PSAUME LXII
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXII.

SERMON AU PEUPLE.

DÉVOUEMENT A DIEU.

 

 

Ce psaume est une prophétie, qui concerne le Messie personnifié dans ses membres. Figuré par David, le chrétien se trouve, en cette vie, comme dans un désert aride , où rien ne saurait satisfaire ses désirs ; aussi a-t-il soin de s’unir à Dieu par ses pensées, ses affections et ses espérances. Pour sa récompense, il reçoit les consolations divines en ce monde, et jouira, dans l’autre, de l’éternelle béatitude. Au souvenir de ses immortelles destinées, il redouble ses prières et ses bonnes œuvres pour obtenir les bénédictions célestes, la sagesse, la vigueur de l’âme, la possession de Dieu, et dans le sentiment de tranquillité que lui inspire sa confiance en Dieu, il oublie ses épreuves et délie ses ennemis.

 

 

1. Il en est peut-être parmi vous, qui ne connaissent pas encore suffisamment le Christ; car celui qui a répandu son sang pour tous les hommes, choisit ses serviteurs dans tous les rangs de la société; c’est pourquoi je veux aujourd’hui vous parler de manière à être agréable à ceux qui ont déjà la science de la religion, et à instruire ceux-là mêmes qui n’ont pas encore du Sauveur une connaissance parfaite. Les psaumes que nous chantons ont été composés et écrits sous l’inspiration de l’Esprit-Saint bien avant l’époque où Notre-Seigneur Jésus-Christ est né de la Vierge Marie. David, auteur de ces psaumes, régna sur la nation juive ; c’était, de tous les peuples de l’univers, le seul qui reconnût l’unité de Dieu, et l’adorât, dans cette conviction, comme le Créateur du ciel, de la terre, de la mer, et de tous les êtres visibles ou invisibles qu’ils renferment. Pour les autres nations, elles se prosternaient, non pas aux pieds du divin Auteur de l’univers, mais devant des créatures ou devant des idoles fabriquées de mains d’hommes ; ainsi, elles rendaient le culte suprême au soleil, à la lune, aux étoiles, à la mer, aux montagnes ou aux arbres. Ce sont autant de merveilles sorties des mains du Très-Haut, et dans la pensée de l’Eternel elles doivent nous porter à l’adorer lui-même; knais nous ne serons jamais en droit d’en faire l’objet de notre culte et de les adorer à sa place. David régna donc sur le peuple juif; et il fut la souche de cette famille au sein de laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ prit naissance par la Vierge Marie 1; car celle qui est devenue la Mère du Sauveur, descendait de la race royale de David 2. Ce saint roi composa nos psaumes, et, dans ses admirables cantiques, il annonça le Christ, qui ne devait venir que bien plus tard en ce monde ; les Prophètes ont aussi prédit ce qui le concernait, longtemps avant que la Vierge Marie lui donnât le jour selon la chair ; ils ont prédit ce qui devait arriver de notre temps, et tes événements dont nous lisons aujourd’hui le récit; nous en sommes les témoins oculaires; et l’accomplissement de leurs prédictions doit nous remplir de joie. Ces saints personnages ont annoncé d’avance ce qui fait le sujet de nos espérances les plus vives; ils ne pouvaient en contempler l’accomplissement que dans un esprit prophétique, puisqu’ils en étaient si éloignés; pour nous, nous en lisons l’histoire, nous en entendons le narré ; nous nous en entretenons, et, dans l’univers entier, nous trouvons la preuve évidente que toutes les paroles contenues dans l’Ecriture se sont littéralement vérifiées. Y en aurait-il parmi nous un seul pour ne pas se réjouir? Tant

 

1. Rom. 1,3. — 2. Luc, 11, 7.

 

 

de prédictions importantes se sont réalisées jusqu’à nos jours ! Ne doivent-elles pas nous donner l’espoir bien fondé que toutes les autres s’accompliront infailliblement? C’est un fait dont vous ne pouvez douter, mes frères, puisqu’il se passe sous vos yeux ; le monde entier, l’univers, toutes les nations, les peuples de tous les pays s’empressent de connaître Jésus-Christ, et embrassent la foi chrétienne; vous voyez comme partout s’évanouissent les superstitions païennes ; il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre n’êtes-vous pas, en effet, témoins de la vérité de ce que nous vous lisons ? Les événements, que vous êtes à même de constater, parce qu’ils ont lieu devant vous, ont été prédits de temps immémorial ; nous lisons les écrits où ils ont été consignés d’avance, et nous assistons, en même temps, à la réalisation de ces écrits. D’autres événements ne se sont pas encore produits, que les Prophètes ont néanmoins aussi annoncés ; ainsi, il est prédit qu’après être venu ici-bas pour subir le jugement des hommes , Notre-Seigneur Jésus-Christ y reviendra pour les juger à son tour; qu’après avoir paru sur la terre au sein des humiliations, il apparaîtra plus tard environné de gloire ; qu’après avoir donné aux hommes l’exemple de la patience, il reviendra un jour pour les juger selon leurs mérites, et rendre aux justes et aux pécheurs suivant leurs oeuvres. Ces événements, ce retour du Sauveur, du souverain Juge des vivants et des morts, qui font le sujet de notre espérance, nous devons les croire. Quand, en effet, nous voyons, de manière à ne pouvoir en douter, l’accomplissement d’un si grand nombre de prophéties, est-il pour nous bien difficile de croire à celles qui ne sont pas encore réalisées ? Ne serait-ce pas, en vérité, le comble de la démence, de refuser sa foi à quelques prédictions non encore vérifiées par l’événement, lorsque tant d’autres prononcées si bu gtern ps d’avance, se trouvent déjà justifiées par les faits?

2. Le psaume qui nous occupe en ce moment a donc trait à la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, considéré comme chef et corps de l’Eglise tout ensemble. Comme chef, il est le fils de Marie, qui a souffert, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, qui est assis à la droite du Père, et intercède pour nous auprès de lui. Il est notre chef, nous sommes ses membres ; car il est le chef de l’Eglise, qui est répandue par toute la terre; elle est son corps : à ce corps appartiennent non-seulement les fidèles aujourd’hui vivants, mais encore ceux qui ont existé avant nous, et ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation des siècles; la tête de ce corps, c’est le Christ qui est monté aux cieux 1.Nous ne pouvons donc ignorer quel est le chef de l’Eglise,quel en est le corps: Jésus-Christ est le chef; le corps, c’est nous. Aussi, quand nous entendons parler le Sauveur, nous devons reconnaître dans ses paroles, celles du chef et celles de ses membres ; car tout ce qu’il a souffert, nous le souffrons en lui et avec lui, et tout ce que nous souffrons, il le souffre cri nous et avec nous. Dans le corps humain, la tête souffre-t-elle sans que la main partage ses douleurs ? La main, à son tour, peut-elle endurer quelque douleur, sans que la tête en ressente aussi les atteintes? Le mal qui torture le pied, ne torture-t-il pas en même temps la tête? Aussi, qu’un de nos membres vienne à souffrir, tous nos autres membres se hâtent pour ainsi dire, de compatir à ses douleurs, et par là même de contribuer à les alléger d’où je conclus avec raison, que si nous avons souffert en sa personne quand il souffrait, il souffre aussi en nous lorsque nous souffrons; quoique monté au ciel, et assis à la droite de son Père, il partage les tribulations, les épreuves, les extrémités et les tourments où son Eglise se trouve exposée, où elle doit se purifier, comme l’or se purifie dans le creuset. Que nous ayons souffert en sa personne , j’en trouve la preuve dans les épîtres de saint Paul : « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ à ce bas monde, pourquoi le laissez-vous vous imposer des lois, comme si vous étiez encore vivants 2?». «Notre vieil homme» , dit-il ailleurs, « a été crucifié avec lui, afin que la chair du péché fût détruite en nous. 3» Si donc nous sommes morts avec le Christ,

nous sommes aussi ressuscités avec lui. « C’est pourquoi », ajoute le même Apôtre, « si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est au ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez d’affection que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre 4 ». Nous sommes donc morts et ressuscités avec le Christ; j’ajoute qu’il meurt lui-même et ressuscite avec nous ; car ne l’oublions pas, il est tout à

 

1. Coloss. I, 18.— 2. Coloss. II 20.— 3. Rom. VI, 6.— 4. Coloss.III, 1.

 

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la fois le chef et le corps de son Eglise; par conséquent, ses paroles sont les nôtres comme nos paroles sont les siennes. Ecoutons donc les différents versets de ce psaume, et reconnaissons-y les paroles du Christ lui-même.

