PSAUME LXXVI
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVI.

SERMON AU PEUPLE,

L’INTÉRIEUR DU CHRÉTIEN.

 

Idithun, ou celui qui devance, bondit jusqu’à ce qu’il arrive à la fin de la loi qui est le Christ, et en dehors de qui tout est affliction. Il demande à Dieu, non les biens de cette vie, ce serait reculer, mais Dieu lui-même, qu’il appelle en lui au jour de la tribulation. Cette tribulation, c’est la vie qui est une épreuve. L’homme qui devance cherche Dieu par de bonnes oeuvres, il le cherche la nuit ou dans cette vie, qui est ténèbres, puisque nous avons besoin de la lumière des Ecritures, mais qui est lumière en comparaison de la vie des infidèles. C’est en cette vie qu’il faut chercher Dieu par des oeuvres incessantes, et le chercher en sa présence pour éviter la déception. Le Prophète est dans la tristesse, à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; pour se consoler des scandales, il se souvient de Dieu et cherche en lui le repos. Partout il rencontre des pièges, et il s’abrite dans le silence pour méditer les années éternelles, non point ces années dans lesquelles nous n’avons que le moment où, nous parlons, encore nous échappe-t-il avec chaque syllabe. Dans le silence de son âme il comprend que Dieu ne nous repoussera point éternellement, car s’il y a en nous quelque pitié, elle vient de lui. En s’élevant au-dessus de lui-même, il arrive aux délices pures, et se complaît dans les oeuvres de Dieu, dans Dieu lui-même, qui est la sainteté, la grandeur, qui opère seul des merveilles, et fait connaître son Christ aux Juifs et aux Gentils. Alois les peuples ont confessé le Seigneur, à ta voix des nuées ou des Apôtres, dont la prédication a transpercé les coeurs, et qui ont converti le monde entier à cette lumière du Christ, dont les Juifs ont méconnu les traces.

 

1. Voici l’inscription qui ouvre le psaume: « Pour la fin, psaume à Asaph pour Idithun 1 ». Vous savez ce que signifie u pour la fin n. « Car le Christ est la fin de la loi pour ceux qui croiront 2». Idithun signifie celui qui devance les autres, et Asaph l’assemblée. Celle qui parle ici, est donc une assemblée qui s’avance pour arriver à la fin, qui est le Christ Jésus: et le psaume nous apprend ce qu’il nous faut devancer pour arriver à cette fin, où nous n’aurons plus rien à devancer. Car il nous faut incessamment dépasser tout ce qui nous est obstacle, tout ce qui nous embarrasse, tout ce qui nous retient comme

 

1. Ps. LXXVI, 1.— 2. Rom. X, 4.

 

une glu, tout fardeau qui appesantit notre vol, jusqu’à ce que nous arrivions à ce qui doit nous suffire, au-delà de quoi il n’y a plus rien, qui domine tout, et par qui tout existe. Un jour Philippe voulait voir le Père, et disait à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit 1 », comme s’il avait encore quelques obstacles à franchir pour arriver au Père, s’y reposer en toute sécurité, et n’avoir plus rien à dépasser. Tel est le sens de cette parole: «Cela nous suffit». Or, Jésus-Christ, qui avait dit, dans toute la force de la vérité: « Mon Père et moi nous sommes un », avertit Philippe et lui enseigna que

 

1. Jean, X, 30.

 

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tout homme qui comprend le Christ trouve aussi sa fin dans le Christ, parce que le Père et lui sont un. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père 1 ». Quiconque dès lors veut entrer dans les sentiments du psaume, les reproduire, les conserver, doit s’élever au-dessus de tous les désirs charnels, fouler aux pieds les pompes et les charmes du monde, et ne se proposer d’autre terme à sa course, que Celui par qui tout a été fait. Tout cela le fait languir, jusqu’à ce qu’il arrive à sa fin. Que nous dit alors celui qui devance?

2. « J’ai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur 2». Mais combien en est-il qui élèvent la voix au Seigneur, pour en obtenir des richesses, pour éviter quelque perte, pour la santé des leurs, pour l’affermissement de leur maison, pour une félicité temporelle, pour les dignités du monde, enfin pour leur propre santé, qui est le patrimoine du pauvre? C’est pour ces biens et pour d’autres semblables que beaucoup élèvent la voix vers le Seigneur 3, à peine s’en trouve-t-il qui élèvent la voix pour Dieu lui-même. Il arrive aisément qu’un. homme cherche à obtenir quelque chose de Dieu, et ne cherche pas Dieu: comme si le don nous convenait mieux que le donateur. Quiconque demande à Dieu autre chose que lui-même, n’est pas encore l’homme qui devance. Que dit alors cet Idithun? « J’ai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur ». Et pour nous montrer qu’eu élevant sa voix au Seigneur, il n’a d’autre but que le Seigneur lui-même, il ajoute: « Et ma voix s’adresse à Dieu . Notre voix peut, en effet, s’élever vers Dieu, et avoir un autre but que Dieu lui-même. Nos cris ont pour but l’objet qui nous les fait élever. Mais celui-ci qui aimait Dieu gratuitement, qui sacrifiait volontairement au Seigneur 3, qui s’était élevé au-dessus de tout ce qui est ici-bas, qui ne voyait plus au-dessus de lui rien qu’il pût désirer, sinon Celui d’où il venait, par qui et en qui il avait été créé, vers lequel il élevait sa voix, celui-ci, dis-je, n’adressait qu’au Seigneur ses cris. Est-ce donc en vain? Ecoute la suite: « Et il m’a entendu ». Oui, sans doute il se penche vers toi, quand tu le cherches, et non lorsque tu attends de lui autre chose que lui. Il est dit de quelques-uns, qu’ « ils ont crié

 

1. Jean, IV, 8, 9. — 2. Ps. LXXVI, 2. — 3. Id. LIII, 8.

 

sans que personne les sauvât, vers le Seigneur, qui ne les a point écoutés 1 ». Pourquoi? Parce que leur voix ne cherchait point le Seigneur. Voilà ce que nous marque l’Ecriture, qui dit ailleurs, à propos de ces hommes: « Ils n’ont pas invoqué le Seigneur 2 ». Ils n’ont cessé de crier vers lui, et pourtant « ils n’ont point invoqué le Seigneur ».Que veut dire: « Ils n’ont point invoqué le Seigneur? » lis n’ont point appelé le Seigneur en eux; ,ils ne l’ont point attiré dans leurs coeurs, ils n’ont point voulu que le Seigneur habitât en eux. Aussi que leur est-il arrivé? : « Ils ont été saisis de frayeur, ou il n’y avait nulle crainte 3 ». Ils ont redouté de perdre les biens du temps, parce qu’ils n’étaient point rassasiés de Celui qu’ils n’avaient point appelé en eux. ils n’avaient point pour lui cet amour désintéressé qui leur eût fait dire : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit bénis ». « Ma voix  donc est pour le Seigneur », dit le Prophète; puisse-t-il nous enseigner comment il en est ainsi.

