|
|
PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXIX.LÉGLISE, OU LE TEMPLE CONSACRÉ A DIEU.
Chaque membre de IEglise ou de Jésus-Christ peut tenir le langage de ce psaume. Et-ce que peut dire Jésus-Christ à propos de sa résurrection, et quand il se prépare à se consacrer un temple dans les fidèles, tout fidèle sorti du péché peut se lappliquer, et se considérer comme un temple consacré à Dieu.
POUR LA FIN, PSAUME CHANTÉ A LA DÉDICACE DUN LIEU SACRÉ, POUR DAVID (1).
1. Pour la fin. Chant joyeux de la résurrection, qui a renouvelé non-seulement le corps de Jésus-Christ, mais de toute 1Eglise, et la changé en un corps immortel. Dans le psaume précédent, la tente que nous devons habiter pendant la durée de la guerre sachevait;
maintenant il sagit de faire la dédicace de ce palais, que nous devons habiter dans une paix éternelle. 2. Cest le Christ qui parle ici dans son intégrité : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez relevé 1 ». Je chanterai votre grandeur, parce que vous mavez protégé. « Et que vous navez point réjoui mes ennemis de ma ruine ». Vous navez point permis que ceux qui, tant de fois dans lunivers entier, ont cherché à mécraser sous le poids des persécutions, se réjouissent à mon sujet. 3. « Seigneur, mon Dieu, jai crié vers vous et vous mavez guéri 2 ». Je vous ai invoqué, Seigneur mon Dieu, et je ne suis plus chargé dun corps sujet à la mort ou à la maladie. 4. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau, vous mavez séparé de ceux qui descendent dans labîme 3». Vous mavez sauvé dun profond aveuglement et des bas-fonds dune chair corruptible. 5. « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges ». Le Prophète voit dans lavenir ce quil annonce, et il sécrie dans ses transports : « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges, et rendez témoignage à la mémoire le sa sainteté 4». Et confessez quil na point oublié cette sainteté dont il vous a gratifiés : quoique le temps qui sépare la sanctification de la récompense paraisse long à vos désirs. 6. « Son indignation amène la vengeance». Il a vengé sur vous le premier péché que vous expiez par la mort. « Mais sa volonté donne la vie 5 ». Cette vie éternelle, à laquelle vous ne pouviez revenir de vos propres forces, il vous la donne, par un acte de sa bonne volonté. « Le soir sécoulera dans les pleurs ». Ce soir a commencé quand la lumière de la sagesse sest éteinte en lhomme pécheur, et quil a été condamné à la mort : à dater de ce soir fatal, des pleurs doivent couler, tant que le peuple de Dieu attendra, dans les travaux et les épreuves, le jour du Seigneur. « Au matin, nous serons dans la joie». Il attendra jusquau matin, où il tressaillera dans la joie de la résurrection future, que nous annonce comme une fleur matinale la résurrection du Christ. 7. « En mes jours dabondance, jai dit: Je
1. Ps. XXIX, 2. 2. Id. 3. 3. Id. 4. 4. Id. 5. 5. Id. 6.
ne serai jamais ébranlé 1». Pour moi, peuple, moi qui parlais dès labord, dans mes jours dabondance, et quand je ne ressentais pas la disette, jai dit : « Je ne serai point ébranlé ». 8. « Seigneur, dans votre bonté, vous mavez affermi dans ma félicité 2 ». Mais, Seigneur, jai compris que cette richesse me venait de votre bonté et non de moi, quand « vous avez détourné de moi votre face, et que je suis tombé dans le trouble », car mes fautes vous ont fait détourner votre visage, et je suis tombé dans le trouble, quand votre lumière sest éteinte pour mes yeux. 9. « Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô mon Dieu 3». Quand je me souviens de mes jours de trouble et de misère et que je my crois encore engagé, jentends alors la voix de votre premier-né, de celui qui est mon chef et qui doit mourir pour moi, et qui sécrie: «Jen appelle à vous, Seigneur; cest vous que je supplierai, ô mon Dieu! » 10. « Quest-il besoin de verser mon sang, si je dois men aller en pourriture 4? Est-ce que cette poussière pourra vous glorifier? » Si je ne ressuscite pas aussitôt, si mon corps est en proie à la pourriture, « est-ce que vous tirerez votre gloire de cette poussière », ou de cette troupe dimpies que ma résurrection doit justifier? « Ou bien, pourra-t-elle annoncer votre vérité 5 » Cest-à-dire, pourront-ils annoncer aux autres la vérité du salut? 11. « Le Seigneur ma écouté et ma pris en pitié, il a été mon protecteur 6 ». Il na point permis que son saint devînt la proie de la corruption7 ». 12. «Vous avez changé mon deuil en joie 8 ». Moi, votre église, qui ai reçu ce premier-né dentre les morts, je chante à la dédicace de votre palais: «Vous avez changé mon deuil en joie; vous avez déchiré mon cilice pour me revêtir de joie 9 ». Vous avez écarté le voile de mes péchés et la tristesse de ma mortalité, pour me revêtir de ma robe première et dune joie impérissable. 13. «Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me meurtrisse 10». Afin quil ny ait plus aucun deuil pour moi; mais que ma gloire chante vos louanges, et non plus mon humilité, puisque vous mavez
1. Ps. XXIX, 7 2. Id. 8. 3. Id. 9. 4. Id. 10. 5. Ibid. 6. Id. 11. 7. Id. XV, 10. 8. Id. XXIX, 12. 9. Ibid. 10. Id. 13.
(244)
tiré de labaissement, et que la conscience de mon péché, la crainte de la mort et du jugement ne perce plus mon coeur. « Seigneur, mon Dieu, je vous bénirai éternellement ». Cest là ma gloire, ô mon Dieu, de proclamer hautement à votre louange quil ny a rien en moi de moi-même , et que tout bien vient de vous, ô Dieu, qui êtes tout en tous (I Cor. XV, 28 ).
