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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXVI.SERMON AU PEUPLE,LINTÉRIEUR DU CHRÉTIEN.
Idithun, ou celui qui devance, bondit jusquà ce quil arrive à la fin de la loi qui est le Christ, et en dehors de qui tout est affliction. Il demande à Dieu, non les biens de cette vie, ce serait reculer, mais Dieu lui-même, quil appelle en lui au jour de la tribulation. Cette tribulation, cest la vie qui est une épreuve. Lhomme qui devance cherche Dieu par de bonnes oeuvres, il le cherche la nuit ou dans cette vie, qui est ténèbres, puisque nous avons besoin de la lumière des Ecritures, mais qui est lumière en comparaison de la vie des infidèles. Cest en cette vie quil faut chercher Dieu par des oeuvres incessantes, et le chercher en sa présence pour éviter la déception. Le Prophète est dans la tristesse, à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; pour se consoler des scandales, il se souvient de Dieu et cherche en lui le repos. Partout il rencontre des pièges, et il sabrite dans le silence pour méditer les années éternelles, non point ces années dans lesquelles nous navons que le moment où, nous parlons, encore nous échappe-t-il avec chaque syllabe. Dans le silence de son âme il comprend que Dieu ne nous repoussera point éternellement, car sil y a en nous quelque pitié, elle vient de lui. En sélevant au-dessus de lui-même, il arrive aux délices pures, et se complaît dans les oeuvres de Dieu, dans Dieu lui-même, qui est la sainteté, la grandeur, qui opère seul des merveilles, et fait connaître son Christ aux Juifs et aux Gentils. Alois les peuples ont confessé le Seigneur, à ta voix des nuées ou des Apôtres, dont la prédication a transpercé les coeurs, et qui ont converti le monde entier à cette lumière du Christ, dont les Juifs ont méconnu les traces.
1. Voici linscription qui ouvre le psaume: « Pour la fin, psaume à Asaph pour Idithun 1 ». Vous savez ce que signifie u pour la fin n. « Car le Christ est la fin de la loi pour ceux qui croiront 2». Idithun signifie celui qui devance les autres, et Asaph lassemblée. Celle qui parle ici, est donc une assemblée qui savance pour arriver à la fin, qui est le Christ Jésus: et le psaume nous apprend ce quil nous faut devancer pour arriver à cette fin, où nous naurons plus rien à devancer. Car il nous faut incessamment dépasser tout ce qui nous est obstacle, tout ce qui nous embarrasse, tout ce qui nous retient comme
1. Ps. LXXVI, 1. 2. Rom. X, 4.
une glu, tout fardeau qui appesantit notre vol, jusquà ce que nous arrivions à ce qui doit nous suffire, au-delà de quoi il ny a plus rien, qui domine tout, et par qui tout existe. Un jour Philippe voulait voir le Père, et disait à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit 1 », comme sil avait encore quelques obstacles à franchir pour arriver au Père, sy reposer en toute sécurité, et navoir plus rien à dépasser. Tel est le sens de cette parole: «Cela nous suffit». Or, Jésus-Christ, qui avait dit, dans toute la force de la vérité: « Mon Père et moi nous sommes un », avertit Philippe et lui enseigna que
1. Jean, X, 30.
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tout homme qui comprend le Christ trouve aussi sa fin dans le Christ, parce que le Père et lui sont un. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père 1 ». Quiconque dès lors veut entrer dans les sentiments du psaume, les reproduire, les conserver, doit sélever au-dessus de tous les désirs charnels, fouler aux pieds les pompes et les charmes du monde, et ne se proposer dautre terme à sa course, que Celui par qui tout a été fait. Tout cela le fait languir, jusquà ce quil arrive à sa fin. Que nous dit alors celui qui devance? 2. « Jai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur 2». Mais combien en est-il qui élèvent la voix au Seigneur, pour en obtenir des richesses, pour éviter quelque perte, pour la santé des leurs, pour laffermissement de leur maison, pour une félicité temporelle, pour les dignités du monde, enfin pour leur propre santé, qui est le patrimoine du pauvre? Cest pour ces biens et pour dautres semblables que beaucoup élèvent la voix vers le Seigneur 3, à peine sen trouve-t-il qui élèvent la voix pour Dieu lui-même. Il arrive aisément quun. homme cherche à obtenir quelque chose de Dieu, et ne cherche pas Dieu: comme si le don nous convenait mieux que le donateur. Quiconque demande à Dieu autre chose que lui-même, nest pas encore lhomme qui devance. Que dit alors cet Idithun? « Jai élevé ma voix pour crier vers le Seigneur ». Et pour nous montrer queu élevant sa voix au Seigneur, il na dautre but que le Seigneur lui-même, il ajoute: « Et ma voix sadresse à Dieu . Notre voix peut, en effet, sélever vers Dieu, et avoir un autre but que Dieu lui-même. Nos cris ont pour but lobjet qui nous les fait élever. Mais celui-ci qui aimait Dieu gratuitement, qui sacrifiait volontairement au Seigneur 3, qui sétait élevé au-dessus de tout ce qui est ici-bas, qui ne voyait plus au-dessus de lui rien quil pût désirer, sinon Celui doù il venait, par qui et en qui il avait été créé, vers lequel il élevait sa voix, celui-ci, dis-je, nadressait quau Seigneur ses cris. Est-ce donc en vain? Ecoute la suite: « Et il ma entendu ». Oui, sans doute il se penche vers toi, quand tu le cherches, et non lorsque tu attends de lui autre chose que lui. Il est dit de quelques-uns, qu « ils ont crié