3. Voici quel en est le titre : « Pour David, quand il était dans le désert d’Idumée 1 ». Par le mot d’Idumée, on entend ce monde; car les habitants de ces contrées étaient un peuple nomade, et adoraient les idoles : on n’entend donc pas ce mot dans un bon sens; et, puisqu’il en est ainsi, il signifie la vie présente, où nous sommes éprouvés par tant de peines et de si vives douleurs. Le inonde est à vrai dire un désert, où l’on éprouve une soif ardente ; aussi allez-vous entendre les cris plaintifs d’un homme torturé par la soif au sein d’un désert. Si, à son exemple, nous endurons le même tourment, comme lui aussi nous aurons, plus tard, le bonheur de voir notre soif étanchée. Quiconque, en effet, ressentira les ardeurs de la soif, sera désaltéré dans le séjour éternel; car, dit le Seigneur, « bienheureux ceux qui ont faim et soif de la «justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 ». En ce monde nous ne devons point chercher ànous rassasier: il nous faut avoir soif: nous ne serons rassasiés qu’au ciel; aujourd’hui, pour que nous ne tombions pas cmi défaillance dans le désert de cette vie, le Seigneur répand en nos coeurs la divine rosée de sa parole, et nous empêche d’être entièrement consumés par l’ardeur de notre soif; par là, nous conservons le goût et le désir de ce qui peut l’étancher : nous sommes altérés et nous pouvons nous rafraîchir au moyen de la grâce que Dieu nous accorde. Néanmoins, nous éprouvons le tourment de la soif: dans cette situation pénible, notre âme s’adresse à Dieu; que lui dit-elle? :

4. « O Dieu, ô mon Dieu, mon coeur veille « et s’élève vers vous dès le point du jour 3». Qu’est-ce que veiller? C’est ne pas dormir. Qu’est-ce que dormir? Il y a un sommeil de l’âme, et il y a un sommeil du corps. C’est pour nous tous une indispensable nécessité de dormir corporellement : privé de ce repos bienfaisant, l’homme se fatigue, le corps perd ses forces, car il est trop faible pour supporter longtemps l’action d’un esprit vif et appliqué à des choses sérieuses laissez à votre âme

 

1. Ps. LXII, 1. — 2. Matth. V, 6.— 3. Ps. LXII, 2

 

toute sa liberté; qu’elle s’occupe continuellement: vous verrez bientôt que votre corps est incapable de soutenir une pareille épreuve, parce qu’il participe à la faiblesse de la matière ; il succombera infailliblement sous le poids du travail ; il. périra. Aussi, Dieu a-t-il accordé à notre enveloppe mortelle le sommeil qui doit réparer ses forces, et lui permettre de supporter la fatigante activité de notre âme. Mais prenons garde de laisser notre âme s’endormir aussi, car le sommeil de l’âme est chose mauvaise. Celui du corps est bon , puisqu’il contribue à en réparer les forces, à entretenir sa vigueur : quant au sommeil de l’âme, il consiste à oublier Dieu, et toute âme qui perd le souvenir du Créateur, s’y trouve plongée. C’était à des personnes de ce caractère que l’Apôtre parlait en quelque endroit de ses épîtres : elles avaient oublié leur Dieu, et, dans leur sommeil, elles songeaient à adorer les idoles. Les adorateurs des faux dieux ne ressemblent-ils pas, en effet, à des gens qui rêvent de choses vaines ? Que leur âme se réveille, aussitôt elle reconnaît son Créateur, elle n’adore plus les divinités qu’elle a elle-même fabriquées. L’Apôtre, parlant à ces sortes de personnes, s’exprime donc ainsi : « Lève-toi, toi qui dors; sors d’entre les morts, et Jésus-Christ t’éclairera 1». Par ces paroles, saint Paul voulait-il éveiller un homme endormi du sommeil du corps? Non; son intention était de faire sortir du sommeil de l’âme des chrétiens qu’il désirait voir éclairés de la lumière du Christ. Le Prophète n’était point plongé dans cet assoupissement spirituel, quand il disait

« O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève vers vous dès le point du jour». Ton coeur ne serait pas éveillé si le point du jour n’était venu dissiper le sommeil de ton âme. Le Christ éclaire les âmes, et les empêche ainsi de rester endormies elles s’assoupissent, dès que les rayons de sa lumière ne parviennent plus jusqu’à elles. C’est pourquoi le Psalmiste lui dit ailleurs : « Eclairez mes yeux, Seigneur, afin que je ne m’endorme point d’un sommeil de mort 2 ». Car si les âmes se détournent elles-mêmes de la lumière divine, celle-ci les environne de son éclat mais elles ne l’aperçoivent point parce qu’elles dorment. Il en est de ces âmes comme d’une personne qui s’endort au milieu du jour; le

 

1. Eph. V,14.— 2. Ps. XII,4.

 

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soleil est levé, il brille de tous ses feux, et, pourtant, la personne dont nous parlons se trouve comme plongée dans les ténèbres, parce qu’étant assoupie, elle ne remarque en aucune manière la splendeur du jour qui l’environne. Ainsi, le Sauveur est à côté de certains chrétiens : la vérité leur est annoncée, mais leur âme est encore ensevelie dans le sommeil. Si vous êtes vous-mêmes éveillés, vous leur direz donc sans cesse : « Toi, qui dors, lève-toi et sors d’entre les morts, et le Christ t’éclairera ». Par toute votre vie, par votre conduite, vous devez prouver aux autres que vous veillez dans le Christ ; les païens, qui dorment, s’en apercevront : ils se réveilleront au bruit de vos veilles , ils sortiront de leur assoupissement , et commenceront à dire avec vous en Jésus-Christ « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève a vers vous dès le point du jour».

5. «Mon âme a soif de vous ». Voilà ce que produit le séjour du désert d’Idumée. Voyez de quelle soif le Prophète est tourmenté voyez ce qu’il y a de bien dans cette soif. « Mon âme a soif de vous ». Il en est qui ont soif, mais ce n’est pas de Dieu qu’ils sont altérés. Quiconque souhaite vivement posséder un objet, est brûlé par l’ardeur de ses désirs, qui sont, à vrai dire, la soif de son âme. Et remarquez, je vous prie, combien de désirs se partagent le coeur humain. L’un voudrait de l’or, l’autre de l’argent, celui-ci des propriétés, celui-là des héritages ou des richesses considérables, ou de nombreux troupeaux, ou bien encore, une maison spacieuse, des honneurs, une épouse, des enfants: vous le voyez, les désirs qui remplissent le coeur de l’homme, sont innombrables: il en est desséché et consumé; aussi, qu’il est petit le nombre de ceux qui savent dire à Dieu « Seigneur, mon âme a soif de vous! » à peine en trouverait-on pour tenir ce langage, car les hommes ont soif de ce monde, ils ne comprennent point qu’ils se trouvent au désert d’Idumée et que leur âme devrait y avoir soif de Dieu. « Mon âme a soit de vous » : tel doit être notre langage; oui, nous devons tous répéter ces paroles, parce qu’en Jésus-Christ nous ne devons faire qu’un coeur et qu’une âme : puisse notre âme être altérée de Dieu dans le désert d’Idumée !

