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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXIII.ENCORE LES PRESSOIRS DE LÉGLISE.
Ces pressoirs désignent la vie daffliction. Lolive et le raisin sont en paix sur larbre; ainsi lhomme avant dentrer au service de Dieu. Mais dès que nous y entrons, il faut nous dépouiller du vieil homme, comme le raisin du marc. Les fils de Coré sont les fils du Calvaire ou les chrétiens. Dieu donc nous met sous le pressoir afin de nous forcer k porter nos désirs au ciel. Se détacher des richesses de cette vie, cest être pauvre; on est, riche et condamnable quand on les désire, même sans les posséder. Au désir du vrai pauvre Dieu se donnera lui-même. Mais alors au lieu de regarder en arrière, jetons-nous en avant : nous serions plus coupables de chercher notre joie dans cette vie passée; dans le vieil homme dont nous avons dû nous dépouiller. Cest donc lEglise qui aspire aux demeures célestes, qui na ici-bas dautre joie que dans lespérance. Son coeur et sa chair tressaillent, celui-là par de saints désirs, celle-ci par les oeuvres extérieures. Cest la tourterelle qui cherche un nid, et ce nid est lEglise qui a la vraie foi, et qui nous sauve par nos oeuvres. Le Prophète nous porte par les aspirations dans la maison du Seigneur, où nous posséderons Dieu lui-même, ne faisant rien par contrainte, mais bénissant Dieu par amour. Cest là que doit nous conduire la grâce, et plus vif sera notre désir, plus haute sera notre ascension, dont les degrés sont dans notre coeur. La loi montrait le péché sans le guérir, leau de la piscine ne guérissait quun seul malade quand elle se troublait; ce trouble est limage de la passion qui nous a guéris par la grâce, et le grâce nous conduira des vertus de cette vie à la vérité unique ou à Dieu, que nous verrons et vers qui nous élèvera lhumilité.
1. Le titre du psaume est « Pour les pressoirs 1 ». Et néanmoins, autant que votre charité a pu le remarquer avec nous, car je vous voyais écouter avec la plus vive attention, il nest question dans le texte, ni de presse, ni de corbeille, ni de cuve, ni des instruments, ni même de la construction dun pressoir; nous ny avons rien vu de tout cela. Aussi nest-il point aisé de voir ce que signifie ce titre : « Pour les pressoirs ». Mais assurément, si après un titre semblable, il était question de tout ce que nous venons dénumérer, les hommes charnels simagineraient quil sagit de pressoirs visibles : or, comme après ce titre : « Pour les pressoirs », il nest plus question dans aucun verset de tout ce que nos yeux découvrent dans un pressoir, il nest plus douteux que lEsprit de Dieu ne nous invite à chercher et à comprendre dautres pressoirs. Rappelons donc à notre mémoire ce qui se fait visiblement dans les pressoirs, afin den voir la réalisation dans lEglise dune manière spirituelle. La grappe de raisin pend à la vigne, et lolive à lolivier, car cest à ces deux fruits quest réservé le pressoir et pendant que ces fruits sont à larbre, ils jouissent dun certain air libre; et avant le pressoir le raisin nest pas du vin, lolive nest pas de lhuile. Ainsi en est-il des hommes, que Dieu avant tous les siècles a prédestinés à devenir 1. Ps. LXXXIII, 1.
conformes à limage de son Fils unique 1, de cette grappe dune admirable beauté foulée sous le pressoir de la passion. Ces hommes donc, avant dentrer au service de Dieu, jouissent en cette vie comme dune délicieuse liberté, ainsi que les raisins ou les olives suspendus aux branches. Mais comme il est dit . « Mon fils, lorsque vous entrerez au service de Dieu, demeurez ferme dans la justice et dans la crainte; et préparez votre âme à la tentation 2 » : tout homme qui se consacre au service de Dieu doit savoir quil arrive au dressoir; il sera foulé, pressé, broyé ; non pour périr en cette vie, mais pour coulerdans les urnes du Seigneur. Il est dépouillé de ces enveloppes des charnelles convoitises, comme le vin est séparé du marc: alors saccomplit en lui à légard des terrestres désirs cette recommandation de lApôtre: « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de lhomme nouveau 3». Mais cela ne saccomplit totalement que dans le pressoir. Aussi donne-t-on le nom de pressoir à lEglise de Dieu sur la terre. 2. Mais qui sommes-nous dans ces pressoirs? Les fils de Coré. Car le Prophète ajoute : « Pour les pressoirs, aux fils de Coré ». Les fils de Coré se traduisent par les fils du chauve, autant que peuvent nous le dire ceux qui sont habiles dans cette langue, et qui ont voulu consacrer à Dieu leur
1. Rom. VIII, 29. 2. Eccli. II, 1. 3. Coloss. III, 9, 10.
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ministère qui dailleurs lui était dû : et je ne veux point échapper à la tâche de chercher avec vous et, avec le secours de Dieu, de trouver ici un grand mystère. Gardons-nous de railler tout homme chauve, avec les fils de pestilence; de peur quen raillant un certain chauve offert à notre respect, nous ne devenions la proie du démon. Elisée voyageait, et des enfants imprudents crièrent derrière lui : « Chauve, chauve » : et lui, pour nous donner un symbole de lavenir, se tourna vers le Seigneur, et demanda que des ours sortissent de la forêt voisine pour les dévorer 1. Tout jeunes quils étaient, ils perdirent la vie du temps; ils moururent dans lenfance, eux qui seraient morts dans la vieillesse; et leur trépas devint pour les hommes un symbole effrayant. Car alors Elisée figurait celui dont nous sommes les enfants, nous, fils de Coré, ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Votre charité doit voir dans lEvangile pourquoi un homme chauve figurait le Christ, et se rappeler quil fut crucifié au Calvaire 2. Soit donc que cette expression « aux fils de Coré », ait cette signification que nous lui avons donnée daprès les anciens; soit quelle en ait une autre qui nous échappe : voyez au moins dans ce qui se présente maintenant un rapport plein de mystères. Les fils de Coré sont les fils du Christ. Car lEpoux nous appelle ses enfants, quand il dit: « Les fils de lEpoux ne peuvent jeûner, quand lEpoux est avec eux 3». Ces pressoirs donc, sont les pressoirs des chrétiens. 3. Or, Dieu nous met sous le pressoir et nous foule, afin que cet amour qui nous porte vers les biens du monde, biens terrestres, fugitifs et périssables, ait à souffrir dans ces mêmes biens, au milieu des misères qui nous accablent et des tribulations sans nombre, et afin que nous commencions à chercher ce repos, qui nest ni en cette vie, ni en cette terre. Alors, comme il est écrit, le Seigneur devient le refuge du pauvre 4». Quest-ce à dire « le pauvre? » Celui qui est dénué de tout secours, sans appui, sans-assistance , sans rien qui soutienne ses présomptions. Cest à ces pauvres que Dieu vient en aide. Quelles que soient en effet leurs richesses ici-bas , ces hommes sinclinent devant cette parole de lApôtre : « Ordonnez
