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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME LXVIII.PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST.
Bien que lEglise soit en paix, elle a cependant de quoi gémir avec le Christ qui parle dans le psaume, qui sen est fait lapplication, ainsi que les Apôtres en parlant de lui. Il est pour ceux qui doivent changer. Or, nous changeons eu mal par notre faute, et en bien par la grâce de Dieu. Cette grâce nous vient de la Passion, ou de la Pâque, du passage de Jésus-Christ Les eaux lont submergé, ou la foule a prévalu contre lui. Nous avons horreur de la mort, et le désir ou plutôt la promesse de limmortalité nous aide à souffrir. Nous sommes le limon où le Christ est plongé, pour nous donner la substance, ou bien soit la richesse spirituelle, soit linnocence. Le Christ sest fatigué à crier contre les scandales des Scribes et des Pharisiens. Si ses yeux se sont lassés despérer en Dieu, cest dans la personne des Apôtres et des disciples. Ses ennemis le haïssent, non comme on hait le méchant, mis ils le haïssent sans sujet ; car il reprend simplement au démon ce que celui-ci a volé. Il ne parle de son imprudence et de ses fautes, quau nom de lEglise qui demande à Dieu que lon ne puisse rougir de ses membres. Le zèle de la maison de Dieu la fait traiter comme étranger par les enfants de la synagogue. On lui a donné pour nourriture le fiel ou le péché. Il sest revêtu dun sac, on plutôt de notre chair, et on la persiflé. Il demande à Dieu laccomplissement des promesses, au temps marqué par Dieu. Seulement que Dieu le délivre, et ne laisse point labîme se refermer sur lui.
1. Nous apparaissons au monde pour être agrégés au peuple de Dieu au moment où cet arbrisseau qui a germé dun grain de sénevé étend au loin ses rameaux; où ce levain dabord méprisable a fermenté dans trois mesures de farine 1, cest-à-dire dans lunivers entier que repeuplèrent les trois fils de Noé 2: car on vient en foule de lOrient et de lOccident, de lAquilon et du Midi pour reposer avec les patriarches, tandis que leurs descendants selon la chair, mais qui nont pas imité leur foi, sont chassés dehors 3. Nous avons donc ouvert les yeux en face de cette gloire de lEglise du Christ elle jadis stérile, mais à qui lon prédisait la joie, et lon annonçait quelle aurait une postérité plus nombreuse que celle qui avait lEpoux 4, nous voyons quelle a oublié les opprobres et les ignominies de son veuvage aussi pouvons-nous être dans létonnement quand nous lisons dans quelques prophéties des paroles dhumilité dans la bouche du Christ ou dans notre bouche. Il est possible encore que nous en soyons moins touchés; car nous ne sommes point venus dans le moment où, sous le pressoir de la persécution, lon en goûtait la lecture. Mais si nous considérons combien nos tribulations sont nombreuses, combien est étroit 5 le chemin où nous marchons, si tant est que
1. Matth. XIII, 31-33 et Luc, XIII, 19-21. 2. Gen. IX, 19. 3. Matth. VIII, 11. 4. Isaïe, LIV, 1, et Gal. IV, 27. 5. Matth. VII, 14.
nous y marchions, et par quelles douleurs, par quelles angoisses il nous conduit à ta vie éternelle : si nous examinons combien ce que lon appelle bonheur en cette vie est plus à craindre que le malheur; car le malheur bien souvent nous fait recueillir de la tribulation un fruit excellent, tandis que Le bonheur corrompt notre âme par une fausse sécurité, et donne lieu aux tentatives du démon; en considérant donc avec prudence et droiture, comme la victime déjà prête, que la tentation est le fond de la vie humaine sur la terre 1, que nul homme nest dans une sécurité parfaite, quil ne doit être sans crainte que quand il arrivera dans la patrie, doù nul ami ne sen va, où nentre aucun ennemi; même aujourdhui dans les splendeurs de lEglise nous retrouvons nos cris dans ces cris de détresse. Alors comme membres du Christ, unis à notre chef par les liens de la charité, pour nous maintenir réciproquement, nous dirons des psaumes, ce quen dirent les martyrs qui ont passé avant nous; car depuis le commencement jusquà la fin, la tribulation est connue à tous les hommes. Toutefois reconnaissons dans le grain de sénevé 2 le psaume que nous entreprenons dexposer, et dont nous voulons parler à votre charité au nom du Seigneur. Détournons quelque peu notre pensée de la hauteur de cet arbrisseau, de
1. Job, VII, 1 2. Matth. XIII, 31.
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létendue de ses branches, et de cette majesté où viennent se reposer les oiseaux du ciel ;et voyons de quelle petitesse a pu surgir cette immensité qui nous plaît dans cet arbre. Cest le Christ qui parle ici, vous le savez déjà, le Christ non-seulement comme chef, mais aussi dans ses membres. Nous le reconnaissons à ses paroles. Que le Christ parle ici, il ne nous est aucunement permis den douter. Il y a ici en effet des plaintes prophétiques accomplies dans sa passion : « Ils mont donné du fiel pour nourriture, et du vinaigre pour étancher ma soif 1 » : cest là ce qui fut alors réalisé à la lettre, et dans tous les détails de la prophétie. Après que le Christ suspendu à la croix a dit : « Jai soif », et quà cette parole on lui a offert dans une éponge, du vinaigre quil goûta; après quil sest écrié : « Tout est consommé», et que baissant la tête, il a rendu lesprit 2, voulant nous montrer que toutes les prophéties à son sujet étaient accomplies, dès lors il ne nous est plus permis dy voir une autre signification. Les Apôtres parlant du Christ ont puisé des témoignages dans ce psaume. Qui oserait sécarter de leurs sentiments? quel agneau ne suivra les béliers du troupeau? Cest donc le Christ qui parle ici; et pour nous, il est mieux dindiquer les endroits où la parole est à ses membres, afin de montrer que cest le Christ tout entier qui parle ici, que de douter que ce langage appartienne au Christ. 2. Voici le titre du psaume: « A David, pour la fin, pour ceux qui doivent changer 3 ». Il faut entendre par là changer avec avantage, car on peut changer en pire ou en mieux. Adam et Eve devinrent pires; mais ceux qui séloignent dAdam et dEve, pour sattacher à Jésus-Christ, deviennent meilleurs : « De même en effet que la mort est entrée par un seul homme, cest aussi par un seul homme que nous vient la résurrection : et de même quAdam est pour tous une cause de mort, le Christ sera pour tous une source de vie 4». Adam, tel que Dieu lavait fait, a changé cet état contre létat bien inférieur de son iniquité; mais les fidèles échangent létat que leur a fait liniquité, contre létat supérieur de la grâce. Nous changer en mal, cest leffet de notre
1. Ps. LXVIII, 22. 2. Jean, XIX, 28-30. 3. Ps. LXVIII, 1. 3. I Cor. XV, 21, 22.
iniquité; nous changer en mieux, ce nest point leffet de notre justice, mais bien de la grâce de Dieu. Cest donc à nous quil faut attribuer notre changement en mal, et cest Dieu quil faut bénir de notre changement en bien. Ce psaume est donc: « Pour ceux qui doivent changer ». Mais doù a pu venir ce change. ment, sinon de la passion du Christ? Le mot Pâques signifie en latin passage; car Pâques nest pas un mot grec, mais bien un mot hébreu. Dans la langue grecque, il a le sens de passion, puisque pasxein signifie souffrir : mais à sen tenir à lexpression hébraïque, on trouve un autre sens. Pâques signifie donc passage. Cest le sens que lui donne saint Jean, qui sexprime ainsi à propos de la cène que célébra le Christ, la veille de sa passion, et dans laquelle il institua le sacrement de son corps et de son sang : « Quand vint pour Jésus lheure de passer de ce monde à son Père ». Il nous montre donc le passage de la pâque. Mais si celui qui était venu pour nous navait passé de ce monde à son Père, comment pourrions-nous y passer dici-bas, nous qui ne sommes point descendus pour relever quoi que ce soit , mais qui sommes tombés? Pour lui, il nest point tombé, mais il est descendu afin de relever ce qui était tombé. Pour lui comme pour nous, cest donc un passage que daller de cette vie à son Père, de ce monde au royaume des cieux, dune vie pénible à la vie sans fin, dune vie terrestre à la vie céleste, dune vie corruptible à la vie incorruptible, dune vie dangoisses à une perpétuelle sécurité. «Pour ceux qui changeront », voilà donc le titre du psaume. Mais la cause de notre changement, ou la passion de Notre-Seigneur, nos plaintes dans ces douleurs, voilà ce quil nous faut examiner, ce quil faut reconnaître, afin de gémir, nous aussi; mais cette attention, cette reconnaissance, ces gémissements doivent nous faire changer, afin que saccomplisse pour nous le titre du psaume : « Pour ceux qui seront changés ». 3. « Sauvez-moi, ô Dieu, parce que les eaux pénètrent jusquà mon âme 2 ». Ce grain est aujourdhui méprisé, parce quil ne semble pousser que dhumbles cris. Au jardin il est submergé, et le monde un jour doit admirer la majestueuse étendue de cette plante dont le germe a été méprisé par les Juifs.
1. Jean, XIII, 1. 2 Ps. LXVIII, 2.
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Considérez, en effet, ce grain de sénevé, chétif, noirâtre et tout à fait méprisable, afin de voir comment se vérifie le mot du Prophète « Nous lavons vu, et il navait ni apparence ni beauté ». Il se plaint que les eaux pénètrent jusquà son âme : parce que ces foules tumultueuses, désignées sous le nom des eaux, ont prévalu sur le Christ au point de Je faire mourir. Elles ont eu la puissance sur lui jusquà le mépriser, le saisir, le garrotter, linsulter, le souffleter, lui cracher au visage. Jusquà quel point encore? jusquà le mettre à mort. Donc «les eaux ont submergé jusquà son âme ». Car il appelle son âme, cette vie, et cest jusque-là que peut savancer la fureur de ses ennemis. Mais lauraient-ils pu, si lui-même ne leût permis? Pourquoi donc pousser des cris comme sil souffrait malgré lui, sinon parce que le chef est pour nous la figure des membres? Pour lui, il a souffert, parce quil la voulu; mais les martyrs ont souffert, quand même ils ne leussent point voulu. Voici, en effet, comment le Sauveur prédit à Pierre sa passion : « Dans ta vieillesse, lui dit-il, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras point 2 ». Quel que soit notre désir dêtre unis au Christ , nous ne voudrions pas mourir néanmoins; et si nous souffrons volontiers ou du moins avec patience, cest quil ny a point dautre passage par lequel nous puissions nous unir au Christ. Si nous pouvions par quelquautre moyen aller au Christ, ou à la vie éternelle, qui voudrait mourir? Saint Paul, exposant quelque part notre nature intime, ou cette union de lâme et du corps, et cette familiarité mutuelle que fait naître lattachement, lintime liaison, dit que nous avons dans le ciel une demeure éternelle, que la main de lhomme na point faite : cest-à-dire limmortalité qui nous est préparée, et dont nous serons revêtus à la fin du temps, quand nous ressusciterons dentre les morts; et il ajoute : « Notre désir sera, non pas den être dépouillés, mais de lavoir comme un second vêtement, en sorte que ce quil a de mortel soit absorbé par la vie 3». Si cela était possible, nous dit-il, nous voudrions devenir immortels, nous voudrions que limmortalité nous arrivât, et nous changeât dès maintenant tels que nous sommes, afin que notre mortalité actuelle fût absorbée
1. Isaïe, LIII, 2. 2. Jean, XXI, 18. 3. II Cor. V, 1, 4.
par la vie, que notre corps ne passât point par la mort, pour ressusciter à la fin des temps. En vain donc nous passons du mal au bien, le passage nen a pas moins son amertume; il a de ce fiel que les Juifs donnèrent au Seigneur dans sa passion, tout ce qui nous fait souffrir a de cette âcreté, symbole de ceux qui labreuvèrent de vinaigre 1. Cétait donc nous quil figurait davance, quil personnifiait en lui-même, quand il dit: « Sauvez-moi, ô Dieu, car les eaux submergent jusquà mon âme ». Ceux qui lont persécuté ont même pu le tuer, mais ils nauront plus aucun pouvoir sur lui. Car le Seigneur nous a prémunis davance, quand il a dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et nont plus rien à vous faire; mais craignez celui qui peut précipiter lâme et le corps dans lenfer 2 ». Plus notre crainte est grande, et moins nous méprisons les biens médiocres; plus nous désirons léternité, plus nous méprisons les biens du temps. Ici-bas nous savourons jusquaux délices passagères, et les tribulations même dun moment nous sont amères. Mais qui ne boirait à la coupe des tribulations passagères, par crainte du feu éternel; et qui ne mépriserait les délices dun moment, en espérant les délices de la vie éternelle? Crions donc au Seigneur, afin quil nous délivre de cette vie, de peur que dans laccablement nous ne cédions à liniquité, et ne soyons réellement submergés « Sauvez-moi, ô Dieu, car les eaux vont jusquà submerger mon âme ». 4. « Jai été fixé dans le limon de labîme, il na point de substance 3 ». Quest-ce quil appelle limon? ceux qui persécutent? Car lhomme a été pétri de limon 4. Mais déchoir de la justice, a fait de ceux-ci le limon de labîme; quiconque résiste à leurs persécutions et à leurs efforts pour lentraîner, fait de lor au moyen de ce limon. En lui le limon doit mériter de prendre une forme céleste et dêtre mis au nombre de ceux dont le titre du Psaume a dit : « Pour ceux qui doivent changer». Or, quand ceux-ci étaient un limon, jai été plongé en eux, cest-à-dire quils mont saisi, quils ont prévalu sur moi, quils mont donné la mort. «Jai été fixé dans le limon de labîme, et ce nest point une substance ». Quest-ce à dire: «Ce nest point une substance? » Est-ce le limon qui ne serait
