PSAUME LXXIV
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIV.

SERMON AU PEUPLE.

HUMILITÉ DE LA CONFESSION.

 

Le but auquel nous devons tendre, c’est la fin, ou Jésus-Christ qui doit nous juger, et accomplir ainsi ses promesses. Mais pour arriver à Dieu, il faut nous humilier, car Dieu ne s’approche du pécheur que quand celui-ci fait l’aveu de ses fautes ; et l’aveu est une humiliation volontaire, il purifie le temple où doit venir le Seigneur. Le Prophète redouble ici ses expressions, afin de confirmer sa pensée. Il a donc fait l’aveu de ses fautes, et seulement après cet aveu il invoque le Seigneur. C’est l’Eglise qui parle ici dans son chef et dans ses membres, quand il s’agit de la prédication; dans son chef seulement quand il s’agit de juger les justices. Le Christ les jugera quand le temps sera venu. Le temps sera pour celui qui gouverne le temps, parce qu’il viendra dans son humanité. La terre s’est effondrée sous les péchés des hommes, le Christ en a raffermi les colonnes ou les Apôtres que la résurrection confirma dans la foi, et qui prêchèrent l’Evangile. C’est par eux que le Christ nous avertit de pratiquer la justice, dit aux coupables de ne point s’enorgueillir, mais de s’humilier par l’aveu. Gardons-nous de blasphémer le Seigneur par nos murmures, de prendre sa patience pour l’impunité. Ne murmurons pas même intérieurement, car Dieu pénètre les pensées les plus intimes de notre coeur. Nous lui échappons en nous réfugiant en lui par la confession. Il abaisse l’orgueilleux ou le Pharisien, il élève l’humble ou le Publicain qui avoue ses fautes. Dans sa coupe est le vin pur du décalogue, les Gentils le boivent et sont raffermis ; et le vin trouble les enveloppes figuratives, que boivent les Juifs, et ils s’affaissent. Il brisera les impies dont nous devons mépriser les honneurs, élèvera les justes dont l’humilité doit nous plaire.

 

1. Ce psaume nous offre dans l’humilité un remède contre l’enflure de l’orgueil, et donne aux petits la consolation de l’espérance. Il prémunit les orgueilleux contre la présomption, et les humbles contre la défiance envers le Seigneur. Les promesses divines, en effet, sont invariables, certaines, inébranlables; elles sont fidèles et hors de doute, consolantes pour l’affligé. Car « toute la vie de l’homme sur la terre», est-il écrit, « est une épreuve sans fin ». Nous n’avons point à choisir, ou à rechercher la prospérité, ou à fuir l’adversité seulement; l’une et l’autre sont à craindre; l’une qui corrompt, l’autre qui abat; ainsi tout homme, quel que soit son état en cette vie, n’a de refuge qu’en Dieu, et de joie qu’en ses promesses. La vie, quelles qu’en soient les joies, est un leurre pour beaucoup, Dieu ne trompe jamais. Tout homme qui se convertit à lui, ne fait que changer de plaisir; car les délices ne lui sont point retranchées, mais changées : ici-bas sans doute nos délices en Dieu ne sont point en réalité, mais l’espérance que nous en avons est tellement certaine, qu’elle seule est préférable à toutes les délices du monde, ainsi qu’il est écrit : « Mets tes délices dans le Seigneur ». Mais ne t’imagine pas avoir déjà ce que Dieu promet, car le Prophète ajoute aussitôt : « Et il t’accordera les désirs de ton cœur  2». Mais si

 

1. Job, VII, 1. — 2.Ps. XXXVI, 4.

 

les désirs de ton coeur ne sont pas rassasiés, comment te complaire dans le Seigneur, sinon parce que tu es assuré des promesses qui le font ton débiteur? C’est donc pour affermir en nous l’espérance de notre prière, et pour que nous entrions en possession des promesses que Dieu nous a faites, que le titre du psaume porte : « Pour la fin, ne corrompez pas». Qu’est-ce à dire: «Ne corrompez point? Exécutez ce que vous avez promis. Mais quand? Pour la fin na. C’est bien là qu’il te faut diriger l’oeil de ton esprit, « pour la fin ». Quoi que tu puisses rencontrer sur ta route, passe outre, afin d’arriver à la fin. Que la félicité du temps fasse tressaillir les orgueilleux, qu’ils s’enflent de leurs dignités, qu’ils étincellent d’or, qu’ils scient escortés de serviteurs, environnés de clients : tout cela passe et s’évanouit comme l’ombre. Quand viendra cette fin qui fait la joie de tous ceux qui espèrent dans le Seigneur, il n’y aura pour ces hommes qu’une tristesse sans fin. Quand les humbles recevront ce qui fait la risée des méchants, l’enflure des superbes ne sera plus qu’un deuil. Alors s’accomplira cette parole de la sagesse ils diront à la vue de cette gloire des saints, jadis si patients quand on les humiliait, et si humbles quand on les élevait en gloire, ils diront donc : « Voilà ces hommes que nous avons tournés en dérision ». Et ils (190) ajouteront: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il du faste de nos richesses ? Tout s’est évanoui comme une ombre 1! » Ils ont mis leur espoir dans des biens corruptibles, et cet espoir s’évapore; le nôtre, au contraire, se réalisera. Car afin de laisser à la promesse de Dieu son intégrité, sa stabilité, sa certitude, nous avons dit dans notre coeur et avec confiance: « Pour la fin, ne corrompez point. » Ne craignez donc point qu’un potentat vienne altérer les promesses de Dieu. Lui-même ne les altère point, parce qu’il est véridique; et nul n’est plus puissant que lui pour faire avorter ses promesses : la promesse de Dieu est donc certaine, et déjà nous pouvons chanter ce premier verset du Psaume.