1. Jean, IV, 8, 9. 2. Ps. LXXVI, 2. 3. Id. LIII, 8.
sans que personne les sauvât, vers le Seigneur, qui ne les a point écoutés 1 ». Pourquoi? Parce que leur voix ne cherchait point le Seigneur. Voilà ce que nous marque lEcriture, qui dit ailleurs, à propos de ces hommes: « Ils nont pas invoqué le Seigneur 2 ». Ils nont cessé de crier vers lui, et pourtant « ils nont point invoqué le Seigneur ».Que veut dire: « Ils nont point invoqué le Seigneur? » lis nont point appelé le Seigneur en eux; ,ils ne lont point attiré dans leurs coeurs, ils nont point voulu que le Seigneur habitât en eux. Aussi que leur est-il arrivé? : « Ils ont été saisis de frayeur, ou il ny avait nulle crainte 3 ». Ils ont redouté de perdre les biens du temps, parce quils nétaient point rassasiés de Celui quils navaient point appelé en eux. ils navaient point pour lui cet amour désintéressé qui leur eût fait dire : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit bénis ». « Ma voix donc est pour le Seigneur », dit le Prophète; puisse-t-il nous enseigner comment il en est ainsi. 3. « Au jour de ma tribulation, jai recherché le Seigneur 4 ». Qui es-tu pour en agir de la sorte ? Vois ce qui taffecte au jour de la tribulation. Si tu es affligé dêtre en prison, ton désir est dêtre délivré; si tu souffres de la fièvre, tu désires la santé; si tu souffres de la faim, tu recherches la nourriture; si tu as essuyé quelque dommage, tu cherches de nouveaux gains; si léloignement de ta patrie te cause quelque douleur, tes désirs sont dy retourner: quai-je besoin dénumérer tout le reste, et comment le pourrais-je? Veux-tu tout devancer? Au jour de la tribulation, recherche le Seigneur, et non autre chose par le Seigneur ; oui, Dieu dans la tribulation, afin quil écarte la tribulation, et que tu puisses demeurer en lui en toute sécurité. « Au jour de la tribulation, jai recherché le Seigneur », rien que Dieu, mais Dieu lui-même. Et comment las-tu recherché? « Toute la nuit je lai recherché de mes mains en sa présence ». Redis-le au Prophète, afin que nous le sachions, que nous le comprenions, que nous le pratiquions, sil nous est possible. Quas-tu donc recherché au jour de la tribulation? « Dieu ». Comment las-tu cherché? « De mes mains ». Quand las-tu cherché?
1. Ps. XVII, 42. 2. Id. XIII, 5. 3. Ibid. 4. Job, I, 21. 5. Ps. LXXVI, 3.
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« La nuit ». Où las-tu cherché? « En sa présence ». Quel est le fruit de tes recherches ? « Je nai pas été déçu » . Autant de particularités, mes frères, quil faut voir, quil faut sonder, quil faut examiner avec soin ; et quelle est cette affliction qui lui a fait rechercher Dieu; et quest-ce que rechercher Dieu des mains, et pendant la nuit, et en sa présence: car tout le monde comprend ce qui suit: « Et je nai pas été déçu ». Que veut dire en effet: « Je nai pas été déçu ?» jai trouvé ce que je cherchais. 4. Cette affliction nest pas une peine telle quelle. Quiconque ne devance pas encore, ne con naît dautre affliction que celle qui nous survient en des temps fâcheux; mais celui qui savance ici regarde toute sa vie comme une peine. Telle est son ardeur pour la céleste patrie, que son pèlerinage sur la terre est sa plus grande tribulation. Comment, je vous le demande, cette vie-ci ne serait-elle pas une calamité? Comment ne serait-elle point une tribulation, quand elle est appelée une tentation continuelle? On lit en effet dans le livre de Job: « La vie de lhomme sur la terre nest-elle pas une épreuve 1? » Nous dit-il que la vie de lhomme est éprouvée sur la terre? Du tout. « Elle est elle-même lépreuve»; si elle est épreuve, elle est aussi tribulation. Ainsi donc, dans cette tribulation, cest-à-dire dans cette vie, lhomme qui devance a cherché Dieu. Comment? « De mes mains », répond-il. Quest-ce à dire, « de mes mains? » Par mes oeuvres. Car il ne cherchait rien de corporel quil pût toucher, comme on cherche une monnaie dor ou dargent quon a perdue, ou toute autre chose que la main peut toucher. Il est vrai que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même voulut quon le touchât des mains, quand il montra ses plaies au disciple qui doutait. Mais quand après avoir touché les cicatrices des plaies, il se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu » ; nentendit-il pas: «Tu as cru, parce que tu as vu: bienheureux ceux qui ont cru sans voir 2? » Sil mérita ce reproche pour avoir cherché Jésus-Christ de ses mains, en sorte quil soit ignominieux davoir cherché Dieu de la sorte ; nous qui sommes appelés bienheureux parce que nous avons cru sans voir, pourquoi chercherions-nous te Seigneur, de la main ? Nous le
1. Job, VII, 1. 2. Jean, XX, 27-29.
chercherons, disons-nous, par nos oeuvres. Quand le chercherons-nous? « La nuit ». Quest-ce à dire, « la nuit? » En cette vie. Car la nuit règne tant que ne paraît point le jour où Jésus-Christ Notre-Seigneur doit paraître dans sa gloire. Voulez-vous corn prendre que nous sommes dans la nuit? Cest que si nous navions un flambeau nous serions continuellement dans les ténèbres. Saint Pierre dit en effet: « Nous avons une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous avez raison darrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusquà ce que vienne à poindre le jour, et que létoile du matin se lève dans vos coeurs ». Il viendra donc après cette nuit, mais pendant cette nuit servons-nous dun flambeau. Cest là sans doute ce que nous faisons actuellement: vous exposer les saintes Ecritures, cest vous donner comme consolation dans nos ténèbres, un flambeau qui doit toujours être allumé dans vos demeures ; car cest à ce sujet quil est dit: « Néteignez point lesprit 2 ». Et comme pour expliquer cette parole, saint Paul ajoute : « Ne méprisez pas la prophétie ». Cest-à-dire, que votre lampe soit allumée. Or, cette lumière est appelée nuit lorsquon la compare avec le jour ineffable; mais en face de la vie des infidèles, la vie des fidèles est bien une lumière. Nous avons déjà dit comment elle est nuit, et nous lavons prouvé par le témoignage de saint Pierre, qui nous parte de flambeau et nous avertit dêtre attentifs a ce flambeau, cest-à-dire aux discours des Prophètes, « jusquà ce que le jour vienne, et que létoile du matin se lève dans nos coeurs ». Saint Paul nous montre aussi que la vie des fidèles est un véritable jour, si nous la comparons à la vie des impies: « Loin de nous », dit-il, « ces oeuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière; marchons dans la décence comme dans le jour 3 ». Une vie honnête est donc le jour en comparaison de la vie des impies. Mais ce jour dune vie fidèle ne suffit point à notre Iditum. Il veut sélever au-delà de cette lumière, jusquà ce quil arrive à ce jour où il ne craindra plus les tentations de la nuit. Ici-bas, en effet, bien que la vie des fidèles soit une lumière, « la vie de lhomme sur la terre est une épreuve 1 ». Elle est lumière et ténèbres; lumière, si nous
