PSAUME LXXXVIII
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVIII. PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
LES PROMESSES DE DIEU.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVIII.DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME . SUITE DU SUJET.

DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVIII (1).

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.

LES PROMESSES DE DIEU.

 

Toute force nous vient de la miséricorde de Dieu, qui détruit nos erreurs pour nous réédifier dans la vérité, Miséricorde et vérité sont inséparables; Dieu nous remet nos péchés par la première pour nous établir dans la seconde, comme ils confirme cette seconde parmi les Juifs et fait éclater la première chez les Gentils. La vérité est dans les cieux ou dans les Apôtres, issus d’Israël, et dont la voix se fait entendre partout. Le Seigneur a promis à David comme à Abraham sans postérité éternelle qui est le Christ, et ceux qui croient en lui, le corps et la tête ne peuvent être séparés. Le Christ a dont son trône en nous qu’il conduit, et il règnera éternellement dans les saints; ses merveilles éclateront dans la conversion des pécheurs, dans le conseil des saints qui prêcheront l’incarnation du Fils de Dieu. Ce Fils est grand parmi ceux qui l’environnent ou parmi les nations auxquelles il a envoyé ses nuées ou Apôtres, et qui l’ont vu ainsi venant sur les nuées. Mais quand le Seigneur se chercha ainsi une Epouse, le monde lui barra le passage, comme le lion à Samson il égorgea ses martyrs dont le sang a fait naître l’Eglise. Cette mer du monde a vu humilier les superbes et le dragon, à qui ont échappé par l’humilité ceux qu’il dominait. Au Seigneur donc, et les cieux qui prêchent, et la terre qui reçoit la vérité, et l’Aquilon où Satan a été humilié, et la mer qu’il apaise ; de lui vient la Thabor et la lumière, et l’Hermon ou l’anathème à Satan. Il régnera par le jugement, comme il règne aujourd’hui par la miséricorde. Notre joie donc pour être vraie doit venir de Dise, et non de nos mérites. Lui seul nous soutient, il parle à ses Prophètes, il a choisi son élu ou le Christ, contre qui ne prévaudront point ses ennemis, qui seront taillés en pièces, afin que la miséricorde et la vérité règnent sur la terre, et que lui-même soit élevé au-dessus des rois. Les martyrs ont cru à cette élévation sans la voir; croyons au reste les promesses.

 

1. Le psaume que nous voulons vous expliquer avec le secours de Dieu,vous apprendra, mes frères, ce que nous devons espérer de Jésus-Christ Notre-Seigneur; élevez donc vos coeurs, puisque Dieu qui vous n tait ces promesses, les accomplira, comme il en a accompli tant d’autres. Ce qui doit affermir en effet notre confiance en lui, c’est sa miséricorde et non notre mérite. Telle est, si je ne me trompe, « l’intelligence d’Ethan israélite 2», qui fait le titre du psaume. Peu importe l’homme qui ait jadis porté le nom d’Ethan : ce nom n’en signifie pas moins un homme robuste. Or, nul homme en cette vie n’est fort que sur l’espérance que donne la promesse de Dieu. Au point de vue de nos mérites nous sommes très-faibles, mais nous sommes forts au point de vue de la miséricorde divine. Aussi cet homme, faible par lui-même, fort de la miséricorde de Dieu, commence ainsi:

2. « Je chanterai éternellement les miséricordes

 

1. Premier sermon, prêché à l’office des Matines de quelques Martyrs. — 2. Dans le texte de  la vulgate, il y a Exzahitae et non Israelitae. Ce mot Ezrahitae serait peut-être pour Zarahitae, car au livre 1er des Paralipomènes, II, 6, Aethan et Aeman sont comptés parmi les fila de Zara. Au livre III des Rois, IV, 31, Salomon est proclamé plus sage que Ethan Ezrahite. Les Septante ont traduit Zaritem.

 

du Seigneur : de génération en génération, ma bouche publiera votre vérité 1 ». Que mes membres, dit l’interlocuteur, soient soumis au Seigneur mon Dieu; je parle, mais je dis ce que vous m’inspirez: « Ma bouche annoncera votre vérité ». Si je n’obéis point, je ne suis point serviteur;si je parle de moi-même, je suis menteur, Pour parler, et parler de vous, il me faut dent choses, l’une de vous, l’autre de moi: votre vérité et ma bouche. Ecoutons donc la vérité que va prêcher le Prophète, et les miséricordes qu’il va chanter.

3. « Car vous l’avez dit : La miséricorde sera éternellement édifiée ». Voilà ce que je publie, voilà votre vérité; c’est à la publier que ma bouche est consacrée : « Car vous l’avez dit : la miséricorde sera édifiée à jamais ». Je construis en effet, dites-vous, mais sans rien détruire; de même que vous en détruisez quelques-uns pour ne point les rebâtir, vous en détruisez d’autres pour les rétablir de nouveau. Si Dieu ne devait pas réédifier quelques-uns qu’il détruit, il ne dirait point par Jérémie : « Voilà que je

 

1. Ps. LXXXVIII, 2 — 3. Id. 3.

 

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t’ai établi pour détruire et pour édifier 1 ». Evidemment ceux qui se prosternaient devant les idoles, qui adoraient la pierre, n’eussent jamais été édifiés dans le Christ, s’ils n’eussent essuyé la ruine de leurs antiques erreurs. De même s’il n’y en avait que Dieu détruisît pour ne point les reconstruire, il ne serait point dit: « Vous les détruirez et ne les rebâtirez point 2». C’est donc pour ceux que Dieu détruit afin de les édifier ensuite, c’est pour les empêcher de croire que l’édifice dans lequel ils sont entrés n’est que pour un temps, comme l’a été la ruine par laquelle ils ont passé, que le Prophète s’est tenu ferme dans la vérité de Dieu à laquelle il prête sa bouche, par l’amour de cette même vérité. Je prêcherai, dit-il, je parlerai, « parce que vous avez parlé ». L’homme parie avec assurance, quand il parle après Dieu. Si mes paroles était flottantes, la vôtre les affermirait, « car vous avez parlé». Qu’avez-vous dit? « Que la miséricorde sera établie éternellement, que la vérité sera préparée dans les cieux». Il avait dit plus haut : « Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur; j’annoncerai par ma bouche votre vérité de génération en génération », joignant ainsi la miséricorde à la vérité; il les joint ici une seconde fois : « Car vous l’avez dit : votre miséricorde sera édifiée pour l’éternité, votre vérité sera affermie dans le ciel ». Ici encore il répète la miséricorde et la vérité: Toutes les voies du Seigneur ne sont que miséricorde et vérité 3. Dieu ne montrerait point sa vérité en accomplissant ses promesses, si d’abord il ne nous avait remis nos péchés dans sa miséricorde. Mais comme d’une part il avait fait par ses Prophètes beaucoup de promesses au peuple d’Israël, issu d’Abraham selon la chair, et que ce peuple s’est multiplié afin que s’accomplissent en lui les promesses de Dieu; comme d’autre part, Dieu ne fermait point les sources de sa bonté aux nations étrangères qu’il avait placées sous la garde des anges, quand il choisissait Israël pour son héritage, voilà que l’Apôtre distingue la divine miséricorde pour les uns, et la divine vérité pour les autres. Car il nous dit que « le Christ a été ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à  nos pères 4». Voilà bien le Dieu qui n’a

 

1. Jér. 1, 10.— 2. Ps. XXVII, 5.— 3. Id. XXIV, 10.— 4. Rom. XV, 20.

 

point trompé, voilà qu’il n’a point rejeté le peuple qu’il avait élu dans sa prescience. Quand il s’agit en effet de la chute des Juifs, de peur que l’on ne crût que Dieu les avait réprouvés, de telle sorte qu’après cette ventilation, il ne mît aucun bon grain dans sou grenier, l’Apôtre s’écrie : « Dieu n’a point réprouvé le peuple qu’il a élu dans sa prescience, car moi-même je suis israélite 1». S’il n’y a que des épines dans tout ce peuple, comment serai-je un bon grain, moi qui vous parle? Donc la vérité de Dieu s’est accomplie dans ceux d’Israël  qui ont embrassé la foi, et voilà qu’une muraille est venue du côté de la circoncision pour s’appuyer sur la pierre angulaire 2. Mais cette pierre ne formerait point un angle, si une autre muraille ne venait de la gentilité. La première muraille appartient donc proprement à la vérité, et la seconde à la miséricorde. « Je dis en effet », poursuit l’Apôtre, « que le Christ a été le ministre de la circoncision pour vérifier la parole de Dieu, et confirmer les promesses faites à nos pères; et que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde 3». Il est donc vrai que « votre vérité est établie dans les cieux ». Car tous ces Israélites appelés à l’apostolat sont devenus des cieux qui racontent la gloire de Dieu. C’est d’eux que le Prophète a dit : « Les cieux annoncent la gloire de Dieu, et le firmament l’oeuvre de ses mains 4». Et pour vous montrer clairement que l’Apôtre parle de ces cieux, le Prophète continue : « Il n’y a ni langage ni contrée qui n’ait entendu leurs voix 5 ». Cherchez quelles voix, vous ne trouverez plus haut que les cieux. Si donc c’est la voix des Apôtres que l’on a entendue en toutes les langues, c’est d’eux encore qu’il est dit que « leur bruit s’est répandu dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux confins du monde 6 » ; et en effet, bien que Dieu les ait retirés de cette vie avant que l’Eglise fût répandue dans tout l’univers, leurs voix sont néanmoins parvenues jusqu’aux confins de la terre : il est juste de voir accomplir en eux cette prédiction : « Votre vérité sera établie dans les cieux ».

4. « J’ai fait une alliance avec mes élus 7». Tout ceci est votre parole, Seigneur, et vous le comprenez, mes frères, vous avez dit à Dieu: « J’ai préparé une alliance avec mes

 

1. Rom. XI, 1, 2. — 2. Ephés. II, 20.— 3. Rom. XV, 8, 9.— 4. Ps. 2.— 5. Id. 4.— 6. Id. 5. — 7. Id. LXXXVIII, 4.

 

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élus ». Quelle alliance, sinon la nouvelle? Quelle alliance, sinon celle qui nous renouvelle pour un nouvel héritage? Quelle alliance, sinon cette alliance dont l’amour et l’ardent désir nous fait chanter à Dieu un cantique nouveau? « J’ai préparé », dit le Seigneur, « une alliance pour mes élus, j’ai fait un serment à David mon serviteur ». Avec quelle assurance parle cet homme qui a reçu l’intelligence, qui prête sa bouche à la vérité? Parce que vous avez parlé, je parle avec assurance; si votre parole m’est une garantie, que sera-ce de votre serment? Car jurer, de la part de Dieu, c’est confirmer sa promesse. C’est avec raison qu’il est d fendu à l’homme de jurer 1, de peur que l’habitude ne le jette dans le parjure, parce qu’il est homme et sujet à l’erreur. Mais Dieu jure en toute sûreté, puisqu’il ne peut se tromper.

