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DISCOURS SUR LE PSAUME LI.SERMON AU PEUPLE.TRIOMPHE DE JÉSUS-CHRIST.
David a remporté sur ses ennemis de grandes victoires ; après les avoir exterminés, il a régné avec gloire; ainsi Jésus-Christ a-t-il triomphé des hommes; il a détruit en eux lorgueil et les autres vices, et il les a soumis à son empire par la crainte de ses jugements; ils se sont convertis, et alors lEglise a triomphé malgré ses humiliations et les persécutions quelle a endurées; elle sest répandue partout, et elle règne nième sur les pécheurs, parce que Dieu la protége et la soutient dans ses combats.
1. Le psaume dont nous allons entretenir votre charité est peu étendu, mais son titre exige quelques explications ; écoutez-nous donc patiemment, nous vous lexpliquerons de notre mieux, et dans la mesure des grâces que Dieu nous accordera à cet effet. Nous ne pouvons passer outre sans donner un développement suffisant à notre interprétation, puisque, selon le bon plaisir de nos frères, nos paroles doivent être recueillies non-seulement par vos oreilles et vos coeurs, mais aussi par le stylet; nous devons donc avoir en vue nos auditeurs présents et nos futurs lecteurs. Nous vous avons fait lire aussi un passage du livre des Rois, oit il est question de lévénement qui a donné lieu à ce psaume. Saül avait été choisi de Dieu, il était devenu roi, mais à titre transitoire et à cause de la dureté de coeur et des mauvaises dispositions du peuple juif: non pour le bien-être de ce peuple, mais pour sa punition, selon cette sentence de nos livres saints qui parlent ainsi de Dieu: « Il fait régner lhomme hypocrite, parce que le peuple est corrompu 1». Arrivé ainsi au pouvoir, Saül persécutait David: David en qui Dieu préfigurait le royaume du salut éternel, David que Dieu avait choisi pour régner toujours dans la personne de ses descendants, puisque notre Roi, le Roi des siècles, avec qui nous devons régner éternellement, devait « naître de la race de David selon la chair 2 ». Dieu choisit, élut et prédestina donc David pour être roi, mais il ne voulut point le laisser monter sur le trône avant de lui avoir fait subir lépreuve de la persécution et de len avoir délivré; et en cela David devait nous figurer davance, et figurer en nous le corps dont le Christ est le chef. Car si notre chef lui-même na voulu régner dans le ciel quaprès avoir fourni sur la terre une carrière pénible; sil na voulu élever jusquau ciel le corps dont il sétait revêtu ici-bas, quen lui faisant suivre une voie douloureuse, de quel droit les membres oseraient-ils se promettre de pouvoir être plus
1. Job, XXXIV, 30. 2. Rom. I, 3.
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heureux que leur chef? « Sils ont appelé le Père de famille Belzébuth, ne traiteront-ils pas de même ses serviteurs 1?» Nespérons donc point un chemin plus facile: marchons où il a marché avant nous, suivons la route quil nous a tracée; ses pas doivent nous servir de guides; si nous nous écartons, notre perte est certaine. Vois donc ce que figurait David; vois, par conséquent, ce que figurait Saül: Saül annonçait le règne du mal, David, celui du bien; celui-ci la vie, lautre la mort. Nous ne sommes, à vrai dire, persécutés que par la mort; et, encore, en triompherons-nous à la fin et pourrons-nous lui dire : « O mort, où est ta force; ô mort, où est ton aiguillon 2 ? »Comment puis-je dire que la mort seule nous persécute? Parce que si nous nétions point condamnés à mourir, quel mal pourrait nous faire notre ennemi? Nuit-il aux anges? La mort elle-même, source de nos plus amères tribulations, la mort elle-même verra finir son règne, lorsquà la fin des siècles nous ressusciterons dentre les morts: si alors on nous trouve établis dans la justice, sa puissance sévanouira à notre égard, comme elle sest évanouie à légard de notre chef. Car en mourant, le Christ devint lassassin de la mort; au moment où il rendit le dernier soupir, elle périt bien plutôt sous ses coups, quil ne succomba lui-même victime de ses atteintes. 2. Si, maintenant, nous voulons étudier le nom même de Saül, nous y rencontrerons encore un sens mystérieux; car ce nom signifie demande ou désir. Pouvons-nous avoir le moindre doute sur la cause de notre mort? Le péché de lhomme, en voilà lorigine: lhomme sest donc, à vrai dire, souhaité la mort; voilà pourquoi on donne le nom de « désir » à la mort; car il est écrit: « Dieu na point fait la mort, et il ne se réjouit point dans la perte des vivants; il a créé toutes choses afin de les faire subsister, et il a mis toutes les nations de la terre dans un même de état de santé et de bonheur »; mais, diras-tu, doù vient donc la mort? « Les impies lont attirée par leurs mains et leurs paroles; ils la considéraient comme une amie, ils ont péri 3 ». Ils lont désirée et se sont perdus, ils sont tombés dans les piéges de la mort, alors même quils la regardaient comme une amie; ainsi le peuple juif, en demandant un
1. Matt. X, 25. 2. I Cor. XV, 55. 3. Sag. I, 13, 14, 16.
roi, crut avoir en lui un ami, et il ny rencontra quun ennemi. Cette nation arracha au Seigneur la permission davoir un roi, et il lui donna Saül, comme il avait livré en leur propre puissance ceux-là mêmes qui, par leurs mains et leurs désirs, sétaient efforcés dattirer la mort; la mort fut donc figurée en la personne de Saül, cest pourquoi le dix-septième psaume porte ce titre: « Psaume pour le jour où le Seigneur délivra David de la main de ses ennemis et de la main de Saül». Il parle dabord de ses ennemis et ensuite de la main de Saül, parce que la mort, notre plus cruelle ennemie, sera détruite la dernière; « et de la main de Saül »,signifie donc quil nous a rachetés de lenfer et délivrés de lempire de la mort. 3. Au moment où Saül persécutait le saint homme David, celui-ci senfuit en un lieu où il pensait trouver un abri sûr; pendant sa fuite il sarrêta en passant chez le prêtre Achimélech, qui lui donna les pains consacrés à Dieu, et ainsi figura-t-il en sa personne la royauté et le sacerdoce; puisque, selon la parole du Sauveur citée dans lEvangile, « il mangea les pains de proposition que les prêtres seuls avaient le droit de manger 1 ». Ce fut alors que Sait! commença à vouloir découvrir ses traces, et sirrita contre ses serviteurs, parce quaucun deux ne consentait à le lui livrer: voilà ce que nous avons lu dans le livre des Rois. Quand David vint chez le prêtre Achimélech, le prince des pasteurs de Saül, un Iduméen, nommé Doëch, se trouvait là; témoin de la colère de son maître, et de la persistance de tous à ne point lui livrer David, Doëch déclara traîtreusement en quel endroit il lavait aperçu. Saül envoya donc chercher le prêtre avec toute sa famille, et donna lordre de les mettre à mort; mais aucun de ceux qui accompagnaient le roi nosa, même sur ses ordres réitérés, porter la main sur les prêtres du Seigneur; pourtant celui qui avait imité Judas dans sa trahison, persévéra comme lui jusquà la fin dans ses honteux errements, et continua à faire sortir de la racine empoisonnée de son coeur des fruits tels quun mauvais arbre peut en produire. A un signe du roi, ce Doëch tua donc de sa propre main le prêtre avec tous les siens, et leur ville elle-même fut ensuite entièrement détruite.