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXIX.
LA GLOIRE DU CHRÉTIEN APRÈS CETTE VIE.
Dans ce discours, saint Augustin nous montre que Jésus-Christ, notre chef, ayant reçu sa consécration dans le ciel, nous devons ly recevoir aussi et ly suivre. Et nous y arriverons, en bénissant Dieu, ou en le glorifiant dans nos douleurs, pour le bénir ensuite dans sa gloire.
1.Assurément nous avons chanté: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez relevé, et que vous navez point donné à mes «ennemis la joie de ma ruine 1». Si les saintes Ecritures nous ont fait connaître nos ennemis, nous comprenons la vérité de ce cantique nais si la prudence de la chair nous a jetés dans lillusion au point que nous ne connaissions plus ce quil nous faut combattre 2, nous trouvons, dès labord du psaume, une difficulté insoluble pour nous. De qui pensons-nous sont ce chant dactions de grâces, cette voix qui bénit Dieu dans son allégresse et qui sécrie: «Je vous exalterai, Seigneur, parce que nous mavez relevé, et que vous navez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine?» Considérons dabord que cest Notre-Seigneur qui, dans cette humanité dont il a daigné se revêtir, a pu fort bien sapproprier ces paroles du Prophète. Devenir homme, cest contracter nos infirmités, et, devenu infirme, il devait prier. Nous venons de voir, en lisant cet Evangile, quil se sépara de ses disciples pour entrer au désert, où ils allèrent le chercher et le trouvèrent. Etant à lécart, il priait, et ses disciples lui dirent en le retrouvant : « Les hommes vous cherchent. Allons prêcher, répondit-il, en dautres lieux, en dautres bourgades ; car cest pour cela que je suis venu 3 ». A nenvisager Notre-Seigneur Jésus-Christ que dans sa divinité, qui est celui
1.Ps, XXIX, 1. 2. Eph. VI, 12. 3. Marc, I, 35, 38.
qui prie? à qui adresse-t-il sa prière? quel en est le sujet? Un Dieu peut-il prier? sadresser à son égal? Quel motif de prier peut avoir celui qui est toujours heureux, toujours tout-puissant, toujours immuable et éternel, coéternel au Père? Si nous écoutons cette voix de tonnerre, quil a fait retentir, comme à travers la nuée, par saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu, toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait na été fait sans lui, en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne lont point comprise 1 »; nous ne trouvons jusque-là ni prière, ni sujet de prière, ni occasion de prière, ni désir de prier; mais quand il est dit plus bas : « Et le Verbe sest fait « chair, et il a demeuré parmi nous 2 » : vous avez un Dieu que vous devez prier, et un homme qui priera pour vous. Car lApôtre tenait ce langage après la résurrection de Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est assis à la droite de Dieu, dit-il, et qui intercède pour nous. Pourquoi intercéder pour nous? Parce quil a daigné se rendre notre médiateur. Quest-ce quêtre médiateur entre Dieu et les hommes? Je ne dis point entre son Père et les hommes, mais bien entre Dieu et les hommes. Quest-ce que Dieu? Cest le
1. Jean, I, l-5 2. Id. 14. 3. Rom. VIII, 34. 4. I Tim. II, 5.
(245)
Père, le Fils et lEsprit-Saint. Que sont les hommes? Dès pécheurs, des impies, de chétifs mortels. Donc, entre la Trinité et les hommes infirmes et coupables, un homme sest fait médiateur, homme innocent, il est vrai, et néanmoins infirme: afin que dans son innocence il pût vous approcher de Dieu, et dans son infirmité sapprocher de vous. Cest ainsi que le Verbe fait chair, ou le Verbe fait homme est devenu médiateur entre Dieu et les hommes. Sous le nom de chair on entend les hommes. De là cette parole : « Toute chair verra le salut de Dieu 1 ». Toute chair, cest-à-dire tous les hommes. LApôtre dit aussi « Nous navons pas à combattre contre la chair « et le sang», cest-à-dire contre les hommes, « mais contre les principautés, les puissances, « les princes de ce monde et de ces ténèbres 2», dont nous parlerons plus tard, avec le secours de Dieu. Car cette distinction nous est nécessaire pour lintelligence de ce psaume, que nous avons entrepris de vous expliquer au nom du Seigneur. Toutefois jai cité aujourdhui ces quelques exemples, afin que vous sachiez que la chair désigne tous les hommes, et que dire : « Le Verbe sest fait chair », ce soit pour vous : Le Verbe sest fait homme. 2. Ce nest pas sans raison que jai fait ces remarques. Vous devez savoir, mes frères, quil y eut autrefois certains hérétiques nommés Apollinaristes, et peut-être y en a-t-il encore aujourdhui quelques-uns. Plusieurs dentre eux ont erré en parlant de cette humanité dont sest revêtue la sagesse de Dieu, pour habiter en elle personnellement, non plus comme dans les autres hommes, mais selon cette parole du Prophète : « Votre Dieu, ô Dieu, vous a marqué dune huile de joie, qui vous élève au-dessus de tous ceux qui doivent la partager avec vous 3 », cest-à-dire dune onction plus grande que celle des autres hommes : de peur que lon ne vînt à -croire que lonction du Christ ressemble à celle des hommes, des autres justes, des patriarches, des Prophètes, des Apôtres, des martyrs, et de tout ce qua produit de grand la race humaine. Nul autre homme ne fut plus grand que Jean-Baptiste, et des fils de la femme aucun ne la surpassé 4. Si vous cherchez quelle fut sa grandeur, il suffit de dire que cest Jean-Baptiste. Mais celui à qui Jean ne se trouvait pas digne de dénouer les