5. Voyons donc ce que Dieu a juré. « J’ai juré ceci », dit-il, « à David mon serviteur: Je te préparerai une race pour l’éternité 2». Qu’est-ce que la race de David, sinon la race d’Abraham 3? Quelle est la race d’Abraham? « Et à votre postérité, qui est le Christ », dit saint Paul. Mais peut-être que ce Christ, qui est la tête de l’Eglise 3, le sauveur de son corps, est fils d’Abraham, et par conséquent de David; tandis que nous, cette race nous est étrangère? Nous en sommes cependant, comme l’a dit l’Apôtre : « Si vous êtes du Christ, vous êtes les fils d’Abraham, et les héritiers selon la promesse 5 ». C’est en ce sens qu’il nous faut entendre cette parole : « Je te préparerai une race selon l’éternité »; ce qui s’étend, non-seulement à cette chair du Christ, qui est née de la vierge Marie, mais aussi à nous tous qui croyons au Christ. Car nous sommes les membres de ce chef auguste. Ce corps ne peut être décapité: si le chef demeure éternellement, les membres doivent demeurer éternellement, en sorte que Je Christ subsiste tout entier dans l’éternité. « Je vous préparerai une race pour tous les siècles, et je t’établirai un trône qui durera de génération en génération ». Pensez-vous que dire « éternellement », soit dire « de génération en génération », comme il avait dit plus haut: « De génération en génération, « ma bouche publiera votre vérité? » Qu’est-ce à dire « de génération en génération? »

 

1. Matth. V, 34. — 2. Ps. LXXXVIII, 5. — 3. Gal. III, 16. — 4. Ephés. V, 23. — 5. Gal. III, 29.

 

Dans toute génération. Car cette parole ne doit pas être répétée chaque fois qu’une génération apparaît pour disparaître bientôt. Cette répétition nous signale donc l’ensemble des générations. Ou bien faut-il voir ici deux générations, comme vous le savez, et comme on vous l’a déjà fait entendre? Car il y a aujourd’hui une génération du sang et de la chair, et il y aura aussi une génération par la résurrection des morts. De même que Jésus-Christ est prêché à l’une, il sera prêché à l’autre ; mais ici-bas la prédication mène à la foi en lui, là elle nous le fera voir. «J’établirai votre trône de génération en génération ». Maintenant le Christ a son trône en nous-mêmes; c’est en nous que son trône est affermi. S’il ne siégeait en nous, il ne nous conduirait pas; et s’il ne nous conduisait pas, nous nous précipiterions nous-mêmes. ils donc en nous son trône, en nous il règne;il a son trône aussi dans cette génération qui doit renaître à la résurrection des morts. Car le Christ régnera éternellement dans ses saints. Telle est la promesse de Dieu, la parole de Dieu ; et si c’est encore trop peu, le serment de Dieu. Dès lorsque cette promesse est affermie; non point sur nos mérites, mais bien sur sa miséricorde, nul ne peut hésiter à prêcher ce dont il ne peut douter. Qu’elle se produise donc dans nos coeurs, cette force qui a fait ainsi nommer Ethan, robuste de coeur; prêchons la vérité de Dieu, la parole de Dieu, la promesse de Dieu, le serment de Dieu ; ainsi appuyés de toutes parts, prêchons et devenons des cieux en portant Dieu.

6. « Les cieux, ô mon Dieu, publieront vos merveilles 1 ». Ce ne sont point leurs propres mérites que les cieux doivent publier, mais « les cieux, Seigneur, publieront vos merveilles ». Dans la miséricorde envers les pécheurs, dans la justification de l’impie, que chantons-nous, sinon les merveilles de Dieu? Tu chantes le Seigneur qui ressuscite les morts, tu le chantes bien davantage quand il rachète les pécheurs. Quelle est cette grâce, sinon la miséricorde oie Dieu? Cet homme que tu voyais hier plongé dans les excès de l’ivrognerie, aujourd’hui modèle de sobriété hier tu voyais cet autre dans les orgies de la luxure, il est aujourd’hui un modèle de tempérance; celui-ci blasphémait hier contre Dieu, aujourd’hui il chante ses louanges ;

 

1. Ps. LXXXVIII, 6.

 

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celui-là s’agenouillait hier devant les créatures, il adore aujourd’hui le Créateur. C’est ainsi que tous ces hommes sortent de leur état désespéré ; qu’ils ne regardent point leurs mérites, mais qu’ils deviennent des cieux; et que les cieux publient les merveilles de celui qui les a faits des cieux. « Car je verrai les cieux » , dit le Prophète d’ouvrage de vos mains 1 ». Et afin que vous sachiez quels sont les cieux qui publieront ces merveilles, voyez où ils doivent les publier, Ecoutez la suite : « Et votre vérité dans l’assemblée de vos saints ». Il n’y a plus aucun doute, ces cieux sont bien les prédicateurs de la parole de vérité. Et où donc les cieux publieront-ils vos merveilles et votre vérité? « Et votre vérité dans l’assemblée des saints». Que l’Eglise reçoive la rosée des cieux; que les cieux répandent la pluie sur la terre altérée, et qu’en recevant cette pluie elle fasse germer le bien, les bonnes oeuvres; qu’en retour d’une pluie féconde, elle ne produise pas des épines, de peur d’aller au feu plutôt que dans les greniers du Père céleste. « Les cieux publieront vos merveilles. ô mon Dieu, et votre vérité dans l’assemblée des saints ». Les cieux donc annonceront vos merveilles et votre vérité; tout ce que prêchent les cieux leur vient de vous, ne concerne que vous; et dès lors ils prêchent en sûreté; car ils connaissent celui qu’ils prêchent, et n’ont point à rougir de lui.

7. Que prêchent donc les cieux? Que doivent-ils publier dans l’assemblée des saints? « Car dans les nuées, qui peut être égal au Seigneur? » Est-ce là ce qu’ils doivent publier, la rosée qu’ils doivent donner? Quoi? « Dans les nuées qui sera égal au Seigneur?» Voilà donc la sécurité de ceux qui prêchent, c’est que nul dans les nuées n’est égal au Seigneur. C’est là, mes frères, ce qui vous paraît une grande louange, que nul dans les nuées ne soit égal au Créateur; et cependant, si l’on prend cette expression à la lettre et sans mystère, ce n’est pas beaucoup louer le Seigneur que dire que les nuées ne lui sont point égales. Eh quoi donc! les étoiles qui sont au-dessus des nuées sont-elles égales au Seigneur? Que sont le soleil, la lune, les anges, les cieux, si on les compare à Dieu? Pourquoi donc le Prophète nous dit-il avec emphase: « Qui dans les nuages est égal au Seigneur?»

 

1. Ps. VIII, 4.

 

Nous donnons, mes frères, à ces nuées le même sens qu’aux cieux: ce sont les prédicateurs de la vérité, les Prophètes, les Apôtres, les hérauts du Verbe de Dieu. Que ces différents prédicateurs soient en effet appelés des nuées, nous le savons par cette parole prophétique, que Dieu irrité adresse à sa vigne: « Je défendrai à mes nuées de laisser tomber la pluie sur elle ». Puis le Prophète nous montre avec clarté et précision quelle est cette vigne, quand il dit: « La vigne du Dieu des armées, c’est la maison d’Israël 1 » ; de peur qu’à ce mot de vigne, tu n’oublies les hommes qu’elle désigne pour chercher sur la terre: « La vigne du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël ». Que la maison d’Israël ne cherche donc point ailleurs, qu’elle comprenne qu’elle est ma vigne, qu’elle comprenne bien que ce n’est point du vin, mais des épines qu’elle a produit pour moi. Qu’elle reconnaisse toute son ingratitude envers celui qui l’a plantée, qui l’a cultivée, qui l’a arrosée. Si donc c’est la maison d’Israël qui est cette vigne, que lui dit le Seigneur dans sa colère? « Je défendrai à mes nuées de laisser tomber la pluie sur elle ». Or, cette menace n été réalisée. Les Apôtres ont été envoyés comme des nuées pour pleuvoir sur les Juifs, et voilà qu’ils ont repoussé la parole de Dieu, qu’ils ont produit des épines, et non du raisin ; alors les Apôtres leur dirent: « Nous étions envoyés vers vous; mais puisque vous « repoussez la parole de Dieu, nous allons chez les nations 2 ». Depuis ce temps, les nuées commencèrent à ne plus donner à cette vigne aucune rosée. Si donc les nuées désignent les prédicateurs de la vérité, voyons pourquoi le Prophète les appelle des nuées. Car ils sont tantôt des nuées et tantôt des cieux ; des nuées à cause de l’obscurité de la chair, des cieux à cause de l’éclat de la vérité; effectivement toutes les nuées sont ténébreuses et désignent la mortalité du corps; elles viennent et passent. Or, c’est à cause du sombre voile de la chair, ou de l’obscurité des nuées, que l’Apôtre a dit: « Gardez-vous de juger avant le temps, jus« qu’à ce que le Seigneur vienne, et illumine « l’obscurité des ténèbres 3 ». Qu’un homme parle, tu entends, mais tu ne vois point ce qu’il cache dans son coeur; tu vois ce qui sort de la nuée, mais non ce qui est caché dans la nuée. Quel est l’homme dont l’oeil pénètre un

 

1. Isa. V, 6, 7.— 2. Act. XIII, 46. — 3. I Cor. IV, 5.

 

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nuage? Donc les nuées sont des prédicateurs de la vérité, mais sous le voile de la chair. Or, le Créateur du monde est venu lui-même dans sa chair. Mais, « qui dans les nuages sera égal à Dieu? Qui donc dans les nuées sera comparable à Dieu? qui parmi les enfants de Dieu sera semblable au Seigneur? » Donc, parmi les fils de Dieu, nul ne sera égal au Fils de Dieu. Et pourtant il est appelé Fils de Dieu, comme nous sommes appelés fils de Dieu. Mais « parmi les fils de Dieu, qui sera semblable au Seigneur ? » Il est unique, nous sommes plusieurs ; il est un, nous sommes un en lui; il est tel par naissance, nous, par adoption; lui est engendré par nature, et de toute éternité, nous sommes devenus tels, dans le temps, par la grâce; il est sans aucun péché, nous sommes par lui délivrés du péché. « Qui donc dans les nuées sera égal à Dieu, ou qui sera semblable au Seigneur a parmi les enfants de Dieu? » Nous sommes appelés des nuées à cause de notre chair, et nous sommes les prédicateurs de la vérité, à cause de la pluie qui tombe des nuées: mais notre chair nous vient bien autrement que sa chair lui est venue. Nous sommes appelés fils de Dieu, mais il est autrement appelé Fils de Dieu. Pour lui, la nuée est venue d’une vierge ; et de toute éternité il est Fils de Dieu égal au Père. « Qui donc parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui sera semblable au Seigneur, parmi les enfants de Dieu? » Que le Seigneur nous dise lui-même s’il a un égal. « Parmi les hommes, qui dit-on que je suis, moi Fils de l’homme ?» Voilà en effet que l’on peut me voir, me regarder, que je marche parmi vous, et que ma présence m’a peut-être fait moins estimer; dites-moi: « Parmi les hommes, qui dit-on que je sois, moi Fils de l’homme ? » Certes, voir le Fils de l’homme, c’est voir une nuée. Qu’ils disent, ou dites vous-mêmes « ce que les hommes disent que je suis ». Et les Apôtres lui rapportèrent les conjectures des hommes: « Les uns disent que vous êtes Jérémie, d’autres Elie, d’autres Jean-Baptiste, ou l’un des Prophètes 2 ». Voilà qu’ils nomment plusieurs nuées, plusieurs fils de Dieu. Dès lors en effet qu’ils sont justes et saints, ils sont aussi fils de Dieu : Jérémie, Elie et Jean sont fils de Dieu, et ils sont des nuées parce qu’ils sont les héros de Dieu. Vous avez dit quelles nuées me croient les

 

1. Matth. XVI, 13. — 2. Ibid.

 

hommes, et parmi quels enfants de Dieu ils me placent; à votre tour, dites « ce que vous croyez que je suis » . Pierre prenant la pirole au nom de tous, et seul pour marquer l’unité: « Vous êtes » , lui répondit-il, «le Christ, Fils du Dieu vivant 1. Qui en effet parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui pourra être semblable au Seigneur parmi les fils de Dieu? » Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant, non plus comme les autres enfants de Dieu, qui ne sont point égaux à vous. Vous êtes venu dans la chair, non comme les nuées que l’on ne peut vous comparer.

