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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVII (1).LA PASSION DU CHRIST DANS LÉGLISE.
Ce choeur qui doit répondre, cest lEglise qui chante le Christ, et qui doit, dans ses membres, passer par les mêmes douleurs que le Christ. Car le psaume est pour les fils de Coré, ou du Calvaire. Le Christ a donc prié en son humanité, il a souffert, parce quil a voulu personnifier en lui tout son corps qui est lEglise. Il a été libre dans la mort, parce quil donnait lui-même sa vie, et quil la reprise le troisième jour. Il était dans les ténèbres comme ceux quil était venu en délivrer. La colère de Dieu paraissait appesantie sur lui, elle na fait que passer, et les prophéties se sont accomplies; ses proches ne comprenant pas ses douleurs, lont méconnu, se sont séparés de lui; ses yeux ou les Apôtres privés de sa lumière, ont langui. Alors il prie du haut de la croix, il s prié tout le jour par ses bonnes oeuvres, qui nont point touché des coeurs sans vie, incapables de comprendre les miracles, de ressusciter à la voix des médecins. Encore céderont-ils à la grâce ? Car cest Dieu qui ressuscite par la grâce, qui appelle par les Apôtres, qui nous amène à la confession, véritable signe de conversion. Qui dira la vérité à ces âmes sans vie, et qui ont perdu la lumière ? De là remercions Dieu qui nous ressuscite comme il ressuscite les morts ; de là aussi cette prière vive qui doit sélever à Dieu, que Dieu nexauce pas aussitôt, afin den attiser lardeur; prière qui est celle de lEglise exilée, et qui doit durer jusquà ce que tous ses membres soient dans ta patrie.
1. Le titre du psaume quatre-vingt-septième a quelque chose de nouveau, qui embarrasse linterprète. Dans aucun autre psaume, nous ne trouvons ce que nous rencontrons ici: « Pour Melech, à répondre». Nous avons pu voir ailleurs ce que signifie et psaume du cantique, et cantique du psaume; souvent encore nous avons expliqué ces expressions: « Aux fils de Coré », que nous rencontrons fréquemment, ainsi que « pour la fin » ; mais ces expressions: « Pour Melech, à répondre », cest là un titre nouveau. « Pour Melech », peut se traduire en latin, pour le choeur, car le mot hébreu « Melech », signifie choeur. Or, quest-ce à dire pour le choeur, à répondre? sinon que le choeur doit unir ses accords pour répondre à celui qui chante? Dautres psaumes, nous devons le croire, ont été chantés de la sorte, bien quils aient eu dautres titres; cétait sans doute un moyen de varier, et déviter lennui. Car celui-ci nest pas le seul auquel tout un choeur ait répondu, puisquil nest pas le seul qui prophétise la passion du Seigneur. Sil y a une autre raison qui motive la variété des titres, et par laquelle on puisse nous montrer que dans cette variété, cloaque titre est tellement propre à chacun des psaumes, quil ne pourrait servir à un autre; javoue pour moi,
1. Probablement après lexposition du Psaume XLI dont il est question au n° 7, et peut-être du Psaume LXVII.
quaprès bien des efforts, je nai pu la découvrir; et ce que jai vu de ce quont écrit ce qui en ont parlé avant moi, na pu répondre ou à mon attente, ou à ma lenteur. Je dirai donc ce qui me paraît de mystérieux dans cette expression: Pour le choeur à répondre, cest-à-dire en quoi le choeur doit répondre au chantre. Il y a ici une prophétie de la passion du Seigneur. Or, lapôtre saint Pierre a dit: « Le Christ a souffert pour nous, afin que nous suivions ses traces 1»; cest là répondre. Lapôtre saint Jean dit à son tour: « De même que le Christ a donné sa vie pour nous, de même nous devons donner notre vie pour nos frères 2 ». Voilà répondre encore. Or, le choeur désigne laccord qui est le fruit de la charité. Quiconque, dès lors, pour imiter la passion du Sauveur, livrerait son corps aux flammes, sans avoir la charité, ne répondrait point en choeur, et cela ne lui servirait de rien 3 . Ainsi donc, de même que dans lart musical, il y a, comme les savants ont pu lexprimer en latin, le praecentor et le succentor, le premier pour donner au chant lintonation, le second pour chanter ensuite; de même dans ce cantique de la passion, après le Christ qui ouvre la marche, vient le choeur des martyrs, qui le suit jusquà la fin ou lacquisition des couronnes éternelles. Ce chant est en effet « pour les fils de Coré », or