6. «Seigneur», dit le Prophète, «mon âme a soif de vous: mon corps lui-même sèche du désir de vous voir». C’est trop peu que mon âme soit altérée : il faut que mon corps éprouve aussi le même tourment. Mais comment, en quel sens peut-il partager les tortures de mon coeur, puisque à un corps altéré il faut de l’eau pour se rafraîchir, et que le coeur ne peut étancher sa soif qu’à la source de la sagesse? C’est à cette fontaine sacrée que nos âmes seront désaltérées, selon cette autre parole du Psalmiste : « Ils seront enivrés des biens de votre maison, et vous les rassasierez du torrent de vos délices 1 ». Nous devons donc avoir soif de la sagesse etde la justice, et nous n’en serons pleinement rassasiés qu’à la fin de notre vie, au moment où Dieu nous mettra en possession des biens qu’il nous a promis. Le Seigneur nous a promis de nous élever au même rang que les anges 2: ils ne souffrent pas, comme nous, de la faim et de la soif, car ils se nourrissent d’un aliment immortel : la vérité, la lumière, la justice fait leur nourriture. C’est pourquoi, rien ne manque à leur bonheur : du sein de cette inénarrable félicité, du haut de cette Jérusalem céleste qu’ils habitent, et dont nous sommes encore exilés, ils portent sur nous leurs regards, ils nous plaignent de ce que nous sommes ainsi éloignés du séjour du bonheur: par l’ordre de Dieu, ils viennent ànotre aide pour nous faire parvenir plus sûrement un jour à cette éternelle patrie qui doit nous réunir les uns aux autres, et où nous puiserons dans le Seigneur, comme en une source féconde, la vérité et l’éternité qui doivent mettre le comble à nos désirs. « Mon corps lui-même», dit le Prophète, « sèche du désir de vous voir», parce que, Dieu l’a dit, notre chair ressuscitera d’entre les morts. A notre âme donc est promise la béatitude céleste; à notre corps, la résurrection. Oui, nous ressusciterons dans notre chair: le Seigneur nous en fait la promesse formelle. Ecoutez-le donc bien; apprenez-le, et ne l’oubliez pas : voilà le sujet de notre espérance: voilà pourquoi nous sommes chrétiens. Car nous n’avons pas embrassé la foi pour acquérir un bonheur terrestre, qui devient souvent l’apanage des voleurs et des scélérats : nous sommes chrétiens, et, comme tels, nous avons le droit et le devoir de prétendre à un bonheur bien différent : nous entrerons en possession de ce bonheur quand se seront entièrement

 

1. Ps. XXXV, 9. — 2. Luc, XX, 36.

 

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écoulés les temps réservés à l’existence de ce monde. La résurrection de la chair, voilà ce que nous attendons, voilà ce que Dieu nous promet; et elle se fera de manière qu’à la fin des siècles, le corps aujourd’hui habité par notre âme, reviendra à la vie. La grandeur de ce mystère ne doit point effrayer votre foi, car le Dieu qui nous a créé lorsque nous n’existions pas encore, trouvera-t-il une difficulté insurmontable à nous rétablir dans l’état où nous nous trouvons aujourd’hui? Vous n’avez donc aucun motif de douter de la réalité des promesses divines, par cela même que vous voyez les morts se corrompre, et tomber en cendres et en poussière. De ce qu’on brûle le corps d’un défunt, ou de ce que des chiens le dévorent, il ne suit nullement qu’il ne doive pas ressusciter : vous auriez tort de le croire, parce que ces cadavres ont beau être déchirés ou réduits en cendres, ils sont toujours relativement à Dieu dans leur entier : ils ne font, en effet, que retourner et retomber dans ces éléments du monde, du sein desquels le Seigneur les avait primitivement tirés pour en former notre corps nous ne pouvons plus les apercevoir; mais le Seigneur sait où il les reprendra pour nous les rendre, comme, avant de nous créer, il a su où les prendre pour nous les donner. Tel sera donc le caractère de cette résurrection, que notre corps d’aujourd’hui, qui est destiné à sortir plus tard vivant d’entre les morts, ne sera plus, comme maintenant, sujet à la corruption. Aujourd’hui, par une conséquence nécessaire de la fragilité de notre chair mortelle, il faut que nous mangions sous peine d’éprouver le tourment de la faim et de perdre nos forces : il faut que nous buvions, ou que nous ressentions les ardeurs de la soif, et la défaillance : il est indispensable pour nous de nous reposer, parce qu’autrement nous tomberions en langueur, et que le sommeil nous accablerait bientôt. D’autre part, si nous consacrons au sommeil trop de temps, nous nous affaiblissons: c’est pour nous une impérieuse nécessité de sortir de notre assoupissement. Quoique nous buvions et mangions uniquement pour réparer nos forces, si nos repas sont prolongés, au lieu de nous fortifier, ils nuisent à notre santé. Restons droits trop longtemps, nous nous fatiguons, il faut nous asseoir : que nous demeurions, au contraire, trop longtemps assis, la fatigue vient à la rescousse, et nous oblige à nous lever. Remarquez-le encore : notre corps ne demeure jamais dans le même état. De l’enfance nous passons avec une rapidité extrême à la jeunesse : tu crois encore rencontrer un enfant, que déjà tu ne le reconnais plus, il est déjà devenu grand : à cette première jeunesse succède aussi vite l’adolescence : la jeunesse a disparu, et tu n’en saurais plus trouver les traces : l’homme fait se forme à la suite de l’adolescence, que tu chercherais inutilement à retrouver. Enfin, l’âge mûr fait place à la vieillesse, sans laisser aucun vestige de son passage, et le vieillard meurt, et tu n’en vois plus rien. Nos différents âges n’ont donc pas de stabilité : nous ne nous arrêtons nulle part, et, partout, nous rencontrons fatigue, lassitude et corruption. L’objet de nos espérances, la glorieuse résurrection que le Seigneur nous promet, voilà ce qui nous soutient au milieu de nos innombrables défaillances; aussi éprouvons-nous une soif ardente pour ce bienheureux séjour, où nous serons revêtus d’incorruptibilité; aussi, notre corps soupire-t-il lui-même vivement après le jour où il verra Dieu. Plus il souffre au sein de cette Idumée, dans la solitude de ce désert, plus ses désirs s’enflamment; plus il se fatigue, plus il souhaite d’entrer dans la demeure de son éternel repos.