2. «Nous nous confesserons, Seigneur, nous « nous confesserons, et nous invoquerons votre nom 2 ». Ne l’invoque pas avant d’avouer tes fautes, fais d’abord cet aveu, tu invoqueras ensuite. Invoquer Dieu, c’est l’appeler en toi: quel autre sens peut avoir invoquer ? Si donc tu l’invoques, ou si tu l’appelles en toi, chez qui descend-il ? Pas chez l’orgueilleux. Il est élevé, et nul ne l’atteint en s’élevant. Pour atteindre toute hauteur, il faut nous élever; et si nous ne pouvons y arriver, nous avons recours aux machines ou aux échelles, afin de parvenir au faîte: Dieu, au contraire, est élevé, et il n’y a que les humbles pour l’atteindre. Il est écrit : « Le Seigneur est près de ceux qui ont un coeur contrit 3». Cette contrition du coeur, c’est la piété, l’humilité. L’homme contrit se fâche contre lui-même. Qu’il soit en guerre avec lui-même, afin d’être en paix avec Dieu; qu’il soit son propre juge, afin d’avoir Dieu pour défenseur. Dieu vient donc, si nous l’invoquons; mais chez qui vient-il? Jamais chez l’orgueilleux. Ecoutez un autre témoignage : « Du haut de son trône, Dieu regarde les humbles, il ne voit que de loin les orgueilleux 4. Ainsi le Seigneur jette les yeux sur les humbles », mais non de loin, tandis que c’est de loin qu’il voit les orgueilleux. Or, après avoir dit que Dieu voit les humbles, de peur que les orgueilleux ne se rassurent dans l’impunité, comme si leur orgueil devait échapper à celui qui habite au plus haut des cieux, le Prophète les effraie en disant : Il

 

1. Sag. V, 3,8,9.— 2. Ps. LXXIV, 2 3. Id. XXXIII, 19 4. Id. CXXXVII, 6.

 

vous voit, il vous connaît, mais de loin. Il fait les délices de ceux dont il s’approche; pour vous, superbes, dit le Prophète, hommes altiers, vous ne jouirez pas de l’impunité, car il vous voit; mais vous n’aurez point le bonheur, il ne vous connaît que de loin. Voyez ce que vous avez à faire : s’il vous connaît, il ne vous pardonnera point. Vous épargner, vaudrait mieux pour vous que vous connaître. Qu’est-ce que vous épargner, en latin ignoscere, sinon ne pas vous connaître, non noscere ? Que signifie ne pas vous connaître? n’avoir point l’esprit contre vous, non animadvertere, car l’animadversion se dit d’un homme qui châtie. Ecoutez le Prophète, qui demande à Dieu de l’épargner : « Détournez votre face de mes péchés 1». Que feras-tu donc, si le Seigneur détourne de toi son visage ? Voilà qui est fâcheux, il est à craindre qu’il ne t’abandonne. Mais que Dieu ne détourne point son visage, c’est l’animadversion. Dieu nous comprend, il a le pouvoir et de détourner sa face du pécheur, et de ne point la détourner de l’homme pénitent. Aussi est-il dit quelque part : « Détournez votre face de mes péchés »; et ailleurs : « Ne détournez point de moi votre visage 2 ». Ici, détournez-la de nies péchés; là, ne la détournez point de moi : confesse donc ton péché, et invoque le Seigneur. C’est par l’aveu que tu purifies le temple où viendra le Seigneur, sur ton invocation. Qu’il détourne sa face de ton péché, mais non de toi : qu’il détourne sa face de ce que tu as fait, mais non de ce qu’il a fait lui- même. En toi il a fait l’homme, et tu as fait tes péchés. Confesse-les donc, et invoque le Seigneur; dis-lui : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons nos fautes ».

3. Cette répétition devient ici une confirmation ; ainsi ta confession ne te cause aucun repentir. Celui qui reçoit cet aveu n’est point un Dieu cruel, ni vindicatif, mi insulteur : confesse-toi sans crainte. Ecoute celte autre parole encourageante du psaume: « Confessez-vous au Seigneur, parce qu’il est bon 3 ». Qu’est-ce à dire, « parce qu’il est bon? » Pourquoi redouter l’aveu? Le Seigneur est bon, il pardonne à celui qui avoue . Crains d’avouer devant un homme qui est le juge, de peur qu’il ne te châtie, mais non devant Dieu ; l’aveu te le rendra propice, et

 

1. Ps. L, 11 2. Id. XXVI, 9. — 3. Id. CV, 1; CV, 1

 