1. I Pierre, II, 21. 2. I Jean, III, 16. 3. I Cor. XXXI, 3.
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pour ceux qui imiteront la passion du Christ. Car le Christ a été crucifié au Calvaire 1, et en hébreu calvaire se dit Coré. Ce serait là le sens « dEman Israélite », qui termine le titre du psaume, car Eman signifie son frère. Or, le Christ a élevé au rang de ses frères, ceux qui ont compris le mystère de la croix, qui loin den rougir y mettent au contraire toute leur gloire, sans sélever de leurs mérites, sans méconnaître sa grâce; en sorte que lon peut dire à chacun deux: « Voilà un vrai Israélite sans déguisement 2 »; ainsi que lEcriture témoigne de Jacob quil était sans fraude 3. Ecoutons donc la voix prophétique du Christ, qui chante en ce psaume, afin que le choeur de ses saints lui réponde, soit en limitant, soit en lui rendant grâces. 2. « Seigneur, Dieu de mon salut, jai crié vers vous pendant le jour et pendant la nuit, en votre présence. Que ma prière pénètre jusquà vous, daignez prêter loreille à mes supplications 4». Le Seigneur a prié en effet, non selon la forme de Dieu, mais selon la forme de lesclave, car cest en ce sens quil a souffert. Il a prié quand tout était calme autour de lui, cest-à-dire pendant le jour, et quand il était dans laffliction, ce qui selon moi signifie la nuit. Pour sa prière, elle trouve accès auprès de Dieu quand elle est exaucée, et Dieu incline son oreille quand il nous écoute dans sa miséricorde; car en Dieu il ny a point de membres corporels comme en nous. Il y a ici une répétition dusage; et en effet : « Que ma prière pénètre jusquà vous », est identique à : « Prêtez loreille à mes supplications ». 3. « Parce que mon âme est remplie de maux, et ma vie sest approchée de la tombe 5 ». Oserions-nous bien dire que lâme du Christ fut rassasiée de maux, quand toutes les douleurs de sa passion nont eu de pouvoir que sur sa chair? De là vient quen exhortant ses disciples à souffrir courageusement, et comme pour les inviter à lui répondre en choeur, il leur dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui nont point le pouvoir de tuer lâme 6». Son âme donc, que ses persécuteurs ne pouvaient tuer, pouvait-elle être rassasiée de maux? Si cela est vrai, voyons de quels maux. Ce ne pouvait être de ces vices qui imposent à lhomme le
1. Matth. XXVII, 33. 2. Jean, I, 47. 3. Gen. XXV, 27. 4. Ps. LXXXVII, 2, 3. 5. Id. 4. 6. Matth. X, 28.
joug de liniquité, que son âme était rassasiée. Ces maux sont peut-être les douleurs auxquelles son âme fut en proie en prenant sa chair en pitié; car ce que lon appelle douleur du corps ne saurait exister sans lâme; et quand elle est inévitable, elle est précédée en nous dune tristesse dont lâme seule est le siége. Ainsi donc lâme peut être affligée sans que le corps souffre; mais le corps ne peut souffrir sans lâme. Pourquoi donc ne disons-nous point que lâme du Christ fut saturée des péchés de lhomme, mais seulement des misères de lhomme, puisquun autre Prophète nous dit quil a souffert pour nous 1; puisque, selon lEvangéliste: « Ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à saffliger et à sattrister », et que le Seigneur dit de lui-même : « Mon âme est triste jusquà la mort 2? » Voilà ce que voyait le Prophète qui a écrit le psaume, et ce qui lui fait dire: « Mon âme est rassasiée de misères, et ma vie sest approchée de la tombe ». Il ne fait que dire en dautres termes cette parole de Jésus-Christ: « Mon âme est triste jusquà la mort » ; puisque « mon âme est triste », est identique à « mon âme est rassasiée de misères», et «jusquà la mort», identique à « ma vie sest approchée de la tombe ». Or, si Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu ressentir en lui ces mouvements de linfirmité humaine, ainsi que cette chair de lhomme, et la mort de cette même chair, ce nest point par nécessité, mais par un effet de sa compassion. Cest quil lui a plu de personnifier en lui tout son corps, ou cette Eglise dont il a daigné se faire le chef; en sorte quil représente ses membres dans ses saints et dans ses fidèles. Et dès lors, sil arrive à quelquun dentre eux de passer par la douleur et par la tristesse, au milieu des épreuves humaines, quil ne se croie point déshérité de la grâce; quil ne regarde point ces ressentiments comme des péchés, mais comme des marques de lhumaine infirmité, et quun membre sinstruise à lexemple du chef, comme le choeur répond à la voix du premier chantre. Nous lisons en effet de lapôtre saint Paul, un des principaux membres de ce corps mystique, et nous lui entendons avouer que son âme est en proie à de semblables misères, quand il dit quil ressent une tristesse
1. Isa. LIII, 4. 2. Matth. XXVI, 77, 38.
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profonde, quune douleur continuelle traverse son coeur à la pensée dises frères qui sont les Israélites 1. Et dire que Notre-Seigneur fut aussi attristé à leur sujet aux approches de sa passion, en laquelle ce peuple allait commettre le plus grand des crimes; cest là, je pense, ne dire que la vérité. 4. En fin, cette parole quil a dite sur la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 2 », est marquée clairement dans ce qui suit: « Jai été mis au nombre de ceux que lon descend au tombeau 3» ; assurément par ces hommes qui ne savaient ce quils faisaient, qui crurent que le Christ mourait comme meurent les autres hommes, comme contraint par une invincible nécessité. Car il appelle tombeau la profondeur ou de sa misère ou de lenfer. 5. « Jai été comme un homme sans secours, libre entre les morts 4 ». Dans ces paroles nous voyons clairement le Sauveur. Quel autre eût pu être libre parmi les morts, que celui qui, avec la ressemblance du péché 5, était seul sans péché ? De là vient quil dit à ceux qui follement se croyaient libres « Quiconque fait le péché, est esclave du péché 6 ». Et comme nous devions être délivrés du péché par celui qui était sans péché: « Si le Fils vous délivre », leur dit-il, « vous «serez vraiment libres 7 ». Celui-là donc était «libre entre les morts », qui avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre 8, lui à qui nul ne pouvait lôter, mais qui la donnait librement; qui pouvait ressusciter à son gré cette chair, comme un temple que les Juifs auraient détruit 9 lui qui, abandonné de tous, ne demeura pas néanmoins seul, puisque son Père ne labandonna pas 10, comme il lassure lui-même; lui qui pria pour ses ennemis qui ne savaient ce quils faisaient, qui lui criaient : « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même: sil est le Fils de Dieu, quil descende de la croix, et nous croirons en lui. Que Dieu le délivre, sil laime 11 », et qui était extérieurement « comme un homme sans secours, comme ces blessés de la mort qui dorment dans le sépulcre ». Mais le Prophète ajoute : « Effacés de votre souvenir ». Voilà ce qui établit une différence entre le Christ et les autres morts. À la vérité,
1. Rom. IX, 2-4, 2. Luc, XXIII, 34. 3. Ps. LXXXVII, 5 4. Id. 6. 5. Rom. VIII, 3. Jean, VIII, 34. 6. Id 36. 7. Id. X, 18. 8. Id. X, 18. 9. Id. VIII, 29. 10. Matth. XXVII, 40-43.