1. II Pier. I, 19. 2. Id. V, 19. 3. Rom. XIII, 12. 4. Job, VII, 1.
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la comparons à la vie des infidèles; ténèbres, si nous la comparons à la vie des anges. Car les anges ont une lumière que nous navons pas encore, et nous avons une lumière que nont pas les infidèles: mais les fidèles nont point la vie des anges, ils nen doivent jouir que quand ils seront comme les anges de Dieu, ce qui leur est promis pour le jour de la résurrection 1. Ainsi donc, en ce jour qui est nuit encore, nuit en comparaison du jour auquel nous aspirons, jour en comparaison des ténèbres de notre vie passée: dans celte nuit, dis-je, recherchons Dieu de nos mains. Que nos bonnes oeuvres ne sarrêtent point; cherchons Dieu, et que nos désirs ne soient point stériles. Si nous sommes en voyage, faisons les dépenses pour arriver au terme. Cherchons Dieu de nos mains. Bien que ce soit pendant la nuit que nous le cherchions de nos mains, il ny a point derreur, puisque nous le cherchons « en sa présence ». Quest-ce à dire, « en sa présence? » « Gardez-vous de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin quils vous voient; autrement vous naurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Lors donc que vous faites laumône », dit il, lorsque vos mains cherchent Dieu, « ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites; mais que votre aumône soit dans le secret; et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra 2 ». Donc « jai cherché de mes mains en sa présence, et je nai pas été déçu ». 5. Mais voyons ce quIdithun a enduré sur la terre et pendant cette nuit; écoutons avec la plus grande attention, comment les embarras et les afflictions de cette vie, lont mis dans une certaine nécessité de sélever au-dessus de tout cela. « Mon âme a refusé toute consolation 3 ». Tel était mon ennui sur la terre, que mon âme se fermait à toute consolation. Doù lui venait un tel ennui? La grêle avait-elle ravagé sa vigne, ou ses olives ne mûrissaient-elles point, ou la pluie avait-elle retardé ses vendanges ? Doù vient cet ennui? Ecoute un autre psaume, dont linterlocuteur est le même : « Lennui ma saisi, à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi 4 ». Tel est le mal qui lui avait causé un si profond ennui, que son âme, dit-il, se
1. Matth. XXII, 30. 2. Id. VI, 1, 2,4. 3. Ps. LXXVI, 3. 4. Id. CXVIII, 53.
refusait à toute consolation. Absorbé par lennui, plongé dans une tristesse sans ressource, il ne veut plus de consolation. Dès lors que lui reste-t-il ? 6. Vois dabord ce qui le consolerait. Navait-il pas cherché quelquun qui saffligeât avec lui et sans le trouver 1 ? Où pouvait-il se tourner pour être consolé, celui qui saffligeait en voyant abandonner la loi de Dieu? Où se tourner ? vers quelque homme de Dieu? Lexpérience ne lui a-t-elle pas fait rencontrer, de leur part, une douleur dautant plus grande, quil en avait espéré une joie plus douce ? Quelquefois, en effet, on découvre des hommes justes, et lon sen réjouit; il faut dautant plus sen réjouir, que la charité est inséparable de cette joie ; mais si dans ces hommes qui causent notre joie, nous trou. vous quelque dépravation, comme il arrive souvent, nous ressentons autant dennui que tout dabord nous avions ressenti de joie; cest au point que, dans la suite, on craint de donner cours à sa joie, de sabandonner à lallégresse, de peur de rencontrer une tristesse plus grande encore que la joie que lon a pu ressentir. Frappé donc de ces nombreux scandales, comme dautant de plaies, il ferme son âme à toute consolation humaine, il nen veut chercher aucune. Comment vivre alors? comment respirer? « Je me suis souvenu de Dieu, et jai été dans la joie ». Mes mains navaient pas travaillé vainement, elles avaient trouvé le souverain Consolateur. Ce nest point dans le repos que « je me suis souvenu de Dieu, et que jai été dans la joie ». Cest donc Dieu quil faut prêcher, lui dont le souvenir a comblé de joie notre interlocuteur, la consolé dans la tristesse, et lui a rendu lespoir du salut, cest Dieu quil faut bénir. Il nous montre encore quil a été consolé, quand il dit: « Jai communiqué». Quest-ce à dire : « Jai communiqué ?» Jai tressailli, jai répandu ma joie. On appelle communicatifs, ceux que le vulgaire nomme causeurs, et qui dans les transports de leur joie ne peuvent et ne veulent pas se taire. Voilà Idithun, et que dit-il ensuite? « Et mon âme est tombée en défaillance ». 7. Lennui lavait accablé, il retrouvait la joie dans le souvenir de Dieu, puis il tombe en défaillance, après avoir parlé; que dit-il ensuite? « Mes ennemis ont devancé le moment
