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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXI (1).LE VRAI SALOMON OU LE CHRIST.
Cest le Christ qui nous donne la véritable paix avec Dieu. Il a reçu le pouvoir de juger et de sauver ceux qui sont humbles, pauvres selon lesprit divin, qui ne prétendent point tenir la justice deux-mêmes. Cest de Dieu que vient le jugement ou la droiture, la justice. Cest aux montagnes ou aux hommes de recevoir et de maintenir la paix, aux collines dobéir aux montagnes, mais sans les préférer alu Christ, comme font les schismatiques. Les premières nous réconcilient avec Dieu, lobéissance des collines arrive au perfectionnement. Le démon ou calomniateur sera humilié quand Jésus nous donnera la grâce, mourra et ressuscitera, régnera avec le soleil ou sassiéra à la droite de Dieu, tandis que la lune ou lEglise quil a devancée dans le ciel, réparera par les générations successives les pertes de la mort. Il descend par la grâce comme la pluie sur la toison. La lune ou lEglise sera élevée. Conversion des Ethiopiens ou Gentils, schismes. Le Christ nous arrache au puissant ou au démon, nous pardonne, nous rachète de lusure ou du châtiment, nous fait grandir à ses yeux, vit éternellement, recueille lor de lArabie on la sagesse des convertis, affermit les montagnes ou accomplit les promesses des saintes Ecritures, sélève au-dessus du monde par le fruit de la chaulé, qui est le froment et qui domine le u onde. Que son nom soit béni, puisque de lui nous vient la bénédiction.
1. « Pour Salomon », tel est le titre du psaume : et toutefois ce quil contient ne peut saccorder avec le récit de lEcriture au sujet de Salomon, roi charnel dIsraël, mais convient très-bien à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cest pourquoi ce nom de Salomon ne nous paraît ici quune figure de lavenir qui nous annonce le Christ. Car Salomon signifie pacifique, et dès lors sapplique dune manière bien vraie et bien convenable à celui qui nous sert de médiateur, afin que dennemis que nous étions, nous soyons réconciliés à Dieu, par la rémission de nos péchés. « Car lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils 2». Ce même Fils est le véritable pacifique, « puisque des deux peuples, il nen a fait quun seul, en détruisant dans sa propre chair le mur de séparation, ou leurs inimitiés; abolissant par ses décrets la loi chargée de préceptes, pour former en lui seul un homme nouveau de ces deux peuples, mettant la paix entre eux; il est donc venu prêcher la paix à ceux qui étaient éloignés et la paix encore à ceux qui étaient proches 3». Lui-même nous dit dans lEvangile: « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix 4 ». Et dans une foule dautres témoignages le Christ notre Seigneur se montre pacifique non point dans le sens de cette paix que le monde connaît et recherche, mais de cette
1. Tiré de lépître CLXIX à Evode, n. I. 2. Rom. V, 10. 3. Ephés. II, 14-17. 4. Jean, XIV, 27.
paix dont le Prophète a dit : « Je leur donnerai de vraies consolations, et paix sur paix 1 »: cest-à-dire, quà la paix de réconciliation jajouterai la paix de limmortalité. Car après laccomplissement des promesses de Dieu, le même Prophète nous fait espérer une dernière paix dans laquelle nous vivrons éternellement avec Dieu, lorsquil nous dit : « Seigneur, notre Dieu, donnez-nous votre paix, après nous avoir donné toutes choses 2». Cette paix alors sera parfaite, « quand la mort notre dernière ennemie sera détruite 3». Mais en qui cela saccomplira-t-il, sinon dans ce roi de paix et de réconciliation? « De même, en effet, que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ 4 ». Après avoir trouvé le vrai Salomon, le vrai pacifique, écoutons maintenant les enseignements du psaume. 2. « O Dieu, donnez au roi votre jugement, et votre justice au fils du roi 5 ». Le Seigneur dit lui-même dans lEvangile : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout jugement au Fils 6». Cest bien là : « ô Dieu, donnez votre jugement au roi ». Et ce roi est aussi fils du roi, car le Père est roi lui-même : aussi est-il écrit quun roi fit des noces à son fils 7. Cette répétition est dans lusage des Ecritures. Ainsi cette expression « Votre jugement », est répétée dans « votre
1. Isa. LVII, 19, suiv. les Septante. 2. Id. XXVI, 12, suiv. les Septante 3. I Cor. XV, 26. 4. Id. 22. 5. Ps. LXVI, 2. 6. Jean, V, 22 7. Matth. XXII, 2.
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justice »; et cette autre : « Au roi », dans « au Fils du roi »; de même quil est dit ailleurs : « Celui qui habite dans les cieux se rira deux, et le Seigneur les persiflera 1 ». Or, « celui qui habite les cieux », est bien le même que « le Seigneur»; et « se rira deux » a le même sens que « les persiflera ». Il en est de même dans « les cieux qui racontent la gloire de Dieu et le firmament qui annonce loeuvre de ses mains 2 » . « Loeuvre de ses mains » est une répétition de « sa gloire », et « annoncer » une répétition de « raconter». Or, ces répétitions sont fréquentes dans les Ecritures, soit quelles redisent les mêmes paroles, soit quelles expriment le même sens avec des paroles différentes : elles se trouvent principalement dans les psaumes, et dans ce style dont le but est démouvoir les âmes. 3. Le Prophète continue : « De juger votre peuple dans la justice; et vos pauvres dans léquité 3 » . Ces paroles : « De juger votre peuple dans la justice », font voir suffisamment que le Père, qui est roi, a donné au roi son Fils le jugement et la justice pour juger votre peuple. Cette même expression se trouve dans Salomon : « Proverbes de Salomon, fils de David, de connaître la sagesse et la discipline 4 »; cest-à-dire, proverbes de Salomon, qui enseignent la sagesse et la discipline. De même « votre jugement de juger votre peuple », signifie votre jugement afin quil juge votre peuple. Mais ces expressions « Votre peuple», et ensuite « vos pauvres »; et ces autres, « dans la justice » , puis « dans léquité», sont encore des répétitions. Le Prophète nous apprend ainsi que le peuple de Dieu doit être pauvre, sans orgueil, plein dhumilité. « Bienheureux en effet les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux est à eux 5». Telle était la pauvreté du bienheureux Job, même avant quil eût perdu ses richesses terrestres. Ce quil est bon de remarquer ici, car il est plus facile pour quelques-uns de distribuer tous leurs biens aux pauvres que de se faire les pauvres de Dieu. Ils senflent et sont pleins de jactance; ils croient que cest à eux-mêmes, et non à la grâce de Dieu, quils doivent de vivre saintement, et voilà que leur vie nest pas sainte, quelque nombreuses que paraissent leurs bonnes oeuvres. Ils croient tout tenir deux-mêmes, et se glorifient comme
