PSAUME LXXXVI
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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVI.

SERMON AU PEUPLE.

Probablement prêché à Carthage, en présence de l’évêque de cette ville, Aurèle.

LA JÉRUSALEM CÉLESTE.

 

La ville chantée dans le psaume est la cité de Dieu que nous chantons, si nous l’aimons. C’est la sainte Sion dont les Apôtres et les Prophètes sont tout à la fois les citoyens et les montagnes sur lesquelles cette cité est bâtie. Le Christ est cette pierre de l’angle où se sont rencontrées les deux murailles venant l’une de la circoncision, l’autre de la gentilité. Il est aussi la base de la Cité, et au lieu que les édifices de la terre partent d’en bas, l’édifice spirituel vient d’en haut. Le Christ est encore la porte du bercail, et le berger, et cet édifice est vivant dans chacune de ses pierres, et chaque pierre est carrée afin d’être debout en tout sens. Les Apôtres et les Prophètes en sont la base, parce qu’ils soutiennent notre faiblesse, et les portes, parce que nous y entrons par eux; et y entrer par eux, c’est y entrer par Jésus-Christ. De là ce nombre de douze portes, nombre qui désigne l’universalité, et correspond aux douze siéges, parce qu’on viendra de tous côtés pour y entrer, y siéger, y juger. Le Christ nous y a précédés et y entre dans chacun de ses membres qui s’est appliqué les mérites de la passion. C’est là que viennent Rabab et Babylone, ou les Gentils purifiés. C’est le Christ qui a fondé cette ville où il est né, comme il a créé sa mère. Là est le roi, l’ineffable bonheur.

 

1. Le psaume que l’on vient de chanter n’a que peu de paroles; mais il est riche de pensées. Il a été lu tout entier, et vous voyez le peu de temps qu’il a fallu pour arriver à la fin. Notre bienheureux père, qui nous honore de sa présence, m’a proposé tout à l’heure de l’exposer à votre charité autant que Dieu voudra bien me l’accorder. Une proposition si subite serait embarrassante, si celui qui m’engage ne me venait en aide par ses prières. Que votre charité soit donc attentive. Ce psaume chante et signale à notre attention une ville dont nous devenons les citoyens en devenant chrétiens, et d’où nous sommes exilés en cette vie mortelle; une ville dont nous approchons par la voie qui y conduit. On ne pouvait jadis trouver cette voie encombrée d’épines et de ronces; mais afin que nous pussions arriver à cette cité, le roi lui-même s’en est fait la voie. Donc, en marchant dans le Christ, étrangers ici-bas jusqu’à ce que nous soyons arrivés, en soupirant dans le désir de l’ineffable repos qui règne en cette cité, repos pour lequel on nous a promis « ce que l’oeil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au coeur de l’homme 1 »; en marchant donc, chantons de manière à stimuler nos désirs. Dans l’homme qui désire en effet, le coeur chante, quand même la langue se tairait; mais pour

 

1. I Cor, II, 9.

 

l’homme sans désir, quelque clameur qu’il fasse entendre aux hommes, il est muet pour Dieu. Voyez comme ceux qui aimaient cette ville aspiraient à y arriver; avec quelle effusion ces hommes, qui l’ont prophétisée, qui l’ont signalée à notre espérance, en ont aussi chanté les attraits. Ces désirs leur venaient de l’amour de cette cité, et cet amour était une effusion de l‘Esprit-Saint. « Car l’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos coeurs, par l’Esprit-Saint qui nous a été donné 1 ». Ayons donc cette ferveur de l’Esprit-Saint, pour entendre ce qu’on va dire de cette cité bienheureuse.