rité, il a été blessé, mis à mort, placé dans le sépulcre 1 ; mais ceux qui ne savaient ce quils faisaient, qui ne le connaissaient point, lont cru semblable à ceux qui meurent de leurs blessures, qui dorment dans le tombeau, dont Dieu ne se souvient pas encore, cest-à-dire dont le temps nest point venu pour la résurrection. Cest lusage des Ecritures demployer le mot dormir en parlant des morts, parce quelle veut nous faire comprendre quils séveilleront ou quils ressusciteront. Mais ce blessé qui dormait dans le sépulcre séveilla le troisième jour, et devint comme le passereau solitaire sur le toit 2, cest-à-dire quil est à la droite de son Père dans le ciel : car il ne meurt plus, la mort na plus dempire sur lui 3. Telle est la différence qui lélève bien au-dessus des autres dont Dieu ne se souvient point encore pour lès ressusciter, car il réserve aux membres pour la fin des temps, ce qui est arrivé dabord aux chefs. On dit en effet que Dieu se souvient quand il agit, et quil oublie quand il nagit point encore. Mais en Dieu il ny a aucun oubli, puisquil ne change point, comme il ny a pas de souvenir, puisquil noublie point. « Jai été traité par ceux qui ne connaissaient point ce quils faisaient, comme un homme sans secours », bien que « je fusse libre entre les morts ». Aux yeux de ceux qui ne savaient ce quils faisaient : « Jétais commue ces blessés de la mort qui dorment dans le sépulcre; et alors votre main les a retranchés ». Cest-à-dire, quand ils mont regardé de la sorte, eux-mêmes « ont été retranchés par votre main »; en dautres termes, privés des secours de votre main, alors quils me croyaient sans secours. « Car ils ont creusé une fosse sous mes yeux», est-il dit dans un autre psaume, « et ils y sont tombés eux-mêmes 4 ». Il est mieux, je crois, dentendre ainsi les paroles de notre psaume : « Ils ont été retranchés par votre main », que de les rapporter à ceux qui dorment dans le sépulcre, et dont Dieu ne se souvient point encore : puisquil y a certainement parmi eux des justes, dont Dieu ne se souvient point pour les ressusciter, et dont il est dit néanmoins: « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu 5»; cest-à-dire quelles reposent sous la protection du Tout-Puissante, et
1. Matth. XXVII, 50, 60. 2. Ps. CI, 8. 3. Rom. VI, 9. 4. Ps. LVI, 7. 5. Sag. III, 1. 6. Ps. XC, 1.
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quelles demeurent à lombre du Dieu du ciel. Mais ceux-là sont rejetés de la main de Dieu, qui ont cru que le Christ en était rejeté parce quils avaient pu le mettre à mort avec des scélérats. 6. « Ils mont placé», continue le Prophète, dans une fosse profonde 1», ou plutôt, « dans la fosse la plus basse», comme on lit dans le grec 2. Or, quelle est cette fosse profonde, sinon une misère tellement profonde, quil nest rien au delà? De là cette parole : « Vous mavez tiré de labîme de misère 3. Ils mont placé dans des lieux ténébreux, à lombre de la mort »; ils croyaient my mettre, eux qui ne savaient ce quils faisaient, qui ne connaissaient pas celui que nul prince du siècle na connu 4. Par cette ombre de la mort, je ne sais si lon doit entendre la mort corporelle, ou plutôt celle dont il est écrit : « Que la lumière sest levée pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres, à lombre de la mort 5 »; parce que la foi à la lumière et à la vie les a tirés des ténèbres et de la mort de limpiété. Cest parmi eux quavaient rangé le Sauveur, ceux qui ne le connaissaient point, et dans leur ignorance, ils lont mis au rang de ceux quil est venu détourner de ces ténèbres. 7. « Votre indignation sest appesantie sur moi 6», ou « votre colère », comme on lit dans certains exemplaires, ou « votre fureur », comme on lit en dautres. Car lexpression grecque Tumos, a été traduite différemment. Quand on lit orgué dans le grec, nul traducteur nhésite à traduire ira, colère, mais quand on rencontre Tumos, la plupart ne veulent point traduire par colère, bien que les grands auteurs de léloquence latine, dissertant sur les philosophes grecs, aient traduit en latin ce mot par ira, ou colère. Ne nous y arrêtons pas plus longtemps, et si nous devons employer une autre expression, je préfère le mot indignation à fureur, car dans la langue latine, fureur ne se dit ordinairement pas des hommes rassis. Comment donc entendre : « Votre colère sest appesantie sur moi », sinon dans le sens de ceux qui ne connaissaient point le Seigneur de la gloire 7? Ils croyaient que la colère de Dieu, non-seulement était soulevée, mais encore appesantie sur lui, puisquils avaient pu le livrer à la
1. Ps. LXXXVII, 7. 2. Grec katotato. 3. Ps. XXXIX, 3. 4. I Cor. II, 8. 5. Isa. IX, 2. 6. Ps. LXXXVII, 8. 7. I Cor, II, 8
