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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIV.SERMON AU PEUPLE.LHUMILITÉ DE LA CONFESSION.
Le but auquel nous devons tendre, cest la fin, ou Jésus-Christ qui doit nous juger, et accomplir ainsi ses promesses. Mais pour arriver à Dieu, il faut nous humilier, car Dieu ne sapproche du pécheur que quand celui-ci fait laveu de ses fautes ; et laveu est une humiliation volontaire, il purifie le temple où doit venir le Seigneur. Le Prophète redouble ici ses expressions, afin de confirmer sa pensée. Il a donc fait laveu de ses fautes, et seulement après cet aveu il invoque le Seigneur. Cest lEglise qui parle ici dans son chef et dans ses membres, quand il sagit de la prédication; dans son chef seulement quand il sagit de juger les justices. Le Christ les jugera quand le temps sera venu. Le temps sera pour celui qui gouverne le temps, parce quil viendra dans son humanité. La terre sest effondrée sous les péchés des hommes, le Christ en a raffermi les colonnes ou les Apôtres que la résurrection confirma dans la foi, et qui prêchèrent lEvangile. Cest par eux que le Christ nous avertit de pratiquer la justice, dit aux coupables de ne point senorgueillir, mais de shumilier par laveu. Gardons-nous de blasphémer le Seigneur par nos murmures, de prendre sa patience pour limpunité. Ne murmurons pas même intérieurement, car Dieu pénètre les pensées les plus intimes de notre coeur. Nous lui échappons en nous réfugiant en lui par la confession. Il abaisse lorgueilleux ou le Pharisien, il élève lhumble ou le Publicain qui avoue ses fautes. Dans sa coupe est le vin pur du décalogue, les Gentils le boivent et sont raffermis ; et le vin trouble les enveloppes figuratives, que boivent les Juifs, et ils saffaissent. Il brisera les impies dont nous devons mépriser les honneurs, élèvera les justes dont lhumilité doit nous plaire.
1. Ce psaume nous offre dans lhumilité un remède contre lenflure de lorgueil, et donne aux petits la consolation de lespérance. Il prémunit les orgueilleux contre la présomption, et les humbles contre la défiance envers le Seigneur. Les promesses divines, en effet, sont invariables, certaines, inébranlables; elles sont fidèles et hors de doute, consolantes pour laffligé. Car « toute la vie de lhomme sur la terre», est-il écrit, « est une épreuve sans fin ». Nous navons point à choisir, ou à rechercher la prospérité, ou à fuir ladversité seulement; lune et lautre sont à craindre; lune qui corrompt, lautre qui abat; ainsi tout homme, quel que soit son état en cette vie, na de refuge quen Dieu, et de joie quen ses promesses. La vie, quelles quen soient les joies, est un leurre pour beaucoup, Dieu ne trompe jamais. Tout homme qui se convertit à lui, ne fait que changer de plaisir; car les délices ne lui sont point retranchées, mais changées : ici-bas sans doute nos délices en Dieu ne sont point en réalité, mais lespérance que nous en avons est tellement certaine, quelle seule est préférable à toutes les délices du monde, ainsi quil est écrit : « Mets tes délices dans le Seigneur ». Mais ne timagine pas avoir déjà ce que Dieu promet, car le Prophète ajoute aussitôt : « Et il taccordera les désirs de ton cur 2». Mais si
1. Job, VII, 1. 2.Ps. XXXVI, 4.
les désirs de ton coeur ne sont pas rassasiés, comment te complaire dans le Seigneur, sinon parce que tu es assuré des promesses qui le font ton débiteur? Cest donc pour affermir en nous lespérance de notre prière, et pour que nous entrions en possession des promesses que Dieu nous a faites, que le titre du psaume porte : « Pour la fin, ne corrompez pas». Quest-ce à dire: «Ne corrompez point? Exécutez ce que vous avez promis. Mais quand? Pour la fin na. Cest bien là quil te faut diriger loeil de ton esprit, « pour la fin ». Quoi que tu puisses rencontrer sur ta route, passe outre, afin darriver à la fin. Que la félicité du temps fasse tressaillir les orgueilleux, quils senflent de leurs dignités, quils étincellent dor, quils scient escortés de serviteurs, environnés de clients : tout cela passe et sévanouit comme lombre. Quand viendra cette fin qui fait la joie de tous ceux qui espèrent dans le Seigneur, il ny aura pour ces hommes quune tristesse sans fin. Quand les humbles recevront ce qui fait la risée des méchants, lenflure des superbes ne sera plus quun deuil. Alors saccomplira cette parole de la sagesse ils diront à la vue de cette gloire des saints, jadis si patients quand on les humiliait, et si humbles quand on les élevait en gloire, ils diront donc : « Voilà ces hommes que nous avons tournés en dérision ». Et ils (190) ajouteront: « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il du faste de nos richesses ? Tout sest évanoui comme une ombre 1! » Ils ont mis leur espoir dans des biens corruptibles, et cet espoir sévapore; le nôtre, au contraire, se réalisera. Car afin de laisser à la promesse de Dieu son intégrité, sa stabilité, sa certitude, nous avons dit dans notre coeur et avec confiance: « Pour la fin, ne corrompez point. » Ne craignez donc point quun potentat vienne altérer les promesses de Dieu. Lui-même ne les altère point, parce quil est véridique; et nul nest plus puissant que lui pour faire avorter ses promesses : la promesse de Dieu est donc certaine, et déjà nous pouvons chanter ce premier verset du Psaume. 