7. Mes frères, on peut encore dire, en un autre sens, que le corps même du véritable chrétien, du fidèle sincère, a soif de Dieu, dès ce monde. Si, en effet, il a besoin de pain, d’eau, de vin, d’argent, du secours d’une bête de somme, il les demande à Dieu, et il ne les demande, ni aux démons, ni, aux idoles, ni àje ne sais quelles puissances de ce monde. H en est qui, pendant le cours de leur vie, au moment où ils souffrent de la faim, abandonnent le vrai Dieu pour s’adresser à Mercure ou à Jupiter, ou à cette- fausse divinité à laquelle ils donnent le nom de Céleste ou à quelqu’autre démon semblable : dès lors que, dans leur détresse, ils ont recours à de pareils soutiens, il est évident que leur corps n’a point soif du Tout-Puissant. Pour ceux d’entre nous, qui soupirent après lui, ils doivent le faire, tout à la fois, par leur âme et par leur corps : par leur âme, car Dieu lui donne une nourriture qui lui est propre, c’est-à-dire, sa parole sainte : par leur corps, puisque le Seigneur lui procure les aliments (23) nécessaires: par l’une et par l’autre, parce qu’il les a créés tous les deux. Pour tes besoins matériels, tu sollicites le secours des démons : est-ce qu’après avoir tiré ton âme du néant, le Très-Haut leur alaissé le soin de créer ton corps? Ne l’oublie pas, ton âme et ton corps ont un auteur commun; c’est le maître de l’univers : ils sont tous deux sortis de ses mains; tous deux également en reçoivent leur nourriture: aussi faut-il qu’ils ressentent pour Dieu une soif égate, et que dans la multitude innombrable de leurs souffrances, ils soient pareillement et tout ensemble rassasiés.

8. Notre âme et notre corps soupirent donc ardemment, non après une créature quelconque, mais après vous, Seigneur, qui êtes notre Dieu ; or en quel lieu se trouvent-ils pour éprouver cette soif qui les dévore? Le voici : « C’est dans un pays désert, où l’on ne trouve ni chemin ni fontaine». Nous l’avons déjà dit : l’Idumée, ce désert dont il est parlé au titre de notre psaume, n’est autre que ce bas monde. C’est « un pays désert », où n’habite aucun homme; mais il y a plus: « on n’y trouve ni chemin ni fontaine ». Si seulement on rencontrait un chemin dans ce désert: si seulement l’homme qui s’y trouve engagé était à même d’y apercevoir une issue. Mais non : on n’y rencontre personne, la présence d’un de ses semblables n’y vient point réjouir et réconforter le malheureux voyageur : il ne sait pas même par où il pourra en sortir; il est donc condamné à y rester malgré lui. Si, du moins, en ce triste lieu d’exil où il se voit forcé de demeurer il pouvait trouver une source d’eau vive pour s’y rafraîchir. O l’affreux désert ! O l’horrible, l’effrayant , séjour! Pourtant, le Seigneur a pris pitié de notre infortune; il a tracé pour nous une voie dans le désert de notre vie, il nous a donné Notre-Seigneur Jésus-Christ 1. Pour nous consoler dans ce désolant pèlerinage, des prédicateurs de sa parole ont été envoyés par lui vers nous; il nous a donné de l’eau pour nous désaltérer dans cette aride solitude, car il a rempli ses Apôtres de l’Esprit-Saint qui est devenu en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle 2. Nous avons donc ici-bas tout ce que nous pouvons désirer : toutefois, ces secours précieux accordés à notre faiblesse, ce n’est point le désert qui nous les fournit. Aussi, le Psalmiste

 

1. Jean, XIV, 6. — 2. Jean, IV, 14.

 

nous a-t-il d’abord parlé des privations pénibles auxquelles nous condamne le désert. Si, après avoir reçu son charitable avertissement, tu viens à trouver pour ta consolation, ou des compagnons bienveillants, ou une route sûre, ou encore des sources abondantes, tu devras conclure que le désert est incapable de te procurer de pareils adoucissements à tes peines, et qu’il faut en rendre grâces à celui qui a bien voulu ne pas te délaisser dans la solitude.

9. « Ainsi, j’ai paru en votre présence dans « votre sanctuaire, afin de voir votre gloire et votre puissance ». D’abord, mon âme a ressenti les ardeurs de la soif dans la solitude du désert; mon corps a partagé ses tourments dans cette terre où l’on ne rencontre ni hommes, ni chemins, ni fontaines : « Aussi, j’ai paru en votre présence, dans votre sanctuaire, pour voir votre gloire et votre puissance ». Nul ne peut entrer en possession du véritable bien qui est Dieu, s’il n’a d’abord éprouvé les tortures de la soif au milieu du désert de la vie, au sein des peines de ce monde où il se trouve plongé. « J’ai paru », dit le Prophète, « en votre présence, dans votre sanctuaire ». On trouve dans votre sanctuaire les plus douces consolations. « J’ai paru en votre présence»; qu’est-ce à dire? Afin que vous me voyiez, et vous m’avez vu, afin que je pusse vous contempler à mon tour. « J’ai paru devant vous pour voir ». David ne dit pas : J’ai paru devaut vous, afin que vous voyiez; mais il dit : « J’ai paru en « votre présence pour voir moi-même votre « puissance et votre gloire ». C’est pourquoi l’Apôtre s’exprime ainsi : « Maintenant nous « connaissons Dieu, ou plutôt, il nous connaît 1 ». Vous avez d’abord apparu devant Dieu, afin que Dieu pût ensuite apparaître devant vous. « Pour contempler votre puissance et votre gloire ». Que dans ce désert, dans cette solitude, l’homme prétende en tirer et en recevoir son secours, jamais il ne sera admis à contempler la puissance et la gloire du Très-Haut. Il y demeurera condamné à mourir de soif, car il n’y rencontrera ni chemins, ni consolations, ni sources d’eaux vives qui le désaltèrent et l’empêchent de périr. Si, au contraire, il élève vers Dieu ses regards, et que, du fond de son coeur, il lui dise : « Mon âme a soif de vous, Seigneur,

 

1. Gal. IV, 9.

 

 et mon corps partage ses désirs »; si, au milieu de ses privations, il n’attend de personne autre que Dieu l’adoucissement de ses peines et les choses nécessaires à la vie; si, enfin, il souhaite vivement le jour où,suivant la promesse divine, son corps sortira vivant du tombeau, il trouvera les plus abondantes consolations dans le souvenir qu’il aura gardé du Tout-Puissant.

10. Mes frères, avant le jour de sa bienheureuse résurrection, pendant le cours de sa vie mortelle et de sa fragile existence, notre corps trouve des adoucissements à ses maux dans le pain, l’eau, les fruits, le vin, l’huile, qui entretiennent en lui la vie, et nons sont à tel point nécessaires, que s’ils nous font défaut, nous ne tardons pas à succomber : il y trouve une sorte de bonheur, quoiqu’il ne soit point encore parvenu à jouir de cette santé parfaite au sein de laquelle il ne ressentira ni privations, ni douleurs. Ainsi en est-il de notre âme, même quand elle est encore unie ànotre corps, même au milieu des épreuves et des dangers de ce monde, et des infirmités inhérentes à sa nature : elle aussi trouve son soulagement dans la parole sainte, dans la prière et les entretiens spirituels. Pour elle, comme pour notre corps, il y a donc ici-bas quelque diversion à ses peines Mais lorsqu’aura eu lieu notre résurrection, quand notre corps ne réclamera plus de jouissances matérielles, il habitera le séjour de l’immortalité, et s’y trouvera établi pourjamais: alors aussi un aliment divin deviendra la nourriture de notre âme : elle sera sustentée par le Verbe éternel, qui a fait toutes choses 1. C’est donc pour nous un devoir de rendre grâces au Tout-Puissant de ce qu’il ne nous abandonne pas à notre malheureux sort; il nous donne, en effet, les choses nécessaires à la vie du corps et à celle de l’âme ; et hors même qu’il nous éprouve en ne pourvoyant pas àtous nos besoins, il veut seulement nous instruire et nous porter à l’aimer davantage; ainsi, au lieu de nous laisser corrompre par les plaisirs sensuels, nous conservons de lui un souvenir salutaire. Parfois, il nous retire ce qui nous est nécessaire, il nous frappe, mais pour nous apprendre qu’il est toujours notre maître et qu’il ne cesse d’être notre Père, soit qu’il nous bénisse, soit qu’il nous châtie. Sa providence nous réserve un magnifique

 

1. Jean, I, 3.

 

et inamissible héritage. Eh quoi ! si tu veux léguer à ton fils une coupe, un cellier ou un autre objet quelconque, tu lui conseilles d’en faire un bon usage, et pour lui inspirer la sagesse , pour l’empêcher d’abuser de tes biens, et l’exciter à ménager des objets qu’il lui faudra pourtant, comme toi, abandonner plus tard à d’autres, tu lui infliges de sévères corrections , et tu prétendrais n’en pas recevoir de notre Père céleste ! Et tu ne voudrais pas être préparé par les privations et les épreuves, à la possession de l’inamissible héritage qu’il nous réserve ! Cet héritage n’est autre que Dieu lui-même; nous le posséderons et il nous possédera éternellement.

