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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIX.SERMON AU PEUPLE.LA VIGNE DU SEIGNEUR.
Ce psaume est pour ceux de la synagogue qui doivent se convertir au Christ. Joseph, dont il est ici question, fut déshonoré chez les siens, mis en honneur chez les étrangers; il est limage du Christ, et cest de son bercail que nous devons faire partie. Le Dieu qui sassied sur les Chérubins viendra sasseoir en nous, si nous avons la charité. Quil se montre en face du peuple Juif qui a boité comme autrefois Jacob, dune part méconnaissant le Christ à la croix, dautre part lui donnant les Apôtres, puis après sa résurrection et son ascension les Eglises primitives. Dieu na donc point rejeté la prière de son serviteur. Les nations ont insulté ces serviteurs dans la personne des martyrs, puis les insulteurs se sont ou convertis ou cachés. Ainsi la vigne du Seigneur est sortie de la servitude, pour être plantés chez les nations vaincues Cette vigne qui fut dabord le peuple juif, est aujourdhui lEglise qui domine toutes les grandeurs. La première vigne ayant mis à mort et rejeté lhéritier, celui-ci en a brisé la clôture pour y faire entrer les nations qui ont détruit le royaume des Juifs. Toutefois cette Vigne est de la race dAbraham, affermissez-la dans lhomme de votre droite, qui détruira en nous le péché de la crainte et le péché de la convoitise, nous fera tourner cette créature et cet amour du côté de Dieu, afin que nous méprisions toute créature pour nous attacher au Créateur.
1. Nous ne trouvons dans ce psaume que peu dendroits qui puissent arrêter le discours, et que les auditeurs aient de la peine à comprendre. Aussi àvec le secours de Dieu, et ce désir que vous avez dentendre et de voir ce qui a été prédit et prophétisé autrefois, nous passerons légèrement sur les endroits qui sont clairs, puisque vous êtes instruits à lécole du Christ; en sorte que si nous rencontrons quelques obscurités qui mobligent à vous les expliquer, les passages évidents ne demandent quà être lus. Cest le chant de lavènement de Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, et de sa vigne. Mais cest Asaph qui chante, Asaph, autant que jen puis juger, éclairé, converti, et dont le nom signifie synagogue, vous le savez. Le psaume a pour titre: « Pour la fin, pour ceux qui doivent être changés 1 »: en mieux assurément; car le Christ, qui est la fin de ta loi 2, est venu pour tout améliorer. Le titre porte encore : « Témoignage à Asaph lui-même ». Bon témoignage de la vérité; car ce témoignage confesse le Christ et sa vigne, le chef et les membres, le roi et le peuple, en un mot le mystère des saintes Ecritures, le Christ et lEglise. Ce titre finit par ces mots « pour les Assyriens » ; et ce mot Assyriens signifie ceux qui se redressent, Que cette race ne soit plus sans redresser son coeur 3, quelle devienne une race au coeur droit. Ecoutons donc ce que dit ce témoignage. « Ecoutez-nous, vous qui paissez Israël ». Quest-ce à dire, « vous qui paissez Israël, qui conduisez Joseph comme un troupeau 4? »
