PSAUME LXXXIV
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXIV.

SERMON AU PEUPLE.

LA VRAIE PIÉTÉ.

 

Dieu nous guérit par sa miséricorde, il nous ouvre les yeux afin de se montrer à nous, lui qui est la lumière. Le psaume est pour les fils de Coré ou du Calvaire, il prédit l’avenir avec des termes du passé, parce que le Prophète voit sa prophétie accomplie en Dieu. Bénir la terre, en détourner l’esclavage, c’est nous délivrer du péché, comme il délivrait jadis Israël du joug que ses ennemis appesantissaient sur lui en punition de ses infidélités. Or, nous sommes par la foi enfants d’Israël en d’Abraham. Dieu donc nous délivre du joug de Satan par la rémission du péché. Sa colère ne sera donc pas éternelle, puisqu’il nous renouvellera cl nous donnera l’immortalité. Ainsi mettons notre joie en Dieu, et alors seulement elle sera durable, et par un effet de sa divine miséricorde nous comprendrons que tout bien vient de Dieu, et nul ne troublera nos délices. Quand nous jouiront de l’adoption, alors sous goûterons ces délices que nous n’avons aujourd’hui qu’en espérance; nous verrons Dieu face à face et dans cette beauté dont rien ne peut ici-bas nous donner une image. Nous aurons alors la paix qui est impossible en cette vie, puisqu’il nous faut lutter contre nos passions, et contre nos besoins. Et pois ne qui nous récrée ne peut se prolonger sans nous nuir, et même sans nous tuer, tandis que Dieu nous donnera une paix parfaite. Aimons-le donc alu de nous rapprocher de lui. La vérité chez les Juifs, la miséricorde chez les Gentils se sont rencontrées dans le peuple chrétien, de même que la justice et la pair. Si nous voulons la seconde, pratiquons la première, et la pain viendra l’embrasser. La vérité qui naît de la terre, c’est le Christ né d’une femme, afin de nous racheter par sa mort; ou bien encore la confession des péchés, et alors la justice a regardé cette vérité dans le publicain. Ainsi le Seigneur nous fera goûter les douceurs de la piété, et dans les actes de justice une douceur bien supérieure à celle du péché. Faisons marcher devant nous la justice ou l’aveu, et Dieu viendra en nous.

 

    1. Nous venons de prier le Seigneur notre Dieu, de nous montrer sa miséricorde, et de nous donner son Sauveur. Ces paroles étaient une prophétie quand le psaume fut composé et chanté; mais aujourd’hui déjà le Seigneur a manifesté sa miséricorde aux Gentils, et leur a donné le salut. Il l’a manifestée sans doute, mais un grand nombré ne veulent pas être guéris, ni voir ce qu’il leur a montré. Or, comme c’est lui qui guérit les yeux du coeur, afin que nous puissions le voir, le Prophète, après avoir dit: « Montrez-nous votre miséricorde », ajoute : « Et donnez-nous votre Sauveur », comme s’il prévoyait que beaucoup d’aveugles diraient: Comment pourrons-nous voir ce qui commence à poindre? Nous donner le salut, c’est en effet nous guérir, afin que nous puissions voir ce qu’il nous a montré: Dieu n’agit point comme le médecin qui guérit pour montrer cette lumière à ceux qu’il a guéris : autre est la lumière qu’il fera voir, et autre le médecin qui guérit pour montrer la lumière, sans être cette lumière lui-même. Il n’en est pas ainsi de notre Dieu ; il est le médecin qui nous guérit, afin de nous montrer la lumière, et cette lumière que nous pourrons voir, c’est lui-même. Parcourons maintenant le psaume, autant que nous le pouvons, autant que Dieu nous le permettra dans sa grâce, et aussi brièvement que l’exige le peu de temps qui nous est donné.

2. Il a pour titre : « Pour la fin, aux enfants de Coré, Psaume 1 ». N’entendons par cette fin que celle dont l’Apôtre a dit: « Le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront 2 ». Ainsi donner au psaume ce titre: « Pour la fin », c’était de la part du Prophète élever nos coeurs à Jésus-Christ. Nous ne pouvons errer en fixant les yeux sur lui, il est la vérité où nous nous hâtons d’arriver, et la voie par laquelle nous y courons 3. Qu’est-ce à dire: « Aux fils de Coré? » Ce nom de Coré, en hébreu, se traduit par chauve; donc « aux fils de Coré », signifie aux fils du chauve. Quel est ce chauve? non plus pour le tourner en dérision, mais pour pleurer à ses pieds. D’autres se sont moqués de lui, et sont devenus la proie du démon:ainsi qu’il est dit au Livre des Rois à propos d’Elisée, que des enfants insultèrent en criant derrière lui: « Chauve, chauve », et voilà que deux ours sortirent des forêts, dévorèrent ces insolents 4, et plongèrent leurs pères dans le deuil. Cet événement était une prophétie qui marquait

 

1. Ps. LXXXIV, 1. — 2. Rom. X, 4. — 3. Jean, XIV, 6. — 4. IV Rois, II, 23, 24.

 

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par avance Jésus-Christ Notre-Seigneur. il fut tourné en dérision, comme s’il eût été chauve, par ces mêmes Juifs qui le crucifièrent au lieu du Calvaire 1. Mais nous, si nous croyons en lui, nous sommes ses enfants. C’est donc pour nous que ce psaume est chanté, puisqu’il a pour titre : « Aux fils de Coré » : nous sommes les fils de l’Epoux 2. Pour lui, il est bien l’Epoux, puisqu’il donne pour arrhes à son épouse, son sang et son Esprit-Saint, dont il nous a enrichis dans cette terre étrangère, nous réservant des richesses invisibles. S’il nous donne un tel gage, que ne nous réserve-t-il point?