mort, non point à une mort telle quelle, mais à ce genre de mort quils avaient le plus en horreur, à la mort de la croix. De là cette parole de lApôtre: « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant malédiction pour nous: car il est écrit: «Maudit soit Celui qui est suspendu au gibet 1 ». Aussi quand il veut nous faire apprécier son obéissance jusquà la mort: « Il sest humilié », nous dit-il, « en se faisant obéissant jusquà la mort 2». Et comme cela lui paraissait peu, il ajoute : « Et jusquà la mort de la croix ». Aussi le Prophète, après ce qui précède, a-t-il ajouté : « Et toutes vos suspensions » ; ou selon dautres traducteurs, « tous vos flots » ; ou selon dautre encore, « tous vos élans, vous les avez fait fondre sur moi ». Il est écrit dans un autre psaume : « Toutes vos suspensions et tous vos flots sont venus sur moi 3», ou comme dautres on traduit avec plus de raison, « ont passé sur moi ». Il y a dans le grec, dielthon, et non eiselthon. Et quand on trouve les deux expressions, « suspensions » et « flots », on ne saurait mettre lune pour lautre. Or, nous avons assigné aux suspensions le sens de menaces, et aux flots le sens dafflictions. Les unes et les autres viennent selon le jugement de Dieu. Mais là il est dit qu « elles sont passées », ici « vous les avez appelées sur moi ». Là donc, bien que plusieurs menaces soient accomplies, tous les maux quil a voulu comprendre dans cette expression, « ont passé sur moi », dit le Prophète. Ici: « Vous les avez amenées sur moi. » Passer, se dit en effet de ce qui natteint pas, comme les suspensions, et de ce qui atteint comme les flots. Mais quand il sagit « des suspensions », il ne dit point : Elles ont passé sur moi; mais: «Vous les avez amenée sur moi », pour montrer que toutes les menaces se sont accomplies ; or, tout cela était suspension sur lui, tant que la prophétie renfermait, comme une menace pour lavenir, tout ce qui sest accompli dans la suite au temps de sa passion. 8. « Vous avez éloigné de moi tous cens qui me connaissaient 4 ». Si par le mot notos meos, du latin, nous entendons tous ceux que le Christ connaissait, nous diront tout le monde; qui en effet ne connaissait-il
1. Gal. III, 13; Deut. XXI, 23. 2. Philipp. I ; 8. 3. Ps. XLI, 8 4. Id. LXXXVII, 9.
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pas? Mais le Prophète entend ici tous ceux qui le connaissaient; autant du moins quils pouvaient le connaître, en ce sens du moins quils croyaient à son innocence, bien quils ne vissent en lui quun homme, et non un Dieu. Toutefois il pouvait entendre par ce mot de flou, ou connus, ceux qui lui sont agréables, comme il appelle inconnus les méchants quil doit réprouver au dernier jour, en leur disant : « Je ne vous connais point 1 ». Quand le Prophète ajoute : « Ils mont eu en abomination», on peut encore entendre ceux mêmes quil appelle ses connus ou intimes, et qui avaient en horreur son genre de supplice : toutefois il est mieux dappliquer ces paroles aux persécuteurs du Christ, dont le Prophète a parlé auparavant. « Jai été livré », dit-il, « et je ne pouvais sortir ». Est-ce parce que ses disciples étaient au dehors 2, quand on le jugeait dans lintérieur du palais, ou plutôt faut-il donner à cette expression « je ne sortais point » un sens plus relevé, cest-à-dire, je me renfermais dans mon intérieur, je ne montrais point qui jétais, je ne me faisais point connaître, je ne me manifestais point? Le Prophète ajoute: « Mes yeux ont langui dans lindigence 3». De quels yeux faut-il entendre ces paroles? Sil est question des yeux de cette chair dans laquelle il souffrait, nous ne lisons point dans la passion, que lindigence les ait fait languir, comme il est ordinaire à la faim damener la défaillance. Car il fut livré après la Cène, et crucifié le même jour. Sil est question des yeux intérieurs, comment se seraient-ils affaiblis par lindigence, puisquils avaient linextinguible lumière? Mais par ses yeux, il entend ceux des membres de ce corps dont il était la tête, et quil aimait dun amour plus particulier commue les membres les plus éclairés et les plus apparents. Cest de ce corps que lApôtre a dit, en le comparant avec le nôtre : « Si le corps est tout oeil, où sera louïe ? sil est tout ouïe, où sera lodorat ? Or, si tous les membres nétaient quun seul membre, ou serait le corps? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne font quun même corps. Loeil ne peut pas dire à la main: Je nai pas besoin de toi. Et si la main disait: Puisque je ne suis pas loeil, je mie suis pas du corps, en ferait-elle moins partie du corps ?» Et pour marquer