2. «Nous nous confesserons, Seigneur, nous « nous confesserons, et nous invoquerons votre nom 2 ». Ne linvoque pas avant davouer tes fautes, fais dabord cet aveu, tu invoqueras ensuite. Invoquer Dieu, cest lappeler en toi: quel autre sens peut avoir invoquer ? Si donc tu linvoques, ou si tu lappelles en toi, chez qui descend-il ? Pas chez lorgueilleux. Il est élevé, et nul ne latteint en sélevant. Pour atteindre toute hauteur, il faut nous élever; et si nous ne pouvons y arriver, nous avons recours aux machines ou aux échelles, afin de parvenir au faîte: Dieu, au contraire, est élevé, et il ny a que les humbles pour latteindre. Il est écrit : « Le Seigneur est près de ceux qui ont un coeur contrit 3». Cette contrition du coeur, cest la piété, lhumilité. Lhomme contrit se fâche contre lui-même. Quil soit en guerre avec lui-même, afin dêtre en paix avec Dieu; quil soit son propre juge, afin davoir Dieu pour défenseur. Dieu vient donc, si nous linvoquons; mais chez qui vient-il? Jamais chez lorgueilleux. Ecoutez un autre témoignage : « Du haut de son trône, Dieu regarde les humbles, il ne voit que de loin les orgueilleux 4. Ainsi le Seigneur jette les yeux sur les humbles », mais non de loin, tandis que cest de loin quil voit les orgueilleux. Or, après avoir dit que Dieu voit les humbles, de peur que les orgueilleux ne se rassurent dans limpunité, comme si leur orgueil devait échapper à celui qui habite au plus haut des cieux, le Prophète les effraie en disant : Il
1. Sag. V, 3,8,9. 2. Ps. LXXIV, 2. 3. Id. XXXIII, 19. 4. Id. CXXXVII, 6.
vous voit, il vous connaît, mais de loin. Il fait les délices de ceux dont il sapproche; pour vous, superbes, dit le Prophète, hommes altiers, vous ne jouirez pas de limpunité, car il vous voit; mais vous naurez point le bonheur, il ne vous connaît que de loin. Voyez ce que vous avez à faire : sil vous connaît, il ne vous pardonnera point. Vous épargner, vaudrait mieux pour vous que vous connaître. Quest-ce que vous épargner, en latin ignoscere, sinon ne pas vous connaître, non noscere ? Que signifie ne pas vous connaître? navoir point lesprit contre vous, non animadvertere, car lanimadversion se dit dun homme qui châtie. Ecoutez le Prophète, qui demande à Dieu de lépargner : « Détournez votre face de mes péchés 1». Que feras-tu donc, si le Seigneur détourne de toi son visage ? Voilà qui est fâcheux, il est à craindre quil ne tabandonne. Mais que Dieu ne détourne point son visage, cest lanimadversion. Dieu nous comprend, il a le pouvoir et de détourner sa face du pécheur, et de ne point la détourner de lhomme pénitent. Aussi est-il dit quelque part : « Détournez votre face de mes péchés »; et ailleurs : « Ne détournez point de moi votre visage 2 ». Ici, détournez-la de nies péchés; là, ne la détournez point de moi : confesse donc ton péché, et invoque le Seigneur. Cest par laveu que tu purifies le temple où viendra le Seigneur, sur ton invocation. Quil détourne sa face de ton péché, mais non de toi : quil détourne sa face de ce que tu as fait, mais non de ce quil a fait lui- même. En toi il a fait lhomme, et tu as fait tes péchés. Confesse-les donc, et invoque le Seigneur; dis-lui : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons nos fautes ». 3. Cette répétition devient ici une confirmation ; ainsi ta confession ne te cause aucun repentir. Celui qui reçoit cet aveu nest point un Dieu cruel, ni vindicatif, mi insulteur : confesse-toi sans crainte. Ecoute celte autre parole encourageante du psaume: « Confessez-vous au Seigneur, parce quil est bon 3 ». Quest-ce à dire, « parce quil est bon? » Pourquoi redouter laveu? Le Seigneur est bon, il pardonne à celui qui avoue . Crains davouer devant un homme qui est le juge, de peur quil ne te châtie, mais non devant Dieu ; laveu te le rendra propice, et
1. Ps. L, 11. 2. Id. XXVI, 9. 3. Id. CV, 1; CV, 1
ta négation ne lui déroberait pas ta faute. « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons avec confiance votre saint nom ». Nous avons épuisé nos coeurs par la confession; vous nous avez jetés dans leffroi et purifiés. Laveu nous humilie; approchez-vous des humbles, ô vous qui vous éloignez des superbes. En beaucoup dendroits de lEcriture, nous voyons, dans la répétition, une confirmation de la pensée. De là cette locution de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité 1». De là vient que dans plusieurs psaumes, nous lisons : «Ainsi soit-il, ainsi soit-il 2 ». Une seule fois suffisait pour le sens, la répétition nest quune manière de le corroborer. Pharaon, roi dEgypte, vous le savez, pendant que Joseph était en prison pour avoir aimé la chasteté, Pharaon, dis-je, eut un songe : sept vaches grasses qui furent dévorées par sept vaches maigres; et ensuite sept épis pleins dévorés par sept épis grêles. Or, quelle interprétation donna Joseph? Sil vous en souvient, ce nétaient point là deux songes, mais une même vision. « Il ny a », dit Joseph, «quun même sens : la seconde vision», ajouta-t-il, « vient confirmer la première 3». Je vous fais ces réflexions, afin que la répétition, dans le langage des saintes Ecritures, ne vous apparaisse point comme un besoin de parler. Souvent, en effet, la répétition nest quune confirmation de la pensée. « Mon coeur est prêt, Seigneur », dit le Prophète, « mon coeur est prêt 4». Ailleurs il sécrie : « Attends le Seigneur, agis avec courage, raffermis ton coeur, et attends le Seigneur 5 ». Il y a dans les Ecritures une foule de répétitions semblables. Quil nous suffise de vous avoir expliqué cette manière de parler, pour observer cette règle en semblable rencontre. Revenons maintenant à notre Psaume : « Nous vous confesserons », dit le Prophète, « et nous en appellerons à nous». Je vous ai dit pourquoi laveu précède ici linvocation. Invoquer, cest inviter. Or, le Seigneur ne se rendra pas à ton invitation, si tu es orgueilleux; et si tu es orgueilleux, tu ne pourras faire laveu de tes fautes. Or, tu ne caches rien à Dieu quil ne sache, et ton aveu ne lui apprend rien; seulement il te purifie. 4. Le Prophète a donc avoué ses fautes, il