1. Luc, III, 6. 2. Eph. VI, 12. 3. Ps. XLIV, 8. 4. Matt. XI, 11.
souliers1, quétait-il donc, sinon plus que tous les autres hommes. Même en son humanité, il avait plus de grandeur que tout autre homme. Comme Dieu, dans sa divinité, comme Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu, il est égal au Père, et bien au-dessus de toute créature. Mais nous parlons ici de lhumanité. Quelquun de vous, mes frères, croira peut-être que cet homme dont la sagesse divine a daigné se revêtir, était égal au reste des hommes. Dans le corps humain, il y a une grande différence entre la tête et les autres membres, bien que les membres ne forment à la vérité quun seul et même corps, néanmoins la tête est bien supérieure au reste des membres. Dans tous les autres, vous navez de sentiment que par le tact; cest en touchant quils sentent, mais cest par la tête que vous entendez, que vous voyez, que vous flairez, que vous goûtez, que vous touchez. Si telle est la supériorité de la tête sur les autres membres, quelle ne sera pas lexcellence de celui qui est le chef de lEglise, ou de cet Homme que Dieu a voulu établir médiateur entre Dieu et les hommes? Donc, ces hérétiques ont dit que lhomme, dont le Verbe sest revêtu, quand le Verbe sest fait chair, navait point lesprit humain, et seulement une âme privée de lintelligence humaine. Vous voyez de quoi lhomme est composé; de lâme et du corps. Mais il y a dans lâme de lhomme quelque chose de plus que dans lâme des bêtes. Car les bêtes aussi ont une âme, de là leur nom danimaux; et on ne les appellerait point animaux, si elles navaient une âme; nous voyons aussi quelles ont la vie. Qua donc de plus lhomme qui le marque à limage de Dieu? Cest quil comprend, cest quil raisonne, cest quil discerne le -bien du mal; cest en cela quil est fait à limage et à la ressemblance de Dieu. Il y a donc en lui quelque chose, que nont pas les animaux. Et quand il méprise sa supériorité sur les bêtes, il détruit en lui, il efface, et en quelque sorte il dégrade limage de Dieu; en sorte que cest à ces hommes quil est dit: « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui sont sans intelligence 2». Ces hérétiques ont donc soutenu que Notre-Seigneur Jésus-Christ navait point lesprit humain, ni ce que les Grecs appellent logikon, ce que nous appelons la raison, cette partie de lâme qui
1. Marc, I, 7. 2. Ps. XXXI, 9.
(246)
raisonne et que nont point les animaux. Quelle est donc leur doctrine? Ils enseignent que le Verbe de Dieu était, dans son humanité, ce que lesprit est en nous. LEglise les a rejetés, la foi catholique les a eus en horreur, et ils ont formé une secte hérétique. La foi catholique a déclaré que cet homme, dont la sagesse divine a daigné se revêtir, navait rien de moins que les autres hommes, pour ce qui est de lintégrité de nature ; mais que lexcellence de la personne le rendait supérieur aux autres hommes. Car on peut dire des autres quils participent au Verbe de Dieu, puisque le Verbe de Dieu est en eux; mais aucun deux ne peut être appelé Verbe de Dieu, comme la été celui-ci dans 1Evangile : « Le Verbe sest fait chair 1». 3. Dautres hérétiques, issus de ces derniers, ont refusé à cet Homme-Dieu, à ce Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, non-seulement la raison, mais lâme humaine. Ils ont soutenu quil était Verbe et chair, mais quil ny avait en lui ni raison humaine, ni hie humaine. Voilà ce quil,s enseignaient. Quétait donc Jésus-Christ, selon eux? Le Verbe et la chair. LEglise les a rejetés aussi et séparés de ses brebis, de la vraie et simple croyance, et a déclaré, comme je viens de le dire, que lhomme médiateur eut tout ce qui est de lhomme, à lexception du péché. Si en effet, nous voyons en lui beaucoup dactions corporelles, qui nous démontrent quil avait un corps véritable, et non un corps fictif; comment voulons-nous entendre quil avait un corps? Ainsi, il marche, il sassied, il dort, il est saisi, flagellé, souffleté, cloué à la croix, il meurt. Otez le corps, et rien de tout cela naura lieu. Comme donc à toutes ces marques de lEvangile nous reconnaissons que le Christ avait un corps véritable, ainsi que lui-même latteste après sa résurrection, quand il dit: « Touchez et voyez, un esprit na point une chair et des os, comme vous men voyez 2 »; comme à ces indices et à ces actes, nous croyons, nous comprenons, nous reconnaissons que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait un corps, ainsi dautres particularités de la nature nous font croire quil avait une âme. Avoir faim et soif, sont des oeuvres de lâme ôtez lâme, et le corps inanimé ne sentira plus ces besoins. Sils soutiennent que ces besoins étaient fictifs, nous ne verrons non plus que
