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DISCOURS SUR LE PSAUME LVPRÊCHÉ À CARTHAGE.CONFIANCE DURANT LÉPREUVE.Comme David, comme le Sauveur surtout, les justes sont ici-bas tourmentés par les pécheurs; malgré leurs souffrances, ils sont à labri de la crainte, ils sont confiants et tranquilles, parce quen réalité leurs ennemis ne peuvent leur faire de mal; parce que la tribulation nous perfectionne et nous rend pareils à Jésus-Christ; parce que les méchants se convertiront eux-mêmes plus tard, sous linfluence de la colère divine et de leur propre humilité; parce quenfin Dieu est un bon Père, qui récompensera les justes de leur affectueux dévouement pour lui. Assurés de leur délivrance comme sils en étaient déjà les témoins, ils sattachent au Seigneur dune manière plus parfaite, et lui offrent leur coeur comme une louange digne de lui.
1. Lorsque nous sommes sur le point dentrer dans une maison, nous portons nos regards sur le frontispice, afin dy lire le nom de celui qui lhabite et de celui à qui elle appartient; par là, nous évitons de pénétrer mal à propos où il ne faut pas, et de nous tenir par timidité en dehors dune maison où nous pourrions entrer. De même quau portail de cette habitation se trouve cette inscription : Cet immeuble appartient à tel ou tel propriétaire, ainsi lisons-nous en tête de ce psaume le titre suivant: « Pour la fin; pour le peu ple qui sest éloigné des saints; à David, pour linscription du titre, lorsque les étrangers le prirent dans Geth ». Voyons quel est ce peuple qui sest éloigné des saints, pour linscription du titre. Ce psaume a trait à David, et, vous le savez déjà, ce nom doit être entendu dans un sens spirituel, car il est, à vrai dire, question ici de celui-là seul dont lApôtre a dit: « Le Christ est la fin de la loi pour la justification de ceux qui croient 1». Aussi, quand tu lis: « Pour la fin », porte tes regards vers le Christ, dans la crainte de tarrêter en chemin et de ne point parvenir au but. Car nimporte où tu tarrêtes, si tu ne tes pas encore élevé jusquau Christ, la sainte Ecriture ne te dit rien autre chose que ceci : Marche! car, dans lendroit où tu es, la sécurité te se trouve pas encore. Il est un lieu où lon peut sétablir en toute sûreté; il est une pierre sur laquelle sélève une maison solide qui na rien à craindre ni de la pluie, ni de la tempête. Les fleuves ont rompu leurs digues, et leurs eaux furieuses sont venues la battre en brèche, et elle ne sest pas écroulée, parce quelle était bâtie sur la pierre 2 ; et cette
1.
pierre, cétait le Christ 1. Cest le Christ qui est désigné sous le nom de David, car il a été dit de lui : « Il est né, selon la chair, de la race de David 2 ». 2. Quel est donc ce peuple qui sest éloigné des saints, pour linscription du titre?Ce titre lui-même va nous le dire. Pendant la passion du Seigneur, au moment où il fut attaché à la croix, on écrivit une inscription, car il y en avait une là, et elle était écrite en hébreu, en grec et en latin : « Voici le roi des Juifs» ces trois langues étaient comme trois témoins appelés à confirmer lauthenticité de ce titre, parce que toute parole tire son autorité de la déposition de deux ou trois témoins 3. A la lecture de ce titre, les Juifs sindignèrent et dirent à Pilate : « Garde-toi décrire : Cest le Roi des Juifs; mais: Il sest dit le Roi des Juifs ». Ecris donc ses paroles, et nécris pas que ce quil a dit est vrai. Mais parce que ces paroles dun autre psaume sont vraies « Ne change rien à linscription du titre », Pilate répondit : « Ce que jai écrit est écrite. Comme sil avait voulu dire : Si vous aimez la fausseté, moi je naltère pas la vérité. Les Juifs regardèrent cette réponse comme un outrage; ils en devinrent furieux et sécrièrent: « Nous navons point dautre roi que César 5 » ; et parce quils se trouvaient offensés de la teneur de linscription, ils séloignèrent des saints. Que ceux qui reconnaissent et disent que Jésus-Christ est leur Roi, sapprochent des saints et sattachent fortement au Saint par excellence; mais que ceux qui ont protesté contre linscription placée au-dessus du Christ, qui ont refusé de reconnaître
1. I Cor. X, 4. 2.
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Dieu pour leur Roi et qui lui ont préféré un homme, que ceux-là soient rejetés loin des saints! Une nation qui met son bonheur à obéir à un homme, une nation qui repousse bien loin delle la royale autorité du Seigneur, une nation qui oublie que se soumettre à la royauté de Dieu, cest régner soi-même et exercer sur ses passions un empire souverain, cette nation sest constituée dans un état de complet éloignement à légard des saints. Par conséquent, mes frères, vous ne devez point regarder les Juifs comme seuls coupables dune pareille faute; ils en ont donné le premier exemple, et, en considérant leur conduite, chacun devrait y voir un écueil à éviter. Ils ont ouvertement renié Jésus-Christ comme Roi; ils ont choisi César. Sans doute César est un roi, mais un roi homme parmi dautres hommes, pour gouverner tes choses de la terre; or, il y a un autre Roi, qui exerce son empire sur les choses du ciel. La puissance de lun ne dépasse point les limites de cette vie passagère; celle de lautre embrasse léternité. Celui-ci appartient au ciel, celui-là à la ferre; le roi de ce monde est soumis au Roi du ciel; le Roi du ciel est supérieur à tout. En demandant César pour roi, les Juifs nont donc point péché; leur crime a consisté à ne point accepter la royauté du Christ. Il y en a beaucoup maintenant pour ne pas reconnaître la puissance souveraine du Christ, qui règne dans les cieux et gouverne toutes choses. Voilà ceux qui nous fout souffrir, et nous trouvons dans ce psaume de quoi nous affermir contre eux. Il faut nécessairement que nous ayons à souffrir de leur part jusquà la fin; il nen serait pas de même si Dieu ne le jugeait utile pour nous. Toute tentation est, en effet, une épreuve, et toute épreuve porte ses fruits; car, dordinaire, lhomme signore lui-même; il ne sait ni ce dont il est capable, ni ce dont il est incapable; tantôt il présume à tort de lui-même, et parfois il doute de ses forces quand il na pas lieu de sen défier; une tentation se présente: cest pour lui un moyen de sinterroger sur sa valeur réelle et de se connaître tel quil est. Dieu le connaissait, mais il ne se connaissait pas lui-même. Par un sentiment de confiance présomptueuse, Pierre avait cru que ce quil navait pas encore se trouvait en lui; il sétait imaginé quil était assez fort pour persévérer jusquà la mort dans la fidélité à Notre-Seigneur Jésus-Christ; Pierre ignorait combien il était faible, mais Dieu le savait. On lui répondit quil se trompait et quil était encore incapable dun pareil dévouement. Celui qui lui parlait de la sorte lavait créé et devait lui donner le courage nécessaire à un pareil sacrifice; le Sauveur savait quil navait pas encore communiqué cette grâce à Pierre ; Pierre ignorait quil ne lavait pas encore reçue; le moment de la tentation arrivé, il renia son Maître, puis il pleura, et enfin il reçut la force den haut 1. Nous navons rien de nous-mêmes; il nous faut donc demander, mais nous ne savons ce que nous devons demander; nous recevons la grâce de Dieu, mais nous ignorons la nécessité de lui témoigner notre reconnaissance; par conséquent les tentations et les peines sont toujours indispensables dans le cours de notre vie, pour nous instruire; mais nos tribulations ne peuvent avoir dautre cause que les hommes séparés des saints. Remarquez-le bien, mes frères, cette séparation nest pas physique et corporelle; elle est toute spirituelle et morale. Il arrive souvent, en effet, quun homme, très-éloigné de toi par la distance des lieux, se trouve néanmoins en parfaite union avec toi, parce quil aime ce que tu aimes. Il peut se faire aussi que ton voisin soit uni de coeur avec toi, parce que vos mutuelles affections se portent sur le même objet; mais par une raison tout opposée, il arrivera quun habitant de la même maison soit bien éloigné de toi, parce quil aime le monde et que tu aimes Dieu. 3. Mais quel est le sens de ces autres paroles, qui appartiennent encore au titre et le complètent : « Les Allophyles se sont saisis de David dans Geth ». Geth était une ville des Allophyles, cest-à-dire des étrangers, dun peuple éloigné des saints; dès lors quils sont étrangers, au lieu de se rapprocher des saints, ils sen éloignent; et tous ceux qui refusent de reconnaître le Christ pour leur Roi, deviennent des étrangers. Pourquoi cela? Parce que la vigne, autrefois plantée par la main du Seigneur, ne donna que des fruits amers et mérita ainsi dentendre le Seigneur lui adresser ce reproche : « Vigne étrangère, pourquoi tes fruits sont-ils devenus amers 2 ? » Dieu ne lui a pas dit : Tu es ma vigne, parce que, si elle eût été sa vigne, les fruits quelle donna eussent été remplis de douceur; et parce