1. Ps. LXVIII, 21.
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de la veille 1 ». Mes ennemis ont veillé sur moi, ils ont veillé plus que moi, et dans cette vigilance ils mont surpris. Où ne sont point leurs pièges ? Mes ennemis nont-ils pas devancé lheure de la veille? Quels sont en effet mes ennemis, sinon ceux dont lApôtre a dit: « Vous navez pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde ténébreux, contre les esprits de malice répandus dans les airs 2?» Cest donc le diable et ses anges quil nous faut combattre ; et cest avec raison quils sont appelés gouverneurs du monde, puisquils gouvernent ceux qui sont épris du inonde. Sans doute lApôtre ne les appelle point gouverneurs du monde, comme sils avaient la direction du ciel et de la terre, mais par ce mande il entend les pécheurs: «Et le monde ne la point connu 3». Ainsi donc le monde gouverné par le démon, cest le monde qui na pas connu le Christ. Cest contre ces démons que nous avons dimpérissables inimitiés. Quelle que soit ta haine contre un homme, tu songes à en finir, ou en recevant ses excuses, sil ta offensé le premier, ou en présentant les tiennes, si loffense vient de toi, ou par de mutuelles excuses, Si vos outrages sont réciproques: tu tefforces den venir à une satisfaction, à un accord mais avec le diable et ses anges, nul accord nest possible. Ils nous envient le royaume des cieux. Ils ne peuvent sadoucir à notre égard: « Ce sont des ennemis qui ont devancé «toutes nos veilles ». Ils sont plus attentifs à nous tromper, que moi à me défendre. « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Comment nauraient-ils point mis en demeure toute vigilance, eux qui ont tendu partout des pièges et des pierres de scandale? Es-tu dans lennui ? tu dois craindre que la tristesse ne taccable; es-tu dans la joie? crains que lexpansion de cette joie ne te conduise à la défaillance: « Mes ennemis ont devancé toutes mes veilles ». Enfin, lorsque tu épanches ta joie, lorsque tu parles dans une sécurité parfaite, combien ny a-t-il pas dans ton langage de ces choses que tes ennemis voudraient saisir et critiquer, et dont ils voudraient te faire un crime, fût-ce par la calomnie : voilà ce quil a dit, voilà ce quil pense, tel est son langage? Que peut faire un homme, sinon ce
1. Ps. LXXVI, 5. 2. Ephés. VI, 12. 3. Jean, I, 10.
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qui suit: « Dans mon trouble, jai gardé le silence ? » Il sest donc troublé, et craignant que son ennemi aux aguets ne cherchât et ne trouvât dans ses épanchements matière à calomnie, il a gardé le silence, Mais Idithun na point cessé pour cela de sépancher intérieurement: sil a interrompu sa parole extérieure, où peut-être sétait glissée quelque envie de plaire aux hommes, il ne sest point découragé, il na pas interrompu ses efforts pour devancer jusquà cette vanité. Et que dit-il ? 8. « Jai médité les jours anciens 1 ». Semblable à celui que lon maltraite au dehors, il se retire en lui-même dans le secret de sa pensée. Quil nous dise alors ce quil y fait « Jai médité les jours anciens ». Tant mieux. Voyez, je vous en supplie, quelles sont ses pensées. Dans son intérieur, dans son âme, il médite les jours anciens. Nul ne vient lui dire : Tu tes mal exprimé ; nul mie lui dit Cest trop parlé ; nul ne lui dit: Ton opinion est fausse. Que Dieu laide ainsi à se contenter de lui-même : quil médite les jours anciens, et quil nous dise ce quil a fait dans le secret de son âme, où en est-il arrivé? qua-t-il devancé ? où en est-il demeuré ? « Jai médité les jours anciens, et je me suis souvenu des années éternelles ». Quelles sont ces années éternelles? Sublime pensée t Voyez si cette pensée nexige point un grand silence. Loin de moi tout bruit du dehors, tout fracas des choses humaines, quand je veux méditer intérieurement les années éternelles. Sont-elles bien éternelles, ces années qui sont les nôtres, qui furent celles de nos ancêtres, ou qui seront celles de notre postérité ? Gardons-nous bien de le croire. Que nous reste-t-il de ces années? Dans la conversation, nous disons: Cette année; mais que possédons-nous de cette année, sinon le jour où nous sommes? car les jours qui ont précédé ont passé, et il nen reste rien ; les jours à venir ne sont point encore. Nous ne sommes que dans un jour, et nous disons : Cette année; disons plutôt : Aujourdhui, si nous voulons parler du présent. Que nous reste-t-il, en effet, de toute lannée? Tout ce qui est écoulé de lannée, nexiste déjà plus; tout ce quil y a dans lavenir nexiste point encore ; comment dire : Cette année ? Corrige ton langage et dis: Aujourdhui. Cest vrai, je dirai : Aujourdhui. Et maintenant
1. Ps. LXXVI, 6.
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encore fais-y attention ; les heures du matin sont écoulées, les heures à venir ne sont point encore. Corrige donc une seconde fois ton langage, et dis : Cette heure. Mais dans cette heure quelle est ta part? Il sen est écoulé une partie déjà, et lautre partie nexiste point encore. Dis donc : Le moment. Quel moment? Pendant que jarticule des syllabes, si jen dois prononcer deux, la seconde ne résonne que quand lautre nest déjà plus ; et même dans cette syllabe, sil y a deux lettres, la seconde lettre ne résonne que quand la première nest plus. Quelle est donc notre part dans ces années? Ces années sont mobiles ; il nous faut penser aux années éternelles, aux années qui demeurent, qui ne sécoulent point dans le va-et-vient des jours, aux années dont lEcriture a dit ailleurs, en parlant à Dieu : « Pour vous, vous demeurez le même, et vos années ne sen vont point 1 ». Telles sont les années que cet homme qui devance a méditées en silence, et non dans un babil extérieur : « Et je me suis souvenu des années éternelles ». 9. « Et jai médité la nuit dans mon coeur 2». Nul ne lui tend des pièges pour incriminer ses paroles, il a médité dans son coeur. « Je babillais ». Tel est son babil, redouble dattention, et ne laisse pas sommeiller ton esprit. Ce babil nest plus extérieur, il est autre maintenant. Quel est-il maintenant? « Je me répandais en paroles, et je sondais mon esprit ». Sil fouillait la terre, pour y chercher un filon dor, nul ne laccuserait de folie, plusieurs même vanteraient sa sagacité à chercher lor: quelles richesses na-t il pas à lintérieur, et quil ne cherche point? Idithun sondait son esprit, il sentretenait avec son esprit, il sépanouissait dans son babil. Il sinterrogeait, il sexaminait, il était à lui-même son juge. Aussi dit-il : « Je sondais mon esprit». Il est à craindre quil ne demeure dans son esprit: il a babillé au dehors, et comme ses ennemis avaient devancé toute veille, il na trouvé là que de la tristesse, et son esprit a défailli. Après avoir babillé au dehors, il a cherché sa sûreté dans un entretien intérieur; cest là que dans le silence il médite les années éternelles: « Et je sondais mon esprit », nous dit-il encore. Il est à craindre néanmoins quil ne se renferme dans son âme, et ne se jette plus en avant. Toutefois son