1. Ps. II, 4. 2. Id. XVIII, 2. 3. Id. LXXI, 2. 4. Prov. I, 1. 5. Matth, V, 3.
sils navaient rien reçu 1: ce sont des riches en eux-mêmes, et non des pauvres de Dieu; pleins de leurs mérites, et non indigents pour lamour de Dieu. Or, lApôtre la dit: « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps aux flammes, si je nai point la charité, cela ne me sert de rien 2 »; comme sil disait : Il ne me servirait de rien de distribuer mes biens aux pauvres, si je ne devenais pauvre pour Dieu. « La charité ne senfle point dorgueil 3 »: et il ny a point de charité en celui qui est ingrat envers lEsprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos coeurs 4. Aussi ces hommes nappartiennent-ils pas au peuple de Dieu, parce quils ne sont point pauvres selon Dieu. Ainsi parlent en effet les pauvres selon Dieu : « Pour nous, nous navons pas reçu lEsprit de ce monde, mais lEsprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons que Dieu nous a faits 5 ». Tandis que dans notre psaume, afin dexprimer ce mystère dun Dieu qui sunit à lhomme, ou du Verbe fait chair 6, il est dit à Dieu le Père qui est Roi: « Donnez votre justice au Fils du Roi » : ceux-ci ne veulent point quon leur donne la justice, ils prétendent lavoir en eux-mêmes. « Ignorant cette justice qui vient de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu 7 ». Ils ne sont donc point affamés de Dieu, mais pleins deux-mêmes, puisquils ne sont pas humbles, mais superbes. Or, ce Fils du Roi viendra juger le peuple de Dieu tians la justice, et les pauvres dans léquité, et par ce jugement, il séparera les pauvres qui sont à lui, cest-à-dire, ceux quil a enrichis de sa pauvreté. Car cest vers lui que ce peuple de pauvres élève cette voix: « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de cette nation qui nest point sainte 8 ». 4. Il y a ici dans les expressions un ordre qui est changé; après avoir dit dabord : « Dieu, donnez votre jugement au roi,et votre justice au fils du roi », énonçant dabord le jugement, ensuite la justice, le Prophète au verset suivant met au premier rang la justice, et au second le jugement: « Pour juger votre peuple dans la justice, et vos pauvres selon le jugement » ; et montre ainsi que ce jugement a le sens de justice, et que lieu importe à quel rang vienne cette expression, qui a le
1. I Cor. IV, 7. 2. Id. XIII, 5 3. Id. 4. 4. Rom. V, 5. 5. I Cor. II, 12. 6. Jean, I, 14. 7. Rom. X, 3. 8. Ps. XLII, 1.
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même sens. On appelle dordinaire partial, un jugement injuste; mais on ne dit guère une justice inique ou injuste; car si elle est fausse, elle sera injuste, et dès lors ne sappellera plus justice. Dire alors jugement, puis le répéter sans le nom de justice, puis dire justice et lui donner ensuite le nom de jugement, cest montrer suffisamment quil appelle jugement ce que dordinaire on appelle justice, cest-à-dire ce qui ne peut sentendre dun faux jugement. Quand le Seigneur nous dit en effet: « Ne jugez point selon lapparence, mais jugez selon le sens droit 1 », il montre quun jugement peut être sans droiture; et en disant: « Portez un jugement droit », il défend lun e1à ordonne lautre. Mais quand il dit le jugement, sans aucune qualification, il veut que lon entende la justice. Cest ainsi quil a dit: « Vous omettez ce quil y a dimportant dans la loi, la miséricorde et le jugement 2 » ; et que Jérémie a dit aussi : « Il amasse des richesses, mais non avec jugement 3 ». Il ne dit pas quil amasse des richesses avec un jugement faux ou pervers, ni avec un jugement droit ou injuste; mais bien « non avec jugement », réservant ainsi le nom de jugement à tout ce qui est droit et juste. 5. « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice 4 ». Les montagnes sont plus hautes, les collines moins élevées. Le Prophète désigne ici ceux quil appelle ailleurs « les grands et les petits ». Ce sont là « ces montagnes qui bondirent comme des béliers, et ces collines comme des agneaux, quand Israël sortit de lEgypte 5» ; cest-à-dire, quand le peuple de Dieu fut délivré de lesclavage de ce monde. Ces montagnes sont donc les hommes qui, dans lEglise, dominent par une sainteté supérieure et qui sont capables dinstruire les autres 6; qui ne parlent que pour enseigner la vérité, qui règlent leur vie afin dêtre des modèles de sainteté. Mais pourquoi « la paix est-elle pour les montagnes, et la justice pour les collines? » Serait-il indifférent de dire que les montagnes reçussent la justice pour le peuple, et les collines la paix? Car la justice comme la paix est nécessaire aux uns et aux autres, et il est possible que la paix ne soit quun autre nom de la justice. Telle serait en