3. Aussi le Prophète use-t-il de termes qui semblent appartenir au passé, bien qu’il chante l’avenir; il parle de l’avenir comme au passé, car en Dieu ce qui doit arriver est déjà fait. Là donc le Prophète voyait notre avenir, il le voyait comme un fait accompli dans les desseins de sa providence et dans son infaillible prédestination. C’est ainsi que dans ce psaume où chacun reconnaît le Christ, et qu’on lit comme si l’on récitait l’Evangile, le Prophète a dit : « Ils ont percé mes mains et mes pieds. Ils ont compté tous mes os : ils m’ont regardé, ils m’ont considéré avec curiosité, ils se sont partagé mes vêtements, et ont tiré ma robe au sort 3». Qui pourrait lire ce psaume sans reconnaître l’Evangile? Et pourtant, quand le Prophète parlait dans le psaume,

il ne disait point: Ils perceront mes mains et mes pieds; mais bien: « ils ont percé mes mains et mes pieds »; ni: Ils compteront mes os; mais: «  Ils ont compté mes os ». Ni : Ils se partageront mes vêtements; mais: « Ils se sont partagé mes vêtements ». Le Prophète lisait dans l’avenir, et parlait au passé. Ainsi encore il dit ici: « Seigneur, vous avez béni votre terre », comme si Dieu l’avait déjà fait alors.

4. « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob 4 ». Jacob était jadis le peuple de Dieu, le peuple d’Israël, né de la race d’Abraham, et qui devait un jour hériter des promesses de Dieu. Tel est donc l’e peuple avec qui Dieu conclut l’Ancien Testament; mais cet ancien Testament était la figure du Nouveau. L’un était la figure, l’autre, était la réalité. Dieu, pour tracer une figure de l’avenir, donne à ce peuple une terre qu’il lui avait promise, dans un pays qu’habita la nation juive, et dans lequel

 

1. Matth. XXVII, 31. — 2. Id. IX, 15. — 3. Ps. XXI, 17-19. — 4. Id. LXXXIV, 2.

 

était cette Jérusalem que nous connaissons tous. Ce peuple donc, mis en possession de cette terre, avait beaucoup à souffrir de la part des peuples qui l’environnaient; et quand il péchait contre son Dieu, il tombait dans l’esclavage; Dieu voulant, non point le détruire, mais le redresser, comme un père qui châtie, mais sans maudire. Après la captivité venait la délivrance; souvent esclave, souvent délivrée, cette nation est enfin tombée dans l’esclavage, à cause du crime énorme qu’elle a commis én crucifiant son Seigneur. Que signifie donc, à l’égard du peuple juif, cette parole du Prophète: « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob ? » Nous faut-il entendre ici une autre captivité dont nous voulons tous être délivrés? Car nous appartenons tous à Jacob, si nous appartenons à la race d’Abraham. L’Apôtre a dit en effet: «C’est Isaac qui sera nominé votre fils, c’est-à-dire que les enfants selon la chair ne sont point pour cela enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés enfants d’Abraham 2». Si donc les enfants de la promesse sont réputés enfants d’Abraham, les Juifs en sont déchus par leurs péchés contre Dieu; et nous, en méritant bien de Dieu, nous sommes devenus fils d’Abraham, non plus selon la chair, mais selon la foi. En imitant la foi d’Abraham, nous sommes devenus ses enfants, et eux, en dégénérant de sa foi, ont perdu l’héritage. Et pour que vous sachiez qu’ils ont perdu la gloire d’être nés d’Abraham, le Sauveur Jésus-Christ les entendant se vanter avec orgueil de la noblesse de leur sang, plutôt que d’une sainte vie, alors qu’ils lui disaient: « Nous avons Abraham pour père »; le Seigneur leur répondit comme à des enfants dégénérés: « Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les oeuvres d’Abraham 2» Si donc ils n’étaient plus les fils d’Abraham, par cela même qu’ils n’en faisaient pas les oeuvres; nous qui faisons les oeuvres d’Abraham, nous en serons les enfants. Or, quelles sont ces oeuvres d’Abraham que nous faisons? Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 3. Nous sommes donc tous fils de Jacob, si nous imitons la foi d’Abraham, qui crut à Dieu, et qui trouva la justice dans cette foi. Or, quel est cet esclavage dont nous voulons être délivrés? Car je ne connais personne d’entre nous, captif chez les barbares,

 

1. Rom. IX, 7, 8.— 2. Jean, VIII, 39. — 3. Gen. XV, 6; Gal, III, 6.

 

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et nul peuple armé n’est venu nous envahir,      et nous réduire à la captivité. Et néanmoins je vais vous montrer que nous gémissons dans un certain esclavage, dont nous souhaitons la délivrance. Que l’apôtre saint Paul nous le dise plutôt lui-même; qu’il soit notre miroir, qu’il nous parle, et nous, considérons ses paroles. Il n’est personne qui ne se reconnaisse ici. Voici donc ce que dit le saint Apôtre: « En moi l’homme intérieur trouve des charmes dans la loi de Dieu ». Cette loi me cause une joie dans mon coeur. « Mais je vois une autre loi dans mes membres, et qui répugne à la loi de l’esprit ». Tu vois la loi, tu comprends la lutte, mais tu n’as pas encore entendu l’esclavage; écoute alors ce qui suit: «Cette loi répugne à la loi de l’esprit, et me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres 1». Telle est donc la captivité, et qui de nous, mes frères, n’en voudrait être délivré? D’où viendra la délivrance? Car c’est pour l’avenir que le psaume a chanté: « Vous avez détourné l’esclavage de Jacob ». A qui parle-t-il ainsi? Au Christ qui est notre fin, à Coré dont nous sommes les enfants: c’est lui qui a détourné de Jacob la captivité. Ecoute encore saint Paul qui le proclame. Quand il dit qu’il est traîné en captivité par la loi des membres, qui répugne à la loi de l’esprit, il s’écrie dans cette captivité: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » Qui me délivrera? dit-il; et il répond: « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2». C’est d’elle que le Prophète a dit à ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur: « Vous avez détourné la captivité de Jacob ». Comprenez bien la captivité de Jacob, et comprenez que Dieu nous en délivre, non plus en nous délivrant des barbares qui n’ont pas fait main basse sur nous, mais en nous délivrant de nos péchés, de nos oeuvres mauvaises, qui nous assujettissaient à l’empire de Satan. Car être délivré de ses péchés, c’est échapper à l’empire du prince des péchés.