1. IV Rois, II, 23, 24. 2. Matth. XXVII, 33. 3. Id. XXVII, 15. 4. Ps. IX, 10.
aux riches de ce monde de nêtre « point orgueilleux, et de ne pas mettre leur confiance en des biens sans consistance 1». Puis considérant combien est incertain ce qui leur causait de la joie, avant quils entrassent au service de Dieu, cest-à-dire avant quils fussent sous les pressoirs, ils comprennent ou que ces richesses leur sont une cause de tourments, pour les gouverner avec prudence, pour les garder avec sûreté, ou sils ont eu pour elles quelque inclination, ils y ont trouvé plus de crainte que de vraie joie. Quoi de plus incertain quun bien avec cette inconstance? Ce nest point sans raison que lon a donné à la monnaie une forme arrondie, parce quelle nest point stable. Ces hommes, quels que soient leurs biens, sont néanmoins pauvres. Ceux qui ne possèdent rien, mais qui désirent posséder, sont au nombre des riches que Dieu doit condamner. Car Dieu nenvisage point la possession, mais la volonté. Que ces pauvres donc, privés de tout bien terrestre, et qui en comprendraient linstabilité, sils les possédaient, qui gémis. sent devant Dieu, qui nont rien ici-bas qui leur plaise et les attache, qui sont dans les peines et dans les épreuves comme sous un pressoir, quils fassent couler une huile pure, un vin généreux. Quel est ce vin et cette huile, sinon les saints désirs? Dans leur détachement de la terre, ils nont plus rien à désirer que Dieu. Car ils aiment celui qui a fait le ciel et la terre. Ils laiment sans être encore avec lui. Dieu se refuse à leur désir, afin de laccroître; et il saccroît afin de pouvoir enfin posséder Dieu. Ce qui doit combler ce désir nest pas un bien médiocre, et on doit être exercé pour sélever à la hauteur dun si grand bien. Ce que Dieu doit donner, nest point une de ses créatures, mais lui-même qui a tout créé. Exerce-toi, ô chrétien, à posséder Dieu; désire longtemps ce que tu dois avoir toujours. Dieu condamna ceux des Israélites qui se hâtaient trop : partout lEcriture condamne la précipitation de ceux qui ne savent attendre. Quels sont, en effet, ces impatients? Ceux qui sétant tournés vers Dieu, parce quils ne trouvaient ici. bas ni le repos quils cherchaient, ni les joies quils se promettaient, manquent de courage au milieu du chemin, regardent comme trop long ce quil leur reste à vivre ici-bas, et
1. I Tim. VI, 17.
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cherchent en cette vie un repos trompeur même quand on lobtient. Ils tournent la tête en arrière, ils quittent leurs résolutions sant considérer cette parole effrayante : « Souvenez-vous de lépouse de Loth 1 ». Pourquoi est-elle devenue une statue de sel 2, sinon afin dêtre le condiment des hommes, et de les amener à la sagesse? Son exemple pernicieux te deviendra salutaire, si tu évites sa faute. Souvenez-vous, est-il dit, de la femme de Loth. Elle regarda en arrière cette Sodome dont elle était délivrée, elle demeura à lendroit où elle avait tourné la tête; elle doit y demeurer afin de servir de leçon à tous ceux qui passeront en ces lieux. Donc une fois délivrée de cette Sodome, de notre vie passée, ne regardons plus en arrière. Car, se hâter, cest ne point regarder les promesses de Dieu qui nous paraissent éloignées, cest envisager ce qui est proche, et dont nous avons été délivrés. Qua dit saint Pierre à propos de ces hommes? « Il leur est arrivé ce qua dit un proverbe très-véritable : Le chien retourne à son vomissement 3 ». Ta conscience était sous le poids de ses crimes, 1e pardon te les a en quelque sorte fait vomir, et a ainsi soulagé ta poitrine; une mauvaise conscience est devenue une bonne conscience; pourquoi retourner à ton vomissement? Si tu as en horreur le chien qui agit de la sorte, que seras-tu devant Dieu? 4. Chacun de nous retourne en arrière, mes frères bien-aimés, retourne en arrière, quand il abandonne lendroit de la route où il sétait avancé, selon sa promesse au Seigneur. Tel, par exemple, a fait voeu de garder la chasteté conjugale, car tel est le premier pas de la vie pieuse; il a renoncé à la fornication et aux criminelles impuretés; mais pour lui, retourner à la fornication, cest regarder en arrière. Un autre, inspiré par Dieu, a fait un voeu plus généreux encore, il a renoncé au mariage; il pouvait se marier sans se perdre, mais il se perd sil se marie contre son voeu; il fait ce que font dautres qui nont émis aucun voeu, et cependant il se damne, tandis que les autres ne se damnent point. Pourquoi, sinon parce quil a regardé en arrière? Il était en avant de beaucoup, et les autres étaient loin de latteindre. Ainsi une vierge, qui eût pu se marier sans péché 4, devient
1. Luc, XVII, 32. 2. Gen. XIX, 26. 3. II Pierre, II, 22. 4. I Cor. VII, 28.
adultère du Christ, si elle se marie après lui avoir été consacrée. Car du lieu où cite était parvenue, elle a regardé en arrière. Il en est ainsi de tous ceux qui ont voulu renoncer àtoute espérance du siècle, à foute action terrestre, pour entrer dans la compagnie des saints, y vivre en commun, de manière à navoir plus rien en propre, où tous les biens sont communs à tous, où tous nont plus en Dieu quun seul coeur et quune seule âme 1; quiconque renonce à cette vie, nest pins au niveau de celui qui ne lavait pas embrassée. Celui-ci ny était pas entré, celui-là regarde en arrière. Donc, mes frères, autant quil vous est possible, faites des voeux au Seigneur, et accomplissez-les, chacun selon votre pouvoir 2; que nul ne regarde en arrière, ne trouve sa joie dans sa vie passée, ne se détourne de ce qui est en avant, pour retourner à ce quil a quitté. Quil hâte sa course jusquà ce quil soit arrivé; ce ne sont point nos pieds qui se hâtent, mais lardeur de nos désirs. Que nul, tant quil est en cette vie, ne dise quil est arrivé. Qui peut se flatter dêtre aussi parfait que saint Paul? Et pourtant il a dit « Mes frères, je ne pense pas encore être arrivé au but; tout ce que je sais, cest que, oubliant tout ce qui est derrière moi, je mavance vers ce qui est avant moi, pour atteindre le but et la palme à laquelle Dieu ma appelé den haut, en Jésus-Christ 3 ». Voilà Paul qui court encore, et toi, tu te croirais arrivé? 5. Si donc au sein même de ta félicité, tu ressens les afflictions de cette vie, tu comprends que tu es sous les pressoirs. Pensez-vous en effet, mes frères, navoir à craindre que le malheur en ce monde, et non point la félicité? Au contraire, le malheur ne peut abattre celui que la félicité na pu corrompre. Comment donc éviter et craindre suffisamment cette prospérité corruptrice, pour te dérober aux séductions de ses attraits? Cest en ne tappuyant pas sur ce bâton qui nest quun roseau; car lEcriture nous dit que plusieurs prennent un roseau pour appui. Ny mets point ta confiance 4, cet appui est fragile, il se brise et te donne la mort. Si donc le monde a pour toi des félicités souriantes, songe que tu es -sous le pressoir, et dis : « Jai rencontré la tribulation et la douleur,