ta négation ne lui déroberait pas ta faute.  « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons avec confiance votre saint nom ». Nous avons épuisé nos coeurs par la confession; vous nous avez jetés dans l’effroi et purifiés. L’aveu nous humilie; approchez-vous des humbles, ô vous qui vous éloignez des superbes. En beaucoup d’endroits de l’Ecriture, nous voyons, dans la répétition, une confirmation de la pensée. De là cette locution de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité 1». De là vient que dans plusieurs psaumes, nous lisons : «Ainsi soit-il, ainsi soit-il 2 ». Une seule fois suffisait pour le sens, la répétition n’est qu’une manière de le corroborer. Pharaon, roi d’Egypte, vous le savez, pendant que Joseph était en prison pour avoir aimé la chasteté, Pharaon, dis-je, eut un songe : sept vaches grasses qui furent dévorées par sept vaches maigres; et ensuite sept épis pleins dévorés par sept épis grêles. Or, quelle interprétation donna Joseph? S’il vous en souvient, ce n’étaient point là deux songes, mais une même vision. « Il n’y a », dit Joseph, «qu’un même sens : la seconde vision», ajouta-t-il, « vient confirmer la première 3». Je vous fais ces réflexions, afin que la répétition, dans le langage des saintes Ecritures, ne vous apparaisse point comme un besoin de parler. Souvent, en effet, la répétition n’est qu’une confirmation de la pensée. « Mon coeur est prêt, Seigneur », dit le Prophète, « mon coeur est prêt 4». Ailleurs il s’écrie : « Attends le Seigneur, agis avec courage, raffermis ton coeur, et attends le Seigneur 5 ». Il y a dans les Ecritures une foule de répétitions semblables. Qu’il nous suffise de vous avoir expliqué cette manière de parler, pour observer cette règle en semblable rencontre. Revenons maintenant à notre Psaume : « Nous vous confesserons », dit le Prophète, « et nous en appellerons à nous». Je vous ai dit pourquoi l’aveu précède ici l’invocation. Invoquer, c’est inviter. Or, le Seigneur ne se rendra pas à ton invitation, si tu es orgueilleux; et si tu es orgueilleux, tu ne pourras faire l’aveu de tes fautes. Or, tu ne caches rien à Dieu qu’il ne sache, et ton aveu ne lui apprend rien; seulement il te purifie.

 4. Le Prophète a donc avoué ses fautes, il

 

1. Jean, 1,51 2. Ps. LXXI, 19; LXXXVIII, 53. — 3. Gen. XLI, 1—32. — 4. Ps. LVI, 8. — 5. Id. XXXVI, 14.

 

a invoqué, ou plutôt, ils ont avoué, ils ont invoqué; et il est dit au nom d’un seul : « Je raconterai toutes vos merveilles ». Son aveu l’a déchargé de ses misères, l’invocation l’a comblé de biens, et il répand ces biens avec sa parole. Remarquez-le, mes frères, le Prophète parle au nom de plusieurs, quand il s’agit d’avouer ses fautes : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom ». Les coeurs sont multiples pour l’aveu, ils ne sont qu’un pour croire. Pourquoi sont-ils plusieurs pour l’aveu, un seul pour la foi? C’est que les hommes confessent des péchés différents, et qu’ils n’embrassent qu’une même foi. Or, quand le Christ sera venu habiter dans l’homme intérieur par la foi 1, quand le Dieu invoqué aura pris possession du coeur qui fait l’aveu; alors le Christ sera tout entier dans son chef et dans son corps, il sera un dans plusieurs membres, Ecoutez donc ces paroles du Christ; car jusqu’alors elles ne paraissaient point lui appartenir : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons votre nom 2. » Voici donc les paroles de notre chef. Or, que le chef parle, ou bien les membres, c’est le Christ qui parle : tantôt au nom dit chef, tantôt au nom des membres. Qu’est-il dit en effet? « Ils seront deux dans une seule chair. Ce sacrement est grand, et moi, je le dis, dans le Christ et dans l’Eglise 3 ». Et le Sauveur a dit lui-même dans l’Evangile : « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 4». Pour nous faire comprendre qu’il y a ici deux personnes en quelque sorte, et qui n’en font plus qu’une seule par l’union du mariage; voilà qu’un seul nous dit en lsaïe : « Il m’a mis, comme à un époux, une couronne sur la tête, et m’a paré de pierreries comme une  épouse 5». L’époux se dit du chef, et l’épouse du corps. C’est donc un seul qui parle, écoutons-le, et nous aussi parlons avec lui. Soyons ses membres, afin que sa voix soit aussi la nôtre. « Je publierai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Le Christ s’annonce lui-même, et il s’annonce par ceux qui sont déjà ses membres, et qui en amènent d’autres, afin que ceux qui n’en étaient pas encore, s’approchent de Dieu, et prennent place parmi ces membres qui ont déjà prêché l’Evangile;

 

1. Ephés. III, 17. — 2. Ps. LXXIV, 2 3. Gen. II, 24; Ephés. V, 31, 32. — 4. Matth. XIX, 6. — 5. Isa. LXI, 10.

 

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alors il n’y aura plus qu’un seul corps sous un seul chef, dans un même esprit, dans une même vie.