5. Comment donc le Seigneur détourne-t-il de Jacob cette captivité? Voyez qu’il s’agit ici d’une délivrance spirituelle, voyez que tout se passe à l’intérieur. « Vous avez remis », dit le Prophète, « l’iniquité de votre peuple, vous avez couvert ses péchés 3 ». C’est donc par la rémission des fautes que Dieu

 

1. Rom, VII, 22-25. — 2. Id.— 3. Ps, LXXXIV, 3.

 

détourne la captivité. Lé péché te retenait captif; la liberté vient avec la rémission. Confesse donc ta captivité afin de mériter ta délivrance. Comment invoquer un libérateur, quant on ne connaît point son ennemi? « Vous avez couvert tous ses péchés 1». Qu’est-ce à dire, « vous avez couvert? » De manière à ne plus les voir. Qu’est-ce à dire, ne plus les voir? N’en point tirer vengeance. Vous n’avez point voulu voir nos péchés,et ne voulant point les voir, vous ne  les avez point vus. « Vous avez couvert tous nos péchés; vous avez apaisé votre colère, vous avez fait cesser la fureur de votre indignation 2».

6. Et comme le Prophète parle de l’avenir, bien qu’il se serve du passé, il ajoute: « O Dieu de notre salut, ramenez-nous ». Comment demander l’accomplissement de ce qu’il raconte comme un fait accompli, sinon parce qu’il veut nous montrer qu’il s’est servi du passé pour annoncer l’avenir? Mais ce qu’il nous donnait comme accompli ne l’est pas encore; nous le voyons, puisqu’il en demande l’accomplissement. «  O Dieu de notre salut, ramenez-nous, détournez de nous votre colère 3 ». Tout à l’heure, ô Prophète, ne disais-tu point: « Vous avez détourné la captivité loin de Jacob, vous avez couvert toutes ses fautes, apaisé votre colère, et ex fait cesser la fureur de votre indignation? » Comment dire maintenant: « Détournez de nous votre colère? » Le Prophète nous répond : J’ai parlé comme d’un fait accompli, parce que je le vois dans l’avenir; mais comme il n’est point accompli, j’appelle de mes voeux la réalisation de ce que j’ai vu. « Détournez de nous votre colère ».

7. « Votre colère contre nous ne sera point éternelle ». C’est par la colère de Dieu que nous devons mourir, par la colère de Dieu, que sur cette terre, dans l’indigence et dans la pauvreté, nous mangeons notre pain à la sueur de notre front. C’est la sentence qu’entendit Adam après le péché 4. Or, nous étions tous ce même Adam, puisque nous mourons tous en lui; la sentence qui le frappa, a frappé toute sa race. Nous n’étions pas tels que nous sommes, nous étions en Adam. Tout ce qui lui est arrivé, nous est arrivé aussi, et nous devons mourir parce que nous étions, en lui. Les péchés que commettent

 

1. Ps. LXXXIV, 4. — 2. Id. 5. — 3. Id. 6. — 4. Gen. III, 19.

 

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les parents, après la naissance des enfants, ne regardent point les enfants; car ces enfants, une fois nés, sont alors à eux-mêmes, comme les parents sont à eux-mêmes. Mais que ces enfants une fois nés suivent les égarements des parents, ils doivent partager leur sort : si, au contraire, loin d’imiter leurs parents coupables, ils suivent une voie meilleure, ils se font des mérites propres, qui ne sont plus les mérites des parents. Il est tellement vrai que les péchés de tes pères ne te nuiront point, si tu te convertis, qu’ils ne nuiraient même pas à ces mêmes parents, s’ils se convertissaient. Mais c’est d’Adam que nous tirons cette racine qui nous assujettit à la mort. Que nous vient-il de lui? Cette fragilité de la chair, ce foyer de douleur, cette maison de pauvreté, cette chaîne de la mort, ces pièges de la tentation. Nous portons tous ces maux dans notre chair; c’est l’effet de la colère de Dieu, parce que telle est sa vengeance. Mais comme nous devions être régénérés, reprendre par la foi une vie nouvelle, en sorte que la résurrection fît disparaître en nous toute nature mortelle, et que tout l’homme fût renouvelé : car de même que tous meurent en Adam, tous vivront dans le Christ 1; c’est ce qu’a vu le Prophète, qui s’écrie: « Que votre colère ne soit pas éternelle, et qu’elle ne s’étende pas de génération en génération ». La race première est devenue mortelle par un effet de votre colère, que votre miséricorde donne à l’autre race l’immortalité.

8. Où est donc, ô homme, où est ta part de mérite? Est-ce dans cette conversion qui t’a fait trouver la divine miséricorde, quand ceux qui ne se sont point convertis ont rencontré la colère? Aurais-tu pu te convertir sans l’appel de Dieu? Dieu, en te rappelant dans tes égarements, ne t’a-t-il point donné de te convertir? N’attribue donc pas à toi-même ta conversion; car si Dieu ne t’eût rappelé de ta fuite, tu n’aurais pu te convertir, Aussi le Prophète, attribuant à Dieu le bienfait de notre conversion, le supplie en disant: « C’est vous, ô Dieu, qui en nous convertissant, nous donnerez la vie ». Ce n’est point nous qui, sans votre miséricorde et spontanément nous convertirons à vous, pour recevoir de vous la vie; mais « c’est vous qui nous convertirez pour nous

 

1. I Cor. XV, 22.

 

