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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXX.LE JUSTE PERSÉCUTÉ
Le peuple de Dieu environné des scandales de lidolâtrie mettait sa confiance dans le Seigneur. Il en est de même du Christ dont le psaume est une prophétie, et qui remet son âme entre les mains de son Père avec lespoir de la recouvrer bientôt par la résurrection. Le fidèle aussi, eu butte aux persécutions, doit se confier au Seigneur qui ne tabandonnera point.
POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID EN EXTASE (1).
1. Pour la fin, psaume pour David ou pour notre médiateur, qui a montré dans les persécutions une main puissante. Le mot dextase ajouté au titre, marque cette exaltation de lesprit qui est leffet de la frayeur ou dune révélation. Mais le psaume qui nous occupe, nous montre principalement cette crainte quéprouve le peuple de Dieu en face de la persécution de tous les païens, et de la foi qui saffaiblissait sur la terre. Cest le médiateur qui parle tout dabord, et ensuite le peuple quil a racheté par leffusion de son sang lui rend ses actions de grâces, puis à la fin il parle longuement dans son trouble, ce qui est leffet de lextase. Deux fois le Prophète parle en son propre nom; peu avant la fin, puis à la fin. 2. « Jai mis en vous mon espoir, Seigneur, et je ne serai jamais confondu 2 ». Seigneur, mon espérance en vous ne sera point confondue, tant quon ninsultera en moi quun homme semblable aux autres hommes. « Dans votre justice, délivrez-moi et sauvez-moi ». Dans votre justice, délivrez-moi de labîme de la mort, séparez-moi de ceux quil engloutit. 3. « Prêtez loreille à mes cris 3 ». Exaucez-moi dans mon humilité, approchez-vous de moi. « Hâtez-vous de me délivrer ». Nattendez point pour moi comme pour ceux qui croient en moi, la fin des temps pour me délivrer des pécheurs. « Soyez pour moi un Dieu propice ». Protégez-moi en Dieu. « Soyez pour moi une forteresse et sauvez-moi », comme un asile sûr où je trouve le salut par la fuite. 4. « Cest vous qui êtes ma force et mon refuge4 ». Car vous me donnez le courage
1. Ps. XXX, 1. 2. Id.2. 3. Id.3. 4. Id.4.
pour endurer les persécutions de mes ennemis, vous êtes lasile où je puis leur échapper, « Pour la gloire de votre nom, vous serez mon guide et mon aliment 1 ». Afin de faire connaître votre nom à tous les peuples, jaccomplirai en tout votre volonté, et en amenant les Saints, vous compléterez mon corps mystique et lui donnerez sa stature parfaite? 5. « Vous me tirerez du piége quils ont caché pour moi 2 ». Vous marracherez aux embûches secrètes quils me tendent. « Parce que cest vous qui êtes mon protecteur ». 6. « Je remets mon âme entre vos mains3 », Je confie à votre puissance, cette âme que je recevrai bientôt. « Vous mavez racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Que le peuple racheté par les souffrances de son Dieu, et qui chante la gloire de son chef, sécrie avec transport : « Vous mavez racheté, Seigneur, vous qui êtes le Dieu de vérité ». 7. « Vous haïssez les adorateurs de la vanité et du néant 4 ». Vous haïssez ceux qui sattachent à la fausse félicité de ce monde. « Mais moi, Seigneur, jai mis mon espoir en vous ». 8. « Je me réjouirai, je triompherai dans votre miséricorde », qui ne me trompe jamais. « Parce que vous rivez regardé mon humiliation 5 », par laquelle vous mavez assujetti à la vanité, mais avec lespérance. « Vous avez arraché mon âme à langoisse s Vous avez délivré mon âme des tourments de la crainte, afin quelle pût vous servir librement dans la charité. - 9. « Vous ne mavez point resserré dans les mains de mes ennemis 6 ». Vous ne mavez point resserré, de manière à môter tout moyen daspirer après ma délivrance, à mabandonner
1. Ps. XXX, 4 2. Id. 5. 3. Id, 6. 4. Id. 7. 5. Id. 5, 6. Id. 9.
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pour jamais sous la puissance du démon qui nous embarrasse dans les convoitises de cette vie, et nous effraie par la mort. « Vous avez affermi mes pas dans la voie spacieuse ». La résurrection du Sauveur, que je connais, la mienne qui mest promise, dégagent mon amour des étreintes de leffroi et lui ouvrent la voie spacieuse de la liberté. 10. « Ayez pitié de moi, ô Dieu, parce que je suis dans laffliction ». Doù vient chez mes persécuteurs cette cruauté soudaine qui minspire de leffroi? « Ayez pitié de moi, ô Dieu ». Ce nest point la mort qui meffraie, mais bien les tortures et les douleurs. « La colère a jeté le trouble dans mes yeux ». Craignant dêtre abandonné, je vous suppliais du regard, et la colère y a jeté le trouble. « Il sen est de même de mon âme et de mes entrailles». Cette même colère a aussi troublé non âme et ma mémoire, qui me rappelait et les douleurs de mon Dieu pour moi, et ses promesses. 11. « Ma vie a défailli dans la souffrance2 ». Ma vie est de confesser votre nom, mais elle a défailli dans la douleur, quand lennemi a dit: Les chrétiens à la torture jusquà labjuration. « Mes années sécoutent dans les gémissements ». On nabrège point par la mort ces jours que je dois passer ici-bas, mais on me laisse vivre, et vivre dans les gémissements. « La disette affaiblit ma vigueur ». Mon corps a besoin de santé, et on ne lui épargne pas les tourments ; jai besoin de mourir et on me le refuse; dans ce double besoin, mon espoir saffaiblit. « Et mes ossements sont dans le trouble ». Et le trouble vient ébranler ma constance. 12. « Plus que tous mes ennemis, je suis devenu un objet dopprobre 3 ». Tous mes ennemis sont des impies, et néanmoins ils ne subissent le châtiment de leurs crimes que jusquà laveu : pour moi, ma confusion est plus grande, javoue ma faute, et au lieu de la mort, je rencontre la douleur. « Mes voisins y trouvent de lexcès ». Cest là ce qui paraît excessif à ceux qui sapprochaient de moi pour vous connaître, et pour embrasser ma foi. « Ceux qui me connaissent en sont dans la stupeur ». La vue de mes souffrances a frappé dhorreur et de crainte ceux qui me connaissent. o Ceux qui me voyaient au s dehors senfuyaient loin de moi ». Ceux qui
1. Ps. XXX, 10. 2. Id. II. 3. Id. 12.
ne comprenaient pas mon espoir intérieur et invisible, se jetaient dans les joies visibles et superficielles. 13. « Je suis dans loubli comme un mort effacé du coeur 1 ». Ils mont oublié comme si jétais mort dans leur coeur. «Je suis pour eux comme un vase brisé ». Je me suis cru inutile au service de Dieu, en vivant ici-bas, sans lui gagner personne, car chacun craignait de sattacher à moi. 14. « Jai entendu le blâme de la multitude qui menvironnait 2 ». Dans mon pèlerinage ici-bas, jai reçu les outrages de la foule qui menvironnait, qui suivait le cours du siècle, et qui refusait de retourner avec moi dans la patrie éternelle. « Et comme ils sassemblaient contre moi , ils cherchaient les moyens de surprendre mon âme ». Pour amener à leurs complots mon âme qui pouvait leur échapper par la mort, ils ont formé le dessein de méloigner de la mort. 15. « Mais moi, Seigneur, jai mis en vous mon espoir; jai dit: Vous êtes mon Dieu 3 ». Car vous nêtes point changé et vous ne châtiez que pour sauver. 16. « Mon sort est entre vos mains 4 ». Mon sort est en votre puissance. Car je ne vois en moi aucun mérite qui ait fixé votre choix, pour me séparer de tous les hommes pécheurs. Sil est en vous quelque dessein juste et caché qui vous ait porté à me choisir, pour moi, je lignore, et cest le sort qui ma donné une part dans la robe du Seigneur 5. « Délivrez-moi des mains de mes ennemis et de mes persécuteurs 6 ». 17. « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face7 ». Faites connaître à tous les hommes qui ne pensent pas que je vous appartienne, que votre face est toujours attentive à mon sujet, et que je suis votre serviteur. « Sauvez-moi dans votre miséricorde ». 18. « Seigneur, que je ne sois point confondu, parce que cest vous que jinvoque 8 ». O Dieu, que je naie pas à rougir, devant ceux qui minsultent, davoir eu recours à vous. « Quant aux impies, quils rougissent, et soient conduits aux enfers ». Quils soient dans la confusion et dans les ténèbres, ceux qui adorent la pierre. 19. « Silence aux lèvres trompeuses 9 ». En faisant connaître aux peuples vos sacrements
1. Ps. XXX, 13. 2. Id. 14. 3. Id. 15 4. Id. 16. 5. Jean, XIX, 24. 6. Ps, XXX, 16. 7. Id. 17. 8. Id. 18. 9. Id 19.
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établis pour moi, imposez silence aux lèvres qui me calomnient, « qui profèrent loutrage contre le juste, avec mépris et dédain ». Qui aboient loutrage contre le Christ, et qui, dans leur orgueil, ne voient en lui quun méprisable crucifié. 20. « Combien est grande, ô Dieu, votre douceur ! 1 ». Cest le Prophète qui sécrie, dans son admiration et à la vue de si grandes merveilles: « Seigneur, combien est grande cette douceur, que vous réservez à ceux qui vous craignent ». Vous aimez ceux-là mêmes que vous châtiez; mais de peur quune trop grande sécurité ne les porte au relâchement, vous leur dérobez la douceur de votre amour, quand il leur est avantageux te vous craindre. « Mais vous la laissez sentir à ceux qui espèrent en vous ». Vous en laissez goûter la suavité à ceux qui ont mis en vous leur espoir. Car vous ne les privez point de ce quils ont espéré jusquà la fin avec tant de persévérance. « En présence des enfants des hommes ». Car les enfants des hommes, qui ne vivent plus selon le vieil Adam, mais selon le Fils de lhomme, « que vous cacherez dans le secret de votre face », nignorent plus quelle demeure éternelle vous réservez, dans le secret de votre science, à ceux qui espèrent en vous. « Loin des hommes perturbateurs ». En sorte que nul homme ne les vienne troubler. 25. « Vous les mettrez dans votre demeure à labri des contradictions des langues2 ». Mais tant quils seront ici-bas exposés aux langues fourbes qui leur disent : Qui connaît votre langage, qui est revenu doutre-tombe? vous les mettrez à labri de cette croyance aux actions humaines et aux douleurs temporelles du Christ en cette vie.
1. Ps. XXX, 20. 2. Id. 21.
22. « Béni soit le Seigneur qui a fait éclater « sa miséricorde dans la ville qui menvironne 1 ». Béni soit le Seigneur, car après le rude châtiment des persécutions, il a fait éclater sa miséricorde dans lunivers entier, et à tous les peuples de la terre. 23. « Pour moi, jai dit dans mon extases. Ce peuple reprend la parole et sécrie: Pour moi, dans ma stupeur, et sous-le glaive implacable des païens ; voilà que je suis repoussé loin de vos regards ». Car si vous aviez loeil sur moi, vous ne me laisseriez pas dans ces douleurs. « Aussi, avez-vous entendu la voix de ma prière, quand je criais vers vous 2 ». Alors, Seigneur, vous avez fait trêve au châtiment, et pour montrer que vous prenez soin de moi , vous avez exaucé la voix de ma prière, qui sexhalait à grands cris sous le poids de ma douleur. 24. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints». Dans ladmiration de ce quil voit, le Prophète invite encore les hommes à louer Dieu. « Aimez le Seigneur », dit-il, « ô vous qui êtes ses saints, parce que le Seigneur cherche la vérité 3. Et si le juste à peine est sauvé, où se cacheront le pécheur et limpie 4? Aux superbes il rendra largement leurs dédains». Il aura des châtiments sévères pour ceux qui ne cèdent point aux convictions de la vérité, retenus quils sont par un orgueil excessif. 25. « Fortifiez-vous, affermissez vos curs 5 ». Ne cessez de faire le bien, afin de récolter au temps de la moisson. « O vous, qui espérez dans le Seigneur ». Cest-à-dire, espérez dans le Seigneur, vous qui le craignez et le servez dignement.
1. Ps. XXX,22. 2. Id.23. 3. Id.24. 4. I Pierre, IV,18. 5. Ps. XXX, 25.
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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXX.PREMIER SERMON. ÉPREUVES ET ESPOIR DU CHRIST.
Dans ce premier sermon, qui embrasse environ le tiers du psaume, et qui dut être prêché quelques jours après la fête des saints Apôtres, saint Augustin nous montre quelle est lunité du Christ et de lEglise, la même quentre ta tête et les membres du corps humain, il bénit Dieu et sétend quelque peu sur les tentations et les nécessités de cette vie.
