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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXV.SERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.LES ESPÉRANCES DE LÉGLISE.
Cest Jésus-Christ uni à son corps ou lEglise qui parle dans ce psaume. Ne craignons pas dy trouver des paroles qui conviennent à Dieu, et dautres à lhomme seulement. Cest le même que lon invoque comme un Dieu, et qui prie en nous comme un homme. Dieu sest incliné vers nous qui lavions offensé; telle est sa miséricorde, et il garde sa vie pour les justes. Il prête loreille à celui qui est humble, qui sent le besoin de miséricorde, qui nespère point dans les richesses. Abraham était riche et fut glorifié aussi bien que Lazare. Car Dieu pèse lintérieur, et cest par lâme que nous sommes riches ou pauvres. En son humanité le Christ dit : Gardez mon âme, et il était alors une chair, une âme et le Verbe. Le chrétien peut se dire saint; mais sanctifié par son chef, et non se sanctifiant lui-même ; il gémit tout le jour dans la succession des siècles. Elevons donc nos âmes vers Dieu, afin quil répande en elles quelque joie, et que nous les garantissions de la corruption; élevons-les en changeant de volonté. Fatiguée de la terre où elle rencontre soit les méchants scandaleux, soit les justes dont elle craint la perte, lâme du Prophète sélève à Dieu et déplore les difficultés quelle éprouve à demeurer en lui; mais elle sapplaudit de ce que Dieu oublie nos dissipations pour nous écouter favorablement. Car il est miséricordieux pour ceux qui lui demandent ce qui aboutit au salut. Il exauce Satan qui veut éprouver Job, il nexauce pas saint Paul qui veut être délivré de lépreuve. Ne lui demandons pas ce quil ne veut point. Sil donne aux impies les biens de la terre, que ne réserve-t-il pas à ceux qui le servent ? Cest le ciel. Or, un malade qui vent guérir, endure tout de la part du médecin qui est faillible, et la santé quil rend nest pas inaltérable. Quelle ne doit pas être notre espérance pour le ciel
1. Dieu nous exauce quand nous crions vers lui, dans laffliction; or, cest pour un chrétien une affliction que nhabiter pas le ciel. Ce nest point assez pour nous des richesses dici-bas, quand nous serions assurés de les posséder éternellement, il nous faut Dieu, et niai nest semblable à Dieu les autres ne sont que des démons. Toutes les nations se prosterneront devant lui, car lEglise est composée de tous les peuples, et non de lAfrique seulement, comme le prétend Donat. Tous ne forment quune seule Eglise comme il ny a quune seule patrie céleste. Cest là que le Seigneur nous conduira par sa voie qui est le Christ, en nous donnant sa main qui est le Christ pour arriver à la vérité, qui est le Christ, et à la vie, encore le Christ. Cest ce Christ qui nous a tirés de lenfer inférieur, cest-à-dire ou bien de la région des morts, ou de la région quhabite le mauvais riche, en nous remettant nos péchés. Les violateurs de la loi se sont élevés contre le Christ, en laccusant de la violer ; ils nont pas compris quil fût Dieu; de même les impies, au jugement, ne verront que lhomme quils ont crucifié. Il sauvera le fils de la servante, ou le chrétien fils de lEglise. Ses ennemis ne le verront point sans confusion : quils saisissent ici-bas loccasion dune confusion salutaire, et les misères de cette vie se changeront en une véritable joie, une joie sans fatigue.
2. Dieu ne pouvait faire aux hommes un don plus excellent que de leur accorder pour chef son Verbe, par lequel il a créé toutes choses, et de les unir à lui comme ses membres, afin quil fût tout à la fois fils de Dieu et fils de lhomme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme avec les hommes; afin quen adressant nos prières à Dieu, nous nen séparions pas le Fils, et que le corps du Fils, offrant ses prières, ne soit point séparé de son chef. Ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, unique Sauveur de son corps mystique, prie tour nous, prie en nous, et reçoit nos prières. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre chef, il reçoit nos prières comme notre Dieu. Reconnaissons donc, et que nous parlons en lui, et quil parle en nous. Et quand il est question de Jésus-Christ Notre-Seigneur, surtout dans les prophéties, surtout quand il en est question dune manière qui paraît indigne de Dieu, ne craignons pas de ly retrouver, pas plus quil na craint de sunir à nous. Toute créature lui est assujettie, puisque cest par lui que toute créature a été faite. Aussi quand nous envisageons sa divinité, quand nous entendons : « Au commencement était le Verbe, elle Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement en Dieu; tout a été fait par lui, et rien sans lui 1»; lorsque nous considérons cette divinité suréminente du Fils de Dieu qui plane au-dessus de ce quil y a de plus sublime parmi les créatures , et que nous lentendons aussi gémir en quelques endroits de lEcriture, et prier, et confessant ses fautes; nous hésitons alors à lui attribuer ces paroles, parce que notre esprit ne quitte point facilement ces hauteurs doù il contemplait sa divinité pour descendre à une humilité si profonde. Il craint de lui faire injure, en retrouvant chez
1. Jean, I, 1-3.
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un homme les paroles de celui quil invoquait lui-même comme un Dieu ; il hésite,-il voudrait changer le sens; et il ne trouve dans la sainte Ecriture dautre moyen que dappliquer ces paroles au Christ, et de ne sen point détourner. Quil réveille donc et quil ravive sa foi; quil comprenne que celui dont il contemplait naguère la divinité a néanmoins pris la forme de lesclave, est devenu semblable aux autres hommes, et reconnu pour un homme, par ce que lon voyait de lui, quil sest humilié en obéissant jusquà la mort 1, quil sest approprié les paroles du Psalmiste, quand, sur la croix, il sest écrié « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 2? » Cest donc lui que lon prie comme un Dieu, cest lui qui prie comme un homme; ici il est Créateur, là créature t sans subir de changement, il a pris une nature changeante, et ne fait de nous avec lui quun seul homme, la tête et le corps. Cest donc lui que nous prions, cest par lui, cest avec lui. Cest en lui que nous disons, cest en nous que lui-même fait cette prière du psaume qui a pour titre : « Prière de David 3 ». Car Jésus-Christ est fils de David selon la chair; mais comme Dieu il est Seigneur de David, créateur de David, et non seulement avant David, mais avant Abraham dont David est issu; mais avant Adam père de tous les hommes; mais avant le ciel et la terre qui renferment les autres créatures. Que personne donc, en entendant ces paroles, ne dise : Le Christ ne parle point ici; quil ne dise pas non plus: Ce nest point moi qui parle; mais sil croit être dans le corps du Christ, quil dise tout à la fois: Cest le Christ qui parle, cest moi qui parle. Ne parle jamais sans lui, et il ne dira rien sans toi. Nest-ce point là une leçon de lEvangile? Nous y lisons certainement: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui » ; et pourtant nous y lisons encore: Et Jésus fut contristé 4, Jésus fut fatigué 5, Jésus dormit 6, il eut faim 7, il eut soif 8, il pria et passa la nuit en prières : « Jésus », est-il dit, « persistait dans sa prière et il y passait la nuit 9, et des gouttes de sang coulaient de son corps 10 » .Que nous enseignait-il quand ces gouttes de sang coulaient sur
1. Philipp. II, 5-8. 2. Ps. XXI, 2 3. Id. LXXXV, 1. 4. Matth. XXVI, 38. 5. Jean, IV, 6. 6. Matth. VIII, 24. 7. Id. IV, 2. 8. Jean, IV, 7; XIX, 28. 9. Luc, VI, 12. 10. XXII, 43, 44.
son corps, pendant sa prière, sinon que le sang des martyrs devrait couler de son corps mystique ou de lEglise? 2. « Seigneur, inclinez votre oreille, et exaucez-moi 1 ». Ainsi dit le Christ dans la forme de lesclave; toi, esclave, parle dans la forme de ton Seigneur : « Inclinez votre oreille, ô Dieu, et exaucez-moi ». Il incline son oreille, si tu nélèves point trop la tête. Car il sapproche de celui qui shumilie; il séloigne de celui qui sélève, à moins que lui-même ne lait relevé de son humilité. Dieu donc a incliné son oreille vers nous, lui si haut, et nous si bas; lui, dans la splendeur de la gloire, nous, dans la dernière abjection, mais pas sans remède néanmoins. « Il a montré son amour pour nous, et lorsque nous étions impies, il est mort pour nous. Cest à peine si quelquun voudrait mourir pour un homme juste; même pour un bienfaiteur quelquun se présenterait-il? « Mais Notre-Seigneur est mort pour les impies 2 ». Aucun mérite ne nous avait précédés pour que le Fils de Dieu mourût pour nous, et cette absence de mérites a fait ressortir sa miséricorde. Combien est donc sûre, combien est infaillible cette promesse de garder sa vie pour les justes, qua faite celui qui a donné sa vie pour les hommes injustes! « Inclinez, Seigneur, votre oreille, et écoutez-moi, car je suis pauvre et indigent ». Dieu donc nincline point loreille vers celui qui est riche, il lincline au contraire vers celui qui est pauvre et indigent, ou plutôt qui est humble, qui avoue ses fautes, qui a besoin de miséricorde, non point vers lhomme rassasié qui sélève, qui se glorifie, comme sil ne manquait de rien, et qui dit « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme ce publicain 2». Le Pharisien était riche, puisquil vantait ses mérites, le publicain était pauvre et confessait ses péchés. 3. Et quand je vous dis, mes frères, que Dieu nincline point son oreille vers le riche, nallez pas comprendre quil nexauce point ceux qui ont de lor ou de largent, des domestiques, des domaines, dès lors quils y sont astreints par leur naissance, ou par le rang quils tiennent dans le monde; quils se souviennent seulement de ce qua dit lApôtre: « Ordonnez aux riches de ce monde de ne