1. Jean, 1,51. 2. Ps. LXXI, 19; LXXXVIII, 53. 3. Gen. XLI, 132. 4. Ps. LVI, 8. 5.
a invoqué, ou plutôt, ils ont avoué, ils ont invoqué; et il est dit au nom dun seul : « Je raconterai toutes vos merveilles ». Son aveu la déchargé de ses misères, linvocation la comblé de biens, et il répand ces biens avec sa parole. Remarquez-le, mes frères, le Prophète parle au nom de plusieurs, quand il sagit davouer ses fautes : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, et nous invoquerons votre nom ». Les coeurs sont multiples pour laveu, ils ne sont quun pour croire. Pourquoi sont-ils plusieurs pour laveu, un seul pour la foi? Cest que les hommes confessent des péchés différents, et quils nembrassent quune même foi. Or, quand le Christ sera venu habiter dans lhomme intérieur par la foi 1, quand le Dieu invoqué aura pris possession du coeur qui fait laveu; alors le Christ sera tout entier dans son chef et dans son corps, il sera un dans plusieurs membres, Ecoutez donc ces paroles du Christ; car jusqualors elles ne paraissaient point lui appartenir : « Nous vous confesserons, Seigneur, nous vous confesserons, nous invoquerons votre nom 2. » Voici donc les paroles de notre chef. Or, que le chef parle, ou bien les membres, cest le Christ qui parle : tantôt au nom dit chef, tantôt au nom des membres. Quest-il dit en effet? « Ils seront deux dans une seule chair. Ce sacrement est grand, et moi, je le dis, dans le Christ et dans lEglise 3 ». Et le Sauveur a dit lui-même dans lEvangile : « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 4». Pour nous faire comprendre quil y a ici deux personnes en quelque sorte, et qui nen font plus quune seule par lunion du mariage; voilà quun seul nous dit en lsaïe : « Il ma mis, comme à un époux, une couronne sur la tête, et ma paré de pierreries comme une épouse 5». Lépoux se dit du chef, et lépouse du corps. Cest donc un seul qui parle, écoutons-le, et nous aussi parlons avec lui. Soyons ses membres, afin que sa voix soit aussi la nôtre. « Je publierai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Le Christ sannonce lui-même, et il sannonce par ceux qui sont déjà ses membres, et qui en amènent dautres, afin que ceux qui nen étaient pas encore, sapprochent de Dieu, et prennent place parmi ces membres qui ont déjà prêché lEvangile;