1. Ps. LXXIX, 1. 2. Rom. X, 4. 3. Ps. LXXVII, 8. 4. LXXIX, 2.
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On invoque le Seigneur afin quil vienne, on attend quil vienne, on désire quil vienne. Puissiez-vous trouver des coeurs droits, «vous qui conduisez Joseph comme un troupeau » ; ce même Joseph, à la manière dun troupeau. Joseph est tout à la fois une brebis et un troupeau de brebis, et à ce nom de Joseph, qui a un grand sens dans lhébreu, puisquil signifie augmentation, on se rappelle naturellement celui qui doit venir pour faire germer au centuple le grain de froment mort dans la terre 1; ou pour multiplier le peuple de Dieu. Toutefois, puisque vous connaissez lhistoire de Joseph, souvenez-vous quil fut vendu par ses frères, déshonoré chez les siens, élevé en gloire chez les étrangers 2, et vous comprendrez de quel troupeau nous devons faire partie, avec tous ceux qui ont le coeur droit, afin que la pierre quont rejetée les architectes, devienne la pierre angulaire 3, unissant les deux murs qui viennent de deux directions différentes, et sunissent à langle dans un parfait accord. « Vous qui êtes assis sur des chérubins ». Le chérubin est le siége de la gloire de Dieu, et signifie la plénitude de la science. Cest donc dans cette plénitude de la science que Dieu établit son trône; et quoique nous entendions par les chérubins les puissances et les sublimes vertus des cieux, tu peux néanmoins être chérubin si tu le veux. Car si le chérubin est le trône de Dieu, écoute ce que dit lEcriture: « Lâme du juste est le trône de la sagesse 4 ». Comment, diras-tu, serai-je la plénitude de la science? Qui me donnera cette plénitude? Tu peux lavoir: « La plénitude de la loi, cest la charité 5 ». Ne tégare pas, ne te répands pas en tant de sentiers. Létendue des branches teffraie, tiens-toi à la racine, sans tinquiéter des vastes proportions de larbre. Que la charité demeure en toi, et tu auras nécessairement la plénitude de la science. Que peut ignorer celui qui fait la charité, puisquil est écrit: « Dieu est charité 6? » 3. « Vous qui êtes assis sur les chérubins, apparaissez ». Nous nous sommes égarés précisément parce que vous ne paraissiez point. « En présence dEphraïm, de Benjamin et de Manassé 7». Montrez-vous, dis-je, en face de
1. Jean, XII, 25. 2. Gen. XXXII, 28; XLI, 40. 3. Matth. XXI, 40; Ps. CXVII, 22. 4. Sag. VII. 5. Rom. XIII, 10. 6. I Jean, IV, 8. 7. Ps. LXXIX, 3.
la nation des Juifs, en face de votre peuple dIsraël. Cest là quest Ephraïm, là Manassé, là Benjamin. Mais voyons ce que ces noms signifient : Ephraïm veut dire multiplication, Benjamin fils de la droite, Manassé loubli. Paraissez donc en face du peuple qui a fructifié, en face du fils de la droite, en face de lhomme qui a oublié, afin quil noublie rien à lavenir, et quil se souvienne que vous êtes son libérateur. Car si toutes les nations doivent se souvenir, si tous les confins de la terre doivent se convertir au Seigneur 1, le peuple issu dAbraham naura-t-il pas aussi sa muraille qui sappuiera sur langle, alors quil est écrit: « Les testes seront sauvés 2? Excitez votre puissance» .Vous étiez infirme, Seigneur, quand on criait: « Sil est Fils de Dieu, quil descende de la croix 3». Vous paraissiez sans force. Vos persécuteurs lemportaient sur vous, et vous laviez prophétisé davance, quand Jacob lemporta dans la lutte, et que lhomme fut vainqueur de lange. Comment cela, si lange ne leût bien voulu? Lhomme prévalut donc, lange fut vaincu; et lhomme vainqueur retint lange et lui dit : «Je ne vous laisserai point aller que vous ne mayez bénis ». Cest là un grand mystère. Le vaincu attendit et bénit le vainqueur. Vaincu, parce quil la voulu, faible dans sa chair, puissant dans sa majesté. Il le bénit et lui dit : «Tu tappelleras Israël 4». Toutefois il lui frappa la cuisse qui se dessécha, et rendit ainsi boiteux cet homme quil bénissait. Tu vois donc le peuple juif devenu boiteux: et en même temps vois la race bénie des Apôtres qui sort de ce peuple. « Excitez votre puissance». Jusques à quand paraîtrez-vous dans la faiblesse? O crucifié dans linfirmité de la chair, « ressuscitez par la puissance de Dieu 5. Eveillez votre puissance et venez nous sauver ». 4. « Seigneur, hâtez notre retour». Nous sommes loin de vous, et nous ne retournerons point à vous, si vous ne hâtez notre retour. « Eclairez votre visage, et nous serons sauvés 7 ». La face de Dieu est-elle donc obscure? Cette face nest pas obscurcie sans doute, mais Dieu la cachée sous un voile charnel, sous le voile de linfirmité, et lon na point connu sur la croix Celui quon devait reconnaître à la droite de son Père. Cest en effet ce qui est