1. Jean, I, 14. 2. Luc, XXIV, 39.
4. Quoi donc? ô homme qui mécoutes, le Seigneur sest fait infirme comme toi, sans doute, mais ne va point te comparer à lui. Tu nes quune créature, et lui est créateur. Que le Verbe Fils de Dieu, que ton Dieu se soit fait homme, ce nest point une raison de comparer cet homme avec toi-même, mais bien de lélever au-dessus de toi, puisquil est ton médiateur, et au-dessus de toute créature, puisquil est Dieu : et de comprendre enfin que celui qui se fait homme pour toi, peut bien sabaisser à prier pour toi; et si la prière nest point une dérogation à sa dignité, il peut aussi, sans dérogation, dire pour toi ces paroles: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez élevé, et que vous navez point donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Mais si nous nentendons bien de quels ennemis il sagit, nous fausserons ces paroles, en les mettant dans la bouche de Jésus-Christ. Comment le Christ dira-t-il avec vérité: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez élevé, et que vous navez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? » Comment cela serait-il vrai, de son humanité, de sa faiblesse, de sa chair? car il fut un sujet de triomphe pour ses ennemis, lorsquils le crucifièrent, quils le saisirent, quils le flagellèrent, quils le souffletèrent, en lui disant : « Prophétise-nous, ô Christ 1 ». Cette joie quils eurent nous force en quelque sorte de croire à la fausseté de ces paroles : « Et vous navez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine ». Ensuite, quand il était à la croix, ils passaient ou sarrêtaient, ils le fixaient en branlant la tête et en disant : « Voyez ce Fils de Dieu, il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même; quil descende de la croix et nous croirons en lui 2 » Ne tressaillent-ils pas en lui jetant ces injures? Que devient donc cette parole : « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez élevé, et que vous navez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? » 5. Peut-être cette parole nest-elle point de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais de lhomme, mais de lEglise entière, du peuple chrétien
(247)
parce quen Jésus-Christ tous les hommes ne font quun seul homme, et que tous les chrétiens unis ne forment quun seul homme. Peut-être est-ce lhomme lui-même, lunité chrétienne qui dit: « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez relevé, et que vous navez pas permis que mes ennemis aient la joie de ma ruine ». Mais comment cela peut-il être vrai à leur sujet? Les Apôtres nont-ils pas été saisis, frappés, battus de verges, mis à mort, cloués à la croix, brûlés vifs, condamnés aux bêtes, ces hommes dont nous célébrons aujourdhui la mémoire? Quand les hommes les traitaient de la sorte, ne tressaillaient-ils pas de leur ruine? Comment donc le peuple chrétien même peut-il dire: « Je vous exalterai, ô Dieu, parce que vous navez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine? » 6. Nous le comprendrons si nous nous arrêtons au titre du psaume. Ce titre est en effet: « Pour la fin, psaume pour David, chanté « à la dédicace de son palais 1 ». Cest dans ce titre que nous espérons trouver le secret délucider cette question. Un jour sera dédié cet édifice que lon construit aujourdhui. Cet édifice qui est lEglise se construit maintenant, plus tard on en fera la dédicace; or, à cette dédicace éclatera la splendeur du peuple chrétien, splendeur cachée aujourdhui. Laissons donc nos ennemis sévir contre nous, et nous humilier, faire non plus ce quils veulent, mais ce que Dieu leur permet. Il ne faut pas attribuer à nos ennemis tout le mal quils nous font endurer; il nous vient quelquefois du Seigneur notre Dieu. Car le Médiateur nous a montré par son exemple que quand il permet que les hommes nous nuisent, il ne leur en donne point la volonté, mais seulement le pouvoir. Tout méchant trouve eu lui-même la volonté de nuire; mais la puissance de nuire nest point abandonnée à sa discrétion. Cette volonté le rend coupable; mais la puissance du mal lui vient des dispositions mystérieuses de la Providence divine, qui lui permet dagir, afin de châtier lun, de mettre lautre à lépreuve, de couronner un troisième. De châtier les uns, comme il permit autrefois aux étrangers, en grec allophuloi, dasservir le peuple dIsraël, qui avait péché contre son Dieu 2. De mettre les autres à lépreuve, comme il permit au diable de tenter Job 3. A Job le
1. Ps. XXIX, 1. 2. Juges, X, 7 ; XIII, 1. 3. Job, I, 12
triomphe, au démon la honte. De couronner les autres, comme il livra les martyrs aux persécuteurs. Les martyrs furent égorgés, et leurs bourreaux se crurent vainqueurs: ceux-ci obtinrent aux yeux du monde un faux triomphe, ceux-là une couronne invisible, mais réelle. houe le pouvoir des méchants entre dans les vues de la Providence divine; mais la volonté de nuire appartient à lhomme, qui ne donne pas toujours la mort comme il le voudrait. 7. Voilà donc le Seigneur lui-même, juge des vivants et des morts, qui se présente à la barre dun tribunal, devant un homme; ce nest pas un vaincu, mais il veut apprendre à tout soldat la manière de combattre; et quand le juge lui dit, avec une menace pleine dorgueil: « Ne sais-tu pas que jai le pouvoir de tabsoudre ou de tenvoyer à la mort? » il réprime cette insolence, par une réponse qui doit lui ôter toute enflure : « Tu naurais aucun pouvoir sur moi», lui dit-il, «sil ne tétait donné den haut 1 ». Et Job, dont le diable venait de tuer les enfants et de dissiper tous les biens, que répond-il? « Dieu a donné, Dieu a ôté; ainsi quil a plu au Seigneur, il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Que lennemi ne sapplaudisse point de son oeuvre: pour moi, dit-il, je sais qui lui en adonné le pouvoir ; au démon la volonté de nuire, mais à Dieu le pouvoir déprouver les hommes. Quand son corps est couvert de plaies, voici venir sa femme, qui lui est laissée, comme une autre Eve, pour venir en aide au démon, non pour consoler son époux; elle essaie de lébranler, et lui dit, parmi ses outrages: « Parlez contre Dieu et mourez 3 ». Et ce nouvel Adam fut plus ferme sur son fumier, que le premier dans le paradis. Le premier Adam prêta loreille à sa femme 4, dans ce paradis, dont il se fit chasser. Le second Adam, sur son fumier, repoussa la femme, et mérita dentrer dans le paradis. Et ce nouvel Adam, assis sur son fumier, qui enfantait limmortalité au dedans, quand au dehors il était la pâture des vers, que dit-il à sa femme? «Tu as parlé comme une femme insensée: « si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi nen pas accepter les maux 5? » Il dit encore que cest la main de Dieu qui est sur lui, quand cest le diable qui
