PSAUME LVIII
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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME LVIII.

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME. — HUMILITÉ.

 

DEUXIEME DISCOURS SUR LE PSAUME LVIII.

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

 

 

Ce psaume désigne Jésus-Christ et l’Eglise sous la figure de David, comme sous cellé de Saül il désigne les Juifs et les impies. Saül ne put cerner la maison où David se cachait; les Juifs ne purent empêcher ni la vérité de la résurrection d’être connue, ni les Apôtres de la prêcher. Jamais la force dont ils se vantaient n’a été capable de prévaloir contre l’humilité du Sauveur, car Dieu a soutenu cette vertu de son Fils; il a fait connaître ce qu’elle couvrait de son voile; il l’a récompensée. En effet, le Seigneur a manifesté la divinité de Jésus-Christ malgré les ignominies de sa passion ; puis il a récompensé son humilité en amenant au repentir et à la foi les Gentils et une partie des Juifs. Ceux d’entre eux qui n’ont fait ni aveu ni pénitence de leur faute, sont la preuve que nous ne devons chercher notre force qu’en Dieu, et. doivent nous servir d’exemple, car ils ont été dispersés et tous leurs desseins contre le Christ sont devenus inutiles. Ceux au contraire qui ont profité de la mort du Sauveur ont trouvé dans l’humilité le principe de leur perfection et le pardon de Dieu; de la sorte, et par l’effet de sa miséricorde ou de sa vengeance, le Seigneur domine les pécheurs et les justes, les Juifs et les Gentils.

 

1. L’Ecriture a coutume d’indiquer, aux titres des psaumes, les secrètes vérités qu’ils renferment, et d’orner la tête de chacun d’eux de l’énoncé de ces grands mystères, pour nous instruire d’avance du sens caché que nous y trouverons en l’étudiant ; ainsi lisons-nous, au frontispice d’une maison, ce qui s’y passe, le nom de celui qui l’habite ou à qui elle appartient. Voilà pourquoi se trouve écrit, au commencement .de ce psaume, ce que j’appellerais un titre de titre. Car il porte: « Pour la fin. N’altère rien, pour David sur l’inscription du titre ». Voilà bien ce que j’ai appelé un titre de titre. Quelle est l’inscription de ce titre qu’il ne faut pas altérer ? L’Evangile lui-même nous le dit. Lorsque le Sauveur fut attaché à la croix, une inscription rédigée par Pilate fut placée au-dessus de lui ; elle était ainsi conçue Voilà le Roi des Juifs, et se trouvait écrite en hébreu, en grec et en latin 1, les trois principales langues de l’univers. Le roi des Juifs a été crucifié ; les Juifs ont crucifié leur Roi; mais, en le crucifiant, ils en ont fait le Roi des gentils, plutôt qu’ils ne l’ont fait mourir. Autant que faire se pouvait, ils ont anéanti le Christ; mais ç’a été à leur détriment, et à notre profit, puisqu’il est mort pour nous et qu’il nous a rachetés au prix de son sang. Nous sommes à même de le voir aujourd’hui : l’inscription de sa croix n’a pas été altérée ; il est le Roi des gentils : il est le Roi des Juifs eux-mêmes. En effet, pour s’être opposés à la rédaction de son titre, sont-ils parvenus à détruire sa puissance royale? Il est Roi, et il exerce son empire, même sur eux. Car il porte en ses mains un sceptre de fer; et, armé de ce sceptre, il gouverne et brise

 

1. Luc, XXIII, 38.

 

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ses sujets. « J’ai été », dit-il, « établi de Dieu pour être roi sur Sion, sa montagne sainte, et  pour y prêcher ses préceptes. Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et pour domaine jusqu’aux extrémités de la terre. Vous les gouvernerez avec un sceptre de fer, et vous les briserez comme un vase d’argile 1 ». Quels hommes gouvernera-t-il ? Quels hommes seront brisés par lui ? Il gouvernera ceux qui lui obéiront; il brisera ceux qui lui feront résistance. Ces mots: « N’altère pas», sont donc une admirable prophétie. Les Juifs étaient allés se plaindre à Pilate, et lui avaient dit: « Garde-toi d’écrire qu’il est le Roi des Juifs, mais écris qu’il s’est déclaré Roi des Juifs » ; car, ajoutèrent-ils, un pareil titre consacre sa royauté sur nous. Et Pilate avait répondu: « Ce que j’ai écrit est écrit 2 ». Voilà l’accomplissement de cette parole : « N’altère pas ».

2. Ce psaume n’est pas le seul à porter une pareille inscription : « N’altère pas » : ce titre est commun à quelques autres 3, et néanmoins ils ont tous trait à la passion du Sauveur. Sachons donc y trouver une allusion aux souffrances de Jésus-Christ, et y reconnaître la parole de Jésus-Christ considéré comme chef et comme corps tout ensemble. Toujours ou presque toujours dans ce psaume nous devrons considérer les paroles du Rédempteur, d’abord comme celles de notre divin chef, de l’unique médiateur de Dieu et des hommes, de Jésus-Christ homme, qui, au commencement, était aussi en tant que Dieu le Verbe, Dieu en Dieu ; du Verbe qui a habité parmi nous après s’être fait chair 4, qui est sorti, selon la chair de la race d’Abraham et de David, et qui est né de la Vierge Marie ; nous devrons aussi considérer ces paroles comme celles de Jésus-Christ tout entier, homme parfait, tout à la fois, chef et corps : car, nous dit l’Apôtre, « vous êtes le corps et les membres du Christ 5». Saint Paul ajoute, en parlant de lui, qu’il est le Chef de l’Eglise 6. S’il est notre chef, nous sommes ses membres : il est donc en même temps chef et corps. Parfois il arrive que certaines paroles ne peuvent être attribuées à Jésus-Christ comme chef, et si tu ne les rapportais pas au corps, tu ne

 

1. Ps. II, 6-9. — 3.  Jean, XIX, 21. — 3. Ps. LVI-LVIII. — 4. Jean, I, 1,14.— 5. I Cor. XII, 27. — Eph. I, 22; Co1oss. I, 18.

 

pourrais en saisir parfaitement le sens : par une raison analogue, certaines autres paroles ne Conviennent pas au corps; et, pourtant, c’est le Christ qui les prononce. Y a-t-il là à craindre de se tromper? Non, car il suffit d’appliquer au chef ce qui ne peut convenir aux membres. Enfin, pendant qu’il était attaché à la croix, le Sauveur a parlé au nom de son corps « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné  1? » Dieu ne l’avait pas abandonné, puisqu’il n’avait pas abandonné Dieu. Pourrait-on dire, en effet, que pour descendre jusqu’à nous, il s’était éloigné de son Père, ou qu’en nous l’envoyant, le coeur de son Père s’était écarté de lui? Non, mais l’homme avait abandonné Dieu, car Adam, après avoir péché, Adam autrefois si heureux quand il se trouvait en la présence du Seigneur, s’était éloigné de la source de son bonheur, épouvanté des reproches de sa conscience coupable 2. Puisqu’il avait, le premier, abandonné Dieu, il était juste que Dieu l’abandonnât à son tour. Or, Jésus-Christ ayant puisé sa chair en Adam parlait au nom de l’humanité qu’il avait prise, car notre vieil homme a été attaché simultanément à la croix 3.

3. Ecoutons donc ce qui suit: « Lorsque Saül envoya garder sa maison pour le faire mourir ». S’il n’est point ici question du crucifiement du Sauveur, il s’agit néanmoins de sa passion : car après avoir été attaché à la croix, et avoir rendu le dernier soupir, Jésus-Christ a été mis dans le tombeau : et ce tombeau était, à vrai dire, pour lui, comme une maison, et la nation juive la fit véritablement garder, quand elle envoya des gardes pour surveiller le sépulcre de l’Homme-Dieu 4. Dans le livre des Rois, nous trouvons, sans doute, le récit des précautions prises par Saut pour cerner la maison où David s’était réfugié, et le faire mourir 5. Cependant, dans l’explication de ce psaume, nous ne devons faire allusion à cet événement qu’autant que le Psalmiste l’a fait lui-même. A-t-il voulu se borner à nous dire qu’on a envoyé garder la maison de David pour le mettre à mort? Si David figurait le Christ, comment peut-on dire qu’on gardait la maison où se trouvait le Christ, afin de le faire mourir, puisqu’il n’a été enfermé dans son sépulcre qu’après avoir perdu la vie sur la croix ? Rapporte donc ces paroles au corps

 

1. Ps. XXI, 2; Matt. XXVII, 46. — 2. Gen. III, 8. — 3. Rom. VI, 6. — 4. Matt. XXVII, 66. — 5. I Rois, XIX, 11.

 

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du Christ; car le mettre à mort, c’était éteindre sa mémoire, c’était empêcher les peuples de croire en lui, c’était faire prévaloir, à cet effet, l’imposture des gardes, qui s’étaient laissé gagner, et disaient, en conséquence, que pendant leur sommeil ses disciples étaient venus l’enlever 1. C’était vraiment vouloir tuer le Christ, que d’étouffer sous le poids du mensonge la vérité de sa résurrection, et donner gain de cause à l’erreur sur l’Evangile. Mais de même que Saûl ne put parvenir à faire mourir David, de même la nation juive se trouva dans l’impossibilité de faire prévaloir le témoignage de gardes endormis sur la déposition d’apôtres bien éveillés. Quelle leçon les gardes reçurent-ils? Que leur apprit-on à dire? Nous vous donnerons autant d’argent que vous eu voudrez, pourvu que vous disiez que ses disciples sont venus l’enlever pendant votre sommeil. Voilà quels témoins les ennemis du Christ figurés par Saül ont produits pour appuyer leur imposture, pour infirmer la vérité et rendre sa résurrection impossible à croire. O infidèle, interroge ces témoins endormis, qu’ils répondent et te disent ce qui s’est passé à son tombeau. S’ils dormaient, comment ont-ils pu le savoir? S’ils veillaient, comment n’ont-ils pas mis la main sur les ravisseurs ? Que le Prophète dise donc ce qui suit :

4. « Sauvez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu ! Délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi 2 ». C’est ce qui a eu lieu pour Jésus-Christ pendant qu’il était en ce monde, c’est encore ce qui aura lieu pour nous ; car nos ennemis, le démon et ses anges, ne cessent jamais de s’élever contre nous; ils insultent continuellement à notre faiblesse et à notre fragilité par leurs tromperies, leurs suggestions, leurs tentations; ils veulent nous faire tomber en toutes sortes de piéges, pendant tout le cours de notre vie terrestre. Mais que notre prière s’élève aussi sans cesse vers le trône de Dieu; que les membres du Christ, toujours unis à leur chef qui est au ciel, s’écrient: « O mon Dieu, sauvez-moi de mes ennemis: délivrez-moi de ceux qui s’élèvent contre moi ».