1. Luc, XXII, 35-62, 2. Jérém. II, 21.
que ses fruits devinrent amers, elle cessa dêtre la vigne du Seigneur; elle devint étrangère pour lui. « Les Allophyles se saisirent »donc « de la personne de David ». De fait, lEcriture nous raconte que David, fils de Jessé, roi dIsraël, se retira chez les Allophyles pour échapper aux poursuites de Saül 1; il entra dans leur ville et même dans le palais de leur roi; mais elle ne nous dit pas quils laient retenu prisonnier. Les Allophyles ont donc retenu et retiennent encore dans Geth notre véritable David, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est né de la race du roi dIsraël. Nous avons dit que Geth était une ville. Si nous cherchons à connaître le sens de ce nom, nous trouverons quil signifie pressoir. Jésus-Christ, notre Chef, le Sauveur de tout le corps, qui est né dune Vierge, qui a été attaché à la croix, et qui nous montre déjà, dans le mystère de sa chair ressuscitée, lespérance et le modèle de notre propre résurrection, Jésus-Christ se trouve encore ici-bas; il y est présent dans son corps, et ce corps cest lEglise. Le corps est intimement uni à son Chef, et le Chef, parlant au nom du corps, sécrie : « Saul, Saul , pourquoi me persécutes-tu 2? »Et le corps est dans son Chef, selon cette parole de lApôtre : « Il nous a ressuscités avec lui, et il nous a fait asseoir avec lui dans le ciel 3 ». Nous sommes assis avec lui dans le ciel, et il souffre avec nous sur la terre; cest en espérance que nous sommes avec lui dans le ciel, et cest par charité quil souffre avec nous sur la terre. En vertu de cette mutuelle union, qui semble ne faire de nous et de Jésus-Christ quun seul homme, lépoux et lépouse ne sont plus quune seule chair ; voilà pourquoi le Sauveur a dit: « Ils ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair 4 ». Comment donc le Christ est-il retenu prisonnier dans Geth ? Son corps, cest-à-dire son Eglise, est enfermé dans le pressoir ? Quest-ce à dire, dans le pressoir? pans les tribulations. Mais il y a un avantage ê être serré dans le pressoir. A la vigne, le raisin nest pas pressé; il y apparaît dans son entier, mais il nen sort rien. On le porte au pressoir, on ly foule, on ly écrase, ou semble lui faire tort; mais le tort apparent quon lui cause est loin dêtre inutile : sans cela le raisin demeurerait stérile.
1. I Rois, XXI, 10. 2. Act. IX, 4, 3. Eph. II, 6. 4. Matt. XIX, 6. 5. Eph. I, 22, 23.
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4.Les hommes qui se sont éloignés des saints les font souffrir. Que ceux-ci lisent donc attentivement ce psaume; quils sy reconnaissent; et, puisquils sont sujets aux tribulations dont il parle, quils répètent la prière du Prophète, Il nest pas nécessaire que celui qui nendure rien redise les paroles du Psalmiste; je ny astreins nullement les chrétiens placés en dehors des tourments de la vie; mais quils prennent garde de séloigner des saints en voulant sécarter de la souffrance. Chacun de nous doit penser à son ennemi; et, sil est chrétien, son ennemi cest le monde. Toutefois, en entendant lexplication de ce psaume, ne reportons point nos pensées sur nos inimitiés particulières, car nous devons le savoir, nous navons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les princes, les puissances et les esprits de malice, ou, en dautres termes, contre le démon et ses anges 1. La raison eu est facile à saisir: quand des hommes nous tourmentent, cest le démon qui leur en suggère la pensée, qui anime leur volonté et les tourne à sa guise comme des vases qui lui appartiennent. Ne loublions donc pas, nous avons deux ennemis; lun visible et lautre invisible; lhomme que nous voyons et le démon que nous-ne voyons pas. Aimons lhomme, mettons-nous en garde contre le démon; prions pour lhomme, prions contre le démon, et disons à Dieu : « Seigneur, prenez pitié de moi, parce que lhomme ma foulé aux pieds ». Si un homme te foule aux pieds et técrase, ne crains rien, pourvu que tu produises du vin, car tu nes devenu raisin que pour être ainsi écrasé. « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que lhomme ma foulé aux pieds. Lhomme», qui sest éloigné des saints, « ma fait la guerre et ma tourmenté pendant tout le jour ». Mais pourquoi ne pas entendre du démon ces dernières paroles? Serait-ce parce quon ne la jamais désigné sous le nom dhomme? LEvangile ferait-il erreur quand il dit : « Lhomme ennemi a fait cela 2? » Quoiquil ne soit pas homme, il peut donc, en une certaine manière, sappeler de ce nom. Ainsi parlait le Psalmiste, et il avait en vue, soit le démon, soit le peuple qui sétait éloigné des saints, soit chacun de ceux qui lavaient suivi, cest-à-dire les hommes dont le démon se sert pour tourmenter le peuple de Dieu, ce peuple
1. Eph. VI, 12. 2. Matt. XIII, 28,
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inviolablement attaché aux justes, au Saint des saints, au Roi dont la dign,ité suprême, consacrée par linscription de la croix, a suffi à remplir dindignation ses ennemis, à les repousser et à les séparer de lui; mais quelles que soient les personnes entrevues par le Prophète, il doit dire: « Prenez pitié de moi, Seigneur, car lhomme ma foulé aux pieds». Ce mauvais traitement ne doit en rien diminuer son énergie; toujours il doit garder le souvenir de celui quil invoque et dont lexemple soutient son courage. La première grappe de raisin serrée dans le pressoir fut le Christ; et quand les tortures de la passion eurent écrasé cette grappe, il en sortit ce qui rend « si précieuse et si belle cette coupe qui enivre 1 ». En considérant son chef, le corps donc doit dire : « Prenez pitié de moi, Seigneur, parce que lhomme ma foulé aux pieds; il ma fait la guerre et ma affligé pendant tout le jour ». « Pendant tout le jour » , toujours. Que personne ne se dise : Au temps de nos ancêtres on souffrait beaucoup; ce temps est passé, on ne souffre plus aujourdhui. Si tu penses que, de nos jours, il ny ait rien à endurer, tu nas pas encore commencé à vivre en chrétien; car où serait la vérité de ces paroles de lApôtre : « Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ souffriront persécution 2 ». Si donc tu ne souffres aucun mauvais traitement à cause du Christ, nest-il pas à craindre que tu naies pas encore commencé à vivre pieusement en lui? Lorsque tu auras embrassé une vie pieuse et chrétienne, alors tu seras entré dans le pressoir; prépare-toi à être écrasé. Puisses-tu alors ne pas être un raisin desséché ! Puisses-tu, sous la presse, donner abondance de vin! 5. « Pendant tout le jour mes ennemis mont foulé aux pieds 5 ». Mes ennemis sont ceux qui se sont séparés des justes. Nous avons expliqué ces mots. « Je craindrai la hauteur du jour». Que veut dire: « La hauteur du jour? » Cette expression est peut-être bien élevée pour notre intelligence; chose facile à comprendre, puisquil est question « de la hauteur du jour». Des hommes se sont éloignés des saints: ils ont peut-être agi de la sorte, parce quils nont pu parvenir jusquà «la hauteur du jour », dont les douze apôtres sont les heures brillantes; aussi se sont-ils égarés dans le jour, ceux qui ont attaché le Sauveur à la croix, ne