1. Jean, XIX, 10, 11. 2. Job, I, 21. 3. Id. II, 9. 4. Gen, III, 4. 5. Job, II, 10.
(248)
la frappé; parce que son attention ne sarrêtait pas à celui qui frappait, mais à celui qui permettait. Le diable, à son tour, appelle main de Dieu ce pouvoir quil sollicitait. Car voulant trouver des crimes dans cet homme juste à qui Dieu rendait témoignage, Satan dit à Dieu: «Est-ce en vain que Job rend un culte au Seigneur? Ne lavez vous pas entouré comme dun rempart, lui, sa maison, et tous ses biens? Vous avez béni le travail de ses mains, et ses possessions se sont accrues sur la terre; vous lavez comblé de si grands biens, que cest pour cela quil vous sert. Mais étendez votre main sur lui, frappez tout ce qui lui appartient, et vous verrez sil vous bénira 1 ». Que signifie : « Etendez votre main », quand lui-même voulait frapper? Comme il ne pouvait lui-même frapper, il appelle main de Dieu, ce pouvoir de frapper quil reçoit du Seigneur. 8. Que dirons-nous donc, mes frères, à la vue de ces grands maux, que nos ennemis ont fait endurer aux chrétien-s, de leur délire, de leur joie féroce? Quand sera-t-il donc visible, que leur joie était fausse? Quand les uns seront couverts de honte, et les autres dans lallégresse, à lavènement du Seigneur notre Dieu, qui viendra, portant dans ses mains les récompenses de chacun; aux impies, la damnation ; aux justes, le royaume; aux pécheurs, la société avec le diable ; aux bons, la société avec Jésus-Christ. Quand le Seigneur se montrera de la sorte, et que les justes se lèveront avec une grande force; je vous cite les saintes Ecritures, souvenez-vous de ces paroles du livre de la Sagesse : « Les justes donc se lèveront avec une grande force coutre ceux qui les auront tourmentés; et ceux-ci diront en eux-mêmes, se repentant et gémissant dans langoisse de leur esprit: «Que nous a servi lorgueil, que nous a rapporté le vain étalage de nos richesses? Toutes ces choses ont passé comme lombre 2 ». Et que diront-ils, à propos des justes? « Comment leur place est-elle parmi les enfants de Dieu , et leur partage avec les saints? » Alors se fera la dédicace de cet édifice que lon construit aujourdhui dans la tribulation; et cest alors que ce peuple de Dieu chantera dans sa joie: « Je vous exalterai, Seigneur, «parce que vous mavez soutenu, et que vous navez pas donné à mes ennemis la joie de
1. Job, I, 9-11. 2. Sag. V, 1, 8, 9.
ma ruine ». Cette parole sera donc vraie dans le peuple de Dieu, qui est aujourdhui dans loppression, qui gémit aujourdhui sous le poids de tant dépreuves, de tant de scandales, de tant de persécutions, de tant dangoisses. Quiconque navance point dans la vertu, ne connaît point dans lEglise ces douleurs de lâme, et simagine que tout est en paix: mais quil avance, et il se trouvera dans loppression. Ce ne fut que quand lherbe eut poussé et produit son fruit, que livraie parut aussi 1. « Et quiconque multiplie la science multiplie aussi la douleur 2 ». Quil avance, et il verra où il en est : quil y ait du fruit, et livraie se montrera. Le mot de saint Paul est bien vrai, et depuis le commencement jusquà la fin du monde, on ne leffacera point: « Tous ceux » dit-il, « qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront persécution ; quant aux méchants et aux imposteurs, ils se fortifieront de plus en plus dans le mal, marchant dans lerreur et y jetant les autres 3 ». Nest-ce point là, le sens de ces paroles du psaume : « Attends le Seigneur, agis avec « force, affermis ton âme, et attends le Seigneur 4? » Cétait peu davoir dit une fois: « Attends le Seigneur », il le répète, de peur quon ne vînt à se lasser après avoir attendu deux, trois, ou quatre jours sans que la persécution prît fin. Il ajoute alors : « Agis avec force»; puis: «Affermis ton coeur ». Et comme il doit en être ainsi depuis le commencement jusquà la fin du monde, il répète à la fin le mot du commencement: « Attends le Seigneur ». Les maux qui taffligent passeront, celui que tu attends viendra; il essuiera tes sueurs, il séchera tes larmes, et tu nauras plus à pleurer. Ici-bas, gémissons dans la tribulation, selon cette parole de Job: « La vie de lhomme, sur la terre, nest-elle pas une épreuve 5» 9. Toutefois, mes frères, en attendant ce jour où se fera la dédicace de lédifice, considérons que déjà la dédicace en est faite dans celui qui est notre chef; la dédicace de lédifice est donc effectuée, déjà, et dans le faîte, et dans la pierre fondamentale. Mais le faîte, me direz-vous, est en haut; la pierre fondamentale, est en bas; et peut-être y a-t-il erreur à moi, de dire que le Christ est cette base; il en est plutôt le faîte, puisquil est
1. Matt. XIII, 26. 2. Eccl. I, 18. 3.II Tim. III, 12, 13. 4. Ps. XXVI, 14. 5. Job, VII, 1
(249)
monté aux cieux, pour sasseoir à la droite de son Père. Néanmoins, je ne crois pas mêtre trompé; car lApôtre a dit: « Nul ne peut poser une base autre que celle qui a été posée, et cette base est Jésus-Christ : si lon élève sur cette base un édifice en or, en argent ou en pierres précieuses 1». Ceux qui mènent une vie sainte, qui honorent et qui bénissent Dieu, qui sont patients dans les tribulations, qui soupirent après la patrie, ceux-là bâtissent en or, en argent, en pierres précieuses ; ceux qui aiment encore le monde, qui sont encore impliqués dans les affaires dici-bas, enchaînés par des affections charnelles à leurs domaines, à leurs épouses, à leurs enfants, et qui néanmoins demeurent chrétiens, de sorte que leur coeur ne se sépare point du Christ, et ne, met rien avant le Christ, de même quen construisant on ne met rien avant la base; ceux-là bâtissent, à la vérité, mais en bois, en foin, en paille. Or, que dit saint Paul après cela? « Le feu éprouvera louvrage