5. Que dit-il donc? « Quand le temps sera venu » dit-il, « je jugerai les justices 1». Quand jugera- t-il les justices? Quand le temps sera venu. Le temps n’est donc pas venu; bénissons sa divine miséricorde qui prêche d’abord la justice, et ensuite juge les justices. Car s’il eût voulu juger avant d’avoir prêché, qui trouverait-il à sauver? Qui pourrait-il absoudre? C’est donc maintenant le temps de la prédication : « Je raconterai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Ecoule son récit, écoute sa prédication: car si tu le méprises: « Quand le temps sera venu », dit-il, « je jugerai les justices ». Je pardonne maintenant, dit-il, à celui qui fait l’aveu de ses fautes, je ne pardonnerai point à celui qui l’aura dédaigné. « Je chanterai en votre honneur mon Dieu, la miséricorde et le jugement 2 », dit-il dans un autre psaume. « La miséricorde et « le jugement ». C’est maintenant « la miséricorde », et après « le jugement»; la miséricorde qui pardonne les fautes, le jugement qui les châtie. Veux-tu ne point redouter 1e vengeur des crimes? Aime celui qui pardonne, ne rejette point ses faveurs, ne t’élève point, ne dis point : je n’ai rien à me faire pardonner. Ecoute ce qui suit: « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ». Est-ce au Christ que le temps doit échoir? ou, le Fils de Dieu reçoit-il le temps? Le temps n’est pas pour le Fils de Dieu, mais c’est le Fils de l’homme qui a reçu le temps. Lui-même est tout à la fois le Fils de Dieu par qui nous avons été faits, et le Fils de l’homme qui nous a refaits. Il a revêtu l’humanité, mais sans se dépouiller; c’est l’homme qui a été élevé à un état supérieur, mais lui n’a pas été amoindri. Il n’a point cessé d’être ce qu’il était, il a pris ce qu’il n’était pas. Qu’était-il? « Ayant eu la nature de Dieu, il n’a point cru faire usurpation en s’égalant à Dieu ». Ainsi dit l’Apôtre. Et qu’a-t-il reçu? «Il s’est anéanti, et a pris la forme de l’esclave 3 ». Il a donc pris le temps comme il a pris la forme de l’esclave. Il a donc été changé, diminué, rapetissé, il est tombé en quelque défaut? Loin de là. Comment donc « s’est-il anéanti en prenant la forme de l’esclave? » Il a paru s’anéantir parce qu’il a pris une forme moindre, non

 

1. Ps. LXXIV, 3. — 2. Id. C, 1. — 3. Philip. II, 6, 7.

 

qu’il soit déchu de son égalité avec Dieu. Que signifie donc, mes frères, cette parole: « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices? » Fils de l’homme, il a reçu le temps; Fils de Dieu, il gouverne le temps. Ecoute comment, Fils de l’homme, il a reçu le temps pour juger. Nous lisons dans l’Evangile : « Dieu lui a donné la puissance de rendre des jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme 1». Comme Fils de Dieu, il n’a pas reçu la puissance de juger, car il n’a jamais été privé de ce pouvoir judiciaire : mais comme Fils de l’homme, le temps lui a été assigné pour naître et pour souffrir, comme pour mourir, pour ressusciter, pour monter au ciel, enfin pour venir juger le monde. Ce langage est aussi celui de ses membres, car il ne doit pas juger sans eux ; et il est dit dans l’Evangile : « Vous serez assis sur douze eu trônes, jugeant les douze tribus d’Israël  2.» C’est donc Jésus-Christ tout entier, dans son chef, et dans ses membres ou dans les saints, qui dit: « Quand le temps sera venu pour moi, eu je jugerai les justices ».

6. Qu’arrive-t-il maintenant? « La terre s’est effondrée ». Comment la terre a-t-elle pu s’effondrer, sinon à cause des péchés? Aussi pécher s’appelle encore défaillir, et défaillir signifie en quelque sorte déchoir de la solidité, de la force, de la justice et de la vertu, pour se répandre comme l’eau. Ce n’est que par l’amour des biens inférieurs que nous péchons: de même que la force, pour nous, est dans l’amour des biens supérieurs, de même l’amour des biens d’ici-bas est use défaillance et comme une dissolution. Voyant l’homme s’effondrer ainsi dans le péché, le Dieu de la clémence et du pardon, le Dieu qui pardonne le péché sans le châtier encore, s’écrie : « La terre s’est effondrée, ainsi que eu ses habitants 3 ». C’est la terre qui s’est effondrée dans ceux qui l’habitent. Le Prophète explique, au lieu d’ajouter. Comme si tu disais : Comment la terre s’est-elle effondrée? En a-t-on dérobé les fondements, et ne trouvant plus qu’un vide, s’y est-elle abîmée? Ce que j’appelle la terre désigne « tous ceux qui l’habitent ». J’ai trouvé, dit-il, une terre pécheresse. Et qu’ai-je fait? « J’en ai affermi les colonnes ». Quelles colonnes a-t-il affermies? Ce qu’il appelle colonnes, ce sont les Apôtres. Ainsi saint Paul, parlant des autres

 

1. Jean, V, 27, — 2. Matth. XIX, 28. — 3. Ps. LXXIV, 4.

 

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Apôtres, disait : « Ceux qui paraissaient être les colonnes 1». Mais que seraient ces colonnes, si Dieu ne les eût affermies? Car elles furent ébranlées par un certain mouvement de la terre, et le désespoir s’empara de tous les Apôtres, à la passion du Sauveur. Ces colonnes donc ébranlées par la passion du Sauveur, se raffermirent à sa résurrection. Le fondement de l’édifice cria par ces colonnes, et dans toutes ces colonnes, ce fut l’architecte qui parla. L’apôtre saint Paul était une de ces colonnes, quand il disait : «Est-ce que vous voulez éprouver la puissance du Christ qui parle en moi  2? » C’est donc « moi », dit le Sauveur, « qui en ai raffermi les colonnes » : je suis ressuscité, j’ai montré que la mort n’était point à craindre, j’ai prouvé à ceux qui la craignaient, que le corps même ne périt t oint par la mort. Mes blessures les effrayaient, mes cicatrices les ont rassurés. Le Christ pouvait ressusciter sans porter aucune cicatrice : était-ce trop en effet pour sa puissance, de rétablir son corps dans une intégrité si parfaite, qu’il ne parût aucune trace de ses anciennes plaies? Il avait sans doute le pouvoir de guérir ses plaies sans cicatrice, mais il voulut à ces marques rétablir ces colonnes chancelantes.