1. Ps. XXI, 28. 2. Rom. IX, 27. 3. Matth. XXVII, 10. 4. Gen. XXXIX, 26. 5. Id. 25. 6. II Cor. XIII, 4. 7. Ps. LXXIX, 4.
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arrivé. Asaph na point connu le Christ qui faisait des miracles sur la terre; et toutefois, quand après sa mort il est ressuscité, puis monté aux cieux, Asaph a chanté ce témoignage que nous lisons aujourdhui dans ce psaume : « Donnez la lumière à votre face, et nous serons sauvés ». Vous avez caché votre face, et nous avons langui; découvrez-la et nous serons sauvés. 5. « Seigneur, Dieu des vertus, jusques à quand serez-vous irrité contre la prière de votre serviteur?» Il est aujourdhui « votre serviteur 1 ». Vous rejetiez ma prière quand jétais votre ennemi, maintenant que je suis votre serviteur, la rejetteriez - vous? Vous nous avez convertis, nous vous reconnaissons, rejetterez-vous la prière dun serviteur? Votre colère était celle dun père qui corrige, non celle dun juge qui condamne. Vous entrez en colère, parce quil est écrit : « Mon fils, en entrant au service de Dieu, demeure ferme dans la justice et dans la crainte , et prépare ton âme à la tentation 2». Ne croyez point que votre conversion ait fait disparaître la colère de Dieu; elle est passée, puisquil ne vous damne point. Toutefois il frappe de verges, et ne vous épargne point: parce quil frappe tous ceux quil reçoit parmi ses enfants 3. Si tu ne veux point être châtié, pourquoi solliciter ladoption? Il flagelle tout enfant quil adopte. Il frappe, lui qui na pas épargné son Fils unique. Et néanmoins, «jusques à quand, Seigneur, rejetterez-vous la prière de votre serviteur? » Non point de votre ennemi, mais « de votre serviteur»; combien de temps encore? 6. Le Prophète continue: « Jusques à quand serons-nous nourris du pain des larmes, et nous abreuverez-vous avec mesure au calice des pleurs 4? » Quest-ce à dire « avec mesure? » Ecoute lApôtre: « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tenté au-dessus de vos forces 5». Telle est donc la mesure, vos forces. Cest la mesure, car Dieu veut vous corriger, non vous accabler. 7. « Vous nous avez exposés à la contradiction de nos voisins 6». Cest ce qui est accompli, car Dieu a choisi, du milieu dAsaph, des prédicateurs qui sont allés au milieu des Gentils, pour y annoncer le Christ, et auxquels on a dit: « Que veut celui-ci qui annonce de