1. Act. II, 44 ; IV, 32. 3. Ps. LXXV, 12. 4. Philipp. III, 13, 14. 5. IV Rois, XVIII, 21.
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et jai invoqué le nom du Seigneur 1». Le Prophète ne dit point: « Jai rencontré la tribulation », sans avoir éprouvé quelque malheur secret. Car il est en cette vie une certaine tribulation qui atteint ceux qui se croient heureux, alors quils sont loin de Dieu. « Tant que nous sommes en ce corps, nous habitons hors du Seigneur 2 », dit saint Paul. Tu serais malheureux dêtre séparé de ton père, et il nest quun homme; et loin de Dieu tu peux être heureux? Il en est donc qui se croient heureux ici-bas. Mais ceux qui comprennent que, même au sein des voluptés et des richesses, quelque grandes quelles soient, bien que tout réponde à nos désirs, bien quon ne rencontre rien de fâcheux, quon nait rien daffligeant à redouter, on nen est pas moins dans la misère, dès quon est loin de Dieu, ont loeil assez clairvoyant pour découvrir la douleur et la tribulation, et pour en appeler au nom du Seigneur. Tel est celui qui chante dans notre psaume. Quel est-il? Cest le corps du Christ. Quel est cet homme? Vous, si vous le voulez; nous tous, si nous le voulons; nous, les fils de Coré, qui ne formons quun seul homme, puisquil ny a quun seul corps du Christ. Comment ne serait-il point un seul homme, celui qui na quune seule tête? Or, Jésus-Christ est notre chef à tous, et nous formons tons le corps de ce chef divin; et tous en cette vie nous sommes sous les pressoirs. Oui, nous y sommes , à juger sainement des choses. Donc sous le pressoir de la tentation, élevons nos voix avec le Prophète, portons nos désirs jusquau ciel. « Que vos tabernacles sont aimables, Seigneur Dieu des armées 3. » Le Psalmiste était alors dans un certain tabernacle, ou sous le pressoir, mais il soupirait après ces autres tabernacles, doù toute pression est bannie. Des tabernacles de la terre, il soupirait après ceux du ciel, et voulait en quelque sorte y arriver par le canal de ses désirs. 6. Que dit ensuite le Prophète? « Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli de désir 4 ». Cest peu des langueurs de son âme, peu de ses défaillances; où vient-elle à défaillir? « Dans les parvis du Seigneur ». Le raisin disparaît quand on le presse ; mais, où a-t-il disparu? Cest un vin qui a coulé dans la cuve, dans le repos du cellier, pour
1. Ps. CXIV, 3, 4. 2. II Cor. V, 6. 3. Ps. LXXXIII, 2. 4. Id, 3.
être gardé dans une paix profonde. Ici le désir, au ciel la jouissance; ici les aspirations, au ciel la joie; ici la prière , au ciel la louange; ici les gémissements, au ciel lallégresse. Que nul ne regarde mes paroles comme trop dures, que nul ne refuse de souffrir. Craignons que le raisin qui redoute le pressoir ne devienne la proie des bêtes ou des oiseaux. Une grande tristesse apparaît dans ces paroles du Prophète: « Mon âme aspire aux parvis du Seigneur, elle a défailli de désir » ; car il na point ce quil désire si vivement. Mais est-il donc sans aucune joie? Quelle joie? cette joie dont lApôtre a dit: « Réjouissons-nous dans lespérance ». Ici-bas cest lespérance, dans le ciel ce sera la joie de la réalité. Mais comme ceux qui ont la joie de lespérance sont assurés de la réalité, ils endurent dans le pressoir tous les tourments. Aussi lApôtre, après avoir dit : « Réjouissez-vous dans lespérance », a-t-il ajouté aussitôt : « Soyez patients dans la tribulation »; et après la patience dans la tribulation, que dit-il encore? « Persévérez dans la prière ». Pourquoi « persévérer?» Parce que vous souffrez du retard. Vous priez, et Dieu tarde à vous exaucer, souffrez ces retards. Trouvons bon que Dieu diffère, car une fois que nous aurons notre récompense, nul ne nous lôtera. 7. Tu las entendu gémir sur le pressoir: « Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli » : vois, maintenant, cette joie de lespérance qui le soutient : « Mon coeur et ma chair ont tressailli vers le Dieu vivant». Ici-bas ils ont tressailli pour le ciel. Doù vient cette allégresse, sinon de lespérance? Pour qui tressaillir ? « Pour le Dieu vivant ». Quest-ce qui tressaille en vous, ô Prophète? « Mon coeur et ma chair ». Pourquoi ce tressaillement? cest que « le passereau a trouvé « une demeure pour lui, comme la tourterelle « un nid, où elle placera ses petits 2 ». Quest-ce à dire? Deux objets tressaillent, selon lui, et dans la comparaison il montre encore deux oiseaux; cest son coeur qui tressaille ainsi que sa chair, double objet quil nous ramène dans le passereau et dans la tourterelle; le passereau serait limage de son coeur, et la tourterelle de sa chair. Le passereau a trouvé une demeure pour lui, mon coeur a trouvé un abri. Il exerce ici-bas ses ailes, dans les vertus