1. Ephés. III, 17. 2. Ps. LXXIV, 2. 3. Gen. II, 24; Ephés. V, 31, 32. 4. Matth. XIX, 6. 5. Isa. LXI, 10.
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alors il ny aura plus quun seul corps sous un seul chef, dans un même esprit, dans une même vie. 5. Que dit-il donc? « Quand le temps sera venu » dit-il, « je jugerai les justices 1». Quand jugera- t-il les justices? Quand le temps sera venu. Le temps nest donc pas venu; bénissons sa divine miséricorde qui prêche dabord la justice, et ensuite juge les justices. Car sil eût voulu juger avant davoir prêché, qui trouverait-il à sauver? Qui pourrait-il absoudre? Cest donc maintenant le temps de la prédication : « Je raconterai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Ecoule son récit, écoute sa prédication: car si tu le méprises: « Quand le temps sera venu », dit-il, « je jugerai les justices ». Je pardonne maintenant, dit-il, à celui qui fait laveu de ses fautes, je ne pardonnerai point à celui qui laura dédaigné. « Je chanterai en votre honneur,ô mon Dieu, la miséricorde et le jugement 2 », dit-il dans un autre psaume. « La miséricorde et « le jugement ». Cest maintenant « la miséricorde », et après « le jugement»; la miséricorde qui pardonne les fautes, le jugement qui les châtie. Veux-tu ne point redouter 1e vengeur des crimes? Aime celui qui pardonne, ne rejette point ses faveurs, ne télève point, ne dis point : je nai rien à me faire pardonner. Ecoute ce qui suit: « Quand jaurai reçu le temps, je jugerai les justices ». Est-ce au Christ que le temps doit échoir? ou, le Fils de Dieu reçoit-il le temps? Le temps nest pas pour le Fils de Dieu, mais cest le Fils de lhomme qui a reçu le temps. Lui-même est tout à la fois le Fils de Dieu par qui nous avons été faits, et le Fils de lhomme qui nous a refaits. Il a revêtu lhumanité, mais sans se dépouiller; cest lhomme qui a été élevé à un état supérieur, mais lui na pas été amoindri. Il na point cessé dêtre ce quil était, il a pris ce quil nétait pas. Quétait-il? « Ayant eu la nature de Dieu, il na point cru faire usurpation en ségalant à Dieu ». Ainsi dit lApôtre. Et qua-t-il reçu? «Il sest anéanti, et a pris la forme de lesclave 3 ». Il a donc pris le temps comme il a pris la forme de lesclave. Il a donc été changé, diminué, rapetissé, il est tombé en quelque défaut? Loin de là. Comment donc « sest-il anéanti en prenant la forme de lesclave? » Il a paru sanéantir parce quil a pris une forme moindre, non
1. Ps. LXXIV, 3. 2. Id. C, 1. 3. Philip. II, 6, 7.
quil soit déchu de son égalité avec Dieu. Que signifie donc, mes frères, cette parole: « Quand jaurai reçu le temps, je jugerai les justices? » Fils de lhomme, il a reçu le temps; Fils de Dieu, il gouverne le temps. Ecoute comment, Fils de lhomme, il a reçu le temps pour juger. Nous lisons dans lEvangile : « Dieu lui a donné la puissance de rendre des jugements, parce quil est le Fils de lhomme 1». Comme Fils de Dieu, il na pas reçu la puissance de juger, car il na jamais été privé de ce pouvoir judiciaire : mais comme Fils de lhomme, le temps lui a été assigné pour naître et pour souffrir, comme pour mourir, pour ressusciter, pour monter au ciel, enfin pour venir juger le monde. Ce langage est aussi celui de ses membres, car il ne doit pas juger sans eux ; et il est dit dans lEvangile : « Vous serez assis sur douze eu trônes, jugeant les douze tribus dIsraël 2.» Cest donc Jésus-Christ tout entier, dans son chef, et dans ses membres ou dans les saints, qui dit: « Quand le temps sera venu pour moi, eu je jugerai les justices ». 6. Quarrive-t-il maintenant? « La terre sest effondrée ». Comment la terre a-t-elle pu seffondrer, sinon à cause des péchés? Aussi pécher sappelle encore défaillir, et défaillir signifie en quelque sorte déchoir de la solidité, de la force, de la justice et de la vertu, pour se répandre comme leau. Ce nest que par lamour des biens inférieurs que nous péchons: de même que la force, pour nous, est dans lamour des biens supérieurs, de même lamour des biens dici-bas est use défaillance et comme une dissolution. Voyant lhomme seffondrer ainsi dans le péché, le Dieu de la clémence et du pardon, le Dieu qui pardonne le péché sans le châtier encore, sécrie : « La terre sest effondrée, ainsi que eu ses habitants 3 ». Cest la terre qui sest effondrée dans ceux qui lhabitent. Le Prophète explique, au lieu dajouter. Comme si tu disais : Comment la terre sest-elle effondrée? En a-t-on dérobé les fondements, et ne trouvant plus quun vide, sy est-elle abîmée? Ce que jappelle la terre désigne « tous ceux qui lhabitent ». Jai trouvé, dit-il, une terre pécheresse. Et quai-je fait? « Jen ai affermi les colonnes ». Quelles colonnes a-t-il affermies? Ce quil appelle colonnes, ce sont les Apôtres. Ainsi saint Paul, parlant des autres
1. Jean, V, 27, 2. Matth. XIX, 28. 3. Ps. LXXIV, 4.
193
Apôtres, disait : « Ceux qui paraissaient être les colonnes 1». Mais que seraient ces colonnes, si Dieu ne les eût affermies? Car elles furent ébranlées par un certain mouvement de la terre, et le désespoir sempara de tous les Apôtres, à la passion du Sauveur. Ces colonnes donc ébranlées par la passion du Sauveur, se raffermirent à sa résurrection. Le fondement de lédifice cria par ces colonnes, et dans toutes ces colonnes, ce fut larchitecte qui parla. Lapôtre saint Paul était une de ces colonnes, quand il disait : «Est-ce que vous voulez éprouver la puissance du Christ qui parle en moi 2? » Cest donc « moi », dit le Sauveur, « qui en ai raffermi les colonnes » : je suis ressuscité, jai montré que la mort nétait point à craindre, jai prouvé à ceux qui la craignaient, que le corps même ne périt t oint par la mort. Mes blessures les effrayaient, mes cicatrices les ont rassurés. Le Christ pouvait ressusciter sans porter aucune cicatrice : était-ce trop en effet pour sa puissance, de rétablir son corps dans une intégrité si parfaite, quil ne parût aucune trace de ses anciennes plaies? Il avait sans doute le pouvoir de guérir ses plaies sans cicatrice, mais il voulut à ces marques rétablir ces colonnes chancelantes. 7. Nous avons entendu, mes frères, quil ne cesse pas un jour de parler; écoutons ce quil nous crie par ces colonnes. Il est temps découter et de trembler à cette parole : « Quand le temps sera venu, je jugerai les justices 3». Le temps de juger les justices viendra pour lui; pour vous est venu le temps de pratiquer la justice. Sil se taisait, vous ne pourriez faire aucun bien ; mais il crie par ses colonnes raffermies. Que crie-t-il? « Jai dit aux injustes : Ne commettez pas linjustice ». Il crie donc, mes frères, et vous criez aussi certainement ; vous prenez plaisir dentendre ses cris. Cest par lui que je vous en conjure, laissez-vous effrayer par cette voix ; car jai bien moins lieu de me réjouir de vos applaudissements, que vous dêtre effrayés de ces paroles. « Jai dit aux injustes: Ne commettez point linjustice ». Mais ils lavaient déjà commise, et ils sont coupables: « la terre sest effondrée avec ceux qui lhabitent », ils sont touchés de repentir, ceux qui ont mis à mort le Sauveur, ils ont reconnu leur péché, ils ont appris des Apôtres