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donner la vie »; en sorte que nous tiendrons de vous, non-seulement la vie, mais aussi la conversion qui aboutit à la vie. « O Dieu, en nous convertissant, vous nous donnerez la vie, et votre peuple se réjouira en vous 1 ».  Pour son malheur, il prenait sa joie en lui-même; pour son bonheur, il la prendra en vous. Quand il a voulu trouver en lui la joie, il n’a trouvé que des sujets de larmes. Maintenant que Dieu est toute noire joie, que celui qui veut se réjouir en toute sécurité, se réjouisse en Celui qui ne peut périr. A quoi bon, mes frères, mettre votre joie dans l’argent? Cet argent périra, ou toi-même; et nul ne sait qui des deux périra le premier; ce qui est certain, c’est que l’un et l’autre périront, l’incertitude ne plane que sur le premier. Car l’homme ne peut demeurer toujours ici-bas, non plus que son argent; il en est de même de l’or, des vêtements, d’un palais, des richesses, des grands domaines et enfin de cette lumière elle-même. Loin de toi donc d’y mettre ta joie; mais réjouis-toi de cette lumière qui n’a point de couchant, réjouis-toi dans ce jour qui n’a ni hier, ni lendemain, Quelle est cette lumière? « Je suis », dit le Sauveur, « la lumière du monde 2 ». Celui qui te dit : « Je suis la lumière du monde », est celui-là même qui t’appelle à lui. Pour lui, t’appeler c’est te convertir, te convertir c’est te guérir, te guérir c’est te faire voir celui qui t’a converti et à qui il est dit: « Ton peuple se réjouira en toi ».

9. « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde ». Voilà ce que nous avons chanté, et déjà nous avons dit : « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre salut 3 » : « Votre salut », ou votre Christ. Bienheureux celui à qui Dieu a montré sa miséricorde. Car il ne peut plus s’enorgueillir, celui qui a vu la miséricorde du Seigneur. Lui montrer en effet cette miséricorde, c’était lui persuader que tout le bien qui est en l’homme, n’y est que par celui qui est tout notre bien. Or, quand l’homme comprend que tout le bien qui est en lui, vient de Dieu, et non de lui-même, il voit facilement que tout ce qu’il a de louable, vient de la divine miséricorde, et non de son propre mérite. A cette vue, il est loin de s’enorgueillir : sans orgueil, il ne s’élève point; sans élévation, il ne tombe point; s’il ne tombe point, il se

 

1. Ps. LXXXIV, 7. — 2. Jean, VIII, 12. — 3. Ps. LXXXIV, 8.

 

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tient debout; en se tenant debout, il s’attache à Dieu; s’attachant à Dieu, il demeure en lui; et demeurant en Dieu, il en jouit, il tressaille dans le Seigneur son Dieu. Celui qui l’a créé devient ses délices; et ces délices, nul ne peut les corrompre, les troubler, les lui ôter. Quelle puissance pourrait le menacer de les lui ôter? Quel voisin jaloux, quel voleur, quel homme rusé pourrait t’enlever ton Dieu? Ce que tu as d’extérieur, on peut te l’enlever totalement; mais ce que tu as dans le coeur, nul ne peut te l’enlever. Telle est cette miséricorde, que Dieu veuille bien nous la montrer. « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre salut ». Donnez-nous votre Christ, c’est en lui qu’est votre miséricorde. Disons-lui, nous aussi: Donnez-nous votre Christ. Il nous l’a déjà donné, il est vrai ; disons-lui néanmoins : Donnez-nous votre Christ, puisque nous lui disons : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien 1 ». Et quel est notre pain, sinon celui qui a dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel 2 ? » Disons-lui donc: Donnez-nous votre Christ. Déjà il nous l’a donné, mais dans soin humanité; or, celui qu’il nous a donné comme homme, il nous le donnera comme Dieu. Aux hommes il a donné un homme, car il le leur a donné à la manière dont ils pouvaient le recevoir, et nul homme ne pouvait recevoir un Christ en sa gloire divine. Il s’est donc fait homme pour les hommes, tout en réservant aux dieux sa divinité. Ma parole n’est-elle point trop hardie ? Elle serait hardie, en effet, si lui-même n’avait dit : « Je l’ai dit: Vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut 3». C’est pour cette adoption que nous sommes renouvelés, c’est pour devenir les enfants de Dieu. Nous le sommes déjà, mais par la foi : nous le sommes en effet, mais en espérance et non en réalité. Car l’Apôtre nous l’a dit: « Nous sommes sauvés par l’espérance; et l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience 4 ». Qu’est-ce que « nous attendons par la patience », sinon de voir ce que nous croyons? Maintenant nous croyons ce que nous ne voyons pas : mais en demeurant fermes dans ce que nous croyons

 

1. Matth. VI, 11. — 2. Jean, VI, 41. — 3. Ps, LXXXI, 6; Jean, X, 34. — 4. Rom. VIII, 24, 25,

 

sans le voir, nous mériterons de voir ce que nous croyons. Aussi que nous dit saint Jean dans son épître? « Mes bien-aimés, nous sommes les fils de Dieu, et ce que nous devons être un jour n’apparaît pas encore 1 ». Quel homme ne bondirait de joie, s’il se trouvait dans une terre étrangère, sans connaître sa parenté, en proie à l’indigence, à la misère, à la fatigue, et qu’on vint tout à coup lui dire : Tu es le fils de tel sénateur ; ton père est puissamment riche, et jouit en paix de ses biens, je viens te conduire près de ton père? quelle ne serait point sa joie, si ce langage n’était point trompeur? Voilà que l’Apôtre du Christ, qui ne peut nous tromper, vient vous dire : Pourquoi ce désespoir en vous? Pourquoi cette affliction, ce chagrin qui vous accable? Pourquoi suivre ainsi vos convoitises, et voulez-vous souffrir la disette parmi ces faux plaisirs ? Vous avez un père, vous avez une patrie ; vous avez un patrimoine. Quel est ce père ? « Mes bien-aimés, nous sommes enfants de Dieu ». Pourquoi ne voyons-nous pas encore notre Père? «Ce que nous devons être un jour n’apparaît pas encore ». Nous le sommes dès à présent, mais en espérance : car « ce que nous devons être n’est pas visible ». Que serons-nous? «  Nous savons », poursuit l’Apôtre, « que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 2 ». Mais c’est du Père qu’il parle ainsi: n’a-t-il donc rien dit du Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ? Serons-nous heureux en voyant le Père, sans voir le Fils? Ecoute le Christ lui-même : « Quiconque me voit, voit mon Père 2 ». Voir un seul Dieu, c’est voir la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et pour comprendre plus expressément encore que la vue du Fils constituera notre bonheur, et qu’il n’y a nulle différence entre voir le Père et voir le Fils : écoute cette parole du Fils dans l’Evangile: « Celui qui m’aime garde mes commandements, et moi je l’aimerai, et je me montrerai à lui 3 ». Il parlait à ses disciples, et néanmoins il disait: « Je me montrerai à lui 4». Pourquoi? N’était-ce point lui-même qui parlait? Mais c’était la chair qui voyait la chair, et le coeur ne voyait point la divinité. Or, la chair a vu la chair, afin que le coeur fût purifié par la foi et pût voir Dieu. Car il est dit de Dieu qu’ « il