1. Matth. VII, 23. 2. Id. XXVI, 56. 3. Ps. LXXXVII, 10.
plus clairement encore ce quil veut faire comprendre, lApôtre ajoute : « Vous êtes le corps de Jésus-Christ et ses membres 1 ». Ses yeux donc étaient les saints Apôtres, à qui le sang et la chair ne lavaient pas révélé, mais son Père céleste, qui avait fait dire à Pierre : « Tu es le Christ, Fils du Dieu vivant 2 ». Or, ces Apôtres le voyant livré et en proie à de telles douleurs, mais ne le voyant point tel quils désiraient, cest-à-dire quil ne sortait point dehors, ou plutôt ne manifestait point sa souveraine puissance, mais quil demeurait caché en lui-même, souffrant tout comme sil eût été vaincu, ces Apôtres « étaient affaiblis par lindigence », car ils navaient plus la lumière qui était comme leur nourriture. 9. « Et jai crié vers vous, Seigneur ». Cest ce que le Sauveur fit ostensiblement à la croix. Mais il est bon de chercher comment nous devons entendre les paroles suivantes : « Durant tout le jour, jai élevé mes mains vers vous ». Si par lélévation de la main tu entends la potence de la croix, comment expliquer « tout le jour ? » Fut-il donc suspendu à la croix pendant tout le jour, puisque la nuit appartient aussi au jour ? Si le Prophète a voulu comprendre ici ce jour qui est séparé de la nuit, et qui est le jour proprement dit, déjà une première et grande partie du jour sétait écoulée quand le Christ fut mis en croix. Si cette expression, tout le jour, signifie tout le temps (car cette expression est au féminin, et dans la langue latine elle na dautre signification que celle dun temps, bien quil nen soit pas ainsi en grec, puisque dans cette langue, jour est du féminin, et de là vient, selon moi, que les traducteurs lont ainsi rendu), alors la question devient plus difficile. Comment dire tout le temps de sa vie, puisque le Christ na pas même étendu ses mains en croix pendant tout un jour? Mais si lon veut alors prendre la partie pour le tout, parce quil est dusage dans lEcriture de parler ainsi, je ne trouve aucun exemple qui autorise à prendre le tout pour la partie, quand cette expression « tout le jour», est formellement employée. En effet, quand le Sauveur dit dans lEvangile: «Ainsi le Fils de lhomme « sera dans le sein de la terre, trois jours et « trois nuits 3 », il nest pas contre lusage dentendre ici le tout pour la partie, puisquil ne
1. I Cor. XII, 12-27. 2. Matth. XVI, 16, 17. 3. Matth. XII, 40.
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dit point : trois jours entiers, trois nuits entières. Il ny eut en effet que le jour du milieu qui fut tout entier; des deux autres il y eut seulement la dernière et la première partie. Mais si dans cette expression il a voulu désigner sa prière, et non sa croix, prière quil adressait à Dieu Son Père, sous la forme de lesclave, lEvangile nous apprend quil pria longtemps avant sa passion, pendant sa passion et même à la croix; mais nulle part nous ne lisons quil lait fait tout le jour. Il est mieux dès lors dentendre par cette élévation des mains, cette continuité des bonnes oeuvres que Jésus-Christ na point cessé de faire. 10. Mais parce que ses bonnes oeuvres navaient dutilité que pour les hommes prédestinés au salut, et non pour tous les hommes, pas même pour tous ceux au milieu desquels il les opérait, le Prophète ajoute : « Ferez-vous des miracles parmi ceux qui sont morts 1? » Si nous entendons ces paroles de tous ceux dont la chair était sans vie, de grands prodiges furent opérés sur les morts, puisque plusieurs revinrent à la vie 2 : et quand le Seigneur pénétra dans les enfers, et en sortit vainqueur de la mort, cétait en faveur des morts un grand miracle. Cette expression donc: « Ferez-vous des miracles parmi les morts », désigne ces hommes dont le coeur est tellement mort, que les miracles surprenants du Christ ne pouvaient les rappeler à la vie de la foi. Le Prophète ne dit point que Dieu ne fera point de merveilles parmi eux, en ce sens quils ne les verront pas, mais en ce sens quils nen profiteront point. De même en effet quil dit: « Tout le jour jai élevé mes mains vers vous » ; parce quil navait dans ses actions dautre but que la volonté de son Père, et quil assurait souvent quil était venu pour accomplir cette volonté suprême 3 : ainsi parce que ces oeuvres étaient accomplies sous les yeux dun peuple infidèle, un autre Prophète a dit : « Jai étendu les mains pendant tout le jour vers un peuple incrédule, et qui me contredit 4 ». Tels sont les morts pour qui Dieu na point opéré ses merveilles; non quils ne les aient point vues, mais parce quils ne sont point ressuscités. Voici la suite : « Les médecins rappelleront-ils à la vie, afin que lon bénisse votre nom ?» Cest-à-dire, les médecins rendront-ils la vie aux hommes qui vous