7. Nous avons entendu, mes frères, qu’il ne cesse pas un jour de parler; écoutons ce qu’il nous crie par ces colonnes. Il est temps d’écouter et de trembler à cette parole : « Quand le temps sera venu, je jugerai les justices 3». Le temps de juger les justices viendra pour lui; pour vous est venu le temps de pratiquer la justice. S’il se taisait, vous ne pourriez faire aucun bien ; mais il crie par ses colonnes raffermies. Que crie-t-il? « J’ai dit aux injustes : Ne commettez pas l’injustice ». Il crie donc, mes frères, et vous criez aussi certainement ; vous prenez plaisir d’entendre ses cris. C’est par lui que je vous en conjure, laissez-vous effrayer par cette voix ; car j’ai bien moins lieu de me réjouir de vos applaudissements, que vous d’être effrayés de ces paroles. « J’ai dit aux injustes: Ne commettez point l’injustice ». Mais ils l’avaient déjà commise, et ils sont coupables: « la terre s’est effondrée avec ceux qui l’habitent », ils sont touchés de repentir, ceux qui ont mis à mort le Sauveur, ils ont reconnu leur péché, ils ont appris des Apôtres

 

1. Gal. II, 9. — 2. II Cor. XIII, 3. — 3. Ps. LXXIV, 5.

 

ne point désespérer leur pardon de celui qui prêche 1. Il était médecin Celui qui était venu, aussi n’était-il point venu pour ceux qui avaient la santé. « Ce ne sont pas », avait-il dit, « ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis point venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence 2». Donc « j’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice », et ils n’ont pas entendu. Voilà ce qui nous fut dit en effet autrefois: nous n’avons pas entendu, nous sommes tombés, nous sommes devenus mortels, engendrés dans la mort: « la terre s’est effondrée ». Afin de se relever, qu’ils écoutent du moins le médecin qui est venu près du malade: en santé ils ont refusé de l’écouter pour éviter la chute, maintenant qu’ils sont couchés à terre, qu’ils l’écoutent pour se relever. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez pas l’injustice ». Que faire? nous l’avons commise. « Et vous, pécheurs, ne levez point votre tête orgueilleuse». Qu’est-ce à dire? Si vous avez commis l’iniquité par convoitise, ne la défendez point par orgueil; accusez-vous si vous l’avez commise. C’est lever la tête, qu’être coupable sans l’avouer. « J’ai dit aux injustes : Ne commettez point l’injustice; et aux coupables: Ne levez point la tête ». Le Christ élèvera sa force au milieu de vous, si vous n’élevez point la vôtre. Votre force vient de l’iniquité, la force du Christ vient de sa majesté.

8. « Ne vous élevez donc pas; ne proférez point contre Dieu l’iniquité 3 » Ecoutez ces paroles d’un grand nombre, que chacun de vous écoute, et soit touché de repentir. Que disent ordinairement les hommes? Est-il vrai que Dieu jugera les actions des hommes? Est-ce là l’occupation de Dieu ? Aurait-il souci de ce que l’on fait sur la terre? Tant d’hommes injustes sont dans la prospérité, tant d’innocents dans la douleur! Or, comme Dieu voulait t’avertir et te corriger, et qu’il lui est arrivé je ne sais quoi de fâcheux, qui lui découvre sa conscience, et lui fait comprendre qu’il est juste pour lui de souffrir à cause de ses péchés: d’où lui viennent ses arguments contre Dieu? Comme il ne peut dire : Je suis juste, que pensez-vous qu’il va dire? Il y en a de plus pécheurs que moi qui ne souffrent pas ainsi. Voilà l’iniquité des murmures de l’homme contre Dieu. Comprenez-en vous-

 

1. Act. II, 37, 38. — 2. Matth. IX, 12, 13. — 3. Ps. LXXIV, 6.

 

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mêmes l’injustice: afin de paraître juste, il accuse Dieu d’injustice. Dire, en effet: C’est injustement que je souffre, c’est accuser d’injustice Celui qui juge à propos de me soumettre à la douleur, et déclarer juste celui qui souffre injustement. J’en appelle à vous, mues frères, est-il bien que l’iniquité soit pour Dieu, la justice pour vous? Parler de la sorte, c’est proférer l’iniquité contre Dieu.

9. Que dit le Seigneur dans un autre Psaume? «Voilà votre oeuvre», dit-il, après avoir énuméré plusieurs fautes, et néanmoins je me suis tu ». Qu’est-ce à dire: « Je me suis tu? » Dieu ne se tait jamais en précepte, muais quelquefois en châtiment: il diffère sa vengeance, et ne prononce pas l’arrêt contre le coupable. Mais ce coupable dit alors: J’ai commis telle et telle faute, et Dieu ne m’a point châtié, me voilà en santé, rien de fâcheux ne m’est arrivé. « Voilà ce que tu as fait, et j’ai gardé le silence: tu m’as soupçonné d’être injuste et de te ressembler ». Qu’est-ce à dire, « de te ressembler? » Parce que tu es injuste, tu m’as cru injuste aussi; tu m’as regardé comme l’approbateur, et non comme l’ennemi, le vengeur de tes crimes. Que dit ensuite le Seigneur? « Je t’en convaincrai, et je t’exposerai toi-même à tes propres yeux 1 ». Qu’est-ce que cela signifie? Que maintenant, dans tes péchés, tu te dérobes à toi-même, tu ne te vois point, tu ne te considères point. Je te mettrai donc en face de toi-même, tu seras pour toi un supplice. C’est ainsi qu’il est écrit ici : « Ne dites point l’iniquité contre Dieu». Remarquez, mes frères, beaucoup profèrent cette iniquité, mais ils n’osent le faire ostensiblement, de peur que les hommes de bien n’aient horreur de leurs blasphèmes; mais dans leurs coeurs, ils rongent ces pensées, ils s’en font intérieurement un aliment abominable; ils prennent plaisir à parler ainsi contre Dieu, et si la langue ne fait point d’éclat, le coeur n’est point muet. De là vient cette parole d’un autre Psaume : « L’insensé a dit dans son coeur: Dieu n’est point 2 » . « L’insensé l’a dit»; mais il a craint les hommes ; il n’a osé le dire où les hommes l’auraient entendu ; jamais il l’a dit dans son coeur où l’entendait Celui qu’il blasphémait. Aussi voyez, mes bien-aimés,le Prophète, après avoir dit dans notre psaume : « Ne proférez point l’iniquité contre Dieu », voit que beaucoup