8. Qui êtes-vous, en effet, pour que l’on vous réponde : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant » ; vous que les hommes, non plus les justes et les saints, ont pris pour l’un des Prophètes, ou pour Elie, ou pour Jérémie, ou pour Jean-Baptiste, qui donc êtes-vous? Ecoute ce qui suit: « Le Dieu qui doit être glorifié dans le conseil des saints. Qui donc parmi les nuées sera égal au Seigneur, ou qui sera semblable au Seigneur parmi les enfants de Dieu, quand ce Dieu doit être glorifié dans le conseil des justes? » Puisqu’ils ne peuvent être égaux à lui, qu’ils prennent le dessein de croire en lui. Puisque les nuées et les fils de Dieu ne peuvent être égaux à lui, voici le conseil qui reste à la fragilité humaine : c’est que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur 2. « C’est vous, ô Dieu, qui serez glorifié dans le conseil des saints : il est grand et terrible envers ceux qui l’environnent 3 ». Dieu est partout. Qui peut environner celui qui est partout? S’il a quelqu’un autour de lui, il est alors borné de toutes parts. Or, s’il est vrai de dire à Dieu et de Dieu que « sa grandeur n’a point de bornes 4», où trouver quelqu’un qui l’environne, sinon quand celui qui est partout a voulu naître dans sa chair en un lieu particulier, vivre au milieu d’un peuple, être crucifié en un lieu, ressusciter d’un endroit de la terre, et d’un lieu s’élever au ciel? Or, dans le lieu où il a fait tout cela, il est environné des nations. S’il demeurait dans le lieu où il a fait tout cela, il ne serait pas « grand et terrible envers tous ceux qui l’environnent ». Mais parce qu’il a prêché en ce lieu de manière à envoyer de là, par toute la terre

 

1. Matth. XVI, 16.— 2. I Cor. X, 31.— 3. Ps. LXXXVIII, 8.— 4. Id. CXLIV, 3.

 

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et parmi les Gentils, les prédicateurs de sa parole, il est devenu « grand et terrible envers tous ceux qui sont autour de lui ».

9. « Seigneur, Dieu des vertus, qui est semblable à vous? Vous êtes puissant, ô Dieu, et votre vérité vous environne 1». Votre puissance est grande; vous avez fait le ciel et la terre et tout ce qui est en eux; mais votre miséricorde est plus grande; elle fait paraître votre vérité autour de vous: si vous n’étiez prêché que dans ces lieux où vous avez voulu naître, et souffrir, et ressusciter, et d’où vous êtes monté au ciel, la promesse divine serait justifiée dans le sens de « la confirmation des promesses faites à nos pères »; mais non « en ce que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde 2 »: il fallait pour cela que votre vérité se répandit, et du lieu où vous avez voulu paraître, s’étendît autour de vous. C’est dans ce lieu que vous avez lancé vos tonnerres de votre propre nuée, mais vous avez envoyé d’autres nuées afin d’arroser les nations qui vous environnaient. Dans votre puissance vous avez accompli ce que vous avez prédit : « Je vous de déclare, vous verrez le Fils de l’Homme venant sur les nuées du ciel 3. Vous êtes puissant, Seigneur, et votre vérité vous environne ».

10. Mais dès que l’on eut prêché la vérité autour de vous : « Les nations frémirent, les  peuples méditèrent de vains complots; les rois de la terre se levèrent, les princes s’assemblèrent contre le Seigneur et contre son Christ 4 ». Et en effet, Seigneur, dès que l’on a commencé à prêcher votre vérité autour de vous, comme si vous veniez chercher une épouse parmi les étrangers, un lion frémissant vous a barré le passage, et vous l’avez étranglé. C’est ce que figurait Samson 5, et vous n’applaudiriez point mes paroles, si vous n’eussiez compris mon allusion avant que j’eusse nommé ce personnage : car vous l’avez compris en chrétiens accoutumés à recevoir la rosée des nuées divines. Donc « votre vérité est autour de vous ». Mais y est-elle jamais ans persécution, jamais sans contradiction, quand il est dit que le Christ est né pour être insigne auquel on contredira 6? Donc parce que cette nation, dans laquelle vous avez voulu naître pour converser avec les hommes, était

 

1. Ps. LXXVIII, 9. — 2. Rom. XV, 8,9. — 3. Matth. XXVI, 64. — 4. Ps. II, 1,2.— 5. Juges, XIV, 5,6.— 6. Luc, II, 34.

 

comme une terre séparée des flots des autres nations afin de paraître comme une terre sèche qui devait être arrosée, et que les autres nations étaient un océan d’eau amère et stérile; que font vos prédicateurs qui laissent tomber autour de vous la pluie de la vérité, en face des flots écumeux de la mer? Que font-ils? « C’est vous qui dominez les puissances de la mer 1 ». Qu’a fait cette mer dans ses fureurs, sinon le jour que nous célébrons? Elle a égorgé les martyrs, répandu leur sang comme une semence, d’où est sortie cette riche moisson de l’Eglise. Que ces nuées marchent donc sans crainte, qu’elles répandent la vérité autour de vous, sans redouter le courroux des flots. « C’est vous qui dominez les puissances de la mer ». La mer se soulève, elle contredit, elle gronde ; mais Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces 2. Si donc Dieu est fidèle et ne nous laisse point tenter au-dessus de nos forces : « C’est bien vous, Seigneur, qui calmez la fureur des flots ? »

11. Enfin pour apaiser la mer, et même pour faire tomber sa rage, qu’avez-vous fait dans la mer elle-même? « Vous avez humilié le superbe comme un homme blessé à mort 3 » Il y a dans cette mer un dragon orgueilleux, dont l’Ecriture a dit ailleurs « Je commanderai au dragon de le mordre 4 »; il y a un dragon dont il est dit : « Ce dragon que vous avez formé pour vous en jouer 5» dont vous brisez la tête sur les eaux. « Vous avez humilié le superbe comme un homme blessé à mort ». Vous vous êtes humilié, et de là l’humiliation du superbe.  Car c’était par l’orgueil que cet orgueilleux tenait sous sa puissance d’autres orgueilleux : or, celui qui était grand s’est humilié, et celui qui a cru en lui est devenu petit et quand celui qui est petit se nourrit de l’exemple du Tout-Puissant devenu petit, le diable a perdu ce qu’il possédait ; car il ne tenait que des orgueilleux sous sa puissance orgueilleuse. A la vue, d’un si grand modèle d’humilité, les hommes ont appris à condamner leur orgueil, et à imiter les abaissements d’un Dieu. Ainsi donc, en perdant ceux qu’il tenait sous sa puissance, le diable a été humilié, non point corrigé, mais confondu. « Vous avez humilié le superbe comme un homme blessé à

 

1. Ps. LXXXVIII, 10. — 2. I Cor. X, 13. — 3. Ps. LXXXVIII, 11. — 4. Amos, IX, 3. — 5. Ps. CIII, 26.

 

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un mort ». Vous vous êtes humilié pour l’humilier, vous avez été blessé afin de le blesser. Car il ne pouvait qu’être blessé par ce sang que vous avez répandu, pour effacer la cédule de nos péchés. D’où lui venait sou orgueil, sinon de cette caution qu’il tenait contre nous? Telle est la caution, telle est la cédule que vous avez effacée par votre sang 1. C’était donc le blesser que lui enlever tant de dépouilles. Comprenons en effet, par ces blessures du démon, non point des plaies dans une chair qu’il n’a point, mais un coeur blessé dans son orgueil. « La force de votre bras a dissipé vos ennemis».

12. « A vous sont les cieux, comme à vous est la terre 2 ». De vous vient la pluie qu’ils répandent, et à vous est la terre qu’ils arrosent. « A vous sont les cieux », par qui votre vérité est prêchée autour de vous : « à vous est la terre », qui a reçu autour de vous la vérité. Enfin quel a été l’effet de cette pluie? « Vous avez affermi l’univers, et tout ce qu’il renferme; c’est vous qui avez créé l’Aquilon et les mers ». Car il n’a aucune puissance contre vous, contre son Créateur. Il est vrai que par sa propre malice, par sa volonté perverse, le monde peut s’emporter à la violence; mais peut-il donc franchir les bornes que lui a marquées le Créateur de toutes choses? Pourquoi donc redouter l’Aquilon? Pourquoi redouter les mers? Il est vrai que dans l’Aquilon est le diable qui a dit: « J’établirai mon trône dans l’Aquilon, je serai  semblable au Très-Haut ». Mais vous, Seigneur, vous avez humilié le superbe, comme un homme blessé à mort. Donc ce que vous avez fait en eux, a plus de force pour exercer votre empire, que leur volonté pour exercer leur malice. « Vous avez créé l’Aquilon et les mers ».

13. « En votre nom vont tressaillir le Thabor et l’Hermon ». Ces noms désignent des montagnes, mais ont un sens figuré. « En votre nom vont tressaillir le Thabor et l’Hermon ». Thabor en hébreu signifie lumière qui vient. Mais d’où vient cette lumière, dont il est dit : « Vous êtes la lumière du monde 5 », sinon de celui dont il est dit aussi : «Celui-là était la véritable lumière qui éclaire tout homme un venant en ce monde 6? » Donc cette lumière qui est la lumière du monde, vient de cette

 

1. Coloss. II, 14. — 2. Ps. LXXXVIII, 12.— 3. Id.13.—  4. Isa. XIV, 13, 14. — 5. Matth. V, 14. — 6. Jean, I, 9.

 

lumière que l’on n’allume point, et dont on ne doit pas craindre l’extinction. C’est donc de là que vient la lumière, de là que vient ce flambeau qu’on ne met point sous le boisseau mais sur le chandelier, le Thabor, ou la lumière qui se lève. Quant à Hermon, il signifie son anathème. C’est avec raison qu’à l’arrivée de la lumière, elle a été pour lui un anathème. Pour qui, sinon pour le diable, cet orgueilleux blessé à mort? C’est donc de vous que nous vient notre lumière, et c’est par vous encore qu’il est un anathème pour nous, celui qui nous retenait dans ses engins d’erreur et d’orgueil. Donc « le Thabor et l’Hermon vont tressaillir à votre nom » : non point dans leurs mérites, mais « en votre nom ». Car ils vont dire : « Non point à nous, Seigneur, non point à nous, mais c’est à votre nom qu’il faut donner la gloire »: à cause de cette mer en courroux : « De peur que les nations ne disent: Où est leur Dieu 1? »

14. « Votre bras est armé de puissance ». Que nul ne s’attribue rien : « Votre bras est

un armé de Puissance » : c’est vous qui nous avez créés, vous qui nous défendez. « Votre  bras est armé de puissance, que votre main s’affermisse et que votre droite s’élève 2 ».