5. « Délivrez-moi de ceux qui commettent le péché; sauvez-moi des hommes de sang

Ils étaient, dans toute la force du terme, des hommes de sang, ceux qui ont mis à mort le

 

1. Matt. XXVIII, 13. — 2. Ps. LVIII, 2. — 3. Id. 3.  

 

juste auquel ils ne purent reprocher aucune faute. Ils étaient des hommes de sang, ceux qui, au moment où un étranger se lavait les mains et voulait renvoyer le Christ sans le condamner, ont crié: « Crucifie-le, crucifie-le». Ils étaient des hommes de sang, ceux auxquels on reprochait de verser injustement le sans du Christ, et qui, le buvant en quelque sorte, à la santé de leurs descendants les plus éloignés, ne craignirent pas de faire entendre cette horrible imprécation : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants 1». Après s’être insurgés contre le chef, ces hommes de sang continuèrent à s’attaquer à ses membres. Car, après la résurrection et l’ascension du Sauveur, l’Eglise souffrit persécution; et ceux de ses membres qui étaient sortis du judaïsme pour l’illustrer, furent les premiers àressentir l’épreuve; de ce nombre furent nos Apôtres. D’abord Etienne fut lapidé dans le pays de Judée 2, et reçut la couronne indiquée par son nom, parce qu’Etienne signifie couronne. Humilié sur la terre par sa lapidation, il fut exalté dans le ciel par son couronnement. Ensuite, parmi les nations, on vit les rois se révolter contre l’Evangile, car en eux ne s’était pas encore accomplie cette prophétie: « Tous les rois de la terre l’adoreront, et tous les peuples lui seront assujétis 3» .Alors se déchaîna, contre les témoins du Christ, l’impétueuse fureur des nations alors coula à grands flots le sang d’une multitude de martyrs ; et, fécondée par ce sang précieux, la semence divine produisit pour l’Eglise une moisson plus abondante, une moisson si abondante, que le monde entier en fut rempli : nous en sommes témoins. En sa qualité de chef et en sa qualité de corps, Jésus-Christ est sorti des mains de ces hommes de sang; oui, il est délivré des hommes de sang, qui ont autrefois vécu, qui vivent aujourd’hui et qui vivront plus tard : il est sorti d’entre leurs mains, et pour le passé, et pour le présent et pour l’avenir, car en Jésus-Christ nous devons voir le Christ tout entier, puisqu’en sa personne seront délivrés des hommes de sang les chrétiens fidèles d’aujourd’hui, d’hier et des siècles futurs: on ne dira jamais sans raison : « Délivrez-moi des hommes de sang ».

6. « Car ils ont tendu des filets à mon âme 4». Ils ont eu le pouvoir de me saisir et de me

 

1. Matt. XXVIII, 23,25 2. Act. VII, 58 3. Ps. LXXI, 14 4. Id. LVIII, 4.

 

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tuer. « Ils ont tendu des filets à mon âme ». Qu’est devenue cette parole: « Vous avez brisé mes liens 1? » et cette autre: « Le filet a été rompu, et nous nous sommes échappés?» Comment pourrons-nous bénir Dieu « de ne pas nous avoir donnés comme une proie à leurs dents 2?» Ils nous ont tendu des filets, mais le Dieu qui garde Israël ne nous abandonne pointentre les mains des chasseurs. « Ils ont tendu des pièges à mon âme, et ceux qui sont forts sont venus fondre sur moi » . Il ne faut pas glisser à la légère sur ces mots « Ceux qui sont forts» : nous devons soigneusement chercher à savoir quels sont ces forts prêts à fondre sur nous. Ils sont remplis de force, mais pour attaquer des infirmes, des gens dépourvus de santé et de force. Néanmoins l’Ecriture donne des louanges aux faibles et blâme les forts. Comprenons donc bien à qui le Prophète donne le nom de fort. D’abord, le Seigneur attribue la force au démon lui-même : « Personne », dit-il, « ne peut entrer dans la maison du fort ni enlever ses dépouilles, s’il ne lie le fort 3». Aussi a-t-il lié le fort par sa puissance souveraine comme par des chaînes de fer, et lui a-t-il enlevé ses dépouilles pour les consacrer à son propre usage; car tous les pécheurs appartenaient au démon : par la foi, ils sont devenus la propriété du Christ : c’était à eux que l’Apôtre disait : « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 4; qui a fait voir les richesses de sa grâce envers les vases de miséricorde 5» . On 1eut donc déjà interpréter ainsi le mot «forts». Parmi les hommes, il en est qui sont forts d’une force digne de reproche et de blâme, qui mettent leur espérance dans les plaisirs de ce monde. Est-ce qu’il ne vous semble pas avoir été doué d’une grande force, ce riche dont nous entretenait tout à l’heure l’Evangile? Il avait hérité d’un terrain singulièrement fertile : dans l’incertitude et l’embarras de ce qu’il ferait pour mettre à couvert ses récoltes, il s’imagina de détruire ses anciens greniers, d’en construire de nouveaux sur un plan autrement vaste, afin de pouvoir, ces travaux menés à bonne fin, tenir ce langage à son âme: « Mon âme, tu as de grands biens: mange, bois, réjouis-toi, rassasie-toi de tes richesses 6». Quelle force aperçois-tu en lui?

 

1. Ps. CXV, 16. — 2. Id. CXXIII, 7,6. — 3.  Matt. XII, 29. —  4. Eph. V, 8. — 5. Rom. IX, 23. — 6. Luc, XII, 16-19.

 

« C’est un homme qui n’a pas choisi Dieu pour son appui, mais qui a mis sa confiance  dans ses nombreuses richesses ». Vois combien il est fort! « Il s’est prévalu dans sa vanité  1».

7. Il en est d’autres pour être forts, et ce qui leur donne de la force, ce ne sont ni leurs richesses, ni une santé robuste, ni une éclatante position dans le monde : c’est la confiance en leur propre justice. Cette classe d’hommes, il faut l’éviter, la craindre, la détester, mais non l’imiter. Ne me parlez pas de la beauté de leur corps, de leur fortune, de leur naissance, des honneurs qu’on leur rend : leur confiance ne vient pas de là : où est, en effet, l’homme assez aveugle pour ne pas comprendre que tous ces avantages sont de courte durée, sans consistance, caducs et passagers? Leur confiance vient de la considération de leur propre justice. Telle fut la force qui empêdia les Juifs de passer par le trou de l’aiguille’. Dès lors qu’ils ont cru être justes, et qu’ils se sont regardés comme jouissant d’une santé parfaite, ils ont refusé le remède et fait mourir le médecin. Ce ne sont pas des hommes de cette force que le Sauveur est venu appeler : ce sont des infirmes. « Le médecin », dit-il, « n’est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui se portent mal; car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence ». Ils étaient forts, ceux qui insultaient les disciples du Christ, parce que leur maître visitait les infirmes et mangeait avec eux. « Pourquoi », leur disaient-ils, « votre maître s’assied-il à la table des publicains et des pécheurs 3?» O hommes forts, qui n’avez nul besoin du médecin! vous ne puisez votre force que dans la folie : le bon sens n’en est pas la source. Rien de plus fort que les frénétiques: ils sont bien autrement robustes que ceux qui jouissent d’une santé parfaite; mais plus grandes sont leurs forces, plus proche est leur mort. Daigne le Seigneur nous faire la grâce de ne point imiter de telles gens. Chacun de nous doit craindre de suivre leur exemple. Le Maître de l’humilité, qui a partagé notre infirmité humaine pour nous rendre participants de sa divinité, qui est descendu sur la terre pour nous enseigner notre chemin et devenir lui-même notre voie 4, Jésus-Christ a bien voulu nous recommander,

 

1. Ps. LI, 9 2. Matt. XIX, 24 3. Id. IX, 11, 13  4. Jean, XIV, 6.

 

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surtout son humilité 1. Il n’a pas dédaigné de se faire baptiser par son serviteur, afin de nous apprendre à faire l’aveu de nos fautes, à devenir faibles pour devenir forts, et à pouvoir, de préférence, dire avec saint Paul : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort 2 ». Ainsi l’Apôtre témoignait-il ne pas vouloir être du nombre de ces forts. Mais en voulant se montrer forts, c’est-à-dire, en présumant de leur vertu comme s’ils étaient justes, les Juifs se sont heurtés contre la pierre de scandale 3. L’Agneau leur a semblé être un bouc: ils l’ont tué, comme s’il en était un; et par là ils ont mérité de n’être point rachetés par l’Agneau. Voilà les forts qui se sont vantés de leur justice, et se sont élevés contre le Christ. Ecoutez-les parler. Certains habitants de Jérusalem avaient été envoyés par eux avec l’ordre de s’emparer du Sauveur : ces émissaires n’osèrent point accomplir heur mission, car le moment n’était point encore venu pour Jésus-Christ, dont les forces étaient réelles, de vouloir se laisser prendre : alors ceux qui les avaient envoyés, leur dirent : Pourquoi donc n’avez-vous pu vous emparer de sa personne? Jamais, répondirent-ils, jamais homme n’a parlé comme lui. Et ces forts répliquèrent Est-ce que parmi les Pharisiens ou les Scribes il y en a un seul pour croire en lui? En dehors de cette populace, qui ne connaît point la loi, personne n’ajoute foi à ses paroles’. Ils se sont préférés à une foule d’infirmes, qui se précipitaient au-devant du médecin : pourquoi, sinon parce qu’ils étaient robustes? Mais, par un nouvel et plus criant abus de leur force, ils ont entraîné à leur suite toute cette foule et mis à mort le médecin, qui pouvait guérir les uns et les autres. Pour lui, par cela même qu’on l’a fait mourir, il s’est servi de son sang comme d’un remède propre à guérir les malades. « Les forts se sont précipités sur moi ». Réfléchissez bien au sort de cette classe d’hommes; et, s’il est défendu au chrétien de mettre sa confiance en sa propre justice, voyez s’il nous est permis de l’appuyer sur autre chose. Voyez où en sont réduits ceux qui se glorifient de leurs richesses, de leur force corporelle, de la noblesse de leur origine, des dignités qui les distinguent dans le inonde, puisque ceux-là tombent si lourdement, qui se glorifient de leur justice, comme

 

1. Matt. III, 13. — 2. II Cor. XI, 10. — 3. Rom. IX, 32. — 4. Jean, VII, 45-49.

 

s’ils en étaient la source. « Les forts se sont précipités sur moi ». Du nombre de ces hommes était le pharisien, car il se vantait de ses forces. « Je vous rends grâces », disait-il, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont injustes, ravisseurs du bien d’autrui, adultères, ni même comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine; je donne la dîme de tout ce que je possède». Voilà un fort qui se vante de sa forcé : Voici maintenant un infirme, qui se tient bien loin, et qui, par son humilité même, se rapproche de Dieu. « Mais le publicain se tenait bien loin, et n’osait pas même lever les yeux au ciel. Il se frappait la poitrine et disait : O Dieu, soyez-moi favorable, à moi pécheur. En venté, je vous le dis, cet homme s’en retourna plus juste que le pharisien ». Vois en quoi consiste la justice : « Celui qui s’élève sera humilié, et celui qui s’humilie sera élevé 1». Tels sont les forts qui se sont précipités sur le Christ : ce sont des orgueilleux qui, méconnaissant la justice divine, et pénétrés de la valeur de leur propre justice, ne se sont point soumis à celle de l’Eternel 2.

8. Que dit ensuite le Psalmiste? « Il n’y a  point d’injustice en moi, ô mon Dieu, il n’y  a en moi aucun péché 3 ». Les forts, qui se confiaient en leur justice, se sont précipités sur moi : oui, ils se sont jetés sur moi, mais ils n’ont trouvé en moi aucun péché. Ces forts, c’est-à-dire, ces faux justes, pouvaient-ils attaquer le Christ, s’il ne semblait être un pécheur? Qu’ils le remarquent néanmoins, leur force venait de l’ardeur de la fièvre qui les dévorait, et non d’une robuste santé. Qu’ils le reconnaissent, leur force était factice; et s’ils ont persécuté le Christ, c’est qu’ils se sont crus justes et qu’ils l’ont considéré comme un pécheur. Et pourtant, « Seigneur, il n’y avait en moi ni injustice ni péché. J’ai couru sans injustice, et j’ai marché dans la voie droite ». Pendant que je courais, ces forts n’ont pu me suivre, et ils m’ont considéré comme un pécheur, parce qu’ils n’ont pas découvert mes traces.

9. « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite : venez à ma rencontre, et voyez 4 ». Le Prophète dit à Dieu : « J’ai couru sans injustice, et j’ai suivi la voie droite : venez à ma rencontre, et voyez ». Quoi donc! Le Seigneur ne peut-il voir, sans

 

1. Luc, XVIII, 11-14. —  2. Rom. X, 3. — 3. Ps. LVIII, 5 4.  Id. 6.

 

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venir à sa rencontre? En serait-il de lui comme d’un homme qui ne pourrait te connaître de loin pendant ta promenade, et à qui tu dirais à haute voix: Viens à ma rencontre, et tu verras comment je marche; car, en me considérant à pareille distance, tu ne peux examiner mes pas? Encore une fois, en serait-il ainsi de Dieu; et, pour s’apercevoir que le Prophète suit la voie droite et court sans péché, aurait-il besoin de venir à sa rencontre? Nous pouvons donc expliquer ainsi ces paroles: « Venez à ma rencontre » : venez à mon secours : aidez-moi. Et ces autres mots : « Et voyez », doivent s’entendre en ce sens : Faites qu’on me voie courir, faites qu’on me voie marcher dans le chemin droit : car autrefois Dieu parlait dans le même sens à Abraham: « Je connais maintenant que tu crains le Seigneur 1 ». Dieu dit : « Je connais », pour dire : Je t’ai fait connaître; chacun de nous, en effet, s’ignore lui-même avant l’expérience que lui donne la tentation. Ainsi, quand il présumait de lui-même, Pierre ne se connaissait pas : il apprit jusqu’où allaient ses forces, au moment ois il reniait sois Maître:

à la suite de sa chute, il comprit qu’il avait à tort présumé de lui-même; il pleura 2, et, par ses larmes, il mérita pour son profit de savoir ce qu’il avait été, et de devenir ce qu’il n’était pas. Lors donc que Dieu éprouva Abraham, il lui donna la connaissance de lui-même, et lui dit : « Je connais maintenant », c’est-à-dire, je t’ai fait connaître. Ainsi, donne-t-on le nom de gai au jour qui nous procure de la joie, et celui de triste au jour qui nous plonge dans la tristesse? Pour la même raison on dit que Dieu voit, quand il fait voir. « Venez donc à ma rencontre », dit le Prophète, «et voyez ». Quel sens faut-il donc donner à ces paroles? Aidez-moi, et faites que mes ennemis voient mes traces; qu’ils me suivent: que ce qui est bon ne leur paraisse point mauvais, et que ce qui est conforme à la règle de la vérité ne leur semble pas opposé à la droiture. « Parce que j’ai couru sans péché, et suivi la droite voie; venez à ma rencontre et voyez ».

10. L’excellence de notre Chef m’engage à vous parler ici de lui. Il a, en effet, voulu devenir faible jusqu’à mourir, et pour rassembler sous ses ailes les petits de Jérusalem, il s’est revêtu de,l’infirmité de notre chair, imitant

 

1. Gen, XXII, 12. — 2. Matt. XXVI, 35, 69, 75.

 

par là l’exemple de la poule qui se fait petite avec ses petits. De tous les oiseaux que nous avons été à même d’examiner, qui font leurs nids sous nos yeux, par exemple les oiseaux de murailles, les hirondelles qui viennent tous les ans nous demander l’hospitalité, les cigognes et les autres oiseaux d’espèces différentes qui font leurs nids devant nous, qui couvent leurs oeufs et nourrissent leurs petits, comme les pigeons dont nous pouvons tous les jours étudier les mouvements ; de tous ces oiseaux il n’en est aucun pour se faine petit avec ses petits; nous n’en avons jamais rencontré, connu ou vu, pour ressembler à la poule. Car, que fait-elle? Je ne relate pas ici un fait inconnu; tous ceux qui m’entendent le savent pour en avoir été souvent témoins voyez comme sa voix devient rauque, comme son corps tout entier se hérisse; ses ailes traînent à terre, ses plumes tombent ; elle éprouve pour ses petits je ne sais quel malaise, et cette sorte de maladie n’est chez elle que l’effet de son amour maternel. Voilà pourquoi, dans la sainte Ecriture, le Sauveur se compare à une poule et tient ce langage : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes petits, comme la poule rassemble les siens sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu ! » Comme fait une poule pour ses petits, ainsi a-t-il rassemblé toutes les nations en se faisant faible pour nous, en nous empruntant, en empruntant au genre humain l’infirmité de la chair, en se laissant crucifier, mépriser, souffleter, flageller, attacher au bois de sa croix et percer d’un coup de lance. En tout cela nous devons voir l’effet de sa tendresse de mère pour nous, et non pas la preuve de la perte de sa puissance souveraine; et parce qu’il a été réduit à cet état de faiblesse et d’humiliation, il est devenu une pierre d’achoppement et de scandale contre laquelle plusieurs se sont heurtés 2. Réduit à cet état d’infirmité, revêtu de notre chair sans en prendre le péché, le Christ est devenu participant de notre faiblesse, sinon de notre injustice; et, en prenant ainsi part à notre faiblesse, il a fait disparaître notre injustice; c’est pourquoi il dit : « J’ai couru sans injustice et j’ai suivi la voie droite ». Mais ne devons-nous pas voir en lui la nature divine ? devons-nous méconnaître en lui la toute-puissance qui nous a créés, pour ne

 

1. Matt, XXIII, 37. — 2. Rom. IX, 32; 1 Pierre, II, 8.

 

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considérer que ce qu’il a bien voulu devenir pour nous racheter? Certes, il est de ton devoir de ne pas négliger la considération de ses grandeurs ; c’est même une grande preuve de piété de ta part que d’apprendre à connaître Celui qui a tant souffert pour toi. Ce n’est pas un être vil et méprisable, c’est le premier de tous les êtres qui a souffert pour toi; et toi, qui es-tu? Un grand personnage? Hélas, tu n’es qu’une faible créature! Qu’a-t-il fait pour toi? Il est devenu tout petit, car « il s’est humilié et s’est fait obéissant jusqu’à la mort». Et qui était-il? Ecoute : l’Ecriture l’a dit avant de parler de ses humiliations : « Etant dans la forme de Dieu il n’a pas cru faire un larcin en se disant égal à Dieu » ; mais lui qui était semblable à Dieu « s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave et en se rendant semblable aux hommes 1 ». Il s’est anéanti de telle sorte qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans perdre néanmoins ce qu’il était.

Mais comment s’est-il anéanti? En ce qu’il s’est offert à tes regards dans cet état d’anéantissement; en ce qu’il a dérobé à tes yeux la suprême grandeur qu’il possède en son Père; en ce que, sur la terre, il ne te fait voir que son infirmité, se réservant de te rendre témoin de sa gloire quand tu seras entré, purifié de toute souillure, dans le ciel. Egal à son Père, il est devenu l’homme de douleurs, et pourtant, à travers le voile de sa faiblesse, nous devons voir en lui, avec les yeux de la foi, sinon avec ceux de la chair, le Fils de l’Eternel, et croire du moins ce que nous ne pouvons contempler face à face; ainsi mériterons-nous de considérer à découvert ce que, par l’impuissance de nos organes, nous pouvons seulement croire aujourd’hui. Après sa résurrection il apparut à Marie-Madeleine et lui dit avec grande raison: «Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père 2 ». Pourquoi parler ainsi, puisque peu après les saintes femmes le touchèrent? Effectivement, au moment où elles venaient de quitter le tombeau pour retourner à Jérusalem, il se présenta devant elles, et aussitôt elles se prosternèrent à ses pieds pour l’adorer, et les embrassèrent 3. Les disciples eux-mêmes furent admis à toucher ses plaies 4. Quel sens dominer à ces paroles : « Ne me touche point, parce que je ne suis pas

 

1. Phil. II, 6, 8. — 2. Jean, XX, 17. — 3. Matt. XXVIII, 9. — 4. Luc, XXIV, 39.

 

encore monté vers mon Père? » Celui-ci, sans doute : Ne crois pas que je sois seulement ce que tu vois; n’arrête donc pas tes regards à ce que tu touches. Tu me vois toujours dans la faiblesse, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père. Je suis descendu du ciel pour habiter parmi vous, mais je n’ai pas encore quitté la terre pour remonter auprès de mon Père, puisque je ne me suis pas encore séparé de vous. Il était descendu sur la terre sans quitter le ciel : il est remonté au ciel sans quitter la terre. Mais que signifie cette ascension du Sauvtur vers son Père? Elle signifie la connaissance que nous acquérons de son égalité avec son Père. Pour nous, nous montons, lorsque nous devenons plus parfaits et plus capables de voir, de comprendre et de saisir ce mystère. Il remit donc à un autre temps, pour Marie-Madeleine, la permission de le toucher, mais il ne la lui refusa pas pour toujours; il ne lui en enleva pas l’espérance, il ne fit qu’en différer l’accomplissement. « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers mon Père. Il est sorti du plus haut des cieux ; on le rencontre au plus haut des  cieux 1». Le plus haut des cieux, c’est-à-dire la plus relevée de toutes les choses spirituelles, c’est le Père; voilà d’où le Fils est descendu, voilà où il est remonté, car il est remonté jusqu’au plus haut des cieux. S’il n’était égal à son Père, pourrait-il remonter jusque-là? Enfin, lorsque nous comparons ensemble deux objets inégaux et que nous appliquons l’une contre l’autre deux mesures d’inégale grandeur, pour voir dans quel rapport elles sont entre elles, si leurs dimensions sont différentes, nous disons que ces deux objets, ces deux mesures, ne se rencontrent pas si, au contraire, leurs dimensions se trouvent être pareilles, nous disons qu’ils se rencontrent. Donc, parce que le Fils est égal à son Père, « sa rencontre est au plus haut des cieux ». Tel il voulait se faire connaître de ses serviteurs fidèles, quand il disait : «Ne me touche pas ». Il voulait obtenir cette grâce de la part de son Père en leur faveur, en lui adressant cette prière : « Levez-vous, venez à ma rencontre et voyez ». Faites connaître que je vous suis égal. Jusques à quand Philippe me dira-t-il: « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit? » Jusques à quand lui répondrai-je : « Je suis avec vous depuis si

 

1. Ps. XVIII, 7.

 

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longtemps et vous ne connaissez pas mon Père? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. Ne crois-tu pas que je suis en mon Père et que mon Père est en moi 1? »Ce disciple ne croit peut-être pas encore à cette égalité. « Levez-vous donc, venez à ma rencontre, et voyez ». Faites qu’on me voie, qu’on vous voie aussi, et que les hommes sachent que nous sommes égaux. Loin des Juifs l’idée de n’avoir crucifié qu’un homme; sans doute le Sauveur n’a été attaché à la croix que comme homme, mais il est vrai de le dire, ils n’ont pas su qui ils faisaient mourir; car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Roi de gloire 2. Mais, afin que mes fidèles connaissent ce Roi de gloire, « levez-vous, venez à ma rencontre, et voyez.