2. « Ses fondements sont sur les montagnes saintes 2 ». Le Prophète n’avait rien dit encore de cette ville, et tout à coup il s’écrie: « Ses fondements sont sur les montagnes saintes ». Les fondements de quoi? Sans doute les fondements d’une ville, puisqu’ils sont placés sur des montagnes. Citoyen donc de cette ville, et plein de l’Esprit-Saint, roulant en son âme tous les motifs d’amour et de soupirs, pour une cité aussi sainte, il échappe tout à coup ses méditations et s’écrie : « Ses fondements sont sur les montagnes saintes»; comme s’il en avait déjà parlé. Comment dire qu’il n’en avait point parlé, lui qui n’avait point cessé d’en parler dans son coeur? Comment dire « ses fondements», quand on ni

 

1. Rom. V, 5. — 2. Ps. LXIXXI, 1.

 

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point encore parlé de la ville? Aussi, ayant médité longuement cette ville dans le silence de ses pensées et soupiré vers Dieu, soudain il éclate aux oreilles des hommes : « Ses fondements sont sur les saintes montagnes ». Et comme si les hommes lui demandaient de quelle ville? « Dieu », répond-il, « aime les portes de Sion ». Telle est la cité dont les fondements sont sur les montagnes saintes. C’est de Sion que le Seigneur aime les portes « plus que tous les tabernacles de Jacob 1 ». Mais qu’est-ce à dire que e ses fondements sont u sur les saintes montagnes? » Quelles sont les montagnes sur lesquelles est bâtie cette cité? Un de ses habitants, l’apôtre saint Paul, nous l’a dit clairement. Prophètes et Apôtres sont également citoyens de cette ville. S’ils en parlaient, c’était pour exhorter les autres citoyens. Mais comment l’Apôtre et le Prophète étaient-ils habitants de cette cité? Peut-être encore étaient-ils en même temps ces montagnes sur lesquelles s’élève cette ville dont le Seigneur aime les portes. Que cet autre citoyen nous l’expose donc clairement, de manière à exclure tout doute. S’adressant aux Gentils, l’Apôtre les exhorte à revenir au Christ, à entrer en quelque sorte dans la sainte construction : « Vous serez élevés », leur dit-il, « sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ». Et comme si les Apôtres et les Prophètes, qui servent de fondement à la cité, n’avaient point par eux-mêmes une solidité suffisante, l’Apôtre ajoute : « Le Christ en est lui-même la principale pierre angulaire ». Et de peur que les Gentils ne vinssent à croire qu’ils n’appartenaient pas à Sion ; puisque Sion était une cité terrestre et qui figurait une autre cité, la Jérusalem céleste, dont l’Apôtre a dit qu’ « elle est notre mère à tous 2»; de peur, dis-je, qu’ils ne vinssent à croire qu’ils n’appartenaient point à Sion, parce qu’ils ne faisaient point partie du peuple de Jérusalem, l’Apôtre leur dit u Vous s n’êtes donc plus des étrangers et des hôtes, « mais vous êtes les citoyens de la cité des saints, de la maison de Dieu, comme un édifice bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ». Telle est la construction de la cité; mais d’où vient la solidité de cette construction; sur quoi est-elle appuyée pour ne tomber jamais? « Sur Jésus-Christ, qui en est ta pierre angulaire 3 ».

 

1. Ps. LXXXVI, 2. — 2. Gal. IV, 26. — 3. Ephés. II, 19, 20.

 

3. Quelqu’un dira peut-être: Si le Christ est ta pierre angulaire, deux murailles alors viennent se réunir en lui, car il n’y a pas d’angle à moins que deux murs, ayant une direction différente, ne viennent le former. Or, deux peuples sont venus, l’un de la circoncision, l’autre de la Gentilité, et se sont unis pour la paix chrétienne, dans une même foi, une même espérance, une même charité. Mais si Jésus-Christ est la pierre de l’angle, il semble que les fondements l’ont précédé, et que la pierre angulaire n’est venue qu’après, et quelqu’un peut nous objecter que c’est le Christ qui s’appuie sur les Prophètes et sur les Apôtres, et non ceux-ci sur le Christ, puisqu’ils sont le fondement, tandis qu’il est la pierre de l’angle. Mais que celui qui parle ainsi, examine bien le fondement et la pierre angulaire; car l’angle n’est pas seulement dans ce qui est apparent, et s’élève hors de terre, il commence dès le fondement; et pour vous faire mieux comprendre que le Christ est le premier et le principal fondement, « personne», dit l’Apôtre, « ne peut établir un autre fondement que celui qui est déjà posé et qui est Jésus-Christ 1 ». Comment alors les Prophètes et les Apôtres sont-ils des fondements de la ville sainte, et comment Jésus-Christ lui-même est-il le fondement au-delà duquel il n’y a plus rien? Comment le comprendre, à moins de dire en figure qu’il est le fondement des fondements, comme le Saint des saints. Si donc tu considères les sacrements, le Christ est le Saint des saints; si tu jettes les yeux sur l’humble bercail, le Christ en est le pasteur; si tu envisages l’édifice, le Christ en est le fondement des fondements. Dans nos édifices matériels, on ne saurait mettre la même pierre au sommet et à la hase: si elle est à la base, elle ne sera point au sommet; et si elle est au sommet, elle ne sera point à ta base. Tout corps a ses Limites, et ne peut être ni en tout lieu ni en tout temps. Pour la divinité, au contraire, elle est présente partout à la fois, et l’on peut en tirer toutes sortes de comparaisons ; et même tout peut être en comparaison, puisque, à proprement parler, elle n’est rien de ce que l’on en dit. Ainsi, le Christ est-il une porte comme celte que fait l’ouvrier? Assurément non. Et pourtant il a dit: « Je suis la porte ». Ou bien est-il un berger comme ceux que nous