3. « Au jour de ma tribulation, j’ai recherché le Seigneur 4 ». Qui es-tu pour en agir de la sorte ? Vois ce qui t’affecte au jour de la tribulation. Si tu es affligé d’être en prison, ton désir est d’être délivré; si tu souffres de la fièvre, tu désires la santé; si tu souffres de la faim, tu recherches la nourriture; si tu as essuyé quelque dommage, tu cherches de nouveaux gains; si l’éloignement de ta patrie te cause quelque douleur, tes désirs sont d’y retourner: qu’ai-je besoin d’énumérer tout le reste, et comment le pourrais-je? Veux-tu tout devancer? Au jour de la tribulation, recherche le Seigneur, et non autre chose par le Seigneur ; oui, Dieu dans la tribulation, afin qu’il écarte la tribulation, et que tu puisses demeurer en lui en toute sécurité. « Au jour de la tribulation, j’ai recherché le Seigneur », rien que Dieu, mais Dieu lui-même. Et comment l’as-tu recherché? « Toute la nuit je l’ai recherché de mes mains en sa présence ». Redis-le au Prophète, afin que nous le sachions, que nous le comprenions, que nous le pratiquions, s’il nous est possible. Qu’as-tu donc recherché au jour de la tribulation? « Dieu ». Comment l’as-tu cherché? « De mes mains ». Quand l’as-tu cherché?

 

1. Ps. XVII, 42.— 2. Id. XIII, 5.— 3. Ibid.— 4. Job, I, 21.— 5. Ps. LXXVI, 3.

 

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« La nuit ». Où l’as-tu cherché? « En sa présence ». Quel est le fruit de tes recherches ? « Je n’ai pas été déçu » . Autant de particularités, mes frères, qu’il faut voir, qu’il faut sonder, qu’il faut examiner avec soin ; et quelle est cette affliction qui lui a fait rechercher Dieu; et qu’est-ce que rechercher Dieu des mains, et pendant la nuit, et en sa présence: car tout le monde comprend ce qui suit: « Et je n’ai pas été déçu ». Que veut dire en effet: « Je n’ai pas été déçu ?» j’ai trouvé ce que je cherchais.

4. Cette affliction n’est pas une peine telle quelle. Quiconque ne devance pas encore, ne con naît d’autre affliction que celle qui nous survient en des temps fâcheux; mais celui qui s’avance ici regarde toute sa vie comme une peine. Telle est son ardeur pour la céleste patrie, que son pèlerinage sur la terre est sa plus grande tribulation. Comment, je vous le demande, cette vie-ci ne serait-elle pas une calamité? Comment ne serait-elle point une tribulation, quand elle est appelée une tentation continuelle? On lit en effet dans le livre de Job: « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une épreuve 1? » Nous dit-il que la vie de l’homme est éprouvée sur la terre? Du tout. « Elle est elle-même l’épreuve»; si elle est épreuve, elle est aussi tribulation. Ainsi donc, dans cette tribulation, c’est-à-dire dans cette vie, l’homme qui devance a cherché Dieu. Comment? « De mes mains », répond-il. Qu’est-ce à dire, « de mes mains? » Par mes oeuvres. Car il ne cherchait rien de corporel qu’il pût toucher, comme on cherche une monnaie d’or ou d’argent qu’on a perdue, ou toute autre chose que la main peut toucher. Il est vrai que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même voulut qu’on le touchât des mains, quand il montra ses plaies au disciple qui doutait. Mais quand après avoir touché les cicatrices des plaies, il se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu » ; n’entendit-il pas:

«Tu as cru, parce que tu as vu: bienheureux ceux qui ont cru sans voir  2? » S’il mérita ce reproche pour avoir cherché Jésus-Christ de ses mains, en sorte qu’il soit ignominieux d’avoir cherché Dieu de la sorte ; nous qui sommes appelés bienheureux parce que nous avons cru sans voir, pourquoi chercherions-nous te Seigneur, de la main ? Nous le

 

1. Job, VII, 1. — 2. Jean, XX, 27-29.

 

chercherons, disons-nous, par nos oeuvres. Quand le chercherons-nous? « La nuit ». Qu’est-ce à dire, « la nuit? » En cette vie. Car la nuit règne tant que ne paraît point le jour où Jésus-Christ Notre-Seigneur doit paraître dans sa gloire. Voulez-vous corn prendre que nous sommes dans la nuit? C’est que si nous n’avions un flambeau nous serions continuellement dans les ténèbres. Saint Pierre dit en effet: « Nous avons une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous avez raison d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que vienne à poindre le jour, et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs ». Il viendra donc après cette nuit, mais pendant cette nuit servons-nous d’un flambeau. C’est là sans doute ce que nous faisons actuellement: vous exposer les saintes Ecritures, c’est vous donner comme consolation dans nos ténèbres, un flambeau qui doit toujours être allumé dans vos demeures ; car c’est à ce sujet qu’il est dit:

« N’éteignez point l’esprit 2 ». Et comme pour expliquer cette parole, saint Paul ajoute :