1. Matt. XII, 4.
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Doëch fut donc lennemi du roi David et du prêtre Achimélech. Il ny avait en lui quun homme, et néanmoins il représentait toute une classe dhommes, comme David , personnification visible de la royauté et du sacerdoce, nétait non plus quun homme tout à la fois prêtre et roi, et pourtant représentait une autre classe dhommes. Voyons donc ce que sont dans le temps présent et sur cette terre ces deux classes dhommes, afin que nous puissions faire tourner à notre profit les paroles que nous avons chantées ou entendu chanter. Portons notre attention sur Doëch, puis sur ceux que représentent le roi et le prêtre, enfin sur les hommes opposés au Pontife et au roi. 4. Dabord réfléchissez au sens même ries noms, vous y verrez déjà de mystérieuses choses: Doëch signifie mouvement; Iduméen veut dire terrestre. Voyez donc quelle classe dhommes désigne ce Doëch en mouvement. Il est terrestre, sa durée ne sera donc pas éternelle : elle est éphémère. Que peut-on attendre dun homme terrestre? des oeuvres célestes? Non, car il sera toujours homme. Pour le dire brièvement et sans retard, il y a aujourdhui ici-bas un royaume terrestre et un royaume céleste. Quils soient de la terre ou du ciel, quils doivent être détruits, ou quils soient destinés à persévérer toujours, ces deux royaumes ont leurs citoyens, passagers comme le temps, mélangés en ce monde les uns parmi les autres ; les membres de celui-ci et les membres de celui-là sont donc comme confondus ensemble. Les citoyens du royaume céleste gémissent, répandus au milieu des citoyens du royaume terrestre; et si, parfois, je dois le dire encore , les membres du royaume du ciel se trouvent engagés dans les affaires du royaume de la terre, les affaires du royaume des cieux ne restent point non plus tout à fait étrangères aux membres du royaume dici-bas ; les divines Ecritures nous en fournissent plus dun exemple. Babylone a vu Daniel et les trois enfants à la tête de ladministration royale. En Egypte Joseph tenait le premier rang après le roi pour exercer cet empire souverain dont le peuple de Dieu devait être plus tard délivré. Comme les trois enfants, comme Daniel, Joseph se livrait donc dune certaine façon au soin des affaires publiques: de là il résulte évidemment que le royaume terrestre attire à lui les citoyens du royaume céleste, non pour en faire les complices de ses oeuvres diniquité, mais pour se décharger sur eux du soin de ses affaires, cest-à-dire de ses intérêts publics. Quest-ce que le royaume des cieux? En quel sens peut-il sattacher ici-bas pour un temps les membres du royaume terrestre? ces hommes que lApôtre accusait de ne point annoncer le pur Evangile, dannoncer le royaume des cieux tout en bornant leurs désirs à ce monde périssable, de rechercher leurs propres intérêts tout en prêchant le Christ? Soyez bien persuadés quils ont été appelés à titre de mercenaires pour travailler au profit du royaume céleste ; car lApôtre dit deux dans lélan de sa joie : « Il y en a qui prêchent Jésus-Christ avec un esprit denvie et de jalousie, avec une intention qui nest pas pure, croyant quils ajouteront une affliction nouvelle à mes liens: mais que mimporte? pourvu que Jésus-Christ soit annoncé de quelque manière, par occasion ou par un vrai zèle, je men réjouis et men réjouirai 1». Cest aussi de tels hommes que Jésus-Christ disait : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc ce quils disent, mais ne faites pas ce quils font 2 ». Ils parlent le 1angage de David, ils agissent à la manière de Doëch. Ecoutez-les comme si je vous parlais moi-même, mais ne les imitez pas. Voilà les deux classes dhommes bien distinctes que lon rencontre en ce monde, cest delles quil est question dans ce psaume. 5. En voici le titre : « Pour la fin, intelligence à David, lorsque lIduméen Doëch dit à Saül: David est venu en la maison dAchimélech ». Et pourtant nous lisons quil est venu en la maison dAchimélech. Les noms se ressemblent, il ny a de différent quune syllabe ou plutôt quune lettre: nous sommes donc autorisé à penser que les titres ont été probablement changés. En examinant avec attention divers manuscrits des Psaumes, nous avons remarqué le nom dAbimélech plus souvent que celui dAchimélech. Dans un autre endroit des psaumes il y a plus quune dissimilitude de noms, cest une différence très-marquée entre les noms, et qui ne laisse aucun doute. En effet, David changea de visage, non devant Je roi Abimélech, mais devant le roi Achis, dont il prit ensuite congé et quitta la