1. Ps. LXXIX, 5. 2. Eccli. II, 1. 3. Hébr. XII, 6. 4. Ps. LXXIX, 6. 5. I Cor. X, 13. 6. Ps. LXXIX, 7.
nouveaux dieux 1? Vous nous avez exposés à« la contradiction de nos voisins ». Car ils prêchaient celui qui est en butte aux contradictions. Qui prêchaient-ils? Un Christ mort et ressuscité! Qui peut lentendre? qui le comprendra? Cest une nouveauté. Toutefois des miracles sopéraient, et ces miracles rendaient croyable ce qui était incroyable. Les hommes contredisaient; mais bientôt le contradicteur était vaincu, et de contradicteur devenait croyant. On employait cependant le fer et la flamme, les martyrs étaient nourris du pain de la douleur, abreuvés au calice des larmes, mais avec mesure, et non au-dessus de leurs forces, afin quà la mesure des larmes succédât la couronne de la joie. « Et nos ennemis nous ont insultés ». Où sont maintenant ces insulteurs? Longtemps on a dit : Quels sont ces hommes qui adorent un homme mort, qui adorent un crucifié? Longtemps on la dit: où est maintenant lorgueil de nos persifleurs? Ceux qui osent nous blâmer, ne vont-ils pas se réfugier dans les cavernes, de peur dêtre en évidence? « Et nos ennemis nous ont insultés ». 8. Mais écoutez ce qui suit : « Seigneur, Dieu des vertus, tournez-nous vers vous, montrez-nous votre visage, et nous serons sauvés. Vous avez transporté votre vigne de lEgypte; vous avez dissipé les nations et vous lavez plantée 2». Nous le voyons, tout cela sest accompli. Combien de peuples ont été chassés? Les Amorrhéens, les Céthéens, les Jébuséens, les Gergéséens et les Evéens: il fallut les dissiper et les vaincre pour établir dans la terre promise Israël délivré de lEgypte. Nous avons entendu doù cette vigne a été tirée et où elle a été plantée. Voyons ce quelle est devenue ensuite, comment elle a embrassé la foi, quel a été son accroissement, son étendue. « Vous avez transporté votre vigne de lEgypte, vous avez dissipé les nations, et vous lavez plantée». 9. « Vous lui avez ouvert la voie, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre 3 ». Aurait-elle pu remplir la terre, si Dieu ne lui eût ouvert la voie? Quelle est cette voie ouverte en sa présence? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité, la vie 4 ». Cest donc avec raison quelle a rempli la terre. Ce qui est prédit de cette vigne, est
1. Act. XVII, 18. 2. Ps. LXXIX, 8, 9. 3. Id. 10. 4. Jean, XIV, 6.
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accompli pour jamais. Mais quest-ce qui précède? « Son ombre a couvert les montagnes, et ses branches les cèdres les plus élevés. Elle a étendu ses pampres jusquà la mer, et ses rameaux jusquau fleuve 1». Il faut ici une explication, il ne suffit pas de lire et dapplaudir : aidez-moi de votre attention. Cette vigne, en effet, dont il est question dans notre psaume, embarrasse bien souvent les hommes peu attentifs. Nous avons déjà parlé de létendue de cette vigne, nous en avons dit lorigine et les causes de son accroissement. « Vous avez ouvert la voie en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Ceci est la prophétie de son extension. Toutefois cette vigne est le premier peuple Juif. Or, cette nation juive a régné depuis la mer jusquau fleuve. Depuis la mer, car nous voyons dans lEcriture quelle avoisine la mer 2, et jusquau fleuve du Jourdain. Car au-delà du Jourdain, il y avait quelque partie de ce peuple, mais en-deçà de ce fleuve était toute la nation. Le royaume des Juifs, le royaume dIsraël sétendait donc « jusquà la mer, et jusquau fleuve»; et non, «depuis la mer jusquà la mer, et depuis le fleuve jusquaux confins de la terre ». Cest le prolongement de cette vigne, dont le Prophète a dit : « Vous avez ouvert un chemin en sa présence, vous en avez planté les racines, elle a rempli la terre ». Alors après vous avoir prédit lextension de cette vigne, le Prophète revient à ses commencements, doù elle sest si fort agrandie. Veux-tu entendre le commencement? « Depuis la mer jusquau fleuve ». Et la fin? « Elle domine depuis la mer jusquà la mer, et depuis le fleuve jusquaux confins de la terre 3». Cest dire : « Elle a rempli la terre ». Voyons donc le témoignage dAsaph, ce qui est arrivé à la première vigne, et ce qui doit arriver à la seconde vigne, ou plutôt à la même vigne. Car cest bien la même, et pas une autre. Cest de là quest venu le Christ: le salut vient des Juifs 4; de là les Apôtres, de là ces premiers fidèles qui apportaient aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens i; cest delle quest venu tout cela. Et si quelques rameaux « ont été brisés à cause de leur incrédulité : toi », peuple des Gentils, « tiens ferme dans la foi, ne
