dans son tabernacle une hostie dacclamation». Que ton âme sadresse à toute créature, et toute créature te répondra : Cest Dieu qui ma faite. Tout le beau dune oeuvre dart fait léloge de louvrier, et ton admiration pour lOuvrier suprême grandira, à mesure que tu considéreras ses oeuvres. Tu vois le ciel, cest le chef-doeuvre de Dieu. Tu vois la terre, cest Dieu qui la couverte de ces plantes sans nombre, de ces germes variés à linfini, qui la peuplée danimaux. Parcours une seconde fois les cieux et la terre, que rien ne téchappe ; de toutes parts tu entendras publier la gloire du Créateur; et ces beautés si diverses des créatures forment un concert harmonieux en lhonneur de celui qui les a faites. Qui pourra nous expliquer toute la création? Qui en dira- les merveilles? Qui pourrait chanter dignement les cieux, la terre, les mers, et tout ce quils renferment? Ce ne sont là toutefois que des créatures visibles. Qui chantera dignement les anges, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances? Qui pourra louer dignement ce quil y a de vital en nous, qui anime notre corps, qui fait mouvoir nos membres, qui agit sur nos sens, qui embrasse tant de choses par la mémoire, qui nous fait discerner par lintelligence? Si le langage humain devient si pauvre quand il sagit des créatures de Dieu, comment louer le Créateur, à moins quà défaut de paroles, nous nayons recours à des acclamations? « Jai cherché partout et jai offert au Seigneur, dans son tabernacle, une hostie dacclamation ».
13. On peut donner à ces paroles un autre sens qui me paraît plus en harmonie avec la suite du Psaume. Linterlocuteur dit quil a été élevé sur le rocher, qui est le Christ; que sa tête, qui est aussi le Christ, a été élevée au-dessus de ses ennemis: il veut donc nous faire comprendre que lui-même, élevé sur le rocher, a été encore, dans son chef adorable, élevé au-dessus de ses ennemis; faisant allusion à la gloire de lEglise à qui ses persécuteurs ont dû céder la victoire; et comme cette victoire est la conversion de lunivers entier à la foi de Jésus-Christ: « Jai jeté les yeux partout », dit le Prophète, « et jai offert à Dieu, dans son tabernacle, une hostie de bénédiction »; cest-à-dire, jai considéré la foi de tout lunivers, cette foi qui élève ma tête bien au-dessus de mes persécuteurs, et dans le temple du Seigneur, ou plutôt dans cette Eglise qui embrasse le monde, je lai béni, avec une joie ineffable.
14. « Je bénirai le Seigneur, je chanterai des hymnes en son honneur » Tranquilles alors , nous chanterons le Seigneur sans crainte, et sans crainte nous le bénirons, quand nous contemplerons sa beauté, quand il nous protégera comme son temple, et quand la mort, absorbée dans sa victoire, nous aura délivrés de la corruption «. Que dire à présent que nous avons exposé les joies que nous devons goûter, quand notre prière unique sera exaucée? Que dire maintenant? Seigneur, exaucez ma voix ». Gémissons donc maintenant, prions maintenant : pour le malheureux, il ny a quà gémir, pour lindigent, quà prier. La prière passera, et fera place aux jubilations; les pleurs passeront et feront place à la joie. Maintenant donc, pendant que nous sommes dans les jours mauvais, ne cessons dinvoquer le Seigneur, de lui adresser lunique prière; que cette prière ne soit jamais interrompue, jusquà ce quen. fin, par sa grâce et sous sa direction, nous arrivions à le contempler. « Ecoutez, Seigneur, ma voix qui crie vers vous; ayez pitié de moi, exaucez-moi ». Telle est sa demande unique, tant que puissent durer son invocation, ses gémissements et ses larmes, il ne fait quune seule demande. Il a mis fin tous ses désirs, il ne lui reste que celui dêtre exaucé.
15. Voyez la prière quil a réellement faite : « Mon coeur vous a dit : Jai cherché votre face ». Cest le même sens quil exprimait tout à lheure : « Je veux contempler la beauté du Seigneur, mon coeur vous a dit : Jai cherché votre face ». Si nous mettions notre joie à contempler le soleil dici-bas, ce nest pas notre coeur qui dirait : « Jai recherché votre face ». Mais plutôt les yeux de notre corps. Mais à quel autre notre cur peut-il dire : « Jai recherché votre face »,