1. Ps. LXXXV, 1. 2. Rom. V, 6-9 3. Luc, XVIII, 11-13.
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point senorgueillir 4». Quiconque ne senorgueillit point est pauvre en Dieu, et Dieu incline son oreille vers les pauvres, vers les indigents, vers les dénués du monde. Ils savent bien quils ne doivent mettre leur espérance ni dans lor, ni dans largent, ni dans tous ces biens qui semblent sécouler avec le temps. Il leur suffit de ne point se perdre au moyen de ces richesses: cest beaucoup quelles ne leur nuisent pas, car elles ne peuvent leur servir. Les oeuvres de charité sont utiles sans doute et chez le riche et chez le pauvre; chez le riche par loeuvre et par la volonté, chez le pauvre par la volonté seulement. Si donc un riche méprise en lui-même tout ce qui est occasion dorgueil, il est un pauvre selon Dieu; et Dieu incline son oreille vers lui, parce quil fait que son coeur est contrit. Vous le savez, mes frères, ce pauvre couvert dulcères, et couché devant la porte du riche, fut porté par les anges au sein dAbraham : voilà ce que nous lisons, ce que nous croyons. Quant à ce riche, qui était revêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, il fut jeté dans les flammes de lenfer 1. Est-ce bien par le seul mérite de sa pauvreté que lun fut reçu par les anges, et pour le crime dêtre riche que lautre fut jeté dans les tourments? Dans ce pauvre, cest lhumilité qui est glorifiée, et dans ce riche lorgueil qui est châtié. Et je prouve en un mot que ce nest point la richesse, mais bien lorgueil que Dieu a condamné dans ce riche. Assurément ce pauvre fut porté au sein dAbraham; mais cet Abraham, au dire de lEcriture, était un riche de la terre, il avait de lor, de largent 2. Si le riche est jeté dans les tourments, comment Abraham était-il plus élevé en gloire que le pauvre quil recevait dans son sein? Mais Abraham était humble au milieu de ses richesses; il tremblait devant les préceptes de Dieu, il sy soumettait. Il estimait si peu les richesses selon le monde, que sur lordre de Dieu il allait immoler son fils 3, lhéritier de ces grands biens. Apprenez donc à être pauvres, à être indigents, soit que vous possédiez des biens ici-bas, soit que vous nen possédiez point. Vous trouvez en effet des gens orgueilleux dans leur pauvreté, et des hommes riches qui confessent leurs péchés. Or, Dieu résiste aux
1. I Tim. VI, 17. 2. Luc, XVI, 19-24. 3. Gen. XIII, 2. Id. XXII, 10.
superbes, aux hommes vêtus de soie et de pourpre; il donne sa faveur aux humbles 1, quils aient ou non des biens sur la terre. Dieu regarde lintérieur; voilà ce quil pèse et ce quil juge. Tu ne vois point la balance de Dieu, et néanmoins elle pèse tes pensées. Voyez-le bien, notre interlocuteur ne fonde son espérance dêtre exaucé quen ce quil dit: « Je suis pauvre et indigent ». Garde-toi de nêtre point pauvre et indigent; si tu ne les point, tu ne seras pas exaucé; rejette bien loin tout ce qui est autour de toi ou en toi, et qui pourrait te donner de la présomption; que Dieu soit ton unique appui : sois pauvre de lui, afin quil tenrichisse de lui-même. Tout ce que tu posséderas sans lui ne fera quaugmenter ton indigence. 4. « Conservez mon âme, parce que je suis saint 2 ». Ce langage, « parce que je suis saint », je ne sais qui peut le tenir, sinon celui qui était sans péché en cette vie; qui navait commis aucun péché, qui les a tous effacés. Cest sa voix que nous reconnaissons ici : « Parce que je suis saint, gardez mon âme » : nous le reconnaissons en cette forme desclave dont il sétait revêtu. Cette nature avait une chair et une âme. Non point, comme lont dit quelques-uns 3, une chair seulement unie au Verbe; mais une chair, une âme et le Verbe : et tout cela constituait un seul Fils de Dieu, un seul Christ, un seul Sauveur, égal au Père dans sa forme divine, chef de lEglise dans sa forme desclave. Donc à cette parole : « Parce que je suis saint », faut-il nentendre que sa voix et la séparer de la mienne? Assurément, en parlant ainsi, il parle dans son union inséparable avec son corps. Et moi, oserai-je bien dire : « Parce que je suis saint ? Saint et me sanctifiant, sans avoir besoin quun autre me sanctifie, cest là de lorgueil, du mensonge: saint mais sanctifié, ainsi quil est dit : Soyez saints, parce je suis saint 4 » ; que tout le corps de Jésus-Christ, que cet homme qui crie vers Dieu des extrémités de la terre 5, ose bien dire avec son chef et sans son chef : « Parce que je suis saint », car il a reçu la grâce de la sainteté, la grâce du baptême et de la rémission des fautes. « Voilà ce que vous avez été », nous dit lApôtre, énumérant des péchés, graves et légers, ordinaires et horribles: « Voilà ce que
1. Jacques, IV, 6. 2. Ps. LXXXV, 2. 3. Les Apollinaristes. 4. Lévit. XIX, 2. 5. Ps. LX, 3.
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vous avez été, mais vous vous êtes lavés, mais vous vous êtes sanctifiés 1 ». Si donc nous sommes sanctifiés, selon lApôtre, que chacun des fidèles dise : « Je suis saint ». Ce nest point là une parole dorgueil, mais un témoignage de reconnaissance. Dire que tu es saint par toi-même, cest de lorgueil; mais fidèle à Jésus-Christ, membre de Jésus-Christ, dire que tu nes pas saint, cest de lingratitude. Pour confondre ton orgueil, lApôtre ne dit point : Tu nas rien; mais bien : « Quas-tu, que tu naies pas reçu 2 ? » Il ne taccuse pas de dire que tu as ce que tu nas pas, mais de vouloir tattribuer ce que tu as; reconnais même que tu as quelque chose, mais rien de toi, afin de nêtre ni orgueilleux ni ingrat. Dis à ton Dieu : Je suis saint, parce que vous mavez sanctifié : parce que jai reçu la sainteté, non parce que je lavais: parce que vous me lavez donnée, non parce que je lai méritée. Autrement tu texposerais à faire injure à Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Car si tous les chrétiens, tous les fidèles, parce quils sont baptisés en Jésus-Christ, ont revêtu Jésus-Christ, ainsi que la dit lApôtre : « Vous qui êtes baptisés dans le Christ, vous êtes revêtus du Christ 3»; si, devenus membres de son corps, ils disent quils ne sont pas saints, ils font injure à la tête, dont les membres alors ne seraient plus saints. Vois donc où tu es, et que la gloire de ton chef rejaillisse en toi. Toi autrefois dans les ténèbres, « maintenant lumière en Jésus-Christ. Car vous étiez ténèbres », nous dit lApôtre 4. Mais êtes-vous donc demeurés ténèbres ? Est-ce pour vous laisser dans ces ténèbres, ou pour vous jeter dans la lumière, quest venu ce divin illuminateur ? Que tout chrétien, ou plutôt que tout le corps du Christ, en butte à la tribulation, éprouvé par des secousses et des scandales sans nombre, crie au Seigneur: «Gardez mon âme, parce que je suis saint. Sauvez, ô mon Dieu, votre serviteur qui espère en vous » . Cest là un saint sans orgueil, puisquil espère en Dieu. 5. « Ayez pitié de moi, Seigneur. parce que jai crié vers vous pendant tout le jour 5 ». Non point un seul jour, mais « tout le jour », ou en tout temps. Depuis que le corps du Christ gémit dans les angoisses,jusquà la fin des siècles qui mettra fin à ces angoisses, cet
1. I Cor. VI, 11. 2. Id. IV, 7. 3.Gal. III, 27. 4. Ephés. V, 8. 5. Ps. LXXXV, 3.
homme pousse vers Dieu des cris et des gémissements; et chacun de nous a sa part dans les gémissements du corps entier. Tu as crié dans les jours de ta vie, et ta vie est passée un autre ta succédé, et a crié pendant sa vie; toi ici, un autre là, un troisième ailleurs cest ainsi que dans la succession de ses membres, le Christ a crié pendant tout le jour. Il se porte comme un seul homme jusquà la tin des siècles. Les mêmes membres du Christ gémissent, et quelques-uns de ces membres déjà reposent en lui, quelques-uns crient maintenant sur la terre, dautres gémiront quand nous serons dans le repos, et après eux dautres encore. Cest donc le gémissement du corps entier que marque ici le Prophète, quand il dit: «Jai crié vers vous pendant tout le jour». Quant à notre chef, il intercède pour nous 1, à la droite de son Père. Il reçoit quelques-uns de ses membres, il en châtie dautres, purifie celui-ci, console celui-là, crée lun, appelle lautre, rappelle une seconde fois, corrige ceux-ci,- réintègre ceux-là. 6. « Répandez la joie sur lâme de votre serviteur, ô mon Dieu, car jai levé mon âme vers vous 2 ». Donnez-lui la joie, parce que je lai élevée vers vous. Elle était sur la terre, et en ressentait les amertumes: afin quelle ne dessèche point dans lamertume, et quelle ne perde point le parfum de votre grâce, je lai élevée à vous: faites-lui goûter quelque joie. Car vous seul êtes la joie, et le monde est plein damertume. Le chef a donc bien raison davertir les membres délever leurs coeurs au ciel. Quils lécoutent, quils lui obéissent : quils élèvent au ciel ce qui est mal à laise sur la terre. Le moyen de tenir le coeur intact, cest de lélever à Dieu. Si tu avais du blé dans un endroit humide, tu le transporterais en haut, de peur quil ne se gâtât. Tu élèverais ton blé en haut, et tu laisses ton coeur se corrompre sur la terre? Elève le vers le ciel, comme tu ferais de ton blé. Comment faire, me diras-tu ? Quels cables, quelles machines, quelles échelles ai-je sous la main ? Ces échelles sont tes affections : la route à suivre est ta volonté. Tu montes par lamour, tu descends par linsouciance. Quoique sur la terre, tu es dans le ciel, si tu aimes Dieu. Car le coeur ne sélève pas à la façon dun corps. Un corps ne sélève quen changeant de place; le coeur sélève en changeant de volonté.