 

1. Ps. XLIX, 21. — 2. LI, XIII, 1.

 

en agissent ainsi dans leurs coeurs, et il ajoute: « Car ni dans l’Orient, ni dans l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, Dieu « n’est absent, partout il est juge 1». Dieu jugera vos iniquités, car s’il est un Dieu, il est présent partout. Comment te dérober aux yeux de Dieu ; où iras-tu pour qu’il n’entende point tes blasphèmes? Si Dieu juge dans l’Orient, va dans l’Occident, et dis contre lui ce qu’il te plaira: s’il ne juge que dans l’Occident, va dans l’Orient, et parle à ton aise : s’il juge dans les déserts des montagnes, va au milieu des peuples, afin d’y murmurer sans crainte. Mais Dieu n’a pus un lieu spécial pour juger les hommes, il est caché partout, et partout il est visible ; nul ne peut le connaître tel qu’il est, et nul ne peut le méconnaître. Prends guide à ce que tu fais. Tu blasphèmes le Seigneur; mais « l’Esprit du Seigneur a remplit toute la terre », est-il dit dans un autre endroit de l’Ecriture, « et Celui qui contient tout, a la science de la parole: de là vient que le blasphémateur ne lui est pas inconnu 2 ». Ne t’imagine donc pas que Dieu soit en certains lieux : il est avec toi tel que tu es toi-même. Qu’est-ce à dire, tel que tu es toi-même? Bon, si tu es bon ; tu le croiras méchant, si tu es méchant; un Dieu secourable, si tu es bon; un Dieu vengeur, si tu es méchant. Ton juge est donc dans le secret de ton coeur. Pour faire le mal, tu fuis le public, tu rentres chez toi où nul ennemi ne te verra; tu évites même chez toi les endroits les plus exposés, qui seraient le plus en vue tu vas dans le lieu le plus secret, encore là tu redoutes un témoin, tu te renfermes dans ton coeur, pour y méditer à l’aise : mais Dieu pénètre plus avant que ton coeur. En quelque lieu que tu fuies, Dieu s’y trouve. Comment te fuir toi-même? Ne te suivras-tu point partout où tu iras? Mais lorsque Dieu est plus en toi que toi-même, où fuir un Dieu irrité, sinon en s’abritant sous sa miséricorde? Tu n’as donc point à fuir ; veux-tu lui échapper? Fuis en lui-même. Donc, ne proférez plus l’iniquité contre Dieu, pas même où vous le faites d’ordinaire. « Dans son lit», dit le Prophète, « l’ennemi a médité l’injustice 3 ». Qu’a-t-il médité dans son lit ? Ce lit, c’est son coeur, ainsi que le dit le Prophète : « Offrez un sacrifice de justice, et espérez daims le Seigneur ». Et déjà il avait dit: « Dites dans vos coeurs,

 

1. Ps. LXXIV, 7, 8. — 2. Sag. I, 7, 8. — 3. Ps. XXXV, 5,

 

et soyez dans vos lits percés de componction 1 ». Autant de fois le péché a stimulé votre coeur, autant de fois il vous faut sentir l’aiguillon de l’aveu. Dans le lieu même où tu as proféré l’iniquité contre Dieu, c’est là qu’il te juge: et ce n’est point le jugement qui est différé, mais le châtiment. Il te juge, il te connaît, il te voit ; il ne reste plus que le châtiment; or, ce châtiment il te l’infligera, quand il sera en ta présence, et quand apparaîtra cette face majestueuse de Celui qui a été tourné en dérision, jugé, crucifié, amené devant un tribunal : lorsque tu seras en présence de cette majesté redoutable, c’est alors que tu subiras ton châtiment, si tu ne t’es corrigé. Que nous faut-il donc faire? Prévenons sa face par un humble aveu, en exomologesei 2. «. Préviens-le par la confession, et alors viendra dans sa douceur Celui dont nous avons excité la colère. « Ni loin des déserts des montagnes, parce que Dieu est juge». Ni loin de l’Orient, ni loin de l’Occident, ni loin  des déserts, des montagnes : pourquoi ? « Parce que Dieu est juge ». S’il était en quelque lieu, il ne serait plus Dieu or, comme Dieu est un juge, et non pas un homme, ce n’est pas de quelque lieu qu’il faut l’attendre. Tu seras toi-même sa demeure, si tu es bon, si tu l’invoques en confessant tes fautes.

