|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXI.JUGEMENT DE DIEU CONTRE LA SYNAGOGUE.
Dans ce psaume Asaph signifie la synagogue, dont les fils étaient les fils adoptifs de Dieu. Cest au milieu deux que Dieu a pris séance. Ce Dieu est le Fils envoyé aux brebis dIsraël, issu des patriarches comme ceux quil vient juger. Il a fait le discernement en permettant quune partie dIsraël tombât dans laveuglement, jusquaprès lentrée des nations Dieu reproche aux uns davoir tué lhéritier de la vigile, aux autres, qui étaient en grand nombre, de ne lavoir point défendu. Toutefois ni les uns, ni les autres nont vu en lui le Christ. De sa mort vient cet ébranlement de la terre à la parole des Apôtres, et qui fit mépriser la terre mur le ciel. Le Christ est venu combattre lorgueil par humilité, et si nous nembrassons cette humilité nous mourrons comme des hommes terrestres, nous tomberons comme les princes du monde. Levez-vous donc, Seigneur, et jugez la terre, afin den prendre possession.
1. « Psaume pour Asaph ». Ce titre que nous trouvons aussi, dans plusieurs autres psaumes, désigne ou bien le nom de celui qui la composé, ou du moins ce que figure ce même nom, en sorte que nous pouvons le rapporter à la synagogue, ainsi quon interprète le nom dAsaph, dautant plus que tel est le sens indiqué par le premier verset. Cest ainsi quil commence : « Dieu a pris séance dans lassemblée des dieux ». Et par ces dieux nallons pas comprendre les dieux des nations, comme les idoles, ou toute autre créature céleste ou terrestre qui ne serait point lhomme; puisque peu après ce verset, le même psaume nous désigne plus clairement ceux que nous devons entendre par ces dieux dans lassemblée desquels le Seigneur a pris séance : « Je lai dit », sécrie le Prophète, « vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut, et néanmoins vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 2 ». Cest donc dans la synagogue de ces fils du Très-Haut, dont le Très-Haut lui-même disait par la bouche du prophète Isaïe : « Jai nourri des enfants, je les ai élevés, puis ils mont
1. Ps. LXXXI, 1. 2. Id. 6, 7.
méprisé 1 », cest là que Dieu sest assis. Par « la synagogue » nous entendons le peuple juif, car cest à eux quappartient ce nom de synagogue, bien quon le donne parfois à lEglise. Toutefois les Apôtres nont jamais donné le nom de synagogue, mais bien celui dEglise à notre assemblée; soit quils aient voulu distinguer lune de lautre, soit quil y ait réellement cette différence entre le rassemblement quon nomme synagogue et la convocation qui prend le nom dEglise, que lon rassemble les animaux, doù leur est venu ce nom de troupeau qui leur est propre, tandis que lon convoque principalement des êtres doués de raison tels que les hommes. Cest pourquoi il est dit dAsaph lui-même, dans un autre psaume : « Je suis devenu devant vous comme lanimal stupide, et je suis toujours avec vous 2 ». Et en effet, quoique soumis en apparence au seul Dieu véritable, il donnait néanmoins la préférence aux biens charnels, terrestres et temporels quil lui demandait comme les principales richesses. Nous voyons aussi que lEcriture leur donne souvent le nom de fils, non plus dans le sens de cette grâce qui appartient au
