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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXIII.SERMON AU PEUPLE.LA FOI PASSE DES JUIFS AUX GENTILS.
Cest la synagogue ou le peuple Juif qui parle dans ce psaume, lequel parait faire suite au précédent, car il sagit de la disparition des figures de lAncien Testament, de la destruction de la ville et du temple, qui étaient des monuments de la promesse de Dieu. Aujourdhui que lhomme céleste a paru, lhomme terrestre a dû disparaître. Dieu fit dabord des promesses temporelles à lhomme encore enfant ; puis des promesses spirituelles à lhomme devenu adulte. Les premières ont dû disparaître avec lAncien Testament, pour feire place aux promesses du ciel. Pour sêtre attachés aux premières, tes Juifs ont perdu et les biens temporels et les biens célestes. Néanmoins la synagogue est lhéritage de Dieu, héritage délivré par Moïse dont la houlette figurait le Christ, et recruté parmi les Juifs et parmi les Gentils. En réprimant ces derniers, Dieu leur a fait connaître le Christ. Dès lors les figures devaient disparaître. Rome alors exécuta contre Jérusalem la volonté de Dieu sans la connaître, puis crut au Messie, que la synagogue attend toujours. Toutefois les Juifs sortis du sein de Dieu, et lépreux comme la main de Moïse, y rentreront après la conversion des Gentils, ils seront guéris par le serpent dairain. Le Seigneur a donc affermi la mer ou converti les Gentils, et détruit la puissance du démon, quil a donné en pâture à ses adorateurs, comme Moïse fit boire à Israël la tête du veau dor, réduite en poussière et jetée dans leau. Ces peuples sont incorporés au Christ, comme les serpents des magiciens de Pharaon furent absorbés par celui de Moïse. Cest Dieu qui fait jaillir, et leau de la vie éternelle, et celle qui passe avec la rapidité du torrent, cest-à-dire la doctrine pure, qui fait taire le démon et lorgueilleux, qui a fait le jour on la doctrine des parfaits, et la nuit on celle des moins parfaits, lhomme spirituel et lhomme charnel. Toutefois le Prophète implore le pardon de son peuple coupable, qui na point adoré les faux dieux, qui a fait pénitence à la parole de Pierre, qui comprendra enfin le salut. Humilité du chrétien. Nécessité de la foi aux promesses de Dieu.
1. Ce psaume a pour titre : « Intelligence «dAsaph 1». Or, Asaph signifie, en latin, Assemblée, en grec, Synagogue. Voyons ce qui a été compris par cette synagogue, ou plutôt comprenons dabord ce quétait la synagogue, afin de comprendre ensuite ce quelle a compris. Toute réunion, en général, sappelle synagogue; or, on peut appliquer ce mot de réunion aux animaux comme aux hommes; seulement ici, il nest pas question danimaux, puisquil est parlé dintelligence. Ecoute en effet ce quil est dit de lhomme qui étaie en honneur, et qui a négligé de le comprendre : « Lhomme était en donneur, il ne la point compris, il sest comparé aux anis maux sans raison, et leur est devenu semblable 2». Inutile dès lors de nous arrêter ici plus longtemps, et de démontrer avec plus de soin quil ne sagit point dune assemblée danimaux, mais bien dune réunion dhommes; alors cherchons de quels hommes il est question. Assurément, il ne sagit point de ces hommes qui, ne comprenant point lhonneur de leur condition, se sont comparés aux stupides animaux et leur sont devenus semblables, mais bien de ceux qui lont compris. Cest
1. Ps, LXXIII, 1. 2. Id. XLVII, 13.
ce que marque le titre qui dit: « Intelligence dAsaph ». Nous allons donc entendre la voix dune assemblée intelligente. Mais comme le nom de synagogue est tellement particulier à la réunion du peuple dIsraël, que toujours, en entendant synagogue, nous entendons le peuple juif, voyons si ce nest point lui qui parle dans notre psaume. Mais alors quels juifs, et quel peuple dIsraël? Ce nest point la paille, mais le froment 1, non point les rameaux brisés, mais les rameaux affermis 2. « Tous ceux qui sont nés dIsraël, ne sont point tous israélites, mais cest Isaac qui sera appelé votre fils, cest-à-dire, ce ne sont point les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu, mais bien les fils de la promesse, qui sont réputés de la race dAbraham 3 ». Il y a donc de vrais enfants dIsraël, au nombre desquels se trouvait celui dont le Sauveur a dit: « Voilà un vrai israélite, sans déguisement 4 ». Toutefois ils ne sont pas israélites dans le même sens que nous, car nous sommes aussi de la race dAbraham. Et lApôtre sadressait à des Gentils quand il disait: « Vous êtes de la race dAbraham , et les héritiers de la
1. Matth. III, 12. 2. Rom. XI, 17. 3. Id. IX, 6 - 8. 4. Jean, 1, 47.
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promesse ». Nous sommes donc enfant dIsraël, quand nous suivons les traces dAbraham notre père. Mais nous entendons ici ces Israélites , à la manière de lApôtre : « Pour moi ». dit-il, « je suis enfant dIsraël, de la race dAbraham, de la tribu de Benjamin 2 ». Comprenons alors ceux dont les Prophètes ont dit : « Les restes dIsraël seront sauvés 3 ». Ecoutons donc la voix de ces restes dIsraël échappés au naufrage; cette voix de la Synagogue qui avait reçu lAncien Testament, et qui nattendait que des récompenses temporelles , doù lui venaient ses allures chancelantes. Que lisons-nous en effet dans un autre psaume, que le titre assigne à Asaph? « Combien est bon le Dieu dIsraël pour ceux qui ont le coeur droit! Quant à mes pieds, ils ont failli trébucher ». Et comme si nous lui demandions: Pourquoi vos pieds ont-ils failli trébucher? « Mes pas se sont presque égarés», nous dit-il, « parce que jai porté envie aux pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent». Il nattendait du Seigneur quun bonheur temporel, selon les promesses de lAncien Testament, et il voit que les impies jouissent de ce bonheur, quils ont, sans adorer Dieu, ce quil attend pour prix de ses services; alors ses pieds chancellent comme sil servait Dieu en vain. « Voilà», dit-il en effet, « que les pécheurs et ceux qui sont ici-bas dans labondance ont obtenu les richesses. Est-ce donc en vain que jai justifié mon coeur 4 ? » Voyez combien ses pieds sont ébranlés, pour que son âme en vienne jusquà dire Que me revient-il de servir le Seigneur? Tel qui ne le sert point est heureux; et moi qui le sers, je suis dans langoisse. Enfin, quand même je serais heureux, dès lors que celui qui ne sert point Dieu lest aussi, comment ce, bonheur viendrait-il du culte que je rends à Dieu? Or, le psaume que je viens de citer, précède immédiatement celui que nous expliquons. 2. Sans aucun dessein de notre part, mais bien par la Providence de Dieu, nous venons dentendre fort à propos dans lEvangile : «Que la loi fut donnée par Moïse, que la grâce et la vérité viennent de Jésus-Christ 2». Car si nous remarquons bien les différences entre les deux Testaments, lAncien et le Nouveau, nous ne trouverons ni les
1. Gal. III, 29. 2. Rom. XI, 1. 3. Id. IX, 27. 4. Ps. LXXII, 1-3, 12, 13 5. Jean, I, 17.
mêmes sacrements, ni les mêmes promesses, quoique ce soient les mêmes préceptes. Car: « Vous ne tuerez point; vous ne commettrez point la fornication ; vous ne déroberez point; honorez votre père et votre père; vous ne direz point de faux témoignage; vous ne désirerez point le bien du prochain; vous ne désirerez point son épouse non plus 1»; voilà ce qui nous est aussi ordonné. Quiconque néglige ces préceptes, sécarte de la voie, et se rend indigne daller avec Dieu sur cette montagne sainte, dont le Prophète a dit: «Qui habitera, Seigneur, dans vos tabernacles, ou qui reposera sur votre sainte montagne 2? Lhomme aux mains innocentes, et au coeur pur 3». En examinant ainsi les préceptes, nous les trouvons semblables, ou à peine différents dans lEvangile, de ce quen ont dit les Prophètes. Ainsi donc, ce sont les mêmes préceptes, mais non les mêmes sacrements, ni les mêmes promesses. Voyons pourquoi ce sont les mêmes préceptes; cest quils déterminent la manière dont nous devons servir Dieu. Les sacrements sont différents, car les uns donnent le salut, les autres promettent le Sauveur. Les sacrements de la Nouvelle Alliance donnent le salut, tandis que cest le Sauveur qui est promis dans ceux de lAncienne Alliance; mais dès lors que lon possède le Sauveur promis, à quoi bon sarrêter aux promesses? Je dis que nous possédons ce qui était promis, non point que nous ayons déjà la vie éternelle, mais parce que le Christ prédit par les Prophètes est venu. Les sacrements sont changés, ils sont devenus plus faciles, moins nombreux, plus salutaires, plus heureux. Pourquoi les promesses ne sont-elles pas les mêmes? Cest que la terre de Chanaan fut promise aux Juifs, terre grasse et fertile, où coulaient des ruisseaux de lait et de miel; un royaume leur fut promis, la félicité du temps leur était promise, la fécondité dans la famille et la victoire sur leurs ennemis 4. Tout cela nest quun bonheur de la terre. Mais comment ces promesses étaient-elles dabord nécessaires? « Cest que ce nest point le corps spirituel qui a été créé le premier », dit saint Paul, « mais bien le corps animal, et ensuite le spirituel. Le premier homme, est lhomme terrestre, formé de la terre; le second est lhomme céleste, venu