 

1. I Jean, III, 2.— 2. Id. — 3. Jean, XIV, 9. — 4. Id. 21.

 

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purifie nos coeurs par la foi 1». Et le Seigneur a dit : « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 2 ». Il a donc promis de se montrer à nous. Or, considérez, mes frères, quelle est sa beauté. Toutes ces beautés qui vous plaisent et qui flattent votre vue, c’est lui qui les a créées. Si telle est la splendeur de ses oeuvres, lui-même que sera-t-il? Si telle est leur magnificence, quelle sera sa grandeur? Donc tout ce que nous aimons ici-bas, doit nous porter à le désirer, à mépriser toutes ces créatures, pour n’aimer que lui, et par cet amour purifier nos coeurs dans la foi, afin qu’à son apparition il trouve en nous un coeur pur. Cette splendeur qui nous apparaîtra doit nous trouver guéris; telle est aujourd’hui l’oeuvre de la foi. Aussi disons-nous ici-bas: « Donnez-nous votre salut » ; donnez-nous votre Christ; puissions-nous connaître ce Christ et le voir, non point comme l’ont vu les Juifs qui l’ont crucifié, mais comme le voient les anges dont il fait la joie.

10. « J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu 3 » Ainsi dit le Prophète; Dieu lui parlait intérieurement, tandis que le bruit du monde éclatait au dehors. Il se sépare alors de ce monde tumultueux, il se retire en lui-même, pour passer de lui-même à celui dont il entend la voix. Il se bouche en quelque sorte l’oreille pour ne rien entendre du bruit tumultueux de cette vie, ni du trouble d’unie âme appesantie par le poids du corps, ni de ces pensées nombreuses de l’esprit qu’étouffe une habitation terrestre : « J’écouterai », dit-il, « ce que dira en moi le Seigneur Dieu ». Il a entendu, quoi? « que le Seigneur donnera des paroles de paix à son peuple ». Donc la voix du Christ, la voix de Dieu, c’est la paix, qui nous convie à la paix. Courage! nous dit-elle, aimez la paix, vous tous qui n’êtes pas encore établis dans la paix. Que pourriez-vous désirer de moi, qui soit meilleur que la paix? Qu’est-ce que la paix? l’absence de toute guerre. Quand n’y a-t-il plus de guerre? quand il n’y a ni contradiction, ni résistance, ni antagonisme. Jugez par là si nous sommes en paix, voyez si nous n’avons point de lutte contre le diable, si les fidèles et tous les saints ne sont point en guerre avec le prince des démons. Et comment lutter avec celui qui est invisible? Ils combattent contre leurs convoitises dont il se

 

1. Act. XV, 9.— 2. Matth. V, 8.—  3. Isa. LXXXIV, 9.—  4. Sag. IX, 15.

 

sert pour suggérer le péché; or, c’est combattre que refuser de consentir à ces suggestions, et ne point succomber. La paix n’est donc point avec la lutte. Montrez-moi un homme qui ne ressente aucun aiguillon dans sa chair, et qui puisse une dire qu’il est en paix. Peut-être n’est-il plus ébranlé par ces coupables voluptés, mais il en ressent du moins les suggestions: ou le démon lui suggère ce qu’il méprise, ou il trouve quelque charme dans la continence. Et s’il ne trouve aucun charme dans ce qui est criminel, il a du moins à combattre chaque jour la faim et la soif. Quel homme juste en est exempt? Nous sommes donc en lutte avec la faim, avec la soif, en lutte avec la fatigue du corps, en lutte avec le plaisir du sommeil, en lutte avec l’accablement. Nous voulons veiller, nous sommeillons; nous voulons jeûner, nous souffrons de la faim et de la soif; nous voulons demeurer debout, la fatigue nous abat. Nous voulons nous asseoir, et le faire trop longtemps est encore une lassitude. Tout ce que nous recherchons comme un soulagement, nous devient ensuite une peine. Tu as faim, dira quelqu’un ; oui, répons-tu. Et il te sert à manger. Il le fait pour rétablir tes forces; prends longtemps de ces nourritures; tu veux te restaurer, continue alors; et par là, ce qui devait réparer tes forces le causera une lassitude. Las d’être assis, tu te lèves, tu marches pour te délasser; mais continue ce délassement, et bientôt une longue marche te fatiguera ; et tu chercheras encore un siège. Trouve-moi un délassement qui, en se prolongeant, n’arrive à te fatiguer. Quelle est donc cette paix que peuvent goûter les hommes, au milieu de tant d’obstacles, de tant de désirs, de tant de misères, de lassitudes ? Ce n’est point là une véritable paix, une paix parfaite. Que sera donc la paix dans sa perfection? «Ce corps corruptible doit se ex revêtir d’incorruption, cette chair mortelle d’immortalité : et alors s’accomplira cette parole de l’Ecriture : La mort est absorbée dans sa victoire. O mort, où est ton aiguillon? ô mort, où est ta prétention 1? » Comment la paix serait-elle parfaite avec la mort? c’est de la mort que viennent ces lassitudes, jusque dans nos délassements. Tout cela vient de la mort, puisque nous portons un corps mortel; et qui est mort, selon l‘Apôtre, même

 

1. I Cor. XV, 53-55.

 

