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DISCOURS SUR LE PSAUME LIV.SERMON AU PEUPLE.AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN.
Figuré par David, le chrétien se trouve environné de méchants; dans ses pénibles épreuves, il a recours à la prière, à lespérance, à la patience et au pardon. Ses sens se révoltent à la pensée des mauvais traitements auxquels il est en butte; mais, loin de souvrir à la haine, son coeur souvre à la charité il voudrait mourir, mais lamour pour le prochain te retient ici-bas. Obligé de rester au milieu de ses ennemis, il se retire du moins dans la solitude de sa conscience, mais il ny rencontre que le trouble; alors il recourt de nouveau à la prière, à une prière animée par le pur amour de la gloire de Dieu et la confiance en lui. Son amour pour Dieu lui fait désirer la punition et laveuglement de ceux qui le détestent et loublient: sa confiance lui fait demander, pour lui-même, dêtre éclairé et affermi dans la foi.
1.Le titre de ce psaume est: « Pour la fin, dans les hymnes, intelligence à David 1 ». Quelle est cette fin ? Nous allons vous lexpliquer, mais en peu de mots, parce que vous le savez déjà. « Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier tous ceux qui croient en lui 2». Dirigeons donc notre intention vers cette foi; dirigeons-la vers Jésus-Christ. Pourquoi est-il
1. Ps. LIV, 1. 2.
appelé notre fin ? Parce que nous devons lui rapporter tout ce que nous faisons, et que, quand nous serons parvenus à le posséder, nous naurons plus rien, ni à désirer, ni à acquérir. Il y a deux sortes de fins : lune qui consiste à périr; lautre à se perfectionner: on entend ce mot dans un sens ou dans lautre, suivant les circonstances. Ainsi, quand on dit: Cette viande est finie, on ne donne pas au
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mot finie la même signification que lorsquon dit : Ce vêtement est fini. La manière de sexprimer est la même dans les deux cas ; mais, dans le premier, on veut dire : ces aliments sont consommés, ils nexistent plus ; dans le second, ce vêtement est achevé, il est parfait. Notre fin doit consister dans notre perfection, et notre perfection, cest le Christ : cest en lui que nous devenons parfaits, car nous sommes ses membres, et il est notre chef. On dit quil est la fin de la loi, parce que, sans lui, personne ne peut laccomplir. Lors donc que, dans les psaumes, vous lisez ces mots: « Pour la fin » (et plusieurs dentre eux portent ce titre), votre pensée ne doit pas sarrêter à une idée de mort, mais à lidée de la consommation de la perfection. 2. « Dans les hymnes »: dans les louanges. Que nous soyons dans la tribulation et langoisse, ou dans le bonheur et la joie, notre devoir est de louer celui qui nous instruit en nous éprouvant, et qui nous console par ses bienfaits : car la louange de Dieu doit se trouver toujours dans le coeur et sur les lèvres du chrétien. Sil bénit le Seigneur au moment de la prospérité, quil ne le maudisse pas à lheure de lépreuve, mais quil accomplisse cette recommandation du Psalmiste Je bénirai le Seigneur en tout temps : ses louanges se trouveront toujours sur mes lèvres 1. Si le bonheur te sourit, reconnais dans la conduite de Dieu à ton égard les caresses dun père. Es-tu soumis à lépreuve ? Vois-y la main dun père qui te corrige. Quil te caresse ou te corrige, il tinstruit pour te rendre digne de lhéritage quil te réserve. 3. Quel est le sens de ces mots: « Intelligence à David? » Nous le savons: David était un saint prophète, roi dIsraël, fils de Jessé 2 ». Mais parce que, selon la chair, Jésus-Christ est sorti de sa race pour notre salut 3, il est souvent désigné sous le nom de David : et lon parle de David en figure, cest-à-dire pour parler du Christ, à cause de lorigine charnelle quil a tirée de David. Sous un rapport, il est fils de David; et, sous un autre, il en est le Seigneur. Fils de David selon la chair, il en est le Seigneur en tant que Dieu. Si toutes choses ont été faites par lui 4, par lui aussi a été créé David, de la race de qui il sest fait homme. Aussi quand le Sauveur interrogea les Juifs, et leur demanda de qui le Christ