1. Pénétrons, autant quil nous sera possible, dans les mystères du psaume que nous venons de chanter, afin den tirer un discours qui tombe dans vos oreilles pour se graver dans vos coeurs. En voici le titre: « Pour la fin, psaume pour David, dans son extase 1». Nous savons ce que signifie « pour la fin u, si nous connaissons le Christ. Puisque lApôtre a dit: «Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 2 », ce nest point une fin qui anéantit, mais une fin qui perfectionne; car on emploie le mot fin en deux sens: ou quand il sagit dexprimer. lanéantissement de ce qui était, ou quand il faut préciser lachèvement de ce qui était commencé. Donc, « pour la fin », signifie pour le Christ. 2. « Psaume pour David : extase ». Le mot grec extase, autant quon peut le traduire en latin, se dit en un seul mot, transport ; et le transport de lesprit sappelle ordinairement extase. Mais par transport de lesprit on peut entendre deux choses, ou la crainte excessive, ou cette application aux choses du ciel qui nous lait oublier toutes les choses terrestres. Telle fut lextase des saints à qui Dieu révéla des secrets bien supérieurs au monde terrestre. Tel fut le ravissement desprit, cest-à-dire lextase, dont saint Paul nous dit en parlant de lui : « Si nous sommes hors de nous-mêmes, cest pour Dieu. Si nous devenons s plus calmes, cest pour nous; parce que damour de Jésus-Christ nous presse 3 ». Cest dire: Si nous voulions conformer nos actes et arrêter notre contemplation exclusivement aux choses qui nous sont révélées dans nos ravissements, nous ne serions plus avec vous, mais nous serions dans les choses du ciel, ayant pour vous une sorte de mépris. Comment pourriez-vous, dun pas faible, nous
1.Ps. XXX, 1. 2. Rom. X, 4. 3. II Cor. V, 13.
suivre dans ces régions célestes et intérieures, si dune part la charité de Jésus-Christ ne vous pressait, « lui qui ayant la nature de Dieu, na pas cru que ce fût pour lui une usurpation de ségaler à Dieu, mais qui sest anéanti, prenant la forme dun esclave 1» ; si dautre part nous ne considérions que nous sommes vos serviteurs, et que, pour nêtre point ingrats envers celui qui nous a élevés à de plus hautes faveurs, loin de dédaigner ceux quil a moins favorisés, nous devons, pour le salut des faibles, nous abaisser au niveau de ceux qui ne peuvent avec nous contempler ce quil y a de sublime? « Si donc nous sommes ravis en esprit», dit lApôtre, « cest vers Dieu ». Car il voit ce que nous voyons dans lextase, lui seul nous révèle ses secrets. Celui qui nous parle ainsi, dit encore quil fut ravi et élevé jusquau troisième ciel, et quil entendit des paroles mystérieuses quil nest pas donné à lhomme de redire. Tel fut ce ravissement desprit, quil ajoute : « Si ce fut avec son corps ou sans son corps, je ne le sais point; Dieu le sait 2 ». Si donc tel est le ravissement, si telle est lextase que nous marque le titre du psaume, nous devons attendre de grandes révélations de la part de celui qui la chanté, cest-à-dire du Prophète, et de lEsprit-Saint par lorgane du Prophète. 3. Si lextase ici doit se prendre pour leffroi, le texte du psaume ne contredira point cette autre signification. Car il semble que le Prophète va parler de la souffrance qui sallie avec la crainte. Mais de qui cette frayeur? Est-ce de Jésus-Christ? car le psaume porte « pour la fin o, et par cette fin nous entendons le Christ. Cette frayeur serait-elle notre frayeur? Car nous est-il possible de lattribuer au Christ aux approches de la passion,
1. Philipp. II, 6. 2.II Cor. XII, 2.
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puisquil était venu pour souffrir; et pouvait-il craindre en voyant arriver cette mort quil était venu chercher? Sil ny avait en lui quun homme, et nullement un Dieu, sa résurrection ne lui causerait-elle pas plus de joie que sa mort ne lui cause de crainte? Toutefois, comme il a daigné prendre la forme de lesclave, et par ce moyen nous revêtir de lui, voilà que celui qui na pas dédaigné de se revêtir de nous pour nous transfigurer en lui, voudra bien aussi prendre notre langage, afin que nous puissions nous approprier ses paroles. Tel est lineffable commerce, léchange merveilleux, la révolution divine opérée dans ce monde par le céleste négociateur. Il vient recueillir les outrages et nous combler dhonneurs; il vient se rassasier de douleurs, et nous donner le salut; il vient passer par la mort, et nous donner la vie. Sur le point de mourir dans ce quil tient de notre nature, il fut saisi de frayeur, non pas en lui, mais dans ce qui est de nous; car il dit alors que son âme était triste jusquà la mort 1, et nous tous alors nous étions en lui. Sans lui, en effet, nous ne sommes rien; en lui il y a le Christ et nous avec lui. Pourquoi? Parce que dans son intégrité, le Christ comprend sa tête et son corps. Cest la tête qui est le Sauveur, qui a racheté le corps, et qui est déjà remonté au ciel : le corps est cette Eglise qui souffre sur la terre2. Mais si le corps ne tenait à la tête par les liens de la charité, de manière que tête et corps ne formassent quun seul homme, il naurait pu faire ce reproche à un fameux persécuteur: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3 » Car alors il était assis dans le ciel, où nul homme ne peut latteindre; et comment les persécutions de Saul contre les chrétiens pouvaient-elles loffenser? Il ne dit point : Pourquoi persécuter mes saints, mes serviteurs; mais bien : « Pourquoi me persécuter? » cest-à-dire moi, dans mes membres. La tête criait pour les membres, le chef transfigurait ces membres en lui-même. La langue en effet parle au nom du pied. Que notre pied soit meurtri dans une foule, la langue sécrie aussitôt: Vous marchez sur moi. Elle ne dit point : Vous écrasez mon pied, mais elle se plaint quon lécrase quand nul ne la touche, parce quelle nest point séparée du pied qui souffre. On peut donc, dans un sens analogue, appeler cette extase une frayeur.
1. Matt. XXVI, 38. 2. Eph. V, 23. 3. Act. IX, 4.
Quajouterai-je, mes frères? Si nulle crainte ne devait agiter ceux qui vont souffrir, le Seigneur dirait-il à Pierre, en lui annonçant les souffrances qui lattendent , ces paroles que nous venons dentendre à la fête des Apôtres: « Lorsque vous étiez plus jeune, vous mettiez vous-même votre ceinture, et vous alliez où vous vouliez, mais quand vous aurez vieilli , un autre vous ceindra et vous mènera où vous ne voudrez pas ». Or, il parlait ainsi, dit lEvangéliste, marquant de quelle manière il devait mourir 1. Si donc lapôtre saint Pierre, cet homme si parfait, alla contre son gré où il ne voulait point aller, il mourut contre son gré, mais reçut de sou plein gré la couronne du martyre, quy a-t¨-il détonnant, si le trépas des justes et même des saints nest pas exempt de toute crainte? La crainte nous vient de linfirmité humaine, mais lespérance vient de la promesse divine, Ta frayeur, ô homme, vient de toi, mais lespérance est un don qui te vient de Dieu. Il est bon que ta frayeur te fasse connaître à toi-même, afin quà ta délivrance tu rendes gloire à ton Créateur. Que lhomme tremble, puisquil est faible, mais cette crainte nest pas un abandon de la divine miséricorde. Cest à cause de la crainte que le Prophète commence notre psaume, en sécriant: « Seigneur, jai mis en vous mon espoir, et je ne serai point confondu 2». Voyez, il craint et il espère; sa crainte, vous le voyez, nest point sans espérance. Le trouble que ressent parfois notre coeur, nen éloigne pas toute consolation divine. 4. Cest donc le Christ qui parle ici par son Prophète; oui, jose le dire, cest le Christ. Il dira dans le cours du psaume de ces chose qui paraissent peu convenir au Christ, à notre chef par excellence, et surtout à ce Verbe qui était Dieu au commencement, et en Dieu; souvent encore il y aura des paroles qui paraîtront peu daccord avec Celui qui a pris la forme de lesclave, et qui la prise au sein dune vierge : et néanmoins cest le Christ qui va parler, parce que le Christ est dans les membres du Christ. Et afin que vous compreniez que la tête et le corps ne forment quun seul Christ, lui-même nous dit en parlant du mariage: « Ils seront deux dans une seule chair; donc ils ne seront plus deux, mais une seule chair. » Mais parle-t-il de
1. Jean, XXI, 18 . 2. Ps. XXX, 2.
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tout mariage? Ecoutez lapôtre saint Paul : « Ils seront deux dans une même chair », est-il dit. « Ce sacrement est grand ; je dis dans le Christ et dans lEglise 1 ». Ainsi la tête et le corps, de même que lépoux et lépouse, seront deux et ne formeront en quelque sorte quune même personne. Cest encore cette unité de personnes, unité par excellence, que nous marque le prophète Isaïe, car le Christ prophétisant par sa bouche, disait : « Il ma séparé dune couronne comme un jeune époux, il ma donné la robe de lépouse 2 ». Cest lui qui se donne en même temps pour lépoux et pour lépouse; or, pourquoi sappeler lépoux et lépouse, sinon parce quils seront deux dans une même chair? Et si deux nont quune même chair, pourquoi deux nauraient-ils pas une seule et même voix? Que Jésus-Christ parle donc, puisque lEglise parle en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en lEglise; puisque le corps tient à la tête, et la tête au corps. Ecoutez lApôtre, qui nous explique ce mystère plus clairement: « De même que notre corps, qui est un, a néanmoins plusieurs membres, et que tous ces s membres du corps, bien que nombreux, ne e sont néanmoins quun seul corps, ainsi en est-il du Christ 3 ». En parlant des membres du Christ, ou des fidèles, il ne dit pas : Ainsi en est-il des membres du Christ ; mais il donne le nom de Christ à tout ce quil vient dénumérer. Comme le corps est unique, et a néanmoins plusieurs membres; mais tous les membres du corps, quoique nombreux, ne forment quun même corps: ainsi le Christ est multiple dans ses membres, unique dans son corps. Nous sommes donc tous ensemble en Jésus-Christ notre chef, et sans ce chef nous navons aucune valeur. Pourquoi ? Unis à notre chef, nous sommes la vigne; mais séparés du chef, ce quà Dieu ne plaise, nous ne sommes plus que des sarments retranchés, inutiles à tout usage pour les vignerons, et seulement destinés au feu. Aussi lui-même dit-il dans lEvangile : « Je suis la vigne, et vous sen êtes les branches, mon Père est le vigneron »; et encore : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire 4 ». Seigneur, si nous ne pouvons rien faire sans vous, nous pouvons tout avec vous. Car tout ce quil fait par nous, cest nous qui paraissons le faire. Il peut
1. Matt. XIX, 5,6 ; Eph. V, 31,32. 2. Isa. LXI, 10. 3. I Cor. XII, 12. 4. Jean, XV, 5.
beaucoup, il peut tout sans nous, et nous, rien sans lui. 5. Donc, mes frères, que lon prenne lextase pour une frayeur ou pour un ravissement desprit, toutes les paroles du psaume conviennent au Christ. Chantons-le donc, dans le corps du Christ, chantons-le tous comme nétant quun seul homme, parce que tous nous formons en lui lunité, et disons : « Cest en vous, Seigneur, que jai mis mon espoir, et je ne serai point couvert dune éternelle confusion ». Je crains par-dessus tout cette confusion qui dure pendant léternité; il y a en effet une confusion passagère qui est utile, alors que lâme se trouble à la vue de ses péchés, que cette vue lui fait horreur, que cette horreur la fait rougir de honte, et que cette honte la porte à se corriger. Cest pourquoi saint Paul a dit : « Quelle gloire tirez-vous alors de ces désordres qui vous font rougir aujourdhui 1 ? » Cest dire que ces fidèles rougissent, non pas des faveurs actuelles, mais des fautes passées. Loin de nous, chrétiens, de craindre cette confusion; et même si on ne la point ici-bas, on laura dans léternité. Et cette confusion éternelle arrivera quand saccomplira cet oracle : « Leurs iniquités sélèveront contre eux pour les accusent 2 ». Et quand leurs iniquités les accuseront, le troupeau des réprouvés sera jeté à la gauche, comme des boucs séparés des brebis, et ils entendront : « Allez au feu éternel préparé à Satan et à ses anges ». Pourquoi? demanderont-ils. « Cest que jai eu faim, et vous ne mavez point donné à manger 3 ». Ils dédaignaient, ici-bas, de donner un morceau de pain au Christ qui avait faim, de lui donner à boire quand il avait soif, de le couvrir quand il était nu ils dédaignaient de recevoir létranger, de visiter le malade; ils dédaignaient, et quand ils entendront ces reproches, ils seront couverts de confusion, et cette confusion sera éternelle. Cest là ce que redoute celui qui parle ici dans la frayeur ou dans le ravissement de son esprit, et qui sécrie: « Seigneur, jai mis en vous mon espoir, et ma confusion ne sera point éternelle ». 6. « Délivrez-moi, sauvez-moi dans votre justice 4 ». Si vous navez égard quà ma justice, vous me condamnerez. « Mais délivrez-moi dans votre justice ». Il y a, en effet,
1. Rom. VI, 21. 2. Sag. IV, 20. 3. Matt. XXV, 41. 4. Ps. XXX, 2.
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une justice de Dieu, qui devient aussi la nôtre, par le don que Dieu nous en fait. Mais elle est appelée justice de Dieu , de peur que lhomme ne vienne à croire quil a cette justice par lui-même. Car voici les paroles de saint Paul : « La foi est imputée à justice, à lhomme qui croit en celui qui justifie limpie 1 ». Quest-ce que justifier limpie? Cest le rendre juste dimpie quil était. Or, les Juifs ont cru pouvoir accomplir la justice par leurs propres forces, et ils ont heurté contre la pierre dachoppement et la pierre de scandale 2, et nont point connu la grâce du Christ. ils ont reçu la loi qui les a rendus coupables, mais non délivrés de leurs fautes. Que dit encore le même Apôtre à ce sujet? « Je leur rends ce témoignage quils ont du zèle pour Dieu, mais non point selon la science 3 ». Quest-ce à dire que le zèle des Juifs nest point selon la science? Ecoute , pourquoi nest-il point selon la science? « Car ne connaissant point la justice de Dieu, mais sefforçant détablir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu 4». Si donc leur zèle nest point selon la science, parce quils ignorent la justice qui vient de Dieu, et quils sefforcent détablir leur propre justice, comme sils pouvaient devenir justes par eux-mêmes, dès lors ils nont point connu la grâce de Dieu, et nont pas voulu du salut gratuit. Qui donc est sauvé gratuitement? Cest celui en qui le Sauveur ne trouve rien à couronner, mais seulement à damner, rien qui mérite la faveur, tout ce qui mérite le supplice. Sil agit dans la rigueur de la loi quil a posée, il doit damner le pécheur. Mais, daprès cette loi, qui délivrerait-il? Car il trouve des péchés dans tous les hommes. Lui seul est sans péché, qui nous trouve tous pécheurs. Voilà ce que dit lApôtre : « Tous ont péché, tous ont besoin de la gloire de Dieu 5 ». Quest-ce à dire, quils ont besoin de la gloire de Dieu? Besoin dêtre délivrés par Dieu et non par toi. Impuissant à te délivrer toi-même, tu as besoin dun libérateur. De quoi te glorifier encore? Pourquoi tirer vanité de la loi et de la justice? Ne vois-tu pas, en toi-même, ce qui se sert de toi pour te combattre? Nentendras-tu point ce noble athlète avouant sa faiblesse et demandant du secours dans la lutte? Nentendras-tu point lathlète du Seigneur
1. Rom. IV, 5. 2. Id. XI, 32. 3. Id. X, 2. 4. Id. 3. 5. Id. 23.
qui, dans sa lutte, implore lassistance de celui qui préside aux combats? Car il nen est pas du Seigneur qui te voit combattre, comme de celui qui donne des spectacles, si tu combats dans lamphithéâtre. Celui-ci pourra bien te décerner des prix, si tu es vainqueur, mais il ne peut te secourir dans le danger. Ce nest point ainsi que Dieu te regarde. Vois donc avec attention celui qui dit : « Selon lhomme intérieur, je fais mes délices de la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de lesprit, et me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 1 ». Pourquoi est-ce une grâce? Parce quelle est donnée gratuite. ment. Comment est-elle donnée gratuite. ment? Parce que les mérites ne lont point précédée, et que la bonté de Dieu ta prévenu. A lui donc la gloire de notre délivrance? « Tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu. Cest en vous, Seigneur, que jai placé mon espérance», et non point en moi: « ma confusion ne sera pas éternelle » ; parce que jespère en celui qui ne confond point notre attente. « Délivrez-moi dans votre justice, et sauvez-moi ». Puisque vous ne trouvez en moi aucune justice, délivrez-moi par la vôtre; cest-à-dire, que je sois délivré par cette même cause qui me justifie, qui dimpie me rend à la piété, de méchant me fait juste, daveugle me rend à la lumière, qui me relève de mes chutes, et change mes larmes eu joie. Voilà ce qui me délivre, et non point moi-même. « Sauvez-moi dans votre justice, et délivrez-moi ». 7. « Inclinez vers moi votre oreille 2 ».Cest là ce qua fait le Seigneur quand il nous envoyé son Christ. Il nous a envoyé celui qui baissait la tête pour écrire du doigt sur lu terre, quand on lui présenta une femme adultère à condamner 3. Mais lui sétait baissé vomi la terre, ou plutôt Dieu sétait abaissé jusquà lhomme, à qui il a été dit : « Tu es terre, et tu retourneras en terre 4 », Car ce nest point dune manière corporelle que Dieu incline vers nous son oreille, et il nest point circonscrit dans les membres dun corps. Loin de nos pensées tout fantôme humain, Dieu est