1. Ps. CI, 28. 2. Id. LXXVI, 7.
action intérieure est préférable à laction du dehors. Il y a progrès : voyons quelle en est létendue. Car il ne cesse de se porter en avant, jusquà ce quil arrive « à cette fin qui donne le titre à notre psaume: « Je babillais », dit-il, « et je sondais mon âme ». 10. Et quas-tu trouvé, ô Prophète? Que e Dieu ne nous repoussera point éternellement 1 ». Lennui lavait assailli en cette vie; nulle part la confiance, nulle part une sécurité consolante. A quelques hommes quil pût sadresser, il trouvait ou redoutait en eux le scandale. Nulle part il nest en sûreté. Le silence avait pour inconvénient de se taire au sujet des bienfaits: parler et babiller au dehors était dangereux, car ses ennemis qui avaient devancé toutes ses veilles, cherchaient dans son langage de quoi le calomnier. Eu butte aux angoisses et à la violence, en cette vie il a beaucoup médité sur lautre vie qui naura point ces épreuves. Et quand y arrivera-t-il ? Car nul doute à cet égard, les afflictions de cette vie sont un effet de la colère de Dieu. Voici en effet ce que dit Isaïe : « Mes vengeances contre vous ne seront pas éternelles, et ma colère contre vous ne durera point à jamais ». Il nous en donne la cause. « Cest de moi que viendra lEsprit, et moi jai créé les âmes. Je lai affligé à cause de son péché, je lai frappé, jai détourné de lui ma face, et il sen est allé, et sest égaré dans ses voies 2 ». Quoi donc ! cette colère de Dieu sera-t-elle éternelle? Voilà ce que le Prophète na point trouvé dans son silence, Que dit-il en effet? « Le Seigneur ne nous repoussera point éternellement ; et cela nentrera plus désormais dans ses desseins»: cest-à-dire, il nentrera pas dans ses desseins de nous rejeter, et il ne continuera pas éternellement de nous rejeter loin de lui. Il faut quil rappelle à lui ses serviteurs, il faut quil recueille tous ces fugitifs qui reviennent au Seigneur, il faut quil écoute les plaintes de ceux qui sont enchaînés. « Le Seigneur ne nous rejettera pas éternellement ; et cela nentrera plus désormais dans ses desseins». 11. « Nous privera-t-il de sa miséricorde jusquà la fin, et de race en race? Ou le Seigneur oubliera-t-il sa clémence 3?» En toi et de toi-même, tu nas pour les autres que cette miséricorde qui te vient de Dieu; et Dieu oublierait la miséricorde? Le ruisseau coule;
1. Ps. LXXVI, 8. 2. Isa. LVII, 16, 17. 3. Ps. LXXVI, 9, 10.
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et la source elle-même se tarirait? « Dieu oubliera-t-il de nous prendre en pitié? et sa colère va-t-elle arrêter sa compassion ? » On sera-t-il en colère, de manière à navoir plus de pitié? Il lui est plus facile de sarrêter dans sa colère que dans sa bonté. Cest ce quil avait dit encore par Isaïe : « Ma vengeance contre vous ne sera point éternelle, ni ma colère sans fin». Et après avoir dit: « Il sen est allé triste, et a marché dans ses voies». «Ces voies», dit-il, «je les ai vues, et je lai guéri 1».Voilà ce qua reconnu le Prophète, et il sest élevé au-dessus de lui-même, pour mettre sa joie en Dieu et sépanouir là où il est, ainsi que dans ses oeuvres, non pas dans son esprit, non point dans ce quil a été, mais dans celui qui est son Créateur. Cest de là quil sest élancé pour sélever. Voyez-le sélancer, voyez sil sarrête quelque part, jusquà ce quil arrive à Dieu. 12. « Et jai dit ». Déjà élevé au-dessus de lui-même, que dit-il? « Maintenant je commence » : je me surpasse moi-même. « Maintenant je commence ». Nul péril ici désormais ; car il était dangereux pour moi de demeurer en moi-même. « Et jai dit: Maintenant, je commence, cest là un changement qui est loeuvre de la droite du Très-Haut 2». Cest le Très-Haut qui a commencé à me changer; cest là un commencement qui me donne la sécurité, cest maintenant que jentre dans ces régions du bonheur où nul ennemi nest à craindre, maintenant que jhabite ces contrées où tous mes ennemis ne devanceront point mes veilles. « Je commence aujourdhui; ce changement est loeuvre de la droite du Très-Haut ». 13. « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu ». Voyez-le se donnant de lespace dans les oeuvres de Dieu. Il babillait au dehors, et dans son affliction son esprit sen est allé: il a babillé dans le secret de son coeur, avec son esprit; et en sondant ce même esprit, il sest souvenu des années éternelles, souvenu de la miséricorde de Dieu, car le Seigneur ne doit point nous rejeter éternellement : et le voilà qui se réjouit en sûreté dans ses oeuvres, qui tressaille sans crainte. Ecoutons ces oeuvres nous aussi, et prenons part à sa joie; mais élevons cette joie au-dessus de nous-mêmes, et ne labaissons pas au niveau du temps. Car nous aussi, nous avons