1. Exod. XX, 12-17. 2. Ps. XIV, I. 3. Id. XXIII, 4. 4. Exod. III, 8.
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du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses enfants sont terrestres, et comme le second fut céleste, ses enfants sont célestes. De même que nous avons porté limage de lhomme terrestre , il nous faut porter limage de lhomme qui est du ciel 1 ». LAncien Testament fut fait à limage de lhomme terrestre , et cest à limage de lhomme céleste quest fait le Nouveau Testament. Mais afin que lon ne crût point que le Créateur de lhomme terrestre nest pas celui qui a fait lhomme céleste, voilà quo Dieu, pour nous montrer quil a créé lun et lautre, a voulu être lauteur des deux Testaments, et faire dans lAncien des promesses terrestres, et des promesses célestes dans le Nouveau. Mais jusques à quand, ô homme, seras-tu terrestre? Jusques à quand auras-tu du goût pour la terre? Parce que lon donne à un enfant des jouets enfantins pour amuser son jeune esprit, faut-il, quand il grandit, ne pas les lui enlever des mains, afin de lui donner une occupation plus utile et plus digne de son âme ? Toi-même, nas-tu pas donné à ton fils des noix quand il était enfant, et un livre quand il a grandi? Si donc Dieu, par le Nouveau Testament, a secoué, des mains de ses fils, ces espèces de jouets denfants, afin de leur donner, à mesure quils grandissent, quelque chose de plus utile, ce nest pas une raison de croire quil na point donné les premiers biens, il est lauteur des uns et des autres. « Mais la loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité par Jésus-Christ 2 »; « la grâce », parce que cest la charité qui accomplit ce que prescrivait la loi; « la vérité», parce que Dieu nous rend ce quil a promis. Voilà ce qua compris cet Asaph. Enfin tous ces biens temporels promis aux Juifs sont retranchés. Où est maintenant leur royaume? Où est le temple? Où est lonction? Où est le sacerdoce? Où sont chez eux les Prophètes ? Depuis lavènement de celui que les Prophètes annonçaient, ils nont plus paru dans cette nation; elle a perdu les biens de la terre, et na pas encore acquis ceux du ciel. 3. Il ne faut donc point nous attacher aux biens de la terre, quoiquils nous viennent de Dieu. Mais parce que nous ne devons pas nous y attacher, ce nest pas une raison pour croire que ce soit un autre que Dieu qui nous
1. I Cor. XV, 46-49. 2. Jean, I, 17.
les donne; cest de lui quils nous viennent mais ne regarde pas comme une grande faveur de sa part, des biens quil donne même au méchant. Car sil les estimait, il ne les donnerait point aux impies. Si donc il veut en faire le partage des méchants, cest pour apprendre aux bons à lui demander ce quil ne donne pas aux impies. Quant aux Israélites, ils sattachèrent misérablement aux biens terrestres, sans mettre son espoir dans Celui qui a créé le ciel et la terre; qui leur donna les biens terrestres , qui les délivra de la captivité temporelle de lEgypte, qui leur ouvrit un passage à travers la mer Rouge, et engloutit leurs ennemis dans les flots q; sans mettre alors leur confiance dans Celui qui devait leur donner les biens célestes à lâge viril, comme il leur avait donné les biens terrestres dans leur enfance, ils ont craint de perdre ce quils avaient reçu et ont mis à mort le donateur. Nous vous parlons ainsi, mes frères, hommes du Nouveau Testament, afin que vous ne vous attachiez point aux biens dici-bas. Sils sont inexcusables dans leur attachement pour ces biens, eux qui ne connaissaient point encore la nouvelle Alliance; combien moins pourront trouver dexcuses pour leurs convoitises terrestres, ceux qui connaissent les promesses spirituelles du Nouveau Testament ! Rappelons-nous, mes frères, cette parole des persécuteurs du Christ: « Si nous le laissons libre, les Romains viendront, et nous enlèveront et la ville et le royaume 2». Vous le voyez, ils ont craint de perdre des biens terrestres, et ont tué le Roi du ciel. Et que leur est-il arrivé? Ils ont même perdu les biens temporels: ils ont subi la mort dans ce même lieu où ils avaient mis à mort le Christ : lappréhension de perdre la terre leur fit tuer lAuteur de la vie, et ils nen perdirent pas moins et la vie et la Terre; et cela au temps même quils lavaient tué, afin quune telle coïncidence leur indiquât la cause de ces désastres. Les Juifs en effet célébraient la Pâque, lorsque leur ville fut détruite, et toute la nation était accourue en foule pour célébrer cette solennité. Ce fut alors que Dieu, par la main des méchants, bien quil soit toujours bon, par la main des injustes, bien quil demeure juste et agisse avec justice, tira des Juifs cette éclatante vengeance, qui les fit périr par milliers et détruisit leur ville.
1. Exod, XIV, 22, 28. 2. Jean, XI, 18.
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Tel est le désastre que voit Asaph, et quil pleure dans notre Psaume; dans ses lamentations il nous apprend à discerner les biens de ta terre des biens du ciel, et lAncien Testament du Nouveau : afin que tu saches par où il te faut passer, ce quil te faut espérer, à quels biens tu dois renoncer ou tattacher. Il commence donc ainsi. 4. « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusquà la fin 1? » Nous avez-vous repoussés à jamais dans la personne de ce peuple Juif, dans la personne de celte assemblée qui est spécialement appelée Synagogue? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés à jamais? » Ce nest point là une inculpation, cest une question. « Pourquoi », quel motif vous a fait agir ainsi? Quavez-vous fait? « Vous nous avez rejetés jusquà la fin ». Quest-ce à dire, « à la fin? » Peut-être jusquà la fin du monde. Ou bien nous auriez-vous rejetés jusquau Christ qui est la fin pour tous ceux qui croient 2? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusquà la fin? votre fureur sest-elle enflammée contre les brebis de votre bercail ? » Pourquoi cette colère contre les brebis de votre troupeau, sinon parce que nous nous attachions aux biens terrestres, et que nous ne connaissions point notre pasteur? 5. « Souvenez-vous de votre peuple, que vous avez possédé depuis le commencement 3 ». Cette prière viendrait-elle des Gentils? Dieu les a-t-il possédés à lorigine? Et toutefois il possédait la race dAbraham, le peuple dIsraël, né selon la chair des Patriarches qui sont aussi nos pères, car nous sommes devenus leurs enfants, non plus en vivant selon la chair, mais en imitant leur foi. Mais quest-il arrivé à ce peuple qui fut tout dabord lhéritage de Dieu ? « Souvenez-vous, Seigneur, de ce peuple que vous avez possédé depuis le commencement. Vous avez « racheté le sceptre de votre héritage 4 ». Ce peuple, qui est le vôtre, cest « le sceptre de votre héritage que vous avez racheté ». Reportons-nous à ce que Dieu fit tout dabord quand il voulut posséder en héritage ce peuple quil délivra de lEgypte, quel signe donna-t-il à Moïse, alors que Moïse lui disait: « Quel signe leur donnerai-je, pour leur montrer que vous menvoyez? Et le Seigneur lui répondit : Que tiens tu en ta