1. Isa. 1, 2. 2. Ps. LXXII, 23.
268
Nouveau Testament, mais bien dans la faveur de lAncien. Cétait aussi une faveur de Dieu qui lui faisait choisir Abraham, pour le rendre père dune si nombreuse postérité; aimer Jacob, et haïr Esaü, avant quils fussent nés; délivrer son peuple de lEgypte, pour lintroduire dans cette terre promise doù il avait chassé les Gentils. Sil ny avait point là une grâce, quand il sagit de nous qui avons reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu 1, non pour acquérir un royaume temporel, mais le royaume des cieux, le même Evangile ne dirait pas un peu après, que nous avons reçu grâce pour grâce 2, cest-à-dire les promesses du Nouveau Testament, au lieu des promesses de lAncien. Nous voyons évidemment, je pense, dans quelle synagogue a pris séance le Dieu des dieux. 2. Cherchons maintenant si cest le Père, ou le Fils, ou le Saint-Esprit, ou la sainte Trinité elle-même, qui sest assis « dans la synagogue des dieux, qui a pris place pour les juger ». Chaque personne est Dieu en effet, et la Trinité nest quun seul Dieu. Cest un point quil nest pas facile déclaircir; car, on ne peut le nier, ce nest point dune manière corporelle que Dieu est présent dans les créatures, mais dune manière spirituelle qui convient à sa substance, manière tout à fait admirable, et que comprennent à peine quelques intelligences. Cest en ce sens que le même Prophète a dit ailleurs : « Si je monte aux cieux, vous y êtes; si je descends aux enfers, vous voilà 3». Dieu donc se trouve dans lassemblée des hommes dune manière invisible, comme il remplit le ciel et la terre, ainsi quil le dit lui-même par son Prophète 4. Cela est non-seulement évident, mais lesprit humain, nonobstant sa faiblesse, comprend que Dieu se trouve dans tout ce quil a créé, pourvu que lhomme se tienne ferme, et quil lécoule, et quil tressaille de joie à sa voix intérieure 5. Ce psaume toutefois, autant que jen puis juger, semble préciser un fait qui, depuis un certain temps, a motivé la présence de Dieu dans la synagogue des dieux. Car cette présence dans le ciel et sur la terre, nest point particulière à la synagogue, et ne change point avec le temps. Donc ce « Dieu qui sest assis dans la synagogue des dieux », est bien celui qui a dit
1. Malach. I, 2, 3. 2. Jean, I, 12, 16. 2. Ps. CXXXVIII, 8. 3. Jérém. XXIII, 24. 4. Jean, III. 29.
de lui-même « Je ne suis envoyé quaux brebis de la maison dIsraël qui sont perdues 1». Le Prophète nous en dit la raison : cest « pour juger les dieux, au milieu deux ». Je le reconnais donc; Dieu sest assis dans la synagogue des dieux, « issus des patriarches, et dont le Christ est né selon la chair ». Car il na pris parmi eux une naissance charnelle, quafin que Dieu se trouvât dans la synagogue des dieux. Mais quel est ce Dieu? Car il nest pas semblable aux dieux parmi lesquels il sassied : aussi, comme la dit saint Paul, ce Dieu est-il « par-dessus toutes choses béni dans tous les siècles 2». Je reconnais, dis-je, que Dieu sest assis, je reconnais au milieu, ce Dieu qui est lEpoux, et dont lami a dit : « Il en est un au milieu de vous, que vous ne connaissez point 3». Car « ils ne lont point connu», dit peu après notre psaume : « Ils ne lont point su, ils nont point lintelligence , ils marchent dans les ténèbres ». A son tour lApôtre nous dit qu « une partie dIsraël est tombée dans laveuglement, jusquà ce que la plénitude des nations entrât 4 ». Ils le voyaient donc présent au milieu deux, mais ils ne voyaient pas en lui un Dieu tel quil voulait paraître, et qui disait : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père 5». Le discernement quil fait des dieux na point pour base leurs mérites, mais sa grâce; car de la même masse dargile il tire des vases destinés à la gloire, dautres destinés à lopprobre 6. Quel est en effet celui qui te discerne? Quas-tu que tu naies pas reçu? Si donc tu as reçu, pourquoi te glorifier, comme si tu navais point reçu 7? 3. Ecoute encore la voix de ce Dieu qui fait le discernement, écoute la voix du Seigneur, qui divise la flamme du feu 8 : « Jusques à quand jugerez-vous injustement, et accueillerez-vous le visage des méchants 9? » Cest ainsi que le Prophète a dit ailleurs : « Jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis 10? » Jusquà lavènement de Celui qui est la lumière du coeur. Je vous ai donné une loi, vous y avez opposé une obstination inflexible; je vous ai envoyé des Prophètes, et vous les avez accablés doutrages, ou mis à mort, ou applaudi à ceux qui le faisaient.
1. Matth. XV, 24. 2. Rom. IX, 5. 3. Jean, I, 26. 4. Rom, XI, 25. 5. Jean, XIV, 9.6. Rom, IX, 21. 7. I Cor. IV, 7. 8. Ps. XXVIII, 7. 9. Id. LXXXI, 2. 10. Id. IV, 3.