1. I Cor. XV, 54. 2. Ps. XXVI, 7. 3. Id. 7. 4. Id. 8.
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sinon à celui qui nest visible quaux yeux du coeur? La lumière sensible est pour les yeux du corps, mais la lumière divine pour ceux du coeur. Or, voulez-vous voir cette lumière qui est faite pour les yeux du coeur? car cest Dieu lui-même, comme la dit saint Jean . «Dieu est lumière, et il ny a point de ténèbres en lui » ; voulez-vous donc voir cette lumière? Purifiez loeil qui la voit : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu . »
16. « Mon coeur vous a dit : Jai cherché votre face; cest votre face, ô mon Dieu, que je rechercherai ». Je nai fait au Seigneur quune seule demande, et je la ferai toujours, cest de voir votre face : « Ne détournez donc point de moi votre visage » Voyez comme il sarrête à cette unique demande : Voulez-vous aussi lobtenir? Nen faites aucune autre. Fixez-vous uniquement à celle-là, puisque seule elle vous suffira. « Mon cur vous a dit: Jai cherché votre face; et cette face, ô mon Dieu, je la rechercherai. Ne détournez point de moi votre visage : dans votre colère, ne vous détournez point de votre serviteur ». On ne pouvait rien dire de plus magnifique et de plus divin. Ils comprennent, ceux qui 1aiment véritablement. Tout autre mettrait son bonheur à jouir sans fin de ces biens terrestres quil aime par-dessus tout : il noffrirait à Dieu ses adorations et ses prières quafin den obtenir de vivre longtemps dans ces délices, de ne perdre aucun objet de ses affections terrestres, ni son or, ni son argent, aises domaines dont la vue peut lui procurer une jouissance, de ne voir mourir ni ses amis, ni ses enfants, ni son épouse, ni ses clients; il voudrait toujours vivre dans la possession de ses biens. Mais parce quil ne le peut toujours, et quil sait quil mourra, dans le culte quil rend à Dieu, dans ses prières, liasses gémissements, il se contentera peut-être de lui demander ces biens pendant toute sa vieillesse. Que Dieu lui dise : Je te fais immortel avec ces biens; il acceptera limmortalité comme un grand bienfait, et il ne pourrait contenir les transports de sa joie. Tel nest point le désir de celui qui na fait au Seigneur quune seule demande. Que peut-il donc souhaiter? de contempler la beauté du Seigneur, tous les jours de sa vie. De même encore celui qui, dans le service de Dieu, ne se
proposerait aucun autre but et ne craindrait, dans la colère de Dieu, que de perdre quelquun des biens temporels quil pourrait posséder. Ce nest point là ce que craint celui qui parle ici, puisquil permet à ses ennemis « de manger sa chair ». Que craint-il donc de la colère de Dieu? Quelle ne le prive de lobjet de son amour. Qua-t-il aimé? Votre face, ô mon Dieu. Il regarderait comme un effet de la colère divine que le Seigneur détournât de lui son visage : « Ne vous détournez point de votre serviteur dans votre colère ». On pourrait peut-être lui répondre : Pourquoi redouter quil se détourne de toi dans sa colère? Sil se détournait de toi dans sa colère, tu aurais moins à craindre ses vengeances; et si tu tombes entre ses mains dans sa colère, il la déchargera sur toi. Tu dois donc souhaiter quil se détourne de toi dans sa colère. Non, répond-il, car il sait ce quil souhaite. La colère de Dieu, pour lui, cest de lui dérober sa face. Mais si Dieu te rendait immortel au milieu de ces délices et de ces joies voluptueuses? Ce nest point là ce que je désire, nous répond le chaste ami de Dieu; tout ce qui nest point lui-même na aucune douceur pour moi. Loin de moi tout autre don que le Seigneur voudrait me faire quil se donne à moi lui-même. « Ne vous détournez point de votre serviteur, dans votre colère ». Quelquefois le Seigneur se détourne de nous, mais sans colère aussi, plusieurs lui disent-ils : « Détournez votre visage de mes péchés ». Détourner sa face de tes péchés, ce nest donc point se détourner de toi dans sa colère. Quil détourne donc sa face de vos péchés, mais non de vous.
17. « Soyez mon aide, ne mabandonnez pas », car je suis dans la voie ; je vous ai demandé uniquement dhabiter dans votre maison, tous les jours de ma vie, de contempler vos beautés, et dêtre protégé comme votre temple. Cest là lunique bien que je demande, et je suis dans la voie qui y conduit. Peut-être me direz-vous: Efforce-toi, marche, je tai donné le libre arbitre, tu as ta volonté; marche dans la voie, aime la paix, recherche-la; garde-toi de técarter du chemin , de tarrêter en chemin, de regarder en arrière: marche avec persévérance, parce que « celui-
là
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sera sauvé, qui aura persévéré jusquà la fin ». Avec le libre arbitre, tu crois pouvoir marcher; ne présume rien de toi-même; que le secours tabandonne, et il ny aura pour loi que défaillance en chemin, que chute, égarement, immobilité. Dites-lui donc : Il est vrai, Seigneur, que vous mavez donné une volonté libre, et que sans vous mes efforts ne sont rien. « Soyez mon aide, ne mabandonnez pas ; ne me rejetez pas, ô Dieu, qui êtes mon salut » Vous maiderez, car je suis louvrage de vos mains; vous nabandonnez pas vos créatures.