1. Isa. LVII, 18. 2. Ps. LXXVI, 11.
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notre lit secret. Pourquoi ny pas entrer? pourquoi ny point travailler dans le silence? pourquoi ny point sonder notre esprit? pourquoi ny point méditer les années éternelles? pourquoi ne pas nous réjouir dans les oeuvres de Dieu ? Ecoutons-le maintenant; que sa parole fasse tellement nos délices, que même, sortis dici, nous fassions encore ce que nous faisions pendant quil parlait; si toutefois nous avons commencé comme le Prophète la dit : « Maintenant, cen est fait». Te réjouir des oeuvres de Dieu, cest toublier toi-même, si tu peux mettre en lui seul tes délices. Où trouver mieux que lui? Ne vois-tu pas que rentrer en toi-même, cest trouver bien moins? « Je me suis souvenu des oeuvres de Dieu : parce que je me souviendrai, Seigneur, de toutes vos oeuvres depuis le commencement 1». 14. « Et je méditerai sur vos oeuvres, et je mentretiendrai de vos charmes 2». Voilà un troisième entretien. Entretien au dehors, quand ton esprit a défailli ; entretien intérieur et dans le secret du coeur, quand il sest avancé; entretien sur les oeuvres de Dieu, quand il est arrivé au but quil poursuivait. « Je gloserai sur vos charmes », non point sur les miens. Quel est lhomme qui vit sans charmes ? Et pourriez-vous croire, mes frères, quil ny ait point de charmes pour lhomme qui craint Dieu, qui sert Dieu, qui aime Dieu? Pouvez-vous le croire et penser quil ny àit rien dattrayant dans les oeuvres de Dieu, quand vous trouvez de lattrait dans un tableau, dans le théâtre, dans la chasse aux bêtes fauves ou aux oiseaux, dans la pêche? Ny aurait-il aucun attrait à méditer les oeuvres de Dieu, à contempler le monde, à ramener sous nos yeux le spectacle de la nature, alors que lon en recherche lauteur, et quon ne le trouve jamais en désaccord, mais dans une harmonie incomparable? 15. « Votre voie, ô Dieu, est dans la sainteté ». Il envisage autour de nous les oeuvres de la miséricorde suprême, il en glose, il sépanouit dans leurs charmes. Tel est son point de départ. « Votre voie est dans la sainteté ». Quelle est cette voie dans la sainteté? « Je suis », dit le Seigneur, « la voie, la vérité et la vie 4 ». Revenez donc, ô hommes, revenez de vos passions. Où allez-vous? Où courez-vous? Pourquoi fuir ainsi,
1. Ps. LXXVII, 12. 2. Id. 13. 3. Id. 14. 4. Jean, XIV, 16.
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non-seulement loin de Dieu, mais loin de vous ? Rentrez en vous-mêmes, ô prévaricateurs 1, sondez votre âme, repassez les années éternelles, reconnaissez la bonté de Dieu pour vous, et voyez les oeuvres de sa miséricorde. « Sa voie est dans la sainteté ». Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? Que cherchez-vous dans vos délices? Pourquoi vous éprendre de la vanité, et courir après le mensonge? Sachez donc que le Seigneur a glorifié son saint 2. « Votre voie est dans la sainteté ». Elevons-nous donc à lui, élevons-nous au Christ; cest là quest sa voie. « O Dieu, votre voie est dans le saint. Quel Dieu est aussi grand que notre Dieu? » Les Gentils trouvent des charmes dans leurs dieux; ils adorent des idoles, qui ont des yeux et ne voient point, des oreilles et nentendent point, des pieds et ne marchent point 3. Pourquoi marcher vers ce Dieu qui ne marche pas? Je nadore point ces idoles, me dit-il. Quest-ce que tu adores? La divinité qui y réside? Tu adores, sans aucun doute, ce qui a fait dire ailleurs : « Que les dieux des nations sont des démons Cest lidole que tu adores, ou le démon? Ni lidole, ni le démon, crie répond-il. Quel est donc ton culte? Celui des étoiles, du soleil, de la lune, des corps célestes : quil vaudrait mieux adorer celui qui a fait le ciel et la terre! Quel Dieu est grand comme notre Dieu? 16. « Vous opérez des merveilles, et les opérez seul ». Vous êtes un Dieu véritablement grand, qui opérez des merveilles en notre corps et en notre âme, et le seul pour en opérer. Les sourds ont entendu, les aveugles ont vu, les malades ont été guéris, les morts ont ressuscité, les paralytiques ont recouvré la force. Ces merveilles toutefois sont corporelles; voyons les miracles sur lâme. Des hommes naguère adonnés au vin sont devenus sobres; ceux qui tout à lheure adoraient des idoles ont embrassé la foi; dautres qui volaient le bien des autres donnent leurs biens aux pauvres. « Quel Dieu est grand comme notre Dieu? Vous opérez des merveilles et les opérez seul ». Moïse a fait des merveilles, mais non seul; Elie en a fait, Elisée en a fait, les Apôtres en ont fait; mais nul dentre eux nétait seul. Pour les faire, ces merveilles, vous étiez avec eux; mais