1. Rom. VIII, 34. 2. Ps. LXXXV, 4.
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« Seigneur, jai élevé mon âme vers vous ». 7. « Car vous êtes doux, Seigneur, facile à fléchir 1». Donnez-moi donc quelque joie. Fatigué de trouver lamertume sur la terre, il a désiré quelque douceur, et il en cherche la source, mais ne la trouve point sur la terre. Quelque part quil se trouve, il ne rencontre que des scandales, des craintes, des tribulations, des épreuves. En quel homme trouver la sécurité? Qui lui donnera la vraie joie? pas même lui assurément, combien moins encore un autre! Ou bien les hommes sont méchants, et il faut les souffrir, espérer quils se pourront convertir; ou ils sont hommes de bien, et alors il faut les aimer, non sans crainte quils ne deviennent méchants, car ils peuvent toujours changer. Ici donc lâme du Prophète est pleine damertume, par la malice des uns, et là elle est tourmentée par la crainte que lhomme de bien ne vienne à déchoir. Quelque part quil jette les yeux, il ne trouve quamertume sur la terre il ne peut ladoucir quen sélevant à Dieu: « Vous êtes doux, Seigneur, facile à fléchir ». Quest-ce à dire « doux? » Vous me supportez jusquà ce que vous me perfectionniez. Car, mes frères, je dois vous parler comme un homme au milieu dautres hommes, et daprès lexpérience des hommes : que chacun rentre en son coeur, quil sexamine et se considère sans flatterie. Car sexaminer pour se tromper, serait le comble de la folie. Que chacun donc examine et voie ce qui se passe dans le coeur humain, comment nos prières sont pour la plupart entravées par nos futiles pensées, de sorte que son coeur peut à peine se tenir devant Dieu; et lui-même, qui voudrait sy tenir, échappe en quelque sorte à ses propres efforts; il ne trouve ni barrière pour senfermer, ni digue pour contenir ses divagations, ses mouvements désordonnés, afin de se tenir devant Dieu et y goûter la joie. A peine dans toutes ces prières, trouvons-nous une prière digne de ce nom. Nous croirions peut-être que dautres néprouvent pas ce que nous éprouvons, si nous ne lisions dans lEcriture cette parole du roi David au milieu de sa prière « Jai trouvé mon coeur, ô mon Dieu, pour vous invoquer 2 ». Il a trouvé son coeur, dit-il, comme si ce coeur lui échappait dordinaire, comme sil le poursuivait dans sa
1. Ps. LXXXV, 5. 2. II Rois, VII, 27.
fuite, et que dans limpossibilité de le saisir, il criât vers Dieu: « Mon coeur ma échappé 1». Donc, mes frères, en examinant ces paroles du Prophète : « Vous êtes doux et facile à fléchir »; il me semble que quand il dit « Vous êtes doux; versez la douceur dans lâme de votre serviteur, parce que vous êtes suave et doux »; il me semble, dis-je, quil attribue à Dieu la douceur, parce que Dieu souffre nos faiblesses et attend pour nous perfectionner la prière de notre coeur. Et quand nous la lui avons donnée, il la reçoit favorablement et nous exauce; il oublie tant dautres prières faites avec dissipation, et il accepte celle que nous avons à peine trouvée. Où est, mes frères, où est lhomme qui souffrirait que son ami, après avoir commencé à sentretenir avec lui, au lieu découter sa réponse, lui tournât le dos et parlât avec un autre? Quel juge pourrait vous souffrir si, après en avoir appelé à son tribunal, tout en lui parlant, vous le quittiez tout à coup pour aller deviser avec votre ami? Et cependant Dieu souffre ces égarements du coeur, et dans ceux qui le prient, ces pensées que je nappelle point dangereuses, que je nappelle point coupables et ennemies de Dieu; mais vous occuper des pensées frivoles, cest outrager votre interlocuteur. Or, cette prière est une conversation avec Dieu. Dans une lecture, cest Dieu qui vous parle; dans une prière, cest vous qui parlez à Dieu. Mais quoi? Faut-il désespérer du genre humain, et dire que tout homme sera damné, dès quune distraction se glissera dans sa prière et viendra linterrompre? Si cela était, mes frères, je ne vois pas quelle espérance il nous resterait. Mais puisque nous espérons en Dieu, puisque sa miséricorde est grande, disons-lui : « Répandez la joie dans lâme de votre serviteur, ô mon Dieu, parce que jai élevé mon âme vers vous ». Et comment lai-je élevée? Comment lai-je pu faire? Autant que vous men avez donné les forces, autant que jai pu la retenir dans sa fuite. Mais as-tu oublié, te répond le Seigneur, combien de fois tu tes présenté devant moi, pour toccuper de tant de frivolités, quà peine tu pouvais faire une prière fixe et arrêtée? « Vous êtes suave et doux, ô mon Dieu », doux pour me tolérer. Je suis malade et mécoule comme leau; guérissez-moi, et je serai stable ;
1. Ps. XXXIX, 13.
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affermissez-moi, et je serai ferme; jusque-là vous me tolérez, parce que vous êtes suave et doux, ô mon Dieu! 8. « Et plein de miséricorde ». Non seulement miséricordieux, mais « plein de miséricorde ». Nos péchés abondent, votre miséricorde abonde en proportion. « Et vous êtes plein de miséricorde pour tous ceux qui vous invoquent ». Pourquoi lEcriture dit-elle en beaucoup dendroits : « Quils minvoqueront, et que je ne les exaucerai pas 1»; et néanmoins « Dieu est plein de miséricorde pour ceux qui linvoquent »; sinon parce que beaucoup linvoquent, mais sans linvoquer? Cest deux quil est dit : « Ils nont pas invoqué Dieu 2 ». lis invoquent, mais non pas Dieu. Tu invoques ce que tu aimes; tu invoques ce que tu appelles en toi, tu invoques ce que tu veux avoir en toi. Or, si tu invoques le Seigneur, afin quil tarrive de largent, un héritage, une dignité du monde, tu appelles des biens que tu désires posséder, tu te fais un Dieu complice de tes convoitises, non un Dieu qui écoute les prières. Dieu est bon sil taccorde ta demande. Mais si ta demande est mauvaise, ny a-t-il pas plus de miséricorde à ne point laccorder? Mais quil ne taccorde rien, et il nest rien pour toi, et tu dis alors : Que nai-je point demandé, et combien de fois, et je nai pas été exaucé? Or, que demandais-tu? La mort de ton ennemi peut-être. Et si cet ennemi demandait la tienne? Cest le même Dieu qui ta créé, et qui la créé : il est un homme, de même que tu es un homme; or, Dieu qui est juste, entend lun et lautre et nécoute ni lun ni lautre. Tu es triste, parce que tu as échoué contre lui; réjouis-toi de ce quil ait échoué contre toi. Mais, diras-tu, ce nest point là ce que je demandais, je ne demandais point la mort de mon ennemi, mais bien la vie de mon fils. Quel mal y avait-il? A ton sens tu ne demandais rien de mauvais. Mais que diras-tu si ce fils ne ta été enlevé que pour empêcher que la malice corrompît son esprit? Mais il était pécheur, me répondras-tu, et je souhaitais quil vécût afin quil se convertît. Tu demandais quil vécût afin quil devînt meilleur. Mais si Dieu savait quune longue vie le rendrait pire encore? Comment savais-tu ce qui lui était le plus avantageux, de vivre ou de mourir? Si tu ne le savais pas,
1. Prov. I, 28. 2. Ps. LII, 6. 3. Sag. IV, 11.
rentre donc en toi-même, et laisse agir Dieu dans sa sagesse. Que faire alors, me diras-tu? Que demanderai-je ? Que demanderais-tu? Ce que Jésus-Christ, ce que le divin Maître ta enseigné à demander. Invoque Dieu comme Dieu; aime Dieu comme Dieu. Il nest rien de meilleur que lui; cest lui quil faut souhaiter, désirer, Ecoute une prière adressée à Dieu dans un autre psaume : « Je nai demandé à Dieu quune seule chose, et je la demanderai encore ». Et quelle est cette demande? « Dhabiter dans la maison « du Seigneur, tous les jours de ma vie ». Pourquoi? « Afin dy contempler les délices du Seigneur 1 ». Si donc tu veux aimer Dieu, que ton amour pénètre tes os dans sa sincérité; aime-le par de chastes soupirs, que ton amour soit une flamme ardente, aspire vers lui; nul amour nest plus doux, nest plus suave, nest plus délicieux, nest plus durable. Quoi de plus durable quun amour sans fin? Ne crains pas quil ne meure pour toi, celui qui fait que tu ne meurs point. Si donc tu invoques Dieu comme Dieu, sois en sûreté, il texaucera; tu es dans le sens de ce verset : « Il est plein de miséricorde pour ceux qui linvoquent». 9. Ne dis donc point: Dieu ne ma point fait cette grâce. Rentre dans ta conscience, pèse, interroge, népargne rien, Si tu as réellement invoqué le Seigneur, sois certain quil ne ta point accordé le bien temporel que tu lui demandais, par cela seul quil ne teût servi de rien. Cest, mes frères, dans cette vérité quil faut affermir votre coeur, un coeur chrétien, un coeur fidèle; ne vous attristez point, comme si Dieu sétait refusé à vos désirs, ne vous emportez point contre lui. Car il nest pas bon de regimber contre laiguillon 2.Voyez lEcriture: le diable est exaucé, lApôtre ne lest point. Que vous en semble? Comment Dieu peut-il exaucer les démons? Ils demandèrent dentrer dans les pourceaux, et cela leur fut accordé 3. Comment le diable a-t-il été exaucé? Il demanda de tenter Job, et lobtint 4. Comment lApôtre na-t-il pas été exaucé? « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de lorgueil, un aiguillon a été mis dans ma chair, instrument de Satan pour me donner des soufflets; cest pourquoi jai prié trois fois le