1. Gal. II, 9. 2. II Cor. XIII, 3. 3. Ps. LXXIV, 5.
ne point désespérer leur pardon de celui qui prêche 1. Il était médecin Celui qui était venu, aussi nétait-il point venu pour ceux qui avaient la santé. « Ce ne sont pas », avait-il dit, « ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades. Je ne suis point venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence 2». Donc « jai dit aux injustes : Ne commettez point linjustice », et ils nont pas entendu. Voilà ce qui nous fut dit en effet autrefois: nous navons pas entendu, nous sommes tombés, nous sommes devenus mortels, engendrés dans la mort: « la terre sest effondrée ». Afin de se relever, quils écoutent du moins le médecin qui est venu près du malade: en santé ils ont refusé de lécouter pour éviter la chute, maintenant quils sont couchés à terre, quils lécoutent pour se relever. « Jai dit aux injustes : Ne commettez pas linjustice ». Que faire? nous lavons commise. « Et vous, pécheurs, ne levez point votre tête orgueilleuse». Quest-ce à dire? Si vous avez commis liniquité par convoitise, ne la défendez point par orgueil; accusez-vous si vous lavez commise. Cest lever la tête, quêtre coupable sans lavouer. « Jai dit aux injustes : Ne commettez point linjustice; et aux coupables: Ne levez point la tête ». Le Christ élèvera sa force au milieu de vous, si vous nélevez point la vôtre. Votre force vient de liniquité, la force du Christ vient de sa majesté. 8. « Ne vous élevez donc pas; ne proférez point contre Dieu liniquité 3 » Ecoutez ces paroles dun grand nombre, que chacun de vous écoute, et soit touché de repentir. Que disent ordinairement les hommes? Est-il vrai que Dieu jugera les actions des hommes? Est-ce là loccupation de Dieu ? Aurait-il souci de ce que lon fait sur la terre? Tant dhommes injustes sont dans la prospérité, tant dinnocents dans la douleur! Or, comme Dieu voulait tavertir et te corriger, et quil lui est arrivé je ne sais quoi de fâcheux, qui lui découvre sa conscience, et lui fait comprendre quil est juste pour lui de souffrir à cause de ses péchés: doù lui viennent ses arguments contre Dieu? Comme il ne peut dire : Je suis juste, que pensez-vous quil va dire? Il y en a de plus pécheurs que moi qui ne souffrent pas ainsi. Voilà liniquité des murmures de lhomme contre Dieu. Comprenez-en vous-
1. Act. II, 37, 38. 2. Matth. IX, 12, 13. 3. Ps. LXXIV, 6.
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mêmes linjustice: afin de paraître juste, il accuse Dieu dinjustice. Dire, en effet: Cest injustement que je souffre, cest accuser dinjustice Celui qui juge à propos de me soumettre à la douleur, et déclarer juste celui qui souffre injustement. Jen appelle à vous, mues frères, est-il bien que liniquité soit pour Dieu, la justice pour vous? Parler de la sorte, cest proférer liniquité contre Dieu. 9. Que dit le Seigneur dans un autre Psaume? «Voilà votre oeuvre», dit-il, après avoir énuméré plusieurs fautes, et néanmoins je me suis tu ». Quest-ce à dire: « Je me suis tu? » Dieu ne se tait jamais en précepte, muais quelquefois en châtiment: il diffère sa vengeance, et ne prononce pas larrêt contre le coupable. Mais ce coupable dit alors: Jai commis telle et telle faute, et Dieu ne ma point châtié, me voilà en santé, rien de fâcheux ne mest arrivé. « Voilà ce que tu as fait, et jai gardé le silence: tu mas soupçonné dêtre injuste et de te ressembler ». Quest-ce à dire, « de te ressembler? » Parce que tu es injuste, tu mas cru injuste aussi; tu mas regardé comme lapprobateur, et non comme lennemi, le vengeur de tes crimes. Que dit ensuite le Seigneur? « Je ten convaincrai, et je texposerai toi-même à tes propres yeux 1 ». Quest-ce que cela signifie? Que maintenant, dans tes péchés, tu te dérobes à toi-même, tu ne te vois point, tu ne te considères point. Je te mettrai donc en face de toi-même, tu seras pour toi un supplice. Cest ainsi quil est écrit ici : « Ne dites point liniquité contre Dieu». Remarquez, mes frères, beaucoup profèrent cette iniquité, mais ils nosent le faire ostensiblement, de peur que les hommes de bien naient horreur de leurs blasphèmes; mais dans leurs coeurs, ils rongent ces pensées, ils sen font intérieurement un aliment abominable; ils prennent plaisir à parler ainsi contre Dieu, et si la langue ne fait point déclat, le coeur nest point muet. De là vient cette parole dun autre Psaume : « Linsensé a dit dans son coeur: Dieu nest point 2 » . « Linsensé la dit»; mais il a craint les hommes ; il na osé le dire où les hommes lauraient entendu ; jamais il la dit dans son coeur où lentendait Celui quil blasphémait. Aussi voyez, mes bien-aimés,le Prophète, après avoir dit dans notre psaume : « Ne proférez point liniquité contre Dieu », voit que beaucoup