11. « Et vous, Seigneur, Dieu des armées, vous êtes le Dieu d’Israël ». Vous, ô Dieu d’Israël, qu’on regarde comme le Dieu du peuple d’Israël seul, vous que l’on considère comme le Dieu de la seule nation qui vous adore, vous que les autres nations méconnaissent, puisqu’elles adorent des idoles, Dieu d’Israël, « hâtez-vous de visiter tous les peuples ». Qu’elle s’accomplisse cette prophétie où, parlant en votre nom à votre Eglise, à cette cité sainte qui vous appartient, à cette épouse stérile et abandonnée, qui a eu ensuite plus d’enfants que la femme qui a un mari, Isaïe lui adresse ces paroles: « Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas : pousse des cris de joie, toi qui n’as point d’enfants, parce que celle qui était abandonnée aura plus d’enfants que celle qui a un mari ! » Plus que la nation juive, qui a un mari et qui a reçu une loi; plus que ce peuple qui a eu un roi visible. Car ton Roi est caché, et cet Epoux que personne ne voit, t’a donné plus d’enfants que la nation juive n’en a éu de son roi visible : c’est pourquoi le Prophète lui dit: « Celle qui était abandonnée a eu plus d’enfants que celle qui avait un mari. Etends le lieu de la tente », ajoute Isaïe ; « ne crains point d’agrandir ta demeuré. Tends tes cordes plus loin: porte-les à droite et à gauche. — Renferme à droite ceux qui sont bons, et à gauche ceux qui sont méchants », jusqu’à ce que vienne le temps de vanner 3. Entre en possession de tous les peuples. Qu’on invite aux noces les bons et les méchants; que la salle du festin nuptial se remplisse de

 

1. Jean, XIV, 8-11. —  2. I Cor, II, 8. — 3. Matt. XXV, 33; III, 12. -

 

convives 1. Aux serviteurs d’inviter: au Seigneur de séparer les uns d’avec les autres. «Etends donc tes cordes à droite et à gauche, car ta race possédera toutes les nations, et tu habiteras les villes qui étaient abandonnées ». Abandonnées de Dieu, des Prophètes, des Apôtres, de l’Evangile, mais remplies de démons. « Tu habiteras les villes abandonnées; ne crains rien, car tu auras enfin l’avantage. Ne rougis pas de ce que tu as été un objet d’horreur. — Ne rougis donc point de ce que les forts se sont élevés contre moi»; quand on publiait des lois contre le christianisme, quand c’était une honte et une infamie d’appartenir à la religion chrétienne. « Ne rougis point de ce que tu as été un objet d’horreur: tu oublieras à jamais ta confusion passée; tu ne te souviendras plus de la honte de ton veuvage. Car je suis « le Seigneur, qui t’ai faite. Le Seigneur est son nom; celui qui t’a délivrée, sera appelé le Seigneur, le Dieu d’Israël, le Dieu de toute la terre 2 Et vous, Seigneur des armées, Dieu d’Israël, hâtez-vous de visiter tous les peuples ». Hâtez-vous, dirai-je moi-même, de visiter tous les peuples.

12. « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent le péché ». Ces paroles sont terribles : qui est-ce qui n’en serait pas épouvanté? Qui est-ce qui ne tremblerait pas en faisant un retour sur lui-même? Et si pure, si délicate que soit notre conscience, n’a-t-elle pas encore quelque faute à se reprocher? Quiconque, en effet, commet le péché, se rend coupable d’iniquité 3 ». « Seigneur, si vous teniez compte de toutes mes iniquités, qui est-ce qui pourrait soutenir la rigueur de votre jugement, ô mon Dieu  4? » Et pourtant la parole du Prophète est vraie; elle n’a pas été prononcée en vain : il faut qu’elle ait, et elle aura, dans une certaine mesure, son accomplissement: « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». Et pourtant le Seigneur a eu pitié de Paul; et cependant, quand celui-ci portait encore le nom de Saul, il commettait l’iniquité: quel bien a-t-il donc fait pour mériter le pardon de Dieu? Ne traînait-il pas à la mort les saints du Très-Haut? Ne portait-il pas de tous côtés des lettres écrites par les princes des prêtres, afin de conduire au

 

1. Matt. XXII, 9, 10. — 3. Isa. LIV, 1, 5. — 4. I Jean, III, 4. — 5. Ps. CXXIX, 3.

 

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supplice, partout où il en rencontrerait, les disciples du Christ? N’est-ce pas au moment où il agissait ainsi, où tous ses efforts tendaient à un pareil but, où il ne respirait, selon le langage de l’Ecriture, que le meurtre elle carnage, n’est-ce pas à ce moment-là même qu’une voix éclatante l’a appelé du haut du ciel; qu’il a été jeté à terre et s’est relevé ensuite; qu’il a été aveuglé pour se voir bientôt environné de lumière; qu’il a été frappé de mort pour revenir promptement à la vie; qu’il a été perdu et retrouvé ensuite 1? Avait-il mérité de telles faveurs? Comment les avait-il méritées? Gardons le silence, laissons-le répondre à notre place, écoutons-le. « Auparavant », dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un injurieux; mais j’ai obtenu miséricorde 2». Quoi qu’il en soit, voici une parole dont ou ne peut douter: « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». On peut l’expliquer de deux manières: en ce sens, d’abord, que Dieu ne laisse impuni aucun péché; en ce sens, ensuite, qu’il y a certaines fautes dont on n’obtient jamais le pardon de la part de Dieu, quand on s’en est rendu coupable. Nous allons, autant du moins que besoin sera, entretenir brièvement votre charité de cette double interprétation des paroles du Prophète.

13. Griève ou légère, toute iniquité doit nécessairement recevoir sa punition, soit que le pécheur lui-même en fasse pénitence, soit que Dieu en châtie l’auteur. Celui qui se repent se punit. Aussi, mes frères, devons-nous infliger à nos péchés la peine qu’ils méritent, si nous prétendons obtenir miséricorde de la part de Dieu. Pour lui, il ne saurait accorder son pardon à tous ceux qui se rendent coupables d’iniquité, car ne serait-ce point flatter les prévaricateurs? Ne serait-ce point vouloir perpétuer le crime? De là résulte évidemment la nécessité du châtiment; qu’il vienne de toi ou de lui, peu importe. Veux-tu ne pas être puni de Dieu? Punis-toi toi-même. Car tu as fait une chose qui ne peut rester impunie : mais il est bien préférable que le châtiment vienne de toi, parce qu’alors tu accompliras ce qui est écrit en un autre psaume « Prévenons sa face par une humble confession 3». « Prévenons sa face » ; qu’est-ce à dire? Avant que Dieu se mette en devoir de

 

1. Act. IX. — 2. I Tim. I, 13. — 3. Ps. XCIV, 2.

 

punir tes fautes, préviens ses coups par une humble confession, et punis toi-même tes écarts, et que le Seigneur ne trouve rien en toi, qui soit digne de châtiment. De fait, en punissant l’injustice, tu fais acte de justice, et dès lors que Dieu te trouvera déjà appliqué àune oeuvre de justice, il t’accordera ton pardon. Mais comment puis-je dire qu’en châtiant ton péché tu accomplis une oeuvre de justice? C’est que tu bais en toi ce que Dieu hait lui-même ; et en cela, tu commences à lui plaire, puisque tu punis ce qui lui déplaît : il ne peut laisser impuni aucun péché, car cette parole est vraie : « N’ayez de compassion pour aucun de ceux qui commettent l’iniquité ».

14. Examinons maintenant la seconde manière d’interpréter ce passage. Il y a certaine faute dont on n’obtient jamais le pardon de la part de Dieu, quand on s’en est rendu coupable. Vous me demanderez, sans doute, quelle peut être cette faute, en quoi elle consiste. Elle consiste à prendre la défense de ses propres Péchés. Dès qu’une personne excuse ses iniquités, elle déclare bon ce que Dieu déteste, et ainsi elle commet une grande faute, Vois combien est injuste et déraisonnable cette manière d’agir. Si l’homme fait un peu de bien, il se l’attribue; et, quand il fait le mat, il l’impute à Dieu : ainsi, ils accusent Dieu de leurs désordres. N’est-ce point porter l’iniquité à son comble? Personne n’oserait dire: L’adultère, l’homicide, la fraude, le parjure sont choses légitimes. Personne ne serait assez hardi pour tenir un pareil langage. Ceux mêmes qui s’en rendent coupables, crient à la prévarication et au scandale, dès qu’ils en souffrent; nulle âme donc n’est assez pervertie, assez ennemie du genre humain, assez étrangère à l’union que doit établir entre nous notre commune origine en Adam, pour considérer comme bons et légitimes l’adultère, la fraude, la rapine, le parjure. Alors comment peut-on en prendre la défense ? En disant: Si Dieu ne l’avait pas voulu, je ne m’en serais pas rendu coupable. Puis-je m’opposer à mon destin? Si tu leur demandes ce qu’ils entendent par le destin, ils te parlent des étoiles ; et si tu cherches à savoir qui est-ce qui a créé les étoiles et réglé leur cours, ils te répondent: C’est Dieu. Par conséquent, tu n’excuses ton péché que pour en accuser Dieu lui-même ; tu absous le

 

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coupable pour mettre le juge en cause. Est-il possible que le Seigneur prenne pitié de ceux qui commettent une semblable iniquité? « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ». Que votre vengeance, dit le Prophète, poursuive leurs péchés : punissez-les, percez-les des traits de votre justice; ils ne veulent point se connaître: forcez-les à s’envisager eux-mêmes, et puissent-ils rougir du malheureux état où ils se trouvent, et trouver en vous leur bonheur! « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent le péché ».

15. « Qu’ils se convertissent sur le soir 1». Le Prophète parle ici de je ne sais quels hommes, qui commettaient jadis l’iniquité, qui étaient autrefois ténèbres, et qui se convertissent sur le soir. Que veulent dire ces paroles : « Sur le soir ? » Ensuite. Et encore? Plus tard, avant d’attacher le Christ à l’instrument de son supplice, ils auraient dû reconnaître en lui leur médecin ; mais ils ne le reconnurent que plus tard; après sa mort, sa résurrection, son ascension, et la descente du Saint-Esprit sur les disciples qui se trouvaient dans la même maison et qui, sous la riche influence de ses dons, parlèrent le langage de tous les peuples; alors ils s’épouvantèrent de l’avoir cloué à la croix ; la conscience bourrelée de remords, ils demandèrent aux Apôtres comment ils pourraient se sauver, et ceux-ci leur répondirent : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et vos péchés  vous seront remis 2 ». Après avoir fait mourir le Christ, et avoir répandu son sang, vous obtiendrez néanmoins la rémission de vos péchés, car il a voulu mourir, afin de racheter par l’effusion de son sang ceux-là mêmes qui le verseraient. Vous vous êtes montrés cruels à son égard ; vous avez répandu son sang : que votre foi vous fasse, boire ce breuvage salutaire ! C’est donc avec raison que le Prophète s’exprime ainsi : « Qu’ils se convertissent sur le soir, et qu’ils souffrent la faim comme des chiens ».

Les Juifs appelaient de ce nom les Gentils, parce qu’ils les considéraient comme impurs; voilà pourquoi le Sauveur appela lui-même ainsi la Chananéenne, qui n’était pas juive. Cette femme le suivait et lui demandait à grands cris d’avoir pitié de sa fille, et de la

 

1. Ps. LVIII, 7. — 2. Act. II, 38.

 

guérir. Jésus prévoyait tout, il savait tout, mais il voulait manifester aux yeux de tous la foi de cette femme; il différa donc d’accéder à sa demande, et la tint quelque temps en suspens. Et comment différa-t-il de se rendre aux voeux de cette mère désolée? « Je n’ai été envoyé », dit-il, « que pour sauver les brebis égarées de la maison d’Israël ». A Israël il donnait le nom de brebis ; et les Gentils, comment les désignait-il? « Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens ». Il donna aux Gentils le nom de chiens, à cause de leur impureté. Mais que fit cette femme affamée? au lieu de se laisser rebuter par cette parole, elle la reçut avec humilité, et mérita ainsi la faveur qu’elle sollicitait. On ne peut effectivement voir une injure dans les paroles adressées par le Sauveur à la Chananéenne. Qu’un serviteur parle ainsi à son maître, ce serait outrageant pour celui-ci; mais qu’un maître emploie ce langage à l’égard de son serviteur, c’est, de sa part, un acte de bonté qu’on ne saurait accuser de hauteur. « Oui, Seigneur », répondit-elle. Que veut dire ce « oui ? » Vous dites vrai : vos paroles sont l’expression de la vérité même: je suis un chien. « Mais», ajouta-t-elle, « les chiens mangent les mies qui tombent de la table de leurs maîtres » . « O femme», reprit aussitôt le Sauveur, « que ta foi est grande 1! » Tout à l’heure il lui donnait le nom de chien ; maintenant, il lui donne celui de femme. Pourquoi donner le nom de femme à celle qu’il appelait, un instant auparavant, du nom de chien ? Parce qu’au lieu de repousser la dénomination que lui avait donnée le Sauveur, elle l’avait humblement acceptée, comme l’expression de la vérité.