1. Ps. XXII, 5. 2. II Tim. III, 12. 3. Ps. LV, 3.
voyant en lui quun homme ordinaire. Mais pourquoi ont-ils été plongés dans les ténèbres et se sont-ils, en conséquence, éloignés des saints? Le jour luisait dans les hauteurs, et ils nont pas connu celui qui sy dérobait à leurs regards; sils avaient connu ce Roi de gloire; ils ne lauraient jamais crucifié 1. Eblouis par léclat de ce jour, ils se sont éloignés des saints, ils en sont devenus les ennemis, ils les tourmentent et les écrasent comme on écrase le raisin dans le pressoir. On peut encore donner un autre sens à ce passage: « La hauteur du jour a fait que mes ennemis mont foulé aux pieds pendant tout le jour », cest-à-dire toujours. « La hauteur du jours, » ou bien lorgueil fastueux des hommes. Quand ils foulent aux pieds les justes, ils sont plus élevés queux, et ceux qui sont foulés aux pieds sont au-dessous de ceux qui les écrasent. Toutefois, que la hauteur des hommes sous les pieds desquels tu te trouves ne te fasse pas trembler, car elle est éphémère; elle nest que dun jour, sa durée ne sera pas éternelle. 6. « Parce que le grand nombre de ceux qui me font la guerre, sera dans la crainte». Quand seront-ils saisis de crainte? Lorsque aura passé le jour de leur élévation, car ils ne sélèvent que pour un temps, et ensuite la crainte les saisira. « Pour moi, Seigneur, jespérerai en vous». Le Prophète ne dit point : Pour moi, je ne craindrai pas; mais: « Le grand nombre de ceux qui me font la guerre, sera dans la crainte ». Lorsque sera venu le jour du jugement, alors toutes les nations de la terre se lamenteront 2; et quand le signe du Fils de lhomme aura paru dans les cieux, la tranquillité des justes sera parfaite, car, en ce moment, ils verront se réaliser ce quils espéraient, ce quils désiraient, ce dont ils demandaient laccomplissement; pour les autres, le temps de la pénitence sera entièrement écoulé, parce que, au moment où ils auraient pu se repentir dune manière utile, leur coeur se sera endurci contre les avertissements de Dieu. Pourront-ils élever un mur pour se garantir contre ses jugements? Admire la piété de celui qui parle ici, et, si tu fais partie de son corps, imite-le. Après avoir dit: « Le grand nombre de ceux qui me font la guerre sera dans la crainte », il najoute pas : Pour moi, je ne craindrai point, car il redoute de laisser supposer que
1. I Cor, II, 8. 2. Matt. XX, 31.
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la cause de sa fermeté se trouve en lui-même et dans ses propres forces; il a peur de sélever dans le temps et de voir son orgueil passager le priver de tout droit au repos éternel; il veut donc faire bien comprendre doù lui vient sa fermeté. « Pour moi », dit-il, «jespérerai en vous, Seigneur». Il nexprime pas ici un sentiment de présomption, il indique le motif de son assurance. Si je néprouve aucune crainte, ce pourrait être un effet de lendurcissement de mon coeur, car il en est beaucoup chez qui un orgueil démesuré étouffe toute appréhension. Que votre charité veuille bien y réfléchir; autre chose est la santé du corps, autre chose son insensibilité, autre chose encore son immortalité. La santé parfaite est, en effet, limmortalité. On nomme encore ainsi, dans un certain sens, lexemption dinfirmités dont nous jouissons dans le cours de notre vie mortelle. Ne pas être malade sappelle avoir la santé; à simple vue, le médecin déclare quon en jouit; aussitôt que commence la maladie, la santé est altérée; elle est rétablie, dès que la guérison se manifeste. Il est donc facile de le remarquer et de vous en convaincre; le corps humain peut passer par ces trois états différents: la santé, linsensibilité et limmortalité 1. En santé, il est exempt de maladie; néanmoins, il souffrirait si lon venait à le froisser ou à le tourmenter. La douleur nexiste point pour celui qui en a perdu le sentiment; plus il devient étranger à la souffrance, plus dangereux est son état. Quant à limmortalité, elle ne connaît, non plus, aucune douleur; pour elle, la corruption est comme anéantie; le corps corruptible sest revêtu dincorruptibilité, le corps mortel sest revêtu dimmortalité . Nulle souffrance, ni dans un corps parvenu à limmortalité, ni dans un corps devenu insensible. Que lhomme insensible ne se croie point pour cela immortel; celui qui souffre est plus près de limmortalité que celui chez qui se trouve éteint le sentiment de la douleur. Tu rencontres un homme altier, orgueilleux et insolent, qui sest mis dans lesprit de ne rien craindre; le crois-tu plus fort que celui qui a dit: « Nous ne trouvons que combats au dehors, et au dedans que sujets de crainte 2? » Le crois-tu plus fort que notre Chef, que notre Seigneur Dieu, qui a dit
1. I Cor. XV, 53, 54. 2. II Cor. VII, 5.
7. « En Dieu je me louerai de mes paroles; jai placé mes espérances dans le Seigneur, je ne craindrai point ce que lhomme pourra me faire 3». Pourquoi? Parce que jespérerai en Dieu. Pourquoi? Parce quen Dieu je me louerai de mes paroles. Si cest en toi que tu loues tes paroles, je ne te dis pas dêtre exempt de crainte, car il est impossible quil en soit ainsi pour toi; si, en effet, tu prononces des paroles de mensonge, ces paroles tappartiendront en propre, par cela même quelles seront menteuses; si, au contraire, elles sont lexpression de la vérité, et que, pourtant, tu les attribues à ton mérite, au lieu dy voir un effet de la grâce divine, elles seront vraies en elles-mêmes, mais tu seras un menteur. Si, enfin, tu reconnais que tu ne peux rien dire
1. Matt. XXVI, 38. 2. II Cor. XI, 29. 3. Ps.
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de convenable dans la sagesse de Dieu et dans la foi de la vérité, à moins den avoir reçu le pouvoir de celui dont il est dit : « Quas-tu, que tu naies point reçu 1 ?» alors, tu loues tes paroles en Dieu, afin dêtre loué par la parole de Dieu. En honorant, comme venant de Dieu, les dons quil ta départis, tu honores Dieu lui-même, et le Seigneur, qui ta fait ce que tu es, thonorera aussi; mais, dès que tu honores, comme venant de toi et non pas de Dieu, ce quil ta donné, tu téloignes du Saint des saints, de la même manière que les Allophyles se sont éloignés des justes. Donc, « en Dieu je louerai mes paroles ». Si ce sont « mes paroles » que je loue, comment puis-je les louer « en Dieu?» Ce sont «mes paroles», et je les louerai « en Dieu ». Je les louerai « en Dieu », parce quelles me viennent de lui; ce sont mes paroles, parce quil ma fait la grâce de les prononcer. Tout en me les inspirant, il a voulu quelles devinssent les miennes, dès lors que jaimerais celui de qui elles viennent; il me les a inspirées; donc, elles mappartiennent. Sil nen était ainsi, comment pourrions-nous dire : « Donnez-nous aujourdhui notre pain quotidien 2? »Comment disons-nous que ce pain est nôtre, puisque nous prions quon nous le «donne? » Si tu demandes à Dieu ton pain, tes mains ne resteront pas vides, et tu ne feras point preuve dingratitude en disant que ce pain est le tien. Si tu ne disais pas: « Notre pain », cest que tu ne laurais pas encore reçu de la munificence divine; si, au contraire, tu dis quil est à toi en ce sens quil viendrait de toi, tu perds le don de Dieu, parce que tu te montres ingrat à légard de celui qui tavait comblé de ses bienfaits. « Je louerai » donc « mes paroles en Dieu », parce quil est le principe de tous les discours conformes à la vérité. « Je louerai mes paroles », parce que jétais altéré et que jai puisé à cette source pour y étancher ma soif. « En Dieu, je louerai mes paroles; jai placé mes espérances dans le Seigneur, et je ne craindrai point ce que lhomme pourra me faire ». Nes-tu pas lhomme qui disait tout à lheure : « Seigneur, prenez pitié de moi, parce que lhomme ma foulé aux pieds; durant tout le jour il ma fait la guerre et ma tourmenté? » Comment dis-tu maintenant : « Je ne craindrai pas ce que lhomme pourra me faire ? » Que te fera t-il?