« Ne méprisez pas la prophétie ». C’est-à-dire, que votre lampe soit allumée. Or, cette lumière est appelée nuit lorsqu’on la compare avec le jour ineffable; mais en face de la vie des infidèles, la vie des fidèles est bien une lumière. Nous avons déjà dit comment elle est nuit, et nous l’avons prouvé par le témoignage de saint Pierre, qui nous parte de flambeau et nous avertit d’être attentifs a ce flambeau, c’est-à-dire aux discours des Prophètes, « jusqu’à ce que le jour vienne, et que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs ». Saint Paul nous montre aussi que la vie des fidèles est un véritable jour, si nous la comparons à la vie des impies: « Loin de nous », dit-il, « ces oeuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière; marchons dans la décence comme dans le jour 3 ». Une vie honnête est donc le jour en comparaison de la vie des impies. Mais ce jour d’une vie fidèle ne suffit point à notre Iditum. Il veut s’élever au-delà de cette lumière, jusqu’à ce qu’il arrive à ce jour où il ne craindra plus les tentations de la nuit. Ici-bas, en effet, bien que la vie des fidèles soit une lumière, « la vie de l’homme sur la terre est une épreuve 1 ». Elle est lumière et ténèbres; lumière, si nous

 

1. II Pier. I, 19.— 2. Id. V, 19.— 3. Rom. XIII, 12.— 4. Job, VII, 1.

 

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la comparons à la vie des infidèles; ténèbres, si nous la comparons à la vie des anges. Car les anges ont une lumière que nous n’avons pas encore, et nous avons une lumière que n’ont pas les infidèles: mais les fidèles n’ont point la vie des anges, ils n’en doivent jouir que quand ils seront comme les anges de Dieu, ce qui leur est  promis pour le jour de la résurrection 1. Ainsi donc, en ce jour qui est nuit encore, nuit en comparaison du jour auquel nous aspirons, jour en comparaison des ténèbres de notre vie passée: dans celte nuit, dis-je, recherchons Dieu de nos mains. Que nos bonnes oeuvres ne s’arrêtent point; cherchons Dieu, et que nos désirs ne soient point stériles. Si nous sommes en voyage, faisons les dépenses pour arriver au terme. Cherchons Dieu de nos mains. Bien que ce soit pendant la nuit que nous le cherchions de nos mains, il n’y a point d’erreur, puisque nous le cherchons « en sa présence ». Qu’est-ce à dire, « en sa présence? » « Gardez-vous de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu’ils vous voient; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Lors donc que vous faites l’aumône », dit il, lorsque vos mains cherchent Dieu, « ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites; mais que votre aumône soit dans le secret; et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra 2 ». Donc « j’ai cherché de mes  mains en sa présence, et je n’ai pas été déçu ».

5. Mais voyons ce qu’Idithun a enduré sur la terre et pendant cette nuit; écoutons avec la plus grande attention, comment les embarras et les afflictions de cette vie, l’ont mis dans une certaine nécessité de s’élever au-dessus de tout cela. « Mon âme a refusé toute consolation 3 ». Tel était mon ennui sur la terre, que mon âme se fermait à toute consolation. D’où lui venait un tel ennui? La grêle avait-elle ravagé sa vigne, ou ses olives ne mûrissaient-elles point, ou la pluie avait-elle retardé ses vendanges ? D’où vient cet ennui? Ecoute un autre psaume, dont l’interlocuteur est le même : « L’ennui m’a saisi, à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi 4 ». Tel est le mal qui lui avait causé un si profond ennui, que son âme, dit-il, se

 

1. Matth. XXII, 30.— 2. Id. VI, 1, 2,4. — 3. Ps. LXXVI, 3.— 4. Id. CXVIII, 53.

 

refusait à toute consolation. Absorbé par l’ennui, plongé dans une tristesse sans ressource, il ne veut plus de consolation. Dès lors que lui reste-t-il ?

6. Vois d’abord ce qui le consolerait. N’avait-il pas cherché quelqu’un qui s’affligeât avec lui et sans le trouver 1 ? Où pouvait-il se tourner pour être consolé, celui qui s’affligeait en voyant abandonner la loi de Dieu? Où se tourner ? vers quelque homme de Dieu? L’expérience ne lui a-t-elle pas fait rencontrer, de leur part, une douleur d’autant plus grande, qu’il en avait espéré une joie plus douce ? Quelquefois, en effet, on découvre des hommes justes, et l’on s’en réjouit; il faut d’autant plus s’en réjouir, que la charité est inséparable de cette joie ; mais si dans ces hommes qui causent notre joie, nous trou. vous quelque dépravation, comme il arrive souvent, nous ressentons autant d’ennui que tout d’abord nous avions ressenti de joie; c’est au point que, dans la suite, on craint de donner cours à sa joie, de s’abandonner à l’allégresse, de peur de rencontrer une tristesse plus grande encore que la joie que l’on a pu ressentir. Frappé donc de ces nombreux scandales, comme d’autant de plaies, il ferme son âme à toute consolation humaine, il n’en veut chercher aucune. Comment vivre alors? comment respirer? « Je me suis souvenu de Dieu, et j’ai été dans la joie ». Mes mains n’avaient pas travaillé vainement, elles avaient trouvé le souverain Consolateur. Ce n’est point dans le repos que « je me suis souvenu de Dieu, et que j’ai été dans la joie ». C’est donc Dieu qu’il faut prêcher, lui dont le souvenir a comblé de joie notre interlocuteur, l’a consolé dans la tristesse, et lui a rendu l’espoir du salut, c’est Dieu qu’il faut bénir. Il nous montre encore qu’il a été consolé, quand il dit: « J’ai communiqué». Qu’est-ce à dire : « J’ai communiqué ?» J’ai tressailli, j’ai répandu ma joie. On appelle communicatifs, ceux que le vulgaire nomme causeurs, et qui dans les transports de leur joie ne peuvent et ne veulent pas se taire. Voilà Idithun, et que dit-il ensuite? « Et mon âme est tombée en défaillance ».