18. « Voilà donc que mon père et ma mère mont abandonné ». Il se fait petit enfant devant Dieu et le choisit pour son père, le considère comme sa mère. Dieu est un père, parce quil crée, parce quil appelle à son service, parce quil ordonne, parce quil gouverne ; il est une mère, parce quil réchauffe, quil nourrit, quil allaite, quil porte dans son sein, « Mon père donc et ma mère mont abandonné; mais le Seigneur ma pris» pour me diriger et me nourrir. Des parents qui doivent mourir ont engendré; des fils mortels ont succédé à des parents mortels ; ils sont nés pour succéder, après le décès des parents: mais celui qui ma créé, ne mourra point ; et moi, je ne me séparerai jamais de lui. « Mon père et ma mère mont abandonné, mais le Seigneur ma recueilli». En dehors de ces deux parents, de cet homme et de cette femme qui ont été pour nous Adam et Eve, et nous ont donné une vie corporelle, nous avons, ou plutôt nous avons eu un autre père, et une autre mère. Le démon qui est le père de ce siècle, était notre père quand nous étions dans linfidélité ; car le Seigneur dit aux infidèles : « Vous avez le diable pour père ». Si donc cest là le père de tous les impies qui agit sur les enfants rebelles , quelle sera leur mère? Il est une certaine cité que lon nomme Babylone ; cest la cité des enfants de perdition, depuis lOrient jusquà lOccident : à elle appartient lempire de la terre. Elle est la capitale de ce que vous appelez la République, que vous voyez vieillir de jour en jour, et décroître. Cest elle qui fut dabord notre mère, cest en elle que nous avons pris naissance. Nous avons depuis connu un autre père, et nous avons quitté le
1. Matt. XIX, 22. 2. Ps. XXI, 5. 3. Id. 10. 4. Jean, VIII, 44. 5. Eph. II, 2.
diable. Comment oserait-il approcher de ceux qua recueillis un Dieu tout-puissant? Nous connaissons une autre mère, la Jérusalem céleste ou la sainte Eglise dont une portion encore est en exil sur la terre ; et nous avons quitté Babylone. « Mon père et ma mère mont abandonné » : ils nont plus aucun bien à me faire; et quand ils paraissaient men faire quelquun, cétait vous qui me le faisiez, ô mon Dieu, et je le leur attribuais.
19. Qui peut, si ce nest Dieu seul, faire en ce bas monde quelque bien à lhomme?Qui peut lui rien enlever, sans lordre ou la permission de Dieu qui nous a tout donné? Mais les hommes, dans leur folie, croient tenir ces richesses des démons quils adorent, et souvent ils se disent en eux-mêmes que Dieu leur est nécessaire pour la vie éternelle, pour la vie éternelle, vie toute spirituelle, mais que pour les biens de cette vie, il faut rendre un ermite à ces puissances diaboliques. O hommes insensés t vous donnez donc la préférence à ces biens qui vous font adorer les démons; car ou vous préférez le culte des démons, ou si vous ne laimez mieux, cest du moins autant. Dieu, cependant, ne peut souffrir que lon partage lencens entre ses autels et ceux du démon, dût-on lui rendre les plus grands honneurs, et pour eux, les restreindre de beaucoup. Comment? me diras-tu, ne sont-ils donc point nécessaires pour les biens dici-bas? Nullement. Ne devons-nous pas craindre au moins quils ne nous soient nuisibles? Ils ne peuvent nous nuire que si Dieu le permet. Toujours ils sont prêts à nous nuire, et vos supplications ne fléchiront point leur désir implacable de faire le mal. Tel est le caractère distinctif de leur malice. Donc, le culte que vous leur rendrez ne peut aboutir quà offenser Dieu, qui dans sa juste vengeance vous livrera en leur pouvoir : impuissants à vous nuire, si Dieu vous eût été favorable, ils feront de vous vira jouet de leur malice, parce que vous laurez offensé. Pour vous montrer, ô vous qui avez ces pensées, que votre culte aux démons est inutile, même pour les biens temporels, ny a-t-il donc jamais eu de naufrage pour aucun adorateur de Neptune? et nul de ceux qui lont en horreur nest-il arrivé au port? Toutes les mères qui invoquent Junon obtiennent-elles un enfantement heureux, et toutes celles qui lont en horreur nont-elles quun enfantement malheureux? (238) Comprenez donc par là, mes frères bien-aimés, combien est grande la folie des hommes qui veulent adorer les démons pour en obtenir les biens temporels. Sil faut les adorer pour en obtenir ces biens, leurs adorateurs seuls devraient posséder les grandes fortunes. Et quand même il en serait ainsi, il nous faudrait encore renoncer à de pareils dons, pour faire à Dieu lunique prière. Mais il y a de plus que Dieu seul peut donner ces biens, et quadorer les démons, cest loffenser. Arrière donc notre père et notre mère; arrière Salan, arrière la cité de Babylone! Vive le Seigneur qui nous recueille pour nous consoler par les biens du temps, et nous rendre heureux par ceux de léternité ! « Mon père et ma mère mont abandonné, mais le Seigneur ma recueilli ».