 

1. I Cor. III, 11.

 

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voyons prendre soin de leurs troupeaux? Pourtant il a dit: « C’est moi le berger 1». Et dans un même endroit il dit les deux choses à la fois. Car il dit dans l’Evangile que le bon pasteur entre par la porte; et en même temps il dit: « Je suis le bon pasteur » ; et là encore il dit : « Je suis la porte ». Le pasteur entre par la porte. Et quel est ce pasteur qui entre par la porte? «Je suis le bon pasteur ». Et quelle est cette porte, par laquelle vous entrez, ô bon pasteur? « Cette porte, c’est moi ». Comment donc êtes-vous toutes choses? Comme toutes choses sont par moi. Ainsi quand Paul entre par la porte, n’est-ce point le Christ qui entre par la porte? Pourquoi? Ce n’est pas que Paul soit le Christ, c’est que le Christ est en Paul, et que Paul est par le Christ; n’a-t-il pas dit : « Voulez-vous éprouver le Christ qui parle par ma bouche 2 ? » Quand ses saints et ses fidèles entrent par la porte, n’est-ce point le Christ qui entre par la porte? Comment le prouver? Saul, qui n’était pas encore Paul, persécutait ses fidèles quand le Christ lui cria d’en haut: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 3?» Le Christ est donc tout à la fois, le fondement et la pierre de l’angle qui s’élève d’en bis, si toutefois il est en bas. Car c’est en haut que commence l’édifice dont nous parlons: et de même que tout édifice matériel a son fondement eu bas, ainsi l’édifice spirituel a son fondement en haut. Si nous bâtissions pour la terre, il nous faudrait une base terrestre; mais comme nous bâtissions pour le ciel, notre fondement nous a précédés dans les cieux. C’est donc lui qui est la pierre angulaire, et les montagnes sont les Apôtres, les grands Prophètes, qui supportent la Cité et en sont un édifice vivant. C’est de cet édifiée que partent les cris de vos coeurs, c’est là l’oeuvre ingénieuse de la main de Dieu, pour vous faire entrer dans les justes Proportions de cet édifice. Car ce n’est pas sans raison que l’arche de Noé était construite avec des bois carrés pour devenir la figure de l’Eglise. Que signifie ce carré? Voyez une pierre carrée pan exemple; tel doit être le modèle du chrétien. Car le chrétien ne doit succomber à aucune tentation: poussé de çà et de là, eu tom sens, il ne tombe point. Tourne comme tu le voudras une pierre carrée, elle se tient debout.

 

1. Jean, X. 11. — 2. II Cor. XIII, 3.— 3. Act. IX, 4.— 4. Gen. VI, 14, suiv.  les Septante.

 

Les martyrs paraissaient tomber, quand on les faisait mourir: mais qu’est-il dit dans nos cantiques? « Lorsque le juste tombera, il ne sera point brisé, parce que le Seigneur le soutient par la main 1». Si donc vous êtes préparés à toute tentation, et carrés en quelque sorte, que nulle violence ne vous renverse, et soyez prêts à tout événement. Tu entres donc dans cet édifice, par de saintes affections, par une piété sincère, par la foi, l’espérance et la charité ; et entrer dans l’édifice, c’est marcher devant Dieu. Dans les cités de la terre, autre est l’édifice, et autre ceux qui l’habitent; mais la Cité qui nous occupe est bâtie de ses propres citoyens; ce sont eux qui en sont les pierres, car ces pierres sont vivantes. « Quant à vous »,dit saint Pierre, « vous êtes comme des pierres vivantes formant un édifice spirituel 2 ». C’est à nous que s’adresse l’Apôtre. Continuons à parler de la Cité.