Les Gentils sont donc des chiens ; c’est pourquoi ils sont affamés. Il serait avantageux, pour les Juifs eux-mêmes, de reconnaître qu’ils sont pécheurs, et de se convertir, quoique « sur le soir », et « de souffrir la u faim comme les chiens ». Car s’il était rassassié, il ne l’était pas comme il eût été nécessaire, celui qui disait : « Je jeûne deux fois la semaine ». Pour le publicain, il souffrait de la faim comme un chien ; il avait faim des bienfaits de Dieu , car il disait: « Soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur 2 » . « Qu’ils se convertissent » donc

 

1. Matt. XV, 24 - 28. — 2. Luc, XVIII, 12, 13.

 

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aussi « sur le soir, et qu’ils souffrent la faim comme les chiens ». Qu’ils désirent la grâce de Dieu, qu’ils comprennent qu’ils sont pécheurs : que ces forts deviennent faibles, que ces riches deviennent pauvres, que ces justes reconnaissent leur état de péché, que ces lions deviennent des chiens. « Qu’ils se convertissent sur le soir et souffrent la faim comme les chiens, et ils parcourront les alentours de la ville ». Quelle est cette ville ? C’est ce monde, qu’en certains endroits l’Ecriture appelle une ville d’environnement, parce que le monde, composé de toutes les nations de la terre, enveloppait de part et d’autre et isolait le peuple juif, au milieu duquel se disaient ces vérités saintes; il avait reçu, pour ce motif, le nom de ville d’environnement. « Devenus des chiens affamés, ils parcourront les alentours de cette ville». Et comment les parcourront-ils ? En prêchant l’Evangile. De loup qu’il était, Saul est devenu un chien sur le soir, c’est-à-dire qu’il s’est converti tard; et, soutenu par les mies tombées de la table de son Maître, il a couru dans le chemin de la grâce, et il a parcouru la ville.

16. « Ils parleront dans leur bouche, et ils auront une épée sur leurs lèvres 1 ». Cette épée est un glaive à deux tranchants, dont l’Apôtre nous parle ainsi : « Et le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu 2». Pourquoi ce glaive a-t-il deux tranchants, sinon parce qu’il se sert des deux testaments pour frapper? C’est avec lui que saint Pierre frappait ceux dont Dieu disait : « Tue et mange 3. Ils auront une épée sur leurs lèvres, car qui est-ce qui écoute? » Ils parleront et diront: « Qui est-ce qui écoute? » C’est-à-dire, ils s’indigneront contre ceux qui se montreront lents à accepter la foi évangélique. Ceux qui tout à l’heure ne voulaient pas croire, souffrent et se tourmentent de rencontrer des incrédules. Ainsi en est-il réellement, mes frères. Tu vois un homme se montrer indolent avant de devenir chrétien, tu lui adresses chaque jour les exhortations les plus pressantes, à peine songe-t-il à travailler à sa conversion. Qu’il se convertisse enfin; il voudrait déjà que tous fussent chrétiens, il s’étonne de ne pas les voir déjà dans le giron de l’Eglise, il oublie qu’il ne s’est lui-même converti que sur le soir; mais parce qu’il est devenu semblable à un chien affamé, il a aussi un glaive

 

1. Ps. LVIII, 8. — 2. Eph. VI, 17. — 3. Act. X, 13.

 

sur les lèvres, et il s’écrie : « Qui est-ce qui écoute? » Que veulent dire ces paroles

« Qui est-ce qui écoute? » Qui est-ce qui croit ce que nous lui annonçons? A qui la puissance du Seigneur a-t-elle été révélée 1? « Car qui est-ce qui écoute? » Les Juifs n’ont pas voulu croire, et alors les Apôtres se sont tournés du côté des Gentils, et leur ont annoncé l’Evangile: les Juifs ne croyaient pas, et cependant 1’Evangile annoncé par des Juifs croyants faisait le tour de la ville, et ceux qui le prêchaient disaient : « Qui est-ce qui nous écoute? »

17. « Et vous, Seigneur, vous vous rirez d’eux 2 ».Toutes les nations doivent devenir

chrétiennes, et vous dites: « Qui est-ce qui écoute? » Qu’est-ce à dire : «Vous vous rirez d’eux? Vous compterez pour rien tous les peuples ». Ce n’est rien à vos yeux, car rien de plus facile pour vous que la conversion à la foi de toutes les nations du monde.

18. « Je vous garderai toute ma force 3». Tous ces forts sont tombés, parce qu’ils ne vous ont pas gardé toute leur force : c’est-à-dire, ceux qui se sont élevés haut pour me combattre, et qui se sont jetés sur moi, ont mis leur confiance en eux-mêmes; pour moi, « je vous garderai toute ma force » ; car, en m’éloignant de vous, je tombe; et je deviens plus fort en m’en approchant. Voyez, mes frères, ce qu’il en est de l’âme humaine: d’elle-même elle n’a ni lumières, ni forces ce qui fait toute sa beauté, c’est la vertu et la sagesse; or, ni la sagesse, ni la force, ni la lumière, ni la vertu ne se trouvent en elle : elle les puise à une autre source. Il est une source et un principe de vertu, une racine de sagesse ; pour le dire en un mot, si toutefois il m’est permis de parler ainsi, il est un pays où habite l’immuable vérité : que notre âme s’en éloigne, elle tombe dans les ténèbres; qu’elle s’en approche, elle est environnée de lumière. « Approchez-vous de Dieu, et vous serez éclairés 4 », puisqu’en vous en éloignant, vous vous plongez dans les ténèbres ; « Je vous garderai donc toute ma force », je ne m’éloignerai pas de vous,je ne mettrai pas ma confiance en moi. « Je vous garderai toute ma force, car, Seigneur, vous m’avez pris sous votre garde ». Où étais-je alors? Où suis-je maintenant? D’où venais-je lorsque vous m’avez reçu ? Quels péchés m’avez

 

1. Isa. LIII, I. — 2. Ps. LVIII, 9. — 3. Id. 10. — 4. Id. XXXIII, 6.

 

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vous pardonnés ? A quel état de bassesse j’étais réduit ! A quel degré d’élévation je suis parvenu ! J’en garderai le souvenir, c’est pour moi un devoir de ne pas oublier ce que dit un autre psaume : « Mon père et ma mère m’ont abandonné, mais le Seigneur m’a pris en sa garde 1. Je vous garderai ma force, ô mon Dieu, car vous m’avez pris sous votre garde».

19. « Vous êtes mon Dieu: sa miséricorde me préviendra 2 ». Voilà ce que le Prophète veut faire entendre en disant: « Je vous garderai ma force » ; je ne mettrai point ma confiance en moi-même. Quel bien ai-je pu faire, pour que vous preniez pitié de moi et que vous me fassiez entrer dans la voie de la justice? Qu’avez-vous trouvé en moi, sinon le péché, rien que le péché? Ce que vous m’avez fait en me donnant la vie venait de vous, et je ne pouvais vous offrir autre chose, car tout le reste, c’est-à-dire les péchés que vous m’avez pardonnés, venait de moi. Ce n’est pas moi qui me suis éveillé le premier pour revenir à vous ; c’est vous qui vous êtes approché de moi pour me tirer de mon sommeil, « car sa miséricorde me préviendra ». Sa miséricorde me préviendra avant que je fasse le moindre bien. Que répondra à cela le malheureux Pélage?

20. « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis 3 ». C’est-à-dire, Dieu m’a fait voir par mes ennemis, toute la miséricorde dont il a usé à mon égard. Que celui qui a été recueilli par le Seigneur, se compare à ceux que Dieu a délaissés, et que celui qu’il a choisi se compare à ceux qui ont été réprouvés. Que les vases de miséricorde se comparent aux vases de colère, et considèrent que, « de la même masse, Dieu a fait les uns pour être des vases d’honneur, et les autres pour être des vases d’ignominie ». Que signifient ces paroles : « Dieu me l’a fait voir par mes ennemis? Dieu voulant manifester sa colère et sa puissance, a souffert avec beaucoup de patience les vases de colère qui ont été destinés à la perdition, afin de faire mieux voir sa bonté envers les vases de miséricorde 4 ». Si donc il a supporté les vases de colère, pour faire connaître les richesses de sa bonté à l’égard des vases de miséricorde, c’est avec une extrême justesse que le Prophète a dit : « Sa miséricorde me préviendra : « Mon Dieu me

 

1. Ps. XXVI, 10. — 2. Id. LVIII, 11 3. Id. 12. — 4. Rom. IX, 21—23.

 

l’a fait voir dans mes ennemis». C’est-à-dire: il m’a fait comprendre l’étendue de sa bonté pour moi , en me donnant pour exemple ceux qu’il n’a pas aimés comme il m’a aimé moi-même; car si l’on ne fait mourir un débiteur insolvable, celui à qui on remet sa dette se montre moins reconnaissant. « Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ».

21. Quant à ses ennemis eux-mêmes, qu’est-ce qu’ajoute le Prophète? «Ne les faites point mourir, ô mon Dieu, de peur qu’ils oublient votre loi ». Il prie pour ses ennemis; il accomplit le précepte de la charité. Tout à l’heure nous entendions sortir de sa bouche ces paroles : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité ». Maintenant il dit : « Ne les faites point mourir, de peur qu’on oublie votre loi ». Comment accorder ensemble ces deux passages de notre psaume? Comment Dieu peut-il en même temps ne pas prendre en pitié des pécheurs, et ne pas les faire mourir dans la crainte qu’on oublie sa loi? Ici, remarquez-le, le Prophète parle de ses propres ennemis. Hé quoi! ses ennemis observent-ils donc les lois de la justice ? Si ceux qui le haïssent pratiquent la justice, il est donc lui-même coupable d’injustice? Mais comme il observe les lois de l’équité, il endure, par là même, de la part de ses ennemis, des procédés injustes : il est donc évident qu’en se déclarant l’adversaire des justes, on se constitue soi-même dans l’état de péché. Comment donc a-t-il pu dire tout à l’heure : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité », pour faire maintenant cette prière en faveur de ses ennemis: « Ne les faites point mourir, de peur qu’on  oublie votre loi? » Ne prenez donc point pitié d’eux, afin de tuer leurs péchés; ne faites point mourir ceux dont vous tuez les péchés. Qu’est-ce qu’être tué ? C’est oublier la loi de Dieu. Se plonger dans l’abîme du péché, voilà la véritable mort. Ceci peut très-bien s’entendre des Juifs. Mais quel rapport ce passage peut-il avoir avec les Juifs : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi? » Ne faites point mourir ces malheureux qui se sont déclarés contre moi, et m’ont fait mourir moi-même. Que la nation juive subsiste toujours. Sans doute, les Romains l’ont vaincue, leur ville a été détruite de fond en comble: on ne permet à aucun de ses membres de rentrer dans leur cité sainte, et pourtant, il y

 

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a toujours des Juifs. Toutes les provinces sont tombées au pouvoir des Romains: où est l’homme capable de les reconnaître toutes au milieu de l’empire romain, et de dire quels noms elles portaient autrefois, puisque tous leurs habitants sont devenus Romains et en portent le nom? Néanmoins les Juifs subsistent encore, marqués d’un signe qui les distingue des autres; s’ils ont subi la honte de la défaite, ils n’ont pas, du moins, été détruits et absorbés par les vainqueurs. Ce n’est pas sans raison que, après le meurtre d’Abel, Dieu a placé au front de Caïn un signe qui pût le faire reconnaître et l’empêcher d’être lui-même tué 1. Or, voici le signe auquel on reconnaît les Juifs : ils conservent avec un soin extrême les restes de leur loi ; ils reçoivent la circoncision, observent le sabbat, immolent l’agneau pascal, et mangent le pain azyme. Il y a donc des Juifs, ils n’ont pas été anéantis: et même leur existence est indispensable pour confirmer les Gentils dans la foi. Pourquoi cela? Afin que nous connaissions, d’après l’exemple de nos ennemis, la miséricorde de Dieu à notre égard. « Mon Dieu me l’a fait voir dans mes ennemis ». A la vue des branches orgueilleuses de l’olivier franc séparées de leur tronc, l’olivier sauvage, greffé à leur place, peut comprendre l’étendue de la miséricorde divine envers lui. Voilà où gisent les rameaux superbes : et toi, qui gisais par terre, voilà où tu as été greffé. Ne t’enorgueillis donc pas, car tu mériterais d’être à ton tour séparé du tronc. « Mon Dieu, ne les anéantissez pas, de peur qu’on oublie votre loi ».