1. Rom. VII, 22-25. 2.Ps. XXX, 3. 3. Jean, VIII, 6. 4. Gen. III, 19.
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vérité. La vérité na point une forme anguleuse, ou sphérique, ou oblongue. Elle est présente partout où les yeux du coeur souvrent pour la regarder. Or, Dieu incline son oreille vers nous, quand il fait descendre sur nous sa miséricorde. Mais est-il un plus grand acte de miséricorde que de nous donner son Fils unique, non pas afin quil vive avec nous, mais afin quil meure pour nous? « Inclinez vers moi votre oreille ». 8. « Hâtez-vous de me délivrer (Ps, XXX, 3 ) ». Dieu la déjà exaucé quand il dit : « Hâtez-vous ». Ce mot doit nous faire comprendre que cette durée accordée à lécoulement successif des siècles et qui nous paraît longue, nest quun instant. Une durée nest point longue, si elle doit finir. Depuis Adam jusquà nos jours, bien du temps sest écoulé; beaucoup plus assurément quil nen reste à écouler. Si Adam vivait encore, pour mourir actuellement, de quoi lui servirait dexister encore, et davoir tant vécu? Pourquoi donc cette promptitude: « Hâtez-vous?» Cest que le temps senvole, et ce qui vous paraît long, est court aux yeux de Dieu. Cette rapidité, le Prophète lavait comprise dans son extase, et il sécriait : « Hâtez-vous de me secourir. Soyez pour moi un Dieu protecteur, soyez mon asile et sauvez-moi. » Soyez pour moi une retraite assurée ,soyez mon Dieu protecteur, soyez- mon lieu de refuge. Souvent je me trouve dans le péril, je cherche à fuir; mais où fuir? Dans quel asile serai-je en sûreté? Dans quelle montagne? Dans quelle caverne? Dans quelle enceinte fortifiée? Dans quels remparts? Quelle citadelle mabritera? Osais boulevards pourront menvironner? Partout où je vais, je me retrouve. O homme ! la fuite peut te dérober à tout ce que tu voudras, excepté à ta conscience. Entre dans ta maison pour reposer sur ta couche, rentre dans ton coeur, tu ny trouveras aucun abri entre les poursuites de ta conscience, contre les remords de ton péché. Mais le Prophète sécrie: Hâtez-vous de me secourir, délivre-moi dans votre justice, afin de me pardonner mes fautes, et détablir en moi votre justice. Vous serez pour moi un asile, cest en vous que je veux me réfugier. Car où puis-je aller pour vous fuir? Dieu te poursuit dans sa colère, où trouver un asile? Ecoute ce que dit ailleurs le Prophète qui craint sa colère «Où irai-je devant votre esprit? où fuir devant votre face? Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous voilà 1». En quelque lieu que je puisse aller, je vous rencontre. Si vous êtes irrité contre moi, je vous y trouve pour me châtier, et pour massister, si vous mêtes favorable. Toute ma ressource est donc de menfuir vers vous, et non loin de vous. Pour échapper à un maître dont tu es lesclave, tu cherches un asile dans ces lieux où il nest plus maître. Pour échapper au Seigneur, cherche un asile en Dieu, car tu ne peux te dérober à Dieu. Tout est présent, tout est à découvert aux yeux du Tout-Puissant. Cest donc vous, ô Dieu, qui serez mois refuge, dit le Prophète. Mais si je ne suis guéri, comment fuir? Guérissez-moi donc, et je courrai vers vous. Car si vous ne me guérissez, je ne puis marcher, et comment fuir? Où peut aller, où pourrait fuir cet homme, laissé à demi mort sur le grand chemin, couvert de blessures par les voleurs, et qui ne peut marcher? Cet homme négligé par le prêtre qui passe outre, négligé par le lévite qui passe outre, et que prend en pitié le Samaritain qui vient à passer 2, ou plutôt le Seigneur qui a pitié du genre humain. Samaritain signifie gardien. Mais qui nous gardera, si le Seigneur nous abandonne? Cest donc avec raison que dans ces paroles outrageantes des Juifs à Jésus-Christ : « Navons-nous pas raison de dire que vous êtes « un Samaritain et un possédé du démon 3?» le Sauveur repousse un outrage et accepte lautre : « Pour moi », dit-il, « je ne suis point possédé du démon ». Il ne dit point : Je ne suis pas un Samaritain, voulant nous faire entendre quil est notre gardien. Il a donc pris en pitié ce malheureux, sen est approché, a bandé ses plaies, la conduit à lhôtellerie, accomplissant envers lui les devoirs de la miséricorde; déjà cet homme peut marcher et même fuir. Mais où fuir, sinon vers le Seigneur quil a choisi pour son asile? 9. « Cest vous qui êtes ma force et mon refuge, et à cause de votre nom, vous serez mon guide et mon aliment 4 ». Ce nest point à cause de mes mérites, « mais à cause de votre nom » ; pour faire éclater votre gloire, et non parce que jen suis digne. « Vous serez mon guide », afin que je ne mégare pas loin de vous. « Vous serez mon aliment »,
1. Ps. XXXVIII, 7,8. 2. Luc. X, 30. 3. Jean, VIII, 48. 4. Ps. XXX, 4.
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afin que je devienne assez fort pour prendre la nourriture des anges. Car celui qui nous a promis la céleste nourriture, nous donne ici- bas du lait, dans sa tendresse maternelle. Comme la nourrice fait passer par sa chair cette nourriture que son enfant trop jeune est incapable de prendre encore, et la lui donné avec son lait (car lenfant ne reçoit de sa mère, et par le canal de la chair, que la nourriture quil aurait prise à table), ainsi le Seigneur, pour faire passer en nous sa sagesse comme un lait divin, se présente à nous, revêtu de chair humaine. Cest donc le corps de Jésus-Christ, qui dit ici : « Vous serez mon aliment». 10. «Vous me délivrerez du piége quils mont tendu en secret 1 ». Voici la passion qui commence à paraître. « Vous me délivrerez du piége quils mont tendu en secret ». Non-seulement cette passion qua dû endurer le Seigneur Jésus; mais les piéges du démon sont tendus jusquà la fin du monde; et malheur à qui se laisse prendre à ces piéges, et tout homme y tombe, sil ne met son espoir en Dieu, sil ne dit: « Cest en vous que jespère, ô mon Dieu, et je ne tomberai point dans la confusion éternelle: sauvez-moi dans votre justice et délivrez-moi 2 ». Lembûche de lennemi est tendue, elle est prête. Il a mis dans cette embûche lerreur et la crainte lerreur pour nous enlacer, la crainte pour nous briser, et nous enlever. Pour toi, ferme à lerreur la porte des convoitises, ferme à la terreur la porte de la timidité, et tu échapperas aux piéges. Celui qui est ton chef, ta enseigné par lui-même cette manière de combattre, lui qui a voulu, pour tinstruire, être en butte à la tentation. Il fut tenté dabord par la convoitise, car le diable essaya douvrir chez lui la porte des désirs, quand il lui dit : « Commandez que ces pierres deviennent des pains. Adorez-moi, et je vous donnerai tous ces royaumes. Jetez-vous en bas, car il est écrit: Il a ordonné à ses anges de vous prendre dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre 3 ». Tous ces attraits sont les amorces de la convoitise. Mais quand il vit se fermer les portes de la convoitise en celui qui souffrait dêtre tenté pour nous, il fit des essais contre la porte de la crainte, et lui prépara la passion. Cest ce que nous dit lEvangéliste: « Après avoir
1. Ps. XXX, 5. 2. Id. 2. 3. Matt. IV, 4, 9, 6.
épuisé toutes les tentations, Satan séloigna de lui pour un temps 1 ». Quest-ce à dire: Pour un temps? Quil devait revenir ensuite et diriger ses efforts du côté de la crainte, puisquil avait échoué sur le terrain des convoitises. Tout ce corps du Christ sera dont tenté jusquà la fin. Aussi, mes frères, quand on lançait contre les chrétiens je ne sais quels édits de persécution, cest ce corps du Christ, et ce corps tout entier qui était heurté ; delà ce mot du Psalmiste: «On ma poussé comme un monceau de sable, pour me faire tomber, et le Seigneur ma soutenu 2 ». Mais quand finirent les maux qui heurtaient le corps entier de lEglise, pour le pousser à sa chute, la tentation devint partielle. Le corps du Christ est mis à lépreuve ; sil ne souffre pas dans une Eglise, il souffre dans une autre. Elle na plus à craindre la fureur dun empereur, mais elle-endure les vexations dun peuple méchant, Quels ravages lui fait subir la populace! Quels maux nendure-t-elle point de la part de ces chrétiens, de ceux qui sont embarrassés dans les filets de Satan, et qui se multiplient tellement, quils submergent les barques dans cette pêche du Sauveur qui précéda la passion 3! Les épreuves ne lui manquent point dès lors. Que nul ne se dise : Ce nest plus le temps des persécutions. Celui qui tient cm langage se promet la paix; et quiconque se promet la paix, est surpris dans sa sécurité. Que le corps entier de Jésus-Christ sécrie donc: « Vous me délivrerez de ces embûches quils mont tendues en secret » ; car notre chef-a été délivré du piége que lui tendaient en secret ceux dont lEvangile nous annonçait naguère quils diraient un jour: «Voici lhéritier, venez, tuons-le, et nous posséderons lhéritage », et qui prononcèrent leur condamnation, quand il leur fut demandé: « Quel châtiment doit infliger le maître à ces colons pervers? Il fera périr ces méchants dune manière misérable », répondirent-ils, « et louera sa vigne à dautres vignerons. Quoi ! » reprit le Sauveur, « navez-vous pas lu aussi : La pierre quont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue la pierre de langle 4 »? » Il nous explique ainsi que « rejeter la pierre, pour ceux qui bâtissaient », cétait « chasser lhéritier hors de la vigne, et le tuer ». Lui donc a été
1. Luc, IV, 13. 2. Ps. CXVII, 13. 3. Luc, V, 7. 4. Matt. XXI, 38-42.
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sauvé. Notre chef est en haut ; il est libre, Attachons-nous à lui par lamour, afin dy être plus inséparablement unis par limmortalité, et disons tous : « Vous me délivrerez de ces piéges quils mont tendus en secret, parce que vous êtes mon protecteur 1 ». 11. Mais écoutons la parole que le Seigneur prononça sur la croix : « Je remets mon âme entre vos mains 2 ». Quand nus voyons dans IEvangile que Jésus-Christ répète ces paroles du psaume, ne doutons plus que ce soit lui qui parle ici. Tu lis dans lEvangile que le Christ a dit: « Je remets mon âme entre vos mains ; et baissant la tête, il rendit lesprit 3». Son dessein, en répétant ces paroles, a été de tapprendre que cest lui qui parle dans ce psaume. Cest donc lui quil faut y chercher: souviens-toi quil a voulu quon le cherchât aussi dans cet autre psaume, pour le secours du matin : « Ils ont percé mes mains et mes pieds : ils ont compté mes os, ils mont regardé, ils mont considéré attentivement, ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort 4 ». Et pour tapprendre que cest en lui que tout cela sest accompli, il récita le commencement du psaume: «O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous délaissé 5 ? » Et toutefois cétait au nom de ses membres quil parlait ainsi, car jamais le Père nabandonna son fils unique. « Vous mavez racheté, Seigneur, Dieu de vérité ». Vous êtes le Dieu de vérité, car vous faites ce que vous avez promis, et nulle de vos promesses nest sans effet. 12. « Vous haïssez ceux qui sattachent inutilement à la vanité ». Qui sattache à la vanité? Celui qui meurt par la crainte de la mort. La crainte de la mort le fait mentir, et il meurt avant même de mourir, lui qui ne mentait quafin de vivre. Tu mens, pour ne pas mourir, et alors tu as le mensonge et la mort: en voulant te dérober à une mort que tu peux différer un peu, mais non éviter, tu encours une double mort, celle de lâme, et ensuite celle du corps. Doù vient ce malheur, sinon de ton attachement aux vanités? Cest que ce jour qui fuit a de lattrait pour toi, tu fais tes délices du temps qui senvole, dont tu ne peux rien retenir, qui au contraire temporte avec lui. « Vous haïssez ceux qui sattachent sans profit à la vanité. » Pour moi, qui naime