1. Matth. XXVII, 31. 2. Id. X, 20. 3. Ps. LXVIII, 3. 4. Gen. II, 7.
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pas une substance? Ou bien, est-ce moi qui, arrêté dans le limon, ne suis pas une substance? Quest-ce à dire : «Jai été fixé? » Le Christ a-t-il été arrêté de la sorte? Ou bien tout arrêté quil fut, na-t-il pas été, comme il est écrit au livre de Job, « la terre livrée « aux mains de limpie 1? » A-t-il été fixé dune manière corporelle, car on put le tenir ainsi et il fut crucifié ? Et il neût pas été crucifié, sil neût été fixé par des clous. Comment donc dire de lui qu « il nest pas une substance? » Dautre part, est-ce que ce limon nest pas substantiel? Nous comprendrons ce que signifie : « Il ny a pas de substance», si tout dabord nous pouvons comprendre ce quest une substance. Substance a quelquefois le sens de richesses, et cest ainsi que lon dit: Il a de la substance ; et encore : Il a perdu toute substance. Mais, dans ce cas, pouvons-nous croire que : « Il ny a pas de substance », signifie: Il ny a pas de richesses, comme sil sagissait ici de richesses, ou quil en fût aucunement question? Ou peut-être ce limon a-t-il le sens de pauvreté, et alors il ny aura de richesses pour nous que quand nous aurons part à léternité? Nous posséderons alors les véritables richesses, puisque nous ne manquerons de rien. On pourrait alors entendre cette parole en ce sens, et le Psalmiste dirait : « Jai été fixé dans le limon de labîme, et il ny a pas de substance», pour dire, jai été réduit à la pauvreté. Car le Christ se plaint ici dêtre « pauvre et souffrant 2». Et lApôtre a dit de lui : « Etant riche, il sest fait pauvre à cause de vous, afin que vous soyez enrichis de sa pauvreté 3 ». Alors le Seigneur, pour nous signaler sa pauvreté, aurait dit : « Il ny a aucune substance ». Revêtir la forme de lesclave, cétait, pour lui, descendre à la dernière pauvreté. Quelles sont donc ses richesses? « Ayant la nature de Dieu, il na point cru que ce fût une usurpation de ségaler à Dieu ».Voilà ses richesses immenses, incomparables. Doù vient alors sa pauvreté? De ce qu « il sest anéanti, en prenant la forme de lesclave, en se rendant semblable aux hommes; et reconnu homme par tout ce qui était en lui, il sest humilié, se rendant obéissant jusquà la mort » ; en sorte quil a pu dire : « Les eaux ont pénétré jusquà mon âme». Ajoutez aussi à la mort: et que pourrez-vous ajouter de plus? Lignominie de
1. Job, IX, 24. 2. Ps. LXVIII, 30. 3. II Cor. VIII, 9.
la mort. Aussi lApôtre a-t-il dit: « Et la mort de la croix 1 ». Immense pauvreté! mais doù viendront dimmenses richesses. Car si le comble a été à son indigence, il sera mis aussi aux richesses qui nous viendront de sa pauvreté. Quelles richesses na-t-il point pour nous enrichir de son indigence ! Que ne produiront point en nous ses richesses, quand sa pauvreté nous enrichit de la sorte ! 5. « Je suis fixé dans le limon de labîme, et il ny a nulle substance». On peut encore entendre par substance, ce qui nous fait ce que nous sommes. Mais cette interprétation devient plus difficile à saisir, quoique les choses soient dun fréquent usage; toutefois, comme lexpression est inusitée, il faut la remarquer et lexpliquer tant soit peu ; avec de lattention cette explication ne nous fatiguera point. On dit un homme, on dit le bétail, on dit le ciel, le soleil, la lune, la pierre, la mer, lair; tous ces objets sont des substances, par cela même quils existent. Les natures sappellent aussi des substances, Dieu est une certaine substance; car ce qui nest pas substance, nest absolument rien. Etre quelque chose, cest donc être une substance. De là vient que dans la foi catholique, on nous prémunit contre les raisons des hérétiques, en nous faisant dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont dune seule substance. Quest-ce à dire dune seule substance? Par exemple, si le Père est de lor, le Fils est de lor, le Saint-Esprit est de lor. Tout ce quest le Père comme Dieu, le Fils lest aussi, le Saint-Esprit lest aussi, Mais être Père, ce nest pas son être absolu, car Dieu nest point appelé Père par rapport à lui-même, mais par rapport à son Fils; en lui-même, il sappelle Dieu. Aussi dès lors quil est Dieu, par là même il est substance. Et parce que le Fils est de même substance que lui, assurément le Fils est Dieu aussi. Mais comme être Père nest point le propre de sa substance, et quil nest ainsi appelé quà cause du Fils, nous ne disons pas que le Fils est Père, comme nous disons que le Fils est Dieu. Si tu demandes ce quest le Père, on te répond : Il est Dieu. Tu demandes ce quest le Fils; on répond : Il est Dieu. Tu demandes ce que cest que le Père et le Fils; on répond encore: Dieu. Si lon tinterroge sur le Père seul, réponds quil est Dieu; sur le Fils seul,
1. Philip. II, 6.8.
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réponds aussi quil est Dieu; sur lun et lautre, réponds non quils sont des Dieux, mais un Dieu. Il nen est pas ainsi des hommes. Tu demandes ce quest Abraham, notre père, on te répond: Un homme; on exprime sa substance. Tu demandes ce quest Isaac son fils, on répond: Un homme; Isaac et Abraham sont de la même substance. Tu demandes ce que cest quAbraham et Isaac, on ne répond plus un homme, mais des hommes. Il nen est pas ainsi dans la divinité. La substance y est tellement une, quelle admet légalité, mais non la pluralité. Si donc lon te fait cette objection : Puisque, selon toi, le Fils est tout ce quest le Père, assurément le Fils est Père aussi, tu répondras : Jai dit que substantiellement, le Fils est tout ce quest le Père, mais non en ce qui est dit dans un autre sens. En lui-même il est appelé Dieu; par rapport à son Père, il est appelé Fils. De même, le Père est appelé Dieu en lui-même, et Père par rapport à son Fils. Celui qui est appelé Père par rapport au Fils nest pas Fils, et celui qui est appelé Fils par rapport au Père, nest pas Père; mais celui qui est Père, considéré en lui-même, ou le Père; et celui qui est Fils, considéré en lui-même, on le Fils, voilà Dieu. Que signifie donc: « Il ny a point de substance? » Si nous entendons ainsi la substance, comment comprendre ce qua voulu dire le Psalmiste : « Jai été fixé dans le limon de labîme, et il ny a pas de substance? » Dieu a fait lhomme, et la fait substance 1; et que nest-il demeuré tel que Dieu lavait fait? Si lhomme était demeuré ce que Dieu lavait fait, celui que Dieu a engendré neût pas été cloué comme homme. Mais comme liniquitéa fait déchoir lhomme de la substance dans laquelle Dieu lavait créé 2 (car liniquité nest pas une nature créée par Dieu mais liniquité est cette perversité que lhomme a faite); voilà que le Fils de Dieu est descendu dans le limon de labîme, et y a été cloué; et comme il était retenu dans leurs iniquités, il nétait point cloué à une substance. « Jai été fixé dans le limon de labîme, et il ny a point de substance. Tout a été fait par lui, et rien na été créé sans lui 3 ». Toutes les natures sont ses oeuvres; liniquité na pas été faite par lui, parce que liniquité nest point une oeuvre. Les substances qui le bénissent ont été faites par lui. Or, toutes les substances qui le bénissent sont mentionnées
1. Gen I, 27. 2. Id. III, 6. 3. Jean, I, 3.
par les trois enfants dans la fournaise; en sorte que lhymne des bénédictions passe des choses terrestres aux choses célestes, ou des choses célestes aux choses terrestres pour arriver à Dieu 1. Non que toutes ces créatures aient lintelligence pour louer Dieu; mais parce que les réflexions que toutes nous inspirent enfantent la louange, et que la contemplation de ces créatures fait jaillir de notre âme une hymne au Créateur, Tout bénit donc Dieu, oui, tout ce qua fait Dieu. Mais dans cette hymne, pourriez-vous remarquer la voix de lavarice? Le serpent lui-même y bénit Dieu , mais non lavarice. Toutes les bêtes qui rampent sont appelées à louer Dieu; oui, toutes les bêtes rampantes sont nommées, mais aucun vice ny est nommé. Car le vice vient de nous, de notre volonté; et le vice nest point une substance. Cest dans les vices que le Seigneur a été embarrassé quand il a souffert la persécution; dans les vices des Juifs, et non dans la substance de lhomme, qui a été faite par lui. « Jai été fixé », dit-il, « dans le limon de labîme, et il ny a nulle substance ». Jai été fixé, et nai point retrouvé ce que javais fait. 6. « Je suis allé en pleine mer , et la tempête ma submergé 2 ». Béni soit celui qui , dans sa miséricorde , est arrivé à la profondeur des mers, et qui a daigné descendre dans les entrailles dun monstre marin ; mais qui en a été rejeté le troisième jour 3. Il est arrivé jusquà la profondeur des mers, profondeur où nous étions engloutis, profondeur où nous avions fait naufrage: cest là quil est venu, et la tempête la englouti : car cest là quil a été le jouet des flots ou plutôt des hommes; ou de ces voix qui disaient : « Crucifiez-le, crucifiez-le », alors que Pilate sécriait: « Je ne trouve aucun motif de le condamner à la mort», et que sélevaient de plus en plus ces clameurs : « Crucifiez-le , crucifiez-le 4 ». La tempête allait croissant jusquà ce quelle eut submergé celui qui était venu en pleine mer. Et le Seigneur endura entre les mains des Juifs, ce quil navait pas souffert en marchant sur la mer 5; et non-seulement ce qui ne lui était point arrivé, mais ce quil navait pas laissé subir à Pierre. « Je suis allé en pleine mer, et la tempête ma submergé ».