1. Rom. XII, 12. 2. Ps. LXXXIII, 4.
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de cette vie, dans la foi, dans lespérance et dans la charité, pour sélever ensuite dans sa maison; et quand il y sera arrivé, il y demeurera, et alors il naura plus cette voix plaintive quil a sur la terre. Car il se plaint, ce passereau dont le Prophète a dit ailleurs : «Comme le passereau solitaire sur un toit 1 ». Du toit il vole vers son asile; quil soit sur le toit, quil foule aux pieds cette maison charnelle, il aura dans le ciel une maison pour léternité ; et alors finiront ses plaintes. La tourterelle, selon le Prophète, a des petits, cest-à-dire une chair. « La tourterelle a trouvé un nid pour y mettre ses petits». Au passereau une demeure, à la tourterelle un nid, et un nid où elle déposera ses petits. Dans une maison on demeure toujours; dans un nid, pendant un temps. Notre coeur sélève à Dieu par la pensée, comme le passereau qui vole vers sa demeure de notre chair viennent les bonnes oeuvres. Voyez, en effet, pour quelle part entre la chair dans les bonnes oeuvres des saints. Cest par elle que nous accomplissons les oeuvres qui nous sont prescrites, et soulagent en cette vie : « Partage ton pain avec celui qui a faim, reçois sous ton toit le pauvre sans asile, et si tu vois un homme nu, couvre-le 2 » : ainsi des autres préceptes que nous naccomplissons quau moyen du corps. Ce passereau, dès lors, qui songe à sa demeure, se tient uni à la tourterelle qui se cherche un nid où elle placera ses petits; car elle ne les place pas dune manière indifférente, mais elle cherche un nid pour les placer. Mes frères, vous comprenez mes paroles: combien en est-il hors de lEglise qui paraissent faire de bonnes oeuvres: combien parmi les païens nourrissent laffamé, revêtent celui qui est nu, reçoivent létranger, visitent le malade, consolent le prisonnier? Combien font toutes ces oeuvres? Cest la tourterelle qui devient mère, mais qui ne trouve point de nid pour ses petits. Combien dhérétiques qui font de bonnes oeuvres en dehors de lEglise, nont point de nid pour leur couvée? Ils seront écrasés, foulés aux pieds; on nen prendra aucun soin, ils périront. Cest de cette chair qui produit, que saint Paul a dit en figure : «Adam ne fut point séduit, mais la femme fut séduite 3 ». Adam accéda aux désirs de la femme quavait séduite le serpent 4. Et maintenant une pensée déréglée ne saurait tout
1. Ps. CI, 8. 2. Isa. LVIII, 7. 3. I Tim. II, 14. 4. Gen. III, 6.
dabord que stimuler vos désirs; que votre âme y consente, et le passereau tombe: mais si vous surmontez les désirs de la chair, vos membres sont astreints aux bonnes oeuvres, et la concupiscence est désarmée; et la tourterelle voit éclore ses petits. Aussi que dit lApôtre au même endroit? « Elle sera sauvée par les enfants quelle mettra au monde 1». Une veuve sans enfants ne serait-elle point plus heureuse de persévérer dans cet état 2? ne serait-elle pas sauvée parce quelle naurait point eu denfants? Une vierge, consacrée à Dieu, nest-elle point plus parfaite? ne sera-t-elle point sauvée parce quelle naura point eu denfants? nest-elle point le partage du Seigneur? Ainsi donc une femme, qui est ici la figure de la chair, sera sauvée par les enfants quelle mettra au monde, cest-à-dire par ses bonnes oeuvres. Mais que la tourterelle ne choisisse pas indifféremment le nid où elle déposera ses petits ; quelle nenfante ses bonnes oeuvres que dans la véritable foi, que dans la foi catholique, dans la société, dans lunité de lEglise. Aussi lApôtre, après avoir dit : « Elle sera sauvée par les fils quelle mettra au monde », a-t-il ajouté : « Si elle demeure dans la foi, dans la charité, dans la sainteté, et dans une vie de tempérance 3». Si donc tu demeures dans la foi, cette foi sera le nid où reposeront tes petits. Dieu même, pour saccommoder à la faiblesse des petits de votre tourterelle, a daigné vous préparer un endroit pour votre nid : il sest. revêtu de votre chair, qui est une herbe, afin de venir à vous. Cest dans cette croyance quil faut mettre vos petits, dans ce nid quil faut faire vos bonnes oeuvres. Quels sont ces, nids, ou plutôt quel est ce nid? Le Prophète répond : « Vos autels, ô Dieu des vertus ». Et après avoir dit: « La tourterelle a trouvé un nid où elle déposera ses petits » ; comme si tu demandais: Quel nid? « Vos autels », dit le Prophète, «vos autels, ô Dieu des vertus, ô mon Dieu, ô mon Roi ». Quest-ce à dire, « ô mon Roi, ô mon Dieu? » Vous qui me gouvernez, qui mavez créé. 8. Mais cest ici-bas quest le nid, ici-bas le pèlerinage, ici-bas les soupirs, ici-bas laccablement, ici-bas laffliction, parce que ici-bas cest le pressoir. Que veut donc la tourterelle? Où tendent ses affections ? Où veut-elle porter nos désirs ? élever nos voeux? Voilà ce
1. I Tim. II, 15. 2. I Cor. VII, 40. 3. I Tim. II, 15.
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que médite ici-bas le Prophète, au milieu des tentations, au milieu des maux qui laccablent; et se trouvant comme sous le pressoir, il soupire après les promesses éternelles, il médite les joies du ciel, et sentretient de ce quil y fera un jour. « Bienheureux », dit-il, « ceux qui habitent dans votre maison 1». Doù leur viendra ce bonheur? que feront-ils ? que posséderont-ils ? Tous ceux que lon appelle heureux sur la terre font quelque chose, possèdent quelque chose. Bienheureux cet homme qui a tant de domaines, tant de serviteurs, tant dor et tant dargent; on lappelle heureux à cause de ses possessions. Cet autre est heureux aussi, il a obtenu tels honneurs, il est proconsul, préfet; on le dit heureux à cause de ses emplois. Cest donc lemploi, cest la richesse qui nous fait paraître heureux. Mais dans le ciel, doù viendra notre bonheur ? Que posséderons-nous ? Que ferons-nous? Ce que nous posséderons, je lai dit, tout à lheure : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison». Tu nes point riche, si tu nas que ta maison, mais cest être riche que posséder la maison de Dieu. Dans ta maison, lite faut craindre les voleurs, le mur de la maison de Dieu, est Dieu lui-même. « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Ils possèdent la Jérusalem céleste sans angoisse, sans chagrin, sans division et sans partage tous la possèdent et chacun la possède en totalité. Immenses richesses que celles du ciel ! Le frère ny resserre point son frère, nul ny souffre lindigence. Que ferons-nous donc dans ce palais? Car cest la nécessité qui est la mère de toutes nos actions. Je vous lai déjà dit en un mot, mes frères : examinez toutes nos actions et voyez si ce nest la nécessité qui en est le principe. Voyez ces arts si nobles qui sont pour nous dun grand secours, léloquence du barreau, la science de la médecine, ils sexercent ici-bas par des actes excellents; mais quil ny ait plus de procès, et de quoi serviront les avocats? quil ny ait ni blessure, ni maladie, à quoi bon le médecin? Tous les actes qui sont nécessaires, et qui se font dans la vie quotidienne, ont aussi pour principe la nécessité. Labourer, semer, défricher, naviguer, quelle est la cause de ces travaux, sinon la nécessité? Que lhomme nait jdus faim, nait plus soif, ne soit pas nu, à quoi bon tout