11. Apparaissons donc devant Dieu, dans son sanctuaire, afin qu’il nous apparaisse àson tour; que la sainteté et la vivacité de nos désirs nous transporte jusqu’aux pieds de son trône, et alors nous serons les témoins de la puissance et de la gloire de son Fils. Il ne s’est encore manifesté qu’à un petit nombre d’hommes; que les autres pénètrent dans son sanctuaire, et ils l’y contempleront. Beaucoup s’imaginent qu’il n’a été qu’un homme, puisque, suivant le témoignage des Apôtres du christianisme, il est né d’une femme, qu’il a été crucifié et qu’il est mort, qu’il a conversé, bu et mangé avec les hommes, et qu’il a agi à la manière des autres : ils ne voient en lui qu’un homme comme un autre; et, pourtant, vous en avez la preuve dans le passage de l’Evangile qu’on vous lisait tout à l’heure, il a établi sa grandeur divine quand il a dit : « Mon Père et moi, nous ne sommes qu’un 1» .Voilà celui qui s’est abaissé jusqu’à se faire homme pour nous relever du sein de notre faiblesse! C’est le souverain Maître de l’univers! C’est l’égal du Père éternel! Voilà comment le Seigneur nous a aimés, avant même que nous l’aimions! Si, avant d’aimer notre Dieu, nous avons reçu de lui un témoignage d’ineffable affection dans la Personne de son égal, de son Fils, qui s’est fait homme comme nous, que ne devons-nous pas attendre de lui pour le moment où nous l’aimerons  éternellement? Parce que le Fils de Dieu est devenu semblable à nous, beaucoup de personnes en conçoivent je ne sais quelle basse idée; la raison en est facile à saisir, c’est qu’elles n’ont point pénétré dans son

 

1. Jean, I, 30.

 

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sanctuaire, c’est qu’il ne leur a encore manifesté ni sa puissance ni sa gloire; en d’autres termes, elles n’ont point encore purifié leur coeur; par conséquent, elles ne comprennent point la grandeur de sa puissance; elles ne lui rendent point grâces de ce que, malgré sa majesté infinie, il est descendu jusqu’à nous, pour y naître et y souffrir dans l’humiliation; elles sont, en un mot, incapables de contempler sa puissance et sa gloire.

12. « Car votre miséricorde vaut mieux que toutes les vies 1 ». Il y a, en ce monde, pour l’homme, des manières de vivre de plus d’un genre ; mais, dans le ciel, Dieu ne nous en réserve que d’une sorte; et quand il nous l’accordera, ce sera, non en raison de nos mérites, mais par un effet de sa miséricorde. Car pour mériter une pareille faveur,qu’avons-nous fait? En vertu de quelles bonnes oeuvres avons-nous prévenu les dons et les grâces du Seigneur? A-t-il trouvé en nous des actes de vertu à récompenser? Ou plutôt, n’y a-t-il pas trouvé des fautes à punir? Ah, sans doute il aurait pu, sans injustice, nous punir, car il nous a pardonné bien des chutes; et n’est-ce pas justice que de châtier un pécheur? Et puisqu’il aurait pu, sans blesser nos droits, nous frapper à cause de  nos péchés; ç’a donc été de sa part une grande preuve de miséricorde de ne pas nous punir, de nous justifier, de changer notre malice en bonté, et notre impiété en un véritable esprit de religion. « La miséricorde du Seigneur vaut donc mieux que toutes les vies ». De quelles vies parte le Prophète? De celles qu’embrassent les hommes. Celui-ci choisit la vie du commerçant, celui-là la vie du cultivateur : l’un préfère l’existence du banquier; l’autre, celle du soldat : chacun se décide suivant son goût, d’une manière ou d’une autre. Voilà donc divers genres de vie, mais « votre miséricorde est préférable à toutes les vies ». Ce que vous accordez aux convertis, vaut mieux que ce que choisissent les méchants. Vous nous mettez en possession d’une vie bien autrement précieuse quetoutes celles que nous aurions pu choisir dans le monde. « Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges». Vos louanges ne sortiraient point de mes lèvres, si votre miséricorde ne me prévenait: elles ne sont donc qu’un. effet de votre généreuse

 

1. Ps. LXII, 4.

 

bonté à mon égard : non, je ne serais nullement capable de vous bénir, si vous ne

m’en donniez vous-même le pouvoir. « Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges ».

13. « De la sorte je vous bénirai en cette vie, et je lèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom 1» . «Je vous bénirai de la sorte dans ma vie » : c’est-à-dire, dans la vie dont vous m’avez gratifié ; non pas dans la vie que j’ai choisie parmi toutes celles que se partagent mes semblables, et pour des motifs mondains, mais dans celle que vous m’avez miséricordieusement accordée, afin que je vous bénisse. « Je vous bénirai de la sorte dans ma vie ». Quel sens donner à ces mots, « de la sorte? » J’attribuerai, non à mes mérites, mais à votre bonté pour moi, cette vie au sein de laquelle je chanterai vos louanges. « Et je lèverai mes mains en invoquant votre saint, nom ». Prie donc, et durant ce pieux exercice élève tes mains. Attaché à la croix, Notre-Seigneur a élevé ses mains en notre faveur : Il a étendu les bras pour nous. S’il a agi ainsi en sa douloureuse passion, c’était afin de nous faire étendre les nôtres vers les bonnes oeuvres: sa croix a donc été pour nous une source de grâces. Jésus a élevé ses mains vers le ciel : il s’est offert lui-même pour nous en sacrifice à Dieu son Père, et, par là, il a effacé toutes nos fautes. Levons donc nous-mêmes les nôtres vers le trône du Tout-Puissant dans l’exercice de la prière, afin qu’occupées à opérer toutes sortes de bonnes oeuvres, elles ne se fatiguent point inutilement à s’étendre vers le ciel. Que fait, en effet, celui qui élève ses mains vers Dieu? C’est pour nous un devoir de le faire et de prier le souverain Maître, car, « je veux », dit l’Apôtre, « que les hommes prient en tout lieu, et lèvent vers le ciel leurs mains pures, avec un esprit éloigné de toute colère et de toute contention 2». Pourquoi ce devoir? Pourquoi ce commandement? Afin qu’au moment où nous élèverons nos bras vers Dieu, le souvenir de nos actions se présente à nous. Tu agis ainsi pour demander ce que tu désires par là, tu penses à les employer au bien, pour ne pas avoir à rougir de cette action « Et j’élèverai mes mains, en invoquant votre saint nom ». C’est ainsi qu’en priant nous

 

1. Ps. LXII, 5 — 2. I Tim, II, 8.

 

nous soutenons dans cette Idumée, dans ce désert, dans ce pays où l’on ne trouve ni chemins ni fontaines, dans cette solitude affreuse où le Christ s’est fait notre voie 1; voie, néanmoins, qui ne nous est pas venue de cette terre maudite. « J’élèverai mes mains en invoquant votre saint nom ».