1. Ps. XXXIII, 1. 2. I Rois, XVI, 13. 3.
était Fils, « ils répondirent: de David ». Voyant quils sarrêtaient à la chair, et perdaient de vue la divinité, il redressa leur jugement et leur fit cette question: « Comment donc David, parlant sous linspiration du Saint-Esprit, lappelle-t-il son Seigneur en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusquà ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied? Si donc David, parlant par le Saint-Esprit, lappelle son Seigneur, comment peut-il être son Fils 1? » Il leur proposa cette difficulté, mais il ne nia pas quil fût le fils de David. Vous voyez quil est le Seigneur de David: expliquez-moi comment il en est le Fils ; vous voyez quil en est le Fils, dites-moi comment il en est le Seigneur. La foi catholique tranche cette difficulté. Comment est-il le Seigneur de David ? « Parce que au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu ». Comment en est-il le Fils? Parce que le « Verbe sest « fait chair, et quil a habité parmi nous 2». David est la figure du Christ. Le Christ, comme nous lavons souvent dit à votre charité, est tout à la fois tète et corps. Nous ne devons point nous considérer comme lui étant étrangers, puisque nous sommes ses membres: ne nous croyons pas, non plus, autres que lui, parce que, dit lApôtre, « ils seront deux dans une même chair: ce sacrement est grand, je dis dans Jésus-Christ et dans lEglise 3». Jésus-Christ, dans son ensemble, est en même temps tête et corps; nous devons donc appliquer ces paroles : « Intelligence à David », à nous aussi bien quau Christ, car nous sommes comme lui désignés sous le nom de David. Que les membres du Christ aient lintelligence, que le Christ ait lintelligence dans ses membres, et que ses membres laient en lui, parce que la tête et les membres ne font quun seul et même Christ. La tête était dans le ciel, et elle disait: « Pourquoi me persécutes-tu 4? » Nous sommes avec lui dans le ciel par nos espérances, et il est avec nous sur la terre par la charité. Donc, «Intelligence à David ». Puissent les paroles que nous entendons devenir pour nous une source de réflexions! Puisse lEglise avoir lintelligence, car cest pour nous une grave obligation de nous appliquer
1. Matt. XXII, 41-45. 2. Jean, I, 1, 11. 3. Eph. V, 31, 32. 4. Act. IX, 4.
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sérieusement à comprendre de quels maux nous sommes accablés en cette vie, de quels maux nous désirons être délivrés, quand, à la fin de lOraison dominicale, nous disons: « Seigneur, délivrez-nous du mal 1 ». Par un effet de cette intelligence, le Psalmiste déplore ici quelquune des nombreuses tribulations dont nous sommes accablés peu dans le cours de notre vie. Pour celui qu na point cette intelligence, il ne joint par ses gémissements à ceux du Psalmiste. Nous devons nous le rappeler, nos très-chers frères, si nous avons, comme créatures, des traits de ressemblance avec Dieu, cest uniquement par notre intelligence. Nous sommes en effet, sous une multitude de rapports, inférieurs aux animaux; mais ce qui donne à lhomme de la ressemblance avec Dieu, cest précisément ce qui établit une différence marquée entre lui et les bêtes. De toutes les facultés quil a reçues de la munificence divine, la raison seule le distingue des brutes. Ce don, qui nous est propre et particulier, ce don de lintelligence, que nous tenons de la bonté du Créateur, plusieurs le méprisent: aussi le Seigneur leur fait-il un reproche sévère de leur conduite: « Ne vous rendez point», leur dit-il, « semblables au chevalet au mulet, qui sont privés dintelligence 2». « Lhomme », ajoute-t-il ailleurs, « avait été élevé en dignité». Quelle était cette dignité, sinon sa ressemblance avec Dieu? « Lhomme», donc, « avait été élevé en dignité, et il ne la pas compris: on la comparé aux bêtes dépourvues de raison, et il leur est devenu semblable 3 ». Comprenons bien à quel degré dhonneur nous avons été élevés: ayons intelligence. Si nous avons lintelligence, il nous est facile de voir que notre demeure dici-bas nest pas le séjour de la joie, mais quelle est celui des gémissements : le moment de tressaillir dallégresse nest pas encore venu : nous sommes encore condamnés à nous plaindre. Et si la joie habite déjà dans les coeurs, elle est occasionnée par lespérance, et non par la possession de lobjet que nous désirons. Les promesses divines nous réjouissent, car celui qui nous les a faites nest point trompeur. Mais, quant au temps présent, apprenez de quels maux, de quelles sollicitudes nous y sommes accablés; et, si vous êtes dans la bonne voie, remarquez bien que