1. Ps. XXX, 5. 2. Id. 6. 3. Luc, XXIII, 46; Jean, XIX, 30. 4. Ps. XI, 17-19. 5. Id. 2.
point la vanité, je mets en Dieu mon espoir. Tu espères dans ton argent, cest téprendre de la vanité; tu espères dans les honneurs, dans le faste de la grandeur humaine, cest téprendre de la vanité; tu espères dans quelque ami puissant, cest téprendre de la vanité. Quand tu as unis ton espoir en tout cela, ou bien tu labandonnes par la mort; ou, si tu vis, tout vient à périr, et ton espoir est trompé. Cest de cette vanité, que le Prophète lsaïe disait : « Toute chair nest que de lherbe, et toute sa gloire nest que la fleur dune herbe: lherbe se dessèche et la fleur tombe, mais la parole du Seigneur demeure éternellement 1 ». Pour moi, loin dimiter ceux qui espèrent dans la vanité, sattachent à la vanité, jai mis mon espoir en Dieu qui nest point la vanité. 13. « Je me réjouirai, je triompherai dans votre miséricorde », et non dans ma propre justice. « Car vous avez regardé ma bassesse, vous avez arraché mon âme aux vicissitudes, et vous ne mavez point resserré entre les mains de mes ennemis 2 ». Quelles sont ces vicissitudes dont nous voulons que notre âme soit délivrée? qui pourra les énumérer? qui en dira létendue ? qui surtout nous dira combien elles sont à fuir, à éviter ? Une première peine, et peine cruelle parmi les hommes, cest de ne point connaître le coeur du prochain, de soupçonner presque toujours les sentiments dun ami fidèle, et davoir presque toujours bonne opinion dun ami infidèle. Déplorable nécessité ! Que fais-tu pour voir dans les coeurs? de quel regard les verras-tu, homme faible et misérable ? Que fais-tu pour voir aujourdhui le coeur de ton frère? Tu nas rien à faire. Mais une misère plus déplorable encore, cest que tu ne sois pas ce que ton coeur sera demain. Que dirai-je des autres misères de notre nature? Il nous faut mourir, et nul ne veut mourir. Nul ne veut ce qui doit lui arriver de gré ou de force. Déplorable condition, de rejeter ce que lon ne saurait éviter. Car si nous le pouvions, nous ne consentirions jamais à mourir: nous souhaiterions de devenir comme les anges, mais par un certain changement, et non en passant par la mort, comme la dit lApôtre : « Dieu nous donnera une autre maison, Une maison qui ne sera point faite par la main des hommes, une maison éternelle dans le ciel. Cest pourquoi
1. Isa. XI, 6. 2. Ps. XXX, 8.
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nous gémissons, désirant être revêtus de la gloire de cette maison céleste comme dun second vêtement. Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur, parce que nous désirons, non pas dêtre dépouillés, mais dêtre comme revêtus par dessus; en sorte que ce quil y a de mortel, soit absorbé par la vie 1». Nous voulons arriver au royaume de Dieu, mais non par le chemin de la mort; et toutefois la nécessité vient nous dire : Tu en viendras là. Tu ne veux point en venir là, ô homme fragile, et cest par là que Dieu est venu jusquà toi. Quelle dure nécessité aussi, de vaincre nos désirs vieillis, nos habitudes invétérées ! Vaincre une habitude, cest un douloureux combat, tu le sais. Tu vois bien que tes actes sont mauvais, sont détestables, malheureux, et néanmoins tu tobstines: ce que tu as fait hier, tu le feras demain. Si mon langage te déplaît à ce point, combien ta propre pensée doit te peser ! Et néanmoins tu retomberas encore. Doù vient cet entraînement? Qui peut lassujettir jusque-là? Y a-t-il dans tes membres une loi contraire à la loi de ton esprit? crie alors : « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Et alors saccomplira en toi ce que je disais tout à lheure : « Pour moi jai mis mon espoir dans le Seigneur : je tressaillirai et je triompherai dans votre miséricorde, parce que vous avez jeté les yeux sur mon humiliation, et arraché mon âme aux assujettissements de cette vie ». Doù vient que ton âme a été dégagée de ces assujettissements, sinon parce que Dieu a jeté un regard sur ton humilité? Si tu ne te fusses humilié, il ne taurait point exaucé en dégageant ton âme des sujétions de la vie. Il shumiliait, celui qui disait: « Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? » Mais ils ne shumiliaient point, ceux qui, « méconnaissant la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ne se sont point soumis à celle de Dieu 3 ».
1. II Cor. V, l-4. 2. Rom. VII, 23. 3. Id. X, 3.
14. « Vous ne mavez point resserré entre les mains de mon ennemi » : non point de ton voisin ni de ton copartageant, ni de ce compagnon darmes que tu as blessé, ni de quelquun de ta propre ville que tu as peut-être offensé par tes injures. Nous nous sommes mis dans lobligation de prier pour tous ceux-là. Mais nous avons un autre ennemi qui est le diable, lantique serpent. Tous, nous échapperons à sa puissance par la mort, si notre mort est sainte. Quiconque meurt dans le péché, est jeté par cette mort funeste entre les mains du diable, pour être avec lui condamné à un supplice sans fin. Cest donc le Seigneur notre Dieu qui nous arrache aux étreintes de lennemi; et cet ennemi veut nous prendre par le moyen de nos convoitises. Or, nos convoitises, quand elles grandissent au point de nous assujettir, elles sappellent des nécessités. Donc, une fois que le Seigneur aura délivré notre âme de ces nécessités, quelle prise aura le démon sur nous, pour nous assujettir à sa puissance? 15. «Vous avez affermi mes pas dans la voie spacieuse 2 ». Assurément la voie est étroite 3; étroite pour lâme servile, mais large pour lamour ; lamour élargit ce qui est trop resserré. « Vous avez affermi mes pas», dit-il, «dans la voie spacieuse », de peur que mes pieds, trop à létroit, ne vinssent à sembarrasser, et par cet embarras causer ma chute. Quest-ce à dire : « Vous avez mis mes pieds dans un lieu spacieux? » Vous mavez rendu faciles ces oeuvres de justice , autrefois si pénibles: tel est le sens de cette parole: «Vous avez mis mes pieds dans un lieu spacieux ». 16. « Ayez pitié de moi, mon Dieu, parce que je suis dans laffliction; votre colère jeté le trouble dans mes yeux, dans mon âme et dans mes entrailles; ma vie a défailli dans la souffrance, et mes années dans les gémissement 4 ». Que cela suffise à votre charité, mes frères; une autre fois, avec le secours de Dieu, nous achèverons le reste de notre dette, afin de terminer le psaume avant notre départ.
1. Ps. XXX, 9. 2. Ibid. 3. Matt. VII, 14. 4. Ps. XXX, 10,11.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXX.DEUXIÈME SERMON. CONTRE LES DONATISTES.
Ce sermon, qui embrasse le second tiers du psaume, a pour objet les douleurs et les gémissements de lEglise à cause des mauvais chrétiens et des Donatistes.
1. Reportons, mes frères, notre attention sur la suite du psaume, et considérons-nous dans la personne du Prophète. Car si nous comprenons que nous sommes dans un temps daffliction, nous aurons de la joie, au jour de la récompense. Je vous ai fait remarquer, mes frères, en exposant les premiers versets de notre psaume, que cest Jésus-Christ qui parle; je ne vous ai point déguisé que le Christ ici se doit dire du chef et des membres; et il me semble que les témoignages des Ecritures que jai cités, établissaient, avec la dernière évidence et de manière à nen pas laisser douter, que le Christ sentend de la tête et du corps, de lEpoux et de lEpouse, du Fils de Dieu et de lEglise, du Fils de Dieu fait homme pour nous, afin délever les fils des hommes à la qualité de fils de Dieu; afin que, par un sacrement ineffable, ils fussent deux dans une même chair, comme ils sont deux dans une même voix chez les Prophètes. Le psalmiste a donc remercié Dieu par ces paroles: « Vous avez regardé favorablement ma bassesse; vous avez arraché mon âme à ses sujétions, vous ne mavez point resserré entre les mains de mon ennemi, et vous avez mis mes pieds au large (Ps. XXX, 8, 9.) ». Telles sont les actions de grâces de lhomme échappé à la tribulation, de tous les membres du Christ échappés à la douleur et aux embûches. « Ayez pitié de moi, Seigneur », sécrie-t-il de nouveau, « parce que je suis opprimé ». Sil est opprimé, il est à létroit; comment disait-il alors : « Vous avez mis mes pieds au large? » Comment ses pieds sont-ils au large, sil est encore dans loppression? A moins peut-être quil ny ait quune seule voix, comme il ny a quun seul corps qui parle; mais que plusieurs membres soient au large et dautres à létroit, cest-à-dire que plusieurs trouveraient faciles les oeuvres de justice, tandis que dautres gémiraient dans langoisse? Car si les membres nétaient point dans des situations différentes, lApôtre ne dirait point: « Si un membre souffre, tous les autres souffrent avec lui; et si un membre reçoit de lhonneur, tous les autres sen réjouissent avec lui 1 ». Quelques églises, par exemple, ont la paix, dautres sont dans la tribulation; chez celles qui sont en paix, les pieds sont au large, tandis quils sont à létroit chez celles qui sont dans langoisse : mais la douleur des uns afflige ceux qui sont en paix, et la paix des autres console ceux qui souffrent. Il y a donc dans lu corps une telle unité, que tout schisme en est banni, et le schisme nest que le fruit de la dissension. La charité forme le lien, le lien resserre lunité, lunité conserve la charité, la charité arrive aux splendeurs éternelles. Que le corps donc sécrie au nom de quelques membres : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis dans langoisse, votre colère a jeté le trouble dans mes yeux, dans mon âme et dans mes entrailles 2 ». 2. Cherchons alors doù vient cette tribulation, puisque, tout à lheure, linterlocuteur paraissait sapplaudir de sa délivrance, ainsi que de la justice dont Dieu avait généreusement enrichi son âme, et du large espace que la charité avait tracé à ses pieds. Doù vient donc cette affliction, sinon peut-être de cette parole qua dite le Seigneur: « Et comme abondera liniquité, la charité de plusieurs se refroidira 3 ». Car, après que le Seigneur eut recommandé le petit nombre des saints, il fit jeter le filet à la mer, et lEglise prit de laccroissement, dinnombrables poissons furent saisis, selon cette prédiction : « Jai publié ces merveilles, je les ai prêchées, et les
1. II Cor. XII, 26. 2. Ps. XXX, 10. 3. Matt. XXIV, 12.
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auditeurs se sont multipliés à linfini 1? » Aussi les barques ont-elles failli être submergées, les filets rompus, comme il est dit de la première pêche du Seigneur avant la passion 2. Telle est donc la foule qui se presse dans nos églises, aux fêtes de Pâques, et que leurs murailles trop étroites peuvent à peine contenir. Comment cette multitude naffligerait-elle point celui qui voit dans les spectacles, dans les amphithéâtres, les mêmes hommes qui remplissaient naguère nos églises? Quand il voit dans les infamies, ceux qui tout à lheure chantaient les louanges de Dieu? Quand il entend le blasphème dans ces bouches qui répondaient: Amen? Toutefois quil persévère, quil sobstine, quil ne saffaiblisse pas au milieu de cette foule innombrable des méchants, puisque le bon grain ne perd rien au milieu des pailles, jusquà ce quil soit vanné et mis au grenier, cest là quil sera au milieu des saints, à labri de toute poussière qui pourrait le troubler. Quil persévère, car le Seigneur lui-même, après avoir dit que « le grand nombre diniquités fera refroidir la charité de beaucoup », veut empêcher que cette foule diniquités ne fasse chanceler nos pas et ne cause notre chute, et pour maintenir les fidèles, pour les consoler, pour les encourager, il ajoute ces paroles : «Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusquà la fin 3 ». 3. Considérons que telle est laffliction de linterlocuteur du psaume. Cette affliction devrait lui arracher des plaintes, puisque toute affliction porte à la tristesse, et néanmoins dans sa douleur il se dit en colère, et il sécrie: « Ayez pitié de moi, car la colère a troublé mes yeux ». Pourquoi cette colère, si vous êtes dans laffliction ? Il sirrite contre les péchés des autres. Qui ne serait transporté de colère en voyant des hommes qui confessent de bouche le Seigneur, et qui le renient par leurs moeurs? Qui ne sirriterait, en voyant des hommes renoncer au monde en parole et non en réalité? Qui verrait froidement les frères dresser des embûches à leurs frères, et devenir parjures dans ce baiser quils se donnent en recevant les sacrements? Et qui dirait tous ces sujets de colère pour le corps du Christ qui vit intérieurement de son esprit, et qui gémit comme le bon grain mêlé avec la paille? A peine sont-ils visibles ceux
1. Ps. XXXIX, 6. 2. Luc, V, 6 3. Matt. XXIX, 13.
qui gémissent de la sorte, qui entrent dans ces colères; comme on voit à peine le grain quand on le foule dans laire. Quiconque ne saurait point le nombre dépis jetés dans laire pourrait croire quil ny a que de la paille; mais sous ce monceau que lon croirait être entièrement de la paille, le vanneur découvrira beaucoup de bon grain. Cest donc dans ces fidèles qui gémissent en secret, que sirrite celui qui a dit ailleurs : « Le zèle de votre maison me dévore 1». Et dans un autre endroit, à la vue du grand nombre des méchants, il sécrie: « La défaillance ma saisi « à la vue de tous ceux qui abandonnent votre loi 2 », et plus loin encore : « Jai vu les prévaricateurs et jai séché dans langoisse 3 ». 4. Toutefois il est à craindre que cette colère narrive jusquà la haine ; car une colère nest point encore la haine. On se fâche contre un fils, on ne le hait point pour cela: tu conserves lhéritage à celui qui tremble de-vaut ton irritation; et ta colère même na dautre but que de prévenir sa ruine quamèneraient ses dérèglements. La colère nest donc pas encore la haine, et souvent nous sommes loin de haïr lhomme contre lequel nous sommes en colère. Mais que cette colère dure quelque peu dans notre âme, quelle nen soit pas bannie promptement, elle grandit et se tourne en haine. Cest pour nous engager à étouffer toute colère avant quelle arrive à la haine, que lEcriture nous avertit « de ne point laisser coucher le soleil sur, notre colère 4 ». On rencontre parfois un chrétien qui a de la haine, et qui reprend chez un autre un acte de colère ; il fait un crime à un autre de sa colère, et lui-même nourrit de la haine; il a une poutre dans son oeil, et il blâme son frère davoir une paille dans le sien 5. Cette paille néanmoins, ce petit rejeton, deviendra une poutre, sil nest arraché promptement. Le psalmiste ne dit donc point: Mon oeil sest fermé de colère, mais « sest « troublé ». Lextinction serait leffet de la haine et non de la colère. Voyez que la haine éteindrait complètement son oeil « Celui-là », dit saint Jean, « qui hait son frère est encore dans les ténèbres 6 ». Donc loeil est dabord troublé par la colère avant darriver aux ténèbres; mais veillons à ce que la colère