7. L’ennui l’avait accablé, il retrouvait la joie dans le souvenir de Dieu, puis il tombe en défaillance, après avoir parlé; que dit-il ensuite? « Mes ennemis ont devancé le moment  

 

1. Ps. LXVIII, 21.

 

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de la veille 1 ». Mes ennemis ont veillé sur moi, ils ont veillé plus que moi, et dans cette vigilance ils m’ont surpris. Où ne sont point leurs pièges ? Mes ennemis n’ont-ils pas devancé l’heure de la veille? Quels sont en effet mes ennemis, sinon ceux dont l’Apôtre a dit: « Vous n’avez pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs 2?» C’est donc le diable et ses anges qu’il nous faut combattre ; et c’est avec raison qu’ils sont appelés gouverneurs du monde, puisqu’ils gouvernent ceux qui sont épris du inonde. Sans doute l’Apôtre ne les appelle point gouverneurs du monde, comme s’ils avaient la direction du ciel et de la terre, mais par ce mande il entend les pécheurs: «Et le monde ne l’a point connu 3». Ainsi donc le monde gouverné par le démon, c’est le monde qui n’a pas connu le Christ. C’est contre ces démons que nous avons d’impérissables inimitiés. Quelle que soit ta haine contre un homme, tu songes à en finir, ou en recevant ses excuses, s’il t’a offensé le premier, ou en présentant les tiennes, si l’offense vient de toi, ou par de mutuelles excuses, Si vos outrages sont réciproques: tu t’efforces d’en venir à une satisfaction, à un accord mais avec le diable et ses anges, nul accord n’est possible. Ils nous envient le royaume des cieux. Ils ne peuvent s’adoucir à notre égard: « Ce sont des ennemis qui ont devancé «toutes nos veilles ». Ils sont plus attentifs à nous tromper, que moi à me défendre. « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Comment n’auraient-ils point mis en demeure toute vigilance, eux qui ont tendu partout des pièges et des pierres de scandale? Es-tu dans l’ennui ? tu dois craindre que la tristesse ne t’accable; es-tu dans la joie? crains que l’expansion de cette joie ne te conduise à la défaillance: « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Enfin, lorsque tu épanches ta joie, lorsque tu parles dans une sécurité parfaite, combien n’y a-t-il pas dans ton langage de ces choses que tes ennemis voudraient saisir et critiquer, et dont ils voudraient te faire un crime, fût-ce par la calomnie : voilà ce qu’il a dit, voilà ce qu’il pense, tel est son langage? Que peut faire un homme, sinon ce

 

1. Ps. LXXVI, 5.— 2. Ephés. VI, 12. — 3. Jean, I, 10.

 

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qui suit: « Dans mon trouble, j’ai gardé le silence ? » Il s’est donc troublé, et craignant que son ennemi aux aguets ne cherchât et ne trouvât dans ses épanchements matière à calomnie, il a gardé le silence, Mais Idithun n’a point cessé pour cela de s’épancher intérieurement: s’il a interrompu sa parole extérieure, où peut-être s’était glissée quelque envie de plaire aux hommes, il ne s’est point découragé, il n’a pas interrompu ses efforts pour devancer jusqu’à cette vanité. Et que dit-il ?

8. « J’ai médité les jours anciens 1 ». Semblable à celui que l’on maltraite au dehors, il se retire en lui-même dans le secret de sa pensée. Qu’il nous dise alors ce qu’il y fait

« J’ai médité les jours anciens ». Tant mieux. Voyez, je vous en supplie, quelles sont ses pensées. Dans son intérieur, dans son âme, il médite les jours anciens. Nul ne vient lui dire : Tu t’es mal exprimé ; nul mie lui dit C’est trop parlé ; nul ne lui dit: Ton opinion est fausse. Que Dieu l’aide ainsi à se contenter de lui-même : qu’il médite les jours anciens, et qu’il nous dise ce qu’il a fait dans le secret de son âme, où en est-il arrivé? qu’a-t-il devancé ? où en est-il demeuré ? « J’ai médité les jours anciens, et je me suis souvenu des années éternelles ». Quelles sont ces années éternelles? Sublime pensée t Voyez si cette pensée n’exige point un grand silence. Loin de moi tout bruit du dehors, tout fracas des choses humaines, quand je veux méditer intérieurement les années éternelles. Sont-elles bien éternelles, ces années qui sont les nôtres, qui furent celles de nos ancêtres, ou qui seront celles de notre postérité ? Gardons-nous bien de le croire. Que nous reste-t-il de ces années? Dans la conversation, nous disons: Cette année; mais que possédons-nous de cette année, sinon le jour où nous sommes? car les jours qui ont précédé ont passé, et il n’en reste rien ; les jours à venir ne sont point encore. Nous ne sommes que dans un jour, et nous disons : Cette année; disons plutôt : Aujourd’hui, si nous voulons parler du présent. Que nous reste-t-il, en effet, de toute l’année? Tout ce qui est écoulé de l’année, n’existe déjà plus; tout ce qu’il y a dans l’avenir n’existe point encore ; comment dire : Cette année ? Corrige ton langage et dis: Aujourd’hui. C’est vrai, je dirai : Aujourd’hui. Et maintenant

 

1. Ps. LXXVI, 6.

 

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encore fais-y attention ; les heures du matin sont écoulées, les heures à venir ne sont point encore. Corrige donc une seconde fois ton langage, et dis : Cette heure. Mais dans cette heure quelle est ta part? Il s’en est écoulé une partie déjà, et l’autre partie n’existe point encore. Dis donc : Le moment. Quel moment? Pendant que j’articule des syllabes, si j’en dois prononcer deux, la seconde ne résonne que quand l’autre n’est déjà plus ; et même dans cette syllabe, s’il y a deux lettres, la seconde lettre ne résonne que quand la première n’est plus. Quelle est donc notre part dans ces années? Ces années sont mobiles ; il nous faut penser aux années éternelles, aux années qui demeurent, qui ne s’écoulent point dans le va-et-vient des jours, aux années dont l’Ecriture a dit ailleurs, en parlant à Dieu : « Pour vous, vous demeurez le même, et vos années ne s’en vont point 1 ». Telles sont les années que cet homme qui devance a méditées en silence, et non dans un babil extérieur : « Et je me suis souvenu des années éternelles ».