15. « La justice et le jugement vous préparent un trône 3 ». A la fin des temps voire justice et votre jugement se feront connaître; ils se dérobent aujourd’hui. C’est de votre jugement qu’il est dit dans un autre psaume: « Pour les mystères du fils 4 ». Mais alors votre justice et votre jugement se manifesteront les uns seront placés à votre droite, les autres à votre gauche ; et les incrédules seront frappés de stupeur, quand ils verront ce qu’ils ont raillé dans leur infidélité : tandis que les justes seront dans la joie, en voyant alors ce qu’ils croient sans le voir. « La justice et le jugement vous préparent un trône », assurément pour le jugement. Et aujourd’hui : « La miséricorde et la vérité marchent devant votre face ». La préparation d’un trône, voire justice, et le jugement à venir m’inspireraient de la crainte, si votre miséricorde et voire vérité ne les précédaient. A quoi bon craindre vos jugements pour la fin, quand votre miséricorde qui les précède efface mes péchés et accomplit vos promesses en me montrant la vérité? « La miséricorde, et la vérité marchent

 

1. Ps. CXIII, 1, 2.— 2. Id. LXXXVIII, 14.— 3. Id. 15.— 4. Id, IX, 1 — 5. Matth. XXV, 33.

 

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devant votre face ». Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité 1.

16. Mais alors n’y aura-t-il aucune joie pour nous? ne jouirons-nous point de l’objet de notre joie? Les paroles suffiront-elles à notre joie? notre langue la pourra-t-elle exprimer? Si donc nulle parole n’y suffisait : « Bienheureux le peuple qui sait se réjouir 2». O bienheureux peuple, penses-tu bien comprendre cette joie? Tu n’es point heureux toutefois sans la comprendre. Qu’est-ce à dire comprendre la joie ? c’est connaître le sujet de cette joie que des paroles ne peuvent exprimer. Car ta joie ne vient point de toi: que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur 3. Ne te réjouis donc point dans ton orgueil, mais dans la grâce de Dieu; vois que cette grâce est telle que la langue ne peut l’exprimer, et tu comprendras la joie.

17. Enfin si tu as compris que la jubilation est dans la grâce, écoute maintenant l’éloge de cette grâce. « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation ». Quelle jubilation ? Vois si elle ne vient pas de la grâce, vois si elle ne vient pas de Dieu, et nullement de toi. « Seigneur, ils marcheront à la lumière de votre face 4». Ce Thabor, cette lumière naissante, sera bientôt une lampe éteinte par le vent de l’orgueil, si elle ne marche à la lumière de votre face. « Seigneur, ils marcheront à la lumière de votre face, et tout le jour ils tressailliront en votre nom ». Thabor et Hermon « se réjouiront donc en votre nom»; s’ils veulent se réjouir « tout le jour », c’est en votre nom qu’ils doivent le faire; et s’ils se réjouissent en leur nom, ils ne le feront point tout le jour. Car la joie qui leur viendra d’eux-mêmes, ne sera point une joie durable, mais ils tomberont à cause de leur orgueil. Donc pour se réjouir tout le jour, ils doivent use réjouir en votre nom, et tressaillir dans notre justice » ; non pas dans leur propre justice, mais dans la vôtre, de peur qu’ils n’aient à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la science. Car l’Apôtre a dit de certains, qu’ils ont, il est vrai, le zèle de Dieu, mais non un zèle selon la science, puisque « dans leur ignorance de la justice de Dieu, dans leur volonté d’établir leur propre justice, nu lieu de se réjouir dans votre lumière, ils n’ont pas été soumis à la divine justice 5 ».

 

1. Ps. XXIV, 10. — 2. Id. LXXXVIII, 16.— 3. I Cor. I, 31.— 4. Ps. LXXXVIII,17.— 5. Rom. X, 2,3.

 

Mais pourquoi? « Parce qu’ils ont le zèle de Dieu, et non selon la science ». Quant au peuple qui connaît la jubilation (car ceux-ci ne la comprennent pas, mais bienheureux le peuple qui ne l’ignore point et qui la connaît), quelle doit être la cause de sa joie, la cause de son tressaillement, si ce n’est dans votre nom et dans sa marche à la lumière de votre face? Il méritera d’être élevé sans doute, mais dans votre justice. Qu’il regrette sa justice propre et qu’il s’humilie, et alors viendra la justice de Dieu qui lui donnera la vraie joie: « Ils tressailliront dans votre justice ».

18. « Car vous êtes la gloire de leur force, un et notre élévation viendra de votre volonté »; parce qu’il vous plaira ainsi, et non parce que nous l’aurons mérité.

19. « Car c’est le Seigneur qui me soutient ». On m’a poussé pour me faire tomber comme un amas de sable, et je serais tombé en effet si Dieu ne m’eût soutenu, « Le Seigneur est mon soutien, il est le saint d’Israël, et notre roi 2 ». C’est lui qui est ton soutien, lui ton flambeau ; c’est à sa lumière que tu es en sûreté, à sa lumière que tu marches,.par sa justice que tu es élevé en gloire. C’est lui qui t’a protégé, qui est le gardien de ta faiblesse, lui qui te rend fort et non toi-même.

20. « Alors vous avez parlé en vision à vos fils, et vous avez dit 3» . « Vous avez parlé  en vision », voilà ce que vous avez révélé à vos Prophètes. Vous leur avez parlé en aspect, c’est-à-dire en vous faisant voir à eux, d’où est venu aux Prophètes le nom de Voyants 4. Ils ont vu intérieurement ce qu’ils devaient dire au dehors: ils ont entendu dans le secret ce qu’ils ont prêché ouvertement. « Alors vous avez parlé en vision à vos fils, et vous avez dit : J’ai unis dans l’homme puissant mon secours ». Vous comprenez quel est cet homme puissant. « J’ai élevé celui que j’ai choisi parmi mon peuple ». Vous connaissez cet élu, et son élévation fait votre joie.

21. « J’ai trouvé David mon serviteur 5 » : ce David qui est de la race de David. « Je l’ai oint de mon huile sainte ». C’est de lui qu’il est dit: « Votre Dieu, ô Dieu, vous a oint d’une huile de joie, plus que tous ceux qui participent à votre gloire 6 ».

 

1. Ps. LXXXVIII, 18.— 2. Id. 19.— 3. Id. 20.— 4. I Rois, IX, 9.— 5. Ps. LXXXVIII, 21. — 6. Id. XIV, 8.

 

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22. « Ma main le secourra, et mon bras le fortifiera 1» : ce qu’il faut entendre de Jésus-Christ qui a revêtu l’humanité, dont la chair a été formée dans le sein d’une vierge 2, et qui étant Dieu par nature, égal au Père, a pris la forme de l’esclave, est devenu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix 3.

23. « L’ennemi ne prévaudra point contre lui ». L’ennemi s’irrite contre lui, mais vaine fureur! il a coutume de nuire, il ne nuira point. A quoi bon ses violences, qui Pourront l’exercer, mais jamais lui nuire ? Ses fureurs mêmes sont utiles, car ceux qu’il attaquera seront couronnés à cause de leur victoire sur lui. Que Pourrions-nous vaincre, si nul ne nous attaquait? Coma ment Dieu nous soutiendrait-il, si nous n’avions à combattre? L’ennemi fera donc ce qu’il doit faire, mais « l’ennemi ne prévaudra point contre lui; et le fils de l’iniquité ne pourra lui nuire 4 ».

24.  « Et sous ses yeux; je taillerai ses ennemis en pièces 5 ». Ceux qui conspiraient sont taillés en pièces, et taillés en pièces en embrassant la foi. Peu à peu ils croient en Dieu, et la tête du veau d’or est brisée pour devenir le breuvage du peuple de Dieu. Moïse en effet mit en poudre la tête du veau d’or, la jeta dans l’eau, et la donna à boire aux enfants d’Israël 6. Ainsi les infidèles sont brisés, ils arrivent peu à peu à la foi, sont absorbés par le peuple, et passent ainsi dans le corps du Christ. « Et sous ses yeux, je taillerai ses ennemis en pièces, et mettrai en fuite ceux qui le haïssent », afin qu’ils ne lui fassent aucun mal. Mais peut-être quelques-uns de ceux qui sont mis en fuite diront-ils : « Où irai-je pour me dérober à votre esprit, et où m’enfuir pour éviter votre face 7? »Voyant alors qu’ils ne peuvent se dérober au Tout-Puissant, ils se tournent vers le Tout-Puissant. « Je mettrai en fuite ceux qui vous haïssent ».

25. « Et ma vérité, et ma miséricorde sont avec lui 8». Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». Souvenez-vous, autant qu’il vous est possible, combien ces deux vertus reviennent souvent dans les saintes Ecritures, afin que nous en fassions hommage aussi à Dieu. De même, en effet, qu’il nous a fait voir sa miséricorde en effaçant

 

1. Ps. LXXXVIII, 22.— 2. Luc, I, 31. — 3. Philipp. II, 6-8. — 4. Ps. LXXXVIII, 23.— 5. Id. 24.— 6. Exod. XXXII, 20.— 7. Ps. CXXXVIII, 7. — 8. Id. LXXVIII, 25. — 9. Id. XXIV, 10.

 

nos péchés, et sa vérité en accomplissant ses promesses ; de même, en marchant dans ses voies, nous devons lui rendre la miséricorde et la vérité ; la miséricorde en prenant pitié des misérables, la vérité en jugeant avec justice. Que la vérité ne s’oppose point en vous à la miséricorde, non plus que la miséricorde à la vérité. Si la pitié vous porte à juger contre la vérité, ou si la vérité trop sévère vous fait oublier la miséricorde, alors vous ne marchez plus dans cette voie de Dieu où la miséricorde et la vérité se sont rencontrées 1. « C’est en mon nom que s’élèvera sa puissance ». Pourquoi nous arrêter ici? vous êtes chrétiens, reconnaissez le Christ.

26. « J’étendrai sa main sur la mer »; c’est-à-dire qu’il dominera sur les Gentils. « Et sa droite sur les fleuves 2 », Les fleuves s’écoulent dans la mer; les hommes avec leurs convoitises s’écoulent dans les eaux amères du monde : et néanmoins, tout cela sera soumis au Christ.