1. Ps. LXXIII, 1. 2. Rom. X, 4. 3. Ps. LXIII, 2. 4. Exod. IV, 1-4.
main? une houlette. Jette-la sur la terre. Et Moïse jeta sur la terre sa houlette qui devint un serpent, et Moïse eut peur et senfuit. Or, le Seigneur lui dit : Saisis-le par la queue, et il le saisit, et il redevint une houlette, comme auparavant ». Quest-ce que cela signifie? Car ce ne fut point une action sans motif. Interrogeons les saintes Ecritures. A quoi aboutit pour lhomme linsinuation du serpent? A la mort 1. Donc la mort vient du serpent. Si la mort vient du serpent, dans le sceptre il faut voir le serpent, et dans le Christ la mort. De là vient que quand les Juifs mouraient au désert par la morsure des serpents, Dieu donna ordre à Moïse délever un serpent dairain, et davertir le peuple que tout homme blessé par le serpent, qui le regarderait, serait guéri 2. Ce qui arrivait; et les hommes mordus par les serpents étaient guéris de cette blessure venimeuse, en regardant le serpent dairain. Que signifiait cette merveille, être guéri dun serpent par la vue dun serpent? Etre sauvé de la mort par la foi en un mort? Et toutefois « Moïse eut peur et senfuit 3 ». Que signifie cette fuite de Moïse, à la vue du serpent? Quoi, mes frères, sinon ce que nous raconte lEvangile ? A la mort du Christ, les disciples furent saisis de crainte, et oublièrent lespérance quils avaient eue en lui 4. Mais quest-il dit ensuite? « Prends-le par la queue 5 » Quest-ce à dire, u la « queue? » Saisis la partie postérieure. Cest dans le même sens quil dit encore: « Tu me verras par derrière 6 ». Dabord le sceptre de Moïse devint un serpent, et quand il en saisit la queue, ce fut un sceptre; comme le Christ mourut dabord, pour ressusciter ensuite. La queue du serpent est aussi la fin des siècles. Aujourdhui lEglise marche à travers la mort. Les uns vont, les autres viennent par la mort comme par le serpent; puisque cest lui qui a semé la mort; mais à la fin des siècles, que figure la queue du serpent, nous retournons à Dieu, nous devenons le royaume stable de Dieu, et alors saccomplit en nous cette parole: « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Mais linterlocuteur est ici la Synagogue; et cest plutôt parmi les Gentils que paraît racheté le sceptre de lhéritage du Seigneur; car il ny avait dans les Juifs quune espérance cachée, soit dans ceux
1. Gen. III, 4, 5. 2. Nomb. XXI, 8; Jean, III, 14.3. Exod. IV, 3. 4. Luc, XXIV, 21. 5. Exod. IV, 4 6. Id. XXXIII, 23.
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qui devaient croire dans lavenir, soit dans ceux qui crurent alors, à la descente du Saint-Esprit, quand les disciples parlèrent toutes les langues des peuples 1. Alors en effet quelques milliers de Juifs, qui avaient crucifié le Christ, embrassèrent la foi: il sen trouva même qui eurent assez de foi pour vendre leurs biens et en apporter le prix aux Apôtres 2. Tout cela néanmoins se passait dans lobscurité, tandis que cétait avec plus déclat que le sceptre de lhéritage de Dieu devait être racheté parmi les Gentils ; le Prophète alors nous montre ceux dont il a dit: « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Il ne parle pas ainsi des Gentils, cela est visible chez eux. De qui dès lors ? « De la montagne de Sion ». Et comme on pouvait donner un autre sens à la montagne de Sion, le Prophète ajoute: « Cette montagne sur laquelle vous avez demeuré », quhabitait jadis votre peuple, sur laquelle fut construit le temple, où lon célébra les sacrifices, et ces rites nécessaires alors qui promettaient le Christ. Promesses devenues inutiles en face de laccomplissement. La promesse est nécessaire en effet avant quelle soit accomplie, afin que celui à qui elle est faite noublie point ce qui lui est promis, et ne meure par défaut despérance. Il doit donc espérer, afin de recevoir au temps marqué: dès lors il ne doit point abandonner la promesse. Aussi nabandonnait-on point les figures, afin que les ombres ne disparussent quà laube du jour. « Cette montagne de Sion, sur laquelle vous avez demeuré ». 6. «Jusquà la fin, élevez votre main contre leur orgueil 3 ». De même que vous nous rejetiez jusquà la fin, de même « jusquà la fin élevez votre main contre leur orgueil ». Lorgueil de qui? De ceux qui ont renversé Jérusalem. Quels sont-ils, sinon les rois des Gentils? La main du Seigneur sest levée heureusement contre leur orgueil, jusquà la fin, car ils ont connu le Christ, et « le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 4 ». Heureux souhait du Prophète ! Il semble parler avec colère, on dirait quil maudit. Plût à Dieu que ses malédictions saccomplissent, ou plutôt réjouissons-nous de ce quelles saccomplissent au nom de Jésus- Christ. Tous ceux qui tiennent le sceptre sinclinent devant la croix; ainsi saccomplit cette parole : « Les rois de la terre ladoreront,
1. Act. II, 4. 2. Id. IV, 34. 3. Ps. LXXIII, 3. 4. Rom. X, 4.
toutes les nations lui seront assujetties 1 ». Déjà sur le front des rois, le signe de la croix est plus précieux que les perles de leur diadème. « Jusquà la fin, élevez votre « main contre leur orgueil. Que de ravages a « faits lennemi dans votre sanctuaire ! » Avec quelle fureur lennemi a sévi contre tout ce qui vous était consacré, contre le temple, contre le sacerdoce, contre tout ce qui était alors sacré ! Ces excès sont bien loeuvre dun ennemi. Car les Gentils, qui les commettaient alors, adoraient de faux dieux, de vaines idoles, et servaient les démons; et, toutefois, ils ont causé de grands ravages dans la maison de Dieu. Comment lauraient-ils pu, si Dieu ne leût permis? Or, comment Dieu leût-il permis , si ces rites figuratifs ne fussent devenus inutiles, par lavènement de Celui qui avait fait ces promesses? « Que de ravages a donc faits lennemi dans votre sanctuaire! » 7. «Tous ceux qui vous haïssent ont signalé leur orgueil 2 » Vois ces esclaves des démons, ces idolâtres, comme létaient les Gentils quand ils détruisirent la ville et le temple de Dieu. « Ils signalèrent leur orgueil, au milieu de vos solennités ». Rappelez-vous ce que nous avons dit, que Jérusalem fut renversée pendant cette solennité de Pâques, choisie par les Juifs pour crucifier le Seigneur. Assemblés ils sévirent, assemblés ils périrent. 8. « Quant à leurs signes, ils les ont placés « comme des signes, et nont point compris 3 ». Ils avaient des signes à planter là: leurs étendards, leurs aigles, leurs dragons, étendards de Rome , leurs statues mêmes quils placèrent dabord dans le temple; ou peut-être « leurs signes », seraient les oracles de leurs devins, inspirés par les démons. «Et ils nont point compris ». Quest-ce quils nont pas compris? « Que vous nauriez aucun pouvoir sur moi, sil ne vous avait été donné den haut 4 ». Ils nont pas compris que ce nétait point pour les élever en gloire que Dieu leur permettait daffliger, de prendre et de détruire cette ville, mais que leur impiété servait à Dieu comme une hache dans sa vengeance. Ils sont devenus linstrument de sa colère, et non les ministres de sa bonté. Car Dieu fait quelquefois ce que font souvent les hommes. Souvent dans sa colère, un
1. Ps. LXXI, 11. 2. Id. LXXIII,1. 3. Id. 5. 4. Jean, XIX, 11.
homme ramasse la première baguette quil trouve à terre, le premier sarment venu, et après quil en a châtié son fils, il jette le sarment au feu, et réserve son héritage pour son fils: ainsi Dieu se sert des méchants pour châtier les bons, et donne ici-bas le pouvoir àceux qui seront damnés pour exercer la patience de ceux qui seront sauvés. Eh quoi, mes frères? pourriez-vous croire que ce peuple ait été châtié, jusquà périr entièrement? Combien dentre eux ont ensuite embrassé la foi, et combien doivent lembrasser encore? Autre est la paille, autre le froment ; tous deux, néanmoins, subissent le fléau qui brise lune et purge lautre. Quel avantage pour nous Dieu na-t-il pas tiré de la trahison de Judas ? Quel bonheur na pas procuré aux Gentils infidèles la fureur des Juifs? Le Christ u été mis à mort, afin que cloué à la croix, il pût être regardé par tout homme blessé par le serpent 1. Cest ainsi que, peut-être, les Romains avaient appris de leurs devins, quils devaient marcher contre Jérusalem, et la prendre; et quand ils leurent prise et détruite, ils dirent que cétait louvrage de leurs dieux. « Quant à leurs signes, ils les ont placés s comme des signes, et nont point compris ». Que nont-ils pas compris? « Que cela venait den haut ». Car si le décret nen était venu den haut, jamais la fureur des Gentils neût eu contre le peuple juif de tels succès. Mais le décret est venu den haut, ainsi que la dit le prophète Daniel: « La parole est sortie dès le commencement de ta prière 2 ». Voilà ce que signifie la réponse du Sauveur à Pilate, qui senflait dans son orgueil, qui plaçait son trophée comme un trophée, sans le comprendre, et qui disait au Christ: « Vous ne me répondez point? Vous ne savez donc point que jai le pouvoir de vous faire mourir, et le pouvoir de vous renvoyer absous? » Mais le Sauveur, comme pour crever cette bulle de vanité, lui répond : « Vous nauriez aucun pouvoir sur moi, sil ne vous était venu den haut 3 ». Ainsi, dans notre psaume, les Gentils placent « leurs étendards comme des signes, sans comprendre » Comment nont-ils pas compris? « Que cest un pouvoir den haut». Les Romains, en effet, pouvaient-ils comprendre que cétait den haut que leur venait le pouvoir daccomplir ces choses ? 9. Passons rapidement sur ces versets, puisque