1. Philipp. I, 17, 18. 2. Matt. XXXIII, 2, 3.
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présence, tandis que le titre du psaume porte: « Quand il changea de visage devant Abimélech 1». Ce changement de nom renferme un mystère, attachons-nous donc plus particulièrement à découvrir le sens caché; et, sous prétexte de discuter un point dhistoire, ne négligeons point de soulever le voile qui dérobe à notre vue un trésor secret. En expliquant ce psaume, nous avons fait connaître le sens du nom dAbimélech, et nous avons dit quil signifie: Royaume de mon père. Comment David a-t-il quitté le royaume de son père? comment est-il parti? De la même manière que le Christ sest éloigné du royaume des Juifs pour passer du côté des Gentils. David a été trahi, lorsquil est venu prendre possession du royaume de son père; comme Notre-Seigneur Jésus-Christ a été livré à la mort marquée par Saül, lorsquil est venu prendre possession du royaume des Juifs établi par son Père et dont il a dit: «On vous ôtera le royaume de Dieu et on le donnera à un peuple qui produira les fruits de justice 2 ». Voilà sans doute pourquoi lesprit prophétique, en donnant à ce psaume le titre que vous savez, a dicté le nom dAbimélech et non point celui dAchimélech. Pas plus quIsaac, qui pourtant figurait la passion du Sauveur, David ne fut mis à mort; néanmoins le sang coula pour donner à ces toux figures leur signification parfaite : du côté dIsaac ce fut le sang du bélier; du côté de David ce fut celui du prêtre Achimélech. Comme ils ne devaient point ressusciter, ils ne levaient pas non plus être mis à mort; mais, in les délivrant du danger de mourir par leffusion du sang, Jésus marquait mieux sa résurrection, dont ils étaient ainsi la figure, parce quelle lui était réservée, à lui, comme tu souverain Seigneur. Nous pourrions en ire davantage sur ce sujet, si nous avions pris à tâche dexpliquer les mystérieuses significations de ces choses passées. 6. Nous venons de parler avec bien de la difficulté, peut-être trop longuement, de ce titre; mais nous lavons fait comme Dieu tous a permis de le faire; puisque nous en sommes venus à bout, parlons maintenant es deux classes dhommes dont il a déjà été question. Faites attention quil y a en ce onde deux sortes de personnes : les unes souffrent, on souffre au milieu des autres.
1. Ps. XXXIII, 1. 2. Matt. XXI, 43.
Celles-ci pensent à la terre, celles-là au ciel; dun côté les coeurs sont plongés dans la boue; de lautre, ils sélèvent jusquaux anges. Ici on espère les biens temporels dont le monde dispose; là on a en vue les biens éternels que nous a promis un Dieu fidèle en ses promesses. Ces deux sortes de, personnes se trouvent confondues ensemble. Parfois nous rencontrons à la tête dune administration terrestre un citoyen de Jérusalem, un citoyen du. royaume des cieux : ainsi nous le voyons revêtu de la pourpre, occupant une place parmi les magistrats ; il est édile, prêteur, empereur; il gouverne une république terrestre; mais il tient son coeur élevé bien au-dessus de ce bas monde, sil est chrétien, fidèle et pieux, sil éprouve du mépris pour ce qui lentoure, sil place ses espérances là où il nest pas encore. À cette classe de personnes appartint autrefois Esther. Cette sainte femme, devenue reine, se trouva dans la périlleuse nécessité de prier pour ses concitoyens, et pendant quelle priait en, présence de Dieu dont elle ne pouvait tromper linfinie science, elle confessa quelle navait jamais estimé ses ornements royaux plus quun vêtement de femme souillé par la boue 1. Si nous voyons des citoyens du royaume des cieux engagés dans la question des affaires de Babylone, tout occupés du gouvernement des biens terrestres , ne désespérons pas deux; par la même raison napplaudissons pas à tous ceux qui soccupent des choses du ciel, parce que bien souvent lon voit assis sur la chaire de Moïse des fils de pestilence, des hommes dont il est écrit: « Faites ce quils disent, mais gardez-vous de faire ce quils font, car ce quils disent, ils ne le font pas ». Au milieu des embarras du siècle, ceux-là portent leurs affections jusque dans le ciel, et ceux-ci traînent leurs coeurs par terre, au moment même où ils ouvrent la bouche pour des conversations toutes célestes ; viendra plus tard le temps du vanneur; alors on fera le discernement exact des uns et des autres, et de la sorte aucun bon grain ne tombera dans létat de paille destinée au feu, aucun fétu de paille ne viendra se mêler au froment que lon doit renfermer dans les greniers. Mais pendant que les bons et les méchants vivent confondus les unis avec les autres, prenons-en occasion découter notre voix, cest-à-dire la voix des citoyens du royaume des
1. Esth. XIV, 16.
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cieux; car, sil est un désir que nous devions former, cest davoir à supporter les méchants plutôt que dêtre à charge aux bons; unissons-nous à cette voix par nos oreilles, notre langue, notre coeur et nos oeuvres. Par là nous disons nous-mêmes ce que. nous entendons. Parlons dabord de lensemble des hommes mauvais qui appartiennent au royaume de la terre. 7. « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il 1 ? » Considérez bien, mes frères, de quelle nature est la gloire de la malignité, la gloire des hommes mauvais. Quelle est cette gloire? « Pourquoi celui qui est puissant en malice se glorifie-t-il? » Cest-à-dire: De quoi peut se glorifier celui qui surabonde de malice? Il faut être puissant en bonté et non en méchanceté. Y a-t-il de la grandeur à se glorifier dêtre méchant? Le nombre de ceux qui peuvent bâtir une maison est peu considérable, mais le premier ignorant venu peut la détruire. Semer du froment, le cultiver ensuite, en attendre la maturité, user joyeusement du fruit de ses labeurs, voilà le propre dun petit nombre; avec une étincelle chacun est à même de réduire en cendres toute la récolte; donner la vie à un enfant, le nourrir après lavoir mis au monde, lélever et le conduire jusquà ladolescence, cest une grande affaire; le tuer en un clin doeil, quoi de plus facile? Rien de plus aisé que de détruire. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur 2. Que celui qui se glorifie, se glorifie dans sa bonté. Tu te glorifies, parce que tu es puissant dans le mal. Mais de quoi es-tu capable, ô puissant? que peux-tu faire? tu te vantes beaucoup. Tu feras mourir un homme; un scorpion, un accès de fièvre, un champignon vénéneux peut en faire autant. Egaler en puissance un champignon empoisonné, voilà ce à quoi tu peux réussir; est-ce là pour toi un sujet dorgueil? Les bons citoyens de Jérusalem, qui ne prennent point plaisir à faire le mal, mais qui se réjouissent dopérer le bien, se glorifient non en eux-mêmes, mais dans le Seigneur. Ils sefforcent aussi de bien faire, ce qui tend à lédification, et dagir de telle sorte que leurs oeuvres puissent durer longtemps. Mais quand ils travaillent à détruire, ils le font pour la correction et le profit des autres, et non point dans le but dopprimer des