27. « Il m’invoquera en disant: Vous êtes mon père, mon Dieu, l’appui de mon salut. Et moi, je l’établirai mon premier-né, bien supérieur aux rois de la terre 3 ». Nos martyrs, dont nous célébrons la fête, ont répandu leur sang pour ces vérités qu’ils croyaient sans les voir. Combien nous devons être plus courageux encore, nous qui voyons ce qu’ils croyaient ! Ils ne voyaient point encore le Christ élevé au-dessus des rois de la terre; car alors les princes unissaient encore leurs forces contre le Seigneur et contre son Christ, Alors n’était pas encore accompli ce qui est écrit dans le même psaume : « Et maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, ô vous qui jugez la terre 4 ». Le Christ est donc maintenant élevé au-dessus de tous les rois de la terre.

28. « Je lui conserverai éternellement ma miséricorde, et mon alliance avec lui est immuable 5 ». C’est à cause de lui que ce Testament est fidèle : c’est en lui qu’il a été négocié ; il est lui-même le médiateur de ce Testament, le signataire du Testament, le garant du Testament, le témoin du Testament, l’héritier du Testament et le cohéritier de ce Testament.

29. « J’établirai sa race de siècle en siècle 6 ». Non-seulement dans ce siècle, mais «dans le

 

1. Ps. LXXXIV, 11. — 2. Id. LXXXVIII, 26. — 3. Id, 27, 28.— 4. Id. II, 2, 10.— 5. Id. LXXXVIII, 29.— 6. Id. 30.

 

siècle du siècle » que traversera cette postérité qui est son héritage, race d’Abraham, qui est le Christ. Si donc vous êtes du Christ, vous êtes de la race d’Abraham 1. Et si vous devez recevoir l’héritage pour l’éternité, « Dieu établira sa race de siècle en siècle, et son trône sera comme les jours du ciel ». Pour les rois de la terre, les trônes sont comme les jours de la terre. Autres sont en effet les jours du ciel, et autres les jours de la terre. Ou appelle jours du ciel, ceux dont il est dit: « Vous, Seigneur, vous êtes le même, et vos années ne diminuent point 2». Pour les jours de la terre, ils sont pressés par d’autres qui leur succèdent, les précédents ne sont plus, ceux qui succèdent ne demeurent point, ils ne viennent que pour s’en aller, et s’en vont presque avant d’être arrivés. Voilà les jours de la terre. Quant aux jours du ciel et à ces années qui ne diminuent point, ils n’ont ni commencement ni fin; et nul autre n’est resserré entre celui d’hier et celui de demain. Nul n’y attend l’avenir, nul n’y voit s’écouler le passé: mais les jours du ciel sont toujours présents, et c’est là que sera pour l’éternité le trône du Christ. Réservons, s’il vous plaît, le reste du psaume: il est long, et nous aurons encore à traiter ensemble aujourd’hui, au nom du Christ. Réparez donc vos forces, non point les forces du coeur, car je vous vois insensibles à la fatigue ; mais reposez-vous quelque peu, à cause de vos corps qui sont les serviteurs de l’âme, et quand vous l’aurez fait, revenez prendre la nourriture spirituelle.

 

1. Gal. III, 16, 29. — 2. Ps. CI, 28.

 

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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVIII.

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME  (1).

SUITE DU SUJET.

 

Si les fils de David abandonnent le Seigneur, il ne leur retirera, point sa miséricorde, il les châtiera pour les ramener, lui qui a laissé flageller son Fils. Non-seulement il ne retirera point sa miséricorde de ce Fils, mais non plus des membres de ce Fils ou les chrétiens; eux-mêmes peuvent la repousser en repoussant le châtiment. En dépit des pécheurs, Dieu ne profanera point son alliance, et il y aura des justes, parce qu’il connaît ceux qu’il a prédestinés. La race du Seigneur subsistera donc éternellement sur son trône, ou sur les membres qui portent la tête, laquelle brillera comme le soleil, ou comme une lune sans déclin, c’est-à-dire que notre chair doit briller après la résurrection; elle montrera ainsi l’accomplissement des promesses divines, comme Jésus-Christ a ressuscité sa chair pour répondre aux incrédules. Si Dieu a détruit tout ce qui concernait David selon la chair, s’il a permis la chute de Salomon, c’était pour nous faire espérer au véritable David. Ce Christ est donc retardé, et Dieu par ces ruines nous fait dire : S’il n’a point épargné tout cela, nous épargnera-t-il? Les Juifs sont devenus la proie des Gentils ; Dieu en les châtiant ne les a point retenus, afin de les empêcher de fuir le châtiment; ils se sont ainsi éloignés de la foi qui purifie. Toutefois il se souvient de ta substance de David dont il a formé Marie, d’où est né le Christ, le saint, l’admirable eu qui les hommes sont purifiés; lui qui s’est délivré de la mort, qui a été persécuté dans les martyrs, qui s’est souvenu de leur opprobre, en les faisant triompher du monde, lui à qui on a reproché la mort, parce qu’on ne veut pas mourir au vieil homme. Béni soit-il, et rassemblons-nous sous ses ailes.

 

1. Prêtez, mes frères, votre attention au reste du psaume dont nous avons parlé ce matin, exigez de moi cette pieuse dette, et celui qui est votre Créateur et le mien s’en acquittera par mon ministère. C’est le Christ Notre-Seigneur que nous annonçait dans ses promesses prophétiques la première partie du psaume; c’est encore de lui qu’il est question dans le reste que nous allons exposer. C’est lui que regardaient en effet ces paroles entre autres: « Je l’établirai mon premier-né, bien

 

1. Prêchée le même jour que la première partie.

 

 supérieur aux rois de la terre. Eternellement je lui garderai ma miséricorde, et mon alliance faite avec lui sera irrévocable; j’établirai sa race de siècle en siècle, et son trône durera comme les jours du ciel ». Nous vous avons exposé ces versets , et ceux qui les précèdent depuis le commencement autant qu’il nous a été possible.

2. Voici la suite : « Si ses fils abandonnent ma loi, et ne marchent point dans mes

 

1. Ps. LXXXVIII, 28-30.

 

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préceptes; s’ils profanent ma justice et transgressent mes commandements : la verge à la main, je visiterai leurs iniquités, je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui totalement ma miséricorde, je ne profanerai point mon alliance, et ne rendrai point vaine la parole sortie de mes lèvres ». Dieu nous donne là de solides garanties de ses promesses. Or, les fils de ce David sont les fils de l’Epoux ; tous les chrétiens sont donc ses enfants. Cette promesse que Dieu fait ici est donc considérable: que « si les chrétiens », c’est-à-dire ses fils, « abandonnent ma loi», dit-il, « s’ils ne marchent point dans mes préceptes, s’ils profanent ma justice et transgressent mes commandements 1 » : je ne les traiterai point avec dédain, et ne les abandonnerai point à la perdition : mais que ferai-je alors ? « La verge à la main je visiterai leurs iniquités, je frapperai leurs péchés ». Dieu donc met sa miséricorde, non-seulement à nous appeler, mais encore à nous frapper, à nous châtier. Que sa main paternelle soit donc sur toi, et si tu es un bon fils, ne rejette point la discipline. Quel est l’enfant que son père ne châtie point? Qu’il frappe donc, mais qu’il ne nous refuse pas sa miséricorde, qu’il réduise nos rébellions, pourvu qu’il nous admette à son héritage. Pour toi, si tu comprends bien la promesse de ton Père, ne crains point d’être châtié, mais d’être exclu de l’héritage. Car le Seigneur corrige celui qu’il aime; il châtie celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants 2. Un fils pécheur refuserait-il d’être châtié quand il voit flageller le Fils unique et sans péché? « La verge à la main», dit donc le Seigneur, «je visiterai vos iniquités» .Telle est encore la menace de saint Paul : « Que voulez-vous? Dois-je venir la verge à la main 3 ? » A Dieu ne plaise que des fils dévoués répondent: Si vous devez venir la verge à la main, ne venez point! Il vaut mieux s’instruire par la main d’un père qui châtie, que d’être la proie d’un séducteur qui vous flatte.

3. « La verge à la main »,dit le Seigneur, «je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés, mais je ne retirerai point de lui totalement ma miséricorde 4». De qui? De ce même David à qui j’ai fait de telles promesses, que j’ai oint de mon huile sainte plus que tous ceux qui partagent sa gloire 5.

 

1. Ps. LXXXVII, 31, 32. — 2. Hébr. III, 5-7. — 3. I Cor. IV, 21. — 4. Ps. LXXXVIII, 33, 34 — 5. Id. XLIV, 8.

 

Connaissez-vous celui à qui Dieu ne retirera point sa miséricorde ? Que nul dans sa crainte aie vienne dire : Puisque c’est du Christ que le Seigneur promet de ne point retirer sa miséricorde, que. deviendront les pécheurs? Le Seigneur a-t-il donc promis qu’il ne leur retirerait point sa  miséricorde ? « La verge à la main », dit-il, «je visiterai leurs iniquités, et je frapperai leurs péchés ». Tu attendais, pour te rassurer, qu’il dit : « Mais je ne leur retirerai point ma miséricorde ». Il est vrai qu’on le trouve dans quelques exemplaires, mais non dans les plus corrects : et même quand on le trouve, le sens n’en est pas changé. Comment est-ce en effet que Dieu ne retire point sa miséricorde à son Christ? Ce Sauveur de tout son corps a-t-il commis quelque faute dans le ciel ou sur la terre, lui qui est assis à la droite de Dieu, intercédant pour nous 1? Et pourtant c’est du Christ qu’il ne la retire point, mais du Christ dans ses membres et dans son corps, qui est l’Eglise. Le Prophète nous donne en effet comme importante la promesse de ne point retirer de lui sa miséricorde, comme si nous ne connaissions point le Fils unique qui est dans le sein de son Père: car ce n’est point comme un homme qu’il nous faut le regarder ici, mais il n’est qu’une seule personne, qui est l’Homme-Dieu. Il ne retire donc point de lui sa miséricorde, puisqu’il ne ta retire point de son corps ni de ses membres; qu’il souffre en eux persécution sur la terre, quoiqu’il soit dans le ciel. C’était du ciel qu’il criait: « Saul, Saul », non point: Pourquoi persécuter mes serviteurs; non: Pourquoi persécuter mes saints; non: Pourquoi persécuter mes disciples; mais : « Pourquoi me  persécuter 2? » Comme donc, étant assis dans le ciel où nul sans doute ne le persécute, il s’écria : « Pourquoi me persécuter ? » parce que la tête alors ne désavouait point ses membres, et que la charité ne séparait point la tête du reste du corps : ainsi ne point retirer de lui sa miséricorde, c’est ne point la retirer de nous qui sommes son corps et ses membres. Toutefois il ne faut pas nous en prévaloir, pour pécher sans crainte, et pour nous promettre témérairement de ne point périr, quoi que nous fassions. Il est en effet certains péchés, certaines iniquités, au sujet desquels il nous est impossible de rien dire, de rien affirmer; et la chose fût-elle possible,

 

1. Rom. VIII, 34. — 2. Act. IX, 4.

 

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il serait trop long d’en parler. Nul en effet ne saurait dire qu’il est sans péché; l’affirmer, ce serait mentir. « Dire que nous sommes exempts de péché, c’est nous tromper nous-mêmes, c’est n’avoir point en nous la vérité 1». Chacun donc est nécessairement châtié pour ses péchés : mais Dieu ne lui retire point sa miséricorde, s’il est chrétien. Evidemment si tu descends à de tels excès, que tu repousses loin de toi la verge qui te frappe, si tu rejettes la main qui te châtie, si la punition de Dieu te porte au murmure, si tu fuis un Père qui use de sévérité, si tu renies ton Père parce qu’il ne t’épargne point dans tes égarements; toi-même tu t’éloignes de l’héritage, et ce n’est point lui qui te rejette si tu demeurais quand il te châtie, tu ne serais pas à jamais déshérité. « Quant à ma miséricorde, je ne la retirerai point de lui, je ne démentirai point ma vérité». Dieu donc ne retire point sa miséricorde qui délivre, afin que sa vérité ne nuise point, quand il châtie.