1. Jean, VII, 24. 2. Matth. XXIII, 23. 3. Jérém. XVII, 11. 4. Ps. LXXI, 3. 5. Id. CXIII, 1, 4, 13. 6. II Tim. II , 2.
effet la véritable paix, non plus comme les hommes injustes la font entre eux. Ou peut-être, ne faut-il pas dédaigner la distinction du Prophète, et dire: « La paix aux montagnes et la justice aux collines? » Car ceux qui sont éminents dans lEglise doivent apporter tous leurs soins à maintenir la paix, à ne pas briser les liens de lunité, à ne point causer de schismes dans lEglise par leur conduite orgueilleuse. Quant aux collines, elles doivent imiter les montagnes, et leur être soumises, de manière néanmoins à leur préférer Jésus-Christ: de peur que séduites par léclat apparent de quelques montagnes dangereuses, elles nen viennent à se séparer du Christ et à rompre avec lunité. Voilà pourquoi le Prophète appelle « sur les montagnes la paix, pour le peuple ». Quelles disent: « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ 1 ». Mais quelles disent encore: «Quand un ange venu du ciel, ou nous-mêmes vous annoncerions un Evangile autre que celui que vous avez reçu, quil soit anathème 2». Quelles disent enfin : « Paul a-t-il été crucifié pour vous, ou seriez-vous baptisés au nom de Paul 3? » Qu « ils reçoivent cette paix pour le peuple » de Dieu, ou pour les pauvres de Dieu, qui leur fasse désirer de régner, non sur eux, mais avec eux. Quà leur tour ceux-ci ne disent point: « Moi je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas », mais bien tous : « Moi je suis au Christ 4 ». La justice dès lors consiste pour les serviteurs à ne point se préférer ni même ségaler au Seigneur, et à lever les yeux vers les montagnes doù le secours doit leur venir, de manière cependant à ne pas attendre ce secours des montagnes elles-mêmes, mais bien du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 5. 6. On peut très-bien encore donner à ces paroles: « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple », le sens dune paix qui nous réconcilie avec Dieu, car les montagnes la reçoivent pour son peuple. Voilà ce que nous prêche lApôtre: « Le passé nest plus, tout est devenu nouveau: or, tout vient de Dieu qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et nous a confié le ministère de la réconciliation ». Voilà comment les montagnes reçoivent la paix pour son peuple. « Car Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde, nimputant plus aux hommes leurs péchés,
1. I Cor. XI, 1. 2. Gal, I, 8. 3. I Cor. I,13. 4. Id., 1. 5. Ps. CXX, l, 2.
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et mettant en nous la parole de réconciliation ». En qui la met-il, sinon dans ces montagnes qui reçoivent la paix pour son peuple? Voilà que les messagers de la paix sécrient ensuite: « Nous remplissons donc la fonction dambassadeurs du Christ, cest Dieu même qui vous exhorte par notre bouche; nous vous conjurons, au nom du Christ, de vous réconcilier avec Dieu 1 ». Telle est la paix que les montagnes reçoivent pour son peuple, cest-à-dire la prédication et le message de la paix: aux collines la justice, ou lobéissance qui est, pour lhomme ainsi que pour toute créature douée de raison, lorigine et le perfectionnement de la justice. Entre ces deux hommes, Adam qui fut pour nous la source de la mort, et le Christ ou lauteur de notre salut, la grande différence consiste « dans cette désobéissance dun seul homme «qui en a rendu tant dautres pécheurs, comme lobéissance dun seul homme en établira un grand nombre dans la justice 2. Que les montagnes reçoivent donc la paix pour le peuple, et les collines la justice »: afin que laccord des uns et des autres justifie cette parole: « Voilà que la justice et la paix se sont embrassées 3 ». Il est vrai que lon trouve dans certains exemplaires : « Que les montagnes et les collines reçoivent la paix»: je crois quil faut lentendre des prédicateurs de lEvangile, soit des premiers, soit des seconds. Alors dans ces manuscrits on lit ainsi le verset suivant : « Cest dans la justice quil jugera les pauvres du peuple ». Toutefois on préfère les exemplaires qui portent, comme nous venons de lexpliquer : « Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple, et les collines la justice ». Dautres encore lisent: « Pour votre peuple » ; dautres nont point « votre », mais seulement « le peuple». 7. « Il jugera les pauvres du peuple, et sauvera les fils des pauvres 4 ». Les pauvres et les fils des pauvres me paraissent identiques, de même que la cité de Sion nest autre que la fille de Sion. Mais si lon veut une distinction: par « les pauvres », nous entendrons « les montagnes » ; et par « les fils des pauvres, les collines » : alors les pauvres seraient les Prophètes et les Apôtres, et leurs fils, ou « les fils des pauvres», seraient ceux qui sous leur autorité savancent dans la
1. II Cor. V, 17-20. 2. Rom. V, 19. 3. Ps. LXXXIV, 11. 4. Id. LXXI, 4.
vertu. Le Prophète dit dabord que Dieu « les «jugera », ensuite quil « les sauvera », pour nous donner un aperçu du jugement quil doit exercer; car il ne doit les juger que pour les sauver, ou les séparer de ceux qui seront damnés et réprouvés, et leur donner ainsi le salut quil est prêt de révéler dans ces derniers temps 1. Ceux-là lui disent en effet: « Ne perdez point mon âme avec les impies 2 »et encore : « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle dune nation qui nest point sainte 3 ». Remarquons aussi que le Prophète ne dit point : Il jugera le pauvre peuple; mais bien: « Les pauvres du peuple». Quand il dit plus haut: « Afin de juger le peuple dans la justice et vos pauvres dans léquité», il identifie le peuple de Dieu avec ses pauvres, ou simplement ceux qui sont bons et qui doivent être placés à sa droite. Mais comme, en cette vie, ceux de la droite et ceux de la gauche paissent ensemble, ainsi que des boucs et des agneaux que lon doit séparer à la fin des jours 4, le Prophète appelle ce mélange peuple de Dieu. Et comme le Prophète donne ici un sens favorable au jugement, et lentend de ceux quil doit sauver; « il jugera les pauvres du peuple», signifie dans son langage, quil discernera pour les sauver ceux de sou peuple qui sont pauvres, Après avoir dit quels sont ceux qui sont pauvres 5, comprenons encore quils sont indigents. « Il humiliera le calomniateur». Nous ne connaissons pas de plus grand calomniateur que le diable. Voici une de ses calomnies: « Est-ce gratuitement que Job honore le Seigneur 6? » Cest lui que le Seigneur Jésus humilie, en donnant sa grâce aux siens, afin quils servent Dieu gratuitement, cest-à-dire quils trouvent leurs délices dans le Seigneur 7. Il la humilié encore, quand le diable, ou le prince de ce monde, ne trouvant rien en lui 8, le mit à mort sous les calomnies de ces Juifs qui étaient pour le calomniateur des instruments dociles, agissant par ces enfants de rébellions 9. Ce fut une humiliation pour lui de voir celui quils avaient mis à mort, ressuscitant et détruisant cet empire de la mort, dans lequel il exerçait une telle puissance, que par un seul homme quil avait séduit, il entraînait le genre humain dans
1. I Pierre, I, 5. 2. Ps. XXV, 9. 3. Id. XIII, 1. 4. Matth. XXV, 32. 5. Plus haut, n. 3. 6. Job, I, 9. 7. Ps. XXXVI, 4. 8. Jean, XIV, 30. 9. Ephés. II, 2.