1. Ps. LXXXIII, 5.
cela? Cette vérité sétend même aux actions de charité que lon nous commande; car jusquici je nai parlé que des occupations honnêtes, communes à tous les hommes, et non de ces oeuvres criminelles, oeuvres détestables, comme les homicides, les adultères, les larcins et ces crimes énormes que je ne comprends point dans les actions des hommes: je me borne donc aux actes honnêtes, qui nont de principe que la nécessité, cette nécessité qui nous vient de la faiblesse de la chair. Ces oeuvres même de charité qui nous sont commandées, supposent la nécessité: « Donne du pain à celui qui a faim»; à qui en donneras-tu, si nul na besoin? «Reçois dans ta maison celui qui est sans asile 1 » ; quel étranger recevras-tu, si tous sont heureux dans leur patrie? Quel malade pourras-tu visiter, si chacun jouit dune santé inaltérable? Quelle querelle devras-tu apaiser dans une paix profonde? Quel mort à ensevelir quand la vie est sans fin ? Tu nauras donc plus à faire dans le ciel, ni ces oeuvres honnêtes communes à tous les hommes, ni ces oeuvres dc charité : les petits de la tourterelle auront déjà volé hors de leur nid. Que feras-tu donc? Tu nous a déjà fait voir ce que nous posséderons: « Bienheureux ceux qui habitent dans « votre maison u - Dis-nous donc, ô Prophète, nos occupations, car il ny a dans le ciel aucune nécessité pour nous faire agir. Maintenant même, cest la nécessité qui me force à parler, à instruire. Faudra-t-il encore dans le ciel cette instruction qui instruise les ignorants, ou qui stimule les mémoires oublieuses ? Lira-t-on lEvangile dans cette patrie où nous contemplerons le Verbe de Dieu? Après nous avoir dit par ses soupirs et ses gémissements en notre nom, ce que nous posséderons dans cette patrie après laquelle nous soupirons : « Bienheureux ceux qui habitent dans a votre maison ; que le Prophète nous dise aussi ce que nous devons y faire. Ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Telle sera donc notre occupation, un alléluia sans fin. Gardez-vous de croire, mes frères, quil y aura là quelque dégoût pour vous : mainte. nant ce chant de joie vous fatigue, pour peu que vous le prolongiez, et la nécessité vous force de linterrompre. Et comme ce que lon ne voit pas est moins touchant, si néanmoins, sous le pressoir, et dans la fragilité de la chair,
1. Isa. LVIII, 7.
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nous bénissons avec tant dallégresse ce que nous montre la foi, que sera-ce quand nous verrons à découvert? Quand la mort sera absorbée dans sa victoire, quand notre corps mortel sera revêtu dimmortalité, et ce qui est corruptible devenu incorruptible 1, nul ne dira: Jai été debout longtemps, non plus que: Jai jeûné longtemps, veillé longtemps. Cest là que règne la stabilité parfaite, et que notre corps, devenu immortel, sera absorbé dans la contemplation de Dieu. Et si pour nous écouter, cette chair si fragile se tient debout si longtemps, quels effets ne produira point sur nous la joie du ciel ? Quel changement nopérera-t-elle pas? Nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel quil est 2. Une fois semblables à Dieu, pourrions-nous éprouver la défaillance, ou nous détourner de lui? Soyons sans crainte, mes frères, nous néprouverons aucune lassitude à louer Dieu, à aimer Dieu. Nous cesserions de le louer, si nous cessions de laimer; mais si lamour doit être éternel en nous, puisquon ne pourra se rassasier de contempler cette beauté, ne crains point alors de ne pouvoir toujours bénir celui que tu pourras toujours aimer. « Bienheureux donc ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Puissions-nous soupirer après cette vie! 9. Mais comment y arriver? « Bienheureux lhomme dont vous prenez la tutelle, ô mon Dieu 3 !» Le Prophète a compris quen cette vie la fragilité de notre chair nous empêche de voler au séjour du bonheur; il a considéré ce qui nous pèse; car « le corps qui est corruptible appesantit lâme», est-il dit ailleurs, « et cette demeure terrestre ralentit lesprit malgré la vivacité de ses pensées 4». Lesprit tend à sélever, et la chair, à cause de son poids, à sabaisser : ces deux mouvements établissent une lutte; et ce combat est une peine du pressoir. Ecoute lApôtre nous peindre cette pression qui vient de la lutte; car, lui aussi, en sentait le poids, en sentait loppression : « Selon lhomme intérieur, je trouve des charmes dans la loi de Dieu; mais je sens dans mes membres une autre loi, qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché, qui est dans mes membres ». Combat douloureux, mes frères, et quelle espérance den
1. I Cor. XV, 53, 54. 2. I Jean, III, 2. 3. Ps. LXXXIII, 6. 4. Sag. IX, 15.
sortir, sans le secours dont il nous parle ensuite : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu, par Notre-Seigneur Jésus-Christ 1 ». Voici donc les joies qua vues notre interlocuteur, quil a méditées dans son esprit : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Mais qui pourra sy élever? que deviendra ce poids de la chair? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles. En moi lhomme intérieur trouve des charmes dans la loi de Dieu ». Mais que faire? Comment prendre mon vol? Comment parvenir à ces hauteurs? « Je sens dans mes membres une loi qui est contraire à celle de lesprit ». Il déplore son malheur, et il sécrie : « Qui me délivrera du corps de cette mort », afin que jhabite la maison du Seigneur, pour le bénir dans les siècles des siècles? « Qui me délivrera? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Ainsi dune part, lApôtre ne trouve de remède à cet embarras, à cette lutte en quelque sorte inextricable que dans « la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur»; dautre part, le Prophète, soupirant après la maison de Dieu dans lardeur de ses désirs, mais considérant et le poids de sa chair, et lembarras du corps, semble se laisser abattre, puis reprenant lespérance, il sécrie : « Bienheureux lhomme dont vous prenez la tutelle, ô mon Dieu ». 10. Mais quelle est laction de Dieu dans celui quil entreprend de sauver par cette grâce? Le Prophète nous lexplique en disant: « Lascension est dans son coeur», Dieu lui fait des degrés pour monter, Où lui fait-il ces degrés? Dans le coeur. Donc, plus vif sera votre amour, plus haute sera votre ascension. « Cest dans le cur », dit-il, « que lascension est disposée ». Par qui? Par celui qui le prend sous sa tutelle. « Bienheureux, Seigneur, celui dont vous êtes le protecteur ». Il ne peut rien de lui-même, il a besoin du secours de votre grâce. Et que lui fait cette grâce? Elle dispose des degrés dans son coeur. Où prépare-t-elle ces degrés? « Dans son coeur, dans la vallée des larmes ». Notre pressoir est donc la vallée des larmes; et les pieuses larmes de laffliction sont le vin nouveau de ceux qui aiment Dieu. « Il a disposé