269
Mais si des hommes qui ont fait mourir les envoyés de Dieu ne méritent pas quon leur adresse la parole, vous qui avez gardé le silence pendant ces cruautés, cest-à-dire, vous qui avez voulu imiter, comme sils eussent été innocents, ceux qui se taisaient alors : « Jusques à quand jugerez-vous injustement, et prendrez-vous le visage des pécheurs? »Voulez-vous aujourdhui encore tuer lhéritier qui vient? Nest ce point lui qui a voulu pour vous être sans père comme un orphelin? Nest-ce point pour vous quil a enduré la faim et la soif comme un pauvre? Nest-ce point lui qui vous a dit: « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur 1? » Nest-ce point lui qui, étant riche, sest fait pauvre pour lamour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté 2? « Rendez donc justice à lorphelin et à lindigent, prenez en main la cause de lhomme faible et du pauvre 3». Proclamez la justice, non point de ceux qui sont riches et orgueilleux pour eux-mêmes, mais de celui qui a daigné se faire humble et pauvre pour lamour de vous. 4. Mais, hélas ! ils lui porteront envie, et loin de lépargner, ils diront : « Voici lhéritier, tuons-le, et lhéritage sera pour nous 4 ». « Arrachez donc le pauvre à loppression, et délivrez lindigent de la main du pécheur 5 ». Ainsi dit le Prophète, afin que dans ce peuple où est né le Christ et où il est mort, on sache quils nont pas été innocents dun si grand crime, ceux dont le nombre allait, selon le langage de lEvangile, jusquà inspirer aux Juifs la crainte de noser mettre la main sur le Christ 6, et qui en vinrent ensuite à une telle connivence, quils labandonnèrent à la criminelle jalousie des princes des Juifs, quand ils pouvaient, sils leussent voulu, se faire redouter et empêcher que lon mit la main sur lui. Cest deux quil est dit ailleurs : « Ces chiens muets nont su aboyer 7». Et cette autre parole: « Ainsi périt le juste, et nul ny fait attention 8». Il a péri, en effet, autant quil était au pouvoir de ceux qui voulaient sa perte comment eût-il pu périr en mourant, celui qui recherchait ainsi ce qui avait péri ? Or, si le Prophète adresse un reproche si sévère et
1. Matth. XI, 29. 2. II Cor. VIII, 9. 3. Ps. LXXXI, 3. 4. Matth. XXI,31. 5. Ps. LXXI, 4. 6. Luc, XXII, 2. 7. Isa. LVI, 10. 8. Id. LVII, 1.
si juste à ceux dont le silence a permis de commettre un tel crime : quels reproches, ou plutôt quels châtiments ne mériteront point ceux qui lont accompli par malice et de propos délibéré? 5. Toutefois le verset suivant leur convient admirablement à tous : « Ils nont point su, ils nont point compris, ils marchent dans les ténèbres 1 ». Car si les uns leussent connu, ils nauraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire 2, et si les autres leussent connu, ils nauraient jamais consenti à demander la délivrance de Barabbas, et la mort du Christ. Mais comme nous lavons dit, «une partie dIsraël est tombée dans laveuglement, jusquà ce que la plénitude des nations entrât 3». Cest par laveugleraient de ce peuple, quaprès la mort du Christ, « tous les fondements de la terre ont été ébranlés ». Ils ont donc été ébranlés et le seront encore, jusquà ce que soit entrée cette plénitude des nations, marquée dans la prédestination de Dieu. Car à la mort du Christ, la terre trembla, les pierres se fendirent 4. Et si nous entendons par les fondements de la terre ceux qui jouissent ici-bas de grands biens, cest avec raison que le Prophète prédit ici leur trouble, car ils ne verront quavec étonnement les hommes aimer et embrasser lhumilité, la pauvreté, la mort, qui leur paraissent une affreuse misère dans le Christ; ou bien eux-mêmes, à leur tour, mépriseront les vaines félicités dici-bas, pour aimer et embrasser ce genre de vie, Ainsi sébranlent les fondements de la terre, quand les uns admirent ces changements, et que les autres les éprouvent en eux-mêmes. Cest ainsi que nous appelons avec quelque raison, fondements du ciel, les saints et les fidèles, qui entrent dans lédifice du royaume des cieux, et que lEcriture en nomme les pierres vivantes 5, et dont la base primitive est le Christ né dune vierge, et dont lApôtre a dit: « Nul ne peut poser un autre fondement s que celui qui a été posé, et ce fondement cest Jésus-Christ 6 ». Viennent ensuite les Apôtres, les Prophètes, dont lautorité affermit le céleste édifice, afin quen marchant à leur suite, nous entrions dans cette même construction. Aussi lApôtre dit-il aux Ephésiens: « Déjà vous nêtes plus des étrangers et des