1. Ps. LI, 3. 2. I Cor. I, 31.
innocents. Comparée au pouvoir des bons, la puissance des méchants ne mérite-t-elle pas quon leur adresse ces paroles du psaume : « Pourquoi celui qui se glorifie, se glorifie-t-il dans la malice? » 8. « Votre langue a médité linjustice, elle « a pensé tout le jour à liniquité 1 » ; tout « le jour »; cest-à-dire en tout temps, sans éprouver de lassitude, sans interruption, sans repos. Quand tu ne fais pas le mal, tu y penses, en sorte que si tes mains sont vides diniquité, ton coeur en est rempli. Tu fais du mal; et, si tu ne peux en faire, tu en dis, cest-à-dire, la médisance sort de tes lèvres, et lors. que tu ne peux même en venir jusque-là, tu veux et tu penses le mal. « Tout le jour » signifie donc sans cesse. A un pareil homme nous souhaitons un châtiment. Mais nest-il pas pour lui-même un châtiment assez sévère? Tu le menaces; lorsque tu le menaces, où veux-tu le jeter? dans le malheur? abandonne-le à lui-même. Pour le punir exemplairement, tu veux le livrer aux bêtes. Celles-ci peuvent bien déchirer son corps ; mais il est, lui, incapable de ne pas se déchirer le coeur. Au dedans il est son propre supplice, et tu voudrais le tourmenter au dehors? II vaut mieux prier Dieu pour lui, afin quil soit délivré de lui-même. Remarquez-le toutefois, mes frères, il ny a dans ce psaume ni prière en faveur des méchants, ni imprécation contre eux, nous ne devons y voir que lannonce de ce qui leur adviendra; ne vous imaginez donc pas que le psalmiste, animé de mauvais vouloir envers eux, ait voulu manifester dans ses paroles les sentiments de son coeur, il na fait quune prophétie. Voyons ce qui suit. Toute ta puissance, toutes ces pensées iniques que tu nourrissais en ton âme durant le jour; ces réflexions malignes, sans cesse exprimées par ta langue, à quoi ont-elles abouti? quel en est le résultat? « Tu as fait le mal comme un rasoir affilé ». Voilà bien ce que les méchants font aux bons, ils leur rasent les cheveux. Mépriser les biens de la terre et la vie même, telle est la disposition desprit où se trouvent les vrais citoyens de Jérusalem , parce quils écoutent cette parole de leur Seigneur et Roi: « Ne craignez point ceux qui ne peuvent tuer que le corps et ne peuvent tuer lâme 2 ». Parce quils ont entendu ces autres paroles de
1. Ps. LI, 4. 2. Matt, X, 28.
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lEvangile quon a lues tout à lheure: « Que sert-il à lhomme de gagner tout le monde entier, sil vient à perdre son âme 1?» que peut faire le rasoir de Doëch à un homme qui pense ici-bas au royaume des cieux, et qui doit plus tard y demeurer, à un homme qui possède Dieu en lui-même et qui doit être éternellement uni avec Dieu? Encore une fois, que peut lui faire ce rasoir? Il lui rasera les cheveux; il le rendra chauve. Telle a été la destinée du Christ, puisquil a été crucifié au sommet du Calvaire. Il en fait un enfant de Coré, qui veut dire Chauve. Par cheveux on entend les choses superflues dici-bas; non point que Dieu ait fait des cheveux un ornement inutile du corps humain, mais comme on peut les couper sans faire souffrir la personne à laquelle on les coupe, ceux qui sattachent cordialement à Dieu considèrent les biens de la terre du même oeil que sils étaient des cheveux. Parfois néanmoins tu dois te servir de ces cheveux pour opérer le bien; par exemple, partager ton pain avec celui que la faim tourmente, recevoir en ta maison lindigent dépourvu dun toit protecteur, vêtir le malheureux que tu vois condamné à la nudité. Les martyrs qui ont répandu leur sang pour lEglise à limitation du Seigneur et entendu celte parole: « Comme le Christ a donné son urne pour nous, nous devons aussi la donner pour nos frères 2 », les martyrs se sont en quelque façon servis de leurs cheveux pour nous faire du bien; ils se sont dépouillés en notre faveur de ce que le rasoir de Doëch peut nous ôter dune manière plus ou moins absolue. Que lon puisse faire du bien à laide de ces cheveux, la femme pécheresse nous en a donné la preuve : prosternée aux pieds du Seigneur elle avait amèrement pleuré; après les avoir arrosés de ses larmes, elle les essuya avec ses cheveux. Quelle leçon devons-nous tirer delà? cest quen usant de miséricorde à légard dautrui, tu dois encore lui venir en aide, si tu le peux. Lorsque tu prends pitié de lui, tu sembles verser sur lui des larmes; tu les essuies avec tes cheveux, quand tu lui procures ton secours. Si telle doit être notre conduite envers tous les hommes, à plus forte raison devons-nous agir de la sorte dès quil est question des pieds du Seigneur. Or, quels sont-ils? Ce sont les saints prédicateurs de lEvangile dont il est écrit: « Quils sont
1. Matt. XVI, 26. 3. I Jean, III, 16.
« beaux les pieds de ceux qui annoncent la « paix, de ceux qui annoncent les biens 1 !»Que Doëch aiguise donc sa langue comme un rasoir, que ses machinations deviennent plus ténébreuses encore, quil emploie à les ourdir toute sa malice; il nous enlèvera toutes les superfluités de cette vie passagère, mais pourra-t-il nous arracher les biens nécessaires qui subsisteront éternellement ? 10. « Tu as préféré la malice à la bonté ». Tu avais devant toi la bonté, naurais-tu point dû laimer? Il naurait fallu ni dépense, ni lointaine navigation pour la posséder ; devant toi se trouvent la bonté et la méchanceté; compare-les et choisis; mais peut-être as-tu un oeil pour voir la méchanceté et nen as-tu pas pour voir la bonté. Malheur au coeur méchant! Le pire est quil se détourne pour ne point voir ce qui frappe ses regards. Cest bien de telles gens quil a été écrit : « Il na pas voulu avoir lintelligence pour faire le bien » Nous ne pouvons croire quil nait pu, car il est dit: « Il na pas voulu avoir lintelligence pour faire le bien ». Il a fermé les yeux à la lumière quil avait devant lui. Nous lisons ensuite: « Il sest livré à des pensées iniques, jusque sur son lit 2 », cest-à-dire, dans le plus profond secret de son coeur. Voilà ce que le Psalmiste reproche à cet Iduméen Doëch, à cet ensemble dhommes méchants, sans cesse agités dun mouvement terrestre, passager et non céleste. « Tu as préféré la malice à la bonté » . Veux-tu être assuré que le méchant voit distinctement lune et lautre, quil se détourne de lune et choisit lautre? Voici la preuve. Pourquoi se plaint-il, lorsquil est victime de quelque injustice? Pourquoi exagère-t-il autant que possible le mal dont il soutire, et fait-il léloge de la bonté? Pourquoi blâme-t-il son persécuteur davoir préféré pour lui le mal au bien? Quil soit donc à lui-même sa- propre règle de vie, cest daprès lui-même quil sera jugé, sil fait ce qui est écrit: « Vous aimerez votre prochain comme vous-même 3 » ; et : « Faites aux autres le « bien que vous voulez quils vous fassent 4 ». Il trouve dans le fond de son coeur la connaissance de ce principe : il ne faut point faire à autrui ce que nous ne voudrions point qui nous fût fait à nous-mêmes. « Tu as préféré la malice à la bonté »; homme injuste,