1. Ps. LXXIX, 11, 12. 2. Nombres, XXXIV, 5. 3. Ps. LXI, 8. 4. Jean, IV, 22. 5. Act. II, 45; XV, 35.
cherche pas à télever, mais crains. Car si Dieu na point épargné les rameaux, il ne tépargnera point. Si tu te glorifies, ce nest point toi qui portes la racine, mais la racine te porte 1 ». Cette vigne, en présence de laquelle Dieu ouvrit la voie, afin quelle remplît la terre, où fut-elle dabord? « Son ombre a couvert les montagnes ». Quelles sont ces montagnes? Les Prophètes. Pourquoi son ombre les a-t-elle couvertes? Parce quils étaient obscurs dans la prédiction de lavenir. Tu entends dire aux Prophètes : Observe le sabbat; que lenfant soit circoncis le huitième jour; offre en sacrifice le bélier, le veau et le bouc. Ne tétonne point, ce sont là des ombres qui couvrent la montagne de Dieu; après lombre viendra la lumière. «Et ses branches, les cèdres de Dieu », cest-à-dire couvrent les cèdres de Dieu les plus hauts, mais de Dieu. Car il y a des cèdres qui sont le symbole des orgueilleux que Dieu doit détruire. Donc cette vigne, dans ses accroissements, a couvert les cèdres du Liban, les grandeurs du monde, les montagnes de Dieu, tous les saints Prophètes, les patriarches. 10. Mais jusquoù « a-t-elle étendu ses rameaux? Jusquà la mer, et ses pampres jusquau fleuve 2». Quen est-il arrivé? « Pourquoi avez-vous détruit sa clôture? Déjà vous pouvez voir la ruine du royaume des Juifs; déjà dans un autre psaume vous avez pu entendre : « Ils lont abattu avec la hache et la cognée 3». Comment cela pourrait-il se faire, si la clôture nétait renversée? Quelle est cette clôture? ses forteresses. Car elle sest élevée avec orgueil contre celui qui lavait plantée. Les serviteurs quil envoyait pour recueillir sa redevance, les locataires les ont flagellés, meurtris, mis à mort. Le fils unique est venu lui-même, et ils ont dit : « Celui-ci est lhéritier; venez, tuons-le, et nous posséderons son héritage; et layant tué, ils lont jeté hors de la vigne 4 ». Jeté hors de cette vigne, il la possède davantage. Aussi leur fait-il cette menace par Isaïe : « Je détruirai sa clôture ». Pourquoi? « Jai attendu quelle produisît du raisin, elle na produit que des épines ». Jai attendu des fruits de vertu, et nai trouvé que le péché. A quoi tend donc cette plainte à Asaph « Pourquoi avez-vous renversé la clôture?»