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avant que l’âme en soit séparée: « Le corps », dit-il, « est mort à cause du péché 1 ». Prolonge en effet longtemps ce qui te soutient, il deviendra mortel; prolonge trop un festin, tu en mourras; prolonge trop, un jeûne, tu en mourras ; demeure toujours assis, sans te lever jamais, tu en mourras; marche toujours sans prendre aucun repos, tu en mourras prolonge tes veilles sans vouloir du sommeil, tu en mourras ; dors toujours, sans vouloir t’éveiller, tu en mourras. Mais quand la mort sera absorbée dans sa victoire, ces maux ne seront plus, ils feront place à une paix complète et satis fin. Nous habiterons une certaine ville, mes frères, et quand j’en parle je ne voudrais jamais finir, surtout quand je vois se multiplier les scandales. Qui ne soupirerait après cette cité bienheureuse, d’où nul ami ne sort, où n’entre nul ennemi, où il n’y a ni tentation, ni sédition, ni schisme dans le peuple de, Dieu, nul instrument du diable pour affliger l’Eglise, puisque le prince des démons est jeté dans les flammes éternelles, et avec lui tous ses suppôts, qui n’ont point voulu se séparer. de lui? Une paix parfaite régnera donc parmi les enfants de Dieu, qui s’aimeront, se verront pleins de Dieu, car Dieu sera tout en tous 2. C’est donc Dieu que nous verrons tous, Dieu que nous posséderons tous, Dieu qui sera notre paix à tous. Quels que soient ses dons ici-bas, lui seul alors nous tiendra lieu de tout don : il sera pour nous la paix entière et parfaite. Telle est la paix qu’il annonce à son peuple, et la paix que voulait entendre celui qui dit ici : «J’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu ses paroles de paix sur son peuple et sur ses saints, et sur tous ceux qui tournent vers lui leur coeur 3». Courage, mes frères ! Voulez vous avoir cette paix que vous annonce le Seigneur? Tournez votre coeur vers lui, non point à moi, non point à cet autre, non point à un homme, quel qu’il soit. Tout homme en effet qui voudra s’attirer les coeurs des hommes, doit périr avec eux. Or, quel est le parti le plus avantageux, ou de tomber avec l’homme vers qui vous tournez vos pensées, ou de vous tenir debout avec l’émule de votre conversion ? Ce n’est qu’en Dieu que nous trouvons notre joie, notre paix, notre repos, la fin de nos chagrins. « Bienheureux ceux u qui tournent leurs coeurs vers vous ».

 

1. Rom. VIII, 10. — 2. I Cor. XV, 28. — 3. Ps. LXXXIV, 9.

 

11. « Toutefois sa grâce qui sauve est près de ceux qui le craignent 1». Plusieurs le craignaient jadis dans le peuple juif. Sur toute la terre on adorait des idoles; on craignait les démons, et non le Seigneur; les Juifs seuls craignaient Dieu. Mais d’où venait cette crainte? Dans l’Ancien Testament, on craignait que Dieu ne soumît à la domination des ennemis, qu’il n’enlevât les terres, qu’il ne ravageât les vignes par la grêle, qu’il ne frappât les épouses de stérilité, qu’il n’enlevât les enfants. Ces promesses charnelles enchaînaient des âmes faibles, et les retenaient dans la crainte de Dieu; mais lui-même était proche de ceux qui le craignaient pour ces biens. Le païen demandait quelque terre au démon, le juif demandait quelque terre à Dieu; la demande était la même, et non celui à qui on l’adressait. Le juif demandait ce que le païen demandait, et toutefois il différait du païen, en ce qu’il invoquait celui qui avait tout fait. Et Dieu était proche des Juifs, loin des idolâtres : et néanmoins il jeta les yeux sur ceux qui étaient éloignés, comme sur ceux qui étaient proches, selon ces paroles de l’Apôtre: « Il est venu prêcher la paix à vous qui étiez éloignés, et la paix à ceux qui étaient proches 2 ». Quels sont les proches, selon lui? Les Juifs, parce qu’ils adoraient un seul Dieu. Selon lui encore, quels étaient les peuples éloignés? Les Gentils, parce qu’ils avaient abandonné le Créateur pour adorer leurs propres oeuvres. Car ce n’est point par les lieux, mais par les affections que l’on s’éloigne de Dieu. Aimes-tu Dieu? tu es près de lui. Le hais-tu? tu es éloigné. Dans un même lieu, lu peux être auprès de Dieu, ou loin de lui. Voilà donc, mes frères, ce qu’a vu le Prophète ; bien qu’il ait vu la miséricorde de Dieu s’étendre en général sur tous les hommes, il a compris que Dieu avait pour les Juifs une affection toute particulière, et il s’écrie: « Toutefois, j’écouterai ce que dira en moi le Seigneur Dieu, parce qu’il annoncera la paix à son peuple ». Et son peuple ne sera pas seulement formé du peuple juif, il sera recruté parmi les nations. « Car le Seigneur fera entendre des paroles de paix sur ses fidèles, sur ceux dont le coeur se tourne vers lui », et sur tous ceux qui dans tous les lieux de la terre doivent se convertir à lui de tout leur coeur. « Toutefois son salut est proche de

 

1. Ps. LXXXIV, 10. — 2. Ephés. II, 17.

 

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ceux qui le craignent, et sa gloire habitera notre terre »; c’est-à-dire que ta principale gloire habitera dans la terre natale du Prophète; parce que c’est là que commencera la prédication du Christ. De là vinrent les Apôtres envoyés tout d’abord; de là les Prophètes là fut le temple de Dieu, où l’on sacrifiait au vrai Dieu; là les Patriarches, là encore celui qui est né de la race d’Abraham, le Christ s’est manifesté, là il est apparu; de là est la vierge Marie qui a enfanté le Christ. C’est la terre que ses pieds ont parcourue, qu’il a illustrée de ses miracles. Enfin il a fait à ce peuple cet honneur de répondre à la chananéenne qui lui demandait le salut de sa fille: « Je ne suis envoyé que vers les brebis d’Israël, qui se sont égarées 1». Voilà ce qu’envisage le Prophète, quand il s’écrie: « Toutefois son salut est près de ceux qui le craignent, et sa gloire habitera notre terre ».