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une éternelle damnation. Il fuit surtout humilié, parce que si le péché dun seul homme a fait ainsi régner la mort, à plus forte raison ceux qui reçoivent labondance de la justice et de la grâce, régneront dans la vie par un seul qui est Jésus-Christ 1, qui a confondu le calomniateur, ainsi que les accusations mensongères, les juges diniquité, les faux témoins, que ce calomniateur suscitait pour le perdre. 8. « Il demeurera autant que le soleil, ou avec le soleil 2 ». Quelques-uns de nos interprètes ont cru quil était mieux de traduire ainsi, parce quil y a dans le grec sumparamenei, quon ne peut traduire en latin en un seul mot, que par compermanebit, il condemeurera: et comme on ne pouvait rendre cette pensée en une seule expression latine, on a dit : « Il demeurera avec le soleil ». Condemeurer au soleil naurait en effet dautre sens que « demeurer avec le soleil ». Mais quy a-t-il de si grand à demeurer avec le soleil pour celui par qui tout a été fait, et sans qui rien na été fait 3, sinon la condamnation de ceux qui simaginent que la religion du Christ ne doit subsister que pour un temps, pour disparaître ensuite? « Il subsistera donc avec le soleil », tant que le soleil se lèvera et se couchera; cest-à-dire que lEglise de Dieu ou le corps mystique du Christ subsistera sur la terre tant que sécouleront les siècles. Quand le Prophète ajoute « Et avant la lune, de génération en génération », il aurait pu dire aussi bien : Et avant le soleil, cest-à-dire et avec le soleil et avant le soleil; ce qui signifierait: et avec les temps et avant les temps. Or, ce qui précède le temps est éternel: et lon doit regarder comme vraiment éternel, ce qui ne varie point avec le temps, comme le Verbe qui était au commencement. Mais le Prophète a préféré symboliser dans la lune ces accroissements et ces dépérissements des choses mortelles. Aussi après avoir dit : « Avant la lune », le Prophète voulant en quelque sorte nous expliquer le sens quil y attache, ajoute: « Dans les générations des générations » ; comme sil disait : « Avant la lune », cest-à-dire, avant « les générations des générations », qui passent avec la mort et la succession des choses mortelles, comme les phases daccroissement et de disparition de la lune. Dès lors, dans quel sens
1. Rom. V, 17. 2. Ps. LXXI, 5. 3. Jean, I, 3.
plus plausible peut-on dire que le Christ subsistera, « avant la lune », sinon que par son immortalité il a devancé tout ce qui est mortel? On pourrait encore entendre très-bien quaprès avoir humilié le calomniateur, le Christ est assis à la droite de son Père, et quil demeure ainsi « avec le soleil ». Car on entend par le Fils la splendeur de la gloire éternelle 1 : le soleil serait alors le Père, et le Fils en serait léclat. Toutefois cela doit sentendre de la substance invisible du Créateur, et non de cette substance visible des créatures, qui est celle des corps célestes, dont le plus éclatant est le soleil, objet de notre comparaison, comme on en tire des objets terrestres, tels que la pierre, le lion, lagneau, lhomme qui a deux fils, et le reste. Donc après avoir humilié le calomniateur, il demeure « avec le soleil » : car après avoir vaincu le diable par sa résurrection, il est assis à la droite du Père 2, où il ne mourra plus, et où la mort na plus dempire sur lui 3. Et cela « devant la lune », comme le premier-né dentre les morts précédant son Eglise qui passe avec les hommes, par les phases de la mort et de la succession. Voilà « les générations des générations». A moins dentendre par génération notre naissance temporelle, et par « générations des générations », notre naissance dans léternité. Voilà lEglise que précède le Christ, afin de demeurer « avant la lune », lui, le premier-né dentre les morts. Mais comme il y a dans le grec geneas geneon, plusieurs ont traduit non plus « générations », au pluriel, mais « la génération des générations ». Car geneas répond à deux cas du grec, et pour traduire par laccusatif pluriel, tas geneas, ou les générations, plutôt que par le génitif singulier, tes geneas, il ny a pas de raison évidente, sinon que lon a préféré traduire à laccusatif « les générations des générations », comme une explication de ce quil entendait par « la lune », qui est aussi à laccusatif. 9. « Il descendra comme la pluie dans la toison, et comme la rosée qui dégoutte sur la terre4 ». Cest là une allusion qui nous rappelle que cest dans le Christ que doit saccomplir cette figure qui eut lieu sous Gédéon. Ce juge demanda pour signe au Seigneur que la toison placée dans laire, fût trempée de rosée, quand laire demeurerait