1. Rom. XI, 18-21. 2. Ps. LXXIX, 13. 3. Id. LXXIII, 6. 4. Matth. XXI, 34-39.
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Ignorez-vous donc pourquoi? « Jai attendu quIsraël fît la justice, il a fait liniquité 1 ». Ne fallait-il donc point renverser la clôture? Alors sont venues les nations, et sur les ruines de la clôture ont envahi la vigne et détruit le royaume des Juifs. Cest ce que déplore Asaph, mais non sans quelque espérance. Car il parle maintenant pour le redressement du coeur, et ce psaume est pour les Assyriens, ou ceux qui se redressent. « Pourquoi avez-vous renversé sa clôture? et voilà quelle est au pillage de tous ceux qui passent par le chemin ». Quest-ce à dire : « Ceux qui passent par le chemin? » Ceux qui ont une domination temporelle. 11. « Le sanglier de la forêt la dévastée 2 ». Que faut-il entendre par ce sanglier de la forêt? Le pourceau était en horreur chez les Juifs, parce quil était pour eux limage de limpureté des Gentils. Or, ces Gentils ont détruit le royaume des Juifs; mais le roi qui la détruit nétait pas seulement un pourceau à leurs yeux, cétait un sanglier. Quest-ce quun sanglier, sinon un porc sauvage, un porc orgueilleux? « Le sanglier de la forêt la ravagée ». « De la forêt», ou de la gentilité. Car la Judée était une vigne, les Gentils une forêt. Mais qua dit le Prophète, à propos de ces Gentils qui avaient embrassé la foi? « Alors bondiront tous les arbres des forêts 3. Le sanglier de la forêt la dévastée; la bête solitaire en a fait sa proie ». Quest-ce que « la bête solitaire? » Ce nième sanglier, qui est une bête solitaire, vit à part à cause de sou orgueil. Tel est en effet le langage de tout homme superbe : Cest moi, cest moi, il ny a que moi. 12. Mais quel est le fruit de tout cela? «Dieu des vertus, revenez enfin vers nous ». Nonobstant toutes ces catastrophes, « revenez enfin, regardez du haut des cieux, et voyez, visitez cette vigne. Amenez à la perfection celle que votre droite a plantée 4 ». Perfectionnez-la sans en planter une autre. Car elle est la postérité dAbraham, cette race en qui toutes les nations de la terre doivent être bénies 5. Là est la racine qui porte lolivier sauvage, greffé depuis. « Rendez parfaite cette vigne que votre droite a plantée ». Mais comment la perfectionner? « Affermissez-la dans ce fils de lhomme en qui vous avez
1. Isa. V, 2,5, 7. 2. Ps. LXXIX, 14. 3. Id. XCV, 12. 4. Id. LXXXIX, 15, 16 Gen. XXII, 18.
consolidé votre gloire ». Quoi de plus clair? Attendez-vous, mes frères, que je vous explique ces paroles? Ne vaut-il pas mieux répéter dans notre admiration: « Perfectionnez cette vigne, que votre droite a plantée, et perfectionnez-la dans le fils de lhomme? » Quel fils de lhomme? « Celui en qui vous avez consolidé votre gloire». O fondement inébranlable! bâtissez tant que vous pourrez. « Nul en effet ne peut en poser dautre que celui qui a été posé, et qui est le Christ Jésus 1 ». 13. « Tout ce que le feu a brûlé, tout ce qui est creusé périra par la menace de votre colère 2 ». Quels sont ces lieux brûlés et creusés par le feu, qui doivent périr devant la menace de son visage? Voyons et comprenons ce que le feu peut brûler et creuser. Quest-ce que le Christ a menacé? les péchés: les péchés ont donc été détruits par les menaces de son visage. Tous les péchés nont chez lhomme que deux racines : la cupidité et la crainte. Examinez, sondez vos coeurs, interrogez-les, approfondissez vos consciences, et voyez si les péchés peuvent venir dautre part que de la crainte ou de la cupidité. On te propose un appât pour commettre le mal; cet appât te plaît, et tu pèches parce que tu le désires. Mais si cet appât ne saurait te persuader, on teffraie par des menaces, et tu agis sous lempire de la crainte. Un homme veut te corrompre et tamener au faux témoignage. Il y a mille rencontres semblables, mais je propose la plus claire, et qui laisse à juger des autres. Tu penses donc à Dieu, tu dis en toi-même: « Que sert à lhomme de gagner lunivers, sil vient à perdre son âme 3? » Jamais le gain ne me dominera, jamais je ne perdrai mon âme pour un peu dargent. Alors le tentateur a recours à la crainte; il na pu corrompre par lappât, il a recours aux menaces; la perte des biens, le bannissement, la violence et peut-être la mort, voilà ses ressources. Les promesses ont échoué, les menaces auront peut-être plus defficacité sur vous. Mais sil ne vous a fallu, pour résister à lappât du gain, que cette parole de lEcriture : « Que sert à lhomme de gagner lunivers entier, sil vient à perdre son âme »; souvenez-vous de cette autre contre la crainte: « Ne redoutez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer
1. I Cor. III, 11. 2. Ps. LXXIX, 17. 3. Matth. XVI ,26.
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lâme 1 ». Quel que soit lhomme qui en veut à votre vie, il na de pouvoir que sur le corps, il ne peut rien sur lâme. Ton âme ne peut mourir, à moins que tu ne la veuilles tuer toi-même. Que linjustice des autres tue ta chair, mais que la vérité garde ton âme. Mais si tu téloignes de la vérité, comment ton ennemi pourrait-il te dépasser dans le mal que tu te fais à toi-même? Dans sa fureur, ton ennemi peut meurtrir ta chair, et toi, par le faux témoignage, tu donnes la mort à ton âme. Ecoute lEcriture : « La bouche qui ment tue lâme 2 ». Ainsi donc, mes frères, cest lamour ou la crainte qui nous conduit à tout bien, comme cest lamour ou la crainte qui nous conduit à tout suai. Pour faire le bien, tu aimes Dieu, tu crains Dieu; pour faire le mal, tu aimes le monde ou tu crains le monde. Tourne vers le bien ces deux passions. Tu aimais la terre, aime la vie éternelle; tu craignais la mort, crains lenfer. De quelque bien que le monde ait promis de payer ton iniquité, peut-il te donner aussi largement que Dieu donne au juste? Quelles que soient les menaces du monde contre le juste, le peut-il châtier comme Dieu châtie le pécheur? Veux-tu voir la récompense en Dieu , si tu vis dans la justice? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde». Veux-tu voir ce quil réserve aux impies? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 3 ». Cest bien pour toi de ne vouloir que le bonheur: car aimer, pour toi, cest chercher le bonheur, et craindre, cest écarter de toi le malheur. Mais tu ne cherches pas le bonheur où tu devrais le chercher. Tu te hâtes, parce que tu ne veux souffrir ici-bas ni indigence, ni aucune peine. Ton désir est bon; mais souffre ce que tu ne désires point, afin dacquérir ce que tu cherches. Que fera donc le Seigneur, dont la face détruit le péché? Quels sont les péchés que le feu dissipe et embrase? Qua produit ton amour mauvais? Il tavait embrasé comme une fournaise. Qua produit ta crainte déréglée? Elle ta creusé comme une fosse. Car lamour embrase, la crainte abaisse. Les péchés qui naissent de lamour déréglé sont donc comme des embrasements; ceux dune crainte servile, comme des fosses profondes. Il est vrai quune crainte juste humilie aussi