1. Dan. III, 24-90. 2. Ps. LXVIII, 3. 3. Matth. XII, 40, 4. Jean, XIX, 6. 5. Matth. XIV, 25.
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7. « Je me suis épuisé à crier; mon gosier en est devenu rauque 1». Où? et quand? Interrogeons lEvangile. Car notre psaume nous fait connaître davance la passion du Sauveur. Nous savons en effet quil a souffert: nous lisons et nous croyons que les eaux pénétrèrent jusquà son âme; nous savons encore que la tempête le submergea,puisque les séditieux eurent le pouvoir de le faire niourir: mais quil se soit fatigué à force de crier, que son gosier en soit devenu rauque, non-seulement nous ne lisons pas cela, mais nous lisons le contraire, puisquil ne répondait point à leurs provocations, afin daccomplir ce qui est dit dans un autre psaume : « Je suis comme un homme qui nentend point et qui na point de réponse en sa bouche 2 »; et cette autre prophétie dIsaïe : « Il a été comme la brebis que lon va égorger, et non plus que lagneau devant celui qui le tond, il na point ouvert sa bouche 3». Or, sil ressemble à lhomme qui nentend point, qui na point de réponse en sa bouche, comment sest-il fatigué à crier, et son gosier en est-il devenu rauque? Ou bien, se taisait-il parce que son gosier était rauque pour avoir tant crié en vain ?Car nous connaissons par un autre psaume cette parole tombée de la croix: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 4?» Mais cette parole fut-elle bien élevée et bien longue pour que le gosier du Sauveur en devînt rauque? Au contraire, longtemps il cria: « Malheur à vous scribes et pharisiens 5 ». Longtemps il cria: « Malheur au monde à cause des scandales 6 ! » Et en effet il criait comme un homme à la voix rauque, aussi ne le comprenait-on point, quand les Juifs demandaient: « Que dit-il? Cest là une parole dure, et qui peut lentendre? Nous ne savons ce quil dit 7». Il prononçait toutes sortes de paroles, mais son gosier était rauque pour eux, et ses paroles nétaient point comprises. « Je me suis épuisé à crier, mon gosier en est devenu rauque ». 8. « Mes yeux se sont lassés à vous attendre, ô mon Dieu 8 ». Loin de nous dappliquer ces paroles à notre chef, loin de nous de croire quils aient cessé despérer en son Dieu, les yeux de celui en qui était Dieu, se réconciliant le monde 9,de celui qui était le Verbe se
1. Ps. LXVIII, 1. 2. Id. XXXVII, 15. 3. Isaïe, LIII, 7. 4. Ps. XXI, 2 5. Matth. XXIII, 13, 14 6. Id. XVIII, 7. 7. Jean, VI, 61, et XVI, 18. 8. Ps. LXVIII, 4. 9. II Cor. V, 19.
faisant chair pour habiter parmi nous 1, en sorte que non-seulement Dieu était en lui, mais quil était Dieu. Tel nest donc point le sens; et les yeux de notre chef nont point cessé despérer en son Dieu; mais ses yeux ont pu faillir dans son corps, cest-à-dire dans ses membres. Telle est donc la voix des membres, la voix dru corps, mais non la voix du chef. Mais comment la retrouvons-nous dans son corps, dans ses membres? Que puis-je vous dire encore? Que vous rappellerai-je? A sa passion, à sa mort, ses disciples nosèrent plus croire quil fût le Christ. Les Apôtres furent dépassés par le voleur qui crut, alors que ceux-ci venaient à défaillir 2, Vois doué ces membres qui désespèrent : vois sentretenant en chemin après la résurrection ces deux disciples, dont lun était Cléophas, et dont les yeux ne pouvaient le reconnaître. Comment leussent-ils connu des yeux, quand leur esprit chancelait à son égard? Il y avait dans leurs yeux un phénomène semblable à celui de leur esprit. Ils parlaient de lui entre eux, et interrogés par lui sur le sujet de leur entretien, ils répondirent : « Etes-vous donc le seul étranger à Jérusalem? Ignorez-vous ce qui sest passé, comment Jésus de Nazareth, puissant en oeuvres et en paroles, a été mis à mort par les anciens et les princes des prêtres ? Pour nous, nous espérions quil délivrerait Israël 3 ».Ils avaient espéré, ils nespéraient plus. Leurs yeux sétaient lassés à espérer dans leur Dieu. Cest donc en leur nom que le Sauveur a dit : « Mes yeux se sont lassés despérer en mon Dieu ». Ce fut cette espérance quil leur rendit, quand il leur fit toucher ses plaies; et après les avoir touchées, Thomas revint à lespérance quil avait perdue, et sécria : « Mon Seigneur, et mon Dieu ». Tes yeux, ô Thomas, se sont lassés despérer en ton Dieu; tu as touché ses plaies, et tu as retrouvé ton Dieu : tu as touché la forme de lesclave, et tu as reconnu ton Seigneur. Toutefois le Seigneur lui dit: « Tu as cru, parce que tu as vu ». Et comme pour nous désigner davance par la voix de sa miséricorde: « Bienheureux », a-t-il ajouté, « ceux qui ne voient point et qui croient » . « Mes yeux se sont lassés despérer en mon Dieu ». 9. « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, tous ceux qui me haïssent
1. Jean, I, 11. 2. Luc, XXIII, 42. 3. Id. XXIV, 13-21. 4. Jean, XX, 28, 29.
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« sans sujet 1 ». Comment multipliés ? Et sadjoignant un des douze 2. « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans sujet ». Cest aux cheveux de sa tête quil compare ses ennemis. Il fut donc bien juste de les raser, quand il fut crucifié au Calvaire 3. Que les membres sappliquent cette parole, et apprennent à subir une haine injuste. Et sil est nécessaire, ô Chrétien, que le monde te haïsse dès aujourdhui, pourquoi ne pas agir de manière à rendre sa haine injuste, afin de reconnaître ta propre voix, dans le corps mystique de ton Seigneur, et dans ce psaume qui le prophétise? Cornaient se pourra-t-il que le monde te haïsse gratuitement? Il le fera si tu ne causes à personne aucun mal qui puisse tattirer cette haine, puisque gratuitement signifie sans sujet. Cest peu que lon te haïsse sans sujet, agis encore de manière que lon te rende le mal pour le bien. « Ils se sont fortifiés coutre moi, ces ennemis qui me poursuivent injustement ». Ce quil a dit dabord : « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête » ; le Psalmiste le répète ici : « Mes ennemis se sont fortifiés contre moi »; et après avoir dit dabord : « Ils me haïssent gratuitement », il répète: « Ils me poursuivent dune manière injuste». Telle est la voix des martyrs, non point dans les tourments quils endurent, mais dans leur cause. Ce nest point dêtre persécuté, ni dêtre saisi, ni flagellé, ni emprisonné, ni proscrit, ni mis à mort,que lon est louable; mais endurer tout cela pour une bonne cause, voilà ce qui honore. Car lhonneur est dans la bonté de la cause, et non dans latrocité de la peine. Quelque grands queussent été les supplices des martyrs, peuvent-ils être égaux aux supplices de tous les voleurs ensemble, de tous les sacrilèges, de tous les scélérats? Ceux-ci nont-ils pas encouru aussi la haine du monde? Oui assurément. La grandeur de leur malice remplit plus que la moitié du monde, et ils sont en quelque sorte bannis de la société même des mondains, car ils troublent même la paix terrestre; et ils sont en butte à des maux nombreux, mais non sans sujet. Voyez encore la plainte de ce larron crucifié avec le Seigneur : quand dautre part un des larrons insultait au Seigneur cloué à la croix, et lui disait : « Si tu es
1. Ps. LXVIII, 5. 2. Matth. XXVI, 14. 3. Id. XXVII, 33.
le Fils de Dieu, délivre-toi », lautre le fit taire en disant : « Tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au même supplice? Pour nous, cest justement que nous sommes châtiés de nos crimes 1». Voilà que ce nest point sans sujet: mais laveu lui fait rejeter ce quil a de corrompu, et il devient apte à prendre la nourriture du Seigneur. lia rejeté son iniquité, il laccuse, et cet aveu len guérit. Voilà donc deux larrons, voilà aussi le Seigneur: ils sont en croix, comme lui-même est en croix: le monde hait les uns, mais non sans sujet; le monde hait lautre, mais gratuitement : « Jai payé ce que je nai point enlevé ». Telle est bien la gratuité. Je nai rien dérobé, et je dédommage; je nai point péché et je subis le châtiment. Celui-là est le seul pour être tel, il na rien dérobé. Non-seulement il na rien dérobé, mais ce quil na point acquis par la rapine, il labandonne, pour venir jusquà nous. « Il na point cru que ce fût une usurpation, pour lui, de ségaler à Dieu : et pourtant il sest anéanti, en prenant la forme dun esclave 2 ». Il na donc rien usurpé. Quel est lusurpateur ? Adam. Quel est le premier usurpateur? Celui qui séduisit Adam 3. Quelle fut lusurpation du diable? « Jétablirai mon trône vers laquilon, et je serai semblable au Très-Haut 4». Il usurpa ce qui ne lui avait pas été donné; cest là un vol. Donc le diable usurpa ce quil navait pas reçu; il perdit ce quil avait reçu; et celui quil voulait tromper, il le fit boire à la coupe de son orgueil: « Goûtez», dit-il, « et vous serez comme des dieux 5 ». Ils voulurent usurper la divinité, ils perdirent le bonheur. Il est donc voleur, de là vient quil subit le châtiment. « Pour moi», dit le Psalmiste, « jai payé ce que je nai point ravi ». Or, le Seigneur, aux approches de sa passion, parle ainsi dans lEvangile : « Voici venir le prince de ce monde », cest-à-dire le diable, « et il ne trouvera rien en moi » ; cest-à-dire, il ne trouvera pas de quoi môter la vie: « mais afin que tous sachent bien que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons dici 6 ». Il sen alla pour souffrir, afin de payer ce quil navait point usurpé. Quest-ce à dire : « Il ne trouvera rien en moi? » Aucune faute. Le diable a-t-il donc perdu quelque chose de son héritage? Quil compte avec
1. Luc, XXIII, 39 - 41. 2. Philip. II, 6, 7. 3. Gen. III, 1 4. Isaïe, XIV, 13. 5. Gen. III, 5. 6. Jean, XIV, 30.
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les voleurs, « il ne trouvera rien en moi ». Toutefois en disant quil na rien usurpé, faisant allusion au péché, il affirme quil na rien pris qui ne fût à lui ; cest là le vol, cest là liniquité; mais il a repris au démon ce que celui-ci avait enlevé. « Personne », dit-il, « nentre dans la maison dun homme fort, et nenlève ce qui lui appartient, sil na dabord garrotté cet homme fort 1 ». Or, il a lié le fort, et lui a enlevé sa dépouille; il ne la point volée, et il peut vous répondre : ces dépouilles avaient été enlevées à mon palais je ne commets pas un vol, je reprends ce qui était volé. 10. « Seigneur, vous connaissez mon imprudence 1». Il parle de nouveau, au nom de son corps. Quelle imprudence, en effet, peut-il y avoir dans le Christ? Nest-il point la Force et la Sagesse de Dieu? Parlerait-il de cette imprudence dont lApôtre a dit: « Ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que les hommes 3? » « Mon imprudence» ,cest-à-dire, ce quont tourné en dérision, contre moi, ceux qui se croyaient sages. Vous savez pourquoi: « Vous connaissez mon imprudence ». Quy a-t-il de plus semblable à limprudence, que de souffrir quon le saisisse, quon le flagelle, quon lui crache au visage, quon lui donne des soufflets, quon le couronne dépines, quon .lattache à la croix, quand il pouvait, dun seul mot, renverser tous ses persécuteurs? Tout cela ressemble à de limprudence, cela paraît de la folie, mais cette folie est supérieure à tous les sages. Cest une folie àla vérité; mais jeter le grain en terre, paraît une folie pour quiconque ignore les usages du laboureur. On ne le sème quavec des fatigues, on le porte dans laire, on le bat, on le vanne; et ce nest quaprès avoir affronté les dangers et les intempéries du ciel, après avoir coûté des travaux, aux campagnards, des soins aux maîtres, que le froment pur est mis dans le grenier. Aux approches de lhiver, on tire du grenier ce froment émondé, et on le jette; cela paraît imprudent; mais lespoir du semeur fait que ce nest pas imprudence. Le Seigneur donc ne sest pas épargné, parce que son Père « ne la point épargné, mais la livré pour nous tous 4». Cest de lui que lApôtre a dit : « Il ma aimé et sest livré lui-même pour moi 5. Car si le grain de froment
1. Matth. XII, 29. 2. Ps. LXVIII, 6. 3. I Cor. I, 25. 4. Rom. VIII, 32. 5. Gal. II, 20.
« ne tombe à terre pour y mourir», comme il la dit lui-même, « il ne rapportera aucun fruit 1». Cest là mon imprudence, et tu la connais. Pour eux, sils leussent connu, ils neussent jamais crucifié le roi de gloire 2. « O Dieu, vous connaissez mon imprudence, et mes fautes ne vous sont point cachées». Il est clair, évident, manifeste, que ces paroles doivent sentendre du corps du Christ; car lui neut aucune faute, il se chargea de celles des autres, mais nen commit aucune. « Et mes fautes ne vous sont point cachées»: cest-à-dire, je vous ai confessé toutes mes fautes, et avant quelles fussent dans ma bouche, vous les avez connues dans ma pensée, vous avez vu les blessures que vous deviez guérir. Mais où? Assurément dans son corps et dans ses membres, dans ses fidèles, doù était venu pour sattacher à lui ce membre, qui faisait laveu de ses fautes, « Et mes péchés», dit-il, « ne vous sont point cachés». 11. « Quils ne rougissent point de moi, u ceux qui espèrent en vous, Seigneur, Dieu « des vertus 3 » Voici de nouveau la voix du chef: « Quils ne rougissent point de moi » ;. quon ne leur dise point : Où est celui qui vous disait: «Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi 4. Quils ne rougissent point à mon sujet, ceux qui espèrent en vous, Seigneur, Dieu des vertus. Quils néprouvent aucune confusion à cause de moi, ceux qui vous cherchent, ô Dieu dIsraël ». Ceci peut sentendre du corps; mais à condition de ne point faire de ce corps un seul homme: car un seul homme ne saurait être son corps, mais seulement un faible membre; tandis que son corps est composé de plusieurs membres. Son corps dans son intégrité, cest lEglise entière. Cest donc avec raison que lEglise tient ce langage: « Quils ne rougissent point à mon sujet, ceux qui espèrent en vous, ô Dieu des vertus ». Que je ne sois plus en butte aux soulèvements des persécuteurs, que je naie pas à lutter contre la jalousie dc mes ennemis, et les aboiements de ces hérétiques sortis de mon sein, mais qui nétaient point de moi : car sils eussent été de moi, ils fussent demeurés avec moi 5. Que leurs scandales ne maccablent point, « de manière quils rougissent de moi, ceux qui espèrent en vous, Seigneur,ô Dieu des vertus ».