1. Nomb. XXI, 8. 2. Dan. IX, 23. 3. Jean, XIX, 10, 11.
que la ruine de Jérusalem leur donne de lévidence, et quil est pénible de sappesantir sur une plaie, fût-elle dun ennemi. « Ils ont uni leurs efforts pour abattre nos portes, comme on abat les arbres dune forêt; ils ont ruiné lédifice avec la scie et le marteau 1 ». Ils y ont mis lunanimité, la constance : «ils ont employé la scie et le marteau pour ruiner lédifice ». 10. « Ils ont incendié votre sanctuaire,et profané sur la terre le tabernacle de votre nom 2». 11. « Ils ont dit dans leur coeur, et comme réunis en famille ». Quont-ils dit? « Venez, faisons disparaître de la terre du Seigneur toutes les solennités du Seigneur 3 ». Cest Asaph qui donne ici ce titre de Seigneur, car les forcenés nappelaient pas ainsi celui dont ils détruisaient le temple. « Venez, faisons disparaître de la terre les solennités du Seigneur». Que fait Asaph? Où est « lintelligence dAsaph » dans tous ces malheurs? De quoi lui sert ce châtiment même quil a reçu? Son esprit dépravé ne se corrige-t-il point? Tout ce qui était debout jadis est maintenant détruit : plus de sacerdoce, plus dautel des Juifs, plus de victimes et plus de temple. Na-t-il donc plus à connaître rien qui doive succéder à ces ruines? et ce signe des promesses devrait-il disparaître, si lobjet des promesses nétait venu? Voyons donc ici lintelligence dAsaph, voyons sil a fait des progrès à lécole du malheur. Ecoute ce quil dit : « Nous navons point vu nos prodiges, tout prophète a disparu, et Dieu ne nous connaît plus 4 ». Voilà ces Juifs qui accusent Dieu de ne les plus connaître, cest-à-dire de les abandonner jusqualors dans la captivité, de ne point les délivrer, et qui attendent le Christ jusquà présent. Le Christ viendra sans douté, mais il viendra comme juge; il est venu dabord nous appeler, il viendra ensuite nous juger. Il viendra, puisquil est venu; il viendra, cela est évident, mais il viendra den haut. Il était devant toi, ô Israël! Tu tes meurtri, en te heurtant contre lui : pour nêtre point écrasé, regarde-le venir den haut. Voilà ce quont annoncé les Prophètes: « Quiconque heurtera contre cette pierre sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera 5 ». Petite elle meurtrit, grande elle
1. Ps. LXXIII, 6. 2. Id. 7. 3. Id. 8. 4. Id. 9. 5. Isa. VIII, 14, 15; Luc, XX, 18.
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écrasera. Déjà tu ne comprends plus tes signes, il ny a déjà plus de prophète, et tu dis: « Le Seigneur ne nous connaît plus ». Cest toi qui ne le connais plus. « Il ny a plus de prophète, et Dieu ne vous connaît plus ». 12. «Jusques à quand, ô Dieu, notre ennemi nous insultera-t-il 1? » Plains-toi, Asaph, comme un homme abandonné de Dieu, un homme que lon méprise; plains-toi comme un malade, ô toi, qui as mieux aimé tuer le médecin que lui demander ta guérison : il ne te connaît plus. Voilà ce quil a fait pour toi, et dis quil ne te connaît plus. Ceux à qui il na pas été annoncé le verront, et ceux qui nont pas ouï parler de lui le connaîtront 2; et tu viens nous dire : « Il nest plus de prophète, et il ne nous connaît plus? » Où est donc ton intelligence? «Lennemi méprise votre nom jusquà la fin ». Or, cet ennemi méprise votre nom jusquà la fin, pour que dans votre colère vous le réprimiez, et quen le châtiant vous le connaissiez enfin, ou du moins jusquà la fin. Jusquà quelle fin? Jusquà ce quil vous connaisse lui-même, jusquà ce quil pousse des cris vers vous, et quil saisisse enfin la queue du serpent, pour retourner dans votre royaume. 13. « Pourquoi détourner votre main, et retirer de votre sein votre main droite pour toujours 3? » Un autre signe donné à Moïse. Sa houlette fut un signe, comme sa main droite fut aussi un signe. Après le signe de la houlette, Dieu lui en donna un autre dans sa main droite. Donc le signe de la houlette fut suivi dun autre signe : « Mettez », dit le Seigneur, « votre droite dans votre sein. Et Moïse ly mit. Retirez-la; et il la retira, et voilà quelle était blanche», cest-à-dire lépreuse. Car cette blancheur dans la peau nest pas une blancheur de beauté, mais une blancheur de lèpre 4. Or, lhéritage du Seigneur, ou son peuple, fut jeté dehors par le Seigneur et devint lépreux. Mais que dit ensuite le Seigneur? « Remettez votre main dans votre sein, et Moïse ly remit, et sa main avait sa couleur naturelle 5». Quand sera-ce, dit Asaph, que vous agirez ainsi? Jusques à quand éloignerez-vous votre main de votre sein, afin quelle demeure impure au dehors?
1. Ps. LXXIII, 10. 2. Isa. LII, 15; Rom. XV, 21. 3. Ps. LXXIII, 11. 4. Lévit. XIII, 25. 5. Exod. IV, 6, 7.
Remettez-la dans votre sein , afin quelle reprenne sa couleur naturelle, et connaisse son Sauveur. « Pourquoi jusquà la fin détourner votre main droite du milieu de votre sein? » Cest là le cri dun aveugle, dun peuple sans intelligence, mais Dieu fait son oeuvre. Pourquoi le Christ est-il venu? « Israël », dit lApôtre, « est tombé dans laveuglement, jusquà ce que la plénitude des nations fût entrée, et quainsi tout Israël fût sauvé 1». Reconnais donc, ô Asaph, ceux qui tont précédé, afin de les suivre au moins, si tu nas pu les devancer. Car ce nest pas en vain que le Christ est venu, ou quil a été mis à mort; ce nest pas en vain que le grain de froment a été mis en terre, mais bien pour multiplier 2. Le serpent ne fut élevé au désert que pour guérir ceux que le venin avait blessés 3. Pèse donc ce qui a été fait; ne timagine pas que le Christ est venu en vain, de peur quil ne te condamne à son second avènement. 14. Asaph la compris, puisque le titre porte : « Intelligence dAsaph ». Or, que dit-il? « Le Seigneur, notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre 4 ». Dune part nous disons : « Il ny a plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus » ; dautre part : « Notre Dieu est notre roi avant tous les siècles » ; car il est le Verbe qui était au commencement, et par qui les siècles ont été faits : « Il a donc opéré le salut au milieu de la terre. Il est notre Dieu, notre roi avant tous les siècles ». Qua-t-il fait? « Il a opéré le salut au milieu de la terre » : et je me plains encore comme un homme abandonné. Voilà que Dieu produit le salut sur la terre, et moi je demeure terre. Asaph a bien compris : « Intelligence dAsaph ». Quest-ce que fout, cela? Quel est le salut qua opéré le Christ sur la terre, sinon dapprendre aux hommes à désirer les biens éternels, et à ne point demeurer attachés à ceux de la terre? « Le Seigneur, notre roi avant tous les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre». Pendant que nous crions: « Jusques à quand, Seigneur, serons-nous en butte aux outrages de nos ennemis? Jusques à quand cet ennemi insultera-t-il à votre nom ? Jusques à quand éloignerez-vous de votre sein votre main droite 5? » Pendant