1. Isa. LII, 7; Rom. X, 15. 2. Ps. XXXV, 4, 5. 3. Matt. XXII, 39, 4. Id. VII, 12.
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déréglé et pervers, tu veux mettre leau au-dessus de lhuile, mais leau reprendra le dessous et lhuile le dessus Tu prétends soumettre la lumière aux ténèbres, mais les ténèbres disparaîtront et la lumière restera. Tu veux placer la terre au-dessus du ciel : entraînée par son propre poids, elle reviendra bientôt en son lieu. Tu périras donc comme submergé, en préférant le mal au bien, car jamais le mal ne vaincra le bien: « Tu as préféré le mal au bien, tu as mieux aimé dire des injustices que parler selon léquité ». Devant mi liniquité et la justice se trouvent, tu nas quune langue et tu la tournes où bon te semble; pourquoi donc la tournes-tu plutôt du côté de liniquité que du côté de la justice ? Tu ne voudrais point te nourrir daliments amers, et tu donnes à ta maligne langue liniquité pour nourriture. Puisque tu choisis tes aliments, choisis de même tes paroles. Tu donnes à liniquité la préférence sur la justice, tu mets la malice au-dessus de la bonté; mais quoi que tu fasses, quest-ce qui prendra le dessus, sinon la justice et la bonté? En te plaçant dune certaine manière sur ce qui doit, nécessairement prendre le dessous, non-seulement tu ne réussiras jamais avec tes appuis à dominer le bien, mais tu te précipiteras avec eux dans le mal; voilà pourquoi le Psalmiste ajoute: 11. « Tu as aimé toutes les paroles de submersion 1 ». Dérobe-toi, si tu le peux, au danger de périr submergé Tu fais naufrage et tu taccroches à du plomb. Si tu ne veux pas noyer, saisis donc une table, monte sur du bois; que la croix soit ta sauvegarde, si tu ne veux pas noyer. Mais parce que tu es Doëch, Iduméen, parce que tu es ébranlé et terrestre, que fais-tu ? « Tu aimes toutes les paroles de ruine et la langue trompeuse ». Cette langue est venue la première et à sa suite les paroles de ruine. Quest-ce quune langue trompeuse? Cest un instrument de fourberie au service de ceux qui pensent une chose et qui en «lisent une autre. Le fruit de tout cela, cest le bouleversement et la ruine. 12. « Cest pourquoi Dieu te détruira à la fin 2 », quoique tu sembles en ce moment aussi vigoureux que lherbe des champs paraît lêtre avant de subir les ardeurs du soleil. Car toute chair nest que de lherbe, et léclat de lhomme ressemble à la fleur de lherbe. Lherbe sest desséchée, sa fleur est tombée,
1. Ps. LI, 6. 2. Id. 7.
mais la parole de Dieu demeure éternellement 1. Attache-toi donc à ce qui demeure éternellement. Si tu tattaches à lherbe et à sa fleur, Dieu te détruira à la fin, parce que lherbe se desséchera et que sa fleur tombera. Il te détruira sinon aujourdhui, du moines à la fin, quand il prendra le van et quil séparera le tas de paille de la masse du froment. Est-ce qualors on ne renfermera pas le bon grain dans les celliers? Est-ce quon ne jettera pas la paille dans le feu ? Est-ce que Doëch tout entier ne se tiendra pas à sa gauche, au moment où le Seigneur dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges? » « Dieu te détruira donc à la fin, il tarrachera et te fera sortir de ta tente». LIduméen Doëch est sous la tente, mais le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison de son père 2. Il fait encore un peu de bien, sinon par ses oeuvres, du moins par la parole de Dieu, car tout en cherchant son profit dans le service de lEglise, il prêche encore la parole du Christ. Mais il te fera sortir de ta tente. « En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense » . « Et il arrachera ta racine de la terre des vivants». Nous devons donc avoir notre racine dans la terre des vivants. Puisse-t-elle y être! La racine est cachée; on voit les fruits, mais on ne peut voir la racine. Notre racine, cest la charité; nos fruits, ce sont nos bonnes oeuvres : tes bonnes oeuvres doivent donc provenir de la charité, et alors ta racine se trouve dans la terre des vivants. Doëch en sera arraché, il est impossible quil y reste, parce quil ny a point jeté profondément ses racines; il ressemble aux plantes dont la semence a été jetée sur, la pierre: elles poussent bien des racines, mais comme elles manquent de terre, elles se dessèchent aussitôt que le soleil se lève 3. Pour ceux qui enfoncent profondément leurs racines, lApôtre leur dit: « Je fléchis pour vous les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que vous soyez enracinés et fondés dans la charité; et, comme vous avez jeté là vos racines, afin que vous puissiez connaître quelle est la hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur, et comprendre aussi lamour de Jésus-Christ envers nous, amour qui surpasse toute connaissance, pour être comblés de toute la plénitude des dons de Dieu ». Une racine si