20. Nous voilà donc recueillis par le Seigneur, après avoir fui Babylone et le démon qui la gouverne; car cest le diable qui dirige les impies, qui est le prince du monde, le prince des ténèbres. De quelles ténèbres, direz-vous? Des pécheurs, des impies. Aussi lApôtre dit-il à ceux qui ont embrassé la foi : « Vous étiez autrefois ténèbres , maintenant vous êtes lumière en Jésus-Christ ». Maintenant que Dieu nous a recueillis, que devons-nous dire? « Seigneur, établissez-moi la loi que je dois accomplir dans votre voie». Tu oses bien demander une loi? Et si le Seigneur te répondait: Cette loi, laccompliras-tu? lobserveras-tu si je te la donne ? Il noserait la demander, si dabord il navait dit : Le Seigneur ma recueilli. Il ne la demanderait point, sil navait dit dabord : Venez à mon aide. Si donc vous êtes mon soutien, si vous me recueillez, « donnez-moi, Seigneur, une loi que jaccomplisse dans votre voie». Etablissez-moi une loi dans votre Christ. Car cest la voie elle-même qui nous a parlé, et nous a dit:
«lestais la voie, la vérité et la vie ». La loi dans le Christ est une loi de miséricorde. Il est la sagesse dont il est écrit: « Elle a sur la langue «une loi de clémence ». Si vous êtes coupable dinfraction à cette loi, faites-en laveu, et vous en obtiendrez le pardon de Celui qui répandu son sang pour vous. Seulement, ayez soin de ne point abandonner la voie, et dites-lui : « Soyez-mon protecteur, et dirigez moi dans le sentier de la justice, à cause de mes ennemis ». Donnez-moi une loi, mais
ne me privez pas de votre miséricorde. Dans un autre psaume, le Prophète a dit : « Celui qui vous a dicté la loi, vous donnera aussi la miséricorde
». Ces paroles donc : « Fixez-moi, Seigneur, une loi que jaccomplisse dans votre voie », regardent le précepte. Quest-ce qui nous désigne sa miséricorde? « Dirigez-moi », dit le Prophète, « dans la voie du bien, à cause de mes ennemis ».
21. « Ne me livrez pas aux volontés de mes persécuteurs » ; cest-à-dire, ne permettez pas que jacquiesce à leurs désirs. Car si tu es uni dâme et de volonté à celui qui te persécute, ce nest pas ta chair quil dévore en quelque sorte, mais bien mon âme par la perversité quil tinspire. « Ne mabandonnez pas aux volontés de mes persécuteurs ». Abandonnez-moi entre leurs mains, si vous le voulez. Telle était la prière que faisaient les martyrs, et il les a livrés aux mains des persécuteurs. Mais que leur en livrait-il? La chair seulement. Cest encore ce qui est écrit dans le livre de Job : « La terre a été livrée aux mains de limpie ; cest-à-dire, la chair est entre les mains des persécuteurs. « Gardez-vous de me livrer », non pas ma chair, mais moi. Cest moi lâme qui vous parle, moi lesprit qui vous parle. Je ne vous dis point: Gardez-vous de livrer ma chair aux mains de mes persécuteurs ; mais . «Gardez-vous de me livrer aux volontés de o mes persécuteurs». Comment les hommes sont-ils abandonnés aux volontés de ceux qui les persécutent? «Voilà que des témoins menteurs se sont levés contre moi». Dabord, par cela même quils sont des témoins menteurs, quils entassent les accusations contre moi, et me déchirent par une foule de calomnies, si- vous mabandonnez à leurs volontés, je mentirai à mon tour, je deviendrai leur complice, et sans avoir aucune part à votre vérité , je massocierai à leurs mensonges contre vous. « Des témoins menteurs se sont élevés contre moi, et liniquité a menti contre elle-même ». A elle-même, non pas à moi. Quelle soit victime de ses faussetés, et non pas moi. Si vous me livrez aux volontés de mes persécuteurs, cest-à-dire, si je massocie à leur dessein, liniquité naura point menti pour elle seule, mais encore pour moi; quils déchaînent au contraire toute leur
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fureur, et sefforcent dentraver ma course, pourvu que vous ne mabandonniez pas à leurs volontés, et que je nembrasse pas leurs desseins pervers, alors je demeurerai ferme, je subsisterai dans la vérité, et les mensonges de liniquité tourneront contre elle et non contre moi.