22. « Dispersez-les dans votre puissance ».

 

1. Gen. IV, 15.

 

L’événement a eu lieu : les Juifs ont été dispersés parmi les nations, et ils servent de témoins pour attester à tous leur crime et la vérité de l’Evangile. Les livres qu’ils ont entre les mains, contiennent les prophéties relatives au Christ, et le Christ, nous le possédons, Si, par hasard, il s’élève dans l’esprit d’un païen des doutes concernant les prophéties qui regardent le Sauveur, et dont l’évidence le saisit d’étonnement; si, dans le sentiment dc l’admiration, il s’imagine que nous avons nous-mêmes inventé ces prophéties pour les besoins de notre cause, nous en appelons àux livres des Juifs, et leur antiquité devient entre nos mains une preuve sans réplique. Voyez donc comment certains ennemis nous servent à combattre et à vaincre d’autres ennemis. « Dispersez-les dans votre puissance. Otez-leur tout leur pouvoir, toute leur force. Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur. Perdez en eux les péchés de leur bouche,  et les paroles de leurs lèvres; et qu’ils soient pris dans leur propre orgueil. Ils apprendront que leurs malédictions et leurs mensonges seront le principe de leur consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus ».

Ce passage est très-obscur, et je crains de ne pas être parfaitement compris dans l’explication que je veux en donner, car vous êtes déjà fatigués de m’écouter. Remettons donc à demain l’interprétation des derniers versets de ce psaume, si, toutefois, votre charité veut bien y consentir. Le Seigneur m’aidera à m’acquitter envers vous de ma dette : car je compte plus sur lui que sur moi.

 

 

DEUXIEME DISCOURS SUR LE PSAUME LVIII.

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

 

1. Le long discours que je vous ai adressé hier, m’a laissé pour aujourd’hui en dette vis-à-vis de vous; et, puisque Dieu l’a permis, et que le temps de m’acquitter est venu, je vais le faire. Plus nous nous montrons dévoué à remplir nos obligations à votre égard, plus aussi vous devez vous montrer avares créanciers: en d’autres termes, puisque le Seigneur nous donne ce que nous devons vous communiquer, car il est le Maître et nous les serviteurs, c’est à vous de recevoir ses dons de manière à faire voir dans votre conduite le fruit que vous tirerez de nos discours. En effet, le champ que l’on cultive, et qui ne produit rien de bon, le champ qui ne récompense point le cultivateur et lui donne des épines au lieu de moissons abondantes, ne verra jamais sa récolte enfermée dans les greniers du Père de famille: elle sera jetée au feu. Le Seigneur, notre Dieu, daigne répandre sur notre coeur la rosée fécondante de sa parole, comme il répand sur les campagnes d’abondantes ondées, parce que notre coeur est comme un champ qui lui appartient : et il a droit d’en attendre du fruit, puisqu’il sait quelle semence et quelles pluies il y a fait tomber. En réalité, nous ne sommes rien sans lui : nous n’étions rien avant qu’il nous eût créés ; et quiconque, devenu homme, prétend se passer de lui, n’est autre, en fin de compte, qu’un homme pécheur: c’est donc avec raison que le Prophète a dit: « Je vous garderai ma force ». Puisque toute cette force, nous la conservons avec lui et pour lui, et que nous la perdons en nous en éloignant, notre âme doit donc toujours veiller, non pas seulement à ne pas s’éloigner de lui, mais encore, si elle en est éloignée, à se diriger vers lui et à s’en approcher chaque jour davantage; pour cela, elle n’a besoin ni de marcher vite, ni d’employer le secours de chariots, ni de monter un coursier agile, ni de se servir de grandes ailes : la pureté des affections et des moeurs irréprochables et saintes, voilà ce qui est nécessaire pour s’approcher de Dieu.

2. Achevons d’expliquer notre psaume. Nous nous sommes arrêté à l’endroit où le Prophète commence à parler à Dieu de ses ennemis, et lui dit : « Ne les tuez point, Seigneur, de peur qu’on oublie votre loi  1.» Il       leur donnait le nom d’ennemis, et, pourtant, il priait le Seigneur de ne point les tuer, dans la crainte de voir oublier sa loi. Se souvenir de la loi divine, c’est-à-dire ne pas l’oublier, ce n’est encore ni la perfection, ni l’assurance d’être récompensé, ni une garantie contre les supplices éternels. Il en est qui gardent le souvenir de la loi, mais qui ne la pratiquent pas; ceux, au contraire, qui l’accomplissent, eu conservent la mémoire. Aussi,

 

1. Ps. LVIII, 12.

 

quand un homme remplit tous les devoirs àlui imposés par Dieu, quand il s’efforce incessamment de ne point laisser effacer de la mémoire de son coeur ce qu’il sait de la loi du Seigneur, et que par toute sa conduite il se rappelle à chaque instant les préceptes que l’Eternel y a tracés, cet homme connaît utilement la loi divine, et il ne sera pas considéré comme un ennemi du Très-Haut. Les Juifs sont les ennemis de Jésus-Christ ; le Psalmiste semble les désigner ici : ils ont la loi de Dieu entre les mains, ils la conservent; voilà pourquoi le Prophète adresse au Seigneur cette prière: « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi». Il demande que la nation juive subsiste toujours, et que, ce peuple continuant à subsister, le nombre des chrétiens s’accroisse tous les jours. C’est un fait indiscutable; on rencontre des Juifs au milieu de tous les autres peuples; ils sont toujours tels, et n’ont pas cessé d’être ce qu’ils étaient; c’est-à-dire, que cette nation n’est point passée sous la domination romaine de manière à perdre son autonomie; mais en pliant sous le joug de l’empire, elle a conservé ses lois, qui sont les lois divines. Mais comment les observe-t-elle ? « Vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et vous négligez ce qu’il y a de plus important dans la loi, à savoir : la justice, « la miséricorde et la foi. Vous avez grand soin de filtrer ce que vous buvez, dans la crainte d’avaler un moucheron, et vous avalez un chameau 1». Ainsi leur parle le Seigneur; et, de fait, ils agissent de la sorte; ils conservent entre leurs mains la loi et les Prophètes, ils lisent et chantent toutes ces paroles saintes, et ils n’y voient point désigné le Christ lui-même, qui est la lumière des Prophètes. Non-seulement ils ne l’aperçoivent pas, maintenant qu’il est dans le ciel; ils ne l’ont pas même reconnu, quand il vivait dans l’humiliation au milieu d’eux, et qu’ils sont devenus coupables à son égard en répandant son sang; toutefois, je n’entends point parler d’eux tous. C’est ce que je vous prie, mes frères, de bien remarquer aujourd’hui. J’ai dit qu’il n’est pas question de tous les Juifs, parce que beaucoup d’entre eux se sont convertis à celui qu’ils avaient fait mourir, ont cru en lui, et mérité, de sa part, le pardon de leur déicide; par là ils ont montré aux hommes

 

1. Matt. XXIII, 23, 24.

 

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à ne point désespérer de leur propr pardon, quels que soient, d’ailleurs, le nombre et l’énormité de leurs crimes, puisqu’en s’a vouant coupables, ils ont obtenu miséricorde et que l’indulgence divine s’est étendue même à l’assassinat commis par eux sur la personne du Christ. Voilà pourquoi le Psalmiste s’exprime ainsi : « Parce que, mon Dieu, vous avez bien voulu me recevoir, et que la miséricorde de Dieu me préviendra ». C’est-à-dire, avant aucune bonne action de ma part, sans aucuili mérite, j’ai été prévenu par sa miséricorde. Quoiqu’il n’ait rien trouvé de bon en moi, il n’a pas laissé de me rendre bon; il rend juste celui qui se convertit, et il avertit celui qui s’égare, de rentrer dans la voie droite. « Mon Dieu», ajoute le Prophète, « mon Dieu me l’a montré dans mes ennemis » ; c’est-à-dire, en me comparant avec mes ennemis, je vois combien il m’aime, combien de preuves de bonté il me donne; car les vases de colère et les vases de miséricorde, sortant tous de la même masse, les premiers apprennent aux seconds quelle grâce ceux-ci ont reçue 1. Nous lisons ensuite: « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Ces paroles s’appliquent aux Juifs. Mais quel châtiment leur infligerez-vous? « Dispersez-les dans votre puissance ». Montrez-leur que la force appartient à vous, et non à ceux qui mettent leur confiance en leur propre pouvoir, et qui méconnaissent votre éternelle vérité. Montrez-leur que si vous êtes fort,ce n’est point à la manière de ces forts dont il est écrit: « Les forts se sont jetés sur moi »; mais que votre force vous donne le pouvoir de les disperser. « Et conduisez-les, Seigneur, qui êtes mon protecteur». C’est-à-dire, dispersez-les, mais ne les abandonnez pas, « de peur qu’on oublie votre loi ». Et protégez-moi de telle sorte que leur dispersion me fournisse un témoignage de votre miséricordieuse bonté.

3. Le Psalmiste ajoute: « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Comment unir et lier à ce qui précède ce passage : « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres? » Nous ne voyons pas entre les paroles suivantes assez de liaison pour apercevoir le rapport qui existe entre ces paroles et celles qui précèdent. « Perdez en eux les péchés de leur bouche et les paroles de leurs

 

1. Rom. IX, 21.

 

 lèvres, et qu’ils soient pris dans leur orgueil. Leur malédiction et leur mensonge produiront leur perfection dans la colère, qui perfectionne tout, et ils ne seront plus ». Je l’ai déjà dit hier ; ce passage est obscur voilà pourquoi j’ai voulu attendre, pour vous en donner l’explication, que vos esprits fussent reposés. Puisque vous n’êtes point encore fatigués de m’entendre, veuillez donc en ce moment élever vos coeurs, afin de m’aider par votre application ; par ses obscurités et ses embarras notre langage pourrait ne pas répondre à ce que vous attendez de moi; aussi devez-vous apporter votre part de bonne volonté; de la sorte, vous suppléerez, par votre promptitude à pénétrer le sens de mes paroles, à ce qui pourrait leur manquer de clarté.

Ce verset se trouve donc au milieu du psaume, sans que nous puissions voir facilement sa liaison avec ce qui précède. « Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». Néanmoins, ayons recours aux versets précédents. Le Prophète avait dit : « Ne les tuez pas, de peur qu’on oublie votre loi » ; telle était sa prière en faveur d’hommes en qui il reconnaissait ses ennemis; et il avait ajouté : « Perdez en eux les péchés de leur bouche, et les paroles de leurs lèvres ». C’est-à-dire, mettez fin à i leurs discours et non à leur existence: « Ne les tuez donc pas, de peur qu’on oublie votre loi ». Mais il y a en eux quelque chose que vous devez tuer, pour que l’on voie l’accomplissement de cette parole : « N’ayez compassion d’aucun de ceux qui commettent l’iniquité; dispersez-les donc par votre puissance et conduisez-les », c’est-à-dire, ne les abandonnez pas, tout en les dispersant; parce qu’en ne les abandonnant point, et en ne les tuant pas, vous avez encore quelque chose à faire en eux. Qu’y tuerez-vous donc? « Les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». Que tuerez-vous en eux? Les cris qu’ils ont fait entendre: « Crucifie-le! crucifie-le 1! » et non leur propre personne. Pour eux, ils ont voulu perdre, exterminer et anéantir le Christ; et vous, en ressuscitant celui qu’ils ont voulu perdre, vous tuez « les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres ». En effet, ils avaient crié qu’il fallait le mettre à mort, et ils s’aperçoivent ave. étonnement qu’il vit encore; ils l’ont méprisé

 

1. Jean, XIX, 6.

 

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pendant sa vie mortelle, et ils le voient avec stupéfaction adoré de tous les peuples de la terre; ainsi sont tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres.