1. Isa. XL, 6, 8. 2. Jean, VIII, 35. 3. Matt. XIII, 5.
565 grande, si simple, si féconde, si profondément affermie est bien digne de produire de pareils fruits. Mais la racine de Doëch sera arrachée de la terre des vivants. 13. « Et les justes verront et ils seront saisis de crainte, et ils riront de lui ». Quand craindront-ils? quand riront-ils? Cherchons à le comprendre et. à bien voir en quel temps lon peut craindre et rire dune manière vraiment utile. Pendant le cours de notre pèlerinage ici-bas, prenons garde de rire, dans la crainte de pleurer ensuite. Nous lisons ce que lavenir réserve à Doëch, et parce que nous le comprenons et le croyons, nous voyons, mais nous craignons. Il a donc été dit: « Les justes verront et seront saisis de crainte». A la vue de ce qui adviendra finalement aux méchants, pourquoi tremblons-nous ? parce que lApôtre a dit: « Opérez votre salut avec crainte et tremblement 2 ». Pourquoi avec tremblement? « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber 3 ». Pourquoi avec tremblement? parce quil est dit en un autre endroit: « Mes frères, si quelquun est tombé par surprise en quelque faute, vous qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous pensant à lui-même et craignant dêtre tenté de la même manière 4 ». Donc ceux qui sont justes aujourdhui, qui vivent de la foi et qui connaissent lavenir réservé à Doëch, craignent pour eux-mêmes le même sort, car ils savent se quils sont aujourdhui, ils ignorent ce quils seront demain. « Les justes verront dabord, et ils craindront », et quand riront-ils? quand le règne de liniquité sera venu à son terme; lorsque le temps de lincertitude aura disparu, comme il a déjà disparu en grande partie: quand se seront évanouies les ténèbres de ce monde, au milieu desquelles nous ne marchons que guidés par la lumière des Ecritures, et toujours tourmentés par la crainte de nous perdre dans les ombres de la nuit. Nous marchons en effet à la clarté de la prophétie; car voici ce que nous dit lapôtre saint Pierre : « Nous avons les oracles des prophètes, dont la certitude ne laisse aucun doute et auxquels vous ferez bien de vous arrêter comme devant une lampe qui luit dans un lieu obscur jusquà la ce que le jour commence à vous éclairer et que létoile du matin se lève en vos
1. Ps. LI, 8. 2. Id. II, 11. 3. I Cor. X, 12. 4. Gal. VI, 1.
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curs 1 ». Tant que nous marchons à la lumière dune lampe, il nous faut vivre avec le sentiment de la crainte; mais quand sera venu pour nous le véritable jour, cest-à-dire quand aura lieu cette manifestation du Christ dont lApôtre nous parle en disant: « Lorsqu apparaîtra. Jésus-Christ votre vie, vous « paraîtrez aussi avec lui dans sa gloire 2 », alors les justes riront de Doëch, alors le temps de lui venir en aide sera passé: aujourdhui si tu vois un homme de mauvaise conduite, tu travailles à le corriger; car celui qui vit dans linjustice, peut se convertir et redevenir bon, comme le juste est capable de perdre son innocence et de devenir coupable. Tu ne dois donc ni avoir de toi trop bonne opinion, ni désespérer dautrui. Si donc tu es bon, si tu ne préfères point le mal au bien, mets tous tes soins, à ramener dans b chemin droit celui qui marche dans la voie de liniquité. Mais quand aura sonné lheure du jugement, il ny aura plus lieu à correction, ce sera le moment de la condamnation; et si alors on se repent, le repentir sera inutile, parce quil viendra trop tard. Veux-tu que ta pénitence. soit profitable? Nattends pas, corrige-toi dès aujourdhui tu es coupable, Dieu est ton juge, efface tes fautes et lapproche de ton juge te remplira de joie.. Aujourdhui il texhorte à la conversion afin de navoir pas à te juger; il te demandera plus tard un compte rigoureux, aujourdhui il se fait ton avocat. Alors donc, mes frères, ce sera le temps de rire. Le livre de la Sagesse nous parle clairement de ces moqueries adressées aux justes par les méchants. Car la Sagesse elle-même, prenant possession des âmes pures, leur fera tenir ce langage : « Je vous reprenais et vous ne mécoutiez pas, je vous parlais et vous ne prêtiez pas loreille à mes discours; aussi je rirai lorsque je verrai votre perdition 3 ». Ainsi les justes parleront-ils à Doëch. Voyons aujourdhui et tremblons, dans la crainte de nous entendre dire de semblables paroles; et, si nous ressemblons à Doëch, corrigeons-nous, afin que vivant aujourdhui sous lempire de la crainte, nous puissions plus tard nous livrer à la joie. 14. Que diront alors ceux qui riront? « Et ils se moqueront de lui et ils diront: Voilà lhomme qui na pas mis en Dieu son appui 4». Vous le voyez, il est ici question du
1. II Pierre, I, 19. 2. Coloss. III, 6. 3. Prov. I, 21. Ps. LI, 9.
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lassemblée des hommes terrestres. Plus de biens tu auras, plus grand tu seras : voilà bien la manière dont sexpriment les avares, les ravisseurs du bien dautrui, les oppresseurs de linnocence, les envahisseurs des propriétés qui ne leur appartiennent pas, ceux qui refusent de rendre les dépôts à eux confiés. Plus tu posséderas, plus grand tu seras cest-à-dire, la mesure de ta fortune en argent et en propriétés sera la mesure de ta puissance: « Voilà lhomme qui na pas mis en Dieu son appui, mais qui a placé son espérance dans la grandeur de la fortune ». Un pauvre méchant dira peut-être: Je ne suis pas du nombre de ces gens-là, parce que le Prophète a dit . « Il a mis son espérance dans la grandeur de sa fortune » ; puis, jetant les yeux dune part sur ses haillons, dautre part, sur son voisin, qui fait partie du peuple de Dieu, mais qui est riche et bien mieux vêtu que lui, il se dira encore intérieurement : Le Prophète a voulu parler de celui-ci : il na pas pu parler de moi. Ne ty trompe pas, il ny a ni distinction ni exception à faire en ta faveur. Vois et crains, afin de rire plus tard. Les ressources te manquent, mais si ton coeur est rongé par la convoitise, en es-tu plus innocent? Notre-Seigneur Jésus-Christ dit un jour à un riche : « Va, vends ce que tu possèdes; donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, viens et suis-moi ». Cet homme séloigna le coeur chagrin, le Seigneur avait alors donné aux riches un grand sujet de craindre pour leur salut, car il avait ajouté quil serait plus facile à un chameau de passer par le trou dune aiguille, quà un riche dentrer dans le royaume des cieux. A ces mots, ses disciples contristés se dirent les uns aux autres: Sil en est ainsi, qui est-ce qui pourra se sauver 1? » En parlant de la sorte ne faisaient-ils attention quau petit nombre des riches? Linnombrable multitude des pauvres noccupait-elle point leur pensée? Ne pouvaient-ils pas se dire : Puisquil est aussi difficile, aussi impossible à des riches dentrer dans le royaume des cieux quà un chameau de passer par le trou dune aiguille, tous les pauvres entreront dans le ciel, les riches seuls en seront exclus? Y a-t-il beaucoup de riches? la multitude des pauvres est immense, on les compte par milliers. Ce nest point de nos vêtements, mais de léclat de notre justice que