1. Ps. LXVIII, 10. 2. Id. CXVIII, 53. 3. Id. 158. 4. Eph. IV, 28. 5. Matt. VII, 3. 6. I Jean, II, 11.
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ne dégénère point en haine, et que notre oeil ne séteigne point. « La colère a jeté le trouble dans mes yeux », dit le psalmiste, « et dans mon âme et dans mes entrailles », cest-à-dire, a troublé tout ce qui est au dedans de moi, car les entrailles désignent lintérieur. Il est quelquefois permis de sirriter contre les méchants, les pervers, les violateurs de la loi, les gens de mauvaise vie, mais il nest point permis de crier. Or, cette colère qui ne doit pas éclater en cris, est chez nous un trouble intérieur. Le mal est parfois si grand, quon ne peut même le reprendre. 5. «Ma vie a langui dans la douleur, et mes années dans les gémissements 1 » . « Ma vie », dit le Prophète, « est une douloureuse défaillance ». Saint Paul a dit aussi : « Nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur 2 ». Tous ceux qui ont trouvé la perfection dans 1Evangile et dans la grâce, ne vivent plus que pour les autres. Car il ny a plus pour eux-mêmes nécessité de vivre ici-bas. Mais comme les autres ont besoin de leurs services, alors saccomplit en eux ce mot de lApôtre: « Jai le vif désir dêtre dégagé des liens du corps, et dêtre avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur; mais il est plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie 3». Donc, pour lhomme qui voit que ses services, ses travaux, sa prédication demeurent sans fruit chez les autres, sa vie languit dans lindigence. Funeste indigence! faim déplorable! Car ceux que notas f gagnons à Dieu, sont pour lEglise une nourriture. Que dis-je, une nourriture? Oui, elle la fait passer par son corps, de même que toute nourriture en nous passe par notre corps. Telle est loeuvre de IEglise par les saints; elle a faim de ceux quelle veut gagner, et quand elle a pu les gagner, elle sen fait une sorte de nourriture. Cest lEglise que figurait saint Pierre, quand il vit descendre du ciel un vaste linceul contenant toutes sortes danimaux, des quadrupèdes, des reptiles, des oiseaux, lesquels, à leur tour, figuraient toutes les nations. Le Seigneur nous montrait que lEglise devait absorber tous les peuples de la terre, et les changer en son corps; aussi dit-il à Pierre: « Tue, et mange 4 ». Tue et mange, ô sainte Eglise, ô Pierre, puisque sur cette pierre je bâtirai mon Eglise 5. Tue dabord,
1. Ps. XXX, 11. 2. I Thes,. III, 8. 3. Philipp. I, 23, 24. 4. Act. 2, 13. 5. Matt. XVI, 18.
mange ensuite; tue ce quils sont, et fais-les ce que tu es. Quand on prêche lEvangile, et que le prédicateur voit que les hommes nen tirent aucun avantage, pourquoi ne sécrie-t-il pas : « Ma vie saffaisse dans la douleur, et mes années dans les gémissements. Ma vigueur saffaiblit dans lindigence , et le trouble est dans mes os 1? » Les années que nous passons ici-bas sécoulent dans les gémissements. Pourquoi? « Parce que liniquité abonde, et que la charité de plusieurs se refroidit 2 ». Ce sont des gémissements et non de hauts cris. Quand 1Eglise voit la foule courir à sa perte, elle dévore ses propres plaintes, et dit à Dieu : « Du moins mes gémissements ne sont point secrets pour vous 3 ». Cette parole dun autre psaume, et qui saccorde bien avec celui-ci, veut dire: mes gémissements peuvent être cachés pour les hommes, et jamais pour vous ils ne sont en oubli. « Ma force languit dans lindigence, et le trouble est dans mes os ». Nous avons déjà fait connaître cette indigence. Par ossements, on entend les hommes forts de lEglise; ceux qui ne craignent point les persécutions, sémeuvent quelquefois des iniquités de leurs frères. 6. « Je suis plus en opprobre que tous mes ennemis, cest un excès pour mes voisins, un effroi pour ceux qui me connaissent ». Quels sont les ennemis de 1Eglise? Les païens et les Juifs? La vie dun mauvais chrétien est pire que leur vie. Voulez-vous comprendre comment elle est plus dépravée? Le prophète Ezéchiel compare ces ennemis à des sarments inutiles 4. Supposez que les païens sont les arbres dune forêt qui est en dehors de lEglise, on peut encore en tirer quelque partie, comme un ouvrier trouve un morceau qui lui convient dans des bois ouvrables; sil y trouve des noeuds, des courbures, de lécorce, il tranche, il scie, il aplanit, afin de lapproprier à lusage des hommes. Mais le bois de sarment ne donne aucun fruit, et sil est retranché de la vigne, louvrier nen peut rien faire, il nest bon quà être jeté au feu. Ecoutez bien, mes frères; partout on préfère au bois des forêts le sarment qui tient à la vigne, car alors il donne du fruit; mais quand la serpe du vigneron la séparé de la vigne, on lui préfère le bois des forêts, dont louvrier
1. Ps. XXX, 11. 2. Matt. XXIV, 12. 3. Ps. XXXVII, 10. 4. Ezéch. XV, 2.
(267)
peut tirer parti, tandis que le bois de sarment nest recherché que par celui qui fait du feu. A la vue donc de cette grande foule qui mène dans lEglise une vie désordonnée le Prophète sécrie : « Mon opprobre est bien supérieur à celui de mes ennemis ». Ils vivent plus mal en participant à mes sacrements, que ceux qui ny ont pris aucune part. Pourquoi ne pas le dire franchement en latin, quand nous expliquons un psaume? Et si nous sommes plus réservés en dautres temps, du moins que la nécessité dexposer ce que nous traitons, nous donne la liberté de réprimer les désordres. « Plus que tous mes ennemis, je suis dans lopprobre ». Cest de ceux-là que saint Pierre a dit: « Leur dernier état devient pire que le premier; il eût mieux valu pour eux quils ne connussent point la voie de la justice, que de retourner en arrière, après lavoir connue, et dabandonner la loi sainte qui leur avait été donnée ». Mais dire « quil eût été meilleur pour eux de ne point connaître la voie de la justice », nest-ce point juger que nos ennemis, placés hors de IEglise, sont dans une position meilleure que les chrétiens qui vivent dans le désordre, surchargeant ainsi et suffoquant lEglise? « Il eût mieux valu », dit cet apôtre, « ne pas connaître la voie de la justice, que de retourner en arrière après lavoir connue, et dabandonner la loi sainte qui leur a été donnée 1 ». Voyez ensuite quelle horrible comparaison il fait à leur sujet : « Il leur est arrivé ce que dit un proverbe bien vrai : Le chien est retourné à son vomissement 2 ». Et puisque tant de chrétiens semblables encombrent nos églises, le petit nombre des bons qui sy trouvent, ou plutôt lEglise par la voix de ce petit nombre, na-t-elle pas raison de sécrier: « Plus que tous mes ennemis je suis un objet dopprobre; cest le comble pour mes voisins; cest un effroi pour ceux qui me connaissent? » Je suis au comble de lopprobre aux yeux de tues voisins, cest-à-dire, ceux qui sapprochaient de moi pour embrasser la foi, ou ceux qui étaient le plus près de moi, ont cédé à la répulsion en voyant la vie désordonnée des mauvais et des faux chrétiens. Combien dhommes, voyez-vous, mes frères, qui voudraient être chrétiens, et qui reculent devant les moeurs dépravées des mauvais chrétiens!
1. II Pierre, II, 20, 21. 2. Id. 22.
Ce sont là nos voisins qui sapprochaient de nous, et qui ont reculé devant lexcès de nos opprobres. 7. « Ceux qui me connaissent en sont dans leffroi ». Pourquoi tant craindre? « Ceux qui me connaissent», dit le psalmiste, « sont dans leffroi ». Quy a-t-il de si effrayant pour un homme, de voir dans le désordre une si grande foule, de trouver dans la dépravation ceux dont il avait les meilleures espérances? Il craint alors que tous ceux quil a crus bons ne leur soient semblables, et presque toute âme honnête alors devient suspecte. Quel homme! dit-on. Comment descend-il si bas? Comment le surprend-on dans ces infamies, dans ces actes hideux, dans ces actions détestables? Tous les chrétiens, pensez-vous, ne lui ressemblent-ils point? Tel est le sens de cette parole : « Ceux qui me connaissent sont dans leffroi», ceux mêmes qui nous connaissent le plus, sont dans la défiance envers nous. Et si tu nes soutenu par ta propre conscience, supposé que tu en aies une, tu croiras que nul autre ne te ressemble. Toutefois un homme se soutient par la conscience quil a de lui-même, et dans sa vie régulière, il se dit : O toi, qui trembles que tous les autres ne soient mauvais, les-tu donc toi-même? Non, répond la conscience. Mais, si tu ne les pas, es-tu le seul pour en être à ce point? Prends garde que lorgueil chez toi ne dépasse leur dépravation. Loin de toi de te croire seul. Eue aussi, accablé dennui en voyant la foule innombrable des impies, sécriait : « Ils ont égorgé vos prophètes, et détruit vos autels; voilà que je suis seul, et ils me cherchent pour me faire mourir ». Mais que lui répondit le Seigneur? « Je me suis réservé sept mille hommes, qui nont pas fléchi les genoux devant Baal 1 ». Donc, mes frères, le remède à tous ces scandales, est que vous ne pensiez jamais mal de vos frères. Soyez humblement ce que vous voulez quils soient, et- vous ne penserez point quils puissent être ce que vous-mêmes nêtes point. Et néanmoins ceux qui nous connaissent, ceux mêmes qui nous ont mis à lépreuve, doivent rester dans la crainte. 8. « Ceux qui me voyaient fuyaient loin de moi 2 ». Ceux qui ne mont point connu, sont dignes de pardon, même en séloignant de moi; mais ceux-là mêmes qui mont vu
1. III Rois, XIX, 10; Rom. XI, 3. 2. Ps. XXX, 12.
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séloignent de moi. Si donc ceux qui mavaient vu, prenaient la fuite au dehors, et loin de moi (quoique, à proprement parler, ils ne fuyaient pas au dehors, puisque jamais ils nétaient entrés à lintérieur, car s ils fussent entres a lintérieur, ils meussent connu; cest-à-dire ils eussent connu le corps du Christ, les membres du Christ, lunité du Christ); si, dis-je, ils senfuient au dehors, voilà ce quil ya de plus déplorable, dinsupportable même, que cette foule qui ma vu senfuie loin de moi; cest-à-dire quaprès avoir connu ce quest lEglise, ils sen aillent dehors former contre cette Eglise des schismes et des hérésies. Aujourdhui, par exemple, tu vois un homme, qui est né chez les Donatistes, il ne sait où est lEglise; il demeure dans la religion où il est né, tu ne pourras lui arracher cette foi quil a sucée avec le lait de sa nourrice. Mais donnez-moi un homme, oui un homme qui feuillette lEcriture, qui la lit, qui la prêche. Est-il possible quil ny trouve point ces paroles «Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et ton domaine sétendra jusquaux confins de la terre «? » Ny verra-t-il point: « Tous les confins de la terre seront ébranlés et se tourneront vers le Seigneur, et tous les peuples de lunivers se prosterneront devant lui 2 ? ». Si donc tu trouves ici lunité de lunivers entier, pourquoi chercher au dehors, afin de taveugler toi-même, et de jeter les autres dans ton aveuglement? «Ceux qui me voyaient », cest-à-dire ceux qui connaissaient ce quest lEglise, qui lenvisageaient dans les Ecritures, « ont pris la fuite au dehors et loin de moi ». Pensez-vous, mes frères, que tous les hérésiarques, dans les différentes parties du monde, naient point vu dans les divines Ecritures, que lEglise nest annoncée que comme la société qui doit embrasser lunivers entier? Je vous le dis en vérité, mes frères : assurément nous sommes tous chrétiens, ou du moins tous nous portons le nom de chrétiens, tous nous sommes marqués au sceau du Christ; les Prophètes ont parlé du Christ plus obscurément que de lEglise; et si je ne me trompe, cest que lEsprit de Dieu leur montrait dans lavenir, que les hommes formeraient des sectes à lencontre de lEglise, soulèveraient contre elle de fortes discussions, et accepteraient plus facilement le Christ. Cest pour
1. Ps. II, 8. 2. Id. XXI, 28.
quoi le point qui devait être le plus contesté, a été annoncé, précisé avec plus de clarté, plus dévidence, afin que cette évidence devînt un témoignage contre ceux qui ont lu ces prophéties, et néanmoins sont sortis de lEglise. 9. Je nen veux citer quun seul exemple. Abraham, qui est notre père, non parce que nous sommes sortis de lui, mais parce que nous imitons sa foi, était juste et agréable à Dieu ; sa foi lui obtint dans sa vieillesse un fils nommé Isaac, et que Dieu lui avait promis de Sara son épouse 1. Dieu lui commanda de lui immoler ce même fils; et alors sans hésiter, sans délibérer, sans mettre en question lordre du Seigneur, sans regarder comme mauvais lordre qua pu intimer Celui qui est la bonté même, Abraham conduisit son fils pour le sacrifier, lui mit le bois sur les épaules, et étant arrivé à lendroit marqué, il leva la main pour le frapper: à la voix du Seigneur, il abaissa cette main levée par son ordre 2. Pour obéir, il allait frapper, et pour obéir il sabstint ; toujours il obéit, jamais il nest timide. Toutefois, afin que le sacrifice fût achevé, et quon ne séloignât point sans effusion de sang, il se trouva là un bélier dont les cornes étaient embarrassées dans un buisson; Abraham limmola et le sacrifice fut achevé. Examinez cette histoire : cest une figure symbolique de Jésus-Christ. Mais enfin, faisons jaillir la lumière par la discussion, soulevons les voiles afin de voir ce quils cachent. Isaac, ce fils unique et bien-aimé, figurait le Fils de Dieu ; il porte le bois comme le Christ porta sa croix 3; enfin ce bélier désignait encore Jésus-Christ. Quest-ce en effet quêtre attaché par les cornes, sinon être attaché au bois de la croix ? Cétait là une figuré de Jésus-Christ. Mais il fallait aussitôt prédire lEglise, et après avoir annoncé la tête, annoncer le corps; lEsprit-Saint, lEsprit de Dieu veut à linstant prédire lEglise à Abraham, et rejette les figures. Cétait en figure quil annonçait le Christ et cest ouvertement quil prédit lEglise ; voici ce quil dit à Abraham : « Parce que tu as obéi à ma voix, et que tu nas pas épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai, je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel, et comme le sable des mers, et toutes les nations de la