1. Matt. VI, 13. 2. Ps. XXXI, 9. 3. Id. LVIII, 21.
mes paroles sappliquent à vous-mêmes. Pour celui qui nest pas encore engagé dans le chemin de la vertu, il sétonne de voir ces membres de David condamnés à de telles épreuves, parce quil ne sy voit pas exposé. Et, tant quil ne ressent point de pareils maux, il nest point du nombre des membres du Christ; ce quéprouve le corps du Christ, il ne léprouve pas, parce quil nen fait pas partie: quil y entre, et il verra par sa propre expérience quels sont ces maux. Que le Prophète parle donc; écoutons-le, et disons avec lui: 4. « Mon Dieu, écoutez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentifs à me secourir et exaucez-moi 1 ». Ces paroles sont celles dun homme affligé, accablé dennuis et de tribulations. Livré à une épreuve pénible, brûlé du désir den être délivré, il a recours à la prière. Il nous reste maintenant à apprendre en quels maux il se trouve plongé; et, quand il nous laura dit, nous devrons reconnaître que nous avons part à son affliction: unis dans la souffrance, nous le serons aussi dans la prière. « Je suis affligé dans mon exercice, et je suis troublé ». Affligé, troublé, en quoi? « Dans mon exercice » Il va parler des méchants qui le font souffrir et des épreuves quils lui font subir: voilà son exercice. Ne vous imaginez point que les méchants sont inutiles en ce monde, et que Dieu ne les emploie pas à opérer le bien. Il accorde la vie aux méchants, soit pour leur donner le temps de se convertir, soit afin de les faire servir à éprouver les bons. Puissent ceux qui nous persécutent aujourdhui, revenir au bien et partager nos épreuves : néanmoins, aussi longtemps quils nous tourmentent, puissions-nous à notre tour ne pas les prendre en haine! En effet, de ce quils sont aujourdhui dans la mauvaise voie, il nous est impossible de conclure que, plus tard, ils ne se convertiront pas: bien souvent il arrive que, au lieu de haïr un ennemi comme tu le crois, tu détestes sans le savoir un de tes frères. Les saintes Ecritures nous lattestent: le démon et ses anges sont condamnés au feu éternel: eux seuls ne nous laissent aucun espoir de les voir revenir au bien: nous avons à soutenir contre eux une lutte invisible, et cest à cette lutte que lApôtre veut nous préparer, quand il nous dit: « Nous navons pas à combattre contre la