1. Hébr. I, 3. 2. Marc, XVI, 19. 3. Rom. VI, 9. 4. Ps. LXXI, 6.
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sèche 1; et ensuite que la toison demeurât sèche, tandis que laire serait mouillée; ce qui arriva en effet. Nous voyons en cela le peuple dIsraël, ou le premier peuple qui est une toison desséchée dans laire immense de lunivers entier. Ce même Christ est descendu comme la rosée dans la toison, tandis que laire était encore desséchée : aussi a-t-il dit: « Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison dIsraël 2 ». Cest là quil a choisi et la mère qui devait lui donner cette forme de lesclave dans laquelle il devait se rendre visible pour les hommes, et ces disciples auxquels il a donné ce précepte : « Nallez point par la voie des gentils, nentrez point dans les villes des Samaritains allez dabord vers les brebis de la maison dIsraël qui ont péri 3». Mais leur dire : «allez tout dabord à ces brebis», cest leur dire quau temps marqué pour tremper laire e la divine rosée, ils devront aller aussi vers ces autres brebis qui ne sont point de lantique bercail dIsraël, et dont il a dit : « Jai dautres brebis qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, afin quil ny ait quun troupeau et quun pasteur 4 ». De là cette parole de lApôtre : « Je dis que le Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos « Pères» .Cest ainsi que la pluie est descendue sur la toison, pendant que laire demeurait sèche. Mais lApôtre continue « Les gentils doivent louer Dieu de sa miséricorde 5 » puisque au temps marqué saccomplit cette promesse du Prophète: « Le peuple que je nai point connu, ma servi, il ma obéi en entendant ma voix 6» : or, nous voyons aujourdhui le peuple juif qui demeure dans laridité, tandis que dans lunivers entier les nuées de la grâce arrosent pleinement tous les peuples. Notre psaume a pris un autre terme pour désigner la même pluie; il la nomme : « des gouttes de rosée qui tombent », non plus sur la toison, mais « sur la terre ». Quest-ce en effet que la pluie, sinon des gouttes qui tombent? Aussi, Dieu a-t-il, selon moi, désigné ce peuple sous le nom dune toison, ou bien parce quil devait être dépouillé du droit denseigner comme on dépouille une brebis de sa toison; ou bien
1. Juges, VI, 36 et seq. 2. Matth. XV, 21. 3. Id. X, 5, 6 4. Jean, X, 16. 5. Rom. XV, 8, 9. 6. Ps. XVII, 45.
parce quil renfermait cette pluie divine en lui-même sans permettre de lannoncer aux peuples incirconcis. 10. « La justice sélèvera en ses jours, ainsi que labondance de la paix, jusquà ce que la lune disparaisse 1». Cette expression « disparaisse » est rendue chez dautres interprètes par « soit enlevée », et chez dautres encore par « soit élevée»:chacun a traduit à sa guise le verbe grec anatanairethe. Mais il y a peu de différence entre « disparaisse » et « soit enlevée». « Disparaître e a plus ordinairement le sens dêtre enlevé, de nêtre plus, que celui dêtre élevé plus haut. « Etre enlevé », ne peut guère sentendre que datas le sens dêtre perdu, de nexister plus; « être élevé », na dautre sens que dêtre plus haut : ce qui se prend quelquefois en mauvaise part , et désigne lorgueil; ainsi: « Ne télève point dans ta sagesse 2». Damas un sens favorable, il signifie un plus grand honneur, ainsi quand on élève un objet: par exemple: « Pendant la nuit élevez vos mains vers le sanctuaire, et bénissez le Seigneur 3 ». Si donc nous traduisons par « disparaisse», quen résultera-t-il, sinon que, pour la lune, « disparaître » aura le sens de nêtre plus? Peut-être le Prophète a-t-il voulu nous dire quil ny aura plus de mortalité, quand « la mort notre dernière ennemie sera détruite 4 » ; en sorte que labondance de la paix sera telle que rien ne sopposera à la félicité des bienheureux, de la part des infirmités de la mort: ce qui arrivera dans ce séjour dont Dieu nous a donné linfaillible promesse, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, et dont il est dit: « En ses jours sélèvera la justice ainsi que labondance de la paix »: jusquà ce que la mort soit vaincue, et que toute mortalité soit détruite et absorbée, Mais si la lune désigne ici, non plus cette mortalité de la chair que subit ici-bas lEglise, mais bien lEglise elle-même qui doit être délivrée de cette mortalité pour demeurer éternellement, il faut traduire ainsi: « En ses jours sélèvera la justice et labondance de la paix, jusquà ce que la lune soit élevée » ; comme si lon disait: En ses jours sélèvera la justice qui dompte les contradictions et les rébellions de la chair, et une paix surgira pour aller croissant et se multipliant, jusquà ce que la lune sélève, ou plutôt jusquà la glorification de
1. Ps. LXXI, 7. 2. Eccli. XXXII, 6. 3. Ps. CXXXIII, 2. 4. I Cor. XV, 26,
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lEglise qui doit régner par la gloire de la résurrection, avec ce premier-né dentre les morts, qui la précédée dans cette gloire, et qui est assis à la droite de soma Père 1 : cest là demeurer « avec le soleil et avant la lune », que ce même soleil doit ensuite élever en gloire. 11. « Il dominera depuis la mer jusquà la mer, et depuis le fleuve jusquaux extrémités de la terre 2 ». Ainsi doit régner celui dont il est dit: « En ses jours sélèvera la justice et labondance de la paix, jusquà ce que la lune soit exaltée ». Si par lune on entend ici lEglise, on voit combien il doit étendre au loin cette Eglise, puisquil ajoute: « Il dominera depuis la mer jusquà la mer ». Car la terre est environnée de cette grande mer, quon appelle Océan, dont nous avons dans nos terres quelques portions étroites que forment ces mers si connues sillonnées par nos vaisseaux. « Depuis la mer jusquà la mer », ou depuis une extrémité de la terre jusquà lautre, voilà ce que le Prophète assigne à la domination du Christ, dont le nom et la puissance devaient être prêchés dans lunivers entier pour le dominer. Et pour que nous ne donnions pas un autre sens à ces paroles: « Depuis la mer jusquà la mer », le Prophète ajoute: « Depuis le fleuve jusquaux extrémités de la terre ». Or, « jusquaux extrémités de la terre », était exprimé dans ces paroles; « Depuis la mer jusquà la mer ». Mais quand le Prophète nous parle « du fleuve », il veut dire que le Christ a commencé à signaler sa puissance sur le fleuve du Jourdain, où il choisit ses disciples, où il fut baptisé et ou lEsprit-Saint descendit sur lui alors que cette voix se fit entendre du ciel : « Celui-ci est mon fils bien-aimé 3». Tel est donc le point de départ de sa doctrine: cest de là que lautorité de cet enseignement céleste sest iépandue jusquaux confins de la terre, que 1Evangile du royaume des cieux a été prêché dans lunivers entier, pour servir de témoignage à toutes les nations : puis arrivera la fin de toutes choses. 12. « Devant lui les habitants de lEthiopie se prosterneront, et ses ennemis baiseront la poussière 4 ». Les Ethiopiens désignent ici les nations, cest la partie pour le tout, et le Prophète choisit ici la nation la plus reculée