4. «Je ne profanerai point mon Testament, tel ne rendrai point vaine la parole sortie de sa bouche 2». Que ses fils deviennent pécheurs, je ne suis point parjure pour cela : je l’ai promis, je le tiendrai. Supposez que ses enfants s’abandonnent au péché avec la frénésie du désespoir, qu’ils se traînent dans l’iniquité, au point de blesser continuellement l’oeil de leur père, et de mériter d’en être déshérités; mais n’est il pas ce Dieu dont il est dit: « Dieu pourra de ces pierres mêmes susciter des enfants d’Abraham 3 » C’est pourquoi, je vous le dis, mes frères, beaucoup de chrétiens commettent de ces fautes supportables, beaucoup sont corrigés du péché par le châtiment, ils s’amendent, ils se guérissent. D’autres, en grand nombre, se détournent de Dieu, opposent une tête inflexible à leur Père qui les châtie, refusent aussi d’avoir Dieu pour Père, et quoique marqués du signe de Jésus-Christ, ils s’adonnent au péché, de manière à faire dire contre eux: « Que ceux qui commettent ces fautes, n’obtiendront point le royaume de Dieu 4». Et pour cela néanmoins le Christ ne demeurera point sans héritage ; le froment ne périra point à cause de la paille 5: les mauvais poissons n’empêcheront point que l’on en prenne d’autres dans le filet pour les mettre dans des vaisseaux 6.

 

1. I Jean, I, 8. — 2. Ps. LXXXVIII, 35. — 3. Matth. III, 9. — 4. Gal. V, 21. — 5. Matth. III, 12. — 6. Id. XIII, 47, 48.

 

Le Seigneur en effet connaît ceux qui sont à lui 1, et il nous a promis avec assurance, lui qui nous a prédestinés avant que nous fussions. « Or, ceux qu’il a destinés, il les a appelés; ceux qu’il a appelés, il les a justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés ». Que ceux qui désespèrent s’abandonnent au péché : pour les membres du Christ, ils répondront : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 2 ? » Dieu donc ne blessera point sa vérité, il ne profanera point son alliance. Son Testament demeure immuable, parce que dans sa prescience il a prédestiné ses héritiers. Il ne faussera point la parole qui sort de ses lèvres.

5. Ecoute, ô chrétien, écoute ce qui peut t’affermir, te mettre en sécurité, si tu te reconnais parmi les membres du Christ : « Je l’ai juré une fois dans ma sainteté, si je mentais à David 3». Veux-tu donc un second serment de la part de Dieu? Combien devra-t-il jurer, s’il manque une fois à son serment? Il a juré une fois de nous donner la vie, lui qui a envoyé son Fils unique à la mort pour nous. « Je l’ai juré une fois dans la sainteté, si je mentais à David: sa postérité demeurera éternellement 4 ». La race du Christ subsiste donc éternellement, parce que le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 5. « Son trône sera comme le soleil en ma présence, comme la lune éternellement dans son plein, il m’est au ciel un témoin fidèle 6 ». Son trône est formé de ceux qu’il domine, en qui il s’assied, en qui il règne. Ils sont ses membres comme son trône, car les membres servent de siége à notre tête. Voyez comme notre tête est portée par tous nos membres, sans que la tête porte rien au-dessus d’elle; mais elle est portée par tous nos autres membres, comme si tout le corps de l’homme servait de trône à la tête. Ainsi tous ceux en qui Dieu règne forment son trône, et ils seront, dit-il, comme le soleil en ma présence, parce qu’ils resplendiront comme le soleil dans le royaume de mon Père 7. Ce qu’il faut entendre d’un soleil spirituel, et non de ce soleil visible qui brille dans les cieux, et que Dieu fait lever sur les lions comme sur les méchants 7. Enfin ce soleil est en présence, non des hommes seulement, mais aussi des

 

1. II Tim. II, 19. — 2. Rom. VIII, 29-30 — 3. Ps. CXXXVIII, 36. — 4. Id. 37 — 5. II Tim, II, 19. — 6. Ps. CXXXVIII, 38. — 7. Matth. XIII, 43. — 8. Id. V, 45.

 

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animaux et des plus petits insectes. Lequel d’entre ces animaux ne voit point le soleil qui nous éclaire ? Mais que dit le Prophète à propos de cet autre soleil : « Il sera comme un soleil en ma présence? » Non plus en présence. des hommes, en présence des yeux de la chair, en présence des animaux sujets à la mort, mais en ma présence, et comme la lune ». Quelle lune? « la lune éternellement dans son plein ». Cette lune, en effet, que nous voyons, est à peine arrivée à son plein qu’elle commence le lendemain à décroître. « Comme la lune », dit le Prophète, « qui est éternellement dans son plein ». Son trône sera donc parfait comme la lune, mais comme la lune toujours pleine. Si c’est comme le soleil, pourquoi comme la lune ? Par cette lune qui. croît et qui décroît, dont l’image passe rapidement, l’Ecriture désigne ordinairement notre chair mortelle. Enfin Jéricho signifie la lune, et voilà pourquoi cet homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs 1, car d’immortel il descendait à la mortalité : notre chair a donc de la ressemblance avec la lune, qui chaque mois croît et décroît, mais à la résurrection cette chair sera parfaite, et « deviendra au ciel un témoin fidèle ». Si donc il n’y avait que notre esprit pour recevoir sa perfection, nous serions seulement comparés au soleil; et au contraire si notre corps seul devait être amené à la perfection, nous ne serions comparés qu’à la lune; mais comme Dieu doit amener à la perfection elle corps et l’âme, le Prophète a dit : « Comme le soleil, en ma présence », car Dieu seul voit notre âme; «et comme la lune», voici notre chair; « éternellement en son plein »: à la résurrection des morts ; « elle sera au ciel un témoin fidèle », en montrant la vérité de tout ce qui est dit au sujet de la résurrection. Je vous en supplie, écoutez cette même vérité plus clairement encore, et gravez-la dans votre souvenir. Je sais que plusieurs d’entre vous ont compris mes paroles, que d’autres les cherchent peut-être encore, car aucun, point de la foi chrétienne n’est plus en butte à la contradiction, que la résurrection de la chair. Enfin celui qui venait pour être un signe de contradiction 2,a ressuscité sa chair pour s’opposer à ces contradictions: et lui qui pouvait guérir ses membres, de manière, qu’il n’y

 

1. Luc, X, 30. — 2. Id. II, 34.

 

restât aucune trace de ses blessures, a conservé des cicatrices sur son corps, afin de guérir dans nos coeurs la blessure du doute. Il n’y a donc dans la foi chrétienne aucun point que l’on révoque en doute avec autant de violence ou tant d’obstination, autant d’efforts et d’instances que la résurrection de la chair. Quant à l’immortalité de l’âme, en effet, beaucoup de philosophes païens en ont écrit, et ont trouvé dans un grand nombre de livres que l’âme humaine est immortelle. Mais en vient on à la résurrection de la chair, ils n’hésitent point, ils contredisent clairement, et dans leur contradiction ils vont jusqu’à dire qu’il est impossible que cette chair terrestre puisse monter au ciel. Donc cette lune toujours dans son plein est dans le ciel un témoin fidèle contre ces contradicteurs.

6. Voyez combien sont certaines, sont affermies, sont claires et indubitables ces promesses au sujet de Jésus-Christ. Bien que plusieurs soient cachées sous des figures, il en est d’autres néanmoins assez évidentes pour nous faire découvrir facilement ce qu’il y a d’obscur. D’après cela voyez ce qui suit: « Cependant, Seigneur, vous avez repoussé, anéanti,  éloigné votre Christ. Vous avez renversé son Testament : son sanctuaire est profané dans la poussière. Vous avez détruit toutes ses murailles, ses remparts sont un objet de terreur. Tous les passants l’ont pillé, il est devenu un sujet d’opprobre pour ses voisins. Vous avez élevé le bras de ses ennemis, et réjoui tous ceux qui le haïssent. Vous lui avez ravi le secours de son glaive, et ne l’avez point aidé dans la guerre. Vous l’avez détruit pur ne point le purifier, vous  avez brisé son trône contre terre. Vous avez abrégé le nombre de ses jours, et l’avez couvert de confusion 1». Qu’est ce à dire, ô mon Dieu ? Telles étaient vos promesses, et vous les avez ainsi contredites. Où sont ces promesses qui faisaient naguère notre joie, dont nous nous applaudissions avec tant d’allégresse, et qui nous berçaient d’une telle sécurité? Que dirait que c’est un autre qui les a faites, et un autre qui les a détruites. Et ce qu’il y a de plus étonnant, ce n’est point un autre, mais bien vous, qui nous faisiez ces promesses magnifiques, vous qui les confirmiez, vous qui les confirmiez par serment à cause des hésitations des hommes : c’est

 

1. Ps. CXXXVIII, 39-46,

 

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vous qui avez fait ces promesses, et vous qui avez appelé ces désastres. Comment croire à votre serment, où retrouver vos promesses ? Que signifie tout cela, mes frères? La promesse de Dieu serait-elle fausse, et son serment un parjure? Pourquoi ces promesses pompeuses et ces malheurs qui les suivent? Et moi, je soutiens que ces malheurs confirment sa prouesse. Mais qui suis-je pour parler ainsi ? Voyons si la vérité parle de la sorte, et alors je n’aurai pas vainement parlé. David était l’homme à qui Dieu faisait toutes ces promesses qui devaient avoir leur accomplissement dans le Christ. Or, les hommes attendaient en David l’accomplissement des promesses faites à David. Et de peur que parmi les chrétiens, l’un ne vînt dire : Ceci regarde le Christ l’autre : Non, mais David, et qu’on ne tombât dans l’erreur en voyant ces promesses s’accomplir eu David; voilà que Dieu a détruit toutes ces promesses en David même, afin qu’en voyant qu’elles ne sont point accomplies en lui, tu cherches en quel autre on les voit s’accomplir. Il en est de même en Esaü et en Jacob, dont le second se prosterna devant l’aîné, bien qu’il fût écrit : « L’aîné sera soumis au plus jeune 1»; ne voyant point cette prophétie accomplie dans les deux frères, tu dois jeter les yeux sur deux peuples, en qui s’accomplit la promesse de Dieu, qui ne peut être mensongère. Il dit donc à David : « Je mettrai sur ton trône quelqu’un de tes enfants 2 ». Il lui promit quelque chose d’éternel dans sa race; et voilà que Salomon vint au monde, et fut doué d’une telle sagesse, que l’on pensait qu’en lui s’accomplissait la promesse de Dieu sur sa postérité; mais Salomon tomba 3, et nous fit ainsi espérer le Christ car le Seigneur, qui ne peut ni se tromper, ni tromper, n’ayant point pris pour objet de ses promesses un homme dont il prévoyait la chute, tu as dû, après cette chute, lever les yeux vers Dieu et solliciter l’accomplissement des promesses. Votre parole, ô Dieu, est donc mensongère? Ne tiendrez-vous point à ce que vous avez promis ? Votre serment est-il un parjure? Mais ici Dieu pourrait vous répondre : J’ai juré, j’ai promis, mais il n’a pas voulu persévérer. Eh quoi donc! ô vous, Seigneur mon Dieu, ne saviez-vous point qu’il n’aurait point la persévérance ? Vous le saviez assurément. Pourquoi donc me promettre