1. Ps. LIV, 2.
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« chair et le sang », cest-à-dire, contre des hommes que nous sommes à même de voir; « mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde, de ces ténèbres 1 ». A lentendre sexprimer de la sorte, et dire: « lie ce monde », tu croirais peut-être que le gouvernement du ciel et de la terre appartient au démon, mais ne ty trompe pas; aux mots « de ce monde », il a ajouté: de ces ténèbres. Par « le monde », il a entendu: les amis du monde. « Le monde »selon lui, ce sont les impies et les pécheurs: cest du monde que lEvangile a dit: « Le monde ne la pas connu 2 ». Car si le monde na pas connu la lumière parce quelle luit dans les ténèbres, et si les ténèbres ne lont point comprise, ces ténèbres, qui nont point compris la lumière, lorsquelle se présentait à eux, voilà ce que IEcriture veut nous désigner sous le nom de monde, et les démons sont les princes de ces ténèbres. Au témoignage des saintes Ecritures, il est donc certain que jamais aucun de ces princes des ténèbres ne se convertira. Mais ces ténèbres, quils gouvernent, et ceux qui étaient ténèbres, ne deviendront-ils pas lumière? Nous ne saurions laffirmer, car lApôtre a dit à des hommes entrés dans les rangs des fidèles: « Vous étiez autrefois ténèbres; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 3». En vous-mêmes vous étiez ténèbres; vous êtes lumière dans le Seigneur. Ainsi, mes frères, tant que dure leur méchanceté, les méchants servent à éprouver les bons. Ecoutez-moi quelques instants, et comprenez-moi bien. Si tu es bon, tu nauras pour ennemi quun méchant; mais le Seigneur ta donné la règle de la douceur que tu dois montrer à. son égard. Il faut que tu imites la bonté de ton Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs 4. Si tu as un ennemi, Dieu lui-même nen manque pas. Tu as pour ennemi un homme qui a été comme toi créé par Dieu, et Dieu a pour ennemi sa propre créature. En plusieurs endroits de lEcriture, nous voyons que les méchants et les pécheurs sont ennemis de Dieu: personne, pas même eux, ne lui peut rien reprocher: tous ceux qui se déclarent contre lui sont des ingrats: tout ce quils ont de bien, ils lont
1. Eph. VI, 1.2. 2. Jean, I,10. 3. Eph. V, 8. 4. Matt. V, 45.
reçu de lui; les maux mêmes dont ils souffrent sont un effet de sa miséricorde à leur égard, car, sil les éprouve, cest afin de les empêcher de senorgueillir; cest afin que, devenus humbles, ils reconnaissent la suprême majesté du Très-Haut; néanmoins, il leur pardonne. Et toi, quel bien as-tu fait? quel service as-tu rendu à cet ennemi que tu supportes si difficilement? Le Seigneur la comblé de bienfaits: il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants; il fait tomber la pluie sur les justes-et suries pécheurs; et toi, qui ne peux ni faire lever le soleil ni faire tomber la pluie, tu ne peux conserver seulement la douceur à légard de ion ennemi, afin de posséder ici-bas la paix réservée aux hommes de bonne volonté 1 ? Tu as donc reçu le charitable commandement dimiter ton Père céleste et daimer tes ennemis, car il est dit dans lEvangile: « Vous aimerez vos ennemis 2 » Mais comment pourrais-tu texercer à laccomplir, si tu navais rien à supporter de la part daucun ennemi? Tu le vois donc: les méchants te servent à quelque chose: si Dieu les épargne, puisse son indulgence sétendre aussi jusquà toi! car si, aujourdhui, tu es bon, ce nest peut-être quaprès avoir été méchant. Si, au contraire, il ne les épargnait pas, on ne te verrait pas maintenant occupé à lui rendre grâces. De ce que tu es passé de liniquité à la justice, il ne suit nullement que le chemin de lune à lautre doive être fermé aux autres. 5. Placé au milieu des méchants, tourmenté par leurs procédés haineux, quelle prière le Prophète adresse-t-il à Dieu? Que dit-il? « Je suis affligé dans mon exercice ». Après avoir essayé de porter la charité jusquà aimer ses ennemis, il a été accablé de tristesse en se voyant en butte à linimitié dune foule dadversaires, et, comme assailli par autant de chiens enragés, il a défailli sous le fardeau de la faiblesse humaine. Une tentation affreuse sest présentée alors à son esprit; il a senti son âme envahie par une pensée diabolique, celle de prendre en haine ses ennemis. Alors il a lutté contre ce mouvement désordonné de son coeur; il a voulu porter sa charité jusquà la perfection; et, au milieu de ce combat, au milieu de cette lutte, il est tombé dans le trouble. Il avait déjà dit dans un