1. Gen. XXI, 2. 2. Id. XX, 3. 3. Jean, XIX, 17.
terre seront bénies en celui qui sortira de toi 1» . Presque partout le Christ est prédit par les prophètes, sous les voiles du symbole, tandis que lEglise lest directement : afin que ceux-là puissent la voir qui doivent se déclarer contre elle, et que saccomplisse cri eux cette iniquité prédite par le psalmiste « Ceux qui me voyaient senfuyaient au dehors et loin de moi ». Ils sont sortis du milieu de nous, dit saint Jean, à propos de ces apostats, mais ils nétaient pas de nous 2. 10. « Jai été mis en oubli, comme un mort effacé du cur 3 ». On moublie, je suis tombé dans loubli, ceux qui mont vu mont oublié, comme si jétais mort dans leur coeur. Je suis oublié comme le mort effacé du coeur ; je suis tomme un vase inutile4 ». Pourquoi est-il comme le vase inutile? Il se fatiguait, et ne servait à personne : il sest alors considéré comme un vase, et comme il ne servait à personne, il sappelle un vase inutile. 11. « Jai entendu le blâme de ceux qui menvironnaient 5 ». Ils sont nombreux ceux qui demeurent autour de moi pour massaillir de leurs blâmes. Quelles imprécations ne font-ils point contre les mauvais chrétiens, imprécations qui retombent sur les chrétiens en général : « Celui qui jette sur nous le reproche ou le blâme, sen vient-il dire : Voyez ce que font ceux des chrétiens qui sont mauvais? Non, mais bien sans aucune distinction : Voilà ce que font les chrétiens. Tel est cependant le langage de ceux qui menvironnent, cest-à-dire qui tournent autour de moi sans entrer. Pourquoi tourner ainsi et nentrer point? Cest quils aiment le cercle du temps. Ils nentrent pas dans la vérité parce quils naiment pas léternité; attachés quils sont aux choses temporelles, et comme liés à la roue ; cest deux que le Prophète a dit ailleurs: «Faites-leur des princes mobiles comme la roue 6 » ; et encore: « Les impies tournent comme dans un cercle7 ». Dans leurs complots contre moi, « ils délibéraient des moyens de me ravir mon âme ». Que signifie : « Ils délibéraient sur les moyens de me ravir mon âme? » Cest-à-dire sur les moyens de mamener à leur dépravation. Pour ceux qui maudissent lEglise, sans entrer dans son giron, cest peu de ny entrer
1. Gen. XXI, 16 -18. 2. I Jean, II, 19. 3. Ps. XXX, 13. 4. Ibid. 5. Id. 14 6. Id. LXXXII, 14. 7. Id. XI, 9.
point, ils veulent encore nous en faire sortir au moyen de leurs calomnies. Mais sils te font sortir de lEglise, ils se sont emparés de ton âme, ils ont surpris ton assentiment; alors tu es autour de lEglise, et non plus en elle. 12. Pour moi, au milieu de tant dopprobres, de tant de scandales, de tant de maux et de tant de piéges, ne trouvant au dehors que linjustice, au dedans que désordres, cherchant de toutes parts des. hommes que je pusse imiter, sans néanmoins en trouver, quai-je fait? à quel parti me suis-je arrêté? « Jai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu 1 ». Rien de plus avantageux, ni de plus sûr. Tu voulais prendre je ne sais qui pour modèle, et tu ne las point trouvé bon; ne pense plus à limiter. Tu en as cherché un second, et je ne sais quoi te déplaît en lui ; tu en cherches lin troisième qui ne te plaît pas davantage ; faut-il que tu périsses, parce que ni lun ni lautre ne te plaisent? Cesse despérer dans un homme, car « maudit celui qui a mis dans un homme son espoir 2 ». Vouloir tappuyer sur un homme, limiter, en dépendre, cest ne vouloir que du lait pour nourriture ; cest ressembler à des enfants qui veulent toujours la mamelle, alors même quil nest plus convenable. Prendre du lait, vouloir que la nourriture ne nous arrive que par le canal de la chair, cest là vouloir vivre par un homme. Sois donc en état de manger à table, de prendre cette nourriture quil prend, ou que peut-être il na jamais prise. Il est peut-être utile pour toi de navoir trouvé quun mauvais homme dans celui que tu croyais homme de bien, de navoir sucé dans cette mamelle que tu cherchais comme celle de ta mère, quune amertume qui ten a repoussé, afin que cette déception te fît chercher une plus solide nourriture. Cest ce que font tous les jours les nourrices pour les enfants difficiles à sevrer ; elles mettent sur leurs mamelles quelque chose damer, afin que ces enfants, repoussés par le dégoût, quittent la mamelle et recherchent la table. Disons donc : « Cest « en vous, Seigneur, que jai mis mon espoir; « jai dit : Vous êtes mon Dieu u. Cest vous, qui êtes mon Dieu ; arrière Donat! arrière Cécilien, ni lun ni lautre nest mon Dieu, Ce nest pas au nom dun homme que je vis,
1. Ps. XXX, 14. 2. Jérém. XVII, 5.
cest au nom de Jésus-Christ que je mattache. Ecoute ce que dit saint Paul: « Est-ce que cest Paul qui a été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés 1 ? » Je périrais si jétais du parti de Paul, comment ne pas périr si je suis du parti de Donat ! Arrière donc les noms des hommes, les crimes des hommes, les rêveries des hommes ! « Cest en vous, Seigneur, que jai mis mon espoir; jai dit : Cest vous qui êtes mon Dieu. Ce nest point un homme, quel quil soit; cest vous qui êtes mon Dieu. Lun avance, lautre meurt; pour Dieu, il ny a ni mort ni progrès; il ny a nul progrès puisquil est parfait, comme nulle mort puisquil est éternel. « Jai dit au Seigneur : Cest vous qui êtes mon Dieu ». 13. « Mon sort est entre vos mains 2 ». Non pas entre les mains des hommes, mais entre vos mains. Quel est mon sort? Pourquoi lappeler sort? Le nom de sort ne doit point vous faire croire à des sortilèges. Le sort na rien de mauvais, mais dans le doute il indique aux hommes la volonté de Dieu. Les Apôtres eux-mêmes jetèrent le sort pour choisir un successeur à ce Judas qui périt après avoir trahi le Sauveur, ainsi quil était écrit de lui : « Il sen est allé à sa place » : le suffrage des hommes en avait choisi deux, et lun de ces deux fut choisi par le jugement de Dieu. Car il fut consulté pour savoir lequel des deux il voulait pour apôtre, et le sort tomba sur Matthias 3 ». Quest-ce donc: « Mon sort est entre vos mains? » Autant que jen puis juger, il appelle sort, la grâce par laquelle nous sommes sauvés. Pourquoi donner le nom de sort à la grâce de Dieu? Parce que, dans le sort, il ny a point de choix, mais la volonté de Dieu. Dire en effet: Celui-ci a fait le pacte, cet autre non, cest considérer les mérites; et quand on pèse lus mérites, il y a un choix, et non plus un sort: et lorsque Dieu ne trouve en nous aucun mérite, il nous, sauve par le sort de sa volonté, cest-à-dire parce quil le veut, et son parce que nous en étions dignes, voilà le sort. Cest avec raison que la tunique du Sauveur, tissue de haut en bas 4, symbole de la charité éternelle, et que les bourreaux ne pouvaient partager, fut tirée au sort; ceux qui leurent ainsi sont limage de ceux qui partagent le sort des saints. « Cest
1. Cor. I, 13. 2. Ps. XXX, 16. 3. Act. I, 26. 4. Jean, XIX, 23.
la grâce qui nous sauve au moyen de la foi, et cela ne vient point de vous (cest bien là le sort), cela ne vient point de vous, mais cest un don de Dieu. Ce nest point là le bénéfice de vos oeuvres » (comme si vous aviez fait des oeuvres capables de vous en rendre dignes), « ce nest point le bénéfice de vos oeuvres, afin que nul ne sen glorifie. Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes uvres 1 ». Le sort, en ce sens, est comme une secrète volonté de Dieu. Cest donc un sort à légard des hommes, un sort qui émane de la secrète volonté de Dieu, en qui nhabite pas linjustice 2. Car il ne fait point acception des personnes, mais sa justice cachée est un sort pour vous. 14. Redoublez donc dattention, mes frères, et voyez comment. lapôtre saint Pierre vient confirmer cette doctrine. Quand Simon le Magicien, baptisé par Philippe, sattachait àlui sur la foi des miracles opérés en sa présence 3, les Apôtres vinrent à Samarie, où le magicien lui-même avait embrassé la foi et reçu le baptême. Ils imposèrent les mains sur les fidèles nouvellement baptisés, qui reçurent le Saint-Esprit et se mirent à parler diverses langues. Simon fut saisi dadmiration et détonnement à la vue de ce miracle qui faisait descendre le Saint-Esprit sur des hommes auxquels dautres hommes imposaient les mains : il désira, non point cette grâce, mais cette puissance, non ce qui le saurait délivrer, muais ce qui devait satisfaire sa vanité. Absorbé par ce désir, et le coeur plein dorgueil, dune impiété diabolique, dun amour de grandeur qui méritait dêtre abattu, il dit aux Apôtres : « Combien faut-il vous donner dargent pour que le Saint-Esprit descende sur les hommes à qui jimposerai les mains? » Cet homme qui ne cherchait que les choses temporelles, qui se tenait seulement autour de lEglise, pensait pouvoir à prix dargent acheter le don de Dieu. Il crut quavec de largent il se rendrait maître de lEsprit-Saint, et que les Apôtres seraient cupides, comme il était lui-même orgueilleux et impie. Mais Pierre lui dit: « Que ton argent périsse avec toi, qui as cru que le don de Dieu se peut acquérir à prix dargent. Tu nas ni part ni sort dans cette foi »; cest-à-dire, tu nappartiens pas à cette grâce que nous avons
1. Eph. II, 8-10. 2. Rom. IX, 14. 3. Act. VIII, 13 et seqq. 4. Ibid.
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reçue gratuitement, puisque tu as pensé pouvoir avec de largent acheter un don qui est gratuit. Et parce quil est gratuit, il prend le nom de sort : « Tu nas ni part ni sort dans cette croyance ». Je me suis étendu quelque peu, afin que cette expression : « Mon sort est entre vos mains », ne vous inspirât aucune terreur. Quel est ce sort? Lhéritage de lEglise. Quelles en sont les bornes ? Les bornes du monde. «Je te donnerai les nations en héritage, et ta possession sétendra jusquaux confins de la terre ( Ps. II, 8 ) ». Que lhomme ne vienne donc point men promettre je ne sais quelle partie. « Mon sort, ô mon Dieu, est entre vos mains ». Que cela vous suffise aujourdhui, mes frères; demain, au nom et avec le secours de Dieu, nous vous expliquerons le reste du psaume.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXX.TROISIÈME SERMON. ESPOIR DU JUSTE.
Nos ennemis à combattre sont le démon et les chrétiens indignes. Repoussons lun, séparons-nous des autres. Comment sou devons invoquer Dieu. Confusion des pécheurs. Nécessité de confesser hautement Jésus-Christ. Bonheur que Dieu fait goûter à ceux qui espèrent en lui.