 

1. Gen. XXV, 23.— 2. Ps. CXXXI, 11.— 3. III Rois, XI, 1.

 

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quelque chose d’éternel dans un homme qui ne devait point persévérer ? N’est-ce point vous qui avez dit: « S’ils abandonnent ma loi, s’ils ne marchent point dans ma justice, s’ils méprisent mes préceptes et profanent mon Testament » ; ma promesse n’en sera pas moins immuable, mon serment s’accomplira? « Je l’ai juré une fois dans ma sainteté », dans ce secret intérieur, dans cette source où les Prophètes ont puisé ce qu’il nous ont prêché extérieurement: « Je l’ai juré une fois, et je ne mentirai point à David ». Montrez donc, Seigneur, ce que vous avez juré, accomplissez votre serment : de tout cela David est privé, afin que l’on n’en espère point l’accomplissement dans ce David. Attendez donc l’effet de mes promesses.

7. David au reste le fait lui-même. Vois ce qu’il a dit : «Néanmoins, Seigneur, vous avez rejeté, anéanti tout cela». Où donc est votre promesse? « Vous avez éloigné votre Christ ». Bien qu’il énumère des désastres, il nous console néanmoins par cette dernière parole. Ce que vous avez promis, ô mon Dieu, subsiste donc toujours, car vous n’avez point dérobé votre Christ pour toujours, vous l’avez seulement éloigné. Voyez donc ce qui est arrivé à ce David, en qui leur ignorance leur faisait croire que Dieu accomplirait ses promesses, afin que ces mêmes promesses fussent accomplies dans un autre en qui l’on espère avec plus de certitude: « Vous avez éloigné votre Christ, vous avez rompu l’alliance avec votre serviteur ». Où est en effet l’alliance antique avec les Juifs? Où est cette terre promise qu’ils ont habitée pour commettre tant de fautes, que Dieu a détruite pour les en chasser ? Cherche le royaume des Juifs, dl n’est plus; l’autel des Juifs, il n’est plus ; le sacrifice des Juifs, il n’est plus; le sacerdoce des Juifs, il n’est plus: « Vous avez rompu l’alliance avec votre serviteur; son sanctuaire est profané dans la poussière » .Vous avez montré la poussière dans ce qu’il avait de plus saint. « Vous avez détruit toutes ces murailles », dont vous l’aviez environné. Comment l’eût-on pillé, si ses murailles n’eussent été détruites? « Ses remparts sont un objet de terreur». Qu’est-ce à dire un objet de crainte? ils font dire au pécheur : « Si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne te pardonnera point non plus 1. Tous ceux qui passaient par

 

1. Rom. XI,21.

 

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le chemin l’ont pillé » ; c’est-à-dire tous les Gentils, qui passaient par le chemin, ou par cette vie, ont pillé Israël, ou David. Voyez en en effet les lambeaux de ce peuple chez les Gentils : c’est d’eux qu’il est dit : « Ils seront la proie des renards 1 ». Car l’Ecriture donne le nom de renards à ces rois impies, fourbes et timides qu’effraie la vertu des autres. C’est pourquoi le Sauveur, parlant d’Hérode qui lui faisait des menaces, a dit : « Répondez à ce renard  2 » Un roi qui ne redoute aucun autre homme n’est point un renard ; il est ce lion de la tribu de Juda, à qui il est dit: « Tu es monté pour reposer, tu as dormi comme un lion 3 ». Tu es monté dans ta puissance, et dans ta puissance tu as dormi tu as dormi, parce que tu l’as voulu. Aussi est-il dit dans un autre psaume : « Pour moi, j’ai dormi ». Ne suffisait-il pas de dire : « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil, et je me suis levé, parce que le Seigneur est mon appui 4? » A quoi bon « pour moi? » Pesons bien attentivement cette parole : « Pour moi, c’est moi qui me suis endormi ». A eux la colère, la persécution ; mais si je ne l’eusse voulu, je n’eusse jamais dormi. « Pour moi j’ai dormi». Tout à l’heure donc, on disait d’eux : « Ils seront la proie des renards », et l’on dit maintenant: « Tous ceux qui passaient par le chemin ont pillé votre héritage, il est devenu pour les voisins un objet d’opprobre. Vous avez élevé la main, de ses ennemis, vous avez donné à ses adversaires l’ivresse de la joie ». Voyez les Juifs et voyez l’accom plissement de celte prophétie. « Vous avez détourné le secours de leur glaive». Ils avaient coutume de combattre en petit nombre, de renverser de grandes armées; et voilà que « vous avez détourné l’appui de leur glaive, et ne les avez point soutenus dans les combats». Le voilà donc à bon droit vaincu, à bon droit captif, à bon droit privé du royaume, à bon droit dispersé ! Car il a perdu cette terre pour laquelle il a mis à mort le Sauveur. « Vous avez détourné l’appui de son glaive, et ne l’avez point secouru dans la guerre, vous l’avez délié pour qu’il ne se corrige point ». Qu’est-ce à dire? Dans tous ces malheurs, rien n’est plus formidable. Quelle que soit la sévérité de Dieu, quelle que soit sa colère, qu’il nous frappe, qu’il nous châtie à son gré, mais du moins qu’il nous lie

 

1. Ps. LXII, 11. — 2. Luc, XIII, 32.— 3. Gen. XLIX, 9.— 4. Ps. III, 6.

 

quand il nous frappe, afin de nous purifier: mais qu’il ne nous délie point afin de nous éloigner de ce qui nous purifie. S’il nous laisse dans la dissolution, il n’a plus à nous purifier, mais bien à nous rejeter. De quoi donc le juif est-il délié, lui qui ne peut se purifier? de la foi. C’est la foi qui nous donne la vie 1 ; et c’est de la foi qu’il est dit : « Par la foi Dieu purifie leurs coeurs 2». Et comme c’est la foi au Christ qui seule nous purifie, en ne croyant point au Christ, ils se sont déliés, mis en dehors de tout ce qui purifie. « Vous l’avez délié de tout ce qui purifie,  vous avez jeté son trône à terre »; et c’est justement que vous l’avez brisé. « Vous avez abrégé les jours de son trône » , car ils croyaient devoir régner dans l’éternité. « Vous l’avez couvert de confusion ». Or, tout cela est arrivé aux Juifs, non parce que le Christ leur était refusé, mais simplement différé.

8. Voyons donc si Dieu remplit ses promesses. Après de si grands désastres sur ce peuple, et sur ce royaume, le Prophète craint que l’on n’en vienne à croire que Dieu n’a point accompli ses promesses, et qu’il ne donnera point au Christ cet empire qui n’aura point de fin; il s’adresse donc au Seigneur, et s’écrie : « Jusques à quand, Seigneur, vous détournerez-vous en ce qui concerne la fin 3? » Peut-être n’est-ce point de la fin, mais des Juifs que vous vous détournez; car l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 4. En attendant toutefois: « Votre colère va s’attiser comme une flamme».

9. « Souvenez-vous quelle est ma substance 5 ». Ceci est le langage de David, qui vivait dans sa chair. parmi les Juifs, et dans le Christ par ses espérances : « Souvenez-vous quelle est ma substance». Car si la Judée tout entière a dû périr, ma substance n’a point péri. C’est de ce peuple qu’est venue la vierge Marie, et par la vierge Marie, la chair du Christ; et cette chair n’était point une chair de péché, puisqu’elle purifiait du péché. C’est là, dit-il, qu’est ma substance. « Rappelez-vous quelle est ma substance». Car la racine n’a point péri entièrement : il en viendra un jour, ce fils à qui l’on a fait les promesses, et que les anges préparent par

 

1. Gal. III, 11. — 2. Act. XV, 9. — 3. Ps. LXXXVIII, 47. — 4. Rom. III, 25. — 5. Ps. CXXXVIII, 48.

 

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l’entremise d’un médiateur 1. « Rappelez-vous quelle est ma substance. Car ce n’est pas en vain que vous avez créé tous les enfants des hommes ». Voilà que tous les hommes sont tombés dans la vanité, et cependant ce n’est point pour la vanité que vous les avez créés. Et quand ceux que vous n’avez pas créés en vain tombent ainsi dans la vanité, ne vous êtes-vous donc rien réservé pour les en purifier? Ce que vous vous êtes réservé pour purifier les hommes de la vanité, ce saint qui est le vôtre, c’est en lui qu’est ma substance. C’est en lui que sont purifiés de leur propre vanité tous ceux que vous n’avez pas créés en vain, eux à qui il est dit: « Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge 2? » Peut-être que, devenus soucieux, ils se détourneraient de la vanité ; et, s’en voyant souillés, ils chercheraient à s’en purifier. Venez à leur secours, et rassurez-les. «Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint 3». Il a rendu son saint admirable, et par lui, il a purifié les hommes de leur vanité. C’est là qu’est ma substance, dit le Prophète, souvenez-vous de lui. « Ce n’est donc pas en vain que vous avez établi les enfants des hommes ». Vous avez conservé de quoi les purifier. Quel est celui que vous avez conservé? « Quel est l’homme qui vivra sans voir la mort 4? » Donc cet homme qui vivra, et qui ne verra pas la mort, c’est lui qui nous purifie de la vanité. Car ce n’est pas inutilement que Dieu a établi les enfants des hommes; et celui qui les a faits ne saurait les mépriser au point de ne pas les convertir en les guérissant.