1. Ps. XXVI, 4. 2. Act. IX, 5. 3. Matth. VIII, 31, 32. 4. Job, I, 11, 12; II, 5, 6.
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Seigneur de léloigner de moi. Il ma répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse 1 ». Dieu donc a exaucé celui quil se préparait à condamner, et na point exaucé celui quil voulait guérir. Souvent un malade demande à un médecin bien des choses que celui-ci naccorde pas; il résiste à sa volonté pour mieux veiller à sa santé. Prends donc le Seigneur pour ton médecin; demande-lui le salut, et il sera lui-même ton salut, non quil te sauvera dune manière extérieure, mais lui-même sera ton salut: ne cherche donc point dautre salut que lui-même, ainsi quil est dit dans le psaume : « Dites à mon âme: Je suis ton salut 2 ». Que peut-il te faire et te dire, que se donner à toi? Veux-tu quil se donne réellement? Mais comment se donner à toi, si tu veux ce quil ne veut point? Il écarte les obstacles, afin dentrer en toi. Considérez, mes frères, les biens que Dieu donne aux pécheurs, et jugez par là de ce quil réserve à ses serviteurs. A des impies qui blasphèment contre lui, il donne chaque jour le ciel, la terre, les fontaines, les fruits, la santé, des enfants, les richesses et labondance. Nul autre que Dieu ne donne ces biens. Si telle est sa munificence envers les méchants, que penses-tu quil réserve à ses serviteurs fidèles? Nous faudra-t-il penser quil na rien pour les bons, celui qui est si généreux envers les méchants? Il leur réserve au contraire, non la terre, mais le ciel. Et je dis trop peu en disant le ciel ; il leur réserve lui-même qui a fait le ciel. Le ciel est beau sans doute, mais celui qui a fait le ciel est beaucoup plus beau. Pourtant je vois le ciel, et lui, je ne le vois pas; aussi as-tu des yeux pour voir le ciel, mais tu nas pas encore un coeur apte à contempler le créateur du ciel. Mais il est venu du ciel ici-bas pour purifier ton coeur, et te montrer le créateur du ciel et de la terre. Attends donc avec patience ton salut. Il sait par quels remèdes il pourra te guérir, quelles incisions, quelles brûlures il doit te faire. Cest par le péché que tu as contracté ta maladie: il est venu non-seulement pour adoucir, mais pour trancher et brûler. Ne vois-tu pas ce quendurent les hommes entre les mains du médecin; et il nest quun homme ne donnant quune espérance incertaine? Vous guérirez, dit le médecin, vous guérirez si je pratique
1. II Cor. XII, 7-9. 2. Ps. XXXIV, 3.
cette incision. Cest un homme qui parle ainsi, et à un autre homme; et celui qui fait la promesse nest pas plus certain que celui qui lentend; puisquelle est faite par un homme qui na pas fait lhomme, et qui ne sait quimparfaitement ce qui se passe dans le corps de lhomme: et néanmoins à la parole dun homme qui ignore encore plus quil ne connaît ce qui se passe dans le corps humain, voilà un homme qui a confiance, qui abandonne son corps, qui se laisse garrotter, ou même souvent sans être lié endure le fer et le feu. Il recouvre la santé pour quelques jours, mais il ne sait quand il mourra, et parfois même il meurt pendant lopération, on ne peut cicatriser ses plaies. Mais à qui Dieu a-t-il fait une promesse quil nait point tenue? 10. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille 1 ». Cest lélan dun coeur qui supplie. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille » ; cest-à-dire, que ma prière néchappe point à votre oreille, mais, daignez ly fixer. De quelle manière obtenir que sa prière soit fixée dans loreille de Dieu ? Que Dieu nous réponde lui-même, et nous dise : Veux-tu que ta prière soit fixée dans mon oreille? toi. même fixe ma loi dans ton coeur. « Seigneur, fixez ma prière dans votre oreille, et soyez attentif à mes supplications ». 11. « Jai crié vers vous, au jour de mon affliction, et alors vous mavez exaucé 2.» Ce qui vous a porté à mexaucer, cest que jai crié vers vous au jour de mon affliction. Tout à lheure le Prophète nous disait: « Pendant tout le jour jai crié » ; tout le jour jai été dans laffliction. Quun chrétien ne dise donc point quil est un jour exempt de peine. Tout le jour signifie pendant tout le temps Tout le jour il est dans langoisse. Eh quoi donc! y a-t-il tribulation quand tout est bien pour nous? Oui, tribulation. Doù vient-elle? Tant que nous sommes en cette vie, nous sommes loin du Seigneur 3. Quelles que soient ici-bas nos réjouissances, nous ne sommes point dans cette patrie, où nous nous hâtons darriver. Celui-là naime point la patrie qui se plaît dans lexil : pour qui la patrie est douce, lexil est amer; si lexil est amer, il y a tribulation pendant tout le jour. Quand ny a-t-il pas tribulation? Quand la patrie a pour nous des charmes. « A votre droite sont
1. Ps. LXXXV, 6. 2. Id. 7. 3. II Cor. V, 6.
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les douceurs sans fin. Votre face me comblera de joie 1 », dit le Prophète, « je contemplerai les beautés de mon Dieu 2 ». Ces là quil ny aura plus ni labeur, ni gémissements: là, plus de supplications, mais uni louange sans fin; là, nous chanterons ave les anges un alléluia sans fin, un amen éternel; là une vision sans lassitude, un amour sans ennui. Vous-le voyez donc, il ny a point de bonheur pour nous, tant que nous nhabiterons point ces demeures. Mais navons-nous pas tout en abondance? Quand même tu aurais tout en abondance, vois si tu es assuré de ne point perdre tout. Mais nai-je point aujourdhui ce qui me manquait ? Ne mest-il point venu de largent que je navais pas? Tu as sans doute aussi la crainte que tu navais pas; et alors ta sécurité égalait ta pauvreté. Mais je taccorde les richesses, les biens de ce monde, lassurance de nen rien perdre. Que Dieu te dise encore : Tu auras toujours ces biens, tu les posséderas éternellement, mais tu ne verras point ma face. Ne consultez pas la chair, mais consultez lesprit; laissez répondre votre coeur, répondre cette foi, cette espérance, cette charité qui commence à naître en vous. Si donc nous avions la certitude que nous serons toujours dans labondance, et que Dieu nous dit : Vous ne verrez point ma face, goûterions-nous quelque bonheur dans ces biens? Quelquun peut-être choisirait les joies dici-bas, et dirait : Je suis riche, cest bien, je ne veux rien de plus. Cet homme na pas encore commencé à aimer Dieu; il na point encore soupiré dans son exil. Non, non. Arrière toutes ces séductions! Arrière ces charmes mensongers! Arrière tout ce qui nous dit chaque jour: Où es ton Dieu? Répandons notre âme sur nous-mêmes, confessons nos fautes avec larmes; gémissons dans ces aveux, soupirons dans nos misères 3. Rien nest doux pour nous en dehors de Dieu. Nous ne voulons rien de ce quil nous donne, sil ne se donne lui-même celui qui nous a tout donné. « Fixez ma prière dans votre oreille, ô mon Dieu, écoutez le cri de mes supplications. Au jour de mes tribulations, jai crié vers vous et vous mavez exaucé ». 12. « Nul dentre les dieux nest semblable à vous, Seigneur 4 ». Quelle est cette parole?
1. Ps. XV, 11. 2. Id. XXVI, 4. 3. Id. XLI, 4, 5, 11. 4. Id. LXXXV, 2.
« Nul dentre les dieux nest semblable à vous, Seigneur ». Que les païens se fassent des dieux selon leurs caprices; que les ouvriers en argent, en or, les ciseleurs, les sculpteurs, leur fabriquent des dieux. Quels dieux? Des dieux qui ont des yeux pour ne point voir 1, et tous ces défauts que le Psalmiste leur a reprochés. Mais, me dit un païen, ce nest point là ce que jadore, ils ne sont que des signes, je ne les adore point. Quadorez-vous donc? Quelque chose de pire: « Car les dieux des nations sont les démons 2 ». Quest-ce donc? Ni les démons non plus, nous ne les adorons pas. Et pourtant vous navez que le démon dans vos temples, et il ny a que lui qui inspire vos devins. Mais que nous alléguez-vous? Nous adorons les anges, les anges sont, nos dieux. Vous ne connaissez nullement les anges, car les anges adorent un seul Dieu, et naccordent aucune faveur aux hommes qui veulent adorer les anges, et non Dieu. Des anges que lon voulait honorer, ont défendu aux hommes de leur rendre un culte 3; il le faut au vrai Dieu. Mais quon les appelle des anges ou des hommes, bien quil soit écrit: « Je lai dit : vous « êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut 4 ; nul parmi les dieux nest semblable à vous, ô mon Dieu ». Quelles que soient les pensées des hommes, la créature ne sera point semblable au Créateur. Or, à lexception de Dieu, tout ce qui est dans la nature est loeuvre de Dieu. Qui pourra mesurer la distance entre loeuvre et louvrier? Le Prophète sécrie donc: « Nul parmi les dieux nest semblable à vous, ô mon Dieu ». Mais il na point précisé la différence avec Dieu, parce que cette précision est impossible. Que votre charité le veuille bien comprendre, Dieu est ineffable; il est plus facile de dire ce quil nest pas, que de dire ce quil est. Ta pensée sarrête sur la terre, ce nest pas Dieu; sur la mer, ce nest pas Dieu; sur tout ce qui est sur la terre, ce sont des hommes et des animaux, ce nest pas Dieu; sur tout ce qui est sur la mer, sur tout ce qui vole dans les airs, ce nest pas Dieu; sur tout ce qui brille dans les cieux, ce sont les étoiles, le soleil et la lune, ce nest pas Dieu; sur le ciel, ce nest pas Dieu. Elève ta pensée jusquaux Anges, aux Vertus, aux Puissances, aux Archanges, aux Trônes, aux Sièges, aux Dominations, tout cela nest pas Dieu. Quest-il donc? Jai