de chacun ». Le feu de lépreuve et de la tribulation; cette flamme qui a éprouvé ici-bas plusieurs martyrs, et qui éprouvera la race humaine au dernier jour. Il sest trouvé des martyrs qui avaient de ces liens du monde. Combien de riches et de sénateurs ont enduré la mort ! Cependant quelques-uns dentre eux bâtissaient en bois, en foin, en paille, à cause des soins et des affections de la chair et du monde; mais comme ils avaient le Christ pour base, et quils construisaient sur cette pierre fondamentale, le foin a brûlé, et eux ont subsisté sur le fondement. Cest ce que nous dit lApôtre: « Si louvrage de quelquun subsiste, il en recevra la récompense 2 », et sans aucune perte; car il trouvera ce quil a aimé. Qua donc fait à ces hommes le feu de la tribulation? Il les a éprouvés: « Si louvrage de quelquun subsiste, il en recevra la récompense; mais celui dont loeuvre sera consumée par le feu, en subira un dommage ; il sera néanmoins sauvé, mais comme par le feu 3 ». Or, nêtre pas atteint du feu, est bien différent dêtre sauvé en passant par le feu. Doù vient ce salut? De la base de lédifice. Que cette base ne séloigne donc jamais de notre coeur. Ne pose jamais cette base sur le foin, cest-à-dire ne préfère point le foin ou la paille à cette pierre fondamentale, en sorte que la première place dans ton
1. I Cor. III, 11. 2. Id. 13. 3. Id. 14, 15.
10. Le Christ est donc pour nous la pierre fondamentale. Et comme je le disais, la dédicace de notre faîte a eu lieu, et ce faîte est aussi notre pierre fondamentale ; mais ordinairement cette pierre est en bas, dans un édifice, tandis que le faîte est en haut. Comprenez bien mon langage, mes frères, peut-être Dieu maidera-t-il à parler clairement. Il y a deux sortes de poids, on appelle poids cette rapidité avec laquelle tout objet tend à regagner sa place : tel est le poids. Vous prenez à la main une pierre, aussitôt vous en sentez le poids qui pèse sur cette main, parce quelle cherche son centre. Voulez-vous voir ce quelle cherche? Retirez votre main, elle tombe à terre et y repose : elle est parvenue à la place quelle cherchait, elle a trouvé son centre. Ce poids est comme un mouvement spontané, sans âme ni sentiment. li y a dautres objets qui ont une tendance à sélever. Jetez de leau sur de lhuile, son poids lentraîne aussitôt en bas. Elle cherche sa place, elle veut être à son rang, et il est contraire à la nature de leau dêtre sur lhuile. Donc jusquà ce quelle soit à sa place naturelle, et quelle trouve son centre, elle éprouve un mouvement continuel. Mais au contraire, jetez de lhuile sur de leau: quun vase dhuile, par exemple, tombe dans leau, dans la mer, ou dans un lac, et sy brise, lhuile ne peut se tenir en dessous : et de même que leau jetée sur lhuile tend à descendre au fond du vase, lhuile, au contraire, jetée sur leau, tend par son poids à sélever à la surface. Si donc, mes frères, il en est ainsi, quelle est la tendance réciproque du feu et de leau? Le feu sélève et cherche sa place en haut leau cherche aussi sa place que lui assignera son poids. Une pierre descend en bas, il en est de même des bois, des colonnes, de la terre, qui servent à construire des habitations. Tout cela est du nombre des objets que leur poids fait descendre. Il est donc visible par là quils ont en bas le fondement qui les soutient, puis. quils y sont entraînés par leur poids naturel; et que sans cette base de sustentation, tout croulerait, puisque tout a sa tendance vers la terre. Cest donc en bas quil faut poser un (250) fondement aux corps qui ont une tendance à descendre. Mais lEglise de Dieu, construite sur la terre, fend à sélever au ciel. Cest donc là quest sa pierre fondamentale, qui est Jésus-Christ Notre-Seigneur, assis à la droite de son Père. Si donc, mes frères, vous avez compris que la dédicace de notre pierre fondamentale est déjà faite, écoutons et parcourons brièvement tout le psaume. 11. « Je vous exalterai, Seigneur, parce que vous mavez élevé, et que vous navez pas donné à mes ennemis la joie de ma ruine1 ». A quels ennemis? Aux Juifs. Par la dédicace de la pierre fondamentale, nous devons entendre la dédicace de notre palais à venir. Ce qui se dit aujourdhui de la pierre fondamentale, se doit dire alors du palais tout entier. Quels sont donc ces ennemis dont il est question? Sont-ce les Juifs ou bien le diable et ses anges, qui ont dû senfuir couverts de honte, à la résurrection du Christ? Le prince de la mort eut la douleur de voir la mort vaincue. « Et vous navez pas souffert que mes ennemis se réjouissent à mon sujet »; car les enfers nont pu me retenir. 12. « Seigneur, mon, Dieu, jai crié vers «vous et vous mavez guéri 2 ». Le Seigneur avant sa passion pria son Père 3 sur la montagne, et son Père le guérit. Comment guérir celui qui na point langui? Est-ce le Verbe Dieu, ce Verbe qui est la divinité, qui a été guéri? Non, mais il portait une chair mortelle, il portait ta blessure, celui qui devait ten guérir. Cette chair a donc été guérie. Quand? A la résurrection du Christ. Ecoute lApôtre, et constate une véritable guérison «La mort», dit-il, « a été ensevelie dans son triomphe. O mort! où est donc ton aiguillon? O mort! où est ta prétention 4? » Ce sera donc à nous de chanter un jour ce triomphe que Jésus-Christ chante aujourdhui. 13. « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau ». Il nest pas besoin dexpliquer ce passage. « Vous mavez séparé de ceux «qui descendent dans labîme5 ». Qui donc descend dans labîme? Tous les pécheurs qui se plongent dans le gouffre. Car cet abîme, cest la profondeur du siècle; et quest-ce que la profondeur du siècle? Cest locéan de la luxure et de liniquité. Celui-là dès lors descend dans labîme, qui se plonge dans la