1. I Cor. IV, 7. 2. Matt. VI, 11.
Tu as dit, il ny a quun instant : « Il ma foulé aux pieds, il ma accablé de tribulations ». Agir ainsi à ton égard, nest-ce rien? Le Prophète porte ses regards sur le vin qui coule du pressoir, et il répond : Oui, lhomme ma foulé aux pieds »; oui, « il ma accablé de tribulations », mais, en définitive, que peut-il me faire? Jétais une grappe de raisin; je deviendrai du vin. « Jai placé mes espérances en Dieu ; je ne craindrai point ce que lhomme pourra me faire ».
8. « Durant tout le jour ils avaient mes paroles en abomination 1 ». Il en est ainsi, vous ne lignorez pas. Dites la vérité, prêchez-la: Annoncez le Christ aux païens, montrez lEglise aux hérétiques, parlez à tous du salut; ils sinsurgent contre mes paroles; ils les prennent en abomination. En agissant de la sorte, à qui sattaquent-ils, sinon à celui en qui «je louerai mes discours? » « Tout le jour, ils avaient mes paroles en abomination ». Il devrait leur suffire de les détester, sans rien faire de plus que les décrier et les rejeter; mais non, ces paroles coulent de la plus pure source de la vérité ; quand ils les détestent et les rejettent, comment agissent-ils à légard de celui qui les a inspirées? Le voici : « Tous leurs desseins à mon égard ne tendaient quau mal ». Ils ont un suprême dégoût pour le pain; peuvent-ils aimer beaucoup le vase dans lequel on le leur présente? « Tous leurs desseins à mon égard ne tendaient quau mal ». Sils ont tenu cette conduite envers le Sauveur, le corps doit accepter ce que la tête a accepté elle-même, afin de ne point sen séparer. Ton Sauveur a été méprisé, et tu voudrais être honoré de ceux qui se sont éloignés des saints ! Il ne convient pas que tu cherches à obtenir ce qui ne lui a pas été donné. « Le disciple nest pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur 2 ». Sils ont donné le nom de Béelzébub au Père de famille, à bien plus forte raison devront-ils le donner à ses domestiques! « Tous leurs desseins à mon égard étaient tournés au mal ». 9. « Ils habiteront comme étrangers, et ils se cacheront 3 ». Habiter un pays comme étranger, cest voyager hors de son propre pays; ceux quon nomme habitants étrangers, demeurent dans un pays qui nest pas
1.Ps. LV, 6. 2. Matt. X, 21, 25. 3. Ps. LV, 7.
le leur. Tout homme est, ici-bas, un voyageur en pays étranger; vous nous y voyez, parce que nous sommes entièrement couverts de chair ; mais cette enveloppe charnelle vous empêche dapercevoir le fond de nos coeurs. Voilà pourquoi lApôtre a dit: « Ne jugez pas avant le temps, jusquà ce que vienne le Seigneur qui éclairera les ténèbres les plus secrètes, et qui fera voir à découvert les pensées du coeur; et, alors, chacun recevra de Dieu sa gloire et sa récompense 1 ». En attendant ce grand jour, pendant le cours de ce pèlerinage terrestre, chacun de nous porte son coeur en lui-même, et tous les coeurs sont un livre fermé pour tous les autres. Par conséquent, « ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront » ceux dont les desseins sont méchants à légard du juste quils persécutent. Ils voyagent en ce lieu dexil; ils y sont revêtus de chair; aussi cachent-ils leur fourberie dans le secret de leur coeur; ils y renferment toutes leurs pensées mauvaises. Pourquoi? Parce que cette vie est un voyage en pays étranger. Quils mettent tous leurs soins à déguiser leurs pensées; un jour viendra où ce quils cachent sera étalé aux regardé de tous, où ils ne pourront plus se cacher eux-mêmes. On peut encore donner un autre sens à ces paroles : « Ils se cacheront». Cette seconde explication plaira peut-être davantage. Les hommes qui se sont séparés des saints, sintroduisent parfois dans leurs rangs, revêtus du manteau de lhypocrisie, et le mal quils font au corps du Christ est dautant plus déplorable quon ne peut les éviter, comme sils lui étaient entièrement étrangers. Dans le récit de ses tribulations lApôtre place, au nombre de ses plus pénibles, celles qui lui sont venues des hypocrites: « Périls des eaux», dit-il; « périls des voleurs, périls du côté de ma nation, périls de la part des gentils, périls dans la ville, périls dans les déserts, périls sur mer», et il ajoute : «Périls de la part des faux frères 2». Ils sont surtout à craindre, ceux dont il est dit dans un autre psaume: « Ils entraient pour voir 3 ». Ils entrent pour soir, et personne ne peut leur dire : Nentre pas pour voir. Car sil entre, cest en qualité de frère, et non comme étranger : on ne sen défie pas. «Ils habiteront donc comme étrangers, et ils se cacheront». Puisquils entrent
1. I Cor. IV, 5. 2 II Cor. XI, 26. 3. Ps. XL, 7.
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dans lEglise, comme dans une grande maison, sans intention dy demeurer toujours, « ils y habiteront comme étrangers». Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que de tels pécheurs sont des esclaves, car, suivant loracle évangélique, « celui qui commet le péché est lesclave du péché » ; cest pourquoi il y est dit : « Le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison, mais le fils y «demeurera éternellement 1». Celui qui entre dans lEglise en qualité denfant, ny restera pas comme étranger, mais il y demeurera jusquà la fin 2. Mais celui qui y pénètre comme un esclave, comme un fourbe, comme un pécheur, qui nobéit que sous le regard du maître, qui cherche à dérober, à accuser, à blâmer, celui-là ny entre que comme étranger, il ny demeurera pas dune manière fixe et permanente. Mes frères, de pareilles gens ne doivent nous inspirer aucune crainte : « Jai placé en Dieu mon espérance : je ne craindrai pas ce que lhomme pourra me faire». Quils entrent dans notre maison, quils y séjournent, quils usent de dissimulation, quils cachent leurs pensées, peu importe : ils ne sont que chair. Pour toi, mets tes espérances dans le Seigneur, et la chair ne sera pas capable de te faire du mal. Mais lhomme maccable dafflictions, il me foule aux pieds. . Puisque tu es raisin, si tu es écrasé, tu donneras du vin : les peines que tu auras à endurer, porteront des fruits, car un autre verra ta patience et limitera. Pour apprendre à supporter ceux qui te font souffrir, nas-tu pas toi-même porté tes regards sur ton chef, sur cette première grappe de raisin, sur le Sauveur, en la compagnie de qui lhomme, cest-à-dire, le traître Judas est entré pour voir, a établi son séjour et sest caché? Pourquoi craindrais-tu les hypocrites, qui entrent dans lEglise, y demeurent et sy cachent? Tu nas aucun motif de le faire. Judas, le père de ces fourbes, a vécu dans la société du Sauveur, et Jésus le connaissait: Judas vivait avec lui comme fin étranger, et, quoiquil déguisât avec soin ses intentions perverses, les secrets de son coeur nétaient nullement un mystère pour son maître : il fut choisi, et puisque tu devais ignorer de quels hommes il faudrait téloigner, le Christ a voulu te faire trouver, dans sa propre conduite, un sujet de consolation. Il aurait pu ne pas choisir Judas, car il le con naissait:
1. Jean, VIII, 34, 35. Matt. X, 22 ; XXIV, 13.
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navait-il pas dit, en effet, à ses disciples: « Est-ce que je ne vous ai pas choisis tous les douze? Et pourtant, il y en a un parmi vous qui est un démon 1». De là pourrait-on inférer que le démon a été choisi? Et si Notre-Seigneur ne la pas choisi, comment les Apôtres se sont-ils trouvés au nombre de douze, au lieu de ne se trouver quau nombre de onze? Comme les autres, Judas a été choisi, mais dans un autre but. Les onze ont été choisis pour être éprouvés; Judas la été pour tenter. Tu devais ignorer de quels hommes méchants il faudrait téloigner, de quels fourbes et de quels hypocrites il te faudrait prendre garde; tu ne devais pas connaître ceux qui habiteraient avec toi comme étrangers, et te déguiseraient leurs pensées perverses : comment le Sauveur aurait-il pu te servir dexemple, sil ne tavait dit : Jai eu lun dentre eux en ma compagnie ; je tai donné davance un modèle en ma personne ; jai supporté, jai voulu souffrir à côté de moi un homme dont les déguisements métaient parfaitement connus, et, par là, te donner une consolation pour les circonstances où tu ne saurais distinguer tes ennemis? Un hypocrite ma fait souffrir: un hypocrite agira de même à ton égard; pour être plus fort, pour te tourmenter davantage, on taccusera, on timputera des crimes imaginaires; je suppose que ces calomnies prévalent contre toi : seras-tu seul victime de ces procédés coupables? Nen ai-je pas été moi-même la victime? Oui, les calomnies des méchants ont prévalu contre moi, et, toutefois, elles ne mont point ravi le ciel. Quoique le corps du Sauveur fût déjà enseveli, de faux témoins se présentèrent encore pour déposer contre lui : ce navait pas été assez, pour ses ennemis, de le calomnier devant les tribunaux; ils voulurent le flétrir encore jusque dans son tombeau. Ayant reçu de largent comme prix de leur mensonge, ils firent cette déposition: « Pendant que nous dormions, ses disciples sont venus et lont enlevé 2». Il fallait vraiment que ces Juifs fussent devenus aveugles, pour croire à un témoignage aussi incroyable, pour croire au témoignage de gens endormis. Ou bien, les témoins ne dormaient pas, et alors, on ne devait pas ajouter foi à leurs paroles, puisquelles étaient mensongères : ou bien, ils dormaient réellement; et, alors, comment
1. Jean, VI, 71. 2. Matt. XXVIII, 13.
ont-ils pu voir ce qui se passait? «Ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront». Ils auront beau demeurer et se cacher, que pourront-ils faire? « Pour moi, jai mis en Dieu mon espérance: je ne craindrai point ce que lhomme pourra me faire ». 10. « Ils observeront toutes mes démarches ». Les hommes, qui habitent comme étrangers et se cachent, ne le font que pour voir où la faiblesse humaine nous fera tomber : ils sont attentifs à chacun de nos pas, et, dès que nous venons à tomber, ils saisissent nos pieds, afin de nous faire périr : ou bien, ils mettent leur pied devant nous pour nous jeter à terre; ou bien encore, et surtout, ils sefforcent de trouver, en notre conduite, un prétexte à accusations. Quel est celui qui ne tombe jamais en faute? Y a-t-il rien de plus facile, surtout quand on parle? Car nest-il pas écrit: « Si quelquun ne pèche point par la langue, il est parfait 1?» Qui est-ce qui osera se dire ou se croire arrivé à la perfection? Il est donc indubitable quon pèche en parlant. Ceux qui demeurent parmi nous comme étrangers et qui sy cachent, examinent toutes nos paroles : ils singénient à nous tendre des piéges et à lancer contre nous dinextricables mensonges, au milieu desquels ils sembarrassent eux-mêmes, avant dy embarrasser les autres : par là, ils se prennent dabord eux-mêmes, et périssent les premiers dans les lacets où ils prétendaient prendre et faire périr les autres. Lhomme exposé à leurs artifices, rentre dans son propre coeur, et de là, il élève ses pensées vers Dieu, et il apprend à dire: « En Dieu, je louerai mes discours». Tout ce que jai dit de bon et de vrai, je lai dit pour Dieu, et sous son inspiration; et si, par hasard, jai dit ce que je ne devais pas dire, cest comme homme que je lai dit, mais comme homme soumis à Dieu, à ce Dieu qui soutient celui qui marche dans le chemin droit, qui rappelle par ses menaces celui qui ségare, qui pardonne à celui qui reconnaît ses fautes, qui lui fait rétracter ses paroles imprudentes, qui le relève de ses chutes. Car le juste tombera et se relèvera sept fois, mais les impies persévéreront dans le mal 2. Quaucun dentre nous ne craigne donc ces hommes hypocrites, acharnés à nous suivre, à scruter nos paroles, je dirais presque, à compter les syllabes qui séchappent de nos lèvres. Quaucun de nous ne redoute les violateurs
1. Jean, III, 2. 2. Prov. XXIV, 6.
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des divins commandements. Il singénie à trouver en toi quelque chose de répréhensible : se servir de toi pour croire en Jésus-Christ, cest le moindre de ses soucis. Examine avec soin les discours de celui que tu reprends; vois sils ne renferment pas des avis salutaires pour toi. Mais les discours dun homme qui pèche en parlant, peuvent-ils renfermer des conseils qui me soient utiles? Lavantage que tu pourrais en retirer, ce serait peut-être de te montrer moins censeur de paroles, et de recueillir plus soigneusement les bonnes recommandations. « Ils observeront toutes mes démarches». 11. « Comme mon âme la déjà endurée ». Je parle de ce que jai déjà enduré : je parle par expérience. «Comme mon âme la déjà enduré, ils habiteront comme étrangers et se cacheront». Que mon âme supporte donc, et ceux du dehors, qui aboient contre moi comme des chiens furieux, et ceux qui, au dedans, me dérobent leurs pensées. La tentation qui vient du dehors, ressemble à un torrent impétueux : puisse-t-elle te trouver fortement attaché à la pierre ! Quelle vienne nous frapper, mais puisse-t-elle aussi nous laisser debout! Ce sera la preuve que notre maison est bâtie sur la pierre 1. Si lennemi est au dedans, il y habitera comme étranger et sy cachera : puisse-t-il être auprès de nous, comme la paille est auprès du froment! On amènera les boeufs pour battre laire : la tentation servira de fléau; tu seras séparé de la paille, et celle-ci se trouvera brisée. 12. «Vous les sauverez pour rien 2 ». Le Prophète nous apprend à prier pour nos ennemis. « Ils habiteront comme des étrangers et se cacheront», parce quils sont des fourbes, des hypocrites, des trompeurs : prie pour eux et ne dis pas : Cet homme est si méchant, si corrompu ! Dieu le ramènera-t-il au bien? Ne désespère pas de lui : fais attention à celui que tu pries, et non à celui pour lequel tu pries. Tu vois la dangereuse maladie de lun : ne vois-tu pas, chez lautre, le pouvoir de guérir? « Ils habiteront comme des étrangers, et se cacheront, comme mon âme la déjà éprouvé. Supporte-les, prie pour eux, et tu verras laccomplissement de ces paroles : « Vous les sauverez pour rien ». Les sauver, ce nest rien pour vous , Seigneur, car il ne vous en aucun effort. Leur misérable état ne