14. Mais quand j’élèverai mes mains pour invoquer votre saint nom, que vous dirai-je? Que pourrai-je vous demander? Mes frères, toutes les fois que vous élevez vos mains vers le trône de l’Eternel, réfléchissez à ce que vous allez lui demander; car, ne l’oubliez pas, vous vous adressez au Tout-Puissant. Ne sollicitez de sa part rien de ce que lui demandent ceux qui n’ont pas encore la foi : il faut que l’objet de votre prière soit digne de lui et de vous. Voyez quels biens le Seigneur accorde même aux impies; et tu demanderais à ton Dieu des richesses? Mais n’en comble-t-il pas les scélérats eux-mêmes , ceux qui ne croient pas en lui? Ce qu’il donne aux méchants mérite-t-il vraiment ta considération? Ne sois donc pas étonné, si les bienfaits accordés par la Providence aux pécheurs sont peu de chose, puisqu’ils sont dignes de pareilles gens ; n’attribue donc aucun prix aux faveurs que Dieu leur départit. Sans doute, tous les biens temporels viennent du Créateur; pourtant, veuillez y faire attention, les dons qu’il répand sur les impies comme sur les justes, doivent être considérés comme étant de mince valeur: il nous en réserve de bien autres. Toutefois, que les uns nous apprennent à juger sainement des autres. Voyez quels bienfaits il répand sur ceux qui l’offensent. Il fait luire sur eux les rayons du soleil ; mais, remarquez-le, les bons et les méchants se trouvent, en cela, également favorisés. Il fait descendre sur leurs propriétés les ondées du ciel, comme sur le reste de la terre. Qui est-ce qui pourrait dire la fécondité que ces pluies apportent avec elles! Néanmoins, elles sont encore le partage des justes et des pécheurs, car nous lisons dans l’Evangile : « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs 2». La chaleur et la lumière du soleil, l’abondance des pluies, et tous les biens, dont elles sont la source, nous devons les demander à Dieu, parce qu’ils nous sont nécessaires; mais à ces bienfaits de la Providence ne doivent pas se

 

1. Jean, XIV, 6. — 2. Matth V, 45.

 

borner nos désirs, parce qu’ils sont communs à ceux qui servent le Seigneur et à ceux qui l’offensent. Quel doit donc être l’objet de nos prières, au moment où nous élevons nos mains vers le ciel? Le Psalmiste nous l’indique autant, du moins, que la chose lui est possible. Pourquoi avoir dit : Autant que la chose lui est possible? Autant qu’une bouche d’homme est capable de le dire à une oreille humaine : car l’Esprit-Saint se sert ici de l’intermédiaire d’in homme et de certaines comparaisons pour se mettre à la portée des plus ignorants, et même des enfants. Que dit donc le Prophète? Que demande-t-il? « J’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom ». Qu’obtiendra-t-il? «Mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions ». Pensez-vous, mes frères, qu’il sollicite pour son âme une sorte d’embonpoint matériel? oh! non, il ne borne pas ses désirs à si peu de chose : il ne souhaite ni béliers ni porcs engraissés; il ne ressemble point à ces hommes, qui entrent dans une taverne, pour y demander des mets aussi substantiels et s’y rassasier ; et si nous le croyions capable de pareille chose, en vérité serions-nous dignes d’écouter la parole sainte? Nous devons donc entendre ce verset dans un sens spirituel. Il y a une sorte de graisse propre à notre âme : cet aliment, qui satisfait surabondamment à ses besoins, n’est autre que la sagesse. Les âmes auxquelles elle fait défaut, maigrissent en quelque sorte, et dépérissent à tel point que bientôt elles se trouvent trop faibles pour opérer n’importe quelle bonne oeuvre. Mais pourquoi cette faiblesse extrême dans la pratique des vertus chrétiennes? Parce que l’embonpoint qui résulte pour elles d’une alimentation riche, leur fait défaut, L’apôtre saint Paul nous parle de cet état de luxuriante santé spirituelle, et recommande à chacun de nous de faire le bien écoute ses paroles, les voici : « Dieu aime celui qui donne de bon coeur et avec joie 1». Cette vigueur, où notre âme la puise-t.elle, sinon en Dieu, comme à une source abondante? Mais qu’est-ce que cette énergie en comparaison de celle que le Seigneur nous accordera dans le ciel, lorsqu’il sera lui-même notre nourriture? Pendant le cours de cette vie passagère, sur cette terre d’exil, nous ne pouvons pas dire ce que nous serons

 

1. II Cor. IX, 7.

 

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pendant l’éternité; aujourd’hui, pendant que nous élevons nos mains vers Dieu, nous lui demandons peut-être cette surabondance, au sein de laquelle nous serons un jour rassasiés, où disparaîtra tout à fait notre indigence; où, enfin, nous ne désirerons plus rien, parce que nous posséderons tout ce qui peut ici-bas enflammer nos désirs, tout ce que nous aimons comme étant digne de nos affections. Déjà nos ancêtres sont morts, mais Dieu est toujours vivant: nous ne pouvons, par conséquent, jouir toujours de la présence de nos pères; mais dans le ciel, dans la véritable patrie, nous serons toujours en la présence du Dieu vivant, de notre Père céleste. Dès lors que notre patrie d’ici-bas est terrestre, tant de plaisirs qu’elle nous offre, nous en sortirons un jour: d’autres hommes y naîtront nécessairement, et ils apparaîtront sur la scène de ce monde, pour en éloigner leurs parents, qui l’habitent aujourd’hui. Un enfant ne reçoit l’existence que iour dire à l’auteur de ses jours : Que fais-tu ici? Venir après d’autres, naître, et chasser devant nous ceux qui nous ont précédés dans le chemin de la vie, voilà notre destinée sur la terre : au ciel, nous vivons tous simultanément, sans nous rein placer les uns les autres, parce que personne ne cédera sa place et personne ne sera là pour la prendre. O bienheureuse patrie! qui est-ce qui pourrait en dépeindre les charmes? Sur la terre tu aimes les richesses? Au ciel, tu posséderas Dieu lui-même. Tu éprouves un indicible plaisir à te désaltérer à une source d’eau vive? Y a-t-il rien de plus limpide ou de plus pur que la source de la sagesse éternelle? Le Seigneur, qui a créé l’univers, te tiendra lieu de tout ce que tu peux aimer. «Mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer. Au milieu de ce désert, j’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom: et mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer». Pendant que la soif nous tourmente, c’est pour nous un devoir de prier; quand nous n’en souffrirons plus, au lieu de prier Dieu, nous le louerons: « Et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer ».

15. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur 1 ». Ce lit du Prophète, c’est son repos. Puisse celui qui jouit du repos, ne pas oublier le Seigneur! Plaise à Dieu que celui qui est tranquille, ne se laisse pas corrompre, et ne perde point le souvenir du Tout-Puissant! Et dès lors qu’il en sera ainsi, il gardera le souvenir du Seigneur dans tout ce qu’il fèra. Par le point du jour il entend les actions de l’homme, parce que, dès le matin, chacun se met au travail. Que dit-il donc? ou plutôt, que veut-il dire par ces paroles : « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et dès le matin je méditerai vos merveilles? » Il veut dire : Si je ne me souviens pas de vous sur ma couche, je ne serai pas davantage disposé, dès Je matin, à niéditer vos merveilles; car celui qui oublie Dieu au sein du repos, pensera-t-il à lui au moment d’agir? Mais l’homme qui eu garde le souvenir pendant le repos, ne l’oublie pas non plus clans l’action ; car il craint alors de tomber en défaillance. « Et dès le matin je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ». De fait, si Dieu ne venait à notre secours, jamais nous ne serions capables d’opérer le bien et d’accomplir nos devoirs. Nos actions doivent être marquées au coin de l’honnêteté : et puisque Jésus-Christ nous instruit de ce que nous avons à faire, notre conduite doit être lumineuse et pure. L’Apôtre nous en avertit : « Celui qui fait mal », dit-il, « agit dans les ténèbres, et non pas aux premiers rayons du soleil. Ceux qui s’enivrent, s’enivrent pendant la nuit; et  ceux qui dorment, dorment pendant la nuit: pour nous, qui sommes des enfants de lumière, soyons sobres». Il nous recommande de vivre honnêtement, et de marcher à la lumière du jour. « Marchons avec honnêteté, comme au grand jour 2. Parce que», ajoute-t-il, « vous êtes les enfants du jour et de la lumière, et non les enfants de la nuit et des ténèbres 3 ». Quels sont ces enfants de la nuit et des ténèbres? Ce sont ceux qui font toujours le mal. Et ils sont à tel point des enfants de la nuit, qu’ils craignent de laisser voir leurs oeuvres : ils ne font le mal en public, que quand beaucoup d’autres agissent de la sorte : et lorsqu’ils sont presque seuls à le faire, ils se cachent. Pour commettre

 

1. Ps. LXII, 7, 8. — 2. Rom. XIII, 13. — 1 Thess. V, 5-8.

 

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publiquement le péché, on se trouve, à la vérité, exposé à la lumière du soleil, mais on est plongé dans les ténèbres du coeur. Il n’y a donc, pour agir dès le matin, que ceux qui se conduisent chrétiennement. Celui qui se souvient du Christ pendant le repos, s’en souvient aussi pendant le cours de toutes ses actions, et le Sauveur lui vient en aide pour l’accomplissement de ses devoirs, afin que sa faiblesse ne l’entraîne point à des chutes déplorables. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ».

16. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes » . Mes bonnes oeuvres me jettent

en des transports de joie, parce que vos ailes sont étendues sur moi. Je ne suis qu’un petit

oiseau : si vous ne me protégez, le vautour m’enlèvera. S’adressant à Jérusalem, à cette ville qui l’a fait mourir sur la croix, Notre-Seigneur dit quelque part : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes 1! » Nous sommes petits: que Dieu donc nous garde à l’ombre de ses ailes! Et quand nous serons devenus grands, il nous sera encore utile d’être protégés par le Seigneur, et de nous tenir toujours, comme si nous étions petits, sous ses ailes, parce qu’il sera toujours plus grand que nous : jamais nous ne parviendrons à l’égaler, n’importe à quelle hauteur nous puissions parvenir. Que personne donc ne dise : Daigne le Seigneur étendre sur moi sa protection, parce que je suis petit! car, à aucune époque, on ne pourra arriver à un tel point de grandeur, qu’on soit à même de se suffire sans lui. Sans le secours de Dieu, tu n’es rien. Aussi devons-nous désirer son incessant secours, et si nous savons nous montrer petits à son égard, nous trouverons en lui la source d’une véritable grandeur. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes».

17. « Mon âme s’est étroitement uni à vous pour vous suivre 2 ». Voyez le Prophète comme il s’attache fortement à Dieu, sous l’influence de ses désirs et de la soif qui le tourmente! Puissions-nous éprouver nous-mêmes ses sentiments affectueux pour le Seigneur! Puissent ces sentiments germer dans

 

1. Matth. XXIII, 37. — 2. Ps. LXII, 9.

 

vos coeurs, y recevoir la rosée de la grâce, y grandir, y arriver à un tel degré de vigueur que vous puissiez dire du fond de votre être: « Mon âme s’est unie étroitement au Seigneur pour le suivre ». Quel est donc ce lien étroit, et si j’osais parler ainsi, cette glu qui nous unit à Dieu? C’est la charité. Si seulement cette charité, cette glu établissait l’union entre le Tout-Puissant et ton âme, et la faisait venir après Dieu ! Je dis après Dieu, et non avec lui, parce qu’il doit te précéder, et tu dois le suivre; car quiconque veut marcher devant lui, prétend vivre au gré de ses propres caprices et dans l’indépendance à l’égard de l’Eternel. Aussi Pierre fut-il repoussé, pour avoir osé donner des conseils à Jésus-Christ la veille de sa passion. Alors, cet Apôtre était encore faible et ignorant : il ne savait pas encore de quelle utilité devait être, pour le genre humain, le douloureux sacrifice du Sauveur. Notre-Seigneur, qui était venu en ce monde pour nous racheter du prix de son sang, prédit à ses disciples les circonstances diverses de son agonie et de sa mort. Pierre fut saisi d’épouvante en apprenant de la bouche même de Jésus que son Maître allait bientôt mourir; il s’imaginait que le Christ vivrait toujours tel qu’il le voyait, car il ne voyait rien que d’un oeil charnel, et son affection pour le Sauveur était tout humaine. Aussi s’écria-t-il: « Mais, non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi : vous prendrez pitié de vous-même », « Arrière, Satan, arrière», répondit Jésus : «loin de goûter les choses de Dieu, tu n’as de goût que pour celles du monde 1 ». Quel est le sens de ces mots : « Tu n’as de  goût que pour les choses de ce monde ?» Le voici : Tu veux marcher devant moi; c’est pourquoi retourne en arrière, et,au lieu de m précéder, tu me suivras. A la suite du Sauveur, il pourrait dire : « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre ».

Le Psalmiste ajoute avec raison : « Et votre main droite m’a soutenu. Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre, et votre main droite m’a soutenu ». Jésus-Christ a tenu ce langage en nous, c’est-à-dire, dans l’homme dont il s’était revêtu pour nous racheter; l’Eglise le dit elle-même dans la personne de Jésus-Christ son chef, car elle a déjà souffert ici-bas de cruelles persécutions, et en souffre aujourd’hui encore

 

1. Matth. XVI, 22, 23.

 

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dans chacun de ses enfants. Où est le parfait chrétien, qui n’éprouve toutes sortes de tentations? Tous les jours, le démon et ses anges le tourmentent pour le pervertir; dans ce but, ils emploient tour à tour les désirs mauvais, les passions coupables, la promesse du gain, la crainte des pertes temporelles, l’espérance de la vie, la peur de la mort, l’inimitié d’un grand de la terre, l’amitié d’un prince. Le démon ne néglige rien pour nous faire perdre l’amitié de Dieu : aussi vivons-nous en de continuelles persécutions : aussi rencontrons-nous, dans Satan et ses anges, d’infatigables ennemis; mais pourquoi trembler? Si l’esprit infernal est pareil à un vautour, ne sommes-nous point cachés sous les ailes d’une poule divine, et peut-il nous atteindre?Cette poule, qui nous rassemble sous ses ailes, jouit d’une force invincible. Sans doute, elle est devenue faible pour nous; mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, la sagesse de Dieu incarnée, trouve en lui-même une force irrésistible. On peut donc attribuer à l’Eglise, comme au Christ, ces paroles : « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre, et votre main droite m’a soutenu ».