1. Ps. CXIII, 5. 2. Id. XCV, 5. 3. Apoc. XIX, 10. 4. Ps. LXXXI, 6.
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seulement pu te dire ce quil nest pas. Tu me demandes ce quil est? Ce que loeil na point vu, ce que loreille na pas entendu, ce qui nest pas monté au coeur de lhomme 1. Comment pourrait arriver à ma langue ce qui nest pas arrivé jusquà mon coeur? «Nul nest semblable à vous parmi les dieux, ô mon Dieu; nul ne peut vous être comparé dans vos oeuvres ». 13. « Toutes les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu 2 ». Il prophétise lEglise dans ces paroles: « Toutes les nations que vous avez faites ». Sil est une nation que Dieu nait point faite, elle ne ladorera point; mais il nest aucun peuple que Dieu nait fait, puisque Adam et Eve, qui sont la source de toutes les nations, cest Dieu qui les a créés, et que de là tous les peuples tirent leur origine: Dieu donc a fait tous les peuples. « Toutes les nations que vous avez faites, viendront et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu ». Quand le Prophète parlait-il ainsi? Quand il ny avait pour se prosterner devant Dieu que quelques saints chez le seul peuple des Hébreux, ainsi parlait le Prophète, et aujourdhui, selon cette prophétie, nous voyons « toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, se prosterner devant vous ». Quand le Prophète parlait ainsi, nul ne voyait que par la foi; aujourdhui quon le voit, pourquoi nier que « toutes les nations que vous avez faites, Seigneur, viennent se prosterner devant vous, et glorifier votre nom? » 14. « Parce que vous êtes grand, que vous opérez des merveilles, et que seul vous êtes un grand Dieu ». Que nul ne se dise grand. On devait voir des hommes se nommer grands: cest contre cette prétention que le Prophète sécrie: « Vous seul êtes grand Dieu 3». Autrement à quoi bon dire à Dieu, que lui seul est grand et Dieu? Qui peut ignorer quil est Dieu et grand? Mais comme on devait voir des hommes qui se diraient grands, tout en rapetissant Dieu, le Prophète rabat leur prétention, en disant: « Vous seul êtes Dieu et grand ». Car ce que vous dites saccomplit, et non ce que disent ceux qui prônent leur grandeur. Qua dit le Seigneur par lEsprit-Saint? « Toutes les nations que vous avez faites viendront, et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu ». Que vient nous dire je ne sais
1. II Cor, II, 9. 2. Ps. LXXXV, 9. 3. Id. 10.
quel homme se disant grand? Point du tout; Dieu nest pas adoré parmi toutes les nations: toutes les nations ont péri, il ny a plus que lAfrique. Voilà ton langage, ô toi qui te dis grand: mais il tient un autre langage, ce Dieu qui seul est grand. Que dit-il donc ce seul grand Dieu? « Toutes les nations que vous avez faites, ô mon Dieu, viendront se prosterner devant vous ». Je vois ce qua dit le seul Dieu qui est grand : que lhomme se taise dans sa fausse grandeur; oui, fausse grandeur par cela seul quil dédaigne de se faire petit. Qui daigne dêtre petit? Celui qui parle ainsi: « Quiconque , parmi vous , prétendra être grand», a dit le Seigneur, « sera votre serviteur 1 ». Si cet homme voulait être le serviteur de ses frères, il ne les séparerait point de leur mère. Mais comme il vise à la grandeur, et ne veut pas être petit pour le bien des autres : Dieu, qui résiste aux superbes, mais accorde aux humbles ses faveurs 2, parce que seul il est grand, accomplit ce quil a prédit, et confond ceux qui maudissent le Christ. Or, cest maudire le Christ que dire quil ny a plus dEglise dans lunivers entier, muais seulement en Afrique. Dis-lui: Tu perdras tes villas, peut-être ne tépargnera-t-il pas les soufflets; et le voilà qui prêche que le Christ a perdu cet héritage racheté de son sang. Jugez, mes frères, de la violence de loutrage. LEcriture la dit: « Une grande nation est la gloire dun roi, mais un peuple décroissant est la confusion du prince 3 ». Tu vas donc jusquà faire cette injure au Christ, de prétendre que son peuple en est réduit à ce coin de terre? Tu es donc né, tu fais donc profession dêtre chrétien pour envier au Christ sa gloire, et tu prétends en porter le signe sur ton front, quand il nest plus dans ton coeur, « Une grande nation est la gloire dun prince ». Reconnais donc ton roi, fais-lui cet honneur de lui accorder une grande nation. Quelle grande nation lui donner, me diras-tu? Ne lui accorde rien selon ton coeur, et tu feras bien. Doù lui donner alors? Donne-lui daprès ces textes: « Toutes les nations que vous avez faites viendront se prosterner devant vous, ô mon Dieu ». Parle ainsi, proclame cette vérité et tu lui donneras une grande nation; parce que toutes les nations mie sont en lui seul quune seule nation, cest là lunité. De même quon dit lEglise, on dit les Eglises,
1. Matth. XX ,26. 2. Jacques, IV, 6. 3. Prov. XIV, 28.
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et que ces Eglises ne forment quune Eglise ainsi cette grande nation sera toutes les na lions. Tout à lheure cétaient des nations des nations nombreuses, comment ny a-t il plus quune nation? Parce quil ny a quune seule foi, quune seule espérance, quune seule charité, quun seul avenir. Et enfin pourquoi ny aurait-il pas une seule, nation, quand il ny a quune seule patrie? Cette patrie, cest le ciel; cette patrie, cest Jérusalem: quiconque nen est pas citoyen ici-bas, nappartient pas i cette nation, et quiconque en est citoyen ici-bas, est de lunique nation de Dieu. Et cette nation sétend de lOrient à lOccident, du Nord et de lOcéan dans toutes les quatre parties de lunivers entier. Voilà ce que dit le Seigneur. De lOrient et de lOccident, comme du Nord et de la mer, glorifiez votre Dieu. Voilà ce quil a prédit, ce quil a accompli, parce que seul il est grand. Quil cesse donc de parler ainsi contre le Dieu qui seul est grand, celui qui na pas voulu être petit; parce que Dieu et Donat ne peuvent être grands tous deux. 15. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité 1. » Votre voie, votre vérité, votre vie, cest le Christ. Le corps est donc pour lui, et le corps vient de lui. « Je suis la voie, la vérité, et la vie 2 ». « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie », Dans quelle voie? « Et je marcherai « dans votre vérité ». Autre est nous conduire vers le chemin, et autre nous conduire dans le chemin. Voyez lhomme toujours pauvre, toujours ayant besoin de secours. Ceux qui sont en dehors du chemin ne sont pas chrétiens, ou ne sont pas encore catholiques; il faut les conduire vers le chemin. Mais quand ils arriveront au chemin, et quils seront devenus catholiques dans le Christ, quils se laissent conduire par lui-même dans ce chemin, afin de ne point tomber. Cest alors quils marchent dans la voie, avec certitude. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie ». le suis dans cette voie, daignez me conduire vous-même. « Et je marcherai dans votre vérité » : sous votre direction, je ne puis errer; si. vous mabandonnez, je suis dans lerreur. Prie donc le Seigneur de ne tabandonner jamais, de te diriger jusquà la fin. Comment conduit-il? par ses conseils, et en te donnant la main. Et qui a connu le bras du Seigneur 3? Donner son Christ, cest donner
1. Ps. LXXXV, 11. 2. Jean, XIV, 6. 3. Isa. LIII, 1.
sa main, et donner sa main, cest donner son Christ. Te conduire à la voie, cest te conduire au Christ ; et te conduire dans la voie, cest te conduire dans le Christ. Or, le Christ est la vérité. « Conduisez-moi, Seigneur; dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité »; dans celui-là même qui a dit : « Je suis la voie, la vérité, et la vie ». Pourquoi en effet conduire dans la voie et dans la vérité, sinon pour arriver à la vie? Cest donc en lui, Seigneur, que vous nous conduisez vers lui. « Conduisez-moi, Seigneur, dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité ». 16. « Que mon coeur soit dans la joie, afin de craindre votre nom ». Dans cette joie donc il y a de la crainte. Mais avec la crainte où peut être la joie? ny a-t-il point ordinairement de lamertume dans la crainte? Un jour nous aurons une joie sans crainte ; ici-bas la crainte est dans la joie. Nous navons ni une sécurité entière, ni une joie pleine. Sans aucune joie nous succombons, avec une entière sécurité notre allégresse est vicieuse. Que Dieu donc laisse tomber sur nous quelque joie, quil nous inspire de la crainte, et des douceurs de la joie nous conduise au repos de la sécurité. Quil nous inspire de la crainte, afin quune trompeuse allégresse ne nous jette point hors de la voie. Aussi le Psalmiste a-t-il dit : « Servez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement 1 ». Et lapôtre saint Paul a dit aussi: « Opérez votre salut avec crainte « et avec tremblement, car cest Dieu qui lopère en vous 2». Quel que soit donc le bonheur qui nous arrive, mes frères, craignez davantage; car ce que vous prenez pour une félicité, est plutôt une épreuve. Il vous vient un héritage, une grande fortune, je ne sais quel comble de prospérité; ce sont autant dépreuves, prenez garde à la corruption. Il y a même des prospérités dans le Christ, et dans la charité du Christ : ainsi tu as peut-être gagné une épouse qui avait suivi le parti de Donat; tu as amené à la foi tes fils qui étaient païens; tu as conquis au Christ un ami qui voulait tentraîner dans les théâtres, et tu las ramené dans lEglise; tu avais peut-être un ennemi acharné à te contredire, et déposant sa rage, il est devenu doux, a connu le Seigneur, et loin daboyer contre toi il proteste