1. Matth. X, 28. 2. Sag. X, 11. 3. Matth. XXV, 34, 41.
notre âme, quun amour légitime lembrase aussi, mais dune manière bien différente. Car le vigneron supplie pour que larbre qui ne porte pas de bons fruits soit épargné, et sécrie : « Je creuserai à lentour et y mettrai du fumier 1 ». Cette fosse marque la pieuse humilité dune âme pénétrée de crainte; et ce fumier les utiles négligences dun pénitent. Quant au feu des bonnes oeuvres, le Seigneur a dit : « Je suis venu apporter le feu dans le monde 2 ». Tel est le feu qui embrase les âmes ferventes, et ceux qui brûlent de lamour de Dieu et du prochain. Et alors de même quune crainte pieuse, et quun saint amour sont la source des bonnes oeuvres; de même un amour dépravé, une crainte mauvaise, produisent tous les péchés. Donc, « tout ce que le feu a brûlé, tout ce quil a creusé », cest-à-dire tous les péchés, « périront par la menace de votre visage ». 14. « Que votre main sétende sur lhomme de votre droite, sur le fils de lhomme que vous avez établi dans votre force, et nous ne vous quitterons plus 3 ». Jusques à quand subsistera cette race corrompue et rebelle, qui ne redresse point sors coeur 4? QuAsaph dise à Dieu : Montrez votre miséricorde, faites-en sentir les effets à votre vigne, et rendez-la parfaite : « Car laveuglement est tombé sur une partie dIsraël, jusquà ce que la plénitude des nations entrât dans lEglise, et quainsi tout Israël fût sauvé 5». Quand la lumière de votre face se reflétera « sur lhomme de votre droite, que vous avez affermi dans votre force, nous ne nous éloignerons plus de vous ». Jusques à quand dureront vos menaces? Combien encore vos accusations? Accordez-nous cette grâce, « et nous ne vous quitterons plus. Vous nous rendrez la vie, et nous invoquerons votre nom ». Vous nous comblerez de vos faveurs, « vous nous rendrez la vie ». Autrefois nous aimions la terre, et non point vous. Mais vous avez fait mourir en nous les membres de lhomme terrestre 6. Car cet Ancien Testament, qui a des promesses terrestres, semble porter les hommes à naimer point Dieu gratuitement, mais à laimer pour les biens quil nous donne ici-bas. Dis-moi : que peux-tu aimer, et préférer à Dieu? Aime, si tu le peux, quelque créature quil nait point faite.
1. Luc, XIII, 8. 2. Id. XII, 49. 3. Ps. LXXIX, 18, 19. 4. Id. LXXII, 8,9. 6. Rom. XI, 25, 26. 7. Coloss. III, 5.
Jette les yeux sur toutes les créatures, vois si lamorce de la convoitise nattache point ton coeur quelque part, le détournant ainsi de lamour de Dieu, et si tu ne négliges point le Créateur pour téprendre de ses oeuvres. Pourquoi les aimer, sinon à cause de leur beauté? Mais peuvent-elles égaler en beauté celui qui les a faites? Tu admires ces beautés parce que tu ne vois point celles de Dieu; mais sers-toi de ces beautés que tu admires, pour aimer- Dieu que tu ne vois pas. Interroge la créature; si elle subsiste par elle-même, demeure en elle; mais si elle vient de Dieu, ce qui la rend nuisible à celui qui sy attache, cest la préférence quon lui accorde sur le Créateur. Pourquoi vous tenir ce langage? Cest, mes frères, à cause du verset que nous expliquons. Ils étaient donc morts, ceux qui navaient pour honorer Dieu, dautre motif que dobtenir de lui les biens charnels : or, lamour des choses de la chair, cest la mort 1; et ils sont véritablement morts ceux qui ne servent point Dieu gratuitement, cest-à-dire parce quil est bon, et non parce quil donne de ces biens dont il ne prive
1. Rom. VIII, 6.
pas les méchants. Tu demandes à Dieu des richesses? Les voleurs en ont. Une épouse, une famille nombreuse, la santé du corps, les dignités du siècle? Vois combien de méchants possèdent ces biens. Cest pour cela seulement que tu sers Dieu? Alors tes pieds seront ébranlés, et tu penseras que tu sers Dieu en vain, quand tu verras jouir de ces biens ceux qui ne le servent point 1. Donc ces biens, il les donne aux méchants, et se réserve lui-même aux bons. « Vous nous donnerez la vie » ; car nous étions morts, quand nous nous attachions aux biens de la terre nous étions morts quand nous portions limage de lhomme terrestre. « Vous nous donnerez la vie; vous nous changerez en nous donnant la vie de lhomme intérieur, et nous invoquerons votre nom » ; cest-à-dire nous vous aimerons. Dans votre douceur, vous nous remettrez nos péchés, vous nous justifierez, et serez notre unique récompense. « Seigneur, Dieu des vertus, revenez à nous, montrez-nous votre face, et nous serons sauvés 2»
1. Ps. LXXII, 2. 2. Id. LXXIX, 20.
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