4. « Et qu’ils soient pris eux-mêmes dans leur orgueil». Que veulent dire ces paroles: « Qu’ils soient pris eux-mêmes dans leur orgueil? » C’est inutilement que les forts se sont jetés sur le Christ, et qu’il a paru céder à leurs efforts pour leur laisser croire qu’ils avaient réussi dans leurs desseins contre lui; c’est en vain qu’ils ont semblé prévaloir contre le Sauveur. Ils ont bien pu crucifier son humanité sainte, leur faiblesse a pu l’emporter sur la force, la force a pu être mise à mort; ils se sont imaginé qu’ils étaient quelque chose; ils se sont considérés comme des hommes robustes, puissants et incapables de se laisser dominer par n’importe quelle résistance; ils étaient, à leurs yeux, pareils àun lion tout préparé à dévorer sa proie, ou semblables à ces taureaux gras dont il est parlé dans un autre psaume : « Des taureaux gras se sont jetés sur moi 1». Mais qu’ont-ils fait au Christ? En lui ils ont tué, non la vie, mais la mort. En effet, au moment où Jésus-Christ rendait le dernier soupir, le règne de la mort finissait en lui, et celui de la vie commençait, lorsque, par sa résurrection, il reprenait cette ‘vie au sein même de la mort; il est ressuscité, car il y avait en lui une source de vie qu’ils ne pouvaient tarir. Quel a donc été le résultat de leur méchanceté à l’égard du Sauveur? Ecoute; le voici. Ils ont détruit le temple. Et lui, qu’a-t-il fait? Il l’a rebâti le troisième jour 2. Par là ont été tués les péchés de leur bouche et les paroles de leurs lèvres. Et qu’est-il advenu de ceux qui se sont convertis? « Qu’ils soient pris dans leur propre orgueil ». On leur a dit que celui qu’ils avaient attaché à la croix, était ressuscité d’entre les morts, et ilsont cru au prodige de sa résurrection, quand ils ont vu que, du haut du ciel où il était monté, il avait envoyé l’Esprit-Saint, pour remplir de ses dons ceux qui avaient cru en lui 3, et alors ils ont compris qu’en faisant mourir le Christ, ils avaient inutilement employé leur temps et leurs forces. Tout ce qu’ils avaient fait se réduisait à rien; il ne leur restait que la responsabilité de leur coupable conduite; et dès lors que leurs projets avaient été anéantis, et qu’ils

 

1. Ps. XXI, 13. — 2. Jean, II, 19. — 3. Act. I, 9, II, 4.

 

n’avaient recueilli d’autre bénéfice que celui d’avoir commis le’crime, ils furent pris dans leur propre orgueil, et ils se virent accablés sous le poids de leur faute, Ils n’avaient donc plus d’autre ressource que celle de confesser leur péché; c’était la condition pour Obtenir leur pardon de celui qui avait cédé à leurs efforts criminels; à cette condition, il devait pardonner sa mort corporelle aux morts spin. fuels qui lui avaient ôté la vie, et donner la vie de l’âme à ceux qui l’avaient perdue. Ils ont donc été pris dans leur orgueil.

5. « Leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation dans la colère  de consommation, et ils ne seront plus ». Il est vraiment difficile de comprendre comment les mots : « Et ils ne seront plus », se lient avec les précédents. Quel en est le sens? Voyons le verset que nous venons d’expliquer. Lorsqu’ils auront été pris dans leur propre orgueil, « leur malédiction et leur mensonge produiront leur consommation ». Que doit-on entendre par consommation? ce terme signifie : Perfection; car être consommé veut dire être perfectionné. Autre chose est d’être consommé, autre chose est d’être consumé. On dit d’un objet qu’il est consommé, quand il est arrivé à son dernier degré de perfection: on dit qu’il est consumé, lorsqu’il est détruit èt qu’il n’en reste plus rien. L’orgueil empêchait l’homme de devenir parfait, car rien ne met obstacle à la perfection, comme ce malheureux vice. Que votre charité veuille bien apporter un peu d’attention à mes paroles, et considérer que l’orgueil est un mal singulièrement dangereux, un mal infiniment à craindre. A votre avis, quel mal est l’orgueil? Pourrais-je exagérer en vous dépeignant sa malice et ses suites? Le démon n’a commis que ce péché : voilà la cause de ses tourments sans fin. Sans aucun doute, il est le chef de tous les pécheurs, c’est lui qui les entraîne au mal: on ne l’accuse ni d’adultère, ni d’intempérance, ni de fornication, ni d’enlèvement du bien d’autrui : sa chute n’est venue que de l’orgueil. Et parce que l’envie est la compagne ordinaire de l’orgueil, il est impossible que le coeur de l’orgueilleux ne soit pas dévoré par l’envie. Comme conséquence de ce vice, qui est la suite nécessaire de l’orgueil, le démon, après sa chute, porte envie à l’homme qui persévère dans le bien, et il s’efforce de le séduire,

 

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pour l’empêcher de parvenir à ce séjour heureux d’où il est lui-même tombé. Et comme il sait que notre juge n’acceptera pas de fausses accusations contre nous, il cherche à nous précipiter en des fautes réelles: si notre avenir devait se décider au tribunal d’un homme, facile à tromper par des calomnies et des impostures, il ne prendrait ni tant de peines, ni de si minutieuses précautions pour nous faire commettre le péché; car il pourrait jeter notre juge dans l’erreur, et opprimer ainsi l’innocence; et alors, il nous entraînerait aisément dans le piégé, et rien ne lui serait plus facile que de s’emparer de nous, et de nous faire condamner avec lui. Mais il ne l’ignore pas, nous avons un juge qu’on ne peut surprendre, un juge équitable qui ne fait acception de personne, un juge, enfin, devant lequel il ne veut faire paraître que de vrais coupables, parce que Dieu étant souverainement juste, les condamnera nécessairement. L’envie seule, compagne obligée de son orgueil, porte donc le démon à nous pousser dans l’abîme du péché. D’où il suit que l’orgueil est un grand mal, puisqu’il nous empêche de devenir parfaits. Qu’on se vante autant qu’on voudra de ses richesses, de la beauté et de la force de son corps; tous ces avantages ne dureront qu’un temps, et ceux-là sont vraiment ridicules, qui se glorifient de choses périssables, qu’ils sont très-souvent exposés à perdre pendant leur vie, et dont ils devront, de toute nécessité, se séparer au moment de la mort. L’orgueil est un vice capital, puisqu’il suffit d’une seule tentation d’orgueil pour faire perdre à un homme, déjà avancé dans la pratique du bien, tout le terrain qu’il a précédemment parcouru. Les autres vices sont à craindre pour les mauvaises actions que nous pouvons commettre; nous devons redouter encore davantage l’orgueil, quand nous en taisons de bonnes. Il n’est donc pas étonnant que saint Paul ait été assez humble pour dire : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort », Pour l’empêcher d’être tenté par l’orgueil, savez-vous quel remède a employé le sage médecin qui connaissait le mal, et voulait le guérir? L’Apôtre va nous le dire : « De peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de l’orgueil, Dieu a permis que je ressente dans ma chair un aiguillon, qui est l’ange et le ministre de Satan, pour me donner des soufflets. C’est pourquoi j’ai prié le Seigneur par trois fois, afin que cet ange de « Satan se retirât de moi, et il m’a répondu « Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 1 ». Voyez en quoi consiste la consommation dont parle le Psalmiste. L’Apôtre, le docteur des nations, le père des fidèles qu’il a engendrés par l’Evangile, a reçu l’aiguillon de la chair pour en être souffleté. Y en aurait-il un seul parmi nous, pour oser s’exprimer ainsi à l’égard de saint Paul, s’il ne l’avait lui-même déclaré humblement? En disant qu’il n’a pas eu à supporter une pareille humiliation, nous croirions lui faire honneur, et en définitive, nous le taxerions de mensonge. Mais comme il était sincère, et qu’il a dit la vérité, nous devons ajouter foi entière à ses paroles, quand il nous dit que Dieu lui a envoyé l’ange de Satan pour l’empêcher de s’enorgueillir de la sublimité de ses révélations. Le serpent de l’orgueil est donc bien à craindre. Mais qu’est-il advenu des Juifs? Ils ont été pris dans leur péché, car ils ont fait mourir le Christ, et plus grand a été leur crime, plus aussi ils se sont humiliés, et plus ils ont mérité par là d’être relevés; ainsi, « qu’ils soient pris dans leur propre orgueil : et leur malédiction et leur mensonge produiront leur « perfection » ; c’est-à-dire, ils deviendront d’autant plus parfaits, qu’ils ont été surpris à maudire et à mentir. En effet, l’orgueil ne -leur permettait point de s’avancer vers la perfection: il leur a fait commettre un grand crime, mais par l’humble confession qu’ils en ont faite, ils se sont débarrassés de ce malheureux vice; alors, ils en ont obtenu le pardon; la miséricorde divine leur a rendu l’innocence, et, parce que de leur bouche étaient sortis la malédiction et le mensonge, ils sont devenus parfaits. lia été dit à l’homme: Tu as vu et compris, par ton expérience, ce que tu es: tu t’es égaré, tu es tombé dans l’aveuglement, tu as commis le péché et fait une lourde chute; tu as reconnu ta faiblesse, aie donc recours au médecin, et ne te crois pas en bonne santé. Vois l’abîme où t’a précipité ta frénésie ! Tu as fait mourir ton médecin, et tout en le livrant à la mort, tu n’as pu l’anéantir ; mais, du moins, as-tu agi dans la mesure de tes forces pour l’exterminer. « Votre malédiction et votre mensonge serviront à

 

1. II Cor. XII, 7-10.

 

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vous faire devenir parfaits ». O Juifs, vous avez fait tout ce qu’il faut pour opérer la malédiction, car « maudit soit l’homme pendu au gibet ». Vous avez crucifié le Christ et vous l’avez considéré comme un homme maudit; puis, à la malédiction, . vous avez ajouté le mensonge, en plaçant des gardes près de son tombeau, et en achetant au poids de l’or les mensonges que vous vouliez leur faire dire 2. Voilà que le Christ est ressuscité. Qu’est devenue cette malédiction de la croix que vous lui avez infligée? A quoi a servi le mensonge répandu par les gardes que vous avez corrompus à prix d’or?

6. « La malédiction et le mensonge serviront à la consommation dans la colère de consommation». Que veulent dire ces paroles: « Dans la colère de consommation? » Il y a une colère de consommation, et il y a une colère de consomption : toute vengeance de la part de Dieu se nomine la colère de Dieu; mais tantôt il se venge pour perfectionner, tantôt il se venge pour détruire. Comment se venge-t-il pour perfectionner? « Il frappe de verges ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Comment se venge-t-il pour détruire? Il le montrera, lorsqu’il dira à ceux qui seront placés à sa gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et pour ses anges 4 ». La colère divine sera alors une colère de consomption, et non pas une colère de consommation. Mais « on annoncera la consommation dans la colère de  consommation » ; c’est-à-dire, les Apôtres annonceront que, là où le péché s’est trouvé en abondance, il y aura une surabondance de grâce 5, et que la faiblesse de l’homme a produit le remède destiné à le guérir, l’humilité. Dans cette pensée, les Juifs reconnaîtront leurs fautes ils en feront l’aveu, et « ils ne seront plus », Quel est le sens de ces mots? Ils ne seront plus orgueilleux. Car le Psalmiste avait dit plus haut : « Qu’ils soient pris dans leur propre orgueil. La malédiction et le mensonge serviront à la consommation dans la colère de consommation, et ils ne seront plus » dans les sentiments d’orgueil où ils ont été surpris.