1. Matt. , XIX, 21, 24, 25. .
dépendra notre gloire dans le royaume céleste. Les pauvres y seront égaux aux anges de Dieu, revêtus de la robe de limmortalité, ils brilleront de léclat du soleil dans le royaume de leur père. Pourquoi donc nous inquiéter, pourquoi nous tourmenter dun si petit nombre de riches? Mais ce nétait point là la pensée des Apôtres; et lorsque le Seigneur leur disait: « Il serait plus facile à un chameau de passer par le trou dune aiguille quà un riche dentrer dans le royaume des cieux », et quils demandaient: « Qui est-ce qui pourra se sauver? » ils avaient en vue les convoitises et non la fortune. Ils voyaient en effet que les pauvres eux-mêmes sont rongés par lavarice, malgré leur pénurie. Lavarice, voilà la cause de la condamnation des riches; ce nest pas leur aisance, et pour vous en assurer, remarquez bien ce que je dis : Ce riche que tu vois à. tes côtés e de la fortune et nest peut-être pas avare; pour toi tu ne possèdes rien, mais la soif des richesses te dévore. Un pauvre couvert dulcères, accablé de maux, léché par des chiens, nayant ni ressources, ni aliments, ni même de quoi se vêtir, a été emporté par les anges dans le sein dAbraham 1. A ce souvenir tu te réjouis dêtre pauvre; est-ce que tu désirerais aussi les ulcères de Lazare? Est-ce que la santé nest pas pour toi une véritable fortune? Lazare a tiré son mérite, non de sa pauvreté, mais de sa piété. Qui est celui qui a été emporté par les anges? Tu le vois; où a-t-il été emporté? Tu ne le vois pas. Quel est-il? Un pauvre accablé de maux et couvert dulcères. Où les anges lont-ils transporté? Dans le sein dAbraham. Si tu lis les Ecritures, tu verras quAbraham était riche 2. Sache-le bien, les richesses ne sont point blâmables, car Abraham possédait de lor en abondance, aussi bien que de largent, des trou peaux, des serviteurs; en un mot, il était riche, et cest dans son sein que le pauvre Lazare sest vu transporter. Oui, un pauvre a été reçu dans le sein dun riche: quel contraste ! Mais non, ils étaient tous deux riches de Dieu; ils étaient lun et lautre pauvres de convoitises. 15. Quest-ce donc que lEcriture condamne en Doëch? Elle ne dit pas : Voilà lhomme qui a été riche; mais : « Voilà lhomme qui na point mis en Dieu son appui, qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses ». Il est
1.Luc, XVI, 22. Gen. XIII, 2.
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condamné, puni, enlevé de sa tente, comme un tourbillon tout terrestre, comme la poussière que le vent emporte de dessus la surface de la terre : il est déraciné et arraché de la terre des vivants, non parce quil a été riche, mais parce quil a placé ses espérances dans sa fortune au lieu de les placer en Dieu 1. Est-ce de pareils riches que parle lapôtre saint Paul quand il dit: « Ordonne aux riches de ce monde de ne pas être orgueilleux » comme Doëch, « et de ne pas mettre leur confiance en des richesses incertaines et périssables », comme Doëch qui a mis son appui dans leur multitude; mais despérer dans «le Dieu vivant » et de ne pas ressembler à Doëch qui « na pas pris Dieu pour son appui? » Enfin, que leur recommande-t-il encore : « Quils soient riches en bonnes oeuvres, quils donnent facilement, quils partagent avec les pauvres 2 ». Sils donnent facilement, sils partagent leurs biens avec ceux qui nen ont pas, passeront-ils par le trou de laiguille? Oui, ils y passèrent, car le chameau y a passé avant eux et pour eux. Il y est en effet entré le premier, celui qui a dû sabaisser à lexemple dun chameau, pour pouvoir être chargé du fardeau de sa passion; dailleurs il a dit lui-même: Ce qui est impossible à lhomme est facile à Dieu 3. Que Doëch soit donc condamné et que les justes trouvent maintenant en lui un sujet de crainte. Tu as peut-être de la fortune, mais au lieu despérer en elle, tu espères en Dieu. Celui qui ne suit pas ton exemple et qui ne cherche pas son appui dans le Seigneur est à juste titre condamné: « Et il a placé son espérance dans «la multitude de ses richesses », pareil en cela à ceux qui disent: Bienheureux le peuple qui possède ces choses, cest-à-dire, les biens de la terre; tandis que les adversaires de Doëch répètent: « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». Le Psalmiste énumère tous les biens qui, selon eux, font le bonheur dun peuple, car ils parlent comme des enfants étrangers, comme Doëch lIduméen, le terrestre : « Leur bouche sest répandue en vanité, et leur droite est une droite diniquité; leurs enfants sont dans leur jeunesse comme de nouveaux plans darbres; leurs filles sont parées et ornées comme lest un temple ; leurs celliers sont remplis ; ils regorgent et se déversent lun dans lautre :
1. Ps. I, 4. 2. I Tim. VI, 17, 18. 3. Matt. XIX, 26.
« leurs vaches sont grasses, la clôture de leurs héritages nest ni brisée ni ouverte à tout venant, on nentend aucun cri dans leurs places publiques 1 ». Ils semblent trouver dans cette tranquillité dici-bas une félicité sans bornes. Mais celui qui est terrestre est aussi ébranlé que la poussière enlevée par le vent de dessus la surface de la terre. Mais enfin, que leur reproche-t-on? On ne leur reproche pas de jouir de tous ces biens, car il y a des justes qui les possèdent aussi. Alors que leur reproche-t-on? Ecoutez-moi attentivement et vous ne blâmerez point i,ndistinctement tous les riches, comme vous ne ferez ni de la pauvreté ni des privations auxquelles elle condamne, un titre assuré de salut. Car sil ne faut point sappuyer sur les richesses, il ne faut pas davantage compter sur les mérites de la pauvreté; le Dieu vivant doit être seul le fondement de notre espérance. Encore une fois, que leur reproche-t-on donc? davoir proclamé bienheureux le peuple qui jouit de ces avantages, et davoir par conséquent agi comme des enfants étrangers; « davoir parlé le langage de la vanité, davoir eu en leur droite une droite diniquité ». Et toi, que diras-tu? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ». 16. Il est condamné lhomme « qui amis sa confiance dans la grandeur de ses richesses et qui sest prévalu dans sa vanité », car y a-t-il pensée plus vaine que celle dattribuer à une pièce de monnaie un pouvoir supérieur à celui de Dieu? Il est condamné lhomme qui a proclamé bienheureux le peuple riche des biens de la terre. Mais toi qui dis : « Heureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur», que penses-tu de toi? Où places-tu tes espérances? « Pour moi », ce sont tous les justes qui parlent ici : « Pour moi, je suis comme un olivier fertile dans la maison de mon Dieu ». Ce langage nest pas seulement celui dun homme, cest le langage de lolivier fertile dont les rameaux orgueilleux ont été retranchés, et sur lequel on a greffé lhumble olivier sauvage 2. « Pareil à un olivier fertile dans la maison de mou Dieu, jai mis mon espérance dans la miséricorde du Seigneur». Doëch a dit: « Jai placé mon espérance dans la multitude de mes richesses » : ainsi il sera déraciné et arraché de la terre des vivants. Pour moi, parce que je suis pareil à un
Ps. CXLIII, 14, 15. 2. Rom. XI, 17.