12. « La miséricorde et la vérité se sont rencontrées 2 ». La vérité s’est trouvée en notre terre dans la personne des Juifs, et la miséricorde en la terre des Gentils. Où était en effet la vérité? Dans les oracles de Dieu. Où était la miséricorde? En ceux qui avaient abandonné leur Dieu pour se tourner vers les démons. Mais Dieu les a-t-il méprisés? Il a dit au contraire : Appelez ces hommes qui fuient au loin, et qui se séparent de moi par de longs espaces; qu’on les appelle, qu’ils me trouvent, alors que je les cherche, puisqu’ils ne veulent point me chercher. Donc « la miséricorde et la vérité se sont rencontrées; la justice et la paix se sont embrassées ». Fais la justice, et tu auras la paix; afin que la justice et la paix s’embrassent en toi. Sans l’amour de la justice, tu n’auras aucune paix. La justice et la paix se tiennent et s’embrassent, et faire la justice, c’est rencontrer la paix qui l’embrasse. Ce sont deux amies, et toi, sans faire l’une, tu voudrais peut-être posséder l’autre. Il n’est personne pour ne point désirer la paix, mais tous ne veulent point faire la justice. Demandez à tous les hommes: Voulez-vous la paix? Le genre humain tout entier n’aura que cette réponse: Je la veux, je la désire, je la souhaite, je l’aime. Aime encore la justice, parce que la justice et la paix sont deux amies qui se tiennent embrassées. Si tu n’aimes point l’amie de la paix, cette paix ne t’aimera point, et ne

 

1. Matth. XV, 24. — 2. Ps. LXXXIII, 11.

 

viendra pas en toi. Qu’y a-t-il de grand à désirer la paix? Tout méchant aime la paix, car la paix est un bien. Mais fais la justice, parce que la justice et la paix s’embrassent et ne sont point en désaccord, A quoi bon être en guerre,avec la justice? La justice te dit: Ne vole point, et tu n’entends pas; Ne commets point l’adultère, et tu ne veux pas entendre; Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux point qu’on te fasse; ne dis pas à autrui ce que tu ne veux pas que l’on te dise. Tu es l’ennemi de mon amie intime, te répond la paix, à quoi bon me chercher? Je suis l’amie de la justice, et je fuis quiconque est l’ennemi de cette amie. Veux-tu donc arriver à la paix? Fais les oeuvres de la justice, De là vient cette parole d’un autre psaume : « Détourne-toi du mal, et fais le bien » (c’est là aimer la justice); et quand lu auras évité le mal et fait le bien, « cherche la paix, et puis suis-la 1 ». Car alors tu ne la chercheras pas longtemps, mais elle se présentera d’elle-même à toi, afin d’embrasser la justice.

13. « La vérité est née de la terre, et la justice a regardé du ciel 2». « La vérité est née de la terre », c’est le Christ qui est né d’une femme. « La vérité est née de la terre », c’est le Fils de Dieu issu de la chair. Qu’est-ce que la vérité? Le Fils de Dieu. Qu’est-ce que la terre? La chair. Cherche d’où est le Christ, et tu verras que « la vérité est née de la terre ». Mais cette vérité née de la terre était avant- la terre, et c’est par elle que le ciel et la terre ont été faits. Mais afin que la justice regardât du ciel, c’est-à-dire, afin que les hommes fussent justifiés par la grâce divine, la vérité est née de la vierge Marie, afin de pouvoir offrir pour tous ceux qui devront être sanctifiés le sacrifice auguste, le sacrifice de sa passion, le sacrifice de la croix. Or, comment offrir un sacrifice pour nos péchés sans mourir? Et comment mourir, s’il n’a reçu un corps mortel? C’est-à-dire que le Christ n’eût pu mourir, s’il n’eût pris une chair sujette à la mort. Le Verbe ne meurt point, la divinité ne meurt point, la vertu, la sagesse de Dieu ne meurt point. Comment sans mourir eût-il offert une victime expiatoire? Comment mourir, s’il n’eût eu une chair? Comment se revêtir d’une chair, si la vérité ne germe de la terre? « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé du haut des cieux.»

 

1. Ps. XXXIII, 15.— 2. Id. LXXXIV, 12.

 

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14. Un autre sens que l’on pourrait donner à ces paroles : « La vérité a germé de la terre »; c’est la confession qui est née de l’homme. O homme, tu étais pécheur. O terre, qui as entendu quand tu as péché : « Tu es terre, et tu retourneras en terre 1 » ; que la vérité naisse de toi, afin que la justice regarde du ciel. Comment la vérité naîtra-t-elle de toi, pécheur, de toi, injuste? Confesse tes péchés, et la vérité germera de toi. Mais si dans ton injustice tu prétends être juste, comment la vérité peut-elle venir de toi? Au contraire, si dans ton injustice tu avoues que tu es injuste, « La vérité a germé de la terre». Ecoute ce publicain qui prie dans le temple, bien loin du pharisien, et qui n’ose lever les yeux au ciel, mais qui se frappe la poitrine en disant: « Seigneur, soyez-moi propice, à moi pécheur »; c’est « la vérité qui germe de la terre »; puisqu’un homme a confessé ses fautes. Voyez ensuite : « Je vous déclare », dit le Sauveur, « que ce publicain retourna chez lui beaucoup plus juste que le pharisien; car tout homme qui s’élève sera humilié, et  tout homme qui s’humilie sera élevé 2. La vérité germe de la terre » par l’aveu des fautes; « et la justice a regardé du ciel »; de sorte que le publicain sortit plus juste que le pharisien. Et pour vous faire comprendre que la vérité consiste principalement dans l’aveu des fautes, l’évangéliste saint Jean a dit : « Si nous disons que nous n’avons aucun péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous ». Ecoutez-le nous dire ensuite comment la vérité germe de la terre, afin que la justice regarde du haut du ciel : « Si nous confessons nos péchés, Dieu est juste et fidèle, pour nous les remettre et nous purifier de nos crimes 3 ». La vérité a « donc germé de la terre, et la justice a regardé du haut du ciel ». Quelle justice a regardé d’en haut, sinon celle de Dieu qui disait : Pardonnons à cet homme qui ne se pardonne pas à lui-même? Oublions ses fautes, puisqu’il ne les oublie point. Il s’applique à s’en châtier, appliquons-nous à l’en délivrer. « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé d’en haut ».