1. Isa. XLVI, 8. 2. Ps. IV, 3, 4. 3. Id. CXIII, 5-7. 6. Id. XCV, 5. 7. Id. LXXVI, 15.
vous, pour les faire, vous naviez nul besoin deux. Ils nétaient point avec vous, en effet, quand vous les avez faits eux-mêmes. « Vous êtes un Dieu opérant des merveilles et les opérant seul ». Comment seul? Peut-être le Père et non le Fils? ou le Fils et non le Père? Non, mais le Père, le Fils et le Saint-Esprit. « Vous êtes un Dieu opérant seul des merveilles ». Car il ny a pas trois dieux, mais un seul Dieu qui fait des merveilles, et qui en fait dans celui qui devance. Car le jeter en avant et le faire arriver où il en est, cest là une merveille de Dieu; mais quand il sest tenu un langage intérieur et dans son âme, et quil sest élevé au-dessus de son âme pour trouver ses délices dans les oeuvres de Dieu, cest lui qui a fait là une merveille. Mais qua fait le Seigneur ? « Vous avez fait connaître aux peuples votre puissance ». De là cette Eglise, ou Asaph qui devance, parce que le Seigneur a fait connaître sa puissance parmi les nations. Quelle puissance a-t-il montrée. aux peuples? « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour les Juifs qui sont appelés, aussi bien que pour les Grecs, la puissance de Dieu, la sagesse de Dieu 1 ». Si donc le Christ est la puissance de Dieu, cest le Christ quil a fait connaître aux peuples. Pouvons-nous lignorer encore ? Serions-nous dans une telle démence, dans une telle prostration, assez arriérés jusquà ne pas voir cette parole accomplie : « Vous avez montré aux peuples votre puissance ? » 17. « Votre bras a racheté votre peuple 2 ». « Votre bras », cest-à-dire votre puissance. A qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé 3? « Votre bras a racheté votre peuple, les enfants dIsraël et de Joseph ». Comment paraît-il faire deux peuples « des fils dIsraël et des fils de Joseph? » Ces fils de Joseph étaient-ils fils dIsraël? Oui, assurément. Voilà ce que nous savons, ce que nous lisons, ce que nous prêche lEcriture, ce que nous enseigne la vérité, que Israël ou Jacob eut douze tils parmi lesquels nous comptons Josepli, et que tous ceux qui sont nés de ces douze patriarches appartiennent au peuple dIsraël. Pourquoi dire alors, « les fils dIsraël et les fils de Joseph? » Je ne sais point quelle distinction il veut nous indiquer.
1. I Cor. I, 23, 24. 2. Ps. LXXVI, 16. 3. Id. LIII, 1.
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Cherchons dans notre âme : peut-être y a-t-il quelque dessein de ce même Dieu quil nous faut chercher de nos mains au milieu de la nuit, afin de nêtre point trompés; cest nous peut-être que nous trouverons dans cette distinction « des enfants dIsraël et de Joseph ». Par Joseph il a voulu entendre un autre peuple que celui dIsraël, le peuple des Gentils. Pourquoi Joseph désignerait-il les nations? Parce quil fut vendu en Egypte par ses frères 1. La jalousie porta ses frères à vendre Joseph pour lEgypte, et ainsi vendu il passa par la douleur et par lhumiliation; reconnu, il se releva, grandit, commanda. A tous ces points de vue, qua-t-il symbolisé? Quoi, sinon le Christ, vendu par ses frères, rejeté de sa patrie, comme dans lEgypte chez les nations? La, humilié dabord quand la persécution sévit contre les martyrs, il est élevé dans cette gloire que nous voyons; car voilà que sest accompli cet oracle: « Les rois de la terre doivent ladorer, les nations le serviront 2 ». Donc Joseph est le peuple des nations, Israël est le peuple de la race des Hébreux. Dieu a racheté son peuple, « les fils dIsraël et les fils de Joseph ». Par quoi? Par cette pierre de langle où se réunissent les deux murailles 3. 18. Le Prophète poursuit ainsi : « Les eaux vous ont vu, ô Dieu 4 ». Quelles sont « ces eaux? » Les peuples. Quelles sont « ces eaux », est-il dit dans lApocalypse? et il est répondu: ce sont les peuples : par là, nous le voyons clairement, les eaux désignent les peuples 5. Le Prophète a dit plus haut : « Vous avez fait connaître aux peuples votre force. Cest donc à bon droit que les eaux vous ont vu, ô Dieu; les eaux vous ont vu et ont frémi ». Et parce quelles ont frémi , elles ont changé. « Les eaux vous ont vu, ô Dieu, les eaux vous ont vu et ont frémi, et les ahuries ont été troublés ». Quest-ce que « labîme ? » La profondeur des eaux. Qui nest pas ému parmi les peuples quand la conscience est frappée ? Tu cherches la profondeur des mers : quelle profondeur plus grande que la conscience humaine? Telle est la profondeur qui sest troublée, quand le Seigneur a racheté sou peuple par la force de son bras. Quand labîme sest-il troublé? Cest quand les peuples ont
1. Gen. XXXVII, 28. 2. Ps. LXXI, 11. 3. Ephés. 14. 4. Id. LXXII, 11. 5. Apoc. XVII, 15.
répandu leurs consciences par laveu. « Et labîme sest troublé ». 19. « Les eaux sont tombées avec fracas 1». La louange de Dieu, la confession des fautes, les hymnes, les cantiques, les prières, cest là « le fracas des grandes eaux». «Les nuées ont grondé ». Le fracas des eaux, le trouble de labîme viennent de « la grande voix des nuées ». Quelles nuées? Ceux qui ont prêché la parole de vérité. Quelles nuées ? Ces nuées dont Dieu menace la vigne qui donne des épines et non des raisins : « Je commanderai à mes nuées de ne point pleuvoir sur elle 2 ». En effet, les Apôtres ont abandonné les Juifs pour aller chez les Gentils. Ces nuées « ont fait entendre leur voix » dans toutes les nations, et cest en prêchant le Christ qu « elles ont fait entendre leur voix ». 20. « Car vos flèches ont traversé 3 ». Le Prophète appelle des flèches, ce quil appelait des nuages. Les paroles des Evangélistes, en effet, sont des flèches, ou ressemblent à des flèches. Car, à proprement parler, une flèche nest pas la pluie, ni la pluie une flèche; mais la parole de Dieu est une flèche parce quelle frappe, et une pluie parce quelle arrose. Il nest donc pas étonnant que labîme se trouble, quand « vos flèches le traversent». Quest-ce à dire « traverser? » Quelles ne demeurent point dans les oreilles, mais quelles transpercent les coeurs. « La voix de votre tonnerre est dans une roue». Quest-ce à dire? Comment faut-il comprendre? Dieu nous soit en aide. « La voix de votre tonnerre est dans une roue ». Dans notre enfance le bruit du tonnerre nous paraissait le bruit dun chariot sortant de létable : car les secousses du tonnerre ont de la ressemblance avec les secousses dun chariot. Faut-il en revenir à ces puérilités pour comprendre: « La voix de votre tonnerre est dans une roue »; comme si Dieu avait dans les nuages des chariots dont la marche occasionnerait ces bruyantes secousses? Point du tout. Ce serait puéril, vain et frivole. Que signifie donc: « La voix de votre tonnerre est dans une roue?» Votre voix tourne, je ne comprends pas davantage. Que faire alors? Interrogeons, Idithun lui-même; peut-être expliquera-t-il ce quil entend par « la voix de votre tonnerre est dans une roue », et que je ne comprends point. Ecoutons ce quil dit ensuite : « Le