1. Rom, VII, 22-25.
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des degrés dans son coeur 1 ». Où les a-t-il disposés? « Dans la vallée des larmes ». Oui, cest dans cette vallée des larmes que sont les degrés de lascension. Car pleurer, cest semer. « Ils allaient », dit le Prophète, « et pleuraient en répandant leur semence sur la terre 2 ». Que Dieu, par sa grâce, dispose des degrés dans ton coeur. Elève-toi par lamour; de là ce cantique des degrés. Où Dieu a-t-il disposé pour toi ces degrés? « Dans ton coeur, dans la vallée des larmes ». Ainsi donc, selon le Prophète, où Dieu a-t-il disposé? pour quel endroit? Qua-t-il disposé? « Des degrés ». Où? Intérieurement « dans le coeur ». Dans quelle contrée, dans quelle demeure? « Dans la vallée des larmes ». Pour sélever où? « Au lieu que Dieu a marqué . » Quest-ce à dire, mes frères, « le lieu que Dieu a marqué? » Quel nom aurait donné le Prophète, sil eût pu donner un nom? « Des degrés», vous est-il dit, « sont disposés dans votre coeur, dans la vallée des larmes ». Pour mélever où? me direz-vous. Que va répondre le Prophète? « Que loeil ne la point vu, que loreille ne la point entendu, que le désir en sen est pas élevé au coeur de lhomme 3 ». Cest une colline, une montagne, une terre, un pré; car ce lieu a reçu tous ces noms. Mais ce quil est en lui-même, et non en comparaison , qui nous le dira? car nous ne voyons maintenant quen énigme, et comme par un miroir, ce quest ce lieu, mais alors nous le verrons face à face 4. Cessez donc de me demander où est ce « lieu quil a désigné ». Il sait où il veut te conduire, celui qui a disposé des degrés dans ton coeur. Pourquoi ne monter quavec la crainte dêtre égaré par ton guide? Le voilà qui a, disposé, dans la vallée des pleurs, des degrés pour arriver « au lieu quil nous destine ». Nous pleurons aujourdhui. En quel endroit? En cet endroit où sont les degrés de notre ascension. Quel est le sujet de nos pleurs, sinon celui qui faisait gémir lApôtre, parce quil sentait dans ses membres une loi contraire à la loi de lesprit 5 ? Doù cette contradiction? Cest le châtiment du péché. Avant davoir reçu la loi, nous nous imaginions quil nous serait facile dêtre justes par nos propres forces; mais quand la loi est survenue, le pêche a repris sa vigueur, et moi je suis mort
1. Ps. LXXXIII, 7. 2. Id. CXXV, 6. 3. I Cor. II, 9. 4. Id. XIII, 12. 5. Rom. VII, 23.
Ainsi dit lApôtre. La loi a été donnée aux hommes, non plus pour les sauver, mais seulement pour leur faire comprendre combien grave était leur maladie. Ecoute une seconde fois lApôtre : « Si Dieu nous eût donné une loi qui pût nous donner la vie, la justice nous viendrait de cette loi; mais 1Ecriture a tout renfermé sous le péché, afin que pour ceux qui croiront, la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ 1 » ; et quaprès la loi vînt la grâce qui trouvât lhomme non-seulement abattu, mais avouant sa misère en sécriant : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » et que le médecin descendît à propos dans cette vallée des pleurs, et pût dire à son malade Tu connais enfin ta chute, écoute-moi, afin de te relever, ô toi qui nes tombé quà cause de ton mépris pour moi. La loi donc a été donnée afin de convaincre de maladie ce malade qui se croyait en santé; afin de mettre le péché en évidence, et non afin de leffacer. Mais le péché étant mis en évidence par la loi écrite, a été ainsi augmenté; parce quil était péché, et parce quil était contre la loi. « Or, à loccasion du commandement, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises 2 ». Quest-ce à dire que le péché a saisi « loccasion du commandement? » Que les hommes ont essayé daccomplir ce commandement par leurs propres forces; quils ont été vaincus par leurs convoitises, et quils sont devenus coupables de la violation de cette loi. Mais que dit encore lApôtre: « Où le péché aabondé, a surabondé la grâce 3 », cest-à-dire que la maladie sest accrue et a fait ressortir lefficacité du remède. Aussi, mes frères, ces cinq galeries de Salomon, au milieu desquelles se trouvait une piscine, pouvaient-elles guérir les malades? Et pourtant nous lisons dans lEvangile que « deux malades gisaient sous ces cinq portiques 4». Or, ces galeries figuraient la loi de Moïse en cinq livres. Les malades ne sortaient de leurs maisons que pour être étendus sous ces galeries. Donc la loi montrait la maladie, mais sans la guérir; la bénédiction de Dieu troublait leau comme un ange descendant du ciel. A la vue de leau qui se troublait, le premier qui y descendait était seul guéri. Or, cette eau, environnée de cinq galeries, était le peuple Juif enfermé dans la loi. Dieu le