1. Ps. XLIX, 21. 2. LI, XIII, 1.
en agissent ainsi dans leurs coeurs, et il ajoute: « Car ni dans lOrient, ni dans lOccident, ni dans les déserts des montagnes, Dieu « nest absent, partout il est juge 1». Dieu jugera vos iniquités, car sil est un Dieu, il est présent partout. Comment te dérober aux yeux de Dieu ; où iras-tu pour quil nentende point tes blasphèmes? Si Dieu juge dans lOrient, va dans lOccident, et dis contre lui ce quil te plaira: sil ne juge que dans lOccident, va dans lOrient, et parle à ton aise : sil juge dans les déserts des montagnes, va au milieu des peuples, afin dy murmurer sans crainte. Mais Dieu na pus un lieu spécial pour juger les hommes, il est caché partout, et partout il est visible ; nul ne peut le connaître tel quil est, et nul ne peut le méconnaître. Prends guide à ce que tu fais. Tu blasphèmes le Seigneur; mais « lEsprit du Seigneur a remplit toute la terre », est-il dit dans un autre endroit de lEcriture, « et Celui qui contient tout, a la science de la parole: de là vient que le blasphémateur ne lui est pas inconnu 2 ». Ne timagine donc pas que Dieu soit en certains lieux : il est avec toi tel que tu es toi-même. Quest-ce à dire, tel que tu es toi-même? Bon, si tu es bon ; tu le croiras méchant, si tu es méchant; un Dieu secourable, si tu es bon; un Dieu vengeur, si tu es méchant. Ton juge est donc dans le secret de ton coeur. Pour faire le mal, tu fuis le public, tu rentres chez toi où nul ennemi ne te verra; tu évites même chez toi les endroits les plus exposés, qui seraient le plus en vue tu vas dans le lieu le plus secret, encore là tu redoutes un témoin, tu te renfermes dans ton coeur, pour y méditer à laise : mais Dieu pénètre plus avant que ton coeur. En quelque lieu que tu fuies, Dieu sy trouve. Comment te fuir toi-même? Ne te suivras-tu point partout où tu iras? Mais lorsque Dieu est plus en toi que toi-même, où fuir un Dieu irrité, sinon en sabritant sous sa miséricorde? Tu nas donc point à fuir ; veux-tu lui échapper? Fuis en lui-même. Donc, ne proférez plus liniquité contre Dieu, pas même où vous le faites dordinaire. « Dans son lit», dit le Prophète, « lennemi a médité linjustice 3 ». Qua-t-il médité dans son lit ? Ce lit, cest son coeur, ainsi que le dit le Prophète : « Offrez un sacrifice de justice, et espérez daims le Seigneur ». Et déjà il avait dit: « Dites dans vos coeurs,
1. Ps. LXXIV, 7, 8. 2. Sag. I, 7, 8. 3. Ps. XXXV, 5,
et soyez dans vos lits percés de componction 1 ». Autant de fois le péché a stimulé votre coeur, autant de fois il vous faut sentir laiguillon de laveu. Dans le lieu même où tu as proféré liniquité contre Dieu, cest là quil te juge: et ce nest point le jugement qui est différé, mais le châtiment. Il te juge, il te connaît, il te voit ; il ne reste plus que le châtiment; or, ce châtiment il te linfligera, quand il sera en ta présence, et quand apparaîtra cette face majestueuse de Celui qui a été tourné en dérision, jugé, crucifié, amené devant un tribunal : lorsque tu seras en présence de cette majesté redoutable, cest alors que tu subiras ton châtiment, si tu ne tes corrigé. Que nous faut-il donc faire? Prévenons sa face par un humble aveu, en exomologesei 2. «. Préviens-le par la confession, et alors viendra dans sa douceur Celui dont nous avons excité la colère. « Ni loin des déserts des montagnes, parce que Dieu est juge». Ni loin de lOrient, ni loin de lOccident, ni loin des déserts, des montagnes : pourquoi ? « Parce que Dieu est juge ». Sil était en quelque lieu, il ne serait plus Dieu or, comme Dieu est un juge, et non pas un homme, ce nest pas de quelque lieu quil faut lattendre. Tu seras toi-même sa demeure, si tu es bon, si tu linvoques en confessant tes fautes. 10. « Il abaisse lun pour élever lautre ». Quel est celui quabaisse un tel juge, et quel est celui quil élève ? Voyez ces deux hommes dans le temple, et voyez celui quil humilie, et celui quil élève, « Deux hommes », dit le Sauveur, « un pharisien et un publicain, montèrent au temple pour prier » ; le pharisien disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce publicain je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de ce que je possède ». Il venait trouver le médecin, et il montrait ses membres pleins de santé, et cachait ses plaies. Mais que fait cet autre qui sait mieux prendre le moyen dêtre guéri ? « Le publicain se tenait au loin, et se frappait la poitrine » .Vous le voyez debout et au loin, et pourtant il est proche de celui quil invoquait. « Et il frappait sa poitrine en disant : Mon Dieu, soyez-moi propice, à moi pécheur. En vérité, je vous le déclare, le publicain sen retourna plus juste que le Pharisien ; parce que tout