1. Ps. LXXXVII, 11. 2.Mat. XXVII, 12. 3. Jean, VI, 38. 4. Is. LXV, 2.
béniront ensuite? On prétend quil en est autrement dans lhébreu, et quau lieu de médecins il y a les géants. Mais les Septante, dont lautorité est si grande, que ce nest pas sans raison que lon croit leur version dictée par lEsprit den haut, à cause de leur accord admirable, ne se sont point trompés ici. lis ont saisi loccasion de la ressemblance qui existe entre les mots hébreux, dont lun signifie médecins, et lautre géants, qui ont presque la même consonnance, et nont quune différence très légère , pour nous montrer comment nous devons entendre les géants. Si cette expression désigne, en effet, ces orgueilleux dont lApôtre a dit: u Où est « le sage? Où est le scribe ? Où est le savant « de ce monde 1?» on a pu avec raison les appeler médecins, comme promettant de guérir les âmes par lart de leur propre sagesse. Cest contre cette prétention que le Prophète a dit : « Le salut vient du Seigneur 2 ». Si nous prenons le mot de géant dans un sens favorable, comme il est appliqué au Seigneur lui-même : « Il a bondi semblable à un géant pour parcourir sa carrière 3 »: en sorte quil soit lui-même le géant des géants, le tort dentre les forts et les grands qui sélèvent dans son Eglise par une force toute spirituelle; de même quil est la montagne des montagnes, puisquil est écrit de lui : « Voilà que dans les derniers jours la montagne du Seigneur apparaîtra, et sélèvera sur le sommet des montagnes »; comme il est encore appelé le Saint des saints : alors il ny a rien détonnant que ces grands et ces forts soient aussi appelés des médecins. De là ce mot de lApôtre saint Paul : « Je tâche de stimuler ma chair ou les Juifs, afin de sauver quelques-uns dentre eux 4 ». Quoique ces médecins ne guérissent point les âmes par eux-mêmes, non plus que les médecins du corps ne le font deux seuls; cependant, par leur fidélité dans leur ministère, ils peuvent aider au salut, soulager les vivants, muais non ressusciter les morts, dont le psaume a dit : «Ferez-vous des merveilles parmi les morts? » La grâce de Dieu qui fait revivre les âmes des hommes, est trop intérieure, pour quelles puissent recevoir de quelques-uns de ses ministres des ordres de salut. Telle est la grâce qui nous est signalée dans lEvangile, en ces termes:
1. I Cor. I, 20. 2. Ps. III, 9. 3. Id. XVIII, 6. 4. Isa. II, 2. 5. Rom. XI, 14.
325
«Nul ne peut venir à moi, si mon Père, qui ma envoyé, ne lattire »; et un peu après, il reprend avec plus de clarté : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie; mais il en est dentre vous qui ne croient point ». Cest après quoi lEvangéliste ajoute : « Jésus savait dès le commencement quels seraient ceux qui ne croiraient point en lui, et celui qui le trahirait ». Et voilà que cet Evangéliste poursuit en citant les paroles du Sauveur: «Et il leur disait: Cest pourquoi je vous lai dit, nul ne peut venir à moi, si ce pouvoir ne lui a été donné de mon Père 1 ». Il avait dit plus haut : « Il en est dentre vous qui ne croient point ». Et comme pour en marquer la cause, il ajoute : « Cest pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, sil ne lui a été donné de mon Père», afin de montrer que cest de Dieu que nous vient cette loi par laquelle on croit, et on fait reprendre au coeur mort une vie nouvelle. Ainsi, quoi que fassent auprès des hommes ces prédicateurs éminents de la parole, ces grands esprits qui vont jusquà opérer des miracles pour persuader la vérité, bien quon puisse les considérer comme dhabiles médecins; si les hommes sont morts, et que votre grâce ne les ressuscite pas, « ferez-vous des miracles en faveur des morts, et les médecins ressusciteront-ils » , et ceux quils ressusciteront, vous confesseront-ils? » Car cette confession est un signe de vie, ainsi quil est écrit ailleurs: «La confession dun mort est comme celle dun homme qui nexiste plus 2 ». 11. « Quelquun dira-t-il votre miséricorde dans le tombeau, et dans la perdition votre vérité 3 ? » On sous-entend le verbe qui précède, comme sil y avait dans ce verset: Quelquun dira-t-il votre vérité dans la perdition ? Car lEcriture, surtout dans les psaumes, aime à joindre la vérité à la miséricorde. Mais « dans la perdition » est la répétition de ce qui a été dit plus haut : « Dans le sépulcre ». Or, dire : « Dans le sépulcre », était dire tous ceux qui sont dans le sépulcre, saque désignait plus haut le nom de morts, ainsi quil est écrit : « Ferez-vous des miracles parmi les morts ? » Pour une âme qui est morte, le corps est en effet un tombeau. Aussi le Seigneur a-t-il dit à ces hommes dans lEvangile : « Vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui à lextérieur paraissent beaux,