1. Ps. II, 11. 2. Philipp. II, 12, 13.
306
avec toi contre les méchants; voilà tout autant de joies. Quest-ce en effet qui nous réjouira, si tout cela ne nous réjouit point?Ou quelles autres joies plus pures que celles-là pourrons-nous avoir? Mais comme il y a en cette vie des tribulations, des épreuves, des dissensions et des schismes, et tous ces maux dont le siècle ne saurait être exempt jusquà ce que liniquité disparaisse; que notre joie ne nous endorme point dans notre sécurité, que notre coeur se réjouisse, mais dans la crainte du Seigneur ; quil ne trouve ailleurs ni joie, ni repos. Nattendez pas de sécurité dans lexil; quand nous la voudrons goûter ici-bas, ce sera plutôt une glu pour le corps, quune sécurité pour lhomme. « Que mon coeur soit dans la joie, de manière à craindre votre nom». 17. « Je vous confesserai, Seigneur mon Dieu, de tout mon coeur, et je glorifierai votre nom dans léternité; parce que votre miséricorde est grande envers moi, et que vous avez arraché mon âme de lenfer inférieur 1». Ne men veuillez point, mes frères, si je ne vous donne point sur ce verset une interprétation certaine. Je suis homme, et je nose parler que daprès les saintes Ecritures, jamais de moi-même. Je nai point éprouvé lenfer, vous non plus : peut-être prendrons-nous un autre chemin qui ne sera point celui de lenfer. Tout cela est incertain. Mais comme on ne saurait contredire lEcriture qui nous dit: « Vous avez arraché mon âme à labîme inférieur »; nous comprenons quil y a comme deux enfers, lun supérieur, lautre inférieur. Pourquoi, en effet, un enfer inférieur, sil nen est un supérieur ? Ce nest quà raison de cette partie supérieure de lenfer que lon peut parler dune autre. Il me semble donc, mes frères, quil est pour les anges une habitation céleste, séjour des joies ineffables, séjour dimmortalité et dincorruption, séjour où tout est en permanence, selon le don et la grâce de Dieu. Cest la partie supérieure du monde. Si telle est la partie supérieure, ce séjour terrestre, séjour de la chair et du sang, séjour de la corruption, où lon naît pour mourir, où il y a disparition et succession, mutabilité et inconstance, où lon ne rencontre que les craintes, les convoitises, les horreurs, les joies incertaines, une espérance fragile, une substance
1. Ps. LXXXV, 12, 18.
périssable, ce séjour, dis-je, ne peut être comparé au ciel dont nous venons de parler; si donc on ne saurait le comparer au ciel, le ciel est la région supérieure, et celle-ci sera la région inférieure, doù vient le nom denfer. Mais après la mort, où irons-nous, sil ny a une région encore au-dessous de cette région inférieure que nous habitons avec notre chair et notre mortalité? Car lApôtre la dit, « le corps est mort à cause du péché 1». Nous sommes donc morts dès ici-bas, et rien détonnant, dès lors, que ce séjour soit appelé enfer, sil y a tant de morts. LApôtre ne dit point que le corps mourra, mais bien: « Le corps est mort ». Il est vrai que ce corps possède encore une vie; mais il est véritablement mort, bien quil soit uni à lâme, si nous Je comparons à ce corps que nous devons avoir, et qui ressemblera au corps des anges. Mais au-dessous de cet enfer, cest-à-dire au-dessous de cette partie inférieure, il est un autre enfer où vont les morts, dont Dieu a voulu tirer nos âmes en y envoyant son Fils. Car, mes fières, cest dans ces deux régions inférieures, que Dieu a envoyé son Fils, pour nous délivrer dans lune comme dans lautre. Il est venu dans lune en naissant, dans lautre en mourant. Aussi, daprès lexposition de lapôtre saint Pierre, et non plus daprès les conjectures humaines, est-ce bien lui qui a dit dans un psaume: « Vous ne laisserez point mon âme dans lenfer 2». Donc aussi cette parole : « Vous avez arraché mon âme à lenfer inférieur », est sa parole, ou bien notre parole par Jésus-Christ Notre. Seigneur; car sil est venu dans lenfer, cest afin que nous ne restions point dans lenfer. 18. Jexposerai aussi une autre opinion. Il y a peut-être dans les enfers une région plus profonde, où sont précipités les impies chargés diniquités. Car il ne nous est guère possible de définir quAbraham navait pas une place, quelque part dans les enfers. Le Seigneur en effet nétait pas encore descendu dans les enfers, pour en délivrer les âmes des saints qui lavaient précédé, et pourtant Abraham était dans le repos. Et ce riche, tourmenté dans les enfers, leva les yeux pour voir Abraham. Or, il ne pouvait le voir en levant les yeux, si Abraham neût été en haut et lui en bas. Et quand il sécrie: « Abraham, ô mon père, envoyez Lazare, afin quil
1. Rom, VIII, 10. 2. Ps. XV, 10; Act, II, 27.
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trempe son doigt dans leau, et en laisse tomber une goutte sur ma langue, car je suis dévoré dans ces flammes » : que lui répond Abraham? « Mon fils, souviens-toi que tu as reçu de grands biens pendant ta vie, et Lazare des maux : maintenant il est dans le repos, et toi dans les tourments. Au surplus un grand chaos est consolidé entre vous et nous, de sorte que nous ne pouvons aller à vous, ni vous venir, à nous 1». Ce serait donc à la vue de ces deux enfers peut-être, dont lun est pour les justes un lieu de repos, dont lautre est pour les impies un lieu de tourments, que le Prophète, dans sa prière, déjà incorporé à Jésus-Christ, et priant par la voix de Jésus-Christ, dit que Dieu a délivré son âme de lenfer inférieur, parce quil la délivré des péchés qui pouvaient le conduire aux tourments de cet enfer inférieur. Il en est de même dun médecin qui, te voyant près de tomber malade par excès de fatigue , te dirait : Ménage-toi, traite-toi de telle façon , repose-toi , prends telle nourriture; autrement tu tomberas malade; mais, au contraire, ce moyen te sauvera; tu as raison de dire alors au médecin : Vous mavez délivré de maladie, non que tu aies été malade, mais parce que tu devais lêtre. Voilà un homme qui avait une affaire embarrassante, et il devait subir lemprisonnement; un autre vient et défend sa cause. Que lui dit-il, pour le remercier? Vous mavez sauvé de la prison. Un débiteur allait être pendu, on paie sa dette; on dit quil est délivré de la potence. Ni lun ni lautre ny étaient encore; mais parce que leurs méfaits devaient les y conduire, et quils y fussent arrivés si lon ne fût venu à leur secours, on dit avec raison quils ont été délivrés de cette peine à laquelle des libérateurs ne les ont pas laissé conduire. Que vous embrassiez donc, mes frères, lune ou lautre partie, jétudie avec vous la parole de Dieu, sans rien affirmer avec témérité, « Vous avez délivré mon âme de lenfer inférieur». 19. « O Dieu, ceux qui violent votre loi, se sont élevés contre moi 2 ». Quels sont ces violateurs de la loi? Il nappelle point ainsi les païens qui nont point reçu la lui; et nul ne peut violer un précepte qui nest pas imposé. LApôtre dit dune manière absolue
1. Luc, XVI, 22-26. 2. Rom. IV, 15.
« Sans loi, il ny a point de prévarication »; donnant ainsi le nom de prévaricateurs à légard de la loi, ceux qui violent cette même loi. Si nous mettons cette parole dans la bouche du Seigneur, les violateurs de la loi seront les Juifs. « Ces violateurs se sont élevés contre moi »; nobservant point la loi, ils ont accusé le Christ de la violer. «Ces contempteurs de la loi se sont élevés contre moi ». De là cette passion du Sauveur que nous connaissons. Or, penses-tu que son corps ne souffre plus rien de semblable? Est-ce possible? « Sils ont appelé Béelzébub le père de famille, à combien plus forte raison ses domestiques? Le disciple nest pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur 1». Son corps souffre donc de la part des prévaricateurs; ils sélèvent contre le corps du Christ. Quels sont donc ces violateurs de la loi? Les Juifs oseraient - ils bien sélever contre le Christ? Non : et ils ne nous font pas subir grande tribulation, car ils nont pas encore embrassé la foi, ni connu le salut. Ceux qui sélèvent contre le Christ, ce sont les mauvais chrétiens, qui font subir laffliction chaque jour au corps du Christ. Les auteurs de tout schisme, de toute hérésie, tous ceux qui dans lEglise vivent dans le désordre, et qui imposent leur désordre aux âmes pieuses, qui les attirent, qui corrompent les moeurs pures par leurs conversations dépravées 2, voilà « les contempteurs de la loi qui sélèvent contre moi ». Ainsi doit parler toute âme pieuse, toute âme chrétienne, mais non toute âme qui nen souffre point. Or, toute âme qui est chrétienne sait les maux quelle endure : si elle connaît ce quelle endure, quelle reconnaisse ici. ses plaintes; et si elle est au-dessus de la douleur, quelle soit encore au-dessus de la plainte; mais si elle ne veut pas demeurer étrangère à la douleur, quelle marche dans la voie étroite 3. Quelle commence à vivre pieusement dans le Christ, alors il devient nécessaire quelle endure la persécution. « Tous ceux», dit lApôtre, «qui veulent vivre pieusement dans le Christ, souffriront persécution 4. Seigneur, les contempteurs de votre loi se sont élevés contre moi; la synagogue des puissants a recherché « mon âme ». Cette synagogue des puissants, cest lassemblée des orgueilleux; or, la synagogue