9. « Et j’ai médité la nuit dans mon coeur 2». Nul ne lui tend des pièges pour incriminer ses paroles, il a médité dans son coeur. « Je babillais ». Tel est son babil, redouble d’attention, et ne laisse pas sommeiller ton esprit. Ce babil n’est plus extérieur, il est autre maintenant. Quel est-il maintenant? « Je me répandais en paroles, et je sondais mon esprit ». S’il fouillait la terre, pour y chercher un filon d’or, nul ne l’accuserait de folie, plusieurs même vanteraient sa sagacité à chercher l’or: quelles richesses n’a-t il pas à l’intérieur, et qu’il ne cherche point? Idithun sondait son esprit, il s’entretenait avec son esprit, il s’épanouissait dans son babil. Il s’interrogeait, il s’examinait, il était à lui-même son juge. Aussi dit-il : « Je sondais mon esprit». Il est à craindre qu’il ne demeure dans son esprit: il a babillé au dehors, et comme ses ennemis avaient devancé toute veille, il n’a trouvé là que de la tristesse, et son esprit a défailli. Après avoir babillé au dehors, il a cherché sa sûreté dans un entretien intérieur; c’est là que dans le silence il médite les années éternelles: « Et je sondais mon esprit », nous dit-il encore. Il est à craindre néanmoins qu’il ne se renferme dans son âme, et ne se jette plus en avant. Toutefois son

 

1. Ps. CI, 28. — 2. Id. LXXVI, 7.

 

action intérieure est préférable à l’action du dehors. Il y a progrès : voyons quelle en est l’étendue. Car il ne cesse de se porter en avant, jusqu’à ce qu’il arrive « à cette fin

qui donne le titre à notre psaume: « Je babillais », dit-il, « et je sondais mon âme ».

10. Et qu’as-tu trouvé, ô Prophète? Que e Dieu ne nous repoussera point éternellement 1 ». L’ennui l’avait assailli en cette vie; nulle part la confiance, nulle part une sécurité consolante. A quelques hommes qu’il pût s’adresser, il trouvait ou redoutait en eux le scandale. Nulle part il n’est en sûreté. Le silence avait pour inconvénient de se taire au sujet des bienfaits: parler et babiller au dehors était dangereux, car ses ennemis qui avaient devancé toutes ses veilles, cherchaient dans son langage de quoi le calomnier. Eu butte aux angoisses et à la violence, en cette vie il a beaucoup médité sur l’autre vie qui n’aura point ces épreuves. Et quand y arrivera-t-il ? Car nul doute à cet égard, les afflictions de cette vie sont un effet de la colère de Dieu. Voici en effet ce que dit Isaïe : « Mes vengeances contre vous ne seront pas éternelles, et ma colère contre vous ne durera point à jamais ». Il nous en donne la cause. « C’est de moi que viendra l’Esprit, et moi j’ai créé les âmes. Je l’ai affligé à cause de son péché, je l’ai frappé, j’ai détourné de lui ma face, et il s’en est allé, et s’est égaré dans ses voies 2 ». Quoi donc ! cette colère de Dieu sera-t-elle éternelle? Voilà ce que le Prophète n’a point trouvé dans son silence, Que dit-il en effet? « Le Seigneur ne nous repoussera point éternellement ; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins»: c’est-à-dire, il n’entrera pas dans ses desseins de nous rejeter, et il ne continuera pas éternellement de nous rejeter loin de lui. Il faut qu’il rappelle à lui ses serviteurs, il faut qu’il recueille tous ces fugitifs qui reviennent au Seigneur, il faut qu’il écoute les plaintes de ceux qui sont enchaînés. « Le Seigneur ne nous rejettera pas éternellement ; et cela n’entrera plus désormais dans ses desseins».

11. « Nous privera-t-il de sa miséricorde jusqu’à la fin, et de race en race? Ou le Seigneur oubliera-t-il sa clémence 3?» En toi et de toi-même, tu n’as pour les autres que cette miséricorde qui te vient de Dieu; et Dieu oublierait la miséricorde? Le ruisseau coule;

 

1. Ps. LXXVI, 8. — 2. Isa. LVII, 16, 17.— 3. Ps. LXXVI, 9, 10.

 

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et la source elle-même se tarirait? « Dieu oubliera-t-il de nous prendre en pitié? et sa colère va-t-elle arrêter sa compassion ? » On sera-t-il en colère, de manière à n’avoir plus de pitié? Il lui est plus facile de s’arrêter dans sa colère que dans sa bonté. C’est ce qu’il avait dit encore par Isaïe : « Ma vengeance contre vous ne sera point éternelle, ni ma colère sans fin». Et après avoir dit: « Il s’en est allé triste, et a marché dans ses voies». «Ces voies», dit-il, «je les ai vues, et je l’ai guéri 1».Voilà ce qu’a reconnu le Prophète, et il s’est élevé au-dessus de lui-même, pour mettre sa joie en Dieu et s’épanouir là où il est, ainsi que dans ses oeuvres, non pas dans son esprit, non point dans ce qu’il a été, mais dans celui qui est son Créateur. C’est de là qu’il s’est élancé pour s’élever. Voyez-le s’élancer, voyez s’il s’arrête quelque part, jusqu’à ce qu’il arrive à Dieu.

12. « Et j’ai dit ». Déjà élevé au-dessus de lui-même, que dit-il? « Maintenant je commence » : je me surpasse moi-même. « Maintenant je commence ». Nul péril ici désormais ; car il était dangereux pour moi de demeurer en moi-même. « Et j’ai dit: Maintenant, je commence, c’est là un changement qui est l’oeuvre de la droite du Très-Haut 2». C’est le Très-Haut qui a commencé à me changer; c’est là un commencement qui me donne la sécurité, c’est maintenant que j’entre dans ces régions du bonheur où nul ennemi n’est à craindre, maintenant que j’habite ces contrées où tous mes ennemis ne devanceront point mes veilles. « Je commence aujourd’hui; ce changement est l’oeuvre de la droite du Très-Haut ».

13. « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu ». Voyez-le se donnant de l’espace dans les oeuvres de Dieu. Il babillait au dehors, et dans son affliction son esprit s’en est allé: il a babillé dans le secret de son coeur, avec son esprit; et en sondant ce même esprit, il s’est souvenu des années éternelles, souvenu de la miséricorde de Dieu, car le Seigneur ne doit point nous rejeter éternellement : et le voilà qui se réjouit en sûreté dans ses oeuvres, qui tressaille sans crainte. Ecoutons ces oeuvres nous aussi, et prenons part à sa joie; mais élevons cette joie au-dessus de nous-mêmes, et ne l’abaissons pas au niveau du temps. Car nous aussi, nous avons

 

1. Isa. LVII, 18. — 2. Ps. LXXVI, 11.

 

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notre lit secret. Pourquoi n’y pas entrer? pourquoi n’y point travailler dans le silence? pourquoi n’y point sonder notre esprit? pourquoi n’y point méditer les années éternelles? pourquoi ne pas nous réjouir dans les oeuvres de Dieu ? Ecoutons-le maintenant; que sa parole fasse tellement nos délices, que même, sortis d’ici, nous fassions encore ce que nous faisions pendant qu’il parlait; si toutefois nous avons commencé comme le Prophète l’a dit : « Maintenant, c’en est fait». Te réjouir des oeuvres de Dieu, c’est t’oublier toi-même, si tu peux mettre en lui seul tes délices. Où trouver mieux que lui? Ne vois-tu pas que rentrer en toi-même, c’est trouver bien moins? « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu : parce que je me souviendrai, Seigneur, de toutes vos oeuvres depuis le commencement 1».

14. « Et je méditerai sur vos oeuvres, et je m’entretiendrai de vos charmes 2». Voilà un troisième entretien. Entretien au dehors, quand ton esprit a défailli ; entretien intérieur et dans le secret du coeur, quand il s’est avancé; entretien sur les oeuvres de Dieu, quand il est arrivé au but qu’il poursuivait. « Je gloserai sur vos charmes », non point sur les miens. Quel est l’homme qui vit sans charmes ? Et pourriez-vous croire, mes frères, qu’il n’y ait point de charmes pour l’homme qui craint Dieu, qui sert Dieu, qui aime Dieu? Pouvez-vous le croire et penser qu’il n’y àit rien d’attrayant dans les oeuvres de Dieu, quand vous trouvez de l’attrait dans un tableau, dans le théâtre, dans la chasse aux bêtes fauves ou aux oiseaux, dans la pêche? N’y aurait-il aucun attrait à méditer les oeuvres de Dieu, à contempler le monde, à ramener sous nos yeux le spectacle de la nature, alors que l’on en recherche l’auteur, et qu’on ne le trouve jamais en désaccord, mais dans une harmonie incomparable?

15. « Votre voie, ô Dieu, est dans la sainteté ». Il envisage autour de nous les oeuvres de la miséricorde suprême, il en glose, il s’épanouit dans leurs charmes. Tel est son point de départ. « Votre voie est dans la sainteté ». Quelle est cette voie dans la sainteté? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité et la vie 4 ». Revenez donc, ô hommes, revenez de vos passions. Où allez-vous? Où courez-vous? Pourquoi fuir ainsi,

 

1. Ps. LXXVII, 12. — 2. Id. 13. — 3. Id. 14. — 4. Jean, XIV, 16.

 

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non-seulement loin de Dieu, mais loin de vous ? Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs 1, sondez votre âme, repassez les années éternelles, reconnaissez la bonté de Dieu pour vous, et voyez les oeuvres de sa miséricorde. « Sa voie est dans la sainteté ». Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? Que cherchez-vous dans vos délices? Pourquoi vous éprendre de la vanité, et courir après le mensonge? Sachez donc que le Seigneur a glorifié son saint 2. « Votre voie est dans la sainteté ». Elevons-nous donc à lui, élevons-nous au Christ; c’est là qu’est sa voie. « O Dieu, votre voie est dans le saint. Quel Dieu est aussi grand que notre Dieu? » Les Gentils trouvent des charmes dans leurs dieux; ils adorent des idoles, qui ont des yeux et ne voient point, des oreilles et n’entendent point, des pieds et ne marchent point 3. Pourquoi marcher vers ce Dieu qui ne marche pas? Je n’adore point ces idoles, me dit-il. Qu’est-ce que tu adores? La divinité qui y réside? Tu adores, sans aucun doute, ce qui a fait dire ailleurs : « Que les dieux des nations sont des démons

C’est l’idole que tu adores, ou le démon? Ni l’idole, ni le démon, crie répond-il. Quel est donc ton culte? Celui des étoiles, du soleil, de la lune, des corps célestes : qu’il vaudrait mieux adorer celui qui a fait le ciel et la terre! Quel Dieu est grand comme notre Dieu?

16. « Vous opérez des merveilles, et les opérez seul ». Vous êtes un Dieu véritablement grand, qui opérez des merveilles en notre corps et en notre âme, et le seul pour en opérer. Les sourds ont entendu, les aveugles ont vu, les malades ont été guéris, les morts ont ressuscité, les paralytiques ont recouvré la force. Ces merveilles toutefois sont corporelles; voyons les miracles sur l’âme. Des hommes naguère adonnés au vin sont         devenus sobres; ceux qui tout à l’heure adoraient des idoles ont embrassé la foi; d’autres qui volaient le bien des autres donnent leurs biens aux pauvres. « Quel Dieu est grand comme notre Dieu? Vous opérez des merveilles et les opérez seul ». Moïse a fait des merveilles, mais non seul; Elie en a fait, Elisée en a fait, les Apôtres en ont fait; mais nul d’entre eux n’était seul. Pour les faire, ces merveilles, vous étiez avec eux; mais

 