1. Jean, XII, 24, 25. 2. I Cor, II, 8. 3. Ps LXVIII, 7. 4. Jean, XIV, 1. 5. I Jean, II, 19.
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« Quils ne soient point couverts de confusion à cause de moi, ceux qui vous cherchent, ô Dieu dIsraël ». 12. « Car cest à cause de vous que jai supporté les opprobres, et que lignominie a couvert mon visage 1». Ce serait peu de dire: « Jai supporté » ; il va plus loin: « Cest pour vous que jai supporté ». Souffrir parce que tu as péché, cest souffrir pour toi, et non pour Dieu. « Quelle gloire vous revient-il », dit saint Pierre, « de souffrir parce que vous êtes châtiés à cause de vos péchés 2?» Mais souffrir parce que tu as gardé le commandement de Dieu, cest là souffrir pour Dieu; et ta récompense tattend dans léternité, parce que cest pour Dieu que tu as souffert loutrage. De là vient quil a souffert le premier, afin de nous apprendre à souffrir. Mais sil a souffert, lui à qui lon ne pouvait faire aucun reproche; à combien plus juste raison devons-nous souffrir, nous à qui notre ennemi peut bien navoir aucune faute à reprocher, mais qui avons en nous une autre cause dun châtiment bien mérité? Un homme tappelle voleur, et tu ne les pas; cest une injure que tu reçois; toutefois tu nes pas tellement innocent quil ny ait en toi rien qui déplaise à Dieu. Or, si celui qui navait absolument rien dérobé, qui a dit en toute vérité : « Voici le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi 3 », a été appelé pécheur, appelé inique, appelé Béelzébub 4, appelé insensé; toi, serviteur, tu ne veux pas entendre, après lavoir mérité, ce que le Seigneur a entendu sans le mériter aucunement? Il est venu pour te donner lexemple, et comme sil leût fait sans motif, tu nen profites daucune sorte. Pourquoi a-t-il entendu ces injures, sinon afin que tu puisses les entendre sans te décourager? Mais les entendre, pour toi, cest labattement : cest donc en vain que le Christ les a entendues, puisquil les entendait pour toi et non pour lui. « Cest donc à cause de vous que jai supporté lopprobre, que lirrévérence a couvert ma face». « Lirrévérence, dit-il, « a couvert mon visage ». Quest-ce que lirrévérence? Ne savoir point rougir. Cest faire un reproche à un homme que dire de lui : Cest un homme irrévérent. Cest pour lhomme un grand défaut que dene savoir plus rougir. Lirrévérence est donc une sorte
1. Ps. LXVIII, 8. 2. I Pierre, II, 20. 3. Jean, IX, 24. 4. Matth. X, 25.
dimpudence. Or, un chrétien doit avoir cette irrévérence, quand il se trouve au milieu des hommes qui naiment point le Christ. Sil rougit du Christ, il sera effacé du livre des vivants. li te. faut donc cette impudence quand on insulte au Christ devant toi : lorsquon tappelle adorateur dun crucifié, sectateur dun supplicié, disciple dun homme puni de mort; rougir alors, cest mourir. Ecoute en effet larrêt de celui qui ne trompe jamais : « Quiconque rougira de moi devant les hommes, à mon tour je rougirai de lui en présence des anges de Dieu 1 ». Veille donc sur toi; aie de limpudence, du front, quand tu entends injurier le Christ; oui, aie du front. Que peux-tu craindre pour ton front, que tu as muni du signe de la croix? Tel est le sens de ces paroles: « Cest à cause de vous que jai supporté linjure, que lirrévérence a couvert mon visage » . « A cause de vous, jai supporté linjure » : et parce que je nai point rougi de vous, quand on minjuriait à cause de vous, « voilà que limpudence a envahi mon visage». 13. « Je suis devenu étranger à mes propres frères, jai été méconnu par les fils de ma mère 2 ». II est devenu étranger pour les fils de la synagogue. Dans sa patrie on disait : « Ne savons-nous pas quil est le fils de Marie et de Joseph 3 ? » Et pourquoi est-il dit à un autre endroit: « Pour celui-là nous ne savons doù il est 4? Je suis donc devenu « étranger aux fils de ma mère ». Ils nont su doù jétais, et leur chair était ma chair : ils ne savaient pas que je suis né de la race dAbraham; cest en lui que mon corps était caché, lorsquil ordonna à son serviteur de mettre sa main sous sa cuisse, et quil jura par le Dieu du ciel 5. « Je suis devenu un étranger pour les fils de ma mère ». Pourquoi? Comment ne mont-ils point connu? Pourquoi mont-ils traité comme un étranger? Comment ont-ils bien osé dire: « Nous ne savons doù il est? Parce que le zèle de votre maison ma dévoré 6» ; cest-à-dire, parce que jai poursuivi en eux leurs iniquités, parce quau lieu de les supporter patiemment je les ai repris, parce que jai cherché votre gloire dans votre maison, que jai frappé du fouet ceux qui commettaient des malversations dans le temple 7 : cest là aussi quil
1. Luc, IX, 26. 2. Ps. LXVIII, 9. 3. Luc, IV, 22. 4. Jean, IX, 29 5. Gen. XXIV, 9. 6. Ps. LXVIII, 10. 7. Jean, IX, 15.
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est dit que « le zèle de votre maison ma dévoré ». De là vient que je suis un hôte, un étranger; de là encore: «Nous ne savons doù il est ». Ils sauraient doù je suis, sils connaissaient vos commandements. Et si je les avais trouvés fidèles à vos préceptes, le zèle de votre maison ne meût point dévoré. « Et les injures de ceux qui vous outragent sont retombées sur moi ». Cest là le passage que citait saint Paul (vous venez de lentendre lire), et il ajoute: « Tout ce qui est écrit, nest écrit que pour nous instruire, et pour nous donner lespérance dans la consolation des saintes Ecritures 1 ». Il attribue donc au Christ cette parole: « Les injures de ceux qui vous outragent sont retombées sur moi ». Pourquoi sur vous? Peut-on outrager le Père, sans outrager le Christ lui-même? Pourquoi « les injures de ceux qui vous outragent, retombent-elles sur moi? », parce que celui qui me connaît, connaît aussi le Père 2 : parce que nul na insulté le Christ, sans insulter Dieu parce que nul ne peut honorer le Père, sinon celui qui honore le Fils 3. « Les injures de ceux qui vous outragent retombent sur moi », parce quelles arrivent jusquà moi. 14. « Jai couvert mon âme du jeûne, et lon men a fait un sujet dopprobre 4 ».Dans un autre psaume déjà, nous vous avons exposé le sens spirituel du jeûne du Christ 5. Pour lui, il y avait jeûne, quand nul ne croyait en lui : il avait faim dâmes qui crussent en lui : il avait soif aussi quand il dit à la Samaritaine : « Jai soif, donnez-moi à boire 6». Or, il avait soif de la foi. Et quand sur la croix il dit aussi : « Jai soif 7 », il désirait la foi de ceux dont il avait dit : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 8 ». Mais quest-ce que les hommes lui ont donné à boire dans sa soif? Du vinaigre. Qui dit aigri, dit aussi vieilli. Ils lont donc abreuvé du vieil homme, en refusant dêtre des hommes nouveaux. Pourquoi nont-ils pas voulu être nouveaux? Parce quils ne sont point de ceux dont le titre du psaume a dit « Pour ceux qui doivent changer». Donc «jai couvert mon âme du jeûne ». Enfin il repoussa le fiel quils lui avaient offert : il aima mieux jeûner que de goûter lamertume. Car ceux qui provoquent laigreur nentrent point
1. Rom. XV, 4. 2. Jean, XIV, 9. 3. Id. V, 23. 4. Ps. LXVIII, 11. 5. Voyez Disc. sur le Ps. XXXIV, Serm. II, n° 4. 6. Jean, IV,7. 7. Id. XIX, 28. 8. Luc, XXIII, 34.
dans son corps mystique, et il a dit deux: « Les âmes à fiel ne sélèveront point en elles-mêmes 1 ». Donc « jai couvert mon âme de jeûne, et lon men a fait un sujet dopprobre ». Ils mont fait un sujet dopprobre, de mon désaccord avec eux, cest-à-dire de ce quils me faisaient jeûner; car nêtre point daccord avec ceux qui persuadent le mal, cest jeûner à son sujet; et ce jeûne attire lopprobre, cest-à-dire linsulte à celui qui ne consent point au mal. 15. « Et le sac a été mon vêtement 2 ».Déjà nous avons quelque peu parlé du sac 3. «Pour moi, quand ils se livraient à la violence contre moi, je me couvrais dun cilice, jhumiliais mon âme dans le jeûne. Le sac a été mon vêtement » : cest-à-dire, jai opposé ma chair à leurs sévices : jai caché ma divinité. « Le sac », parce que le Christ avait une chair mortelle , pour condamner , par le péché, le péché dans la chair 4. « Jai pris un sac pour vêtement: et je suis devenu pour eux une parabole », cest-à-dire un sujet de dérision. On appelle parabole, prendre pour type un homme dont on dit du mal; ainsi par exemple : quil périsse comme un tel, voilà une parabole, ou une comparaison, une ressemblance en fait de malédiction. «Je suis devenu pour eux une parabole». 16. « Ils minsultaient, ceux qui étaient assis sur la porte 5». Ici, « sur la porte ». na dautre signification quen public. « Et ceux qui buvaient du vin, chantaient contre moi ». Pensez-vous, nies frères, que cela ne soit arrivé quau Christ? Chaque jour cela lui arrive dans ses membres : quand parfois un serviteur de Dieu est obligé de défendre ces ivresses, ces débauches, soit dans quelque maison champêtre, soit dans quelque bourgade, où na pas été entendue la parole de Dieu; cest peu dy chanter, on veut encore chanter contre celui qui interdit ces chants. Comparez le jeûne du Christ , avec leurs orgies. « Ils chantaient contre moi, ceux qui buvaient le vin », le vin de lerreur, le vin de limpiété, le vin de lorgueil. 17. « Pour moi, je vous adresse ma prière, ô mon Dieu 6». Pour moi, jétais près de vous. Comment? En vous invoquant. Si lon te maudit, ô Chrétien, et que tu naies rien à
1. Ps. LXV, 7. 2. Id. LXVIII, 12. 3. Voyez Disc. sur le Ps. XXXIV, Serm. II, n° 3. 4. Rom. VIII, 3. 5. Ps. LXVIII, 13. 6. Id.14.