10. « Il abaisse l’un pour élever l’autre ». Quel est celui qu’abaisse un tel juge, et quel est celui qu’il élève ? Voyez ces deux hommes dans le temple, et voyez celui qu’il humilie, et celui qu’il élève, « Deux hommes », dit le Sauveur, « un pharisien et un publicain, montèrent au temple pour prier » ; le pharisien disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce publicain je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je possède ». Il venait trouver le médecin, et il montrait ses membres pleins de santé, et cachait ses plaies. Mais que fait cet autre qui sait mieux prendre le moyen d’être guéri ? « Le publicain se tenait au loin, et se frappait la poitrine » .Vous le voyez debout et au loin, et pourtant il est proche de celui qu’il invoquait. « Et il frappait sa poitrine en disant : Mon Dieu, soyez-moi propice, à moi pécheur. En vérité, je vous le déclare, le publicain s’en retourna plus juste que le Pharisien ; parce que tout

 

1. Ps. IV, 6,5 2. Id. XCIV, 2.

 

homme qui s’élève sera abaissé, et tout homme qui s’abaisse sera élevé 1 ». Voilà, mes frères, l’explication de ce verset du psaume. Que fait Dieu dans sa justice ? « Il abaisse l’un, et élève l’autre » : il humilie les orgueilleux, pour élever les humbles.

11. « Dans la main du Seigneur est une coupe d’un vin pur et néanmoins mélangé ». Cela est bien injuste. « Il en verse à l’un et à l’autre; et toutefois la lie ne tarit point, tous les pécheurs de la terre en boiront  2 ». Renouvelez quelque peu votre attention : il y a ici de l’obscurité; mais, comme il vient de nous être dit dans l’Evangile: « Demandez et l’on vous dominera; cherchez et e vous trouverez; frappez et l’on vous ouvrira 3 ». Mais, diras-tu, ou frapper afin que l’on m’ouvre ? « Ni à l’Orient, ni à l’Occident, ni dans les déserts des montagnes, parce que Dieu est juge ». Si donc il est présent ici et là, s’il n’est absent d’aucun lieu, frappe où tu es, sois debout, car on est debout pour frapper. Que signifie donc notre verset ? Voici la première difficulté : « Un vin pur, et néanmoins mélangé ». S’il y a « mélange », comment est-il « pur ? » Du reste, que « cette coupe soit dans la main du Seigneur » , je m’adresse à des fidèles instruits dans l’Eglise du Christ, et qui ne se représentent pas intérieurement l’image de Dieu sous une forme humaine, qui ne se font point d’idoles dans leurs coeurs, maintenant que les temples sont fermés. Ce calice a donc une signification, et nous l‘examinerons. « En la main du Seigneur », ou plutôt en sa puissance, car sa main signifie son pouvoir; comme on dit souvent des hommes : Il l’a sous la main c’est-à-dire, cela est en son pouvoir, il le fait à soin gré. « Cette coupe est donc pleine d’un  vin pur et néanmoins trouble ». Le Prophète nous donne ensuite cette explication : « Il verse », dit-il, « à l’un et à l’autre, et la lie ne tarit point». Voilà pourquoi le vin est mélangé. Ne vous étonnez point que le vin soit tout à la fois pur et mélangé ; il est pur à cause de son intégrité, il est trouble à cause de sa lie. Mais qu’est-ce que ce vin, et cette lie ? Pourquoi « verser à l’un et à l’autre », de manière à ne point tarir la lie?

12. Rappelez-vous ce qu’il a dit plus haut: « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». C’est ce

 

1. Luc, XVIII, 10-14. — 2. Ps. LXXIV, 9 3. Matth, VII, 7.

 

qu’ont figuré dans l’Evangile ces deux hommes, l’un pharisien, et l’autre publicain ; et dans un sens plus large, voyons ici deux nations, les Juifs et les Gentils ; le peuple juif sera le pharisien, le peuple des Gentils le publicain. Les Juifs se vantaient de leurs mérites, les Gentils confessaient leurs péchés. Il peut me comprendre celui qui a lu dans les Ecritures les lettres apostoliques, et les actes des Apôtres : et pour abréger, il voit comment les Apôtres exhortaient les Gentils à ne point désespérer, à la vue des grands désordres de leur vie ; et comment ils réprimaient les Juifs qui se glorifiaient dans les justifications de la loi, qui se regardaient eux-mêmes comme justes, et les Gentils comme des pécheurs, parce que les Juifs avaient une loi, un temple, et un sacerdoce 1. Quant à ces idolâtres, qui rendaient un culte aux démons, ils étaient loin de Dieu, comme ce publicain qui se tenait éloigné dans le temple. Mais les Juifs se sont éloignés de Dieu par leur orgueil, commue les Gentils sont revenus à lui par l’humble aveu. Je vous dirai donc ce qu’il plaira au Seigneur sur «ce calice qui est en sa main, et plein d’un vin pur ». Un autre pourra vous donner un sens meilleur ; telle est en effet l’obscurité de ce passage, qu’il est difficile de s’accorder sur un sens unique. Et toutefois, quelque sens que l’on y donne, pourvu qu’il s’accorde avec les règles de la foi, nous n’aurons ni envie contre les plus habiles, ni désespoir dans notre humilité. Je dirai donc à votre charité ce qui me vient à l’esprit, sans empêcher de prêter l’oreille à ceux qui pourront mieux dire. « Cette coupe d’un vin pur et pourtant eu trouble », me paraît être la loi, qui fut donnée aux Juifs, et toute cette Ecriture qu’on appelle ancienne alliance; c’est là que s’embarrassent toutes les interprétations. C’est là, en effet, qu’est caché le Nouveau Testament, comme enveloppé dans la lie des cérémonies légales. La circoncision de la chair est le symbole d’un grand mystère, et nous fait comprendre la circoncision du coeur. Ce temple de Jérusalem, est le symbole d’un grand mystère, et nous désigne le corps du Sauveur. La terre des promesses nous marque le royaume des cieux. L’offrande des victimes et des animaux était un grand symbole:  mais tous ces sacrifices différents ne désignaient qu’un seul et même sacrifice, que le