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olivier fertile dans la maison du Seigneur », dont les racines vont puiser leur sève dans cette terre des vivants au lieu den être arrachées, jai mis toute ma confiance dans la miséricorde divine ». Mais peut-être y a-t-il là une réserve. Parfois, en effet, il est des hommes qui se trompent à cet égard, ils adorent Dieu et sous ce rapport ils ne ressemblent point à Doëch; mais sils espèrent en Dieu, cest dans la vue den obtenir des biens temporels, cest comme sils se disaient : Jadore mon Dieu, aussi il me rendra riche, il me donnera des enfants, il maccordera une épouse. Dieu seul peut distribuer de tels dons, mais il ne veut point quon laime dans lintention den obtenir la jouissance, car souvent il les accorde aux méchants, afin dapprendre aux justes à attendre de sa part autre chose. En quel sens dis-tu donc : « Jai placé mon espérance dans la miséricorde divine? » Nest-ce point pour obtenir du Seigneur des avantages temporels? Non. « Jai placé mon espérance dans la miséricorde divine pour toujours, pour les siècles des siècles». A ces paroles: « Pour toujours », il a voulu ajouter ces autres : « Pour les siècles des siècles », afin de montrer plus clairement par cette répétition combien solidement il était établi dans lamour des choses célestes, dans lespérance de léternel bonheur. 17. Je vous bénirai à jamais et je confesserai que cest vous qui lavez fait 1». Quavez-vous fait? Vous avez condamné Doëch et couronné David : « Je vous bénirai à jamais et je confesserai que cest vous qui lavez fait ». Magnifique aveu : « Vous lavez fait ». Quavez-vous fait, sinon ce qui a été dit tout à lheure: « Pareil à un olivier fertile dans la maison, de mon Dieu, jai placé mon espérance dans la miséricorde du Seigneur pour toujours, pour les siècles des siècles? » Cest votre oeuvre ; limpie est incapable par lui-même de se justifier. Quel est donc celui qui rend juste et saint ? « Croyant en celui qui justifie limpie », dit saint Paul. «Quas-tu en effet que tu naies reçu2?» Comme si tu pouvais le trouver en toi-même! A Dieu ne plaise que je me glorifie de la sorte, dit lhomme qui sest déclaré contre Doëch, qui le supporte ici-bas, en attendant quil sorte de sa tente et soit arraché de la terre des vivants. Je ne me glorifie point comme si je navais
1. Ps. LI, 11. 2. II Cor. IV, 7.
rien reçu, je me glorifie en Dieu. Et je confesserai devant vous que vous lavez fait; cest-à-dire, vous lavez fait sans aucun mérite de ma part, cest un effet de votre miséricorde. Quai-je fait, moi? si vous vous le rappelez: « Jai été dabord un blasphémateur, je vous ai persécuté, je vous ai insulté ». Et vous quavez-vous fait? Jai obtenu miséricorde, parce que jai agi dans lignorance 1 . Je confesserai à jamais devant vous que vous lavez fait ». 18. « Et jattendrai votre nom, parce quil est doux ». On ne rencontre quamertumes en ce monde, mais votre nom est rempli dagréments; et si lon trouve ici-bas quelques douceurs, quelles amertumes on ressent quand on les a goûtées! La grandeur et la douceur donnent à votre nom la prééminence sur toutes choses. Les méchants mont fait le récit de leurs plaisirs; mais, Seigneur, que leurs charmes sont loin de ressembler à ceux de votre loi 2! Si les martyrs navaient trouvé aucune douceur dans leurs tourments, auraient-ils pu en supporter les amertumes? Il était facile pour tous de voir en quelles amertumes ils étaient plongés, mais on ne pouvait guère éprouver la joie quils ressentaient. Le nom de Dieu est donc plein de charmes pour ceux qui préfèrent le Seigneur à tous les plaisirs : « Jattendrai votre nom, parce quil est doux » . Mais à qui prouver que le nom de Dieu est doux ? Dis-moi quelle personne peut en savourer les délices? Fais du miel toutes les louanges possibles; exagère autant que tu voudras sa douceur; lhomme qui ne connaît pas le miel ne te comprendra pas avant den avoir goûté. Voilà pourquoi le Psalmiste tinvite dune manière si pressante à faire lexpérience des charmes du nom de Dieu: « Goûtez », dit-il, « et voyez combien le Seigneur est doux 3». Tu neveux pas le goûter et tu dis: Il est doux. A quoi sert de parler ainsi? Si tu las goûté, quon le voie dans les fruits de salut que tu produiras, et non pas seulement dans tes paroles, cest-à-dire dans tes feuilles, parce que tu pourrais bien être maudit de Dieu comme le figuier stérile 4. « Goûtez», dit le Psalmiste, « et voyez combien le Seigneur est doux » . « Goûtez et voyez ». Si tu goûtes, tu verras. Mais comment en viendras-tu à persuader un homme qui ne goûte pas? Quels
1. I Tim. I, 13. 2. Ps. CXVIII, 85. 3. Jean, XXXII, 9. 4. Matt. XXI, 19.
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que soient tes efforts à exalter la douceur du nom de Dieu, tes louanges ne seront jamais que des paroles incapables de la faire apprécier; il en serait tout autrement si tu pouvais la faire savourer. Les impies eux-mêmes entendent les louanges quon en fait, mais il ny a que les saints pour les comprendre. Le Psalmiste sent toute cette douceur du nom de Dieu, il veut en donner une idée et la faire en quelque sorte toucher des yeux, mais il ne trouve personne à qui il puisse expliquer sa pensée; car, dune part, les saints qui savourent et connaissent cette douceur du nom de Dieu, nont aucunement besoin den entendre parler ; dautre part, les impies sont incapables dapprécier ce quils ignorent. Que faire alors? Comment parler de cette douceur du nom de Dieu? Il se sépare aussitôt de la foule des méchants et il dit : « Jattendrai votre nom, parce quil est doux en présence de vos saints ». Votre nom nest pas doux en présence des impies, mais je sais à qui sa douceur est bien comme, cest à ceux qui en ont fait lexpérience.
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