1. Ps. XXIX, 2. 2. Id. 3. 3. Matt. XXVI, 39. 4. I Cor. XV, 54 5. Ps, XXIX, 4.
14. « Saints du Seigneur, célébrez ses louanges 1 ». Puisque votre chef est ressuscité, vous qui êtes ses membres, espérez pour vous ce que vous voyez en lui: espérez pour les membres ce que vous croyez pour la tête. Cest un proverbe ancien et réel, que là où est la tête, là sont aussi les membres. Jésus-Christ, notre chef, est au ciel; cest là que nous le suivrons. Il nest point demeuré dans labîme, il est ressuscité pour ne plus mourir; pour nous, non plus, il ny aura plus de mort quand nous aurons passé par la résurrection. Dans la joie de ces promesses, « chantez donc au Seigneur, vous qui êtes ses saints, et rendez témoignage au souvenir de sa sainteté 2 ». Quest-ce: « Rendez témoignage au souvenir? » Vous lavez oublié, mais lui sest souvenu de vous. 15. « Sa colère amène le châtiment, et la vie est dans sa volonté ». Le châtiment est dans son indignation contre le pécheur: « Au jour où vous en mangerez, vous mourrez 3 ». Nos parents y portèrent une main rebelle, et furent chassés du paradis, parce que sa colère amène le châtiment; mais ce châtiment nest point sans espérance, car « la vie est dans sa volonté ». Quest-ce à dire « dans sa volonté? » Non pas dans nos propres forces, non plus que dans nos propres mérites; mais il nous a sauvés, parce quil la voulu; et non parce que nous en étions dignes. De quoi le pécheur peut-il être digne, sinon du châtiment? Il nous a donné la vie, et sil la conserve au pécheur, que ne réserve-t-il pas au juste? 16. « Le soir sécoulera dans les pleurs 4 ». Ne vous effrayez point si le Prophète nous parle de gémir après nous avoir dit: « Chantez dans la joie » ; le chant est lexpression de la joie, la prière celle du gémissement. Gémissez donc sur votre état présent, chantez votre avenir; gémissez de la réalité actuelle, chantez votre espérance. « Le soir sécoulera dans les pleurs ». Quel est « ce soir qui voit les pleurs ? » Le soir, cest le moment où le soleil se couche. Or, le soir sest couché pour lhomme, cest-à-dire cette lumière de la justice qui est la présence de Dieu en nous. Que
1. Ps. XXIX, 5. 2.Id. 6. 3. Gen. II, 17. 4. Ps.XXIX, 5.
(251)
dis, et tu es ressuscité le troisième jour. Comment le troisième jour? A suivre le cours des temps, il y a un jour avant la loi, un second jour sera le temps de la loi, le troisième, le temps de la grâce. Ce que votre chef a montré en lui-même pendant ces trois jours, se manifestera aussi en vous dans les trois jours de cette vie. En quel temps ? Cest au matin quil faut être dans lespérance et dans lallégresse ; maintenant, cest le temps de la douleur et des gémissements. 17. « En mes jours dabondance , jai dit : Je ne serai jamais ébranlé3 ». Dans quelle abondance lhomme a-t-il pu dire: «Je ne serai jamais ébranlé? » Nous entendons ici, mes frères, lhomme vraiment humble. Qui donc est ici-bas dans labondance? Personne. Quelle serait labondance de lhomme? Les misères et la douleur. Pour les riches, direz-vous, il est une abondance. Plus ils possèdent, plus ils sont pauvres. Les convoitises les dévorent, les passions les agitent , les craintes les déchirent, les chagrins les dessèchent : où est donc leur abondance ? Lhomme avait labondance dans le paradis terrestre, quand rien ne lui manquait, et quil jouissait de Dieu ; mais il a dit : « Je ne