1. Luc. II, 14. 2.
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autre psaume: « La colère a troublé mes yeux»; et il avait ajouté: « Jai vieilli au milieu de mes ennemis 1 ». La tempête lavait assailli, et il avait, comme Pierre, commencé à senfoncer dans les flots 2. Celui qui aime ses ennemis, marche dun pas ferme sur les vagues de cette vie. Le Christ marchait sans crainte sur les eaux de la mer, parce que nulle épreuve ne peut éteindre en lui lamour quil éprouve pour ses ennemis. Lorsquil était attaché à la croix, il sécria en effet: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 3 ». Pierre voulut imiter Jésus. Jésus marchait sur les eaux en qualité de chef, et Pierre en qualité de corps, « parce que », avait dit le Sauveur, « sur cette pierre je bâtirai mon Eglise». Il reçut lordre de marcher sur les eaux, et il y marcha, soutenu par la grâce de son Maître, et non par ses propres forces; mais, quand il se vit assailli par la tempête, il eut peur, et les flots cédèrent sous ses pas, et il fut troublé dans son exercice. Quelle était cette tempête? «La voix de lennemi et la persécution du pécheur ». LApôtre, plongé dans leau, sécria: « Seigneur, sauvez-moi, je péris 4 ». Ainsi sexprime le Psalmiste : « Seigneur, exaucez ma prière et ne méprisez pas ma demande: soyez attentif à me secourir, exaucez-moi». Pourquoi? Quelles sont tes souffrances? Quelle est la cause de tes gémissements? « Je suis accablé dennuis dans mon exercice ». Vous mavez placé au milieu des méchants, afin quils exercent ma patience: mais lépreuve est trop au-dessus de mes forces: calmez mes alarmes, et rendez-moi la paix: tendez-moi une main secourable; retirez-moi des eaux de la tribulation où je commence à mengloutir. « Je suis devenu triste dans mon affliction : la voix u de mon ennemi, les persécutions des pécheurs mont jeté dans le trouble, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leurs injustices; et, dans leur colère, ils me noircissent » Vous comprenez quels sont et cette tempête et ces flots. Ses ennemis linsultaient, comme on insulterait une personne plongée dans lhumiliation; et, pourtant, il priait: ils exerçaient sur lui leur rage en laccablant de leurs bruyantes injures, et, dans le secret de son coeur, il invoquait le Dieu quils ne voyaient pas.
1. Ps. VI, 8. 2.Matt. XIV, 30. 3. Luc, XXIII, 34. 4. Matt. XIV, 30.
6. Lorsque le chrétien se sent en butte à de pareilles tribulations, il ne doit ni se laisser conduire par le sentiment de la haine, ni se raidir contre ses persécuteurs: il lui est inutile de lutter contre la tempête : recourir à la prière pour conserver la charité, tel est son devoir. Ton âme doit en effet demeurer inaccessible à la crainte des mauvais procédés de ton ennemi. Quel mal pourrait-il te faire? Il peut te dire beaucoup dinjures, taccabler de reproches sanglants, te noircir par ses calomnies: mais, en définitive, nas-tu pas pour toi cette parole du Sauveur: « Réjouissez-vous et tressaillez dallégresse, parce que votre récompense sera grande dans le ciel 1?» Ton ennemi multiplie ici-bas ses injures, et tu tassures une plus ample récompense pour le ciel. Mais quil ajoute encore à liniquité de sa conduite, quil pousse sa malice jusquà lextrême, ton avenir ne saurait tinspirer aucune inquiétude, puisque à toi sadressent ces paroles du Sauveur : Ne craignez « point ceux qui ne tuent que le corps, et ne peuvent tuer lâme 2 ». Pourquoi craindre lennemi qui te tourmente? Que ton coeur ne se trouble donc pas, et ne perde rien de cette charité que tu dois ressentir pour lui. Cet ennemi est homme; il est chair et sang: il nen veut quà ce quil voit en toi. Mais tu as un autre ennemi, un ennemi invisible: cest le prince des ténèbres, qui se sert de cet homme de chair et de sang comme dun instrument pour te faire souffrir; il en veut à tes biens invisibles: il cherche à tenlever et à détruire tes richesses intérieures. Tu as donc deux ennemis, ne loublie pas. Lun est visible, lautre est caché: ton ennemi visible est un homme; ton ennemi invisible, cest le démon. Cet homme est pareil à toi sous le rapport de sa nature humaine: par rapport à la foi et à la charité, il ne te ressemble pas encore, mais il pourra te ressembler plus tard. De ces deux ennemis, vois lun et comprends lautre: aime le premier, prends garde au second. Ton ennemi visible veut faire disparaître ce qui te donne de lavantage sur lui: par exemple, si tes richesses surpassent les siennes, il veut te rendre pauvre: si tu le domines par ta haute position, il cherche à tabaisser: si tu es plus fort que lui, son ambition est de taffaiblir: ses efforts tendent à détruire en toi ou à te prendre ce qui lui