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faire; si lon te jette lopprobre à la face, cl que tu naies aucun moyen de ramener au bien celui qui tinsulte, il ne te reste quà prier. Mais souviens-toi de prier aussi pour lui. « Pour moi, je vous adresse ma prière, ô mon Dieu. Au temps où il vous plaira, Seigneur ». Voilà le grain de froment qui est enfoui, il en sortira un fruit. « Au temps où il vous plaira, Seigneur». Les Prophètes ont fait mention de ce temps, dont lApôtre a dit: « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut 1. Au temps où il vous plaira, dans votre infinie miséricorde». Le temps où il plaît à Dieu est « dans sa miséricorde infinie ». Si cette miséricorde nétait infinie, que ferions-nous dans linfinité de nos fautes? « Dans votre miséricorde infinie, exaucez-moi dans la vérité de votre salut ». Il dit votre vérité, comme il a dit, « votre miséricorde »; car toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 2. Comment miséricorde? En pardonnant les péchés. Comment vérité? En acquittant ses promesses. « Exaucez-moi dans la vérité de votre salut». 18. «Retirez-moi de la fange, afin que je ny demeure point 3 ». Cest de cette fange quil a dit plus haut: « Je suis fixé dans le limon de labîme, et ce nest point une substance ». Après avoir écouté lexplication de ce premier passage, il ne vous reste rien de plus â comprendre ici. Le Christ veut donc être tiré du bourbier où plus haut il se dit enfoncé. «Tirezu moi de cette fange, afin que je ny demeure « point n. Et il explique lui-même : « Queje sois u délivré de ceux qui me haïssent». Ils sont donc le limon qui me submergeait. Mais voici peut-être une réflexion qui nous est suggérée. Tout à lheure il disait: «Jai été fixé », maintenant il dit : « Tirez-moi de cette fange, afin que je ny demeure point »; tandis que, selon le premier sens, il devrait dire : Sauvez-moi, en me tirant de cette fange qui marrêtait, et non en mempêchant de my arrêter. Il y était donc resté dune manière corporelle, et non selon lesprit. Il parle ainsi en se conformant à linfirmité de ses membres. Lorsque tues saisi par celui qui te pousse au péché, ton corps est tenu en réalité, tu es alors enfoncé dans le limon de labîme, dune manière corporelle; mais tant que tu ny as pas consenti, tu ny demeures point; tu y
1. II Cor. VI, 2. 2. Ps. XXIV, 10. 3. Id. LXVIII, 15, 4. Id. 3.
demeures au contraire, si tu y consens. Cest donc à toi de prier, afin que ton âme ne soit point retenue comme ton corps, et que tu sois libre dans les chaînes. « Délivrez-moi de ceux qui me haïssent, délivrez-moi du sein de labîme ». 19. « Que le tourbillon des eaux ne me submerge point 1». Mais déjà il était submergé. Cest vous qui avez dit: « Je suis jeté en pleine mer » ; et encore : « La tempête ma submergé ». La tempête a submergé son corps, mais quelle ne submerge pas mon esprit, Quand il est dit: « Si lon vous poursuit dans une cité, fuyez dans une autre 2 »; cela signifie que ceux-là ne devaient y demeurer ni selon le corps, ni selon lesprit. Il nest pas à désirer pour nous dy être embarrassé, même dune manière corporelle; et nous devons léviter autant que possible. Quelque peu que nous y demeurions, nous sommes alors tombés entre les mains des méchants, notre corps y est embarrassé, et. dès lors nous sommes fixés dans le limon de labîme; il nous reste à prier pour notre âme, afin quelle ny demeure pointa cest-à-dire que nous ny consentions point, et que les vagues ne nous submergent point, de manière à nous plonger dans les profondeurs de la vase. « Que le gouffre ne mengloutisse point, que le puits de labîme ne se referme point sur moi ».Quest-ce àdire, mes frères? Que demande le Prophète? Il est profond, labîme de liniquité humaine; quiconque sy laisse tomber, tombe dans un gouffre insondable. Mais si de ces profondeurs il confesse à Dieu ses péchés, le puits ne se refermera point sur lui; cest ce quexprime ainsi un autre psaume: « Du fond de labîme, jai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur, écoutez ma voix 3 ». Mais sil lui arrive ce qui est dit dans une autre sentence des Ecritures: « Quand limpie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 4 »; alors le puits se referme sur lui. Pourquoi se ferme-t-il? Parce que lui-même a fermé la bouche. Voilà ce pécheur qui ne fait point daveu; il est vraiment mort, et alors saccomplit en lui ce qui est dit ailleurs: « Un mort ne confesse pas plus le Seigneur que sil nétait pas 5 ». Voilà, mes frères, ce que nous devons craindre par-dessus tout. Si tu vois un homme tombé
1. Ps. LX, VIII, 16. 2. Matth. X, 23. 3. Ps. CXXIX. 1, 2. 4. Prov. LVIII, 3. 5. Eccli. XVII, 26.
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dans liniquité, il est plongé dans le gouffre; mais si tu lui énumères ses fautes, et quil réponde : Jai péché, je lavoue, le puits ne se referme pas sur lui; mais si tu lentends dire: Quel mal ai-je fait? il prend alors la défense de ses fautes; labîme se referme sur lui, et il ny a nulle issue pour en sortir. Sans laveu, il ny a point de place pour la miséricorde. Tu te fais le défenseur de ton péché, comment Dieu peut-il ten délivrer? Pour que Dieu soit ton libérateur, sois toi-même ton accusateur,
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME LXVIII.DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST (SUITE).
Labîme se referme sur nous par le refus de laveu de nos fautes. Dieu vent que lon fasse appel à sa bonté, et même quand il permet laffliction, il agit avec miséricorde. Hâtez-vous de me secourir, non-seulement dune manière spirituelle et dans mon âme, mais dune manière ostensible, afin que mes ennemis puissent profiter de ma délivrance, comme la délivrance des enfants de la fournaise convertit Nabuchodonosor. Vous savez ce que lon nous reproche. Mon coeur na trouvé personne qui saffligeât avec lui sur les hommes qui se perdent. Les fidèles composent la nourriture du Seigneur, les hommes y jettent le fiel des contradictions et de lhérésie, et le Seigneur refuse den boire, parce que ces hommes nentrent point dans son Eglise. Par un juste châtiment de Dieu ils doivent trouver un piége dans ce qui est visible, être courbés vers les biens de cette vie, être en butte le la haine, et laisser désertes leurs habitations. Sils ont aidé à laccomplissement des desseins de Dieu, cest par leur malice. Les Juifs ont persécuté celui qui voulait expier nos fautes: en voulant tuer un juste, ils ont encore tué un Dieu ; ils ne doivent point lire leur nom sur le livre de vie. Le pauvre et laffligé trouveront le soulagement dans la face de Dieu, ou dans le bonheur de lautre vie. Ils béniront Dieu, cest là le vrai sacrifice. Nous qui sommes captifs, nous entrerons dans la cité de la délivrance, si nous servons Dieu par amour pour sa gloire
1. Il nous reste à vous expliquer aujourdhui, mes frères, la seconde partie du psaume, dont nous avons entretenu hier votre piété. Je vois quil me faut acquitter ma dette, si toutefois la longueur du psaume ne me laisse pas encore aujourdhui votre débiteur. Je vous en préviens davance , et vous supplie de ne pas attendre de moi de longues discussions sur les passages qui sont clairs par eux-mêmes. De cette manière nous pourrons au besoin nous arrêter sur les endroits obscurs, et peut-être acquitter notre dette; et ainsi de jour en jour, vous payer à mesure que nous deviendrons débiteur. Voyons donc la suite du psaume, après ce verset: « Que labîme ne se referme point sur moi 1 » Hier, nous avons insisté auprès de votre charité, en vous suppliant dapporter toute lattention de votre âme, toute la ferveur de votre piété pour écarter de nous cette malédiction, Car labîme, ou le gouffre de liniquité se ferme sur lhomme qui, non-seulement
1. Ps. LXVIII, 16
est plongé dans le péché, mais qui se ferme lissue même de la confession. Quand cet homme en vient à dire: Je suis pécheur; labîme sillumine dun rayon de lumière dans ses profondeurs. Le psaume continue donc par les lamentations de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans ses tourments, de Jésus-Christ dans le chef et dans les membres. Comme nous vous lavons dit : en certains endroits il faut discerner les paroles du Chef; mais les paroles qui ne peuvent convenir au Chef, il faut les attribuer aux membres. Le Christ parle comme sil était seul; car il est bien seul, celui dont il est dit : « Ils seront deux dans une même chair 1 ». Sil ny a quune seule chair, pourquoi sétonner quif ny ait quune seule voix? Voici donc la suite: « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre « miséricorde est pleine de bonté 2 ». Il nous exprime pour quel motif il doit être exaucé: la divine miséricorde est pleine de bonté. Nétait-il pas plus conséquent de dire:
1. Gen. II, 24, et Ephés. V, 31. 2. Ps. LXVIII, 17.
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Exaucez-moi, Seigneur, afin quil y ait de la bonté dans votre miséricorde? Pourquoi dire: « Exaucez-moi, parce que votre miséricorde est pleine de bonté ? » Quand il était dans la tribulation, il a parlé de la miséricorde en termes quelque peu différents, puisquil disait : « Exaucez-moi, Seigneur, parce que je suis dans la peine ». Dire alors : « Exaucez-moi , parce que je suis dans la peine », cest exprimer le motif pour lequel il veut être exaucé: mais pour un homme qui est dans laffliction, il faut que la divine miséricorde soit pleine de bonté. A propos de cette bonté dans la miséricorde du Seigneur, écoutez cette autre parole de lEcriture « Comme la pluie au temps de la sécheresse, ainsi est admirable la miséricorde de Dieu au temps de la tribulation 1». Ce quil appelle admirable dans un endroit, il lappelle dans lautre pleine de bonté. Donc, quand le Seigneur permet ou fait que nous soyons dans quelque tribulation, même alors il agit avec miséricorde : car sans nous soustraire alors la nourriture, il en stimule le désir. Aussi que dit il maintenant? « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est pleine de bonté ». Je vous en supplie, ne différez pas de mentendre; telle est laffliction qui maccable, que votre miséricorde me sera douce. Vous navez différé de me secoùrir, que pour me faire apprécier la douceur de votre secours: il ny a donc plus lieu de différer: la tribulation sest élevée pour moi au comble du malheur; que votre miséricorde vienne y apposer loeuvre de la bouté. « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est pleine de bonté. Jetez les yeux sur moi, selon létendue de votre compassion »; et non selon le grand nombre de mes fautes. 2. « Ne détournez pas votre visage de votre serviteur 1 ». Or, cette expression « de votre serviteur », ou de celui qui est petit, est un acte dhumilité; parce que dans lépreuve de la tribulation je nai pas eu lorgueil : « Ne détournez pas votre face de votre serviteur». Telle est ladmirable miséricorde de Dieu que le Prophète chantait plus haut. Car dans le verset suivant il explique ce quil a dit : « Je suis dans la tribulation, hâtez-vous de me secourir». Quest-ce à dire: « Hâtez-vous? » Ne différez pas davantage : la tribulation
1. Eccli. XXXV, 26. 2. Ps. LXVIII, 18.
maccable; les malheurs sont venus sur moi, que votre miséricorde les suive. 3. « Veillez sur mon âme et rachetez-la 1 ». Cela na pas besoin dexplication : voyons ce qui suit. « Délivrez-moi à cause de mes ennemis ». Voilà une prière que nous devons admirer, quil ne faut pas effleurer légèrement, ni négliger en courant; il faut ladmirer : « Délivrez-moi, à cause de mes ennemis ». Quest-ce à dire : « A cause de mes ennemis, délivrez-moi? » Afin que ma délivrance les confonde, les tourmente. Quoi donc ! si nul ne devait souffrir de ma délivrance, ne faudrait-il pas me secourir? Eh ! la délivrance nest-elle si agréable pour toi, que quand elle devient la damnation dun autre? Voilà quil ny a aucun ennemi, que ta délivrance doive couvrir de confusion ou tourmenter; en demeureras-tu là? Ne voudras-tu pas être délivré? Ou bien, tes ennemis doivent-ils profiter de ta délivrance, au point de pouvoir se convertir? Mais ce qui doit nous étonner, cest que le Prophète ait ainsi motivé sa prière. Est-ce quun serviteur de Dieu nest délivré par le Seigneur son Dieu, que pour le progrès des autres? Mais alors, si nul nen devait profiter, ce serviteur de Dieu ne serait-il donc point délivré? A quelque point de vue que jenvisage soit le châtiment, soit ta délivrance des ennemis, je ne vois point le motif de cette prière: « Délivrez-moi, à cause de mes ennemis »; à moins dentendre par là un autre motif, et quand je vous laurai exposé, avec le secours de Dieu, chacun de vous en jugera selon lesprit qui habite en lui. Il y a pour les saints une certaine délivrance occulte : elle a lieu pour eux. Il en est une autre, publique et évidente: elle a lieu à cause de leurs ennemis, que Dieu veut punir ou délivrer. A la vérité Dieu na pas délivré des violences de la persécution ces frères : « Macchabées 2, dont Antiochus, dans sa fureur, il fit venir la mère, afin que ses caresses rappelassent ses enfants à lamour de la vie, et quen cherchant à vivre pour les hommes ils mourussent devant Dieu. Mais cette mère, différente dEve et semblable à lEglise, vit mourir avec joie, afin de les retrouver vivants, ceux quelle avait enfantés avec douleur; elle les exhortait à choisir la mort pour les lois de la patrie et du Seigneur leur Dieu, plutôt que de vivre en les méprisant. Que
1. Ps. LXVII, 19. 2. II Machab. VII.
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devons-nous croire ici, mes frères, sinon quils furent délivrés? Mais leur délivrance fut occulte : enfin Antiochus lui-même, qui les fit mettre à mort, crut avoir fait ce que sa cruauté lui dictait, ou plutôt lui imposait. Mais ce fut dune manière évidente que les trois enfants furent délivrés des flammes de la fournaise 1 ; puisque leurs corps en furent retirés, et que lon vit quils étaient sains et saufs. Les uns donc furent couronnés dune manière invisible, les autres délivrés au grand jour : tous néanmoins furent sauvés. Quel fruit ces trois enfants tirèrent-ils de leur délivrance? pourquoi leur couronnement fut-il différé? Nabuchodonosor lui-même se convertit à leur Dieu; il prêcha ce Dieu qui avait délivré ses serviteurs, ce même prince qui lavait méprisé en jetant les jeunes hommes dans la fournaise. Il y a donc une délivrance occulte, et une délivrance évidente. La délivrance occulte est pour lâme, tandis que la délivrance évidente est pour le corps : lâme est délivrée secrètement, le corps lest ostensiblement. Si donc il en est ainsi, reconnaissons la voix du Seigneur dans ce psaume: ce quil nous a dit plus haut: « Veillez sur mon âme et délivrez-la », sentend de la délivrance invisible. Reste alors à délivrer le corps: et en effet, à la résurrection du Sauveur, et quand il monta aux cieux, quand il envoya den haut lEsprit-Saint 2, ceux qui lavaient mis à mort embrassèrent la foi, et dennemis quils étaient devinrent ses amis, par leffet de la grâce, et non par leur propre justice. Cest pourquoi le Prophète poursuit : « Délivrez-moi à cause de mes ennemis. Veillez sur mon âme », mais secrètement : « A cause de mes ennemis, délivrez » aussi mon corps. Car il ne servirait de rien à mes ennemis que vous eussiez seulement délivré mon âme : ils croiront quils ont fait quelque chose, quils ont atteint leur but. Quest-il besoin de répandre mon sang, si je dois passer par la corruption 3? Donc « veillez sur mon âme et délivrez-la », car vous seul le savez : ensuite, « à cause de mes ennemis, délivrez-moi », afin que ma chair ne voie point la corruption. 4. « Vous connaissez mes opprobres, et ma confusion et ma honte 4 ». Quest-ce que lopprobre? la confusion? la honte?