1. Ps. IV, 6,5. 2. Id. XCIV, 2.
homme qui sélève sera abaissé, et tout homme qui sabaisse sera élevé 1 ». Voilà, mes frères, lexplication de ce verset du psaume. Que fait Dieu dans sa justice ? « Il abaisse lun, et élève lautre » : il humilie les orgueilleux, pour élever les humbles. 11. « Dans la main du Seigneur est une coupe dun vin pur et néanmoins mélangé ». Cela est bien injuste. « Il en verse à lun et à lautre; et toutefois la lie ne tarit point, tous les pécheurs de la terre en boiront 2 ». Renouvelez quelque peu votre attention : il y a ici de lobscurité; mais, comme il vient de nous être dit dans lEvangile: « Demandez et lon vous dominera; cherchez et e vous trouverez; frappez et lon vous ouvrira 3 ». Mais, diras-tu, ou frapper afin que lon mouvre ? « Ni à lOrient, ni à lOccident, ni dans les déserts des montagnes, parce que Dieu est juge ». Si donc il est présent ici et là, sil nest absent daucun lieu, frappe où tu es, sois debout, car on est debout pour frapper. Que signifie donc notre verset ? Voici la première difficulté : « Un vin pur, et néanmoins mélangé ». Sil y a « mélange », comment est-il « pur ? » Du reste, que « cette coupe soit dans la main du Seigneur » , je madresse à des fidèles instruits dans lEglise du Christ, et qui ne se représentent pas intérieurement limage de Dieu sous une forme humaine, qui ne se font point didoles dans leurs coeurs, maintenant que les temples sont fermés. Ce calice a donc une signification, et nous lexaminerons. « En la main du Seigneur », ou plutôt en sa puissance, car sa main signifie son pouvoir; comme on dit souvent des hommes : Il la sous la main cest-à-dire, cela est en son pouvoir, il le fait à soin gré. « Cette coupe est donc pleine dun vin pur et néanmoins trouble ». Le Prophète nous donne ensuite cette explication : « Il verse », dit-il, « à lun et à lautre, et la lie ne tarit point». Voilà pourquoi le vin est mélangé. Ne vous étonnez point que le vin soit tout à la fois pur et mélangé ; il est pur à cause de son intégrité, il est trouble à cause de sa lie. Mais quest-ce que ce vin, et cette lie ? Pourquoi « verser à lun et à lautre », de manière à ne point tarir la lie? 12. Rappelez-vous ce quil a dit plus haut: « Il abaisse lun, il élève lautre ». Cest ce
1. Luc, XVIII, 10-14. 2. Ps. LXXIV, 9. 3. Matth, VII, 7.
quont figuré dans lEvangile ces deux hommes, lun pharisien, et lautre publicain ; et dans un sens plus large, voyons ici deux nations, les Juifs et les Gentils ; le peuple juif sera le pharisien, le peuple des Gentils le publicain. Les Juifs se vantaient de leurs mérites, les Gentils confessaient leurs péchés. Il peut me comprendre celui qui a lu dans les Ecritures les lettres apostoliques, et les actes des Apôtres : et pour abréger, il voit comment les Apôtres exhortaient les Gentils à ne point désespérer, à la vue des grands désordres de leur vie ; et comment ils réprimaient les Juifs qui se glorifiaient dans les justifications de la loi, qui se regardaient eux-mêmes comme justes, et les Gentils comme des pécheurs, parce que les Juifs avaient une loi, un temple, et un sacerdoce 1. Quant à ces idolâtres, qui rendaient un culte aux démons, ils étaient loin de Dieu, comme ce publicain qui se tenait éloigné dans le temple. Mais les Juifs se sont éloignés de Dieu par leur orgueil, commue les Gentils sont revenus à lui par lhumble aveu. Je vous dirai donc ce quil plaira au Seigneur sur «ce calice qui est en sa main, et plein dun vin pur ». Un autre pourra vous donner un sens meilleur ; telle est en effet lobscurité de ce passage, quil est difficile de saccorder sur un sens unique. Et toutefois, quelque sens que lon y donne, pourvu quil saccorde avec les règles de la foi, nous naurons ni envie contre les plus habiles, ni désespoir dans notre humilité. Je dirai donc à votre charité ce qui me vient à lesprit, sans empêcher de prêter loreille à ceux qui pourront mieux dire. « Cette coupe dun vin pur et pourtant eu trouble », me paraît être la loi, qui fut donnée aux Juifs, et toute cette Ecriture quon appelle ancienne alliance; cest là que sembarrassent toutes les interprétations. Cest là, en effet, quest caché le Nouveau Testament, comme enveloppé dans la lie des cérémonies légales. La circoncision de la chair est le symbole dun grand mystère, et nous fait comprendre la circoncision du coeur. Ce temple de Jérusalem, est le symbole dun grand mystère, et nous désigne le corps du Sauveur. La terre des promesses nous marque le royaume des cieux. Loffrande des victimes et des animaux était un grand symbole: mais tous ces sacrifices différents ne désignaient quun seul et même sacrifice, que le