1. Marc , XVI , 19. 2. Ps. LXXI, 8. 3. Matth. III, 17. 4. Ps. LXXI, 9.
sur les confins de la terre. « Ils se prosterneront en sa présence », est-il dit, pour, ils ladoreront. Or, comme il doit naître en diverses contrées de la terre des schismes qui porteront envie à lEglise catholique répandue dans le monde entier; comme ces schismes se diviseront ét porteront chacun le nom de son auteur; comme ils sattacheront aux hommes qui les ont provoqués, jusquà combattre même cette gloire du Christ resplendissante chez tous les peuples, voilà que le Prophète à ces paroles: « Les Ethiopiens se prosterneront devant lui », ajoute: « Et ses ennemis baiseront la poussière » : cest-à-dire, aimeront les hommes et porteront envie à cette gloire du Christ, qui a fait dire : « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire apparaisse à la terre 1 ». Lhomme a mérité, par son péché, dentendre : « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre 2». Or, baiser cette terre, cest-à-dire, se soumettre avec joie à lautorité de ces hommes frivoles, les aimer, y trouver ses délices, cest contredire les saintes Ecritures, qui préconisent lEglise catholique, dont le règne sétendra, non plus sur quelque partie de la terre, comme il en est des schismes, mais qui envahira successivement lunivers entier et jusquaux Ethiopiens, cest-à-dire aux plus éloignés, comme aux Plias dépravés des hommes. 13. « Les rois de Tharsis et des îles lui apporteront des présents; les rois des Arabes et de Saba lui amèneront des offrandes. Tous les rois de là terre ladoreront, toutes les nations lui seront assujetties 3 ». Il nest pas besoin dexpliquer ce passage, mais den contempler la vérité. Elle éclate aux yeux, non. seulement des fidèles qui en tressaillent, mais des infidèles qui en gémissent. A moins peut-être que nous ne demandions le sens de « ces offrandes quon doit amener ». Car on amène ce qui peut marcher. Or, serait-il ici question de victimes à immoler? Loin de nous de croire à une telle justice en ses jours. Mais les offrandes préconisées par ce verset, nous semblent désigner les hommes que lautorité des rois amène au sein de lEglise du Christ, bien que ces rois aient aussi amené à Dieu des présents par leurs persécutions, en immolant des martyrs, sans savoir ce quils faisaient. 14. Le Prophète expliquant pourquoi les
1. Ps. CVII, 6. 2. Gen. III, 19. 3. Ps. LXXI, 10, 11.
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princes doivent rendre au Christ un si grand honneur, et toutes les nations le servir, ajoute: « Parce quil arrachera le pauvre des mains du puissant, ce pauvre qui na personne pour soutien 1 ». Ce pauvre, cet indigent, cest le peuple qui croit en lui. Et dans ce peuple il est aussi des rois qui ladorent, qui ne dédaignent pas de paraître pauvres et indigents, cest-à-dire qui confessent leurs péchés, qui sentent le besoin de la gloire de Dieu, afin que ce roi fils du roi les délivre du puissant. Or, ce puissant est le même que le Prophète vient dappeler calomniateur, et qui tient, non de sa propre force, mais des péchés des hommes, le pouvoir de les soumettre à sa tyrannie. Cest pourquoi il est appelé le fort, et ici le puissant. Mais celui qui a humilié le calomniateur, et qui est entré dans la maison du fort, afin de le garrotter et de lui enlever ses dépouilles 2, a « délivré aussi le faible des mains du puissant, et le pauvre qui était sans appui ». Nulle autre force, nul autre juste, pas même un ange neût pu le faire. Comme ces pauvres navaient aucun appui, le Christ est venu les sauver. 15. Mais on peut objecter : Si lhomme était au pouvoir du démon à cause de ses péchés, ces mêmes péchés plaisaient-ils donc au Christ pour quil délivrât le pauvre des mains du puissant? Loin de là; lui-même doit « pardonner au pauvre et à lindigent 3 », cest-à-dire remettre les fautes à lhomme humble, qui na pas confiance dans ses propres mérites, qui nespère point son salut de sa propre force, mais qui sent le besoin de la grâce du Sauveur. « Et il sauvera les âmes des pauvres ». Le Prophète nous signale ainsi le double effet de la grâce; et dans la rémission des péchés, quand il dit: « Il pardonnera au pauvre et à lindigent » ; et dans la part qui nous est donnée à la justice, quand il ajoute: « Il sauvera les âmes des pauvres ». Nul en effet ne peut sans la grâce de Dieu se procurer le salut, qui est la justice parfaite. Car laccomplissement de la loi, cest la charité, et la charité nexiste point en nous par notre propre . force, mais elle est répandue dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné 4. 16. « Il délivrera leurs âmes de lusure et de liniquité 5». Quelles sont ces usures,