1. Il nous reste un peu plus du tiers de ce psaume sur lequel nous avons déjà parlé deux fois, et je vois néanmoins quil faut en finir aujourdhui. Cest pourquoi je prie de me pardonner, si je ne marrête point aux endroits qui sont clairs, afin de nous occuper de ceux qui ont besoin dexplication. Dans beaucoup de passages, le sens se présente naturellement à lesprit, dautres ont besoin dêtre quelque peu éclaircis, dautres enfin, quoique peu nombreux, exigent beaucoup dattention pour être compris. Afin donc de mesurer le temps à vos forces et aux nôtres, voyez et reconnaissez avec nous ces passages qui sont clairs, louez-y Dieu: priez si le psaume est une prière, gémissez quand il gémit, tressaillez sil est dans lallégresse, espérez sil espère, et craignez sil exprime la crainte. Tout ce qui est écrit ici doit nous servir de miroir. 2. « Délivrez-moi des mains de mes ennemis, et de ceux qui me persécutent (Ps. XXX, 16 ) ». Faisons nous-mêmes cette prière, et que chacun de nous la fasse à propos de ses ennemis. Il est bon, et nous devons demander à Dieu quil nous délivre des mains de ceux qui nous haïssent. Mais faisons bien la part des ennemis. Il faut prier pour les uns, et prier contre les autres. Nous ne devons avoir aucune haine contre ceux qui nous haïssent, quels quils soient ; si tu hais celui qui te fait souffrir, au lieu dun méchant, il y en a deux. Aimons donc celui-là même qui nous persécute, afin quil demeure seul dans sa malice, Les ennemis contre lesquels il nous faut prier, sont le diable et ses anges, qui nous envient le royaume des cieux, qui ne peuvent souffrir que nous occupions ces places doù ils sont bannis ; demandons que notre âme soit délivrée de leurs mains. Car les hommes deviennent souvent leurs instruments jusque dans la haine quils ont pour eux. Aussi saint Paul, nous avertissant des précautions que nous devons prendre contre ces ennemis, dit ami chrétiens persécutés, et qui devaient endurer, tantôt les soulèvements, tantôt les fourberies, tantôt la haine des hommes: « Vous navez pas à combattre contre la chair et le sang, cest-à-dire contre les hommes, mais contre les principautés , contre les puissances, contre les princes de ce monde (Eph. VI, 12 ) ». De quel monde ? Est-ce du ciel et de la terre? A Dieu (272) ne plaise ! Il ny a dautre prince de ce monde que celui qui la créé. De quel monde veut donc parler lApôtre ? De ceux qui aiment inonde. Aussi a-t-il ajouté comme explication : « Ce que jappelle monde, ce sont ses ténèbres ». Quelles sont ces ténèbres, sinon les impies et les infidèles? Et en effet, quand ils ont quitté leur état dinfidélité et dimpiété pour devenir pieux et fidèles, lApôtre leur parle ainsi : « Vous nétiez autrefois que ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur: et vous avez à combattre » leur dit-il, «contre les esprits de malice répandus dans les airs, contre le diable et ses anges ». Vous ne voyez pas vos ennemis et vous les surmontez, « Arrachez-moi, Seigneur, aux mains de mes ennemis et de mes persécuteurs ». 3. « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face, et sauvez-moi dans votre miséricorde 2 ». Nous avons dit hier 3, si toutefois ceux qui ont entendu le discours dhier sen souviennent, que les principaux persécuteurs de lEglise sont les chrétiens qui refusent de vivre selon la foi. Ils sont lopprobre de lEglise et lui font subir la violence de leur haine : quon les reprenne, quon les empêche de vivre dans le désordre, quon leur donne le moindre avertissement, aussitôt ils trament nue vengeance dans leurs coeurs et cherchent loccasion déclater. Cest au milieu de ces chrétiens que gémit le Prophète, ou plutôt nous gémissons nous-mêmes: car ils sont nombreux, et cest à peine si, dans cette grande foule, on peut discerner quelques fidèles, amine dans laire on voit peu de ce bon prain que le van doit séparer de la paille, afin quil remplisse les greniers du Seigneur 4. Cest donc au milieu deux quil dit en gémissant: « Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face ». On regarde volontiers somme un opprobre que tous les chrétiens, et ceux qui vivent saintement, et ceux qui vivent dans le désordre, portent le même nom, soient tous marqués dun même sceau, sapprochent tous dun même autel, soient tous purifiés dans un même baptême, redisent tous la même oraison dominicale et assistent tous à la célébration des mêmes mystères. Quand pourra-t-on connaître ceux qui gémissent et ceux pour qui lon gémit, si Dieu ne projette
1. Eph. V, 8, VI, 12. 2. Ps. XXX, 17. 3. Sermon précédent n. 2 et suiv. 4. Matt. III, 12
sur son vrai serviteur le reflet de sa face? Mais que signifie: «Projetez sur votre serviteur le reflet de votre face? » Faites voir que je vous appartiens; et que le chrétien impie ne puisse dire quil vous appartient, car alors le psalmiste aurait dit en vain : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle dun peuple impie 1 ». Ces mots : « Séparez ma cause », ont le même sens que: « Projetez sur votre serviteur la lumière de votre face ». Et néanmoins, pour effacer tout orgueil , ou toute volonté de faire valoir sa propre justice, il ajoute ces paroles: « Sauvez-moi dans votre miséricorde » ; cest-à-dire, non point à cause de ma justice non plus que de mes mérites, mais « par votre miséricorde»; non que jen sois digne, mais parce que vous êtes miséricordieux. Ne me traitez point avec la sévérité dun juge, mais avec votre bonté inépuisable pour le pardon. « Sauvez-moi dans votre miséricorde ». 4. « Seigneur, je ne serai pas confondu, parce que je vous ai invoqué 2 ». Le Prophète nous donne la grande raison pour laquelle il ne sera point confondu, « cest quil vous a invoqué, ô mon Dieu ». Voulez-vous frustrer dans son espoir celui qui vous implore? Voulez-vous que lon dise : « Où est «donc ce Dieu, lobjet de son espoir?» Mais quel est lhomme, fût-il impie, qui ninvoque pas le Seigneur? Si donc le Prophète ne pouvait dire dune manière plus spéciale, et qui na rien de commun avec les autres: « Je vous ai invoqué », il noserait aucunement exiger de son invocation une telle récompense. Car il entendrait dans sa pensée cette réponse que lui ferait le Seigneur en quelque manière: Pourquoi me demander de nêtre point confondu? Pour quelle raison? Parce que tu mas invoqué? Mais chaque jour les hommes ne me prient-ils point, afin de venir à bout des adultères mêmes quils méditent? Dans leurs invocations, nosent-ils pas appeler la mort sur ceux dont ils convoitent lhéritage? Chaque jour encore, ne minvoquent-ils pas pour mener à bonne fin la fraude quils méditent? Pourquoi donc baser la grande récompense que tu exiges sur cette parole : « Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué?» Ils invoquent à la vérité, répond le Prophète, mais ce nest pas nous quils invoquent. Tu invoques le Seigneur
1. Ps. XLII, 1. 2. Id. XXX, 18.
(273)
quand tu lappelles en toi-même; car linvoquer, cest le supplier de venir en toi, et en quelque sorte dans la maison de ton coeur. Mais inviter un tel père de famille, tu noserais le faire, si tu ne savais lui préparer une habitation convenable. Que le Seigneur en effet te réponde et te dise : Sur ton appel, me voici, où entrer? Puis-je subir toutes les ordures de ta conscience? Si tu invitais le moindre de mes serviteurs à entrer dans ta maison, naurais-tu pas soin dy mettre dabord la propreté? Voilà que tu mappelles dans ton coeur, et ce coeur est plein de rapines. Ce lieu où tu appelles un Dieu est plein de blasphèmes, plein dadultères, plein de rapines, plein de fraudes, plein de convoitises honteuses, et cest là que tu me fais entrer! Comment le Prophète a-t-il parlé de ces hommes dans un autre psaume? Ils nont point invoqué le Seigneur (Ps. XIII, 5 ; LII, 6 ), dit-il; sans aucun doute, ils lavaient invoqué, et néanmoins ils ne lont pas invoqué. Je réponds en quelques mots à la question qui vient dêtre soulevée: pourquoi un homme exige-t-il une si grande récompense, quand il ne peut alléguer uniquement que le mérite « davoir invoqué Dieu », et quand nous voyons tant de méchants linvoquer aussi, telle est la question quil est bon de résoudre. Je dis donc un seul mot à lavare : Tu invoques le Seigneur? Pourquoi linvoquer? Pour quil menrichisse, répond-il. Cest donc le gain que tu invoques et non le Seigneur. Ces richesses tant convoitées ne se peuvent acquérir ni par ton serviteur, ni par lintermédiaire de ton fermier, ni de ton client, ni de ton ami, ni de tes domestiques, et alors tu as recours au Seigneur, tu fais du Seigneur lentremetteur de tes profits. Cest trop avilir Dieu. Veux-tu invoquer le Seigneur? Invoque-le gratuitement. Est-ce donc peu pour ton avarice que le Seigneur vienne en toi? Et sil y vient sans or ni argent, tu ne voudras point de lui? Dans toutes ces créatures de Dieu, quest-ce qui pourra te suffire, si lui-même ne te suffit point? Cest donc avec raison que le Prophète a dit: « Que je ne sois pas confondu, puisque je vous ai invoqué ». Invoquez le Seigneur, ô mes frères, si vous ne voulez être confondus. Celui qui tient ce langage redoute une certaine contusion, dont il a parlé au premier verset: « Jai mis en vous mon espoir, ô mon Dieu, je ne serai point confondu pour léternité». Et pour nous bien préciser la confusion quil redoute, qua-t-il ajouté, après avoir dit: « Que je ne sois point confondu, parce que je vous ai invoqué? Honte aux impies », dit-il, « et quils soient conduits dans les enfers », quils tombent dans cette confusion qui sera éternelle. 5. « Silence aux lèvres menteuses, qui profèrent loutrage contre le juste avec orgueil et dédain (Ps. XXX, 19 ) ». Ce juste, cest le Christ. De combien de lèvres débordent contre lui loutrage avec le dédain de lorgueil? Doù viennent cet orgueil et ce dédain? Cest quen venant dans son humilité, il a paru méprisable ana orgueilleux. Comment voulez-vous que des hommes qui raffolent des honneurs ne méprisent point celui qui sest soumis à tant doutrages? Comment ne serait-il pas méprisé par ceux qui font si grand cas de la vie, celui qui a voulu mourir? Comment nauraient-ils pas du mépris pour un crucifié, ceux qui regardent comme un opprobre la mort de la croix? Comment des riches nauraient-ils pas du mépris pour ce créateur du monde, qui mène ici-bas une vie pauvre? Tout ce quels hommes recherchent passionnément, Jésus-Christ sen est abstenu, non par impuissance de le posséder, mais afin que son abstention nous en inspirât le mépris : et cest pour cet quil encourt le mépris de tous ceux qui en raffolent. Tout fidèle qui voudra marcher dans les voies du Christ, et imiter ce quon lui enseigne de lhumilité de son divin Maître, sert méprisé dans le Christ, parce quil est membre du Christ. Il y a donc mépris pour la tête et pour les membres, et par conséquent pour Jésus-Christ tout entier, parce quil y a justice et dans le chef et dans les membres. H tant que Jésus-Christ tout entier soit méprisé par les impies et par les superbes, afin que nus paroles soient accomplies à leur sujet: «Silence aux lèvres menteuses, qui, avec le mépris et le dédain, versent liniquité sur le juste ». Quand seront-elles réduites an silence? Ici-bas? Jamais. Chaque jour elles profèrent des cris contre les chrétiens, principalement contre les humbles; chaque jour elles aboient loutrage et le blasphème : ces langues impies attisent ainsi les douleurs de la soif qui doit les consumer dans lenfer, où elles désireront la moindre goutte deau (274) sans lobtenir 1. Ce nest donc pas maintenant que doivent se taire les lèvres des impies. Mais quand ? Quand leurs iniquités sélèveront contre eux pour les confondre, ainsi quil est écrit dans la Sagesse : « Alors les justes se tiendront avec une grande fermeté contre ceux qui les ont tourmentés. Ceux-ci diront n à leur tour: Voilà donc ceux que nous avons couverts dinsultes et doutrages. Les voilà comptés parmi les enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints ! Insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie 2». Alors seront réduites au silence les lèvres de ceux qui, avec le mépris de lorgueil, profèrent loutrage contre le juste. Aujourdhui ils vous disent : Où est votre Dieu? Quest-ce que vous adorez? Que voyez-vous? Vous croyez et votas souffrez; votre peine, voilà ce qui est certain; mais votre espérance est incertaine. Mais elles se tairont, ces lèvres menteuses, quand nous aurons recueilli ce bien qui est certain, et que nous espérons. 6. Considère alors ce quajoute le Prophète, après avoir imposé silence aux lèvres menteuses qui profèrent avec mépris et dédain loutrage contre le juste. Celui qui gémit de la sorte a considéré lui-même et ers esprit, de loeil intérieur il a vu les biens de Dieu, il a vu ces biens qui ne se voient que dans le secret, et que limpie ne saurait voir. Il a vu dès lors ces impies distiller loutrage contre le juste avec un orgueilleux dédain, parce. quils nont des yeux que pour les biens du monde, et nullement pour les biens à venir quils ne savent pas même se figurer en pensée, Mais pour faire apprécier aux hommes les biens à venir, tandis quil nous ordonne le tolérer seulement et non daimer ceux de cette vie, le voilà qui sécrie : « Combien est grande, ô mon Dieu, votre douceur 3! » Que limpie me demande ici : Où est donc ce trésor de douceur? Je lui répondrai : Comment pourrais-je montrer ce trésor de douceur, quand la fièvre de liniquité ta fait perdre le goût? Si tu ne connaissais le miel, tu nen vanterais pas la douceur avant de lavoir goûté. En, ton coeur na plus de palais pour goûter ces sortes de biens; que faire alors? Comment te les montrer? Je ne vois personne à qui je puisse dire : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 4 . Combien est grand, ô mon 1. Luc, XVI,24. 2.Sag. V, 15. 3. Ps. XXX, 20. 4. Id. XXXIII, 9.
Dieu, le trésor de douceur que vous avez «caché pour ceux qui vous craignent 1 ! » Quest-ce à dire « caché? » Que vous leur réservez et non que vous refusez, de sorte queux seuls peuvent y arriver; car cest un bien qui ne peut être commun aux bons et aux méchants; et ces premiers y arrivent par la crainte. Tant quils ont la crainte, ils ny sont point arrivés encore; mais ils espèrent y arriver, et ils commencent par la crainte. Rien nest plus doux quune sagesse impérissable; mais le commencement de toute sagesse est la crainte du Seigneur 2. Et cette sagesse, « vous la réservez à ceux qui vous craignent. » 7. « Vous lavez fait sentir à ceux qui espèrent en vous, en présence des fils des hommes 3 ». Non point : vous lavez fait sentir en présence des fils des hommes, mais bien « à ceux qui espèrent en vous en présence des fils des hommes »; cest-à-dire, vous avez fait goûter votre douceur à ceux qui espèrent en vous devant les enfants des hommes. Cest en ce sens que le Seigneur a dit : « Celui qui renonce à moi devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père 4 ». Donc si tu espères dans le Seigneur, espère devant les hommes; ne cache point ton espérance au fond de ton coeur, ne crains pas de confesser que tu es chrétien, même devant ceux qui ten font un crime. Mais à qui fait-on un crime aujourdhui dêtre chrétien? Il y a si peu dhommes qui ne le soient point, quil nous sied mieux de leur reprocher de ne lêtre pas, quà eux de nous reprocher de lêtre. Jose néanmoins vous le dire, mes frères: commence, ô toi qui mécoutes, commence à vivre en chrétien, et vois si tu nen recevras pas des reproches, de ces chrétiens qui sont chrétiens de nom seulement, et non par la vie et les moeurs. Personne ne comprend mes paroles, sil nen a fait lexpérience. Ecoute donc bien mes paroles, et fais-y réflexion. Veux-tu vivre en chrétien? veux-tu suivre les traces de ton Sauveur? Que lon ten fasse un crime et tu en rougis, et cette fausse honte te fait tout abandonner. Te voilà hors du bon chemin. Il te semble que tu crois de coeur pour être justifié, mais tu as perdu ceci: « Il faut confesser de bouche pour arriver au salut 5 ». Si donc