4. « Les fondements sont sur les saintes montagnes, le Seigneur aime les portes de Sion ». Je vous ai déjà fait comprendre, mes frères, qu’il ne faut pas voir de différence entre les fondements de la cité et ses portes. Pourquoi donc les Apôtres, les Prophètes, sont-ils des fondements? Parce que leur autorité soutient notre faiblesse. Pourquoi des portes? Parce que c’est par eux que nous entrons dans le royaume des cieux, car ce sont eux qui nous prêchent. Et quand nous entrons par eux, nous entrons par le Christ. Car lui-même est la porte 3. Il est dit que Jérusalem a douze portes 4, et le Christ est en même temps la porte unique, et les douze portes, parce qu’il est dans les douze. De là le nombre douze pour les Apôtres; ce nombre douze est très- mystérieux, u Vous serez assis « sur douze trônes, dit Le Christ, pour juger « les douze tribus d’Israël 5 ». S’il n’y a que douze trônes, il n’y en aura point pour asseoir Paul, treizième apôtre, et il ne pourra juger: et pourtant il affirme qu’il jugera, et non-seulement les hommes, mais encore les anges 6. Quels anges, sinon les anges apostats? Mais, lui dira la foule, pourquoi te vanter de juger? où t’asseoir? Le Seigneur assure qu’il y a douze siéges pour les douze Apôtres. Judas l’un d’eux est tombé, et Matthias a été ordonné à sa place 7; le nombre des douze trônes est donc complet : trouve d’abord où t’asseoir

 

1. Ps. XXXVI, 24. — 2. I Pierre, II, 5. — 3. Jean, X, 9.— 4. Apoc. XXI, 12. — 5. Matth. XIX, 28.— 6. I Cor. VI, 3. — 7. Act. I, 15-26.

 

315

 

avant de menacer de ton jugement. Voyons donc ce que signifient ces douze trônes. C’est un symbole de l’univers entier, parce que l’Eglise doit se répandre dans tout l’univers, d’où Dieu fait appel pour l’édifice du Christ. Ainsi, parce que l’on viendra de toutes parts pour juger, il y a douze trônes; de même qu’il y a douze portes, parce que l’on entre de toutes parts. Non-seulement donc les douze Apôtres avec saint Paul, mais tous ceux qui doivent juger appartiennent à ces douze trônes, dont le nombre marque l’universalité; de même que tous ceux qui entreront appartiennent aux douze portes. Il y a, en effet, dans le monde quatre parties, l’Orient et l’Occident, le Nord et le Midi. Ces parties reviennent fréquemment dans les saintes Ecritures. C’est de ces quatre parties, ou comme il est dit dans l’Evangile, de ces quatre vents que le Seigneur rassemblera ses élus 1. C’est donc de ces quatre vents que 1’Eglise est appelée. Comment est-elle appelée? De toutes parts elle est appelée au nom de la Trinité: car nul n’est appelé dans le baptême qu’au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Or,en multipliant quatre par trois, on obtient douze.

5. Heurtez donc par l’amour à ces portes, et que le Christ lui-même crie en vous : «Ouvrez-moi les portes de la justice  2 ». Il marche en avant comme chef, il suit dans chacun des membres. Voyez ce que dit l’Apôtre, car le Christ souffrait en lui : «.J’accomplis en ma chair ce qui marque aux douleurs du Christ 3 ». « J’achève ». Quoi ? «ce qui manque ». A quoi? « aux douleurs du Christ». Où? « dans ma chair». Pouvait-il donc y avoir quelque chose d’insuffisant dans les douleurs de cet homme dont le Verbe s’était revêtu en naissant de la vierge Marie? Car, enfin, il a souffert ce qu’il devait souffrir, et par sa volonté, non par la volonté du péché. Et nous voyons qu’il ne restait plus rien à souffrir, puisque sur la croix, après avoir bu le vinaigre, il s’écria : « C’est achevé, et baissant la tête il rendit l’esprit 4». Qu’est-ce à dire, « c’est achevé? » La mesure de mes douleurs est épuisée; tout ce qui a été prédit de moi est accompli, comme s’il n’eût attendu pour mourir que cet accomplissement. Qui sort pour un voyage, comme il