1. Ps. LXXVI, 18. 2. Isa. V, 6. 3. Ps. LXXVI, 19.
feu de vos éclairs a brillé devant le globe terrestre ». Parlez, ô Prophète, car je ne comprenais point. Le globe de la terre est une roue, car la circonférence du globe terrestre se nomme avec raison un cercle, doù lon appelle petit cercle une petite roue. « La voix de votre tonnerre est dans une roue, le feu de vos éclairs a brillé devant le globe de la terre ». Ces nuages, dans une roue, ont parcouru lunivers entier; ils lont parcouru avec des tonnerres et des éclairs; ils ont troublé labîme par les tonnerres des préceptes et par les éclairs des miracles car leur voix a retenti sur toutes les terres, et leurs paroles dans tous les confins de lunivers 1. « La terre sest troublée, elle a bondi en frémissant » : cest-à-dire, tous ceux qui lhabitent, et par figure la terre elle-même. Pourquoi? Parce que toutes les nations sont désignées sous le nom de mer, à cause de lamertume de cette vie, exposée à des troubles et à des tempêtes. Puis, si lon veut considérer que les hommes se dévorent comme les poissons, que le plus faible est la proie du plus fort, on voit que ce monde est une mer; et cest là quallèrent les Evangélistes. 21. « Votre voie est dans la mer 2 ». Tout à lheure cétait : « Votre voie est dans la sainteté »; maintenant : « Votre voie est dans la mer », parce que le Saint lui-même est dans la mer et quil a marché sur les eaux de la mer 3. « Votre voie est dans la mer», cest-à-dire que votre Christ est prêché parmi les Gentils. Il est dit, en effet, dans un autre psaume : « Que Dieu nous prenne en pitié et nous bénisse; quil fasse briller sur nous la lumière de son visage, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Où « sur la terre? » « Votre salut est chez toutes les nations 4 ». Tel est le sens de « votre voie est dans la mer. Et vos sentiers dans les grandes eaux » : cest-à-dire chez des peuples nombreux. « Et lon ne connaîtra plus vos traces ». Je ne sais à qui cette phrase fait allusion, je métonnerais si ce nétait aux Juifs. Voilà que la miséricorde du Christ est prêchée aux Gentils, en sorte que « votre voie est dans la mer, vos sentiers dans les grandes eaux, et lon ne connaîtra plus vos traces ». Pourquoi et qui ne les connaître point, sinon ceux qui disent encore: Le Christ
1. Ps. XVIII, 5. 2. Ps. LXXVI, 20. 3. Matth. XIV, 25. 4. Ps. LXVI, 2, 3.
nest point encore venu? Pourquoi dire que le Christ nest point encore venu? Parce quils ne connaissent point sa marche sur la mer. 22. « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et dAaron 1 ». II nest pas facile de comprendre pourquoi cette addition. Aidez-nous de votre attention, car ces deux versets termineront le psaume et mon discours. Ne vous imaginez point quil doive durer encore et que la crainte de cette longueur ne diminue point votre attention. Après ces paroles: « Votre voie est dans la mer », que nous avons appliquées aux nations, « et dans les grandes eaux vos sentiers », que nous avons entendues des peuples; voilà que le Prophète ajoute: « Et lon ne connaîtra point vos sentiers ». Nous lui demandions qui ne les connaîtra point, et voilà quil ajoute aussitôt : « Vous avez conduit votre peuple comme un troupeau, par les mains de Moïse et dAaron » cest-à-dire, cest ce peuple que vous avez conduit par les mains de Moïse et dAaron qui ne connaîtra point vos traces. Nest-ce point un reproche, et un reproche amer quil fait à ce peuple quand il sécrie : «Votre voie est dans la nier? » Pourquoi « votre voix est-elle dans la mer », sinon parce quelle est effacée de votre terre? Car les Juifs ont chassé le Christ, et ces malades nont point voulu leur Sauveur: et voilà quil sest retiré chez les Gentils, chez tous les Gentils, parmi tous les peuples. Seuls, quelques restes de ce peuple ingrat ont été sauvés; mais la multitude est restée dehors dans son ingratitude, cette cuisse de Jacob a boité dans toute son étendue 2. Car la cuisse de Jacob désigne la nombreuse postérité, et la majeure partie de cette postérité est devenue légère et insensée, au point de méconnaître la trace du Christ sur les grandes eaux. « Vous avez conduit votre peuple comme des brebis », qui ne vous ont point connu. Vous les avez comblés de tant de faveurs, vous avez divisé la mer, vous leur avez fait passer les eaux à pied sec, vous avez enseveli dans les flots leurs ennemis qui les poursuivaient; dans leur détresse vous leur avez fait pleuvoir la manne au désert, les conduisant « par la main de Moïse et dAaron » ; et néanmoins ils vous ont chassé de leur terre, en sorte que votre voie a été dans la mer, et quils nont point connu vos traces.
1. Ps. LXXVI, 21. 2, Gen. XXXII, 31.
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