1. Matt. V, 12. 2. Id. X, 28.
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porte ombrage. Ton ennemi caché prétend aussi te dépouiller des avantages que tu as sur lui : tu lemportes sur ton semblable par le bonheur, qui est ici-bas ton partage: pour le démon, tu lui deviens supérieur par ta charité à légard de tes ennemis. De même que lhomme, opposé à toi, sefforce de tenlever la félicité temporelle dont tu jouis, de la diminuer, de la détruire; de même le démon cherche à triompher des avantages que tu as sur lui. Travaille donc à garder toujours dans ton coeur lamour pour ton ennemi, puisque cet amour te rend victorieux du démon même. Que lhomme te persécute autant quil le pourra, quil te ravisse par la violence ce quil pourra, si tu continues à aimer ton ennemi visible, la victoire sur ton ennemi caché est à toi. 7. Pendant que le Prophète priait, plongé dans le trouble et lennui, ses yeux étaient aussi comme troublés par la colère. Garder longtemps de la colère contre son semblable, cest déjà. le détester. La colère trouble les yeux ; la haine aveugle ; la colère est une paille; la haine est une poutre. Tu nourris parfois de la haine dans ton coeur, et tu réprimandes celui qui se fâche ; tu détestes le prochain, et celui que tu blâmes nest quirrité contre lui; tu mérites donc quon tapplique ces paroles : « Ote premièrement la poutre qui se trouve dans ton oeil; tu verras ensuite à tirer la paille qui est dans loeil de ton frère ». Voyez la différence qui existe entre la colère et la haine. Tous les jours des pères de famille semportent contre leurs enfants : trouvez-en un seul qui les déteste. Plongé dans le trouble et la tristesse, le Prophète priait et luttait contre les ressentiments que lui inspiraient tous les outrages de ses détracteurs, car il ne voulait, ni les surpasser en méchanceté, ni leur rendre injure pour injure, ni haïr aucun deux voilà ce quil demandait à Dieu par ses prières et ses larmes : « La voix de mon ennemi, les persécutions des pécheurs mont jeté dans le trouble et la tristesse, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leur injustice, et, dans leur colère, ils me noircissent. Mon coeur sest troublé en moi». Il avait déjà exprimé les mêmes sentiments dans un autre psaume : « La colère a troublé mes yeux 2 » . « Mes yeux se sont troublés » : et