18. «Mes ennemis ont inutilement cherché à perdre mon âme 1 ». Quel mal m’ont causé ceux qui cherchaient à me perdre? Si seulement ils cherchaient mon âme pour s’unir à elle par les liens d’une même foi ! Mais non ils l’ont cherchée pour me l’ôter. Et toutefois, à quoi pouvaient aboutir leurs efforts? étaient-ils capables de détruire le lien, la glu, qui la tenaient unie à Dieu? « En effet, qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ? Sera-ce l’affliction, ou l’épreuve avec ses ennuis, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le glaive 2? Votre main droite m’a soutenu. La force du lien qui m’attache à vous, Seigneur, et votre main toute-puissante ont paralysé leurs efforts, et c’est inutilement qu’ils ont cherché à perdre mon âme». Ces ennemis dont parle le Psalmiste, désignent, si l’on veut, ceux qui ont persécuté ou voudraient persécuter 1’Eglise; mais ils représentent particulièrement les Juifs, qui ont cherché à perdre l’âme du Christ, soit comme chef, puisqu’ils l’ont crucifié, soit comme corps, en persécutant après la mort du Sauveur ses premiers disciples. « Ils ont cherché à perdre mon âme : ils seront précipités

 

1. Ps. LXII,10. — 2. Rom. VII, 35.

 

dans les profondeurs de la terre ». Dans la crainte de perdre la terre, ils ont attaché à la croix le Fils de Dieu; c’est pourquoi ils ont été précipités dans les profondeurs de la terre. Par « ces profondeurs de la terre », que peut-on entendre? Les passions, les désirs terrestres, Il vaut bien mieux vivre sur la terre, que de s’enfoncer dans ses abîmes sous l’influence des passions mondaines. Quiconque, en effet, s’abandonne aux désirs terrestres, contrairement à ses intérêts éternels, se place sous la terre, car il la préfère réellement à son âme; il la met au-dessus de lui, il se constitue en dessous d’elle. Notre-Seigneur opérait d’innombrables prodiges, attiré par un spectacle si nouveau, le peuple se précipitait sur ses pas; dans la crainte de perdre la terre, on entendit les Juifs s’écrier « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront, et ils nous enlèveront notre ville et notre pays 1». Ils ont craint de perdre la terre, etidu même coup ils se sont jetés dans ses abîmes, et ce qu’ils craignaient leur est arrivé. La mort du Sauveur leur parut le moyen le plus sûr de n’être pas dépossédés de leur terre, et ce fut précisément elle qui causa leur ruine. Le Christ leur avait dit « On vous ôtera votre royaume, pour le donner à un peuple qui accomplira les devoirs de la justice 2 ». En conséquence de cette menace, ils le mirent à mort; des malheurs sans fin, des persécutions atroces suivirent de près leur déicide. Vaincus par les empereurs romains et les rois des nations étrangères, chassés du pays même qui fut témoin du supplice sanglant du Christ, ils ont laissé leur patrie au pouvoir des chrétiens: le crucifié y règne aujourd’hui, partout retentissent ses louanges; on n’y rencontre plus un seul Juif: tous ses ennemis ont disparu. La Judée n’a plus d’autres habitants que les disciples du Sauveur. Les Juifs ont eu peur de se voir enlever leur pays par les Romains: tour éviter cette catastrophe, ils ont cloué Jésus-Christ àla croix, et, en punition de leur crime, les Romains sont venus les dépouiller de leur royaume. Donc, « mes ennemis seront précipités dans les profondeurs de la terre ».

19. « Ils tomberont sous le tranchant du glaive 3». L’accomplissement de cette prophétie a eu lieu d’une manière frappante à l’égard des Juifs: leurs ennemis sont venus

 

1. Jean, XI, 48. — 2. Matth. XXI, 43. — 3. Ps. LIII, 11.

 

31

 

et les ont exterminés. « Ils seront la proie des renards». Sous ce nom se trouvent désignés les rois qui gouvernaient le monde au moment où la nation juive fut détruite. Ecoutez bien, mes frères; apprenez et coin prenez que le Prophète donne à ces rois le nom de renards. Le Sauveur lui-même a ainsi appelé le roi Hérode : « Allez, dites à ce renard 1». Voyez, et remarquez-le attentivement : les Juifs n’ont pas voulu du Christ pour leur roi, et ils sont devenus la proie des renards, Au moment où Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains, céda aux vociférations des Juifs et condamna Jésus à mort, il leur dit « Voulez-vous donc que je crucifie votre roi? » Car on l’appelait le Roi des Juifs, et il l’était effectivement. Ceux-ci lui refusèrent ce titre, et répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que César 2». Ils repoussèrent la domination d’un Agneau, pour se soumettre à celle d’un renard: ce fut donc avec justice qu’ils devinrent la proie des renards.

20. « Mais le roi 3»; le Prophète veut parler ici du roi que les Juifs ont éloigné d’eux pour se soumettre à un renard : « Mais le roi », c’est donc à dire, le véritable roi, dont la puissance a été consacrée par l’inscription placée sur l’instrument de son supplice: inscription écrite en hébreu, en grec et en latin, et conçue en ces termes : Voici « le Roi des Juifs ». Par elle, tous les témoins de la mort du Sauveur ont pu connaître la gloire du roi des Juifs, comme aussi se convaincre du crime honteux de ces déicides qui ont repoussé leur vrai Maître pour se plier sous le joug d’un renard, du César romain. « Mais le Roi mettra sa joie en Dieu »; pour eux, ils deviendront la proie des renards, « mais le roi se réjouira dans le Seigneur ». Ils avaient cru remporter une éclatante victoire sur leur roi en le condamnant à la mort de la croix, et voilà que par son supplice sanglant, il a racheté l’univers. « Mais le Roi se

 

1. Luc, XIII, 32. — 2. Jean, XIX, 15. —  3. Ps. LXII, 12.

 

réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son nom, seront honorés ». Pourquoi « ceux qui jurent par son nom, seront-ils honorés ? » Parce qu’ils auront choisi le Christ pour leur roi, au lieu de choisir un renard: parce qu’au moment où les Juifs l’outrageaient, Jésus-Christ a payé le prix de notre rançon. Nous lui appartenons donc puisqu’il nous a rachetés, et qu’à cause de nous il a vaincu le monde, non par la force des armes, muais avec le bois dérisoire de sa croix. « Mais le roi se réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son  nom, seront honorés ». Qui est-ce qui jure par son nom? Tous ceux qui lui consacrent leur vie; tous ceux qui lui font des promesses et les accomplissent; tous ceux qui se font chrétiens. Voilà ce que le Prophète veut dire par ces paroles: « Ceux qui jurent par son nom, seront honorés. La bouche des méchants sera fermée pour toujours». Quelles iniques paroles les Juifs ont prononcées! Quels méchants discours ont tenus les Juifs et ceux qui ont défendu le culte des idoles en persécutant les chrétiens ! Par les mauvais traitements qu’ils faisaient subir aux disciples du Sauveur, ils s’imaginaient pouvoir en finir bientôt avec eux, et pendant ce temps-là le nombre des chrétiens augmenta sensiblement, tandis qu’ils disparurent eux-mêmes, et qu’il n’en resta pas de traces. « La bouche des méchants sera fermée pour  toujours». Aujourd’hui, il n’y a personne pour oser parler en public contre Jésus-Christ: tous redoutent sa puissance, « parce que la bouche des méchants sera fermée pour toujours». Quand le Sauveur était revêtu de la faiblesse de l’Agneau, les renards étaient remplis de hardiesse pour l’attaquer et l’insulter; mais ils gardent le silence depuis qu’il est devenu le lion de la tribu de Juda, et qu’il a vaincu 1. « Car la bouche des méchants sera fermée pour toujours ».

 

1. Apoc. V, 5.

 

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