1. Rom. XI, 25. 2. Jean, XII, 25. 3. Nomb XXI, 9. 4. Ps. LXXIII, 12. 5. Id. 9.
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que nous parlons ainsi : « Dieu, notre roi avant les siècles, a opéré le salut au milieu de la terre » : et nous demeurons endormis. Déjà les nations séveillent, et nous dormons profondément, et comme si Dieu nous avait abandonnés, nous nous repaissons de rêveries. « Il a opéré le salut au milieu de la « terre». 15. Corrige-toi donc, ô Asaph, afin de comprendre, et dis-nous quel est ce salut que Dieu a opéré au milieu de la terre. Voilà que pour vous est détruit le salut du temps: qua fait le Seigneur? Où sont ses promesses? « Dans votre puissance vous avez affermi la mer ». Le peuple juif était comme une terre sèche, et les Gentils, comme une mer damertume, lenvironnaient de toutes parts « Vous avez affermi la mer dans votre puissance », elle est devenue comme une terre sèche, altérée des eaux du ciel. « Dans votre puissance, vous avez affermi la mer, et brisé sous les flots les têtes des dragons 1». Ces têtes des dragons, sont la puissance orgueilleuse de Satan, qui dominait sur les nations, et que vous avez brisée dans les eaux, Seigneur, en délivrant par le baptême ces malheureux esclaves. 16. Qua fait le Seigneur, après avoir brisé les têtes des dragons ? Ils ont en effet un prince, qui est le premier et le grand dragon. Et quen a fait Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? Ecoutez: « Vous avez u écrasé la tête du dragon 2 ». De quel dragon? Par les dragons nous avons entendu tous les démons qui sont aux ordres du diable. Que faut-il entendre par cet autre dragon dont le psaume parle au singulier, et dont le Seigneur a brisé la tête, sinon le diable lui-même? Quen a fait le Seigneur? « Vous avez écrasé la tête du dragon » ; tête qui est la source du péché, tête qui fut maudite, pour inviter la race dEve à prendre garde à cette tête du serpent 3. Dieu donc avertit lEglise de fuir le commencement du péché. Quel est ce commencement du péché, ou la tête du dragon? « Le commencement de tout péché, cest lorgueil 4 ». Donc, briser la tête du dragon, cétait briser lorgueil du diable. Mais qua fait de cette tête brisée, Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? « Vous lavez donnée en pâture aux peuples de lEthiopie ». Quest-ce à dire? Que devons-nous
1. Ps. LXXIII, 13. 2. Ps. LXXIII, 14. 3. Gen. III, 15. 4. Eccli. X, 15.
entendre par les peuples de IEthiopie, sinon toutes les nations de la terre? Voilà ce que désigne la couleur de lEthiopien, qui est noir. Ceux qui étaient noircis par le péché, sont appelés à la foi, ces peuples dont il est dit: « Vous étiez autrefois ténèbres, aujourdhui vous êtes lumière dans le Seigneur 1 ». Ils I sont donc noirs, quand Dieu les appelle, mais afin quils ne demeurent point noirs. Cest deux quest formée lEglise, à qui lon chante : « Quelle est celle-ci qui sélève dans sa blancheur 2? » Et sa noirceur ne lui fait-elle pas dire : « Je suis noire, mais je suis belle 3» Mais comment lEthiopien sest-il nourri du dragon ? Ne sest-il pas nourri plutôt de Jésus-Christ ?Mais de Jésus-Christ pour se consommer en lui, du dragon pour le consumer en eux. Nous avons en effet à ce sujet la figure dun grand mystère; cette figure, cest le veau dor quadora un peuple infidèle et apostat, qui recherchait les dieux de lEgypte et répudiait celui qui lavait délivré de lesclavage des Egyptiens. Moïse, en effet, dans sa colère à la vue de ce peuple qui se prosternait devant une idole, et enflammé du zèle de Dieu, voulut infliger à ces idolâtres un châtiment temporel, qui leur fit éviter une mort sans fin. Il jeta dans le feu la tête du veau, la brisa, la réduisit en poudre, et la jeta dans leau pour la faire boire au peuple 4. Cétait là un grand symbole. O colère vraiment prophétique dans une âme toujours tranquille, éclairée den haut! Que fait Moïse ? Jetez, lui fut-il dit, cette tête au feu, pour la rendre méconnaissable, faites-en une poudre, afin de la réduire peu à peu ; jetez cette poudre dans leau, et faites-la boire au peuple. Que nous dit cette figure, sinon que les adorateurs du diable ne sont quun même corps avec lui ? De même ceux qui connaissent le Christ, sont incorporés au Christ, selon cette parole de saint Paul: « Vous êtes le corps et les membres du Christ 5 ». Or, il fallait consumer le corps du diable, et le consumer par les Israélites. Cest de ce peuple en effet que viennent les Apôtres, de lui que vient lEglise, Mais il fut dit à Pierre, à propos des Gentils: « Tue, et mangeb6 ». Quest-ce à dire: « Tue et mange ? » Tue ce quils sont, et fais-les ce que tu es. Ici, « tue et mange »; là, brise et bois : ici et là, cest néanmoins la même
1. Ephés. V, 8. 2. Cant. VIII, 5, suiv, les Septante. 3. Id. I, 4. 4. Exod. XXXII, 1-20. 5. I Cor. XII, 27. 6. Act. X, 13.
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figure ; il fallait, en effet, oui certes, il fallait quun corps qui était au diable passât par la foi dans le corps du Christ. Ainsi le diable est consumé peu à peu en perdant ses membres. Voilà ce que figurait encore le serpent de Moïse. Car les mages de Pharaon changeront comme Moïse leurs verges en serpents, mais le serpent de Moïse dévorera toutes ces verges des mages 1. Voilà ce qui arrive maintenant au corps du démon; il est dévoré par les Gentils qui embrassent la foi, il est donné en pâture aux peuples de lEthiopie. Dire qu « il est donné en pâture aux peuples de lEthiopie », peut signifier encore quil est en proie à leurs morsures. A quelles morsures? A leurs accusations, à leurs malédictions, à leurs représailles, dans le sens de cette prohibition de saint Paul : « Si vous vous déchirez, si vous vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous consumer réciproquement 2». Quest-ce à dire, « vous déchirer, vous dévorer mutuellement? » Disputer ensemble, médire lun de lautre, vous injurier réciproquement. Voyez ces morsures qui détruisent le diable aujourdhui. Quel homme aujourdhui, même chez les païens, dans sa colère contre son serviteur, ne le traite pas de satan? Voilà donc le diable donné en pâture. Tel est le langage des chrétiens, le langage même des païens, qui le maudissent fous en ladorant. 17. Voyons la suite, mes frères, et redoublez dattention, je vous en supplie; on est heureux dentendre ce que lon voit saccomplir dans le monde entier. Il nen était pas ainsi quand le Prophète lannonçait : cétait alors la promesse, mais non laccomplissement; quel bonheur aujourdhui pour nous, de voir se vérifier dans le monde entier les prophéties que nous lisons dans ce livre! Voyons ce qua fait Celui que comprend Asaph, et qui «a opéré le salut au milieu de la terre». «Vous avez fait jaillir des fontaines et des torrents 3 »; qui ont fait couler leau de la sagesse, répandu les richesses de la foi, arrosé les Gentils dans lerreur, et par leur influence ramené tous les infidèles aux douceurs de la foi. « Vous avez sait jaillir les fontaines et les «torrents». Peut-être y a-t-il ici un sens différent; peut-être un sens unique, et alors telle serait labondance des fontaines, quelles auraient formé des fleuves. « Cest vous qui