1. Ps. XXX, 20. 2. Prov. 1,7; Ps. CX, 10. 3. Ps. XXX, 20 4. Matt. X, 33. 5. Rom. X, 10.
tu veux marcher dans la voie du Seigneur, il faut manifester ton espérance même devant les hommes, cest-à-dire ne rougir jamais de cette espérance. De même que Dieu vit dans ton coeur, quil soit aussi dans ta bouche: car ce nest point en vain que le Christ a voulu que son signe fût marqué sur notre front, qui est le siége de la pudeur; cest afin que le chrétien ne rougisse point des opprobres du Christ. Si donc tu en agis de la sorte en présence des hommes, si devant eux tu ne rougis point du Christ, si devant les fils des hommes tu ne renies le Christ uni par tes oeuvres ni par tes paroles, espère que Dieu te fera sentir sa douceur. 8. Quel est le verset suivant? « Vous les cacherez dans le secret de votre face 1 ». Quel est ce lieu? Le Prophète ne dit point: Vous les cacherez dans votre ciel; ni : Vous les cacherez dans votre paradis; ni : Vous les cacherez dans le sein dAbraham. Car les saintes Ecritures donnent beaucoup de noms à ces lieux que doivent habiter les saints dans la vie future. Nattachons aucun prix à tout ce qui nest pas Dieu. Quil soit lui-même notre habitation, ce Dieu qui veille sur nous, pendant notre habitation en cette vie : cest en effet le langage que tenait plus haut le psalmiste: « Soyez pour moi un Dieu protecteur et un lieu de refuge 2 ». Donc nous serons cachés dans la face de Dieu. Mais attendriez-vous que je vous expliquasse la retraite qui est dans la face de Dieu? Purifiez vos coeurs, afin que celui que vous invoquez puisse y entrer et les éclairer. Sois pour lui une demeure ici-bas, et il sera ta demeure éternelle; quil habite en toi, et tu habiteras en lui. Si tu le caches en cette vie en ton coeur, il te cachera dans sa face en lautre vie. « Vous les cacherez », dit le Prophète, mais où? « dans le secret de votre face contre le « trouble des hommes ». Il ny a plus de trouble pour ceux que dérobe cet asile mystérieux; plus de trouble dans le secret de votre face. Mais dès ici-bas, lhomme qui se voit en butte aux outrages des autres, parce quil sert Jésus-Christ, dont le coeur se réfugie en Dieu, mettant ainsi son espoir dans sa douceur, est-il assez heureux, selon vous, pour trouver dans la face du Seigneur un asile contre le trouble des hommes qui loutragent, et un asile dont il ressente le bonheur? Il
1. Ps. XXX, 21. 2. Id. 3.
entre en effet dans la face de Dieu, sil est en état dy entrer, cest-à-dire si sa conscience nest point chargée, si elle nest point pour lui un fardeau en disproportion avec la porte étroite. « Vous les cacherez donc dans le secret de votre face, contre le trouble des hommes; vous les protégerez dans votre demeure contre les langues discordantes1». Un jour donc, vous les cacherez dans le secret de votre face contre le trouble des hommes; afin que nul trouble humain ne puisse désormais les atteindre. Mais jusque-là, pendant que leur pèlerinage en cette vie expose vos serviteurs à des contradictions nombreuses, que ferez-vous pour eux? « Vous les protégerez dans votre tente». Quelle est cette tente? Cest lEglise dici-bas, ainsi appelée parce quelle est voyageuse sur cette terre. Caria tente est labri des soldats en campagne. Telle est la tente à proprement parler, mais lamai. son nest pas une tente. Cest à toi de combattre alors que tu nes quun voyageur en campagne, afin quaprès avoir été sous labri de la tente, tu aies dans la maison une réception glorieuse. Car le ciel sera éternellement ton palais, si tu vis saintement sous la tente, Cest donc sous votre tente, ô Dieu, que vous leur offrez un abri contre les langues de contradiction. On ne voit que des langues contradictoires , que des hérésies, que des schismes qui dogmatisent, une foule de langues qui contredisent la vraie doctrine: pour toi, va chercher un abri sous la tente du Seigneur, adhère à lEglise catholique sans técarter des règles de la vérité, et tu trouveras dans ce tabernacle un abri contre les contradictions des langues. 9. « Béni soit le Seigneur, parce quil a signalé sa miséricorde dans la ville qui menvironne 2 ». Quelle est cette ville qui menvironne? Le peuple de Dieu nhabitait que la Judée, qui paraît être au milieu du monde; où lon célébrait les louanges du Seigneur, où on lui offrait des sacrifices: où la prophétie publiait incessamment pour lavenir les merveilles que nous voyons saccomplir : ce peuple paraissait donc au milieu des nations. Cest là ce qui fixe lattention du Prophète, et il voit que lEglise de Dieu sera au milieu des nations, que tous les peuples environnaient le peuple juif assis au milieu deux; il appelle ces peuples divers la cité qui lenvironne. Il est vrai,
1. Ps. XXX, 21. 2. Id. 22.
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Seigneur, que vous avez fait éclater à Jérusalem votre miséricorde ; cest là que le Christ a souffert, là quil est ressuscité, de là quil est monté aux cieux, là quil a opéré tant de prodiges: mais vous êtes plus admirable encore davoir fait éclater votre miséricorde dans cette ville qui lenvironne, cest-à-dire davoir tait tomber votre miséricorde comme une rosée sur toutes les nations, de navoir point enfermé dans Jérusalem, comme dans un vase, vos parfums exquis, davoir en quelque sorte brisé le vase, pour que le parfum se répandit dans le monde, et quainsi fût accomplie cette parole de lEcriture : « Votre nom est comme un parfum répandu 1 ».Cest ainsi que vous avez fait éclater vos miséricordes dans la cité qui menvironne. Le Christ en effet sest élevé au ciel, il est assis à la droite de son Père, dix jours après il a envoyé lEsprit-Saint 2: et pleins du Saint-Esprit, les disciples se sont mis à prêcher les merveilles du Christ, puis ils ont été lapidés, meurtris, chassés3. Bannis en quelque sorte de cette ville unique, ils sont devenus par le feu divin comme des torches ardentes qui ont porté dans la forêt du monde la ferveur du Saint-Esprit, et la lumière de la vérité; et le Seigneur a fait éclater sa miséricorde dans la cité environnante. 10. « Pour moi, jai dit dans mon extase ». Rappelez-vous le titre du psaume : voici lextase dont il est parlé. Pesez bien les paroles voici ce quil dit : « Pour moi, jai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Jai dit dans ma frayeur, cest là ce que signifie : « Jai dit dans mon extase ». Il a été dans la stupeur, en face de je ne sais quelle tribulation, comme il y en a tant. Il sest vu le coeur plein de frayeur et de trouble, et il sest écrié : « Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Si jétais caché dans votre face, je ne craindrais pas de la sorte; si vous aviez loeil sur moi, je ne serais point dans cette frayeur. Mais, comme il est écrit dans un autre psaume : « Quand je disais: Mon pied est ébranlé, votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait aussitôt ». Et voilà que même ici le Prophète ajoute: « Aussi avez-vous entendu la voix de ma prière ». Parce que jai fait un humble aveu, et que jai dit : « Me voilà repoussé loin de vos yeux »; parce que, sans orgueil, jai accusé mon propre coeur, et que me sentant chanceler dans lépreuve, jai crié vers vous :
1. Cant. I, 2. 2. Act. I, 9. 3. Id. VIII, 1.
voilà que vous avez entendu ma prière ; ainsi saccomplit ce que jai cité de lautre psaume. Car ces paroles : «Jai dit dans mon extase: Me voilà rejeté loin de vos yeux », reviennent à celles-ci: « Quand je disais: Mon pied chancelle ». Et celles-ci : « Votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait», ont le même sens que ces autres: « Vous avez entendu, Seigneur, la voix de ma prière ». Voyez tout cela saccomplir en saint Pierre ; il voit le Seigneur marchant sur les eaux, et le prend pour un fantôme. Le Seigneur sécrie: « Cest moi, ne crains rien ». Pierre senhardit et répond « Si cest vous, Seigneur, commandez-moi daller à vous sur les eaux 1 » ; par là je verrai si cest bien vous, si je puis, sur votre parole, faire ce que vous faites. Et le Seigneur : Venez; et la parole de celui qui ordonne devient la force de celui qui obéit. Venez, dit Jésus, et Pierre descend de la barque ; il commence à marcher, il va sans crainte parce quil espère en Jésus : mais au souffle dun vent violent, la crainte le saisit. « Jai dit dans mon extase: Me voilà rejeté loin de vos yeux ». Et comme il commençait à enfoncer, il sécria : Seigneur, je péris. Et Jésus lui tendant la main le souleva en disant: Homme de peu de foi, pourquoi douter? Jai dit dans ma frayeur : « Me voilà rejeté loin de vos yeux»; et quand il va périr dans la mer : «Vous avez, Seigneur, entendu ma voix quand jen appelais à vous ». Cet appel à Dieu nest point de la voix, mais du coeur. Beaucoup parlaient du coeur, et dont les lèvres se taisaient, et beaucoup aussi parlaient des lèvres, sans rien obtenir, parce que leur coeur était fort éloigné. Si donc tu veux crier vers Dieu, crie du fond du coeur, puisque cest là quil écoute. Lorsque je criais vers vous, dit le Prophète, vous avez entendu la voix de ma prière. 11. Après en avoir fait une si douce expérience, à quoi nous engage le Prophète? «Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints 2». Comme sil nous disait: Croyez-en à mon expérience ; dans laffliction jai invoqué le Seigneur, qui na -point frustré mon attente; jai mis en Dieu mon espoir, qui na pas été confondu: il a mis la lumière dans mes pensées, et ma rassuré dans mon trouble. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints » : cest-à-dire, aimez le Seigneur, vous qui naimez pas le monde, ou vous qui êtes ses saints.
1. Matt. XIV, 26-32. 2. Ps. XXX, 24.
(277) Dirai-je, en effet, daimer le Seigneur à celui qui aime lamphithéâtre? Dirai-je daimer le Seigneur à celui qui aime et les mimes et les pantomimes, qui est enclin à livrognerie, qui est épris des pompes du siècle, de toutes les vanités, de toutes les folies de lerreur? Jaime mieux leur dire : Apprenez à ne pas aimer, afin dapprendre à aimer; détournez-vous, afin de vous retourner; répandez, afin de vous remplir ensuite. « Aimez. le Seigneur, ô vous qui êtes ses saints ». 12. « Car le Seigneur recherche la vérité 1». Vous le savez, mes frères, on voit aujourdhui beaucoup dhommes sadonner au mal, beaucoup dautres sélever dans leur vanité, mais le Seigneur doit rechercher la vérité. « Il rendra au centuple à ceux qui agissent principalement par orgueil ». Supportez-les donc jusquà ce que vous les portiez à la tombe, souffrez-les jusquà ce que vous en soyez délivrés: car il faut que Dieu recherche la vérité et châtie ceux qui nagissent que par orgueil. Mais, diras-tu, quand le fera-t-il? A sa volonté. Sois assuré quil le fera, ne doute nullement de sa justice, et quant au moment de lexercer, ne va pas témérairement donner des conseils à Dieu. il est certain quil recherchera la vérité, quil punira ceux qui agissent par excès dorgueil. Il le fait pour quelques-uns dès cette vie; nous en avons été témoins, nous avons reconnu sa justice. En effet, quand le Seigneur humilie ceux qui le craignent, et qui ont pu jeter de léclat dans les dignités du monde, leur humiliation ne les a point abattus, parce quils navaient point banni Dieu de leur coeur; leur élévation est alors Dieu lui-même. Job paraissait humilié, après avoir essuyé la perte de ses biens, la perte de ses enfants, la perte et des biens quil réservait en héritage2, et de ceux qui devaient en hériter; il demeure sans héritage, et ce qui est plus triste, sans héritier; il demeura seul avec son épouse, qui était pour lui non plus une consolatrice, mais plutôt un instrument du diable 3: il paraissait humilié; voyez sil était misérable, et sil nétait point caché dans la face de Dieu. « Je suis sorti nu du sein de ma mère», sécria-t-il, « et nu je retournerai dans «la terre : le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait : que le nom du Seigneur soit béni 4 ». Cest la perle de la louange offerte à
1. Ps.XXX, 24. 2. Job, I. 3. Id. II. 3. 4. Id. I, 21.
Dieu, et quelle en est la source? Voyez, lextérieur est pauvre, et à lintérieur il y a des trésors. Cette perle des louanges de Dieu sortirait-elle de sa bouche, sil navait un trésor enfoui dans son coeur? Vous qui soupirez après les richesses , ce sont là les trésors quil vous faut convoiter, et que vous ne perdrez point dans un naufrage. Quand ces hommes sont humiliés, gardez-vous de les croire malheureux. Ce serait une erreur, car vous ne connaissez point leurs richesses intérieures. Frivoles amateurs du monde, vous les jugez daprès volas-mêmes; en perdant ces biens, vous ne trouvez plus que la misère, Gardez-vous de les juger ainsi, ils ont en eux. mêmes une source de joie. Leur maître habite en eux, il est leur pasteur, il les console intérieurement. Une chute nest vraiment déplorable que pour ceux qui mettent leur espérance dans cette vie. Otez-leur ce qui brille au dehors, il ne leur reste que la fumée dune mauvaise conscience. Ils nont plus rien qui les puisse consoler, rien par où se répandre au dehors, rien par où ils puissent rentrer en eux-mêmes, sans gloire mondaine, sans aucun don spirituel, ils sont dans un déplorable dénuement. Cest ainsi que Dieu en traite beaucoup dès ce monde, mais pas tous. Sil nen traitait aucun, la divine Providence semblerait sendormir, et sil les châtiait tous, la patience divine disparaîtrait. Mais toi, ô chrétien, tu as appris à souffrir, et non à te venger. Voudrais-tu donc te venger, ô chrétien, quand le Christ nest point encore vengé? Quelle injure as-tu endurée quil nait point dû essuyer? Na-t-il pas le premier souffert pour toi, lui qui ne méritait pas de souffrir? La tribulation est pour toi comme le creuset pour lor; si toutefois tu es de lor et non point de la paille, ce feu alors te fortifiera sans te réduire en cendres. 13. « Aimez le Seigneur, vous qui êtes ses saints, parce que le Seigneur recherche la vérité et doit châtier ceux qui se livrent à lorgueil ». Mais quand les châtier? Si du moins il les châtiait de nos jours! si je les voyais aujourdhui humiliés, renversés dans la poussière! Ecoutez ce qui suit: « Agissez en hommes », ne laissez pas vos mains sabattre dans la tribulation, ni vos genoux saffaisser. « Agissez en hommes, et que votre coeur soit inébranlable ». Ayez donc le coeur, la force dendurer et de souffrir tous
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les maux de cette vie. Mais à qui le Prophète adresse-t-il ces paroles : « Agissez en hommes et que votre coeur soit inébranlable? » Est-ce aux hommes épris du monde? Pas du tout. Mais écoutez quels sont ceux quil encourage: « Vous tous qui espérez dans le Seigneur».
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