1. Ps. LXXI, 12 2. Matth. III, 29. 3. Ps. LXXI, 13. 4. Rom. V, 5. 5. Ps. LXXI, 14.
sinon les péchés, que lon nomme encore des dettes 1? On leur donne, je crois, le nom dusures, parce quun pécheur souffre dans les châtiments un mal plus grand que celui quil a commis en péchant. Un meurtrier, par exempte, tue le corps dun homme, et ne peut rien sur son âme: mais pour lui, il se condamne corps et âme à lenfer. De là vient quà propos de ces contempteurs de la loi en cette vie, de ces railleurs du supplice à venir, il est dit : « Je viendrai pour exiger le salaire avec usure 2 ». Or, les âmes des pauvres sont délivrées de ces usures, par le sang qui a été répandu pour la rémission des péchés. Racheter de lusure, cest donc racheter du péché qui mérite un plus grand châtiment; or, le Christ nous rachète de liniquité en nous donnant le secours de sa grâce pour pratiquer la justice. Il y a dès lors ici une répétition de ce qui a été dit plus haut: puisque « pardonner au pauvre et à lindigent 3», cest le «délivrer de lusure », et « sauver les âmes des pauvres», cest les sauver « de liniquité »; le mot « racheter » serait sous entendu dans lun et dans lautre cas. Et en effet, pardonner, cest racheter de lusure; sauver, cest racheter de liniquité. Ainsi « pardonner au pauvre et à lindigent, et sauver les âmes des pauvres, cest racheter leurs âmes de lusure et de liniquité. Son nom sera pour eux un nom de gloire ». Car ils relèvent par des louanges le nom dun si grand bienfaiteur, ceux qui répondent quil est digne et juste de rendre grâces au Seigneur leur Dieu. On trouve en dautres exemplaires : « Et ton nom est glorieux à ses propres yeux». Car si le monde ne voit dans les chrétiens que des hommes à mépriser, leur nom est grand devant celui qui le leur a donné, et qui ne se souvient plus, pour le leur reprocher 3, du nom quils portaient auparavant, lorsquils étaient engagés dans les superstitions des Gentils, ou de ces noms qui désignaient leurs crimes avant quils fussent chrétiens : voilà le nom qui est honorable à ses yeux, bien quil paraisse méprisable à nos ennemis. 17. « Et il vivra, et on lui donnera de lor de lArabie 4 ». « Vivre »; de qui ne peut-on point parler ainsi, quelque peu de temps quil doive passer sur la terre? Le Prophète veut donc nous signaler cette vie du « Christ
1. Matth. VI, 12. 2. Id. XXV, 27. 3. Ps. XV, 4. 4. Id. LXXI, 15.
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qui déjà ne meurt plus, et sur qui la mort a perdu son empire 1 ». « Il vivra donc » celui dont on a méprisé la mort: puisque selon le mot dun autre Prophète: « Sa vie e fut retranchée de dessus la terre 2». Mais quest-ce à dire quon « lui donnera de lor de lArabie? » De là, en effet, Salomon tira de lor, et cela devient pour le Psalmiste une figure du véritable Salomon, ou du véritable pacifique. Lancien Salomon, en effet, ne domina point «depuis le fleuve jusquaux extrémités du monde ». Cette prophétie nous marque alors que les sages du monde eux-mêmes croiront au Christ. Par lArabie nous entendons les Gentils; par lor, cette sagesse qui est au-dessus des autres sciences, comme lor au-dessus des métaux. De là cette parole: « Recevez la prudence comme largent, et lor comme un or éprouvé 3. Il sera lobjet éternel de leurs vux ». Comme il y a dans le grec, peri autou , plusieurs ont traduit quon fera des voeux « à son sujet» ; dautres, « pour lui-même », ou « pour lui ». Or, quest-ce que faire des voeux « à son sujet », sinon peut-être dire: « Que votre règne arrive 4 ? »Or, lavènement du Christ sera pour les fidèles lentrée du royaume de Dieu. Mais il est assez difficile de comprendre « pour lui», sinon que prier pour lEglise, cest aussi prier pour lui, puisquelle est son corps mystique, Cest en effet le Christ et lEglise que figure ce grand sacrement: « Ils seront deux dans une même chair 5 ». Quant au reste du sujet: « Tout le jour ils le béniront », il est assez évident que cest pendant les siècles. 18. « Il sera sur la terre le ferme appui des hautes montagnes 6. Car toutes les promesses de Dieu ont en lui leur affirmation 7» ; cest-à-dire, se confirment en lui. Car cest en lui que saccomplit tout ce quont annoncé les Prophètes au sujet de notre salut. Il convient, en effet, dentendre par ces montagnes les auteurs dont Dieu sest servi pour nous donner les livres saints; Jésus-Christ devient pour eux un ferme appui, parce que cest à lui que se rapporte tout ce que Dieu a fait écrire. Il a voulu que cela fût écrit sur la terre, parce que cest pour ceux qui vivent sur la terre quil la fait écrire; et que lui-même nest venu sur la terre quafin de le
1. Rom. VI, 9. 2. Isa. LIII, 8 ; Act, VIII, 33. 3. Prov. VIII, 10, 11. 4. Matth. VI, 10. 5. Ephés. V, 31, 32. 6. Ps. LXII, 16. 7. II Cor. I, 20
confirmer, ou den montrer en lui laccomplissement. « Il fallait», dit-il, « que saccomplit tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi, dans [es Prophètes et dans les psaumes 1 » : cest-à-dire « sur les hautes montagnes ». Voilà que « dans les derniers jours, la montagne du Seigneur se manifestera et sélèvera sur le sommet des montagnes 2 ». Ce que le psaume exprime ainsi : « Sur les hautes montagnes. Et son fruit dominera les sommets du Liban ». Le Liban a dordinaire pour nous le sens des dignités du siècle, car cest une montagne dont les arbres sont très-élevés, et dont le nom signifie blancheur. Or, quelle merveille que le fruit du Christ sélève au-dessus de tous les prestiges du siècle, puisque tous ceux qui aiment ce fruit ont dédaigné ce quil y a déclatant et délevé dans le monde? Si nous entendons le Liban dans un sens favorable, à cause «des cèdres du Liban que Dieu a plantés 3 », que devons-nous entendre par ce fruit qui sélève au-dessus du Liban, sinon celui que nous marque saint Paul, quand il va parler de la charité : « Je vous montrerai une voie plus élevée encore 4? » Cest là ce quil met au premier rang dans les dons de Dieu, quand il dit : « Or, le fruit de lEsprit-Saint est la charité 5 », et le reste, quil énumère ensuite. « Et ils fleuriront dans la cité comme les plantes de la terre ». Le mot de cité nest point ici déterminé, et il nest point dit: sa ville, ou la ville de Dieu, mais seulement: dans la cité; nous le prendrons en bonne part, et ce sera dans la cité de Dieu, ou dans lEglise , quils fleuriront comme lherbe; mais une herbe qui porte du fruit, comme le froment; car lui-même a le nom de plante dans les saintes Ecritures; ainsi dans la Genèse Dieu ordonne à la terre de produire toute espèce darbres, toute espèce de plantes 6, et il nest point dit toute espèce de froment, ce qui neût pas été omis certainement, sil neût pas été compris sous le nom générique des plantes; on en trouve encore beaucoup dexemples dans les Ecritures. Mais si nous devons donner à ces paroles : « Ils fleuriront comme les plantes de la terre », le sens de: « Toute chair est une herbe, et tout éclat pour lhomme nest quune fleur des plantes 7», alors la cité nous désignera la société du