1. Exod. VII, 12. 2. Gal. V, 15. 3. Ps. LXXIII, 15.
avez fait jaillir les fontaines et les torrents». Sil y a une différence, cest que chez les uns « la parole de Dieu est une source deau qui jaillit jusquà la vie éternelle 1», tandis que chez dautres, cette parole quils entendent, que leur langue publie, mais qui ne leur sert pas à mieux vivre, passe comme un torrent. Car les torrents ont cela de particulier quils ne coulent pas toujours: quelquefois, néanmoins, on donne aux fleuves ce nom de torrents ; cest ainsi quil est dit : « Ils seront enivrés par labondance de vos demeures, et vous les abreuverez au torrent de vos joies saintes 2 ».Or, ce torrent ne doit jamais tarir. Mais on appelle torrents proprement dits, ces cours deau, qui se dessèchent en été, et que grossissent les eaux de lhiver. Voici donc un homme véritablement fidèle, qùi doit persévérer jusquà la fin, qui nabandonnera point Dieu au moment de lépreuve, qui souffre tout pour .la vérité, et non pour la fausseté ou lerreur. Or, doù lui vient cette vigueur, sinon de ce que le Verbe est devenu en lui u une source deau vive, qui jaillit « jusquà la vie éternelle? » Tel autre reçoit cette parole; il la prêche et ne se tait point, cest une eau qui coule; lété nous montrera si cest une source ou un torrent. Toutefois quils arrosent lun et lautre la terre, de la part de Celui « qui a opéré le salut sur toute la terre » : que les fontaines jaillissent, que les torrents s écoulent. « Cest vous qui avez fait jaillir les fontaines et les torrents ». 18. « Cest vous qui avez desséché les fleuves dEtham ». Ici Dieu fait jaillir les fontaines et les fleuves; là il dessèche les fleuves, afin que dune part les eaux se précipitent, et que dautre part elles sarrêtent. « Les fleuves dEtham », dit le Prophète. Quest-ce que Etham? Un nom hébreu. Quel en est le sens? Fort, robuste. Quel est ce fort, ce robuste dont Dieu dessèche les fleuves? qui, sinon le dragon lui-même? « Nul en effet nentre dans la maison du fort, pour en enlever les dépouilles, avant davoir lié le fort 3». Cest là le fort qui a présumé de son pouvoir, pour abandonner Dieu; ce fort qui a dit: « Jétablirai mon trône du côté de lAquilon, je serai semblable au Très-Haut 4». Il a présenté à lhomme cette coupe dune force
1. Jean, IV, 14. 2. Ps. XXXV, 9. 3. Matth. XII, 29. 4. Isaïe, XIV, 13.
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trompeuse. Ils voulurent être forts , nos pères qui croyaient devenir des dieux en touchant au fruit défendu. Adam était devenu fort, quand Dieu disait avec ironie : « Voilà quAdam est devenu comme lun de nous 1.» Ils étaient forts ces Juifs qui présumaient de leur propre justice. « Sans connaître la justice de Dieu, et dans leur désir détablir leur propre justice, les voilà comme des forts, rebelles à la justice de Dieu 2». Voyez au contraire cet homme qui a dissipé sa force, et qui demeure faible, pauvre, se tenant debout et éloigné, sans oser lever les yeux au ciel, mais qui frappe sa poitrine, et qui dit: « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur 3». Il est faible, et a conscience dc sa faiblesse, ce nest point un fort: cest une terre sèche; quelle reçoive leau des fontaines et des torrents. Quiconque présume de sa vertu est encore dans sa force. Que leurs fleuves soient desséchés, quelles tarissent toutes ces doctrines des païens, des aruspices, des astrologues, des magiciens, puisque Dieu a desséché les eaux du fort: « Cest vous qui avez tari les fleuves dEtham ». Mort à ces doctrines, et que les âmes soient trempées de lEvangile de vérité! 19. « A vous le jour, et à vous la nuit 4 ». Qui peut lignorer, puisque Dieu en est lauteur, et que tout a été fait par son Verbe 5? Cest donc à Celui qui « a opéré le salut au milieu de la terre », quil est dit: « A vous le jour, et à vous la nuit ». Il nous faut donc comprendre ce qui regarde ici ce salut quil a opéré au milieu de la terre. « A vous le jour ». Qui est ici désigné? Les hommes spirituels. « Et à vous la nuit ». Et ceux-là? Les hommes charnels. «A vous le jour, et à vous la nuit ». Que lhomme spirituel tienne à lhomme spirituel un langage spirituel; car il est dit: « Nous tenons aux parfaits le langage de la sagesse, en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels 6 ». Mais cette sagesse est au-dessus de lhomme charnel: « Car », dit le même Apôtre, « je nai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels 7 » . Donc lhomme spirituel, sadressant à lhomme spirituel, cest « le jour qui parle au jour ». Mais lhomme charnel qui ne tait point sa foi en Jésus crucifié, telle que
1. Gen. III, 22. 2. Rom. X, 3. 3. Luc, XVIII, 13. 4. Ps. LXXIII, 16. 5. Jean, I, 3. 6. I Cor, II, 13, 6. 7. Id. III, 1.
peuvent lavoir les petits, cest « la nuit qui donne la science à la nuit 1. A vous le jour, et à vous la nuit ». A vous appartiennent et les hommes spirituels et les hommes charnels; vous éclairez les uns au flambeau de la sagesse et de linvariable vérité, vous consolez les autres par la manifestation de votre humanité, comme la lune qui vient consoler la nuit. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Veux-tu connaître le jour? Vois, si tu le peux, élève ton esprit autant que tu en es capable. Voyons si tu appartiens au jour, voyons si tu en pourras soutenir la vue. Peux-tu contempler ce que tu viens dentendre dans lEvangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et, le Verbe était Dieu 2? » Car ta pensée ne peut embrasser dautres paroles que celles qui passent à mesure quelles résonnent. Peux-tu comprendre le Verbe, non plus un son, mais Dieu? Ne comprends-tu pas ce qui est dit ici : « Que le Verbe était Dieu? » Te voilà donc méditant de telles paroles. « Tout a été fait par lui », et il a même fait ceux qui parlent de la sorte. Quest-ce donc que ce Verbe? Le comprends-tu, homme charnel? Réponds-moi, comprends-tu? Non, tu ne comprends point, tu appartiens à la nuit: tu as besoin de la lune pour ne point mourir dans les ténèbres. « Car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc pour percer dans lobscurité de la lune ceux qui ont le coeur droit 3». La chair du Christ fut obscurcie, quand on la descendit de la croix, pour la placer dans le tombeau : et ceux qui lavaient mis à mort, lui insultait; il nétait pas ressuscité encore, les disciples au coeur droit étaient percés de flèches, mais seulement dans lobscurcissement de la lune. Donc, afin que le jour parle au jour, et que la nuit enseigne à la nuit, puisque « le jour est à vous, comme la nuit est à vous »; daignez descendre, ô mon Dieu, et en même temps demeurer en votre Père; descendez et venez à ceux pour qui vous descendez. Daignez descendre, ô vous qui étiez en ce monde, vous, par qui le monde a été fait, vous que le monde na point connu. Que la nuit ait sa consolation; quelle ait « le Verbe qui sest fait chair et qui a demeuré parmi nous 4. « A vous le jour, et à vous la nuit. Cest vous qui avez fait le soleil et la lune » : le soleil
1. Ps. XVIII, 3. 2. Jean, I, 1. 3. Ps. X, 3. 4. Jean, I, 14.
ou les hommes spirituels, la lune ou les hommes charnels. Que lhomme encore charnel ne soit point abandonné, mais conduit à la perfection. « Vous avez fait le soleil et la lune » : le soleil, image des parfaits; la lune, image des moins parfaits, et vous ne les avez point abandonnés. Car voici ce qui est écrit: « Le sage demeure comme le soleil, linsensé change comme la lune 1 ». Quoi donc! parce que le soleil demeure, cest-à-dire parce que « le sage demeure toujours égal comme le soleil, et que linsensé change comme la lune », faut-il abandonner pour cela celui qui est encore charnel, encore faible? Que devient alors cette parole de lApôtre : « Je suis redevable aux sages et aux insensés 2? Cest vous qui avez fait le soleil et la lune ». 20. « Cest vous qui avez fixé les bornes de la terre 3 ». Ne les a-t-il pas fixées tout dabord, quand il a fondé la terre? Mais comment a-t-il mis des bornes à la terre. « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre? » Comment, sinon, comme le dit lApôtre « Cest par la grâce que nous sommes sauvés, et cela ne vient pas de nous, cest un don de Dieu, qui ne vient pas de nos oeuvres, afin que nul ne sélève? » Nos oeuvres nétaient donc pas bonnes ? Elles étaient bonnes, mais comment? Par la grâce de Dieu. Suivons saint Paul, et voyons. « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres 4 ». Cest ainsi quil a posé des bornes à la terre, « Celui qui a opéré le salut au milieu de la terre. Cest vous qui avez posé des limites à la terre, qui avez fait lété et le printemps». Lété ou ceux dont lâme est fervente. Cest vous, dis-je, qui avez fait les âmes ferventes; vous encore, qui avez fait le printemps, ou les nouveaux dans la foi. « Lété comme le printemps, vous les avez faits ». Quils ne se glorifient point, comme sils navaient rien reçu: « Cest vous qui les avez faits ». 21. « Souvenez-vous de cette créature qui est la vôtre ». Quelle est cette créature? « Lennemi a insulté au Seigneur 5». Pleure, ô Asaph, qui le comprends, pleure ton aveuglement du passé: « Lennemi a insulté au Seigneur ». On a dit au Christ, dans sa propre nation : « Celui-là est un pécheur,