1. Dan. III, 49. 2. Act. I, 9, et II, 4 3. Ps. XXIX, 10. 4. Id. LXVIII, 20.
On appelle opprobre ce que nous reproche un ennemi. La confusion est le reproche qui aiguillonne notre conscience. La honte est la rougeur quamène sur un front innocent la fausse accusation dun crime. Le crime nexiste pas, ou sil existe, il nest point le fait de celui à qui on le reproche; mais à cause de la faiblesse de lâme humaine, souvent nous rougissons même quand on nous impute faussement un crime; non point parce quon nous lobjecte, mais parce quon le croit. Tout cela se rencontre dans le corps mystique du Seigneur. Car en lui, il ne pouvait y avoir de honte, puisquil ny avait pas de crime. Toutefois on reprochait aux chrétiens le fait même dêtre chrétiens. Cétait une gloire; les âmes fortes lentendaient volontiers, et lentendaient de manière à ne pas rougir du nom du Seigneur. Une certaine impudence avait envahi leur visage, ils avaient le front de Paul qui sécriait: «Je ne rougis pas de lEvangile, car il est la vertu de Dieu pour eu sauver ceux qui croiront ». O Paul, nes-tu pas, toi aussi, adorateur dun crucifié? Cest peu pour moi, répond-il, de nen pas rougir; mais ma gloire unique est où mon ennemi voit une honte pour moi. « Loin de moi de me glorifier, sinon en la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 2». Contre un tel front lon ne pouvait jeter que lopprobre. Car il ne pouvait-y avoir de confusion pour sa conscience déjà guérie, ni de honte pour son visage. Mais quand on vint reprocher à quelques-uns davoir tué le Christ, ils furent justement aiguillonnés par leur mauvaise conscience; une confusion salutaire les convertit, en sorte quils purent sécrier: « Vous avez connu ma confusion 3 ». Vous donc, Seigneur, connaissez non-seulement mon opprobre, mais aussi ma confusion, et chez plusieurs ma honte; ils croient en moi à la vérité, mais ils rougissent de me confesser publiquement et devant les hommes; la langue humaine a sur eux plus de force que la promesse divine. Voyez donc ces hommes: ce sont eux que lon recommande à la bonté de Dieu, non plus afin quil les abandonne en cet état, mais afin quil les soutienne de son secours. Un homme qui croyait, mais qui craignait encore, a dit en effet : « Je crois, Seigneur, mais aidez mon incrédulité 4.
1. Rom. I, 16. 2. Gal. VI, 14. 3. Ps. CXXXIII, 2. 4. Marc, IX,23.
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« Tous ceux qui me persécutent sont en votre eu présence ». Si donc jessuie un opprobre, vous savez pourquoi; une confusion, vous savez pourquoi; une honte, vous savez encore pourquoi; délivrez-moi donc, à cause de mes ennemis, parce que vous connaissez tout cela, mais eux ne le connaissent point; et comme ils sont devant vous sans connaître cela, ils nont pu ni éprouver de la honte, ni se corriger, si vous ne me délivrez en considération de mes ennemis. 5. « Mon coeur a attendu loutrage et la misère 2». Quest-ce à dire « A attendu? » Il a prévu quil en serait ainsi, il la prédit. Lavènement du Christ navait point dautre but. Sil neût voulu mourir, il neût point voulu naître; cest en vue de sa résurrection quil a fait lun et lautre. Il y avait en effet dans le genre humain deux choses fort connues, une troisième était ignorée. Les hommes connaissaient la naissance et la mort, mais nous ne savions ressusciter ni vivre éternellement. Or, pour nous apprendre ce que nous ne savions point encore, Dieu a voulu passer par deux phases bien connues. Cest donc pour cela quil est venu. « Mon coeur a attendu loutrage et la misère ». Mais de qui est cette misère? Il a attendu la misère, mais cest plutôt la misère de ceux qui le crucifiaient, qui le persécutaient; en sorte quil y avait la misère chez eux, et chez lui miséricorde. Car il prenait en pitié leur misère, quand sur la croix il sécriait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 3. Mon coeur a attendu loutrage et la misère : jai attendu quelquun qui saffligeât avec moi, et nul ne sest rencontré ». De quoi donc ma-t-il servi dattendre? cest-à-dire de quoi ma-t-il servi de prophétiser? de quoi ma servi de prêcher que je venais pour cela? Voilà que saccomplit ce que jai dit : « Jai attendu que lon saffligeât avec moi, et nul ne sest rencontré; jai espéré un consolateur, et nen ai point trouvé »; cest-à-dire, nul ne sest rencontré. Cette parole du verset précédent: « Jai attendu quelquun qui saffligeât avec moi » ; il la répète au verset suivant : « Jai espéré un consolateur». Ce quil a dit encore plus haut : « Et nul ne sest rencontré » ; il le répète ici : « Et nen ai point trouvé». Il ny a donc rien dajouté, cest la première pensée quil répète. Mais en
1. Ps. LXVIII, 21. 2. Id. 3. Luc, XXIII, 34. 4. Ps. LXVIII, 21.
examinant de près cette pensée, on peut soulever quelques questions. Ses disciples ne furent-ils donc point dans laffliction quand il fut conduit pour être supplicié, quand il fut cloué à la croix, quand il mourut? Leur tristesse fut si grande quils en pleuraient encore, quand Marie Madeleine, qui le vit la première, vint alors leur raconter ce quelle avait vu 1. Cest lEvangile qui nous le rapporte; ce nest point de notre part une parole hasardée, ce nest point un soupçon. Il est constant que les disciples en furent dans la tristesse, dans les larmes. Des femmes qui lui étaient étrangères pleuraient quand on le conduisait au supplice, et se tournant de leur côté, il leur dit : « Pleurez, mais sur vous, et non sur moi 2 ». Comment donc attendit-il sans le trouver quelquun qui saffligeât avec lui? Nous regardons, et nous voyons de la tristesse, des pleurs, des lamentations; et de là vient que cette parole nous étonne : « Jai attendu que lon saffligeât avec moi, et nul ne sest rencontré; que lon me consolât, et je nai trouvé personne ». Toutefois, avec plus dattention, nous verrons quil a attendu que lon saffligeât avec lui, sans trouver personne. Les disciples étaient pris dune tristesse charnelle, au sujet de cette vie périssable, quil devait échanger contre la mort et recouvrer par la résurrection; tel était le sujet de leur tristesse. Ils devaient sattrister au contraire au sujet de ces aveugles qui avaient tué le médecin, de ces infortunés qui, dans la fougue de leur démence, insultaient celui qui leur apportait le salut. Lui voulait les guérir, eux voulurent le tuer; de là cette tristesse du médecin. Or, vois sil y eut quelquun pour saffliger avec lui. Il ne dit pas en effet : Jai attendu que lon saffligeât , et nul ne sest rencontré ; mais « que lon saffligeât avec moi », cest-à-dire pour le même sujet qui maffligeait moi-même, « et je nai trouvé personne ». Pierre laimait assurément beaucoup, lui qui, sans hésiter, se précipita pour marcher sur les flots, et fut délivré à la parole du Seigneur 3: lui qui, dans son amour, le suivit audacieusement quand on le conduisait à la mort, et pourtant le renia trois fois dans son trouble. Pourquoi? sinon parce quil voyait un mal dans la mort? Car il évitait ce quil croyait
1. Jean, XX, 18, et Marc. XVI, 9 2. Luc, XXIII, 24. 3. Matth. 29, 31.
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un mal. Il gémissait de voir dans le Seigneur ce que lui-même voulait éviter. Aussi avait-il dit auparavant: « A Dieu ne plaise, Seigneur! veillez sur vous, il nen sera pas ainsi » : quand il mérita dêtre appelé « Satan », après sêtre entendu dire : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean 1 ». Donc nul ne partageait cette tristesse au sujet de ceux pour lesquels Jésus disait: «Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce quils font. Jai attendu que lon saffligeât avec moi, et nul ne la fait». Non, il ne sest trouvé personne. «Jai cherché eu des consolateurs et nen ai point trouvé ». Quels sont ces consolateurs? Ceux qui avancent dans la vertu. Car ce sont eux qui nous consolent, telle est la consolation pour les prédicateurs de la vérité. 6. « Ils mont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif mont abreuvé de vinaigre 2 ». Ceci sest accompli à la lettre, ainsi que nous le voyons dans lEvangile. Mais, remarquons-le bien, mes frères, ne pas trouver de consolateurs, ne trouver personne qui saffligeât avec moi, voilà ce qui était pour moi du fiel, voilà pour moi lamertume, voilà le vinaigre; il mélait amer à cause de ma douleur, cétait le vinaigre, parce quil avait vieilli. Nous lisons à la vérité, comme le raconte lEvangile 3, quon lui offrit du fiel; mais pour breuvage, et non pour nourriture. Toutefois ce qui était prédit ici sest accompli à la lettre, et cest dans ce sens quil faut entendre : « Ils mont donné du fiel pour nourriture » ; et non-seulement dans cette parole, mais dans ce fait même nous devons rechercher un mystère, percer lobscurité, entrer dans le temple par la déchirure du voile, et voir une figure ou dans la manière de prédire, ou dans la manière dont le fait sest accompli. « Il mont donné du fiel pour nourriture», dit le Prophète. Ce quils mont présenté nétait point une nourriture, cétait plutôt un breuvage; mais, ils lont donné pour nourriture » : le Seigneur en effet avait déjà pris une nourriture, et elle fut arrosée de fiel. Il avait pris une nourriture agréable, en mangeant la Pâque avec ses disciples : ce fut là quil établit le sacrement de son corps 4. Or, sur cette nourriture si agréable, si douce, de lunité du Christ que lApôtre nous signale dans ces paroles
1. Matth. XVI, 17, 22, 23. 2. Ps. LXVIII, 22. 3. Matth. XXVII, 34. 4. Luc, XXII, 19.
« Nous sommes tous un seul pain, un seul corps 1» ; sur cette nourriture, qui vient jeter le fiel, sinon les contradicteurs de lEvangile, semblables aux persécuteurs du Christ? Car iI y eut moins de crime pour les Juifs de le crucifier quand il était sur la terre, quil ny en a pour ceux qui le méprisent dans le ciel. Ce que firent donc les Juifs en lui jetant un breuvage amer sur la nourriture quil avait prise, ceux-là le renouvellent qui, par une vie criminelle, apportent le scandale dans lEglise : voilà ce que font les hérétiques en corrompant la doctrine. Or, quils ne sélèvent point en eux-mêmes 2; eux qui apportent le fiel sur des mets si délicats. Mais que fait le Seigneur? Il ne les admet point parmi ses membres. Voilà ce que figurait le Seigneur quand il goûta le fiel quon lui présentait, et quil nen voulut point boire 3. Ne rien endurer de leur part, ce serait ne rien goûter ; mais comme il faut les endurer, il faut aussi goûter du fiel. Et comme ces gens ne peuvent compter parmi les membres du Christ, lui les goûte seulement, mais eux nentrent point dans son corps. « Voilà quils mont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils mont abreuvé de vinaigre ». Javais soif, et lon ma donné du vinaigre : cest-à-dire, je désirais deux la foi, et je nai trouvé que le vieil homme. 7. « Que leur table soit un piège devant eux 4 ». Ils mont tendu un piège, en me présentant un pareil breuvage, quils trouvent un semblable piége. Mais pourquoi devant eux? » Il suffirait de dire : « Que eu leur table soit un piège » Il y a des hommes qui connaissent leurs iniquités, et qui néanmoins y persévèrent avec une singulière obstination : leur piège est alors devant eux. Ils conjurent leur propre perte, et descendent vivants dans lenfer 5 . Enfin, quest-il dit à propos des persécuteurs? « Si le Seigneur neût été avec nous, ils nous eussent peut-être engloutis tout vivants 6 ». Quest-ce à dire « vivants? » Cest-à-dire, que nous eussions consenti à leurs desseins, bien que nous sussions que nous ny devions point consentir. Le piège est donc devant eux, et ils ne se corrigent point. Ou bien le piège est-il sous leurs yeux, afin quils ne tombent point? Voilà quils connaissent le piège, et ils y mettent le