1. Matt. VII, 5. 2. Ps. VI, 8.
quest-il arrivé ? « La crainte de la mort sest abattue sur moi». La charité est pour nous la vie : si elle est la source de la vie, la haine est le principe de la mort. Quand un homme craint de haïr celui quil aimait, il craint la mort, mais une mort plus redoutable, plus intime que celle du corps, la mort de lâme. Tu tremblais à la vue dun homme qui te persécutait : quel mal pouvait-il te faire, puisque, pour te rassurer, le Seigneur ta dit : « Ne craignez point ceux qui ne peuvent vous ôter que la vie du corps 1 ? » Par ses mauvais traitements, il aurait pu faire mourir ton corps, tes sentiments haineux ont tué ton âme; il aurait privé de la vie le corps de son prochain, tu as fait périr une âme, qui est la tienne: donc, « la crainte de la mort sest abattue sur moi ». 8. « La crainte et le tremblement mont saisi, et je me suis trouvé plongé dans les ténèbres, et jai dit 2 » Celui qui déteste son frère est encore dans les ténèbres ; car si la charité est lumière, la haine est ténèbres 3. Quel langage se tient à lui-même lhomme qui est tombé dans cette faiblesse, et qui se sent troublé dans son exercice? « Qui est-ce « qui me donnera des ailes comme à la colombe? Je menvolerai et je me reposerai ». Lobjet de ses désirs, cétait la mort ou la solitude. Tant que je suis en cette vie, dit-il, et quon me commande daimer mes ennemis, je sens que les outrages, toujours nouveaux, dont ils maccablent et me noircissent, troublent mes yeux, affaiblissent ma vue, pénètrent jusque dans mon coeur, et donnent la mort à mon âme. Je voudrais méloigner dans la crainte dajouter à mes péchés de nouvelles fautes, si je continuais à demeurer ici ; mais je suis faible. Je désirerais, du moins, me voir séparé davantage du reste des hommes, afin que mes plaies ne se rouvrent point sous le coup de nouvelles blessures, et que, rendu à la santé, je puisse me livrer encore à mon exercice. Voilà ce qui arrive souvent, mes frères : et, dordinaire, le serviteur de Dieu voit surgir en son âme le désir de la solitude: la multitude de ses tribulations et des scandales qui frappent ses regards, en est le seul motif: voilà pourquoi il dit: « Qui est-ce qui me donnera des ailes? » Des ailes lui manquent-elles, ou plutôt, celles dont il est pourvu sont-elles liées ? Sil en manque, il
1. Matt. X, 28. 2. Ps. LIV, 6. 3. I Jean, II, 9-11.
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faut quon lui en donne; sil en a, il faut lui rendre la liberté de sen servir. De celui qui délie les ailes dun oiseau on peut dire indifféremment, ou quil les lui donne, ou quil les lui rend. Loiseau qui ne peut se servir de ses ailes pour sélever dans les airs, nen a véritablement pas : et des ailes qui ne peuvent se mouvoir, sont à vrai dire un fardeau. « Qui est-ce», dit le Psalmiste, « qui me donnera des ailes comme à la colombe? Et je menvolerai, et je me reposerai». Où se reposera-t-il? Ces paroles ont un double sens; car lApôtre a dit : « Je désire mourir, et me trouver réuni au Christ, ce qui, sans aucun doute, est le plus avantageux». Malgré sa force, sa grandeur dâme, son courage intrépide, quoiquil fût un intrépide soldat du Christ, saint Paul sest troublé dans son exercice lEcriture en fait foi, car il a dit: « Que désormais personne ne minquiète 1 ». On croirait quil a emprunté au Psalmiste ce passage : « Lennui me saisit quand je vois les « pécheurs abandonner votre loi 2 ». Bien souvent un homme sefforce de redresser ceux qui dépendent de lui, et dont les moeurs dépravées et corrompues inspirent à sa vigilance la plus vive sollicitude; mais souvent aussi son adresse et ses soins demeurent stériles ; alors, il faut quil les supporte, puisquil est incapable de les ramener au bien. Ce malheureux, qui résiste à tes généreux efforts, tappartient, soit parce quil est homme comme toi, soit parce que dordinaire les liens de la communion ecclésiastique vous unissent ensemble. Sil est membre de la même Eglise, que feras-tu? En quel endroit te réfugier? Comment te séparer de lui pour navoir plus rien à supporter de sa part? Approche-toi de lui : adresse-lui la parole, exhorte-le, flatte-le, menace-le, réprimande-le. Jai fait tout cela; jai dépensé, jai épuisé tout ce que javais de forces, et je ne vois pas que jaie réussi en quelque chose; je suis à bout de ressources; il ne me reste donc quà gémir et à pleurer. En présence de linutilité de mes efforts, mon coeur pourra-t-il jamais trouver le repos? Je dirai donc : « Qui est-ce qui me donnera des ailes comme à la colombe? » « Comme à la colombe », et non point, comme au corbeau. La colombe cherche, en prenant son vol, à échapper à ceux