1. Eccli. XXVII, 12. 2. Rom. I, 14. 3. Ps. LXXIII, 17. 4. Ephés. II, 8-10. 5. Ps. LXXIII, 18.
nous ne savons doù il vient: nous connaissons Moïse, Dieu lui a parlé, celui-là est un samaritain 1. Lennemi a donc insulté au Seigneur: un peuple insensé a irrité votre nom ». Asaph nétait alors quun peuple insensé, mais Asaph navait point encore dintelligence. Quest-il dit au psaume précédent? « Jai été pour vous comme le stupide animal; mais jétais toujours avec vous »; car il na point couru après les dieux et les idoles des nations. Comme homme du moins il a connu le Seigneur, quil avait méconnu comme animal. Car il a dit: « Je suis toujours avec vous, nonobstant ma stupidité». Mais que disons-nous encore dans ce même psaume dAsaph? « Vous avez tenu la main de ma droite, vous mavez conduit dans votre bonté, et mavez élevé en gloire 2 » : « dans votre bonté », et non dans votre justice; cest votre don, non pas mon mérite. Ici encore: « Lennemi a insulté au Seigneur, et un peuple insensé a irrité votre nom ». Tous ont-ils donc péri? Loin de là. Si des rameaux ont été brisés, il en reste néanmoins quelques-uns afin dy greffer lolivier sauvage 3; la racine subsiste encore, et parmi ces rameaux que leur infidélité a fait briser, il en est qui ont été rappelés par la foi. Car lapôtre saint Paul, brisé dabord à cause de son infidélité, fut rejoint sur la tige par sa foi. Donc, « un peuple insolent a irrité votre nom», quand il sest écrié: Quil descende de la croix 4 ». 22. Mais toi, Asaph, que dis-tu, maintenant que tu comprends? «Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse 5 ». Je comprends, dit Asaph; et comme il est dit dans un autre psaume: « Je sais que jai péché, et je nai point déguisé mon crime 6 ». Comment cela? Cest que Pierre osa bien reprocher aux Israélites 7, qui admiraient le prodige des langues, davoir mis à mort le Christ, ce Christ envoyé pour eux, « et quà ces paroles, ils furent touchés au fond de leur coeur, et ils dirent aux Apôtres: Que nous faut-il faire? dites-le-nous. Et les Apôtres : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ; alors vos péchés vous seront remis 8» .Voilà donc la pénitence qui marrache cet aveu: « Ne livrez point aux bêtes une âme qui vous confesse ».
1. Jean, IX, 24, 29; VIII, 48. 2. Ps. LXXII, 23, 24. 3. Rom. XI, 17. 4. Matth. XXVII, 40. 5. Ps. LXXIII, 19. 6. Id. XXXI, 5. 7. Act. II, 37, 38.
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Pourquoi cette confession? « Cest que je me suis retourné dans ma douleur, en proie à laiguillon 1 ». La componction a donc envahi leur coeur; lorgueil et la cruauté font place chez eux à la douleur et au repentir, : « Ne livrez pas aux bêtes une âme qui vous confesse ». A quelles bêtes, sinon à celles dont les têtes furent brisées sur les eaux? Car le diable est appelé bête, lion et dragon. « Ne livrez point », dit le Prophète, « au diable et à ses anges, une âme qui vous confesse ». Que le serpent me dévore, si je goûte les choses de la terre, si je désire les biens dici-bas, si jattends encore les promesses de lAncien Testament, au mépris du Nouveau qui est révélé. Maintenant que jai déposé tout orgueil, que je connais non plus ma justice, mais votre grâce, que les bêles de lorgueil naient plus aucun pouvoir sur moi. « Ne livrez point aux bêtes une âme qui vous confesse; et nabandonnez point jusquà la fin les âmes des pauvres». Nous étions riches, nous étions forts, mais, « vous avez desséché les fleuves dEtham ». Aujourdhui, loin détablir notre justice, nous reconnaissons votre grâce, nous sommes dans lindigence, exaucez vos mendiants. Nous nosons lever les yeux au ciel, mais nous frappons nos poitrines, en disant: « Seigneur, soyez-moi propice, à moi qui suis un pécheur 2. Noubliez pas jusquà la fin lâme de vos pauvres ». 23. « Jetez les yeux sur votre Testament 3». Accomplissez ce que vous avez promis; nous avons le contrat, nous attendons lhéritage. « Jetez les yeux sur votre Testament n, non plus sur lAncien: ce nest point la terre de Chanaan que je vous demande, ni une victoire temporelle sur mes ennemis, ni cette fécondité charnelle qui me donnera beaucoup denfants, ni des richesses de la terre, ni un salut passager: «Jetez les yeux sur ce testament», qui nous promet le royaume des cieux. Je comprends aujourdhui votre Testament; Asaph en a lintelligence, Asaph nest plus lanimal stupide; il comprend ce qui est écrit: « Voici venir des jours,dit le Seigneur, et jétablirai avec la maison dIsraël et la maison de Juda, une alliance nouvelle, non plus selon lalliance que jai formée avec leurs pères 4. Jetez les yeux sur votre Testament, parce que des
1. Ps. XXXI, 4. 2. Luc, XVIII, 13. 3. Ps. LXXII, 20. 4. Jérém. XXXI, 31, 32.
hommes ténébreux ont rempli sur votre terre les maisons de liniquité ». Leurs coeurs étaient alors impies, car nos maisons sont bien nos coeurs: cest là que se plaisent ceux qui ont le coeur pur 1. « Jetez donc les yeux sur votre Testament»; et que les restes soient sauvés 2: car le grand nombre de ceux qui sattachent à la terre, sont dans laveuglement et absorbés par la terre. La poussière est entrée dans leurs yeux; elle les aveugle, et ils sont devenus une poussière vaine quemporte le vent de la surface de la terre 3. « Des hommes de ténèbres ont rempli sur la terre des maisons diniquités». Ils nont vu que la terre et sont devenus aveugles; cest deux que le Psalmiste a dit ailleurs: « Que leurs yeux sobscurcissent, et quils ne voient point, tenez leur dos toujours courbé 4.» Ils sont donc « absorbés dans la terre, ces aveugles qui ont occupé sur la terre les demeures de liniquité » : parce quils avaient des coeurs iniques. Or, nos demeures, avons-nous dit, sont nos coeurs. Cest là que nous habitons volontiers, quand nous les purifions de toute injustice. Cest là quest la conscience mauvaise, qui en repousse lhomme, et où Jésus-Christ ordonne au paralytique de rentrer, après lui avoir remis ses péchés, et enjoint de porter son grabat: « Prenez votre grabat, et allez en votre maison 5»: portez votre chair, et rentrez dans votre conscience guérie. « Voilà que des aveugles ont rempli sur la terre des maisons diniquité ». Ils sont aveugles et absorbés par la terre. Qui, ces aveugles? Ceux dont le coeur est impie. Dieu les traite selon leurs coeurs. 24. « Que lhomme humble ne retourne point avec confusion »; puisque lorgueil a confondu les autres. « Le pauvre et lindigent béniront votre nom 6 ». Vous voyez, mes frères, combien doit être douce la pauvreté; vous voyez que les pauvres et les indigents appartiennent à Dieu; mais les pauvres desprit, parce que le royaume des cieux leur appartient 7. Quels sont les pauvres desprit? Les humbles, ceux qui redoutent la parole de Dieu, qui confessent leurs péchés; mais non ceux qui présument de leurs mérites et de leur justice. Quels sont les pauvres desprit? Ceux qui louent Dieu du bien quils peuvent faire, qui saccusent du mal quils commettent. « Sur