1. Matth. X, 24, 25. 2. I Cor. XV, 33. 3. Matth. VII, 14. 4. II Tim. III, 12.
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des puissants sest élevée contre notre chef, ou contre Notre-Seigneur Jésus-Christ; et ils ont dit, ils ont crié dune voix unanime: « Crucifiez-le ! crucifiez 1 !» Cest deux quil est écrit: « Pour ces enfants des hommes, les dents sont des armes et des flèches, et leur langue est un glaive effilé 2». Ils ne lont point frappé; mais crier, cétait le frapper; crier, cétait le crucifier. Crucifier le Seigneur, cétait obéir à leurs cris, obéir à leur volonté. « La synagogue des puissants a recherché mon âme; ils nont point arrêté leurs regards sur vous ». Comment nont-ils point arrêté leurs regards? Ils nont point compris quil était Dieu. Ils eussent épargné lhomme, ils eussent marché selon leur vue. Mais parce quil nétait pas un Dieu, quil était un homme, fallait-il donc le mettre à mort? Epargne lhomme, et reconnais un Dieu. 20. « Et vous, Seigneur, Dieu de miséricorde et de clémence, vous êtes plein de patience, de compassion et de vérité 3». Pourquoi « plein de longanimité, de compassion, de miséricorde? » Parce que sur la croix, il sécrie : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce quils font 4 ». A qui adresse-t-il cette prière? Pour qui? Qui est-ce qui prie? En quel endroit? Cest le Fils qui invoque son Père, le crucifié en faveur des impies, quand on linjurie, non plus en paroles, mais jusquà lui donner la mort, quand il est cloué à la croix; on dirait que ses mains ne sont ainsi étendues quafin de prier pour eux, quafin que sa prière sélevât comme un parfum en présence de son Père, et que ces mains élevées fussent comme un sacrifice du soir 5. « Vous êtes plein de patience, de miséricorde et de vérité ». 21. Si donc vous êtes la vérité, « Jetez les yeux sur moi, prenez-moi en pitié, et donnez la puissance à votre serviteur 6 ». Parce que vous êtes la vérité, « donnez la puissance à votre serviteur ». Que les jours dépreuve sécoulent, et que vienne enfin le temps de juger. Quest-ce à dire: «Donnez la puissance à votre serviteur? » « Le Père ne juge personne, mais il a donné au Fils toute puissance de juger 7». Cest lui qui ressuscite, et qui doit venir sur la terre pour juger : il apparaîtra terrible, lui qui a paru méprisable. Il montrera sa puissance, lui qui na montré
1. Jean, XIX, 6. 2. Ps. LVI, 5. 3. Id. LXIXV, 15. 4. Luc, XXIII, 34. 5. Ps. CXL, 2. 6. Id. LXXX, 16. 7. Jean, V, 22.
que patience. A la croix, cétait la puissance, au jugement, ce sera la puissance. Au jugement il paraîtra dans son humanité, mais aussi dans sa gloire : « Car il doit venir », ont dit les Anges, « tel que vous lavez vu sélever 1 ». Cest dans la forme de lhomme quil viendra pour le jugement, aussi sera-t-il vu des impies qui ne pourront voir la forme divine. Car « bienheureux ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 2». Cest sous la forme de lhomme quil apparaîtra pour dire « Allez au feu éternel 3»; afin que cet oracle dIsaïe soit accompli : « Enlevez limpie, afin quil ne voie point la clarté du Seigneur 4 ». Quil disparaisse afin quil ne voie point la forme de Dieu. Ils verront donc la forme de lhomme, mais ils ne verront point « cette forme divine qui le rend égal à Dieu 5 ». « Ce Verbe qui était au commencement, Verbe qui était en Dieu, Verbe qui était Dieu 6» : voilà ce que les impies ne verront point. Car si le Verbe est Dieu, et si « bienheureux les coeurs purs parce quils verront Dieu 7 », comme les impies ont le coeur souillé, assurément ils ne verront pas Dieu. Comment donc « verront-ils Celui quils ont percé 8», sinon quil apparaîtra visiblement sous la forme humaine pour ceux qui seront jugés, et sous la forme dun Dieu pour ceux-là seulement qui seront séparés à sa droite? Quand en effet ils seront placés à droite, il leur sera dit : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde ». Et que sera-t-il dit aux impies de la gauche? « Allez dans le feu éternel, que mon Père a préparé au diable et à ses anges ». Or, après le jugement, quelle est la conclusion de lEvangile? « Ainsi », dit-il, « les impies iront au brasier sans fin, et les justes à la vie éternelle 9». Ils passeront, ainsi, de la vision de la forme de lhomme, à la vue de la forme divine. « Or », est-il dit, « cest en ceci que consiste la vie éternelle; à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 10 »; cest-à-dire que lui aussi est le seul vrai Dieu. Car le Père et le Fils sont un seul vrai Dieu: et alors le sens serait, afin quils reconnaissent pour vrai Dieu et vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé.
1. Act. I, 11. 2. Matth. V, 8. 3. Id. XXV, 41. 4. Isa. XXVI, 10, suiv. les Septante. 5. Philipp. II, 6.6. Jean, I, 1. 7. Matth. V, 8. 8. Jean, XIX, 37. 9. Matth. XXV, 34, 41,46, 10. Jean, XVII, 3.
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Car les bienheureux ne passeront point à la vision du Père, sans voir aussi le Fils. Si lon ne voyait en effet le Fils dans le Père, ce même Fils ne dirait point à ses disciples, que le Fils est dans le Père, comme le Père est dans le Fils. Voilà que ses disciples lui disent : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Il répond : « Depuis si longtemps je suis avec vous, et vous ne me connaissez point? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père ». Remarquez : voir le Père, cest voir aussi le Fils, comme voir le Fils, cest voir aussi le Père. Aussi le Sauveur a-t-il ajouté: « Ne savez-vous donc pas que je suis en mon Père, et que mon Père est en moi ?» Cest-à-dire, en me voyant on voit mon Père, et en voyant le Père on voit le Fils; on ne peut les séparer dans la vision bienheureuse, comme on ne peut les séparer dans leur nature et dans leur substance. Et pour vous montrer que le coeur doit se préparer à voir la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que nous croyons sans la voir encore, en purifiant néanmoins notre coeur par cette croyance, afin que nous puissions lavoir un jour, le Seigneur a dit à un autre endroit: « Celui qui écoute mes commandements et qui les garde, cest celui-là qui maime : or, celui qui maime, sera aimé de mon Père, et moi je laimerai, et me montrerai à lui 1 ». Ceux à qui il parlait, ne le voyaient-ils donc point? Ils le voyaient, et ne le voyaient point; ils voyaient dans un sens, et croyaient dans un autre sens; ils voyaient un homme, ils croyaient in Dieu. Or, au jugement ils verront avec les impies le même Jésus Notre-Seigneur; après le jugement ils verront Dieu à lexclusion des impies. « Donnez la puissance à votre serviteur ». 22. « Et sauvez le fils de votre servante 2». Ce fils de la servante est Notre-Seigneur. De quelle servante? de celle qui répondit, quand on lui annonça Celui qui devait naître : «Voici la servante du Seigneur, quil me soit fait selon votre parole 3». Sauver le Fils de la servante, cétait donc sauver son Fils: son Fils dans la forme de Dieu, le fils de la servante sous la forme de lesclave 4. Cest donc de la servante du Seigneur quest né Notre-Seigneur, sous la forme de lesclave, lui qui dit: « Sauvez le fils de votre servante»,
1. Jean, XIV, 8-10, 21 2. Ps. LXXXV, 16. 3. Luc, I, 38. 4. Philipp. II, 6.
Il a été sauvé de la mort, comme vous le savez, et sa chair qui était morte a repris la vie. Mais afin que vous sachiez quil est Dieu, et quil nest point ressuscité par son Père, tellement que lui-même ne fût rien dans la résurrection, puisque lui-même aussi a ressuscité sa chair, vous lisez dans lEvangile cette parole: « Détruisez le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours 1 ». Et pour nous interdire tout autre sens, lEvangéliste ajoute : « Il parlait ainsi du temple de son « corps 2 » . Donc le fils de la servante a été sauvé. Que tout chrétien incorporé au Christ, sécrie aussi : « Sauvez le fils de votre servante ». Peut-être ne peut-il point dire : « Donnez la puissance à votre Fils », puisque ce Fils a réellement reçu la puissance. Mais pourquoi ne pas le dire également? Nest-ce pas à des serviteurs quil est dit : « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger les douze tribus dIsraël 3? » Des serviteurs ne disent-ils pas: « Ignorez-vous que nous jugerons les anges 4? » Chacun des saints reçoit donc ce pouvoir, et chacun des saints est le fils de la servante. Mais, sil est né dune païenne pour devenir ensuite chrétien : comment le fils dune païenne peut-il être le fils de la servante? Il est alors fils dune païenne selon la chair, mais fils de lEglise selon lesprit. « Sauvez le fils de votre servante ». 23. « Donnez-moi un signe de votre faveur 5». Quel signe, sinon celui de la résurrection? Le Seigneur a dit: « Cette génération dépravée et rebelle demande un signe, et il ne lui sera donné aucun anti-signe que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jouas fut dans le ventre de la baleine trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de lHomme sera trois jours dans le sein de la terre 6 ». Donc ce signe de faveur sest accompli dans notre chef; mais que chacun de nous sécrie: « Donnez-moi un signe de votre faveur » ; car nous devons, nous aussi, être changés, quand au son de la dernière trompette, à lavènement du Seigneur, les morts ressusciteront pour être incorruptibles 7. Tel sera le signe de la faveur divine. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et en soient confondus». Au jugement ils éprouveront une confusion funeste, ceux qui nont pas voulu dune confusion
1. Jean, II, 19. 2. Id. 21. 3. Matth. XIX, 28. 4. I Cor. VI, 3. 5. Ps. LXXXV, 17. 6. Matth. XII, 39, 40. 7. I Cor. XV, 52.