1. Jean. VI, 44, 64-66. 2. Eccli. XVII, 26. 3. Ps. LXXXVII, 12.
et qui au dedans sont remplis dossements de morts et de corruption : de même au dehors vous paraissez justes aux hommes; mais au dedans vous êtes remplis dhypocrisie et diniquité 1 ». 12. « Les ténèbres connaîtront-elles vos merveilles, et votre justice paraîtra-t-elle dans la terre de loubli 2? » Ce qui est « dans les ténèbres », est aussi « dans la terre de loubli ». Or, ces ténèbres signifient les infidèles, selon cette parole de lApôtre: « Autrefois en effet vous étiez ténèbres 3 ». Ainsi la terre de loubli nest que lhomme oublié de Dieu. Car lâme infidèle peut arriver à des ténèbres si profondes, que linsensé dise dans son coeur : « Il ny a pas de Dieu 4 ». Voici donc la suite de tout ce qui est dit dans ces versets : « Jai crié vers vous » au milieu des douleurs; « jai élevé mes mains, pendant tout le jour », cest-à-dire je nai cessé détendre mes oeuvres, afin de vous glorifier, ô mon Dieu. Pourquoi cette fureur des impies contre moi, sinon parce que vous ne ferez point de merveilles parmi les morts? cest-à-dire, parce quils ne sont point touchés par la foi, que les médecins ne les ressusciteront point, et namèneront point à vous louer ceux en qui votre grâce nagira point invisiblement, pour les entraîner à la foi ; car nul ne vient à moi, à moins que vous ne lattiriez. « Qui en effet racontera votre miséricorde dans le sépulcre? » cest-à-dire, en parlera à cette âme sans vie, qui gît sous le poids du corps? « Qui dira votre vérité dans la perdition? » cest-à-dire dans cette mort incapable de rien voir et de rien sentir ? Est-ce en effet dans les ténèbres de cette mort, ou dans cet homme, qui a perdu en vous oubliant la lumière de la vie, « que lon pourra connaître vos merveilles et votre justice? » 13. Toutefois on pouvait demander à quoi servent ces morts, et quel usage Dieu en tire pôur le corps du Christ, qui est lEglise. Cest pour montrer par là leffet de la grâce de Dieu dans les prédestinés, qui sont appelés par le décret de la prédestination. Aussi tout le corps des élus dit-il dans un autre psaume: « Il est mon Dieu: sa miséricorde me préviendra: mon Dieu me le fera voir, dans le sort de mes ennemis 5».Aussi le Prophète continue, en disant: « Et moi jai crié vers vous, ô mon
1. Matth. XXIII, 27, 28. 2. Ps. LXXXVII, 13. 3. Ephés. V, 8. 4. Ps. XIII, 1. 5. Id. LVIII, 11, 12.
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Dieu 1 ». Et ici nous devons entendre le Christ, qui parle au nom de son Eglise, ou de son corps mystique. Quest-ce à dire en effet « et moi », sinon que nous avons été, nous aussi, par nature, des enfants de colère, ainsi que les autres 2 ? Mais « jai crié vers vous », afin de recevoir le salut. Qui en effet met une différence entre moi et les enfants de colère, quand jentends ce reproche terrible de lApôtre à tous les ingrats : « Qui est-ce qui met de la différence entre vous ? Quavez-vous que vous nayez pas reçu ? Et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous naviez point reçu 3? » Le salut vient du Seigneur 4. Le géant ne se sauvera point par sa grande force 5; et comme il est écrit « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé 6. Mais comment linvoquer, sils ne croient point en lui ? Comment croire en lui, sils nen ont entendu parler ? Comment en entendre parler, si nul ne leur prêche? Et comment prêcher, si lon nest envoyé 7? Ainsi quil est écrit : Quils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent la paix, qui prêchent les biens 8 ! » Tels sont les médecins qui guérissent le malheureux, blessé par les voleurs; mais cest le Seigneur qui la conduit dans lhôtellerie 9 : car ils ne travaillent que dans le champ du Seigneur. Mais ni celui qui plante nest rien, non plus que celui qui arrose, cest Dieu qui dorme laccroissement 10. Cest pour cela que jai crié vers le Seigneur, ou que jai demandé au Seigneur le salut. Et comment linvoquer, si je neusse cru en lui? Comment croire en lui, si je neusse entendu sa parole ? Mais afin que je crusse à ses paroles, il ma lui-même attiré car ce nest point un médecin quelconque, mais lui-même, qui ma délivré secrètement de la mort de mon âme. Beaucoup ont entendu en effet, puisque le bruit de leurs paroles a retenti dans tout lunivers, et que leurs prédications ont gagné les derniers rivages 11. Mais tous nont la la foi 12 et le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 13. De là vient que je neusse point cru moi-même, si Dieu ne meût prévenu dans sa miséricorde 14, et sil ne meût appelé intérieurement, sil ne meût ressuscité, sil ne meût attiré à lui, en me tirant de mes ténèbres pour mamener
1. Ps. LXXX, 11, 14. 2. Ephés. II, 3. 3. I Cor. IV, 7. 4. Ps. III, 9. 5. Id. XXXII, 16. 6. Joel, II, 32 7. Rom. X, 13-15. 8. Isa. LII, 7. 9. Luc, X, 34. 10. I Cor. III, 7. 11. Ps. XVIII, 5. 12. II Thess. III, 2. 13. II Tim, II, 19. 14. I Cor, I, 28.