1. Matt. VII, 25. 2. Ps. LV, 8.
laisse aux hommes aucun espoir, et dun mot, vous les guérissez; leur guérison sera pour nous un sujet détonnement, et, pourtant, elle ne vous coûtera rien. «Vous les sauverez pour rien». On peut expliquer ces paroles dune autre manière : Vous les sauverez sans aucun mérite de leur part. « Auparavant »,dit saint Paul, «jai été un blasphémateur, un persécuteur et un homme injuste 1 ». Les prêtres lui donnaient des lettres, afin que, partout où il rencontrerait des chrétiens, il pût les emmener et les jeter en prison 2. Et, pour mieux réussir dans sa coupable mission, il habitait dabord comme étranger, et se cachait. Certes, chez lui, il ny avait aucun mérite: on ne pouvait y trouver que des motifs de condamnation; il navait aucune bonne oeuvre à offrir à Dieu. Néanmoins il fut sauvé. « Vous les sauverez gratuitement ». Ils namèneront dans votre temple, ni boucs, ni béliers, ni taureaux ; ils ny apporteront ni offrandes, ni parfums ; ils ne répandront point sur votre autel la liqueur dune bonne conscience. Eu eux vous ne trouverez que rudesse, corruption et horreur; et, puisquils ne mériteront, sous aucun rapport, que vous les sauviez, « vous les sauverez pour rien »; cest-à-dire que vous leur donnerez gratuitement votre grâce. Quels mérites le larron pouvait-il offrir sur la Croix? Dun repaire de brigands il avait passé au pied dun tribunal; du tribunal, on lavait conduit à la potence; de la potence, il entra au paradis 3. Il éleva la voix, parce quil avait crus. Mais qui est-ce qui lui avait donné la foi, sinon le Sauveur crucifié à côté de lui? « Vous les sauverez pour rien ». 13. « Vous conduirez les peuples dans votre « colère». Vous vous irritez et vous les conduisez; vous les punissez et vous les sauvez: vous les épouvantez et vous les rétablissez dans la tranquille paix de la justice. Que veulent dire, en effet, ces paroles : «Vous les conduirez dans votre colère? » Vous semez des tribulations sous chacun de leurs pas, afin que, plongés dans la peine, les hommes aient recours à vous, au lieu de se laisser séduire par de folles joies et une sécurité trompeuse. Il semblerait que vous êtes irrité, et, de fait, vous agissez en père. Un enfant qui méprise les ordres paternels, attire sur lui la colère de lauteur de ses jours ou le soufflette,
1. Tim. I, 17 2. Act. IX, 2. 2. Luc, XXVI, 43 3. Ps. CXV, 10.
on le frappe, on lui tire les oreilles, on le traîne par les bras, on le conduit à lécole. « Vous conduirez les peuples dans votre colère». Combien sont entrés dans la maison de Dieu, combien ont contribué à la remplir, qui sy sont trouvés amenés par sa colère! Accablés de tribulations, ils se sont vus remplis de foi. La tribulation nous secoue, comme on secoue un vase pour en faire sortir les immondices quil contient, et alors la grâce vient remplir notre âme. « Vous conduirez les peuples dans votre colère». 14. « Seigneur, je vous ai fait connaître ma vie ». Vous mavez accordé le bienfait de la vie: voilà pourquoi je vous lai fait connaître. Est-ce que Dieu ignore quel don il ta fait? Pourquoi donc le lui annonces-tu ? Aurais-tu la prétention de lui apprendre quelque chose? Non, sans doute. Pourquoi donc le Prophète dit-il: « Je vous ai fait connaître ? » Serait-ce, Seigneur, parce que cette connaissance pourrait vous être utile? Quel avantage le Seigneur pourrait-il en tirer ? Dieu y gagne pour sa gloire. Quand lapôtre saint Paul disait: « Jai été dabord un blasphémateur, un pécheur, un homme injuste », comment faisait-il connaître sa vie? Il la faisait connaître en ajoutant: « Mais jai obtenu miséricorde 1 ». Il a annoncé sa vie, non pour lui-même, mais pour Dieu: car il la annoncée de manière à en amener dautres à la foi ; il la annoncée, non pour son propre avantage, mais pour lavantage de la cause de Dieu. En effet, il ajoute: « Car Jésus-Christ est mort et il est ressuscité, afin que celui qui vit ne vive plus pour lui-même, mais pour celui qui est mort en faveur de tous 2 ». Si tu vis, ce nest pas de toi-même que tu tiens ce bienfait, parce que cest Dieu qui te la accordé; fais-le donc connaître, non pour toi, mais pour lui; ne cherche point ton intérêt, ne vis pas pour toi : vis pour celui qui est mort en faveur de tous. LApôtre, parlant de certains réprouvés, ne dit-il pas : Ils cherchent tous leur avantage, et ils oublient les intérêts de Jésus-Christ ? Si, de la connaissance que tu donnes de ta vie, tu cherches à tirer ton utilité personnelle au lieu den tirer celle des autres, cest pour toi que tu la fais connaître, et non pour Dieu. Mais si tu lannonces de manière à exciter le prochain à la recevoir lui-même de la main qui te la donnée, tu lannonces pour la gloire de
1. I Tim. I, 13. II Cor. V, 25. 3. Phil. II, 21.
15. « Que mes ennemis retournent en arrière 1 ». Cest pour leur bien, et non pour leur malheur, que le Prophète exprime ce désir: la cause de leur persévérance dans le mal se trouve dans leur persistance à marcher toujours devant eux. Tu engages ton ennemi à bien vivre, à se corriger : il méprise tes conseils, il rejette bien loin tes avis : Voilà, dit-il, un grand personnage pour me donner des conseils! Voilà un grand docteur pour minstruire ! Il prétend lemporter sur toi, et, parce quil se regarde comme supérieur à toi, il ne se corrige pas. Il ne remarque pas que tes paroles ne sont pas de toi; il ne remarque pas que tu fais connaître ta vie, non pour toi-même, mais pour Dieu : il veut marcher le premier, et il ne se corrige pas: il serait avantageux pour lui de se retourner en arrière, et de marcher à la suite de celui quil voudrait précéder. Avant sa passion, le Sauveur entretenait ses disciples des douleurs quil devait alors endurer; Pierre, saisi dhorreur, sécria: « Non. Seigneur, il nen sera pas ainsi ». Il avait dit, peu de temps auparavant : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant », et il avait reconnu sa divinité ; et déjà il tremblait de le voir mourir, comme sil ne voyait plus en lui quun homme. Mais le Seigneur était venu en ce monde pour souffrir, et nous ne pouvions arriver au salut quà la condition dêtre rachetés au prix de son sang. Au moment où Pierre avait confessé hautement sa divinité, Jésus lavait félicité et lui avait dit: « Ce nest ni la chair ni le sang qui te lont révélé, mais cest mon Père, qui est dans le ciel. Cest pourquoi tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes
1. Ps. LV, 10.
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« de lenfer ne la vaincront pas, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ». Voyez quelle récompense il accorde à cette confession pleine de vérité, de dévouement et de foi: « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Dès que le Sauveur parla de sa passion à ses disciples, Pierre eut peur de le voir mourir; toutefois, sa mort était la condition essentielle de notre salut; il sécria donc: «Non, Seigneur, il nen sera pas ainsi ». Et Jésus, qui lui avait dit, quelques instants auparavant : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise », lui répondit alors: « Arrière, Satan, arrière: tu es pour moi un scandale ». Comment lhomme que lon avait appelé Pierre, et proclamé bienheureux, est-il devenu si vite digne de recevoir le surnom de Satan? « Parce que », ajouta le Sauveur, « tu nas point de goût pour les choses de Dieu: tu nen as que pour les choses de lhomme 1 ». Quelques instants plus tôt il goûtait les choses de Dieu, « car ni la chair ni le sang ne tont révélé cela, mais mon Père, qui est dans le ciel ». Quand il louait ses paroles en Dieu, on ne lappelait que du nom de Pierre: il mérita celui de Satan, dès quil parla de lui-même, sous linfluence de la faiblesse de lhomme et dune affection charnelle, parce quainsi il mettait obstacle à son salut personnel et à celui des autres. Il voulut avoir le pas sur le divin Maître, et donner au guide céleste des conseils inspirés par une sagesse tout humaine. « Non, Seigneur, il nen sera pas ainsi». Tu dis: « Non », et tu ajoutes: « Seigneur? » Sil est le Seigneur, nagit-il pas avec une souveraine puissance ? Sil est le maître, ne sait-il pas ce quil doit faire, ce quil doit enseigner? Néanmoins, tu prétends conduire ton guide, instruire ton maître, donner des ordres à ton Seigneur, dicter à Dieu tes volontés. Tu veux primer le Très-Haut! « Arrière ! » Un souhait plus utile à ses ennemis pouvait-il sortir de la bouche du Prophète: « Que mes ennemis retournent en s arrière ? » mais quils ne restent pas derrière. Quils retournent en arrière, afin de ne plus marcher les premiers, mais de manière à marcher toujours et à ne pas rester derrière. «Que mes ennemis retournent en arrière ». 16. « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ».