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salutaire. Quils soient donc confondus dès cette vie, quils répudient leurs voies coupables pour marcher dans la voie de la sainteté: car nul dentre nous ne peut vivre sans confusion, à moins quune première confusion ne le fasse renaître. Dieu leur offre maintenant loccasion dune confusion salutaire, sils ne dédaignent point le remède de laveu. Mais sils répudient la confusion aujourdhui, ils néchapperont point à la confusion, quand leurs crimes sélèveront pour les accuser 1. Comment seront-ils confondus ? ils diront alors : « Voilà donc ceux que nous avons u tournés en dérision, qui essuyaient nos outrages. Insensés, nous regardions leur vie comme une folie, comment sont-ils rangés parmi les enfants de Dieu? A quoi nous revient notre orgueil 2? » Voilà ce quils diront; que ne disent-ils maintenant ce quils diraient avec fruit? Que chacun se retourne vers Dieu avec humilité, et dise maintenant: De quoi nous sert notre orgueil? Quil exécute cette parole de lApôtre : « Quelle gloire vous revient-il de ces oeuvres qui vous font rougir maintenant»?» Vous le voyez donc: ici-bas, une confusion salutaire nous tient lieu de pénitence, mais alors, elle sera tardive, inutile et sans fruit. « De quoi nous sert notre orgueil ? Que nous a valu létalage de nos richesses? Tout a passé comme lombre 3 ». Eh! quoi donc ? Pendant ta vie sur la terre, tu ne voyais donc point tout cela passer comme une ombre? Tu eusses quitté lombre pour être dans la lumière; et tu ne dirais point: « Tout sest évanoui comme une ombre », alors que tu vas passer de lombre aux ténèbres. « Donnez-moi un signe de votre faveur, afin que mes ennemis le voient et soient dans la confusion ». 24. « Car vous, Seigneur, mavez aidé et mavez consolé 5 » . « Vous mavez aidé » dans le combat, « et vous mavez consolé » dans ma tristesse. Nul ne recherche la consolation, sil nest dans la misère. Refusez-vous la consolation ? Dites que vous êtes heureux. Mais vous entendez cette parole : « Mon peuple », (déjà vous me répondez, et votre murmure que jentends, me prouve que vous connaissez les saintes Ecritures. Que ce même Dieu qui la gravée dans vos coeurs, la fasse paraître dans vos actions. Vous le voyez donc, cest
1. Sag. IV, 20. 2. Id. V, 3, 6. 3. Rom, VI, 21. 4. Sag. V, 3-9. 5. Ps. LXXXV, 17.
vous tromper que vous appeler heureux) « Mon peuple, ils vous appellent heureux, et ils vous jettent dans lerreur, ils ruinent le sentier où vous marchez 1». Tel est encore lavis de saint Jacques, dans son épître: « Soyez dans laffliction et dans les larmes, que vos ris se changent en deuil 2 ». Vous voyez comment vous parle cet apôtre : comment nous tiendrait-il ce langage dans la sécurité? Ce monde est une terre de scandales, dafflictions et de grands maux : cest ici que nous devons gémir afin de nous réjouir dans le ciel ; ici lépreuve, là haut la consolation, alors que nous dirons: «Parce que vous avez épargné les larmes à nos yeux, et la chute à nos pieds, voilà que je mettrai mes délices dans le Seigneur, en la terre des vivants 3 ». Or, la terre est le séjour des morts, ce séjour des morts passera, et alors viendra la région des vivants. Dans ce séjour des morts, il ny a que travail, que douleur, que crainte, que tribulation, quépreuve, que gémissements, que soupirs. Il ny a que fausse félicité, que véritable misère, car une félicité trompeuse, est une misère véritable. Mais quiconque reconnaît quil est ici dans une misère véritable, sera dans la vraie félicité. Et néanmoins parce que tu es dans laffliction, écoute la parole du Seigneur: «Bienheureux ceux qui pleurent 4», Eh quoi! «Bienheureux ceux qui pleurent!» Rien nest plus près de la misère que les larmes ; rien nen est plus éloigné que le bonheur; et vous dites quils pleurent, et vous les appelez bienheureux ! Comprenez bien mes paroles, nous dit-il, jappelle bien heureux ceux qui pleurent. Comment bienheureux? En espérance. Comment pleurent-ils? En réalité. Ils pleurent dans cette vie mortelle, dans ces tribulations, dans cet exil; et comme ils reconnaissent quils sont dans ces misères, ils en gémissent, et ils sont bienheureux. Pourquoi pleurer dès lors? Le bienheureux Cyprien fut contristé dans sa passion, aujourdhui il a les consolations et une couronne de gloire. Et toutefois, dans ces consolations, il ressent de la tristesse : car Notre-Seigneur Jésus-Christ prie encore pour nous 5 : or, tous les martyrs qui sont avec lui, interviennent en notre faveur. Leurs prières ne doivent cesser, que quand cesseront nos gémissements. Or, quand cesseront nos gémissements, nous
1. Isa. III, 12. 2. Jacques, IV, 9. 3. Ps. CXIV, 8, 9. 4. Matth. V, 5. 5. Rom. VIII, 34.
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recevrons tous une même consolation, ne formant plus quune même voix, quun même peuple, dans une même patrie. Des milliers de millions uniront leurs cantiques aux cantiques des anges, et ne formeront quun même choeur avec les Puissances dans lunique cité des vivants. Où seront les gémissements dans cette cité? Où les soupirs; la fatigue et lindigence? Où la mort? Qui y fera des oeuvres de miséricorde, y donnera du pain au pauvre, alors que tous y seront rassasiés du pain de la justice? Nul alors ne te dira: Recevez un étranger; il ny aura là nul étranger, tous y vivent dans leur patrie. Nul ne viendra te dire: Réconcilie tes amis qui sont en querelle; tous jouiront en paix de la présence de Dieu. Nul ne te dira Visite ce malade; la santé et limmortalité régneront donc éternellement. Nul ne te dira : Ensevelis ce mort tous auront la vie éternelle, Il ny aura plus doeuvres de miséricorde, parce quil ny aura plus de misère. Et quelle sera donc loccupation au ciel? Le sommeil peut-être? Si nous combattons contre nous-mêmes, en cette vie, bien que nous demeurions dans la maison du sommeil, ou dans une chair pesante, si nous nous éveillons devant ces flambeaux, si cette solennité nous ôte lenvie de sommeiller, combien ce grand jour devra nous porter à la veille? Arrière donc tout sommeil, nous veillerons au ciel. Que ferons-nous alors ? Il ny aura plus doeuvres de miséricorde, parce quil ny aura plus de misère. Ny aura-t-il plus alors ces nécessités que lon subit aujourdhui, de semer, de labourer, de tisser, de moudre le blé, de le cuire? Rien de tout cela, parce quil ny aura plus de nécessité. De même quil ny aura plus doeuvres de miséricorde, parce quil ny aura plus de misère de même avec la nécessité et la misère, disparaîtront les oeuvres de miséricorde et de nécessité. Quy aura-t-il donc ? Quelle sera notre occupation? Notre action ? Ny aura-t-il aucune action, parce que nous serons en repos? Nous serons donc assis dans linaction et lindolence? Si notre amour peut se refroidir, nous pourrons cesser dagir. Ainsi donc, cet amour qui doit se reposer dans la face de Dieu, qui tend à Dieu, qui espère en lui, quelle nen sera point lardeur, quand nous arriverons à lui? Si maintenant, sans le voir, nous soupirons vers lui avec une ardeur si vive, de quelles clartés ne doit-il point nous illuminer, quand nous le verrons? Quel changement fera-t-il en nous? Que fera-t-il de nous? Et que ferons-nous, mes frères? Que le psaume nous le dise : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison ». Pourquoi? « Ils vous béniront dans les siècles des siècles 1 », Telle sera, mes frères, notre occupation, louer Dieu. Nous laimerons et nous le bénirons. Tu cesseras de le bénir, si tu cesses de laimer. Mais tune cesseras point de laimer, parce quen le voyant, tu néprouveras aucun ennui; il te rassasiera sans te rassasier. Mon expression te surprend. Moi, si je dis quil te rassasiera, je crains que tu ne ten ailles de lassitude, comme on sen va dun dîner ou dun souper. Te dirai-je alors quil ne te rassasiera pas? Mais si je le fais, je crains que lindigence ne teffraie, que tu nimagines quelque besoin, ou du moins quelque désir à satisfaire. Que dirai-je donc, sinon ce que lon peut exprimer sans pouvoir à peine le penser? Que Dieu nous rassasiera et ne nous rassasiera point; car je trouve lun et lautre dans lEcriture. Sil est dit en effet: « Bienheureux ceux qui ont faim, parce quils seront rassasiés 2 »; il est dit encore dans la Sagesse: « Ceux qui vous mangent auront encore faim, et ceux qui vous boivent auront encore soif 3 ». Il nest pas dit : soif de nouveau; mais: encore soif. Avoir soif de nouveau, ce serait retourner boire, après avoir digéré ce quon aurait bu à satiété. Il en est de même de ceux qui vous mangent et qui ont encore faim, car ils ont faim alors même quils vous mangent; et ils ont soif alors même quils vous boivent. Quest-ce à dire avoir soif quand on boit? Avoir une soif inextinguible. Si donc Dieu nous réserve des délices ineffables et éternelles, que veut-il de nous maintenant, mes frères, sinon une foi sincère, une espérance ferme, une charité pure , en sorte que lhomme savance dans la voie tracée par le Seigneur, quil supporte les épreuves, et reçoive les consolations den haut?
1. Ps. LXXXIII, 5. 2. Matth. V, 6. 3. Eccli. XXIV, 29.
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