 

1. Marc, XIII, 27. — 2. Ps. CXVII, 19.— 3. Coloss. I, 24.— 4. Jean, XIX, 30.

 

sort de son corps? Mais qui peut mourir ainsi? Celui qui a dit tout d’abord : « J’ai le pouvoir de donner mon âme, et aussi le pouvoir de la reprendre : nul ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même, et je la reprends encore 1 ». Il a donc donné sa vie quand il l’a voulu, et l’a reprise quand il l’a voulu: nul n’a pu la lui ôter, la lui arracher. Toutes les souffrances marquées ont donc été accomplies, mais dans le Chef; il restât à les accomplir dans le corps du Christ. Or, vous êtes le corps et les membres du Christ 2. Aussi l’Apôtre, qui faisait partie de ces membres, a-t-il dit : « Afin que j’accomplisse dans ma chair ce qui manque à la passion du Christ». Nous allons donc où le Christ nous a précédés, et le Christ ne laisse point d’aller où il est allé le premier. Le Christ nous a précédés dans son chef, il doit suivre dans son corps. De là vient qu’il souffre encore ici-bas, et il souffrait de la part de Saul, quand Saul entendit : « Saut, Saul, pourquoi me persécuter 3? » De même que si l’on nous marche sur le pied, la langue aussitôt s’écrie : Vous m’écrasez. Nul ne touche à cette langue, et pourtant elle se récrie, plutôt parce qu’elle est unie au membre qui souffre, que par la douleur qu’elle endure. Ici-bas encore le Christ est dans l’indigence, ici-bas il est étranger, ici-bas il souffre, ici-bas il est en prison. Parler ainsi, ce serait l’injurier, s’il n’avait dit lui-même : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; nu, et vous m’avez revêtu; malade, et vous m’avez visité. Et eux: Quand, Seigneur,vous avons-nous vu en proie à ces misères, et vous avons-nous secouru? Et lui : Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait 4 ». Entrons donc dans l’édifice du Christ qui a pour fondement les Apôtres et les Prophètes 5, et dont il est la pierre angulaire parce que « le Seigneur aime les portes de Sion, plus que tous les tabernacles de Jacob »; comme si cette même Sion n’était point dans les tabernacles de Jacob. Et où donc était Sion, sinon dans ce peuple de Jacob? Car Jacob, lige du peuple juif, était petit-fils d’Abraham, et ce peuple a reçu le nom d’Israël, parce que Jacob lui-même fut

 

1. Jean, X, 17, 18.— 2. I Cor. XII, 27.— 3. Act. IX, 4.— 4. Matth. XXV, 35-40. — 5. Ephès. II, 20

 

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appelé Israël 1. C’est là ce que vous savez. Mais comme il y avait autrefois des tentes passagères et figuratives, et que le Prophète parle d’une cité spirituelle dont la ville terrestre n’était que l’ombre et l’image, le Prophète s’écrie : « Dieu aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob ». Il aime cette cité spirituelle, plus que tous les tabernacles figuratifs, qui nous marquaient cette ville céleste, ville impérissable et toujours en paix.