15. « Car le Seigneur répandra la douceur, et notre terre donnera son fruit 4». Nous n’avons plus qu’un verset, écoutez sans ennui

 

1. Gen. III, 19. — 2. Luc, XVIII, 13, 14.— 3. I Jean, I, 8, 9.— 4. Ps. XXXIV, 13.

 

ce que je vais dire. Ecoutez, mes frères, écoutez, je vous en supplie, une importante vérité; soyez attentifs à cette vérité que vous devez savoir, emportez-la avec vous, et que la parole de Dieu ne soit point dans vos coeurs une semence inutile. « La vérité a germé de la terre », dit le Prophète, ou la confession est sortie de l’homme pécheur; « et la justice a regardé d’en haut ». C’est-à-dire que le Seigneur Dieu a donné la justification à celui qui avouait ses fautes, afin que l’impie sache bien qu’il ne peut devenir juste que par la grâce de celui à qui il avoue ses fautes, et par sa foi en celui qui justifie l’impie 1. Tu peux donc avoir des péchés; mais un bon fruit, tu le tiendras de celui-là seul à qui tu confesses tes fautes. Aussi après avoir dit : « La vérité a germé de la terre, et la justice a regardé d’en haut »; le Prophète ajoute : « Le Seigneur répandra la douceur, et la terre donnera son fruit », comme si nous lui demandions : Que veut-il dire par ces paroles : « La  justice a regardé d’en haut? » Regardons-nous donc nous-mêmes, et si nous ne trouvons en nous que des péchés, détestons nos péchés, et désirons la justice, Dès que nous commencerons à détester nos péchés, cette haine du péché nous rendra semblables à Dieu; car nous haïrons ce qu’il hait lui-même. Mais dès que tu auras commencé à haïr tes fautes et à les confesser, et que les plaisirs coupables te solliciteront et t’emporteront aux choses frivoles, gémis devant Dieu; confesse-lui tes fautes, et tu mériteras qu’il t’écoute et te fasse trouver le plaisir dans le bien, tes délices à faire des oeuvres de justice, bonheur plus suave que tu n’en trouvais d’abord dans le péché. Ainsi ta joie était dans les excès de la table, elle sera dans la sobriété; tu éprouvais un bonheur à voler, à prendre aux autres ce que tu n’avais pas, tu le trouveras à donner ton bien à celui qui n’a rien; le ravisseur aimera à donner , l’amateur des théâtres deviendra amateur de la prière; au lieu de fredonner les chansons badines, les refrains adultères, tu aimeras de chanter les hymnes de Dieu, de courir à l’église comme tu courais au théâtre. D’où vient ce plaisir si pur, sinon de Dieu qui a répandu sa douceur, et notre terre a donné son fruit?» Comprenez en effet cette pensée : voici que je vous ai annoncé la parole de Dieu; j’ai répandu

 

1. Rom. IV, 5.

 

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cette semence dans des coeurs bien préparés, des coeurs ouverts et sillonnés en quelque sorte par le soc de la confession; vous avez reçu cette semence avec piété, avec attention; repassez en vous-mêmes cette parole, brisez la glèbe afin de couvrir la semence; que les oiseaux ne l’enlèvent point, qu’elle germe dans vos coeurs. Mais si Dieu ne répand sa pluie, à quoi bon tout ce qui est semé? Tel est le sens de cette parole : « Le Seigneur répandra la douceur, et notre terre donnera son fruit ». Que le Seigneur vous visite, et dans le repos, et dans le négoce, et dans votre demeure, et dans votre lit, et dans vos repas, et dans vos entretiens, et dans vos promenades , qu’il visite vos coeurs, quand nous ne sommes point avec vous. Que la rosée du Seigneur descende eu vous et vivifie ce qui a été semé; et quand nous ne sommes point avec vous, soit que nous nous reposions en toute sécurité, soit que nous fassions autre chose, que Dieu veuille donner de l’accroissement à ce grain que nous avons répandu, afin que, en voyant plus tard la sainteté de votre vie, nous nous réjouissions de ce fruit de salut. « Le Seigneur a répandu la douceur, et notre terre a donné son fruit ».

16. « La justice marchera devant lui, il marquera ses pas dans la voie 1 ». Cette justice est celle qui résulte de l’aveu des péchés; et qui est aussi vérité. Car tu dois être juste envers toi-même, afin de te punir. Telle est la première justice de l’homme, de châtier le mal en toi, afin que Dieu te rende bon. Et comme c’est là le premier degré de la justice chez l’homme, c’est ce qui prépare à Dieu le chemin pour venir en toi, et tu lui ouvres cette voie, par la confession des péchés. De là vient que Jean, lorsqu’il baptisait dans l’eau, et qu’il voulait attirer à lui ceux qui se repentaient de leur vie passée, leur disait : « Préparez la voie au Seigneur, et rendez droits ses sentiers 2 ». Tu te plaisais dans ton péché, ô homme; que ton passé te déplaise, afin de pouvoir devenir ce que tu n’étais pas. « Préparez la voie au Seigneur »; que la justice marche devant toi, par l’aveu de tes fautes. Alors il viendra et te visitera, « parce qu’il marquera ses pas dans la voie ». Il trouvera en toi où poser ses pas, et y venir. Mais avant de confesser tes péchés, tu avais fermé en toi toute voie de Dieu, il n’y en avait aucune par où il pût venir. Confesser ta vie, c’est ouvrir la voie; et le Christ viendra, « et  il marquera ses pas dans la voie », pour t’apprendre à marcher sur ses traces.

 

1. Ps. LXXXIV, 14 — 2. Matth. III, 3.

 

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