1. I Cor. 1,17. 2. Ps. LXV. 7. 3. Matth. XXVII, 34. 4. Ps. LXVIII, 23. 5. Id. LIV, 14. 6. Id. CXXIII, 2, 3.
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pied, et ils baissent le cou qui va être enlacé. Combien il eût été mieux déviter le piège, de connaître le péché, de condamner son erreur, de sépargner lamertume, dentrer dans le corps du Christ, et de chercher la gloire de Dieu ! Mais, telle est la présomption de leur esprit, que le piège est sous leurs yeux, et que néanmoins ils y tombent. « Que leurs yeux soient obscurcis, afin quils ne voient point 1 », dit ensuite le Prophète : afin que sils ont vu sans motif, il leur arrive de ne point voir du tout. « Que leur table donc soit devant eux comme un piège ». « Quelle devienne un piège devant eux », ce nest point là un souhait, mais une prophétie : il nappelle point ce malheur, il le prédit, Cest une réflexion que souvent nous avons faite, et il vous en souvient; il ne faut pas voir une imprécation malveillante, dans une parole prophétique, inspirée par lEsprit de Dieu. Que cela donc arrive, puisquil est impossible que ces événements narrivent point. Et quand nous voyons lEsprit de Dieu prédire aux méchants de semblables malheurs, sachons les comprendre de manière à les éviter pour nous. Car il nous est utile de le comprendre, et de tirer ce profit de nos ennemis. « Que leur table soit donc pour eux aussi une représaille et une pierre dachoppement». Est-ce là une injustice? Non, cest une justice. Pourquoi? Parce que cest une représaille. Rien ne peut leur arriver qui ne leur soit dû. Cest donc une représaille contre eux, une pierre de scandale; parce quils sont pour eux-mêmes un scandale. 8. « Que leurs yeux sobscurcissent afin eu quils ne voient point, tenez leur dos toujours incliné ». Telle est la conséquence. Dès lors que leurs yeux sont obscurcis de peur quils ne voient, il est de rigueur que leur dos soit toujours courbé. Doù vient cela? Cest quaprès avoir cessé de connaître les choses den haut, leurs pensées ont dû soccuper des choses de la terre. Celui-là na point le dos courbé, qui sait comprendre Les coeurs en haut. Car il se dresse pour attendre lespérance qui nous est réservée dans le ciel, surtout sil y envoie ce trésor qui doit suivre son coeur 2. Mais ceux qui ne comprennent point lespérance dune vie future, sont aveuglés déjà, et soccupent des choses dici-bas : cest avoir le dos courbé. Telle est
1. Ps. LXVIII, 24. 2. Matth. VI, 21.
la maladie dont le Seigneur guérit cette femme de 1Evangile, que Satan avait enchaînée depuis dix-huit ans, qui était courbée et que redressa le Sauveur. Comme il avait opéré cette guérison le jour du sabbat, les Juifs en furent scandalisés il était bien juste que ces hommes courbés 1 se scandalisassent de la voir redressée : « Tenez leur dos sans cesse incliné », 9. « Versez sur eux votre colère, et que le feu de votre indignation les atteigne 2 ». Tout cela est clair : toutefois lexpression « les eu atteigne » semble dire quils fuiront. Mais où fuiront-ils? Dans le ciel ?Vous y êtes, Seigneur. Dans les enfers? Vous y êtes présent 3. Ils ne veulent point prendre leurs ailes pour voler directement : « Que le feu de votre colère les atteigne», et ne leur permette point de senfuir. 10. « Que leur habitation devienne déserte 4 ». Voilà ce qui est manifeste. De même quil ne demandait pas seulement une délivrance occulte, quand il disait : « Veillez sur mon âme et délivrez-la », mais quil la voulait dune évidence corporelle, quand il ajoutait: « Délivrez-moi à cause de mes ennemis » : de même ici, il prédit à ses ennemis quelques-unes de ces calamités obscures dont il parlait tout à lheure. Combien, en effet, voit-on dhommes pour comprendre le malheur de celui dont le coeur est aveuglé? Quil vienne à perdre les yeux du corps, chacun plaint son infortune : quil perde les yeux de lesprit, tout en demeurant dans labondance de tout bien, on vante son bonheur; mais ceux-là seulement qui sont aveuglés comme lui. Quelle évidence faut-il donc, pour que chacun voie la vengeance exercée contre eux? Car laveuglement des Juifs est une vengeance cachée : quelle sera la vengeance manifeste? « Que leur habitation soit déserte, et que nul nhabite sous leurs tentes ». Voilà ce qui est arrivé pour la ville de Jérusalem, dans laquelle on vit les principaux crier contre le Fils de Dieu : « Crucifiez-le, crucifiez-le 5 » ; et prévaloir sur lui, puisquils eurent le pouvoir de mettre à mort celui qui avait ressuscité les morts. Combien alors ils se crurent et grands et puissants ! Vinrent ensuite les représailles du Seigneur; la ville fut prise dassaut, les Juifs vaincus, et combien de milliers
1. Luc, XIII, 16. 2. Ps. LXVIII, 25. 3. Id. CXXXVIII, 8. 4. Id, XVIII, 26, et Act. 1, 20. 5. Jean, XIX, 6.
dhommes égorgés! Aujourdhui aucun juif ny peut retourner. Le Seigneur ne leur permet point dhabiter ces mêmes lieux où ils purent crier si fort contre lui. Ils ont perdu ce séjour de leur démence, et puissent-ils connaître, même aujourdhui, le lieu de leur repos! Quel bien leur a fait Caïphe en sécriant: « Si nous le laissons ainsi, les Romains viendront et nous extermineront, nous et notre ville 1? » Ils ne lont point laissé vivre et pourtant il vit ; et les Romains leur ont enlevé et la ville et la puissance. Tout à lheure, à la lecture de lEvangile, nous entendions ces paroles : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois jai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu nas pas voulu? Voilà que votre habitation deviendra déserte 2 ». Cest là ce qui est dit ici : « Que leur habitation soit déserte et que nul nhabite sous leur tente. Que nul ny habite », mais nul dentre eux. Car ces mêmes lieux sont habités par beaucoup dhommes, mais par aucun juif. 11. Pourquoi? « Parce quils ont persécuté celui que vous avez frappé, et ils ont eu ajouté à la douleur de mes blessures 3». Comment donc ont-ils péché en poursuivant celui que Dieu lui-même avait frappé? De quoi pouvons-nous incriminer leurs intentions? de malice. Car ce qui sest accompli à propos du Christ était nécessaire. Il était venu pour souffrir à la vérité,et néanmoins il a puni ceux qui lont fait souffrir. Judas qui la trahi a été châtié, et le Christ a été crucifié : mais il nous a rachetés de son sang, et il a puni Judas du prix quil en avait reçu. Ce misérable rejeta, en effet, cet argent au prix duquel il avait vendu le Seigneur, et il ne connut point le prix auquel le Seigneur lavait racheté 4. Voilà ce qui arriva à Judas. Mais comme nous voyons quen toutes choses le Seigneur mesure ses représailles, et quil ne laisse personne dépasser dans sa violence le pouvoir qui lui a été donné; comment ceux-ci purent-ils ajouter quelque chose, ou comment le Seigneur fut-il frappé? Evidemment, il parle ici au nom de ceux qui lui forment un corps, doù lui est venue sa chair, cest-à-dire du genre humain, de cet Adam qui, le premier, fut frappé de mort à cause de son péché 5. Cest donc une peine pour les
1. Jean, XI, 48. 2. Matth. XXIII, 37, 38. 3. Ps, LXVIII, 27. 4. Matth. XXVII, 5. 5. Gen. III, 19.
hommes de naître mortels : et quiconque persécute les hommes, ajoute à cette peine. Lhomme serait-il donc condamné à mourir, si Dieu ne leût frappé? Pourquoi donc, ô homme, sévir encore contre lui? Est-ce peu, pour lhomme, dêtre condamné à mourir un jour? Chacun de nous porte donc sa peine : et cest ajouter à cette peine que vouloir nous persécuter. Cette peine, Dieu nous la infligée. Car le Seigneur prononça contre lhomme cette sentence : « Au jour où vous en toucherez», dit-il, «vous mourrez 1 ». Cest dans cette mort quil avait pris une chair, et notre vieil homme a été crucifié avec lui 2. Cest donc au nom de cet homme quil dit: « Ils ont persécuté celui que vous avez frappé, et ils ont ajouté à la douleur de mes plaies». A quelle douleur de mes plaies? A la douleur de mes péchés; car ce sont ses péchés quil appelle des plaies. Ici, sans vous arrêter au chef, voyez les membres; cest en leur nom que lui-même a parlé dans cet autre psaume, où il élève la voix, puisquil en récita hautement le premier verset, quand il était en croix : « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi mavez-vous abandonné? » Là il continue en disant: « Le rugissement de mes péchés éloigne de moi votre salut 3 ». Telles sont les blessures que les voleurs ont infligées en chemin à celui quil prit sur son cheval; près duquel le prêtre et le Lévite avaient passé avec mépris et quils navaient pu guérir: or, le Samaritain étant venu à passer, en eut pitié, sen approcha et le mit sur sa propre monture 4. Samarite, en latin, signifie gardien; or, quel est le gardien, sinon notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ? Et comme il est ressuscité dentre-les morts pour ne plus mourir 5, voilà quil ne sendort point, quil ne sommeillera point, celui qui est gardien dIsraël 6. « Ils ont ajouté à la douleur de mes plaies ». 12. « Ajoutez sans cesse liniquité à leur iniquité 7 ». Quest-ce que cette parole? Qui nen frémirait point? Cest à Dieu que lon dit : « Ajoutez liniquité à leur iniquité ». Comment Dieu pourra-t-il ajouter liniquité? A-t-il donc liniquité pour lajouter? Nous savons combien est vrai ce mot de saint Paul: « Que pouvons-nous dire? Est-ce quil y aurait en Dieu de liniquité? Loin de nous
1. Gen. II, 17. 2. Rom. VI, 6. 3. Ps. XXI, 2. 4. Luc, X, 30-34. 5. Rom. VI, 9. 6. Ps. CXX, 4. 7. Id. LXVIII, 28.
eu cette pensée 1 ». Comment dire alors : « Ajoutez liniquité à leur iniquité? » Comment devons-nous comprendre cela? .Que Dieu nous aide à vous le dire, et à vous le dire brièvement à cause de votre fatigue. Il y avait iniquité chez eux, parce quils avaient tué un homme juste; une autre est venue sy joindre, parce quils ont crucifié le Fils de Dieu. Ils ont pu sévir contre son humanité. « Mais sils leussent connu, ils neussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 2 ». Il y avait donc pour eux iniquité à vouloir tuer un homme, et à cette iniquité sest jointe celle de crucifier le Fils de Dieu. Qui donc y a joint cette iniquité? Celui qui a dit : « Ils respecteront peut-être mon Fils, je le leur enverrai 3». Ils avaient la coutume de mettre à mort les serviteurs qui leur étaient envoyés pour lever le prix de la location et du fermage. Le Maître leur envoya son Fils, en sorte quils le tuèrent aussi. Il a donc ajouté liniquité à leur iniquité. Mais Dieu en a-t-il agi ainsi dans sa colère, ou dans ses justes représailles? « Que leur table», dit le Prophète, « soit pour eux un châtiment et un scandale ». Ils méritaient dêtre aveuglés au point de méconnaître le Fils de Dieu. Et pour Dieu, ajouter liniquité à leur iniquité, ce nétait pas blesser, cétait ne pas guérir. De même que pour augmenter une fièvre, une maladie, tu nas pas besoin dy ajouter une autre maladie, il suffit de napporter aucun soulagement; ainsi parce quils sont devenus tels quils ne méritaient plus la guérison, ils ont en quelque sorte progressé dans leur malice, selon cette parole : « Quant aux méchants et aux criminels, ils se fortifient de plus en plus dans le mal 4 », et liniquité sajoute à leur iniquité. « Et quils nentrent pas dans lhéritage de votre justice ». Cette parole est assez claire. 13. « Quils soient effacés du livre de vie 5». Y furent-ils donc inscrits un jour? Mes frères, nous ne devons pas entendre par là que Dieu inscrive quelquun sur le livre de vie, ou quil len efface. Si un homme a dit: « Ce que jai écrit est écrit », à propos de linscription : eu Roi des Juifs 6 », Dieu inscrira-t-il pour effacer ensuite? Il connaît lavenir, et avant lorigine du monde il a marqué ceux qui doivent régner avec son fils