1. Matt. XVI, 16-23.
« Leurs fils ressemblent à des plantes nouvelles leurs filles sont ornées comme des temples leurs celliers sont remplis ; ils regorgent et se déversent lun dans lautre: leurs brebis sont fécondes et de produits abondants: leurs vaches sont grasses: la clôture de leurs héritages nest ni brisée ni ouverte à tout venant: on nentend aucun cri dans leurs places publiques ». Que lisons-nous ensuite? « Ils ont proclamé bienheureux le peuple qui possède de tels avantages ». Mais qui est-ce qui tient ce langage? des enfants étrangers, « dont la bouche publie la vanité». Et toi, que dis-tu? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur 1 ». Il nenvisage aucun des bienfaits
1. Ps. CXLIII, 11-15.
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que dispense aux hommes la main du Seigneur : il na en vue que le Dieu qui se donne lui-même. Mes frères, tous les biens énumérés par les enfants étrangers, Dieu les donne : il les accorde même aux étrangers, même aux méchants, même aux blasphémateurs, car il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants : il fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs : il les accorde parfois aux bons ; parfois aussi il les leur refuse, comme il les donne et les refuse aux méchants; mais, tandis quil réserve à ceux-ci un feu éternel, il se réserve à lui-même pour ceux-là. Il y a donc un mal exclusivement réservé aux pécheurs, comme il y a un bien spécialement destiné aux justes; et, enfin, comme intermédiaire entre ce bien et ce mal, il y a des biens et des maux répartis indistinctement entre les uns et les autres. 17. Aimons donc Dieu, mes frères; aimons-le dun amour chaste et pur. Notre affection nest pas pure, si nous aimons Dieu pour la récompense que nous en attendons. Hé quoi! si nous servons Dieu, nen recevons-nous pas une récompense? Oui, et cette récompense sera le Dieu lui-même que nous servons : il sera notre récompense, car nous le verrons tel quil est 2. Vois en , quoi consiste cette récompense qui test réservée. Quest-ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit à ceux qui laiment? « Celui qui maime, garde mes commandements: celui qui maime, sera aimé de mon Père, etje laimerai». Que lui donnerez-vous donc ? « Je me montrerai à lui 3 » Si tu naimes pas Dieu, cette récompense te paraîtra de mince valeur : aime-le, quil soit lobjet de tes désirs les plus ardents, sers-le gratuitement comme tu as été racheté par lui, car, sous aucun rapport, tu navais mérité quil mourût pour toi: considère toutes les grâces dont il ta comblé; brûle du désir de le posséder, et alors, tu ne lui demanderas rien autre chose que lui-même : il te suffira, Si avare que tu puisses être, Dieu te suffit. Ton désir de posséder va peut-être jusquà vouloir devenir le maître de toute la terre, peut-être même du ciel. Celui qui a créé lun et lautre est plus grand que tous les deux. Mes frères, oserai-je le dire ? Que les mariages dici-bas vous apprennent en quoi consiste un amour chaste et pur : ces mariages se ressentent nécessairement de linfirmité
1. Matt. V, 45. 12. 2. I Jean, III, 2. 3. Jean, XIV, 23.
humaine. Celui-là naime pas son épouse, qui sunit à elle pour sa dot; et celle-là naime pas son époux, qui laime uniquement à cause des quelques présents ou des grands biens quelle en a reçus. On a vu souvent un mari, dabord fortuné, devenir ensuite très-pauvre: une multitude dhommes se sont vus proscrits. A partir de ce jour de chastes épouses les ont chéris davantage. Le malheur des maris a souvent servi dépreuve pour reconnaître la pureté des unions conjugales : afin de montrer quelles naimaient personne autre, des femmes, loin dabandonner leurs maris, se sont alors plus fortement attachées à eux. Si donc une femme aime son mari, qui nest pourtant quun homme, dune manière si désintéressée et si pure; si un homme saffectionne si gratuitement, et dune amitié si chaste, une femme qui nest que chair, comment devons-nous aimer Dieu, ce véritable et sincère Epoux des âmes, qui leur communique le pouvoir dengendrer pour la vie éternelle, et qui ne permet pas aux nôtres de demeurer stériles ? Aimons-le donc si vivement, que nous nen aimions pas dautre, et alors se réalisera en nous cette parole que nous avons récitée et chantée, et qui, à vrai dire, se trouve être la nôtre : « Quel que soit le jour où je vous invoque, je sais que vous êtes mon Dieu ». Invoquer Dieu, cest linvoquer tout seul : aussi, comment certains autres hommes ont-ils agi, daprès lEcriture? « Ils nont pas invoqué Dieu ». Pourtant ils croyaient linvoquer, puisquils le priaient de leur accorder des héritages, daugmenter leur fortune, de prolonger leur vie, de veiller sur tous leurs autres intérêts temporels. En quels termes lEcriture parle-t-elle de pareilles gens? « Ils nont pas invoqué Dieu; aussi la crainte les a-t-elle saisis là où il ny avait rien à craindre 1». Que veulent dire ces paroles: « Quand il ny avait rien à craindre? » Ils tremblaient de se voir dépouillés de leur argent, de remarquer, dans leur maison, une moins grande quantité de meubles, de vivre en ce monde moins longtemps quils ne le pensaient. « Mais la crainte les a saisis là où ils navaient rien à craindre ». Ne voyons-nous pas là lhistoire des Juifs? « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront et ruineront notre ville » . « Ils ont tremblé quand ils na« vaient rien à craindre. Je sais que vous êtes
1. Ps. XIII, 5.
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mon Dieu ». Richesses inappréciables du coeur ! ineffable lumière des yeux de lâme ! confiance et sécurité bien dignes dadmiration! « Je sais que vous êtes mon Dieu ». 18. «Je me louerai en Dieu de mes paroles; je louerai en Dieu mes discours. Jai mis en Dieu mon espérance; je ne craindrai point ce que lhomme pourra me faire 1». Nous avons déjà donné le sens de ces paroles. 19. « Mon Dieu, jai en moi les voeux que je vous offrirai, et les louanges que je chanterai en votre honneur 2 » Faites des voeux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les 3. Quels voeux lui ferez-vous? que lui rendrez-vous? immolerez-vous en son honneur des animaux comme ceux quon lui offrait jadis? Non, il ne faut rien lui offrir de pareil; tu as assez en toi-même à lui consacrer et à lui rendre. Tire du fond de ton coeur, comme dun coffre précieux, lencens de la louange; offre-lui le sacrifice de la foi dans le riche sanctuaire dune bonne conscience; embrase du feu de la charité tout ce que tu lui offriras. Oui, tu trouveras en toi-même les voeux que tu dois offrir à Dieu en sacrifice de louanges. « Mais, pourquoi le louer? quel bienfait ta-t-il accordé? « Parce que vous avez délivré mon âme de la mort ». Cest là la vie que le Prophète fait connaître à Dieu : « Seigneur, je vous ai fait connaître ma vie ». Quétais-je, en effet? Jétais mort, et la cause de ma mort se trouvait en moi-même. Et par votre grâce qui suis-je? Je suis vivant. « Cest pourquoi, Seigneur, jai en moi les voeux que je vous offrirai et les louanges que je chanterai en votre honneur ». Jaime mon Dieu, personne ne me lenlèvera; personne, non plus, ne sera capable de me ravir ce que je veux lui offrir, car mes présents sont renfermés dans mon coeur. Cétait donc à bien juste titre que le Psalmiste disait tout à lheure, dans le sentiment dune noble confiance : « Quest-ce que lhomme pourrait me faire? » Quil me persécute, quil me fasse librement souffrir, quil vienne à bout daccomplir tous les mauvais desseins quil forme contre moi, que pourra-t-il menlever? Sil me dépouille de mon or, de mon argent, de mes troupeaux, de mes esclaves, de mes servantes, de mes propriétés, de mes maisons, de tout ce que je possède, pourra-t-il aussi menlever les voeux qui sont en moi, les louanges que je veux