1. Luc. XXIV, 44. 2. Isa. II, 2. 3. Ps. CIII, 16. 4. I Cor. XII, 31. 5. Gal. V, 22. 6. Gen. II, 11. 7. Isa. XL, 6.
monde, et ce nest pas sans raison que Caïn en fut le premier fondateur 1. Or, quand ce fruit du Christ est élevé au-dessus du Liban, cest-à-dire au-dessus des arbres à longue vie et des bois incorruptibles, comme ce fruit est éternel, lhomme dans tout son éclat et dans toute sa grandeur ici-bas, nest plus comparé quà une herbe, car tous ceux qui croient eu Jésus-Christ, qui espèrent la vie éternelle, nont que du mépris pour une félicité passagère, et ainsi saccomplit ce qua dit le Prophète : « Toute chair est une herbe, et toute beauté de la chair nest quune fleur de lherbe; lherbe se dessèche, la fleur tombe, mais la parole de Dieu demeure éternellement ». Cest en cela que le fruit du Christ domine les cèdres du Liban. Jamais la chair na été quune herbe, et la beauté de la chair que la fleur dune herbe; mais comme lon nenseignait pas la félicité quil fallait choisir et préférer, la fleur de lherbe était en honneur, et non-seulement on ne la dédaignait point, mais on la recherchait avec empressement. Or, comme si toutes ces fleurs mondaines commençaient à devenir viles dès quon sen détourne et quon les dédaigne : «Voilà », dit le Prophète, «que son fruit sera élevé au-dessus du Liban, et quils fleuriront dans la cité comme les fleurs de la terre 2 » ; cest-à-dire que lon estimera pardessus tout les promesses éternelles, et que lon regardera comme lherbe des champs ce qui occupe lattention du monde. 19. « Que son nom soit béni à jamais : son nom durera plus que le soleil 3 ». Le soleil ici marque les temps. Donc le nom du Christ durera éternellement. Car léternité a devancé les temps, et ne finira point avec les temps. « Cest en lui que seront bénies les tribus de la terre »; puisque cest en lui que saccomplit la promesse faite à Abraham. « Il nest point dit, en effet: En ceux qui naîtront, comme sils devaient être plusieurs; mais bien comme en parlant dun seul : En celui qui naîtra, et qui est le Christ 4 ». Il fut dit
1. Gen. IV, 17. 2. Ps. XI, 6-8. 3. Ps. LXXI, 17. 4. Gal. III, 16.
à Abraham, en effet : « En celui qui naîtra de toi seront bénies toutes les tribus de la terre 1. Or, ce ne sont pas les enfants selon la chair, mais les enfants de la promesse, qui font partie de sa race 2. Toutes les nations le béniront». Cest là une répétition qui explique ce qui précède. Ces peuples qui seront bénis en Jésus-Christ le grandiront, non point en ajoutant à sa grandeur, puisque par lui-même il est grand, mais en le bénissant, en chantant sa grandeur. Cest ainsi que nous grandissons Dieu ; ainsi disons-nous encore : « Que votre nom soit sanctifié 3 », bien quil soit saint éternellement. 20. « Béni soit le Seigneur, Dieu dIsraël, qui seul opère les merveilles 4». A la vue de ces merveilles quil vient dénumérer, le Prophète échappe un hymne, et bénit le Seigneur, le Dieu dIsraël. Alors saccomplit ce qui est dit à cette veuve stérile : « Celui qui ta délivrée, ce Seigneur dIsraël, sera appelé le Dieu de toute la terre 5 ». Cest lui qui « seul fait des merveilles », parce que cest lui qui en opère dans tous ceux qui en font : « Lui qui seul opère des miracles ». 21. « Et que le nom de sa gloire soit béni dans léternité et dans les siècles des siècles 6 » Comment traduire en latin, si nous ne pouvons dire : Dans léternité, et dans léternité de léternité ? Comme si « léternité » avait un autre sens que « le siècle », ce qui nest pas. Mais le grec porte : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos , que lon traduirait plus facilement par : Dans les siècles, et dans les siècles des siècles; alors «les siècles» sentendraient de la durée du temps , et « les siècles des siècles » marqueraient ce qui est de lavenir. « Et toute la terre sera remplie de sa gloire. Ainsi soit-il. Ainsi soit-il». Vous lavez ordonné, Seigneur, et cela saccomplit : cela saccomplit jusquà ce quenfin la parole partie « du fleuve » , parviendra « jusquaux dernières extrémités de la terres ».
1. Gen. XXII, 18. 2. Rom. IX, 8. 3. Matth. VI, 9. 4. Ps. LXXI, 18. 5. Isa. LIV, 5 6. Ps. LXXI, 19.
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