22. Après tant de dangers, tant de fatigues, tant dobstacles, accablé par les vexations de ses persécuteurs, haletant, harassé, mais toujours ferme et plein de confiance dans celui qui la recueilli, qui le soutient, qui le conduit, qui le gouverne, le Prophète en revient à sa demande-unique; il a parcouru des yeux toutes les créatures en tressaillant de joie, il a gémi sous le poids du labeur, il soupire enfin et sécrie : « Je crois que je verrai les biens du Seigneur, dans la terre des vivants (Ps. XXVI, 13 ) ». O biens de mon Dieu, qui êtes si doux ! biens impérissables, biens incomparables, biens éternels, biens immuables! Quand vous verrai-je, ô biens de mon Dieu? Je crois que je vous verrai, mais non sur la terre où lon meurt. « Je crois que je verrai les biens du Seigneur sur la terre des vivants». Il me délivrera de cette terre où lon meurt, ce Dieu qui a daigné, par amour pour moi, venir sur la terre des mortels, et mourir entre les mains des mortels. « Je crois que je verrai le Seigneur dans la terre des vivants ». Telle est sa parole quand il sou pire, sa parole quand il est accablé, sa parole au milieu de dangers sans nombre; et cependant il espère tout de la bonté de ce même Dieu, à qui il a dit: « Seigneur, établissez-moi une loi ».
23. Et que lui dit celui-là même qui adonné la loi? Ecoutons cette voix du Seigneur, voix dencouragement et de consolation qui nous vient den haut. Ecoutons la voix de celui qui nous tient lieu de ce père et de cette mère qui nous ont quittés. Ecoutons-la, car lui-même a entendu nos gémissements, il a compris nos sanglots , il a considéré nos désirs et la seule prière que nous lui faisons cette unique demande , il la favorable I ment accueillie par la médiation de Jésus. Christ , notre avocat; et tant que durera notre pèlerinage en cette vie, qui éloigne de nous ses promesses, sans toutefois nous en priver, il nous répète: «Attends le Seigneur». En lui tu nattendras pas un Dieu menteur, un Dieu qui se trompe, un Dieu qui ne puisse trouver de quoi vous donner. Cest le Tout-Puissant qui vous a promis, celui qui est fidèle par excellence, celui qui est la vérité même. « Attends donc le Seigneur, et travaille en homme de cur ». Ne te laisse pas abattre, afin de nêtre point avec ceux dont il est dit : « Malheur à ceux qui ont perdu la constance ». Attends le Seigneur, cest là ce quil dit à tous les hommes, bien quil ne parle quà un seul. Nous ne sommes quun en effet, en Jésus-Christ, nous sommes le corps du Christ, nous qui navons quun seul désir, ne formons quun seul voeu, qui gémissons en ces jours de tristesse, qui croyons voir les biens du Seigneur dans la terre de la vie. Cest à nous tous qui sommes un, en un seul Jésus-Christ, quil est dit : «Attends le Seigneur, agis avec courage, affermis ton âme et attends le Seigneur ». Que peut-il dire encore, sinon répéter ce que vous avez entendu? « Attends le Seigneur, agis en homme de cur ». Celui donc qui a manqué de confiance, est un efféminé, un homme sans vigueur. Que les hommes écoutent cette parole, que-les femmes la comprennent aussi, car lhomme et la femme ne sont quun en Jésus-Christ, qui est un seul homme. Mais il nest plus ni homme ni femme, celui qui vit en Jésus-Christ . « Attends le Seigneur, agis en homme de coeur; affermis ton âme et attends le Seigneur». Cest par la confiance que tu posséderas le Seigneur, tu posséderas celui que tu auras attendu. Libre à toi de former dautres désirs, si tu trouves un objet plus grand, plus digne, plus suave.
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