10. « Quel est l’homme qui vivra, et ne verra point la mort? » Car, en se levant d’entre les morts, il ne meurt plus, la mort n’a plus d’empire sur lui 5. Enfin, comme il est écrit dans  un autre psaume: « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer, et vous n’abandonnerez point votre saint à la  corruption 6 » voilà que les Apôtres s’emparent de ce témoignage, pour s’en servir dans les actes contre les infidèles, en disant : « Mes frères, nous savons que le patriarche David est mort, et que sa chair a éprouvé la corruption ». Ce n’est donc point de lui

 

1. Gal. III, 19 —  2. Ps. IV, 3.— 3. Id. 4. — 4. Id. LXXXVIII, 49. — 5. Rom. VI, 9.— 6. Ps. XV, 10.

 

qu’il est dit : « Vous n’abandonnerez point votre saint à la corruption 1». Si donc cette parole ne le concerne point, de quel homme est-il dit : « Quel est l’homme qui vivra et ne verra point la mort? » Peut-être n’y a-t-il personne. Cette parole, au contraire, « quel est l’homme », n’est que pour vous le faire chercher, et non pour faire désespérer d’en trouver un. Mais peut-être est-il un homme « qui vivra, et ne verra point la mort » ; et toutefois cela ne s’applique point au Christ, qui est mort. Il est certain, au contraire, que « nul homme ne vivra sans voir la mort », sinon celui qui est mort pour les mortels. Et afin de voir que cette parole s’applique à lui, vois la suite : « Quel homme vivra sans voir la mort? » Jamais donc il n’a vu la mort? Il l’a vue. Comment donc vivra-t-il sans voir la mort? Il délivrera son âme de la puissance de l’enfer. C’est vraiment lui seul, et seul sans exception, qui « vivra et ne verra point la mort, qui délivrera son âme de la puissance de l’enfer » ; car si tous les fidèles se lèvent d’entre les morts, s’ils vivent aussi dans l’éternité et ne voient plus la mort; ils ne peuvent toutefois délivrer leurs âmes de la puissance de l’enfer. Celui-là qui délivre son âme des puissances de l’enfer, en délivre aussi les âmes de ses fidèles , car ils ne peuvent se délivrer eux-mêmes. Montrez, diras-tu, qu’il a délivré son âme. « J’ai le pouvoir », dit-il, « de donner mon âme et aussi le pouvoir de la reprendre ; nul ne peut me l’ôter, car c’est moi qui ai dormi 2, « c’est donc moi qui donne ma vie, et moi qui la reprends 3»; ainsi c’est lui qui a délivré son âme de la puissance de l’enfer.

11. Cette foi en Jésus-Christ, néanmoins, a subi de longues persécutions, et longtemps les nations ont dit : « Quand mourra-t-il, quand son nom périra-t-il 4? » C’est donc pour ceux qui croiront en Jésus-Christ, mais qui doivent souffrir pendant quelque temps, que le psaume a dit: « Où sont, ô mon Dieu, vos anciennes miséricordes 5?» Déjà nous savons que le Christ nous purifie, nous possédons celui en qui vous accomplissez vos promesses: donnez-nous en lui ce que vous avez promis. C’est lui qui vivra et ne verra point la mort; lui qui a délivré son âme des puissances de l’enfer; et pourtant nous sommes

 

1. Act. II, 27- 31.— 2. Ps. III, 6.— 3. Jean, X, 17, 18.— 4. Ps. XL, 6.— 5. Id. LXXXVIII, 50.

 

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encore dans la douleur. Ainsi disaient les martyrs dont nous célébrons la fête. Il vivra, il ne verra point la mort, il a délivré son âme des puissances de l’enfer; et néanmoins on nous égorge à cause de vous; tout le jour, nous ressemblons aux brebis qu’on destine à la boucherie 1. « Où sont donc vos antiques miséricordes, ô mon Dieu, celles que vous avez jurées à David par votre vérité? »

12. « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs 2 ». A peine le Christ était-il ressuscité, à peine était-il assis à la droite de Dieu son Père, qu’on jetait l’opprobre à la face des chrétiens : on leur fit longtemps un crime du nom même du Christ. Cette veuve qui enfante, et qui a des enfants plus nombreux que celle qui a un époux 3, a entendu des paroles d’ignominie, des paroles d’opprobre. Mais dès que l’Eglise se multiplie, qu’elle s’étend à droite et à gauche, elle ne se souvient plus de l’ignominie de son veuvage. « Souvenez-vous, Seigneur », vous dans le souvenir duquel on goûte une abondance de douceur; « Souvenez-vous », n’oubliez point. De quoi vous souviendrez-vous? « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs, de cet opprobre que je cache dans mon sein, et qui leur vient de tant de nations ». J’allais prêcher votre saint nom, et je recueillais des opprobres, et je les cachais en mon sein, afin d’accomplir cette parole: « On nous jette le blasphème et nous prions, nous sommes devenus les rebuts du monde, la balayure de tous 4 ». Longtemps les chrétiens cachèrent ces opprobres dans leur sein, dans leurs coeurs; ils n’osaient répondre aux injures : auparavant c’était un crime de répondre à un païen, et aujourd’hui c’est un crime de demeurer dans le paganisme. Grâces au Seigneur, qui s’est souvenu de nos opprobres; il a élevé la puissance de son Christ, et l’a signalé à l’admiration des rois de la terre. Nul aujourd’hui n’insulte aux chrétiens; ou si quelqu’un leur insulte, ce n’est point en public : et en le faisant, il craint plus qu’on ne l’entende, qu’il ne désire qu’on le croie. « Opprobre qui vient de tant de nations, et que je cache en mon sein ».

13. « Vos ennemis nous ont fait un reproche, ô mon Dieu 5». Juifs et païens « nous ont fait un reproche »; qu’ont-ils reproché?

 

1. Ps. XLIII, 22.— 2. Id. LXXXVIII, 51.— 3. Isa. LIV, 1 ; Gal. IV, 21. — 4. I Cor. IV, 13. — Ps. LXXXXVIII, 52.

 

« Le changement de votre Christ ». Oui, « le changement de votre Christ», voilà ce qu’ils nous ont reproché. Ils nous ont objecté que votre Christ est mort, que votre Christ a été crucifié. Insensés, que nous objectez-vous? Aujourd’hui, il est vrai, nul ne fait cette objection, et pourtant s’il en restait quelques-uns, pourquoi nous objecter que le Christ est mort? Ce n’était point une mort, ce n’était qu’un changement, ce n’était que trois jours de mort. Voilà ce que vous ont reproché vos ennemis; ce n’était ni la mort, ni l’anéantissement, mais bien « le changement de votre Christ». Il a changé une vie temporelle en une vie sans fin; il a changé, en passant des Juifs aux Gentils; il a changé la terre pour le ciel. Que vos ennemis s’en viennent donc vous reprocher sans raison « le changement de votre Christ ». Puissent-ils changer eux-mêmes! ils ne nous reprocheraient plus le changement de votre Christ. Mais ce changement leur déplaît, parce qu’ils ne veulent point changer eux-mêmes. Car il n’y a point de changement pour eux, et ils n’ont aucune crainte du Seigneur 1. « Vos ennemis, ô Dieu, vous ont reproché le changement de votre Christ».

14. Ils vous ont donc reproché ce changement: mais vous, Seigneur? « Que le Seigneur soit béni éternellement, qu’il en soit ainsi! qu’il en soit ainsi 2 ! » Rendons grâces à sa miséricorde, grâces à sa grâce. Pour nous, en rendant grâces à Dieu, nous ne lui donnons rien, nous ne lui rendons rien, nous ne rapportons rien, nous ne payons rien, nous lui rendons grâces en paroles, nous retenons en effet sa grâce. C’est lui qui nous a sauvés gratuitement, sans considérer nos impiétés; lui qui nous a cherchés quand nous ne le cherchions pas, qui nous a trouvés, qui nous a rachetés, qui nous a délivrés du joug du diable, et de l’esclavage  des démons: il nous a liés afin de nous purifier par la foi, tandis qu’il a délié ces ennemis, qui ne croient point, et dès lors ne peuvent arriver à se purifier. Que ceux qui demeurent encore éloignés disent chaque jour ce qu’ils voudront, leur nombre ne diminuera pas moins chaque jour : qu’ils se répandent en injures, en raillerie, qu’ils nous reprochent, non la mort, mais « les changements du Christ ». Ne voient-il pas qu’en parlant ainsi, ils diminuent

 

1. Ps. LIV, 20. — 2. Id. LXXXVIII, 53.

 

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soit en embrassant la foi, soit en mourant? Leur malédiction n’aura donc qu’un temps, mais « le Seigneur sera béni dans l’éternité ». Il pour confirmer cette bénédiction, et bannir toute crainte, le Prophète ajoute : « Ainsi-soit-il! Ainsi-soit-il! » Cette fin est comme le sceau de Dieu. Pleins de sécurité sur ses promesses, croyons le passé , connaissons le présent, voyons à l’avenir Que l’ennemi ne nous détourne point de la véritable voie, afin que celui qui nous rassemble sous ses ailes, comme une poule rassemble ses poussins, nous réchauffe, que nous ne sortions point de dessous ses ailes, et que l’épervier ne nous enlève point comme des poussins sans plumes encore. Un chrétien ne doit point placer sa confiance en lui-même: s’il veut se fortifier, qu’il grandisse par la chaleur de sa mère. Elle est pour lui cette poule qui rassemble ses poussins, et dont Jérusalem, cette ville infidèle, essuyait les reproche: « Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu? Voilà que vos maisons seront désertes 1 ». Aussi est-il dit: « Vous avez fait de ses remparts un objet d’effroi ».  Comme donc les Juifs n’ont pas voulu se mettre à couvert sous les ailes de cette poule, et que leur exemple a dû nous faire craindre ces esprits impurs qui volent autour de nous, cherchant ce qu’ils pourront enlever; entrons sous les ailes de cette poule, de cette Sagesse divine qui a voulu subir la mort pour ses poussins. Aimons le Seigneur notre Dieu, aimons son Eglise: Lui comme un père, Elle comme une mère; Lui comme un maître, Elle comme sa servante, puisque nous sommes

 

1. Matth XXIII, 37, 38.

 

les enfants de sa servante. Mais le lien de ce mariage est une grande charité. Nul ne peut offenser l’un et bien mériter de l’autre. Que nul ne dise: Je vais aux idoles, je consulte les augures et les sortilèges. mais je n’abandonne point pour cela l’Eglise; je suis catholique. Tu tiens à ta mère, il est vrai, mais en offensant ton Père. Un autre viendra me dire:

Loin de moi de consulter les sorts, de rechercher les devins, de recourir à des pratiques sacrilèges, d’aller adorer les démons, de me prosterner devant des pierres: mais je suis de la secte de Donat. De quoi te sert-il de n’offenser point un père qui vengera l’outrage que tu fais à ta mère? A quoi bon confesser le Seigneur, honorer Dieu, le prêcher, reconnaître son Fils, proclamer qu’il est assis à la droite de son Père, et blasphémer son Eglise? Ce que tu vois chaque jour dans les mariages humains, ne te corrigera-t-il point? Si tu avais un patron à qui tu allasses chaque jour rendre hommage, dont tu ne franchisses le seuil que pour te mettre à son service, pour qui tu eusses, non-seulement des hommages, mais des adorations, lui rendant fidèlement toutes sortes de bons offices ; remettrais-tu le pied dans sa maison après avoir proféré contre son épouse une parole blessante? Tenez donc, mes très chers frères, tenez fermes et dans l’esprit d’union, Dieu pour votre père, et la sainte Eglise pour votre mère. Célébrez dans une sage sobriété les fêtes des saints martyrs, afin que nous imitions ceux qui nous ont précédés, et qu’eux-mêmes s’applaudissent de vous en priant pour vous : afin que « la bénédiction du Seigneur demeure éternellement sur vous: ainsi soit-il, ainsi soit-il! »

 

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