1. Isa. XLVI, 8.— 2. Ps. IV, 3, 4.— 3. Id. CXIII, 5-7. — 6. Id. XCV, 5. — 7. Id. LXXVI, 15.

 

vous, pour les faire, vous n’aviez nul besoin d’eux. Ils n’étaient point avec vous, en effet, quand vous les avez faits eux-mêmes. « Vous êtes un Dieu opérant des merveilles et les opérant seul ». Comment seul? Peut-être le Père et non le Fils? ou le Fils et non le Père? Non, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit. « Vous êtes un Dieu opérant seul des merveilles ». Car il n’y a pas trois dieux, mais un seul Dieu qui fait des merveilles, et qui en fait dans celui qui devance. Car le jeter en avant et le faire arriver où il en est, c’est là une merveille de Dieu; mais quand il s’est tenu un langage intérieur et dans son âme, et qu’il s’est élevé au-dessus de son âme pour trouver ses délices dans les oeuvres de Dieu, c’est lui qui a fait là une merveille. Mais qu’a fait le Seigneur ? « Vous avez fait connaître aux peuples votre puissance ». De là cette Eglise, ou Asaph qui devance, parce que le Seigneur a fait connaître sa puissance parmi les nations. Quelle puissance a-t-il montrée. aux peuples? « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour les Juifs qui sont appelés, aussi bien que pour les Grecs, la puissance de Dieu, la sagesse de Dieu 1 ». Si donc le Christ est la puissance de Dieu, c’est le Christ qu’il a fait connaître aux peuples. Pouvons-nous l’ignorer encore ? Serions-nous dans une telle démence, dans une telle prostration, assez arriérés jusqu’à ne pas voir cette parole accomplie : « Vous avez montré aux peuples votre puissance ? »

17. « Votre bras a racheté votre peuple 2 ». « Votre bras », c’est-à-dire votre puissance. A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 3? « Votre bras a racheté votre peuple, les enfants d’Israël et de Joseph ». Comment paraît-il faire deux peuples « des fils d’Israël  et des fils de Joseph? » Ces fils de Joseph étaient-ils fils d’Israël? Oui, assurément. Voilà ce que nous savons, ce que nous lisons, ce que nous prêche l’Ecriture, ce que nous enseigne la vérité, que Israël ou Jacob eut douze tils parmi lesquels nous comptons Josepli, et que tous ceux qui sont nés de ces douze patriarches appartiennent au peuple d’Israël. Pourquoi dire alors, « les fils d’Israël et les fils de Joseph? » Je ne sais point quelle distinction il veut nous indiquer.

 

1. I Cor. I, 23, 24. — 2. Ps. LXXVI, 16. — 3. Id. LIII, 1.

 

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Cherchons dans notre âme : peut-être y a-t-il quelque dessein de ce même Dieu qu’il nous faut chercher de nos mains au milieu de la nuit, afin de n’être point trompés; c’est nous peut-être que nous trouverons dans cette distinction « des enfants d’Israël et de Joseph ». Par Joseph il a voulu entendre un autre peuple que celui d’Israël, le peuple des Gentils. Pourquoi Joseph désignerait-il les nations? Parce qu’il fut vendu en Egypte par ses frères 1. La jalousie porta ses frères à vendre Joseph pour l’Egypte, et ainsi vendu il passa par la douleur et par l’humiliation; reconnu, il se releva, grandit, commanda. A tous ces points de vue, qu’a-t-il symbolisé? Quoi, sinon le Christ, vendu par ses frères, rejeté de sa patrie, comme dans l’Egypte chez les nations? La, humilié d’abord quand la persécution sévit contre les martyrs, il est élevé dans cette gloire que nous voyons; car voilà que s’est accompli cet oracle: « Les rois de la terre doivent l’adorer, les nations le serviront 2 ». Donc Joseph est le peuple des nations, Israël est le peuple de la race des Hébreux. Dieu a racheté son peuple, « les fils d’Israël et les fils de Joseph ». Par quoi? Par cette pierre de l’angle où se réunissent les deux murailles 3.

18. Le Prophète poursuit ainsi : « Les eaux vous ont vu, ô Dieu 4 ». Quelles sont « ces  eaux? » Les peuples. Quelles sont « ces eaux », est-il dit dans l’Apocalypse? et il est répondu: ce sont les peuples : par là, nous le voyons clairement, les eaux désignent les peuples 5. Le Prophète a dit plus haut : « Vous avez fait connaître aux peuples votre  force. C’est donc à bon droit que les eaux vous ont vu, ô Dieu; les eaux vous ont vu et ont frémi ». Et parce qu’elles ont frémi , elles ont changé. « Les eaux vous ont vu, ô Dieu, les eaux vous ont vu et ont frémi, et les ahuries ont été troublés ». Qu’est-ce que « l’abîme ? » La profondeur des eaux. Qui n’est pas ému parmi les peuples quand la conscience est frappée ? Tu cherches la profondeur des mers : quelle profondeur plus grande que la conscience humaine? Telle est la profondeur qui s’est troublée, quand le Seigneur a racheté sou peuple par la force de son bras. Quand l’abîme s’est-il troublé? C’est quand les peuples ont

 

1. Gen. XXXVII, 28. — 2. Ps. LXXI, 11. — 3. Ephés. 14. — 4. Id. LXXII, 11. — 5. Apoc. XVII, 15.

 

répandu leurs consciences par l’aveu. « Et l’abîme s’est troublé ».

19. « Les eaux sont tombées avec fracas 1». La louange de Dieu, la confession des fautes, les hymnes, les cantiques, les prières, c’est là « le fracas des grandes eaux». «Les nuées ont grondé ». Le fracas des eaux, le trouble de l’abîme viennent de « la grande voix des nuées ». Quelles nuées? Ceux qui ont prêché la parole de vérité. Quelles nuées ? Ces nuées dont Dieu menace la vigne qui donne des épines et non des raisins : « Je commanderai à mes nuées de ne point pleuvoir sur elle 2 ». En effet, les Apôtres ont abandonné les Juifs pour aller chez les Gentils. Ces nuées « ont fait entendre leur voix » dans toutes les nations, et c’est en prêchant le Christ qu’ « elles ont fait entendre leur voix ».