1. Rom. IX, 14. 2. I Cor, II, 8. 3. Matth. XXI, 37. 4. II Tim. III, 13. 5. Ps. LXVIII, 29. 6. Jean, XIX, 22.
dans la vie éternelle 1. Voilà ceux quil a inscrits, ceux que contient le livre de vie. Enfin, dans lApocalypse, que dit lEsprit de Dieu à propos des persécutions de lAntéchrist que ce même livre nous annonce pour lavenir? « Alors », est-il dit, « suniront à lui ceux qui ne sont pas inscrits au livre de vie 2 ». Doù il suit que ceux-là certainement ne le suivront pas, qui y sont inscrits. Mais alors comment les autres peuvent-ils être effacés dun livre où ifs ne sont pas inscrits? Le Prophète parle ici dans le sens de leurs espérances, car ils se croiront inscrits. Quest-ce à dire : « Quils eu soient effacés du livre de vie? » Quils soient assurés que leur nom nest point. Cest encore en ce sens quil est dit dans un autre psaume : « Mille tomberont à votre gauche, et dix mille à votre droite 3 », cest-à-dire beaucoup heurteront contre le scandale, et parmi ceux qui espéraient siéger avec vous, et parmi ceux qui espéraient se tenir debout à votre droite, être séparés des boucs de la gauche 4. Nul donc ne doit se tenir à sa droite et tomber ensuite, ou être chassé après avoir siégé avec lui; mais plusieurs de ceux qui se croyaient avec lui devaient tomber dans le scandale; cest-à-dire beaucoup de ceux qui espéraient sasseoir avec vous, Seigneur, beaucoup de ceux qui espéraient se tenir debout à votre droite doivent néanmoins tomber. Ainsi donc, dans notre psaume, ceux qui espéraient être inscrits dans le livre de Dieu par les mérites de leur propre justice, et à qui il est dit: « Sondez les Ecritures, puisque vous croyez eu par elles arriver à la vie éternelle 5 », seront effacés du livre de vie, cest-à-dire connaîtront quils ny sont point inscrits, quand leur condamnation leur sera signifiée. Car le verset suivant nous donne cette explication « Et quils ne soient point inscrits avec les justes » .Je dis donc: « Quils soient effacés», dans le sens de leur espérance; mais que puis-je dire daprès votre justice? « Quils ny soient point inscrits». 14. « Moi, je suis pauvre et affligé 6». Pourquoi cette parole? Est-ce pour nous faire comprendre que les malédictions de ce pauvre viennent de lamertume de son coeur? Car il a prédit bien des maux qui leur arriveront. Et comme si nous lui disions : Pourquoi tant dinvectives? Modérez votre colère; il nous
1. Rom. VIII, 9 2. Apoc. XIII, 8. 3. Ps. XC, 7. 4. Matth. XXV, 33. 5. Jean, V, 39. 6. Ps. LXVIII, 30.
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répond : « Moi, je suis pauvre et affligé ». Ils mont réduit à cette indigence, et accablé de cette douleur : voilà pourquoi je parle de la sorte. Toutefois ce nest point ici lemportement de linvective, cest la prédiction dun prophète. Car il nous dira plus tard, ail sujet de sa pauvreté et de son affliction, de quoi nous les faire apprécier, afin que nous apprenions à être pauvres et à souffrir. « Bienheureux les pauvres, parce que le royaume des cieux leur appartient» ; et: «Bienheureux ceux qui pleurent, parce quils seront consolés 1». Voilà ce dont lui-même nous a donné 1exemple; aussi dit-il : « Moi je suis pauvre et affligé ». Cest tout son corps qui parle ainsi, car en cette vie le corps du Christ est pauvre et affligé. Il y a pourtant des chrétiens qui sont riches, il est vrai, mais ils sont pauvres, sils sont vraiment chrétiens; et en comparaison des richesses du ciel quils espèrent, ils ne voient dans leur or que de la poussière, « Moi je suis pauvre et affligé ». 15. « Et le salut de votre face ma soutenu, ô mon Dieu ». Ce pauvre a-t-il donc été abandonné? Eh! quand as-tu daigné faire asseoir à la table un pauvre guenilleux? Eh bien! cest le salut de la face de Dieu qui a soutenu cet indigent; il a caché sa pauvreté dans sa propre face. Cest de lui en effet quil est dit: « Vous les cacherez dans le secret de eu votre face 2 ». Or, voulez-vous connaître les richesses qui sont dans cette face? Les richesses dici-bas te donnent le moyen de manger ce que tu veux,et quand tu veux; mais les richesses de Dieu te délivrent à jamais de la faim. « Moi, je suis pauvre et affligé, et le salut de votre face ma aidé, ô mon Dieu ». En quoi? Est-ce à nêtre plus ni pauvre ni indigent? « Je célébrerai le Seigneur dans mes cantiques ; je le glorifierai de mes louanges 3». Nous lavons dit déjà, ce pauvre célèbre le nom du Seigneur dans ses cantiques, il le glorifie de ses louanges. Comment oserait-il chanter, sil nétait délivré de la faim? « Je célébrerai le nom du Seigneur eu dans mes cantiques, je le glorifierai de mes louanges ». Immenses richesses. Quelles perles en lhonneur de Dieu na-t-il pas extraites de ce trésor intérieur? « Je le glorifierai de mes louanges ». Voilà mes richesses. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ». Il est donc resté pauvre? Loin de là. Vois ses
1. Matth. V, 3-5. 2. Ps. XIX, 21. 3. Id. LXVIII, 31.
richesses : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait; que le nom du Seigneur soit béni 1. Je célébrerai le nom du Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai de mes louanges». 16. « Et cela plaira au Seigneur ». Mes louanges lui plairont : « Bien plus que le jeune taureau qui commence à montrer des ongles et des cornes 2 ». Ce sacrifice de louanges lui sera plus agréable que celui dun jeune taureau. « Le sacrifice de la louange me glorifiera, et telle est la voie dans laquelle je montrerai le salut de Dieu. «Immolez au Seigneur un sacrifice de louanges, et rendez au Très-Haut vos hommages 3 ». Donc je louerai le Seigneur, et cela lui sera plus agréable que loffrande dun jeune taureau qui commence à montrer des cornes et des ongles. La louange qui sexhalera de ma bouche, plaira au Seigneur, bien plus quune grande victime immolée sur ses autels. Faut-il parler des ongles et des cornes de ce jeune taureau? Tout homme qui est bien armé, qui est riche en louanges de Dieu, doit avoir des cornes pour secouer son antagoniste, et des ongles pour soulever la terre. Vous savez ce que font les jeunes veaux qui se développent, et qui acquièrent en grandissant laudace des taureaux; car ici le mot jeune désigne une vie nouvelle. Si donc un hérétique vient à vous contredire, quil soit secoué. Un autre ne contredit point, mais il a des inclinations abjectes et terrestres, quil soit soulevé par vos ongles. Donc, plus que ce jeune taureau, ma louange doit vous plaire, cette louange qui doit succéder à mon indigence et à mon affliction, alors que je serai dans léternelle société des anges, où il ny aura plus ni adversaire à combattre, ni paresseux à soulever de la terre. 17. « Que les pauvres voient et se réjouissent 4». Quils croient, et sépanouissent dans lespérance. Quils soient plus pauvres encore, afin de mériter dêtre rassasiés : de peur quen exhalant la surabondance de leur orgueil, ils ne se voient privés du pain qui donne la véritable vie. « Cherchez le Seigneur », vous qui êtes pauvres; ayez faim, ayez soif 5, cest lui qui est le pain vivant descendu du ciel 6. « Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra ». Vous cherchez le pain
1. Job, 1, 21. 2. Ps. LXVIII, 32. 3. Id. XLIX, 14, 23. 4. Id. LXVIII, 33. 5. Matth. V, 6. 6. Jean, VI, 51.
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qui donne la vie à votre corps cherchez le Seigneur, afin quil donne la vie à votre âme. 18. « Car le Seigneur a exaucé les pauvres ». Il a exaucé les pauvres, et il ne les eût point exaucés, sils neussent vraiment été pauvres. Veux-tu être exaucé? Sois pauvre: que ce soit la douleur, et non le dégoût, qui crie en toi. « Car le Seigneur a exaucé les pauvres, et na point méprisé ses captifs 1 ». Il a enchaîné les serviteurs qui lavaient offensé mais quand ils ont crié dans leurs entraves, il ne les a point méprisés. Quelles sont ces entraves? Une chair mortelle, une chair corruptible, telles sont les entraves qui nous enchaînent. Et voulez-vous connaître combien ces chaînes sont lourdes? Cest de là quil est dit: « Le corps qui se corrompt appesantit lâme 2». Quand les hommes veulent senrichir ici- bas, ils cherchent des lambeaux pour couvrir ces entraves. Mais que ces entraves te suffisent pour vêtements, ne cherche rien au-delà de ce qui suffit pour subvenir à la nécessité. Chercher le superflu, cest vouloir appesantir tes chaînes. Dans une semblable détresse, quil ne reste simplement que tes entraves. Quà chaque jour suffise sa peine 3. Cest là cette peine qui nous fait crier vers le Seigneur : « Parce que le Seigneur a exaucé les pauvres, et na point dédaigné ses captifs». 19. « Que les cieux le bénissent, ainsi que eu la terre et les mers et tous les animaux qui rampent dans leurs abîmes 4». Pour ce pauvre, il ny a de vraie richesse, quà considérer tes créatures, et à louer le Créateur. « Que les cieux le bénissent, et la terre et les mers, et les animaux qui rampent dans leurs abîmes ». Il ny a vraiment pour louer Dieu que ces créatures qui nous le font bénir quand nous les considérons? 20. Ecoute un autre verset : « Car le Seigneur sauvera Sion ». Il rétablit son Eglise, et incorpore à son fils unique les nations fidèles; sans toutefois frustrer ceux qui croient en lui des dons quil a promis. « Car le Seigneur sauvera Sion, et lon bâtira des cités
1. Ps. LXVIII, 34. 2. Sag. IX, 15. 3. Matth. VI, 34. 4. Ps. LXVIII, 35.
en Juda 1 ». Ces villes seront des Eglises. Que nul ne nous dise : Quand sera-ce que lon bâtira des cités en Juda? Puisses-tu connaître cette construction, devenir une pierre vivante et faire partie de lédifice. Cest maintenant que lon bâtit les villes de Juda, car Juda signifie confession. Cest avec la confession de lhumilité que se bâtissent les villes de Juda: en sorte quon laisse au dehors les orgueilleux qui rougissent de la confession. « Dieu donc sauvera Sion ». Quelle Sion ? écoute la suite : « Et la postérité de ses serviteurs la possédera, et il ny aura pour lhabiter eu que ceux qui aiment son nom 2». 21. Le psaume est terminé, mais arrêtons-nous quelque peu sur ces deux derniers versets: ils nous prémunissent en effet contre le désespoir qui nous empêcherait dentrer dans cette construction. « Cest la postérité de ses serviteurs», dit le Prophète, « qui doit habiter Sion ». Mais « cette postérité de ses serviteurs», quelle est-elle? Ce sont les Juifs, me diras-tu peut-être, les Juifs nés dAbraham mais nous, qui ne sommes point issus dAbraham , comment habiterons-nous cette cité? Ils ne sont point de la race dAbraham, ces Juifs auxquels il fut dit: « Si vous êtes les fils dAbraham, faites les oeuvres dAbraham 3 ». Cest donc la postérité de ses serviteurs, ou ceux qui imiteront la foi de ses serviteurs, qui habiteront cette ville. Enfin le dernier verset nous explique le précédent. Dans la crainte que tu ne vinsses à croire que ces paroles : « Elle servira dasile à la postérité de ses serviteurs », sappliquent aux Juifs, et à dire: Nous sommes la postérité des nations qui ont adoré les idoles, et rendu un culte aux démons; quavons-nous à espérer dans cette cité? voilà que le Prophète rassure tes espérances et ajoute: «Elle sera lasile de ceux qui aiment le nom du Seigneur». Car la postérité de ses serviteurs est dans ceux qui aiment son nom. Et comme ses serviteurs ont lamour de son nom, quiconque aime son nom peut se dire de la postérité de ses serviteurs; et quiconque naime point son nom doit renier quil appartienne à cette postérité.
1. Ps. LXVIII, 36. 2. Id. 51. 3. Jean, VIII, 39.
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