1. Rom, III, 4.
Seigneur, victime unique sur la croix: ce seul sacrifice a remplacé tous les autres, parce que tous les autres nen étaient que la figure, cest-à-dire le désignaient comme des symboles. Le peuple juif a donc reçu la loi, il a reçu des commandements justes et bons. Quoi de plus juste que ces préceptes : « Vous ne tuerez point ; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point; vous ne direz point de faux témoignage; honorez votre père et votre mère ; vous ne désirerez point le bien du prochain; vous ne convoiterez pas lépouse de votre prochain ; vous adorerez un seul Dieu, et ne servirez que lui seul 1 ». Tout cela constitue leur vin. Les autres préceptes charnels sont en quelque sorte descendus au fond, pour demeurer chez les Juifs, et afin quil en découlât un sens tout à fait spirituel. « Cette coupe alors en la main du Seigneur », ou en la puissance du Seigneur, « est dun vin pur » , cest la sainteté de la loi , « et néanmoins troublé » ; cest-à-dire mélangé avec la lie du symbole charnel. Or, comme « il humilie celui-ci », ou le juif orgueilleux, « et abaisse celui-là », ou le gentil qui shumilie : « Il a versé sur lun et sur lautre », cest-à-dire du peuple juif, sur le peuple païen. « Toutefois la lie nest pas épuisée », parce que toutes les enveloppes charnelles sont demeurées chez les Juifs. «Tous les pécheurs de la terre en boiront » ; Qui en boira? « Tous les pêcheurs de la terre ». Quels pécheurs de la terre? Les Juifs étaient pécheurs à la vérité, mais orgueilleux : les Gentils étaient pécheurs aussi, mais humbles. « Tous les pécheurs boiront » ; mais vois pour qui la lie, et pour qui le vin pur. Car les uns se sont affaissés en buvant la lie, les autres se sont justifiés en buvant le vin ; ils se sont même enivrés, jose le dire sans crainte ; et puissiez-vous tous avoir cette ivresse. Souvenez-vous de cette parole: «Que votre calice est enivrant et délicieux 2! » Eh quoi! mes frères, pensez-vous quils nétaient pas dans livresse, tous ceux qui ont voulu mourir tour Jésus-Christ ? Ils étaient ivres au point de méconnaître leurs proches. Tous les parents:qui essayaient, par lamorce des biens terrestres, de les détourner du ciel, ne furent ni écoutés par ces hommes ivres, ni même connus. Nétaient-ils pas ivres ces
1. Exod. XX, 7-17; Deut, V, 6-21. 2. Ps. XXII, 5.
hommes dont le coeur était ainsi changé? Nétait-ce pas de livresse que ce mépris pour le monde ? « Tous les pécheurs de la terre boiront », dit le Prophète. Qui boira le vin? Les pécheurs le boiront, afin de ne point demeurer dans le péché, afin de devenir justes, et non afin dêtre châtiés. 13. « Quant à moi » : tous boiront, mais pour moi, cest-à-dire pour le Christ dans son corps : « Je serai dans une allégresse éternelle, je chanterai le Dieu de Jacob 1 » dans lespérance que Dieu me donne cette promesse pour lavenir, et dont il est dit «Pour la fin, ne laltérez pas. Je serai dans une éternelle allégresse ». 14. « Et je briserai toute la force des impies, et la force des justes sera élevée 2 ». Voici encore : « Il abaisse lun, il élève lautre ». Les pécheurs ne veulent point dompter ici ces forces qui seront infailliblement brisées à la fin. Tu ne veux point que le Christ les brise alors ; brise-les toi-même aujourdhui. Car tu as entendu plus haut, et garde-toi de le mépriser : « Jai dit aux pécheurs : Nagissez plus injustement; et aux coupables :
1. Ps. LXXIV, 10. 2. Id. 11.
« Ne vous élevez point avec orgueil ». Mais à ces paroles : « Ne vous élevez point avec orgueil », tu as répondu par le mépris et avec une orgueilleuse enflure : la fin viendra pour toi, et alors saccomplira cette parole : « Je briserai toutes les cornes des pécheurs, et jélèverai les cornes des justes ». Par les cornes des pécheurs, on entend ces dignités dont ils senorgueillissent, et par les cornes des justes les dons du Christ. Ce mot de cornes désigne en général tout ce qui est élevé. Dédaigne sur la terre une élévation terrestre, afin que tu sois un jour grand dans le ciel. Si tu aimes la gloire dici-bas, tu nauras pas celle den haut il y aura confusion pour toi, à voir ton orgueil brisé, et gloire pour toi à voir élever ta force. Cest donc maintenant quil faut choisir, et non plus alors. Tu ne pourras dire : Renvoyez-moi afin que je choisisse ; car tu as entendu : « Jai averti limpie ». Si je ne lai point fait, prépare tes excuses, ta défense , mais si je lai dit, fais par avance laveu de tes fautes, afin de ne pas aboutir à la damnation ; car au jugement ton aveu serait trop tardif, et ta défense inutile.
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