1. Ps. LV, 11. 2. Id. 12. 3.Id. LXXV, 12.
chanter en lhonneur de Dieu? Satan fut autorisé à tenter le saint homme Job, en un clin doeil il lui enleva tout; il le dépouilla de la fortune quil possédait, le priva de ses domaines et fit mourir tous ses héritiers. Toutes ces pertes, Job ne les subit point lune après lautre, mais toutes ensemble, tout dun coup, subitement; il apprit au même moment tous ses malheurs. Dépouillé de tout, il resta seul; toutefois il y avait encore dans son coeur des voeux pour Dieu; il sy trouvait des louanges à chanter en lhonneur du Très-Haut ; le coffre précieux de ce coeur juste demeura à labri des atteintes du démon; il était rempli doffrandes pour lEternel. Voici ce qui y était renfermé, voici ce quil en fit sortir; écoute bien : « Le Seigneur me lavait donné, le Seigneur me la ôté; rien ne sest fait sans la volonté de Dieu; que son saint nom soit béni ». O richesses intérieures, sur lesquelles le démon ne peut étendre la main ! Il offrait en sacrifice à Dieu ce que Dieu lui avait donné; le Seigneur lavait enrichi, et cétait avec ces richesses quil faisait au Seigneur loffrande la plus agréable. Dieu te demande des louanges; il veut que tu confesses son nom; lui offriras-tu quelques-uns des fruits de ton champ? Cest lui qui a fait tomber sur ce champ les pluies qui lont fécondé. Lui donneras-lu une partie de tes trésors? Cest encore lui qui ten a gratifié. Pourras-tu vraiment lui offrir une chose que tu naies pas reçue de sa munificence? Y a-t-il rien dont tu ne doives lui être reconnaissant ? Enfin, lui donneras-tu quelque chose qui vienne de ton coeur? Cest de lui que te sont venues la foi, lespérance et la charité; voilà loffrande par excellence, voilà le vrai sacrifice à lui faire. Lennemi est àmême de tenlever tout le reste malgré toi; ces dons intérieurs, il ne te les ravira pas, àmoins que tu ny consentes. Les biens extérieurs, on peut en être privé malgré soi; on voudrait posséder de lor et lon en perd; on voudrait avoir une maison et on en est dépouillé; mais, à moins de le mépriser, personne ne peut être dépouillé du don de la foi. 20. « Seigneur, jai en moi les voeux que je vous offrirai et les louanges que je chanterai en votre honneur, parce que vous avez délivré mon âme de la mort, et mes yeux de toute larme, et mes pieds de toute chute, afin que je vous plaise dans la lumière des
1. Job, 1, 12, 21. 2. I Cor. IV, 7.
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vivants 1». Il nest pas étonnant que ces paroles déplaisent aux enfants étrangers qui se sont éloignés des justes, puisque la lumière des vivants ne brille point à leurs yeux, et quainsi ils ne peuvent voir ce qui plaît à Dieu. La lumière des vivants, cest la lumière des immortels, cest le flambeau des saints. Celui qui nest point plongé dans les ténèbres plaît if Dieu dans la lumière des saints. On examine un homme et tout ce quil a, et néanmoins on ne le connaît pas; mais en lui il ny a pas de mystère pour Dieu; parfois le démon lui-même ne le connaît pas, et sil ne le tente pas, il se voit réduit à ignorer quel il est. Cest ce qui est arrivé pour le saint homme Job, dont je parlais tout à lheure. Dieu le connaissait parfaitement et rendait témoignage à sa vertu ; le démon ne le connaissait pas; aussi disait-il: « Est-ce gratuitement que Job sert « son Dieu ? » Voyez la manière dont il cherche à irriter Dieu; cest le sublime du genre; voyez ce quil lui reproche. Devant Dieu Job était un bon serviteur, un homme soumis en toutes choses et parfait en toutes ses oeuvres. Parce quil était riche et que labondance et la joie se trouvaient dans sa maison, le démon fit cette remarque que, si Job servait fidèlement le Seigneur, cétait sans doute à cause de tous les biens quil en avait reçus. « Est-ce gratuitement que Job sert son Dieu? » Chez lui, lamour gratuit pour Dieu était la vraie lumière, la lumière des vivants. Dieu, qui lisait dans le coeur de son serviteur, y voyait cet amour pur, et ce coeur éclairé de la lumière des vivants était pour lui un objet de complaisance; et le démon lignorait, parce quil était plongé dans les ténèbres. Le Seigneur donna donc au démoii le pouvoir de tenter Job, non pour acquérir par lintermédiaire de celui-ci une connaissance quil avait déjà, mais pour mettre sous nos yeux un modèle à imiter. Sil nen avait pas été ainsi, verrions-nous dans ce saint homme un exemple que nous devons et voulons suivre? La tentation eut lieu; Job perdit tout ce quil possédait: ses biens, ses serviteurs, ses enfants; tout, excepté Dieu, lui fut enlevé; il resta donc seul. Toutefois , Satan lui avait laissé sa femme; mais, de sa part, était-ce un acte de commisération? il se souvenait de celle qui lavait aidé à séduire Adam; sil laissa à Job son épouse, ce fut à titre de soutien pour lui-
1. Ps. LV,13.
même, et non à titre de consolation pour sa généreuse victime. Rempli de Dieu, possédant en son âme les voeux et les louanges quil voulait offrir à lEternel, Job fit voir quil servait le Seigneur gratuitement, dune manière désintéressée, et quaprès avoir tout perdu il était toujours le même, parce quil possédait encore Celui dont la munificence lavait enrichi. « Le Seigneur mavait tout donné, il me la ôté; rien ne sest fait sans la volonté du Seigneur: que son saint nom soit béni! » Couvert de plaies depuis les pieds jusquà la tête, mais lâme saine, éclairé de la lumière des vivants, de la lumière qui brillait dans son coeur, il répondit aux infernales suggestions de sa femme : « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens 1», cest-à-dire, comme une femme que néclaire point la lumière des vivants, car la lumière des vivants cest la sagesse, et les ténèbres des insensés cest la folie. « Tu as parlé comme une femme qui a perdu le sens ». Tu vois mon corps, mais tu naperçois pas le flambeau qui illumine mon coeur. Naurait-elle pas dû alors aimer son mari dun amour plus vif ? Elle laurait pu, mais ses yeux étaient incapables de contempler la beauté intérieure de cette âme délite; elle ignorait combien ce coeur était agréable à Dieu, en raison des voeux et des louanges dont il était rempli et quil voulait offrir au Tout-Puissant. Admirable impossibilité pour le démon, de ravir ce trésor si précieux! Merveilleuse conservation de ce bien intérieur que Job possédait et voulait posséder plus parfaitement encore en marchant de vertus en vertus ! Mes frères, puissent tous ces exemples nous porter à aimer Dieu gratuitement, à placer toujours en lui notre espérance, et à ne craindre ni les hommes ni les démons! Ni les uns ni les autres ne peuvent agir contre nous sans la permission de Dieu, et jamais Dieu ne permet que ce qui peut nous être utile. Supportons les méchants et soyons bons, car nous avons été méchants nous-mêmes, et ceux-là encore dont nous osons nous permettre de désespérer, Dieu les sauvera pour rien. Ne désespérons donc du salut de personne; prions pour tous ceux qui nous font souffrir, et ne nous éloignons jamais de Dieu. Quil soit notre richesse, notre espérance et notre salut; il est ici-bas notre consolateur, au ciel il sera notre
1. Job, II, 10.
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récompense; sur la terre et dans le ciel il nous donnera la vie dont il est la source, et dont il est écrit : « Je suis la voie, la vérité et la vie 1 ». Ainsi pourrons-nous lui plaire ici-bas dans la lumière de la foi; au ciel, en sa présence, dans la lumière de son visage, dans la lumière des vivants.
1. Jean, XIV, 6.
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