 

1. Rom, III, 4.

 

Seigneur, victime unique sur la croix: ce seul sacrifice a remplacé tous les autres, parce que tous les autres n’en étaient que la figure, c’est-à-dire le désignaient comme des symboles. Le peuple juif a donc reçu la loi, il a reçu des commandements justes et bons. Quoi de plus juste que ces préceptes : « Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point; vous ne direz point de faux témoignage; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez point le bien du prochain; vous ne convoiterez pas l’épouse de votre prochain ; vous adorerez un seul Dieu, et ne servirez que lui seul 1 ». Tout cela constitue leur vin. Les autres préceptes charnels sont en quelque sorte descendus au fond, pour demeurer chez les Juifs, et afin qu’il en découlât un sens tout à fait spirituel. « Cette coupe alors en la main du Seigneur », ou en la puissance du Seigneur, « est d’un vin pur » , c’est la sainteté de la loi , « et néanmoins troublé » ; c’est-à-dire mélangé avec la lie du symbole charnel. Or, comme « il humilie celui-ci », ou le juif orgueilleux, « et abaisse celui-là », ou le gentil qui s’humilie : « Il a versé sur l’un et sur l’autre », c’est-à-dire du peuple juif, sur le peuple païen. « Toutefois la lie n’est pas épuisée », parce que toutes les enveloppes charnelles sont demeurées chez les Juifs. «Tous les pécheurs de la terre en boiront » ; Qui en boira? « Tous les pêcheurs de la terre ». Quels pécheurs de la terre? Les Juifs étaient pécheurs à la vérité, mais orgueilleux : les Gentils étaient pécheurs aussi, mais humbles. « Tous les pécheurs boiront » ; mais vois pour qui la lie, et pour qui le vin pur. Car les uns se sont affaissés en buvant la lie, les autres se sont justifiés en buvant le vin ; ils se sont même enivrés, j’ose le dire sans crainte ; et puissiez-vous tous avoir cette ivresse. Souvenez-vous de cette parole: «Que votre calice est enivrant et délicieux  2! » Eh quoi! mes frères, pensez-vous qu’ils n’étaient pas dans l’ivresse, tous ceux qui ont voulu mourir tour Jésus-Christ ? Ils étaient ivres au point de méconnaître leurs proches. Tous les parents:qui essayaient, par l’amorce des biens terrestres, de les détourner du ciel, ne furent ni écoutés par ces hommes ivres, ni même connus. N’étaient-ils pas ivres ces

 

1. Exod. XX, 7-17; Deut, V, 6-21. — 2. Ps. XXII, 5.

 

 

hommes dont le coeur était ainsi changé? N’était-ce pas de l’ivresse que ce mépris pour le monde ? « Tous les pécheurs de la terre boiront », dit le Prophète. Qui boira le vin? Les pécheurs le boiront, afin de ne point demeurer dans le péché, afin de devenir justes, et non afin d’être châtiés.

13. « Quant à moi » : tous boiront, mais pour moi, c’est-à-dire pour le Christ dans son corps : « Je serai dans une allégresse éternelle, je chanterai le Dieu de Jacob 1 » dans l’espérance que Dieu me donne cette promesse pour l’avenir, et dont il est dit «Pour la fin, ne l’altérez pas. Je serai dans une éternelle allégresse ».

14. « Et je briserai toute la force des impies, et la force des justes sera élevée 2 ». Voici encore : « Il abaisse l’un, il élève l’autre ». Les pécheurs ne veulent point dompter ici ces forces qui seront infailliblement brisées à la fin. Tu ne veux point que le Christ les brise alors ; brise-les toi-même aujourd’hui. Car tu as entendu plus haut, et garde-toi de le mépriser : « J’ai dit aux pécheurs : N’agissez plus injustement; et aux coupables :

 

1. Ps. LXXIV, 10 2. Id. 11.

 

« Ne vous élevez point avec orgueil ». Mais à ces paroles : « Ne vous élevez point avec orgueil », tu as répondu par le mépris et avec une orgueilleuse enflure : la fin viendra pour toi, et alors s’accomplira cette parole : « Je briserai toutes les cornes des pécheurs, et j’élèverai les cornes des justes ». Par les cornes des pécheurs, on entend ces dignités dont ils s’enorgueillissent, et par les cornes des justes les dons du Christ. Ce mot de cornes désigne en général tout ce qui est élevé. Dédaigne sur la terre une élévation terrestre, afin que tu sois un jour grand dans le ciel. Si tu aimes la gloire d’ici-bas, tu n’auras pas celle d’en haut il y aura confusion pour toi, à voir ton orgueil brisé, et gloire pour toi à voir élever ta force. C’est donc maintenant qu’il faut choisir, et non plus alors. Tu ne pourras dire : Renvoyez-moi afin que je choisisse ; car tu as entendu : « J’ai averti l’impie ». Si je ne l’ai point fait, prépare tes excuses, ta défense , mais si je l’ai dit, fais par avance l’aveu de tes fautes, afin de ne pas aboutir à la damnation ; car au jugement ton aveu serait trop tardif, et ta défense inutile.

 

 

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