1. Gen. III, 8 2. Matt. XXVIII, 1. 3. Ps. XXIX, 7.
serai point ébranlé éternellement ». Comment a-t-il pu dire : « Je ne serai jamais ébranlé? » Quand il écouta cette parole: « Goûtez et vous serez comme des dieux »; lorsquà cette parole du Seigneur : « Au jour où vous en mangerez, vous mourrez », le diable opposait celle-ci : « Vous ne mourrez point 1 ». Lhomme alors trop crédule écoutait les suggestions du diable et disait: «Je ne serai point ébranlé à jamais ». 18. Mais le Seigneur avait dit vrai en menaçant denlever au superbe ce quil avait donné à lhomme humble, en le créant; et le Prophète ajoute : « Seigneur, dans votre bonté, vous aviez réuni en moi la beauté et la force 2 » : cest-à-dire, je navais de moi-même ni force ni beauté; toute ma beauté, toute ma force me viennent de vous: cette bonté qui vous déterminait à me créer, vous avait fait unir en moi la beauté à la force, Et pour me montrer que je devais à votre volonté dêtre ainsi, « vous avez détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble 3 » Dieu détourna sa face de ce pécheur quil expulsait du paradis. Alors, dans son exil, quil sécrie et quil dise : «Je crierai vers vous, Seigneur, je vous supplierai, ô mon Dieu 4 ». Dans le paradis, tu nauras pas à crier, mais à chanter le Seigneur; point a gémir, mais à jouer: tu en es chassé, il faut gémir, il faut crier. Celui qui abandonne lorgueilleux, revient à lhomme qui, sent sa misère. « Car Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles 5 ». Je crierai donc vers vous, ô mon Dieu; Seigneur, «je vous supplierai». 19. Ce qui suit maintenant est propre à Notre-Seigneur, qui est notre pierre fondamentale : « Quest-il besoin de verser mon sang, si je dois men aller en pourriture 6? » Quel est lobjet de sa prière ? La résurrection, Si je descends dans la corruption, dit-il, et que ma chair sen aille en pourriture comme celle des autres hommes, pour ressusciter au dernier jour, à quoi bon répandre mon sang? Si ma résurrection ne seffectue maintenant, je ne la prêcherai à personne, je ne gagnerai aucun disciple; mais pour que jannonce à quelquun vos merveilles, vos louanges, la vie éternelle, il faut que je ressuscite en ma chair et quelle ne sen aille pas en corruption. Si
1. Gen. III,4, 5. 2. Ps. XXIX, 8. 3. Gen. III, 23. 4. Id, 9. 5. Jacques, IV, 6. 6. Ps. XXIX, 10.
(252) elle doit sen aller comme celle des autres hommes, quest-il besoin de verser mon sang? « La poussière vous confessera-t-elle, ou prêchera-t-elle votre vérité ? » Il y a deux confessions, lune des péchés, lautre des louanges. Dans le malheur, nous confessons à Dieu nos péchés, avec componction; dans la joie, nous chantons avec allégresse la justice de Dieu: gardons-nous toutefois dêtre jamais sans aucune confession. 20. « Le Seigneur ma écouté et ma pris en pitié». De quelle manière? Souvenez-vous de la dédicace du palais. Le Seigneur a écouté, il a pris en pitié. « Il sest fait mon protecteur 1 ». 21. Ecoutez maintenant sa résurrection. «Vous avez changé mon deuil en joie : vous avez déchiré mon sac, pour me faire une ceinture dallégresse 2 ». Quel sac ? Ma mortalité. Un sac est tissu de poils de chèvres et de boucs: et chèvres et boucs ont leur place parmi les pécheurs3. Le Seigneur na donc pris parmi nous que le sac, et non le mérite du sac ; ce mérite du sac est le péché, tandis que le sac est la mortalité. Lui donc qui ne méritait pas la mort, sest revêtu dun corps mortel à cause de toi. Celui qui est pécheur mérite la mort; mais celui qui na cornais aucune faute, ne mérite point le sac. Cest lui qui sécrie en un autre endroit: « Pour moi, quand ils me tourmentaient, je me couvrais dun cilice 3 ». Quest-ce à dire: «Je me revêtais dun cilice? » Jopposais à mes persécuteurs ce que je tiens du cilice. Afin que ses persécuteurs le prissent pour un homme, il se dérobait à leurs yeux ; parce quils étaient indignes de voir celui qui sétait revêtu dun cilice. Vous avez donc rompu le sac «que je portais pour me faire une ceinture dallégresse ».
1. Ps. XXIX, 11. 2. Id. 12. 3. Matt. XXV, 32. 4. Ps. XXXIV, 3.
22. « Afin que ma gloire vous chante, et que nul aiguillon ne me meurtrisse ». Ce qui sest accompli dans le chef saccomplira aussi dans les membres. Quest-ce à dire: « Que je ne sois point-aiguillonné? » Que je ne passe plus par la mort. Car Jésus-Christ fut meurtri à la croix, quand il reçut un coup de lance. Notre chef sécrie donc: « Que je ne sois plus aiguillonné », ou que je ne meure plus. Mais nous, quel est notre langage à légard de cette dédicace du palais? Que la conscience ne nous stimule plus par laiguillon du péché; que tout nous soit pardonné, et alors nous serons libres. « Afin que je vous chante dans ma gloire », dit le Prophète, et non dans mon humiliation. Si cette gloire est la nôtre, elle est aussi du Christ, parce que nous sommes le corps du Christ. Pourquoi ? Parce que le Christ même, assis à la droite de Dieu, doit dire à quelques-uns : « Jai eu faim, et vous mavez donné à manger ». Il est dans le ciel et il est sur la terre ; dans le ciel en lui-même, sur la terre en nous. Que dit-il donc? « Afin que je vous chante dans ma gloire, et que je ne redoute plus aucun aiguillon». Ici cest moi qui gémis dans mon humilité; là haut, je vous chanterai dans ma gloire. Et enfin : «Seigneur, mon Dieu, je vous confesserai éternellement ». Quest-ce à dire : « Je vous confesserai éternellement ? » Je vous louerai dans léternité, car notas avons dit quil y a une confession de louanges et que la confession ne se dit pas seulement des péchés. Confesse donc aujourdhui ce que tu as fait contre Dieu, et tu chanteras ensuite la bonté du Seigneur à ton égard. Quas-tu fait? des péchés. Qua fait le Seigneur? Il te pardonne ton iniquité, à condition que tu confesseras tes fautes, afin que tu chantes ses louanges dans léternité, et que tu ne sois plus aiguillonné par le péché. (253)
|