à la lumière de la foi, comme il ressuscite les morts, comme il appelle ce qui nest pas aussi bien que ce qui est. Cest pourquoi il dit ensuite : « Et au matin ma prière vous préviendra». Au matin, quand la nuit sera dissipée, ainsi que les ténèbres de linfidélité. Mais pour que jarrive à ce matin, cest votre miséricorde qui ma prévenu : or, il me reste une dernière lumière, qui doit illuminer les ténèbres les plus profondes, manifester les pensées des coeurs, afin que chacun reçoive de vous la louange, ô mou Dieu 1 : maintenant dans cette vie, dans ce pèlerinage, dans cette lumière de la foi, qui est un jour en comparaison des ténèbres de linfidélité, mais qui nest que la nuit en comparaison de ce jour où nous vous verrons face à face; maintenant « ma prière vous préviendra». 14. Mais afin que cette prière soit fervente et de plus en plus vive, ce qui nous est utile, selon moi, au-delà de tout ce que lon peut dire : Dieu diffère le bien quil doit nous donner pour léternité, et laisse nos voeux se multiplier. Aussi le psaume dit-il aussitôt: « Pourquoi, Seigneur, repousser ma prière 2? » Cest ce qui est déjà dit ailleurs: «O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 3 ? » Il demande seulement à connaître cette raison, sans accuser la divine sagesse dagir sans motif : de même ici: « Pourquoi, ô Dieu, avez-vous repoussé ma prière? » Et cependant, avec un peu dattention, nous trouvons que cette cause est indiquée dans ce qui précède. Car Dieu ne diffère dexaucer les prières des saints, en éloignant deux le bien quils désirent, et en les éprouvant par la tribulation, que pour attiser cette prière, comme on attise le feu sous le souffle qui résiste. 15. Linterlocuteur parcourt brièvement les douleurs quendure ici-bas le corps du Christ. Car ce nest point le chef seul qui souffert, puisquil a dit à Saul : « Pourquoi me persécutez-vous 4? » et que Paul, déjà choisi et placé parmi les membres du même corps, sécrie: « Quil achève en son corps ce qui manque à la passion du Christ 5. Pourquoi donc, ô mon Dieu,avez-vous rejeté ma prière, et détourné de moi votre visage? Je suis pauvre et dans le travail depuis ma
1. I Cor. IV, 5. 2. Ps. LXXXVII, 15 3. Id. XXI, 2. 4. Act. IX, 4. 5. Coloss. I, 24.
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jeunesse. Je nai été élevé que pour tomber dans lhumiliation et dans le trouble. Sur moi ont passé vos colères, et vos terreurs mont accablé. Elles mont environné tout le jour comme leau, elles mont environné toutes ensemble. La misère dont vous mavez frappé, a éloigné de moi mes amis et mes proches 1 ». Tout cela est arrivé, tout cela arrive encore aux membres du corps mystique de Jésus-Christ. Dieu a détourné deux sa face, en ne les exauçant point dans ce quils désiraient, quand ils ne savaient point ce qui leur était utile. Toute lEglise est pauvre; elle a faim, et dans son exil elle soupire après ce qui peut la rassasier dans la patrie, Elle est dans les travaux depuis sa jeunesse, car cest le corps du Christ qui sécrie dans un autre psaume : « Ils mont souvent attaqué dès ma jeunesse 2 ». Et si quelques-uns de ses membres sont élevés dès cette vie, cest afin quils en deviennent plus humbles. La colère de Dieu a passé aussi dans tout le corps du Christ, cest-à-dire dans lunité des saints et des fidèles, qui ont le Christ pour chef, mais elle ny demeure point. Car ce nest point du fidèle, mais de linfidèle, quil est dit : « La colère de Dieu demeure sur lui ». Les terreurs de Dieu épouvantent les chrétiens failles; car il est sage de craindre ce qui peut arriver, quand même il narriverait pas effectivement, Ces terreurs néanmoins troublent quelquefois lesprit qui voit les maux dont il est menacé, au point que ses maux paraissent lenvironner de toutes parts et le cerner comme une inondation. Et commue ces afflictions ne manquent jamais à lEghise exilée en
1. Ps. LXXXVII, 16-19. 2. Id. CXXVIII, 1. 3. Jean, III, 36.
en ce monde, puisquils assiégent tantôt lun et tantôt lautre de ses membres ; le Prophète a dit : « Tout le jour», pour désigner une douleur continuelle, et qui durera jusquà la fin des siècles, Souvent encore tes amis et les proches, frappés de terreur à la vue de tant de tribulations dont ils sont menacés, abandonnent les saints ; cest deux que saint Paul a dit: « Tous mont abandonné, que Dieu ne le leur impute point 1 ». Mais à quoi bon tout cela, sinon pour que la prière de ce saint corps sélève devant Dieu dès le matin, cest-à-dire après la nuit de linfidélité, jusquà ce que vienne enfin ce salut dont lespérance fait que nous sommes déjà sauvés, et que nous en attendions la réalité avec patience 2? Cest là que Dieu ne repoussera point notre prière, parce que nous naurons rien à demander, mais que nous obtiendrons tout ce qui a été demandé; là quil ne détournera point de nous sa face, puisque nous le verrons tel quil est 3; là quil ny aura aucune pauvreté, puisque Dieu sera notre abondance, et tout à tous 4 : là quil ny aura plus aucune fatigue, parce quil ny aura point dinfirmité; là quil ny aura ni trouble, ni abaissement, parce quil ny aura aucune adversité; là que nous ne subirons plus le passage des colères de Dieu, parce que nous demeurerons affermis dans sa bonté; là que nulle terreur ne viendra nous troubler, parce que laccomplissement des promesses nous établira dans la félicité; là que nul ami, nul de nos proches ne nous délaissera dans sa frayeur, parce que nous naurons à craindre aucun ennemi.
1. II Tim. IV, 16. 2. Rom. VIII, 24, 25. 3. I Jean, III, 2. 4. I Cor. XV, 28.
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