20. « Car vos flèches ont traversé 3 ». Le Prophète appelle des flèches, ce qu’il appelait des nuages. Les paroles des Evangélistes, en effet, sont des flèches, ou ressemblent à des flèches. Car, à proprement parler, une flèche n’est pas la pluie, ni la pluie une flèche; mais la parole de Dieu est une flèche parce qu’elle frappe, et une pluie parce qu’elle arrose. Il n’est donc pas étonnant que l’abîme se trouble, quand « vos flèches le traversent». Qu’est-ce à dire « traverser? » Qu’elles ne demeurent point dans les oreilles, mais qu’elles transpercent les coeurs. « La voix de votre tonnerre est dans une roue». Qu’est-ce à dire? Comment faut-il comprendre? Dieu nous soit en aide. « La voix de votre tonnerre est dans une roue ». Dans notre enfance le bruit du tonnerre nous paraissait le bruit d’un chariot sortant de l’étable : car les secousses du tonnerre ont de la ressemblance avec les secousses d’un chariot. Faut-il en revenir à ces puérilités pour comprendre: « La voix de votre tonnerre est dans une roue »; comme si Dieu avait dans les nuages des chariots dont la marche occasionnerait ces bruyantes secousses? Point du tout. Ce serait puéril, vain et frivole. Que signifie donc: « La voix de votre tonnerre est dans une roue?» Votre voix tourne, je ne comprends pas davantage. Que faire alors? Interrogeons, Idithun lui-même; peut-être expliquera-t-il ce qu’il entend par « la voix de votre tonnerre est dans une roue », et que je ne comprends point. Ecoutons ce qu’il dit ensuite : « Le

 

1. Ps. LXXVI, 18.— 2. Isa. V, 6.— 3. Ps. LXXVI, 19.

 

feu de vos éclairs a brillé devant le globe terrestre ». Parlez, ô Prophète, car je ne comprenais point. Le globe de la terre est une roue, car la circonférence du globe terrestre se nomme avec raison un cercle, d’où l’on appelle petit cercle une petite roue. « La voix de votre tonnerre est dans une roue, le feu de vos éclairs a brillé devant le globe de la terre ». Ces nuages, dans une roue, ont parcouru l’univers entier; ils l’ont parcouru avec des tonnerres et des éclairs; ils ont troublé l’abîme par les tonnerres des préceptes et par les éclairs des miracles car leur voix a retenti sur toutes les terres, et leurs paroles dans tous les confins de l’univers 1. « La terre s’est troublée, elle a bondi en frémissant » : c’est-à-dire, tous ceux qui l’habitent, et par figure la terre elle-même. Pourquoi? Parce que toutes les nations sont désignées sous le nom de mer, à cause de l’amertume de cette vie, exposée à des troubles et à des tempêtes. Puis, si l’on veut considérer que les hommes se dévorent comme les poissons, que le plus faible est la proie du plus fort, on voit que ce monde est une mer; et c’est là qu’allèrent les Evangélistes.

21. « Votre voie est dans la mer 2 ». Tout à l’heure c’était : « Votre voie est dans la sainteté »; maintenant : « Votre voie est dans la mer », parce que le Saint lui-même est dans la mer et qu’il a marché sur les eaux de la mer 3. « Votre voie est dans la mer», c’est-à-dire que votre Christ est prêché parmi les Gentils. Il est dit, en effet, dans un autre psaume : « Que Dieu nous prenne en pitié et nous bénisse; qu’il fasse briller sur nous la lumière de son visage, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Où « sur la terre? » « Votre salut est chez toutes les nations 4 ». Tel est le sens de « votre voie est dans la mer. Et vos sentiers dans les grandes eaux » : c’est-à-dire chez des peuples nombreux. « Et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Je ne sais à qui cette phrase fait allusion, je m’étonnerais si ce n’était aux Juifs. Voilà que la miséricorde du Christ est prêchée aux Gentils, en sorte que « votre voie est dans la mer, vos sentiers dans les grandes eaux, et l’on ne connaîtra plus vos traces ». Pourquoi et qui ne les connaître point, sinon ceux qui disent encore: Le Christ

 

1.  Ps. XVIII, 5. — 2. Ps. LXXVI, 20. — 3. Matth. XIV, 25. — 4. Ps. LXVI, 2, 3.

 

n’est point encore venu? Pourquoi dire que le Christ n’est point encore venu? Parce qu’ils ne connaissent point sa marche sur la mer.

22. « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron 1 ». II n’est pas facile de comprendre pourquoi cette addition. Aidez-nous de votre attention, car ces deux versets termineront le psaume et mon discours. Ne vous imaginez point qu’il doive durer encore et que la crainte de cette longueur ne diminue point votre attention. Après ces paroles: « Votre voie est dans la mer », que nous avons appliquées aux nations, « et dans les grandes eaux vos sentiers », que nous avons entendues des peuples; voilà que le Prophète ajoute: « Et l’on ne connaîtra point vos sentiers ». Nous lui demandions qui ne les connaîtra point, et voilà qu’il ajoute aussitôt : « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et d’Aaron » c’est-à-dire, c’est ce peuple que vous avez conduit par les mains de Moïse et d’Aaron qui ne connaîtra point vos traces. N’est-ce point un reproche, et un reproche amer qu’il fait à ce peuple quand il s’écrie : «Votre voie est dans la nier? » Pourquoi « votre voix est-elle dans la mer », sinon parce qu’elle est effacée de votre terre? Car les Juifs ont chassé le Christ, et ces malades n’ont point voulu leur Sauveur: et voilà qu’il s’est retiré chez les Gentils, chez tous les Gentils, parmi tous les peuples. Seuls, quelques restes de ce peuple ingrat ont été sauvés; mais la multitude est restée dehors dans son ingratitude, cette cuisse de Jacob a boité dans toute son étendue 2. Car la cuisse de Jacob désigne la nombreuse postérité, et la majeure partie de cette postérité est devenue légère et insensée, au point de méconnaître la trace du Christ sur les grandes eaux. « Vous avez conduit votre peuple comme des brebis », qui ne vous ont point connu. Vous les avez comblés de tant de faveurs, vous avez divisé la mer, vous leur avez fait passer les eaux à pied sec, vous avez enseveli dans les flots leurs ennemis qui les poursuivaient; dans leur détresse vous leur avez fait pleuvoir la manne au désert, les conduisant « par la main de Moïse et d’Aaron » ; et néanmoins ils vous ont chassé de leur terre, en sorte que votre voie a été dans la mer, et qu’ils n’ont point connu vos traces.

 

1. Ps. LXXVI, 21. —  2, Gen. XXXII, 31.

 

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