1. Galat. III, 21. 2. Rom. VII, 7, 8. 3. Id. V, 20. 4. Jean, V, 3.
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troubla par sa présence afin dêtre mis à mort. Le Seigneur eût-il été crucifié, sil neût de sa présence troublé le peuple Juif? Cette eau troublée était donc la figure de la passion du Seigneur quamena le trouble de la nation juive. Cest en cette passion que le malade n mis sa foi, et il trouve sa guérison en se plongeant dans les eaux troublées. La loi ou les galeries ne le guérissaient point, il est guéri par la grâce, par la foi en la passion de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Un seul étau guéri, parce quil ny a quune Eglise. Que dit donc le Prophète? « Il a préparé des degrés dans son coeur, dans la vallée, des larmes, au lieu quil a destiné ». Cest là que nous goûterons notre joie. 11. Pourquoi, « dans la vallée des larmes? » Et de quelle vallée des larmes irons-nous à ce séjour de la joie? « Car celui qui a donné la loi, donnera aussi la bénédiction 1 », dit le Prophète. Dieu nous a donné la loi, nous a humiliés par la loi, il nous a montré le pressoir; nous avons passé par laffliction, subi la tribulation de notre chair, gémi sous laiguillon du péché qui se révoltait contre lesprit, et nous avons crié : «Malheureux homme que je suis 2 ! » Nous avons donc gémi sous la loi : que reste-t-il, sinon que nous recevions aussi la grâce de Celui qui nous a donné la loi? La grâce viendra donc après la loi, telle est la bénédiction. Et quel bien nous a procuré cette grâce, cette bénédiction? « Ils iront de vertus en vertus ». Car Dieu par la grâce fait éclore les vertus. « Lun reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; lautre reçoit du même Esprit le don de parler avec science; un autre le don de la foi; un autre le don de guérir; un autre le don de parler diverses langues; un autre le don de les interpréter; un autre le don de prophétie 3». Combien de vertus, mais nécessaires ici-bas, et vertus qui nous conduisent à la vertu! A quelle vertu ? Au Christ, qui est la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu 4. Dieu nous donne ici-bas plusieurs vertus, mais un jour, au lieu de ces vertus qui sont nécessaires dans la vallée des larmes, il nous donnera une seule vertu qui est lui-même. On met en effet au nombre de quatre les vertus nécessaires en cette vie, et nous les retrouvons dans lEcriture : la prudence, qui nous fait discerner
1. Ps. LXXXIII, 8. 2. Rom, VII, 4. 3. I Cor. XII, 8-10. 4. Id. I, 24.
le bien du mal; la justice qui rend à chacun ce qui lui appartient, ne doit rien à personne et a pour tous la charité 1; la tempérance qui nous fait réprimer nos convoitises; le courage à supporter les afflictions. Telles sont les vertus que nous donne la grâce de Dieu dans cette vallée des pleurs, et qui nous font arriver à une autre vertu. Or, quelle sera cette autre vertu, sinon la contemplation de Dieu? Alors il ny aura plus besoin de prudence, où il ny aura plus aucun mal à éviter. Mais quelle pensée nous vient, mes frères? Il ny aura plus besoin de cette justice, parce quil ny aura plus aucune indigence quil nous faille secourir; il ny aura plus de cette tempérance, puisquil ny aura aucune passion à refréner; il ny aura plus de cette patience, parce quil ny aura point daffliction à supporter. De ces vertus qui règlent toute action de la vie, nous nous élèverons à cette vertu de contemplation qui nous mettra en face de Dieu, ainsi quil est écrit: « Je me tiendrai devant vous au matin, et je vous contemplerai 2 ». Et pour te montrer que les vertus de cette vie active nous conduiront à la contemplation, le Prophète ajoute : « Ils iront de vertus en vertu ». A quelle vertu? A la vertu de contemplation. Quest-ce que contempler? « Le Dieu des g dieux se montrera en Sion». Le Christ des chrétiens. Comment « le Dieu des dieux » est-il le Christ des chrétiens? « Jai dit : vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut 3 ». Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 4, ce Dieu en qui nous croyons, cet Epoux incomparable qui a voulu apparaître sans beauté, à cause de nos laideurs. « Car nous lavons vu », dit le Prophète, « et il navait ni grâce ni beauté 5». Or, quand la nature mortelle ny mettra plus obstacle, il apparaîtra aux coeurs purs, tel quil est en Dieu, Verbe en son Père, et Verbe par qui tout a été fait. Bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu . « Le Dieu des dieux se montrera en Sion ». 12. De la pensée de ces joies, le Prophète revient à ses soupirs. Il considère ce quil entrevoit dans son espérance, et où il est en réalité. « le Dieu des dieux apparaîtra en Sion ». Le bénir dans les siècles des siècles,
1. Rom. XIII, 8. 2. Ps. V, 5. 3. Id. LXXXI, 6. 4. Jean, I, 12. 5. Isa. LIII, 2. 6. Matth. V, 8.
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voilà ce qui comblera notre joie. Mais ici-bas nous sommes encore dans le temps des gémissements et des soupirs, et sil y a quelque joie, ce nest quen espérance, car nous sommes en exil et dans la vallée des larmes. Le Prophète revient donc en ce lieu des gémissements, et sécrie : « Seigneur, Dieu des vertus, écoutez ma prière; prêtez loreille, ô Dieu de Jacob 1 ». Cest vous qui avez changé Jacob en Israël. Il sappela Israël, ou qui voit Dieu 2, quand le Seigneur lui eut apparu. Ecoutez-moi donc, ô Dieu de Jacob, et changez-moi en Israël 3. Quand serai-je Israël ? Quand le Dieu des dieux apparaîtra en Sion. 13. « O Dieu, notre protecteur, jetez les yeux sur nous ». Ils doivent espérer à lombre de vos ailes 4, « car vous êtes notre protecteur, et regardez la face de votre Christ». Quand est-ce que Dieu ne regarde point la face de son Christ? Quest-ce à dire : «Voyez la face de votre Christ? » Cest par la face que lon nous reconnaît, et dès lors: « Regardez la face de votre Christ », faites-nous connaître la face de votre Christ. « Regardez la face de votre Christ » ; que nous connaissions tous votre Christ, afin que nous puissions aller de vertus en vertu, et que la grâce vienne à surabonder, parce que le péché a abondé 5. 14. « Un jour passé dans vos parvis vaut e mieux que mille autres jours 6 ». Cest vers ces parvis quil soupirait, pour eux que son coeur était en défaillance. Mon âme soupire après vos demeures, ô mon Dieu, elle en a défailli. Mieux vaut un jour dans vos demeures que mille autres jours. Les hommes veulent des jours par milliers, ils veulent vivre longtemps ici-bas; quils méprisent des jours nombreux pour naspirer quau jour unique, sans lever et sans coucher; ce jour unique, jour éternel, qui ne remplace point le jour dhier, et ne cédera pas au lendemain. Désirons ce jour unique. Quavons-nous besoin de jours par milliers? De ces milliers de jours passons au jour unique, comme des vertus à lunique vertu. 15. « Mieux vaut être le dernier dans la maison du Seigneur, plutôt que dhabiter les tabernacles des pécheurs 7 ». Le Prophète a trouvé la vallée des larmes, il a trouvé lhumilité pour sélever; il sait quil tombera,