7. « Et ils sauront que le Seigneur est le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre ». Auparavant, les Juifs s’imaginaient

 

1. Deut. XXI, 2 ; Gal. III, 13. — 2. Matt. XXVIII, 12. — 3. Hébr. XII, 6. — 4. Mattt. XXV, 41. — 5. Rom. V, 20.

 

qu’ils étaient justes, parce que leur nation avait reçu la loi, et qu’elle avait observé les commandements de Dieu ; mais la preuve évidente qu’ils n’en avaient pas été les observateurs fidèles, c’est qu’ils n’y ont point reconnu le Christ : l’aveuglement de l’esprit était, en effet, tombé en partie sur le peuple d’Israël 1. Ils doivent s’apercevoir que les Gentils, considérés par eux comme des pécheurs et des chiens, ne sont pourtant pas à mépriser. Car s’ils ont été les uns et les autres surpris en état de péché, ils seront de même, les uns et les aigres, admis au salut éternel. « Il est», dit saint Paul, «pour les Juifs et pour les Gentils 2. La pierre qu’ils ont rejetée en bâtissant, est devenue la principale pierre de l’angle ». Pourquoi? Afin de réunir en elle deux choses différentes, car l’angle est le point de jonction entre deux murailles. A leurs propres yeux, les Juifs étaient gens élevés et honorables : les Gentils, au contraire, leur apparaissaient faibles, pécheurs, esclaves du démon, adorateurs des idoles; et néanmoins, ils se trouvaient également plongés dans l’abîme de l’iniquité. Il a été démontré aux Juifs qu’ils étaient pécheurs, « car il n’y a personne qui fasse le bien, il n’y en a pas un seul 3 ». Ils se sont dépouillés de leurs idées de hauteur et n’ont plus porté envie aux Gentils ; ils ont reconnu que les uns et les autres étaient également faibles, se sont réunis au moyen de la pierre angulaire, et ont ensemble adoré Dieu. « Ils sauront que le Seigneur est le dominateur de Jacob et des extrémités de la terre ». Il sera le maître, non-seulement des Juifs, mais des extrémités de la terre : mystère caché pour eux, s’ils persévéraient dans leur orgueil ! Orgueil toujours subsistant, s’ils continuaient à se considérer comme des justes! Mais justice impossible à supposer en eux en présence de la malédiction et du mensonge; parce que de là est venue pour eux la consommation dans la colère de consommation, et qu’ils ont été surpris dans leur orgueil, à la suite de la malédiction qu’ils ont prononcée en crucifiant le Sauveur. Voici ce qu’a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est mort entre les mains des Juifs, et il a racheté la multitude des Gentils. Les uns ont répandu son sang, les autres en ont profité, il a été versé pour l’utilité de tous ceux qui se sont convertis; en effet, ceux-

 

1. Rom, IX, 21. — 2. Id. 21 3. Ps. CXVII, 22. — Rom. III, 12.

 

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même qui l’ont fait mourir ont reconnu sa grandeur, et ainsi ont-ils obtenu le pardon de leur coupable déicide.

8. Que leur adviendra-t-il donc? Ce que le Psalmiste a déjà dit plus haut: « Ils se convertiront sur le soir ». Ils se convertiront quoique un peu tard, c’est-à-dire après avoir mis à mort Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Ils se convertiront un peu tard, et ils souffriront de la faim comme les chiens » . « Comme les chiens », et non pas comme les brebis et les veaux : « comme les chiens », c’est-à-dire les Gentils et les pécheurs : parce qu’après s’être considérés comme des justes, ils ont reconnu leur péché. Il avait été dit d’eux en un autre psaume: « Ensuite ils se sont hâtés ». C’est dans le même sens qu’il est dit ici : « Sur le soir ». Au psaume précité, nous lisons : « Leurs infirmités se sont multipliées; ensuite ils se sont hâtés 2 ». Pourquoi se sont-ils hâtés ensuite? Parce que « leurs infirmités s’étaient multipliées ». Car jamais ils n’auraient hâté leur course, s’ils avaient continué à se regarder comme des hommes sains; le sens de ces paroles : « Leurs infirmités se sont multipliées », est donc sous une autre forme le même que celui de ces autres paroles : « Qu’ils soient pris dans leur orgueil; à cause de la malédiction et du mensonge, on annoncera la consommation dans la colère de la consommation ». De même les mots : « Ils se sont hâtés ensuite », ont la même signification que ceux-ci : « Ils ne seront plus » dans leur orgueil. « Et ils sauront que le Seigneur dominera Jacob et les extrémités de la terre, et ils se convertiront sur le soir ». Il est donc utile, pour le pécheur, de s’humilier, et la guérison la plus difficile à opérer est celle de l’homme qui se croit en bon état de santé. « Et ils environneront la ville ». Hier déjà, il m’a été donné de vous expliquer cette parole, et de vous faire voir dans cette ville d’environnement toutes les nations.

9. « Ils seront dispersés afin de manger 3 », c’est-à-dire, afin d’en gagner d’autres, de les amener à la foi et de les faire entrer dans leur corps. « Et s’ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront ». Le Prophète nous a déjà fait connaître la manière dont ils murmureront. « Qui est-ce qui nous a écoutés? Et vous,  Seigneur, vous vous moquerez d’eux », et

 

1. Ps. LVIII, 15. — 2. Id. XV, 4. — 3. LVIII, 16.

 

vous rirez de ce qu’ils diront : « Qui est-ce qui nous a écoutés? » Pourquoi? « Parce que vous considérez comme rien de sauver toutes les nations ».Voilà ce que veut dire: « Et s’ils ne sont pas rassasiés, ils murmureront ».

10. Achevons d’expliquer le psaume. Voyez les transports d’allégresse de l’angle, et la joie qu’il éprouve à joindre ensemble les deux murs 1. Les Juifs s’enorgueillissaient, ils ont été humiliés; les Gentils désespéraient d’eux-mêmes, ils ont appris à espérer. Qu’ils viennent les uns et les autres se réunir dans l’angle; qu’ils viennent en hâte s’y rejoindre et s’y donner le baiser de paix. Qu’ils y viennent de côtés opposés, mais pas pour s’y combattre; qu’ils y viennent, ceux-ci du milieu d’un peuple de circoncis, ceux-là du milieu des peuples incirconcis. Les murs se trouvaient bien éloignés l’un de l’autre, mais c’était avant de se rapprocher de l’angle maintenant qu’ils se sont rejoints, puissent-ils demeurer fermement unis! et alors, l’Eglise tout entière, formée de ces deux murs, s’écriera : « Pour moi, je relèverai votre puissance par mes cantiques; et, le matin, je  louerai votre miséricorde». Le matin, quand toutes les tentations seront passées; le matin, lorsque sera venue à son terme la nuit de ce siècle; le matin, quand nous n’aurons plus à craindre ni les embûches des voleurs, ni les embûches du démon et de ses anges; le matin, quand nous contemplerons, non plus la lumière des Prophètes, destinée à nous éclairer pendant le pèlerinage de cette vie, mais les rayons du soleil, c’est-à-dire le Verbe de Dieu lui-même. « Et le matin, je louerai votre miséricorde ». C’est avec raison que le Prophète a dit ailleurs: « Le matin, je me tiendrai debout devant vous, et je verrai 2 ». C’est aussi un grand mystère que la résurrection du Sauveur ait eu lieu au point du jour, car ainsi s’est trouvée accomplie cette prophétie prononcée ailleurs par le Psalmiste : « On sera dans les larmes le soir, et le matin dans la  joie ». A la chute du jour, les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ pleuraient sa mort; au lever du soleil, sa résurrection les remplit de joie. « Le matin, je louerai leur miséricorde ».

11. « Parce que vous êtes devenu mon protecteur et mon refuge au jour de mon

 

1. Eph. II. — 2. Ps. V, 5.

 

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affliction. O mon appui, je vous chanterai des « hymnes, parce que, ô mon Dieu, vous êtes mon protecteur ». Que serais-je, si vous n’étiez venu à mon secours? Combien mes maux seraient désespérés, si vous n’étiez venu vous-même me guérir ! En quel abîme serais-je plongé, si vous ne m’aviez tendu la main. Une plaie profonde mettait ma vie en danger; il me fallait un médecin tout-puissant pour la guérir, mais rien n’est impossible pour le médecin : ses soins sont acquis à tous les malades; il faut que tu consentes à te laisser guérir par lui; il faut te remettre entre ses mains, tu ne saurais t’écarter de lui. Si tu refuses de te guérir, ta blessure elle-même te recommande de te soigner; tu lui tournes le dos, il te rappelle, et quand tu t’écartes de lui, il te force en quelque sorte à t’en rapprocher; ses instances sont de tous les moments, et pour tous il accomplit cette parole : « Sa miséricorde me préviendra ». Faites bien attention à ces mots: « Me préviendra ». Si tu lui as offert quelque chose qui t’appartient en propre, si tu as mérité sa grâce par tes bonnes oeuvres antécédentes, sa miséricorde ne t’a pas prévenu. Mais comprendras-tu jamais bien que le Seigneur t’a prévenu, si d’abord tu ne saisis pas bien le sens des paroles de l’Apôtre: « Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier, coin me si tu ne l’avais pas reçu ». En d’autres termes « Sa miséricorde me préviendra ». En présence de tous les dons qui peuvent faire notre partage ici-bas, soit par l’effet de notre nature, soit comme conséquence de l’éducation ou de la fréquentation de la société, la foi, l’espérance, la charité, les bonnes moeurs, la

 

1. I Cor. IV, 7.

 

justice, la crainte de Dieu, le Prophète arrive à cette conclusion, que tous ces dons ne peuvent nous venir que de Dieu, et il dit: «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde». Comblé des bienfaits du Seigneur, il ne sait quel nom lui donner, il ne sait que l’appeler sa miséricorde. Nom ineffable, qui ne permet plus à personne de tomber dans le désespoir. «Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ». Qu’est-ce à dire : « Vous êtes ma miséricorde? » Si tu dis : Vous êtes mon Sauveur, je comprends qu’il donne le salut. Si tu dis : Vous êtes mon refuge, je comprends que tu te jettes dans ses bras pour y trouver le calme. Si enfin tu t’écries : Vous êtes ma force, j’imagine qu’il te soutient. Mais : « Vous êtes ma miséricorde! » cette manière de s’exprimer signifie : Tout ce que je suis est un don de votre miséricorde. Mais l’ai-je méritée par mes prières? Pour devenir ce que je suis, qu’ai-je fait? Qu’ai-je fait pour exister et me trouver à même de vous prier? Si j’ai contribué en quelque chose à mon existence, j’existais donc avant d’exister ! Mais si je n’étais rien avant d’exister, je n’ai donc pu contribuer en rien à me donner l’être. Vous êtes l’auteur de ma vie, et vous ne sauriez être l’auteur de ce qu’il y a de bon en moi? C’est vous qui m’avez communiqué l’être, et un autre aurait pu me rendre bon? Si je tenais de vous la vie, et d’un autre la bonté, il s’ensuivrait qu’un autre serait meilleur que vous, car la bonté est préférable à l’existence. Mais comme personne n’est ni meilleur, ni plus puissant, ni plus miséricordieux que vous, vous m’avez donné et la vie et la vertu. « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ».

 

 

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