1. Gal. VI, 17. 2. Ps. CXVIII, 55.
qui la tourmentent; mais elle ne perd point pour cela la charité. Elle est le symbole de lamour, et lon aime à entendre ses cris plaintifs. Nul être nest si ami des gémissements; elle se plaint nuit et jour: on dirait que Dieu la placée ici-bas parce quil faut y gémir. Quel est donc le langage de cet homme, au coeur duquel la charité ne séteint pas ? Je ne puis supporter les outrages des hommes; ils grincent des dents contre moi; la rage les transporte; la colère sest allumée en eux, et, dans leur fureur, ils me noircissent ; je ne puis leur être utile; puissé-je donc goûter le repos quelque part, éloigné deux corporellement, mais uni de coeur à eux tous ! Puisse mon amour pour eux ne point sébranler en moi ! Mes paroles et mes entretiens leur sont inutiles : je leur ferai peut-être plus de bien par mes prières. Les hommes parlent ainsi; mais, dhabitude, ils se trouvent si étroitement liés, quils sont incapables de prendre leur essor: ce nest point la glu qui paralyse leurs ailes, cest le devoir. Si le devoir et les exigences de leur charge les arrêtent, sils ne peuvent séloigner, ils sont, du moins, à même de dire avec saint Paul : « Je désirerais mourir et « me voir réuni au Christ: cest ce qui mest le plus avantageux; mais je dois encore rester en vie à cause de vous 1 ». Pareil à une colombe que retient, non pas la passion, mais la charité, il ne pouvait senvoler: il ne manquait pas de mérites pour cela : la nécessité de remplir son devoir y mettait seule obstacle. Néanmoins, le désir de la séparation doit toujours vivre dans notre coeur: celui-là seul le comprend, qui se trouve déjà engagé dans la voie étroite 2; car il sait que les persécutions ne font pas défaut à lEglise, même en ce temps où elle semble se reposer tranquillement de toutes celles quont subies les martyrs. Non, les persécutions ne manquent pas de nos jours, car elle est vraie cette parole de lApôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ, souffriront persécution». Tu ne souffres pas persécution, cest que tu ne veux pas vivre avec piété dans le Christ. Veux-tu la preuve de ce que tu as entendu tout à lheure? Commence à vivre pieusement dans le Christ. Mais en quoi consiste cette vie pieuse ? A ressentir au dedans de toi-même la vérité de ces paroles de saint Paul, et à répéter: « Qui est-ce qui
1. Phil. I, 23, 24. 2. Matt. VII, 14. 3. II Tim. III, 12.
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est faible, sans que je sois faible moi-même? Qui est-ce qui est scandalisé, sans que je me sente enflammé 1 ? » Les faiblesses et les scandales des autres, telles étaient les persécutions dont il avait à souffrir. Est-il maintenant nécessaire de demander, si, de nos jours, il y a des persécutions à souffrir? Ceux qui sy trouvent exposés, disent que jamais elles nont été plus nombreuses. Souvent, quand on voit de loin un homme, on dit de lui : Celui-là est bien heureux. Pourquoi tient-on ce langage? Parce quon voit ses peines propres, sans voir celles dautrui; ou bien, on na rien à souffrir et lon ne compatit nullement aux douleurs qui tourmentent et consument les autres. Que lon commence donc à vivre pieusement dans le Christ, et lon sentira bientôt toute la vérité de ce que dit saint Paul, et lon désirera avoir des ailes, et lon voudra séloigner, senfuir et demeurer dans le désert. |