1. Matth. V, 8. 3. Rom. II, 27. 4. Ps. I, 4. 5. Id. LXVIII, 24. 6. Jean, V, 8. 7. Ps. LXXIII, 21. 8. Matth. V, 3.
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qui reposera mon esprit», dit le Prophète, « sinon sur lhomme humble, paisible, et qui redoute ma parole 1? » Voilà donc Asaph qui a lintelligence, voilà quil ne sattache plus à la terre, voilà quil ne compte plus sur les promesses temporelles de lancienne alliance : il se fait votre mendiant, votre pauvre; il a soif de vos fleuves, parce que les siens sont desséchés. Telles sont ses dispositions, que ses espérances ne soient point trompées: il a levé ses mains vers vous pendant la nuit, quil ne soit point frustré dans son attente 2. « Que lhomme humble ne retourne point dans la confusion: votre nom sera béni du pauvre et de lindigent ». Ils bénissent votre nom quand ils confessent leurs péchés, ils bénissent votre nom quand ils soupirent après les promesses de léternité. Ce ne sont point les hommes orgueilleux de leurs richesses, ni ceux qui se prévalent témérairement de leur propre justice, ce ne sont point ceux-là qui béniront votre nom: qui sera-ce donc? « Le pauvre et lindigent ». 25. « Levez-vous, Seigneur, et vengez ma cause 3 ». Je parais abandonné, parce que je nai point recueilli le fruit de vos promesses. Voilà que mes larmes sont ma nourriture le jour et la nuit, pendant que lon me dit sans cesse: Où est donc ton Dieu 4? Et comme je ne puis montrer mon Dieu, on me tourne en dérision comme si je suivais un fantôme. Non-seulement les païens, mais les Juifs, mais les hérétiques, mais souvent mes frères de lEglise catholique, répondent par la raillerie, à la prédication des promesses de Dieu, à lannonce dune résurrection à venir. On en voit même aujourdhui qui ont été régénérés dans leau du salut éternel, qui portent le sacrement du Christ, et qui nous disent: Qui donc est ressuscité jusquà présent? Depuis que jai enseveli mon père, je ne lai point entendu me parler du fond du sépulcre. Dieu a donné sa loi à ses serviteurs, afin de les occuper pour un temps; mais qui est revenu du tombeau? Que puis-je dire à ces hommes? Leur montrerai-je ce quils ne voient pas? Je ne puis; car Dieu ne se rendra point visible pour les satisfaire. Quils le fassent eux-mêmes, sils le peuvent : quils agissent, quils sefforcent; quils changent Dieu, puisquils ne veulent point se changer eux-
1. Isa. LXVI, 2. 2. Ps. LXXVI, 3. 3. Id. LXXII, 22. 4. Id. XLI, 4.
mêmes. Quil voie Dieu, celui qui le petit voir; quil croie en Dieu, celui qui ne saurait le voir: mais voir Dieu, est-ce le voir des yeux? Cest le voir de lintelligence, le voir du coeur. Ce nétait point le soleil et la lune que voulait montrer Celui qui disait: « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 1 ». Que le coeur impur, peu disposé à la foi, croie au moins ce quil ne peut voir. Je ne crois rien, dit-il, que croirai-je donc? On voit aussi ton âme sans doute? insensé ! ton corps est visible, enais ton âme, qui la verra? Mais puisquil ne paraît de toi que ton corps, pourquoi ne pas lensevelir? Celte parole vous étonne: Pourquoi ne pas tensevelir, puisquon ne voit que ton corps? Cest que je suis en vie, réponds-tu, car tu te sens alors. Mais comment saurai-je que tu es en vie, puisque je ne vois point ton âme? Comment le saurai-je? Cest que je parle, me réponds-tu, cest que je marche, cest que jagis. Insensé! les oeuvres de ton corps me feront croire à la vie, et les oeuvres de la création ne te feront pas croire au Créateur! Un autre me dira peut-être : après ma mort je ne serai plus .rien cest un lettré sans doute, qui a pris cette maxime dans Epicure, dans ce je ne sais quel philosophe en délire, plus ami de lorgueil que de la sagesse, à qui les philosophes eux-mêmes ont donné le nom de pourceau : cest lui qui a placé le souverain bonheur dans les voluptés du corps, et il est appelé pourceau, parce quil se vautrait dans le bourbier de la chair. Cest à lui sans doute que notre savant a emprunté cette maxime: Après la mort, je ne serai plus rien. Que les fleuves dEtham soient desséchés; périssent ces doctrines des Gentils; vivent les plantes de Jérusalem: quelles voient ce quelles pourront voir, quelles croient du fond du coeur ce quelles ne pourront voir. Assurément, tout ce que nous voyons aujourdhui tians le monde nexistait pas encore, quand le Seigneur opérait le salut au milieu de la terre, et quand on faisait ces promesses: cétait alors le temps de la prophétie: aujourdhui que nous la voyons saccomplir, linsensé dit encore dans son coeur: « Il ny a point de Dieu 2 ». Malheur aux coeurs pervers; car tout ce qui reste à saccomplir, saccomplira en effet, comme sest accompli ce qui ne létait point encore au moment de la
1. Matth. V, 8. 2. Ps. XIII, 1.
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prophétie. Dieu, après avoir accompli toutes ses promesses, nous aurait-il trompés sur le seul jour du jugement? Le Christ nétait point autrefois sur la terre. Dieu nous la promis, Dieu nous la envoyé: une vierge navait pas enfanté; Dieu nous la promis, il nous la montré : un sang précieux navait pas été versé pour effacer la cédule de notre mort; Dieu nous la promis, il nous la montré : la chair nétait pas encore ressuscitée pour la vie éternelle; Dieu nous la promis, il nous la montré : les Gentils navaient point encore embrassé la foi; Dieu nous la promis, et il nous la montré : les hérétiques armés au nom du Christ, navaient pas encore combattu contre le Christ; Dieu nous la prédit et il la montré: les idoles des nations nétaient point encore tombées à terre; Dieu la prédit et nous la montré: et quand il accomplit tant dévénements quil a promis, il nous aura trompés uniquement an sujet du jugement? Non, il viendra comme tout le reste est venu: avant leur accomplissement, tous ces événements étaient à venir, ils ont été dabord annoncés, puis accomplis ensuite. Ce jour viendra donc, mes frères; que nul ne dise: Il ne viendra point; ou bien: Il viendra, mais ce ne sera de longtemps. Mais il est proche, le jour où tu sortiras de la terre. Quil nous suffise dune première erreur: si une fois déjà nous navons pu demeurer fermes dans le précepte de Dieu, corrigeons-nous du moins par lexemple. Le monde navait pas eu dexemple de la chute du genre humain, quand il fut dit à Adam: « Si tu touches à ce fruit, tu mourras». Mais le serpent tortueux vint dire: « Tu ne mourras point». Lhomme crut au serpent et méprisa Dieu: lhomme crut au serpent, toucha au fruit défendu, et mourut 1.La promesse de Dieu ne fut-elle pas justifiée plutôt que la promesse de lennemi? Elle le fut en effet, nous le savons : de là vient que nous mourons tous. Que cette expérience nous tienne sur nos gardes. Aujourdhui encore le serpent vient murmurer à notre oreille et nous dire: Dieu voudrait-il damner les multitudes et ne sauver que le petit nombre? Que signifie ce langage, sinon : Agissez contre le
1. Gen. II, 17 ; III, 4, 6, 19.
précepte, vous ne mourrez point? Mais aujourdhui comme alors, si nous cédons aux suggestions du diable pour mépriser les préceptes du Seigneur, viendra le jour du jugement qui justifiera les menaces de Dieu, et démentira les promesses de lennemi. «Levez-vous, Seigneur, et jugez votre cause». Vous êtes mort, et mort dans les opprobres. On me dit : Où est ton Dieu 1? « Levez-vous, et jugez ma cause ». Nul autre, en effet, que celui qui est ressuscité dentre les morts, ne doit venir nous juger. Il était prédit quil viendrait, et il est venu, et les Juifs lont méprisé, dans son séjour sur la terre; et maintenant quil est assis dans les cieux, de faux chrétiens le méprisent. « Levez-vous, Seigneur, et jugez ma cause». Que je ne périsse point, puisque jai cru en vous; jai cru ce que je nai point vu, que mon espérance ne soit point trompée, que je recueille vos promesses. « Jugez ma cause. Souvenez-vous des outrages de linsensé, qui durent tout le jour ». Aujourdhui encore on insulte au Christ, et pendant tout le jour, ou jusquà la fin des siècles, il y aura des vases de colère. On nous dit encore aujourdhui: les Chrétiens prêchent des chimères; on nous dit : la résurrection des morts est une rêverie. « Jugez ma cause, et souvenez-vous de vos opprobres». Mais de quels opprobres, sinon de « ceux que linsensé vous prodigue pendant tout le jour? » Est-ce en effet lhomme prudent qui parle ainsi. Prudent vient du latin porro videns, qui voit au loin. Si lhomme prudent voit au loin, cest la foi qui donne cette longue vue ; car nos yeux ne voient que peine devant nos pieds. « Pendant tout le jour ». 26. « Noubliez pas la voix de ceux qui vous invoquent 2», les gémissements de ceux qui soupirent après vos promesses dans la Nouvelle Alliance, et qui marchent selon la foi. « Noubliez pas la voix de ceux qui vous invoquent». Mais ceux-là me disent encore: Où est ton Dieu? « Que lorgueil de vos ennemis sélève toujours devant vous ». Gardez-vous doublier cet orgueil. Aussi Dieu ne loublie-t-il point, mais il le châtie ou le corrige.
1. Ps. XLI, 11. 2. Id. LXXIII, 23.
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