1. Ps. LXXXI, 5. 2. I Cor, II, 8. 3. Rom. XI, 25. 4. Matth. XXVII, 51. 6. I Pierre, II, 5. 7. I Cor. III, 11.
270
hôtes, mais vous êtes de la cité des saints, et de la maison de Dieu ; établis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, et dont Jésus-Christ lui-même est la principale pierre de langle. Cest sur lui que tout lédifice construit sélève en un temple consacré au Seigneur 1». Cest en ce sens que nous pouvons appeler fondements de la terre ceux dont les hommes envient sur la terre la puissance et le bonheur, et dont lautorité les porte à désirer ces mêmes biens terrestres, et en les acquérant ils paraissent élever terre sur terre, comme lédifice supérieur est ciel sur ciel. Aussi est-il dit au pécheur : « Tu es terre, et tu retourneras en terre 2 »; et encore : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, quand leur voix se fait entendre dans tout le monde, et que leurs paroles gagnent les confins de la terre 3 ». 6. Or, le règne de la félicité ici-bas nest quorgueil ; cet orgueil quest venu combattre lhumilité du Christ, en faisant ces reproches à ceux quil veut rendre par lhumilité enfants du Très-Haut: « Jai dit: Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut. Et toutefois vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes 4». Soit quen disant : « Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut » ; il sadresse à ceux quil a prédestinés à la vie éternelle; et quil dise aux autres : « Pour vous, vous mourrez comme u des hommes, vous tomberez comme un des princes », faisant ainsi un discernement entre les dieux eux-mêmes; soit quil leur adresse à tous un même reproche, afin de discerner ensuite ceux qui se corrigeront par lobéissance ; « Pour moi », dirait-il, « je lai dit : Vous êtes des Dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut » : cest-à-dire, je vous ai promis à tous le bonheur céleste : « Mais vous , à cause de la faiblesse de la chair »,
1. Ephés. II, 19-22, 2. Gen. III, 19. 3. Ps. XVIII, 2, 5 4. Id. LXXXI, 6, 7.
vous mourrez comme des hommes », et lorgueil de votre coeur « vous fera non plus vous élever, mais bien tomber comme un des princes », cest-à-dire comme le démon. Comme sil disait: Telle est la brièveté de votre vie, que vous mourez avec la même rapidité que les autres hommes, et pourtant cela ne vous corrige point mais comme le diable, dont les jours sont nombreux en ce siècle, puisquil nest point revêtu dune chair mortelle, vous vous élevez de manière à tomber. Cest par lorgueil du démon que les princes des Juifs se sont aveuglés jusquà être perfidement jaloux de la gloire du Christ; tel est le vice qui a porté et qui porte encore à mépriser un Christ qui sabaisse jusquà la mort de la croix, des hommes qui aiment léclat du monde. 7. Cest donc pour guérir cette plaie que le Prophète a dit en son propre nom : « Levez-vous, ô Dieu, et jugez la terre 1». La terre sest enflée dorgueil quand on vous a crucifié : levez-vous dentre les morts, et jugez la terre. « Car vous exterminerez dans toutes les nations »; et que devez-vous exterminer, sinon la terre? cest-à-dire ceux qui ont des goûts terrestres, soit que vous détruisiez, dans les fidèles, tout orgueil et toute affection pour la terre, soit que vous sépariez deux les fidèles, comme une terre quil faut oublier et fouler aux pieds. Cest ainsi que Dieu juge la terre, et la détruit parmi les peuples, au moyen de ses membres dont la conversation est dans le ciel. Noublions pas de le remarquer, dans plusieurs exemplaires : « Parce que toutes les nations seront votre héritage », ce qui peut très-bien sadapter avec notre sens, et rien nempêche daccepter lun et lautre. Car on entre dans son héritage par la charité que Dieu cultive, dans sa miséricorde, par sa grâce et ses préceptes, afin de détruire toute affection mondaine.
1. Ps. LXXXI, 8.
|