1. Ps. LXXXIII, 9. 2. Gen. XXXII, 28. 3. Ps. LXXXIII, 10. 4. Id. XXXV, 8. 5. Rom. V, 20. 6. Ps. LXXXIII, 11. 7. Id.
sil prétend sélever lui-même; que sil shumilie, il sera relevé; et il choisit labjection afin que Dieu le relève. Combien en est-il qui veulent sélever en dehors des tentes et des pressoirs du Seigneur, cest-à-dire de lEglise catholique? combien qui aiment les honneurs, et ne veulent point connaître la vérité? Sils avaient dans le coeur ce verset du Prophète : « Jai préféré le dernier rang dans la maison de Dieu, plutôt que dhabiter les tentes des méchants »: ne renonceraient-ils point à ces honneurs, pour courir à la vallée des larmes, et y trouver dans leurs coeurs ces degrés qui les feraient monter de vertus en vertu, et mettre leur espérance dans le Christ, plutôt que dans tel ou tel homme? Parole sainte, parole pleine de joie, parole qui doit être toujours la nôtre que celle-ci: « Jai préféré le dernier rang dans la maison de Dieu, plutôt que dhabiter les tabernacles des pécheurs ». Cest lui qui a choisi le dernier rang dans la maison du Seigneur : mais celui qui la invité au festin, lui voyant choisir la dernière place, lappellera à la première, et lui dira: « Montez plus haut 1». Pour lui il ne se porte par son propre choix que dans la maison du Seigneur, quelque place quil occupe, pourvu quil ne soit point en dehors. 16. Pourquoi préférer le dernier rang dans la maison du Seigneur plutôt que dhabiter dans les tabernacles des pécheurs? « Parce que Dieu aime la miséricorde et la vérité 2». Le Seigneur aime la miséricorde, dont il ma prévenu tout dabord : il aime la vérité de manière à accomplir sa promesse envers celui qui croit. Ecoute cette miséricorde et cette vérité dans lapôtre saint Paul, dabord Saul et persécuteur. Il avait besoin de miséricorde, et il proclame que Dieu en a usé envers lui : « Qui fut dabord un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi, mais qui obtint miséricorde, afin que Jésus-Christ fît éclater en lui sa patience envers ceux qui croiront en lui pour la vie éternelle 3 »; afin que nul ne pût douter que tous ses péchés lui seraient remis, quand Paul obtenait la rémission de si grandes fautes. Telle est la miséricorde; mais Dieu ne voulut point manifester sa vérité dans le châtiment du pécheur. Punir le pécheur, ne serait-ce point exercer la vérité? Oserait-il bien dire : Je ne mérite
1. Luc, XIV, 10. 2. Ps. LXXXIII, 12. 3. I Tim. I, 13, 16.
aucun châtiment, lui qui ne saurait dire: Je nai point péché? Et sil disait: Je nai point péché; à qui le dirait-il? Qui pourrait-il tromper? Le Seigneur a donc tout dabord usé de miséricorde envers lui, et à la miséricorde a succédé la vérité. Ecoute maintenant comme il réclame cette vérité : « Tout dabord », dit-il, « jai obtenu miséricorde, moi qui fus dabord un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi ; mais cest par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 1». Puis, quand il touchait à son martyre: « Jai combattu un bon combat, jai terminé ma course, jai gardé la foi; il me reste à attendre la couronne de justice ». Celui qui ma fait miséricorde me réserve la vérité. Comment réserve-t-il cette vérité? « Cest que le Seigneur, qui juge avec justice, me rendra cette couronne en ce jour 2». Il ma accordé le pardon, il me donnera la justice; il ma accordé le pardon, il me doit la couronne. Comment la doit-il? Qua-t-il reçu? De qui Dieu est-il débiteur? Nous le voyons, Paul regarde Dieu comme un débiteur; il a obtenu le pardon, il exige la vérité : « Le Seigneur », dit-il, « me rendra en ce jour». Que peut-il te rendre, sinon ce quil te doit? Doù vient celte dette? Que lui as-tu donné ? De qui a-t-il reçu quelque chose, quil doive rendre ensuite 3? Dieu sest fait lui-même débiteur, non quil ait reçu, mais parce quil a promis. On ne lui dit point : Rendez ce que vous avez reçu; mais: Donnez ce que vous avez promis. Il ma, dit-il, accordé miséricorde, afin de me rendre innocent, car tout dabord jai été blasphémateur, ennemi acharné; mais je suis devenu innocent par sa grâce. Or, celui qui ma fait miséricorde, pourrait-il me refuser ce quil me doit? Dieu aime la miséricorde et la vérité. Il « donnera la grâce et la gloire ». Quelle grâce, sinon la grâce dont lApôtre vient de dire : «Cest par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ? » Quelle gloire, sinon cette gloire dont il a dit: « Il me reste à recevoir la couronne de justice? » 17. «Aussi», continue le Prophète, « Dieu ne privera pas de ses biens ceux qui marchent dans linnocence 4 ». Pourquoi voulez-vous
1. Cor. XV, 10. 2. II Tim, IV, 7, 8. 3. Rom. XI, 35. 4. Ps. LXXXIII, 13.
porter atteinte à linnocence des hommes, sinon afin de vous procurer des biens? Tel aime mieux perdre linnocence que rendre ce quon lui a confié: il convoite cet or et perd linnocence. Que gagne-t-il, et que perd-il? li gagne un peu dor, et linnocence lui fait défaut. Or, quoi de plus précieux que cette innocence? Mais, dit-il, si je la garde, je vais demeurer pauvre. Est-ce donc un si mince trésor que cette innocence? Avec un coffre plein dor, seras-tu riche, et pauvre avec un coeur plein dinnocence? En désirant donc les biens du Seigneur, demeure dans linnocence, maintenant que tu es dans la pauvreté, dans la tribulation, dans la vallée des larmes, dans langoisse, dans la tentation, Tu recevras plus tard les biens que tu désires, le repos, léternité, limmortalité, limpassibilité : tels sont les biens que Dieu réserve à ses justes. Quant à ces biens qui stimulent ici-bas tes désirs, jusquà sacrifier ton innocence contre le péché, considère ceux qui les possèdent, qui en regorgent. Tu vois ces biens chez des voleurs, chez des impies, chiez des scélérats, chez des infâmes, chez les hommes les plus corrompus et les plus criminels : Dieu leur donne ces grands biens, à cause de la société quils ont avec le genre humain, à cause de sa grande bonté, lui qui fait luire son soleil sur les bons, et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1. Donnera-t-il de si grands biens aux méchants, sans te rien réserver? La promesse quil ta faite serait-elle mensongère? Sois sans crainte, il en tient en réserve pour toi. Lui qui ta pris en pitié, quand tu étais impie, tabandonnera-t-il, maintenant que tu es pieux? Lui qui a donné au pécheur la mort de son Fils, que naura-t-il pas pour celui qua sauvé son Fils expirant? Sois donc en buté sûreté; et regarde comme ton débiteur celui dont tu as reçu la promesse. « Le Seigneur ne privera point de ses biens ceux « qui marchent dans linnocence ». Quavons-nous donc à faire sous ce pressoir, dans laffliction, dans les extrémités de cette vie si pleine de périls? Que nous reste-t-il pour arriver au ciel? « Seigneur, Dieu des vertus, bienheureux lhomme qui espère en vous».
1. Matth. V, 45.
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