6. « Cité de Dieu, on dit de toi des choses merveilleuses ». On dirait que le Prophète envisage cette Jérusalem qui est sur la terre. Voyez toutefois de quelle cité on a dit des choses admirables : la Jérusalem de la terre est détruite; la violence de ses ennemis l’a jetée à terre; elle n’est plus ce qu’elle était; elle n’était qu’une figure, et cette ombre est passée. Où sont donc « ces merveilles sur la cité de Dieu? » Ecoutez : « Je me souviendrai de Rahab et de Babylone qui m’ont connu 2 ». Dans cette cité, dit le Prophète, en parlant au nom du Seigneur, je me souviendrai de Rahab, je me souviendrai de Babylone. Rahab n’appartient pas au peuple juif, non plus que Babylone. Car le Prophète dit ensuite : « Voilà que les étrangers de Tyr, et le peuple de l’Ethiopie ont « été dans tes murs ». C’est donc avec raison que « l’on chante vos merveilles, ô cité de Dieu», puisque vos murailles ne renferment pas seulement ce peuple Juif né d’Abraham, mais toutes les nations, dont quelques-unes sont nommées, pour nous faire entendre les autres. « Je me souviendrai de Rahab », est-il dit: quelle est cette courtisane? Cette cabaretière de Jéricho, qui accueillit les envoyés, les mit sur un autre chemin, crut à la promesse, et craignit Dieu, à qui l’on conseilla de faire descendre par la fenêtre un cordon de pourpre, c’est-à-dire, de mettre sur son front le signe du sang de Jésus-Christ. Elle fut ainsi sauvée 5 et figura l’Eglise des Gentils. De là cette parole du Sauveur aux pharisiens orgueilleux : « En vérité, je vous le déclare, les publicains et les courtisanes entreront avant vous dans le royaume des cieux ». Ils entreront avant vous, parce qu’ils font violence. Ils heurtent par la foi, et tout cède à la foi; nul ne peut leur résister;

 

1. Gen. XXXII, 28.— 2. Ps. LXXXVI, 3, 4. — 3. Josué, II ; VI, 25.— 4. Matth. XXI, 31.

 

parce que ceux qui font violence, emportent ce royaume, selon cette parole: « Le royaume des cieux souffre violence, et ceux qui font violence l’emportent 1 ». Voilà ce que fit le larron 2, plus fort à la croix que dans ses brigandages. « Je me souviendrai de Rahab et de Babylone ». Babylone était la ville du siècle. De même qu’il n’y avait qu’une ville sainte nommée Jérusalem, il n’y avait qu’une ville de l’iniquité appelée Babylone; tous les impies appartiennent à Babylone, comme tous les saints à Jérusalem. On sort de Babylone pour aller à Jérusalem. Et comment, sinon par celui qui justifie l’impie 3? La cité des saints est donc Jérusalem, comme Babylone est la cité des méchants. Or, celui qui justifie l’impie est venu; car «je me souviendrai » , dit-il, « non seulement de Rahab », mais aussi « de Babylone ». Mais pourquoi se souviendra-t-il de Rahab et de Babylone? «Parce qu’elles m’ont connu ». Aussi l’Ecriture a-t-elle dit quelque part : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu 4 ». Ici il dit: « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu »; et ailleurs : « Prévenez de votre miséricorde ceux qui vous connaissent 5». Et pour vous montrer que Rahab et Babylone sont prises ici pour les Gentils; comme si on lui demandait: Pourquoi « vous souvenir de Rahab et deBabylone qui vous connaissent? » Pourquoi parler ainsi? « Ce sont les étrangers » , répond-il, qui appartiennent à Rahab, à Babylone, «c’est Tyr». Mais jusqu’où prendrez-vous ces nations? Jusqu’aux extrémités de la terre. Car il a pris pour son peuple celui qui est aux derniers confins de la terre. « Jusqu’au peuple de l’Ethiopie », dit-il, « qui a été là ». Si donc l’on y retrouve Rahab, si l’on y est venu de Babylone, si l’on y voit Tyr et le peuple des Ethiopiens, c’est avec raison, « ô cité de Dieu, que l’on célèbre tes merveilles ».

7. Mais reconnaissez ici un grand mystère. Rahab est ici par celui qui y fait venir Babylone, et cette Babylone a dépouillé Babylone pour devenir Jérusalem. La fille est divisée d’avec sa mère, et commence à devenir membre de cette reine à laquelle on dit: « Oubliez votre peuple et la maison de votre père , car le roi s’est épris de votre

 

1. Matth. XI, 12. — 2. Luc, XXIII, 40-43.— 3. Rom. IV, 5.— 4. Ps. LXXVIII, 6.— 5. Id. XXX, 11.

 

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beauté 1 ». Comment Babylone pourrait elle aspirer à Jérusalem? Comment Rahal arriverait-elle à ces fondements? Comment pourraient y venir les étrangers ? Comment Tyr? Comment les peuples de l’Ethiopie Ecoute bien: « Un homme dira: Sion est ma mère 2 ». Donc, il est un homme qui dit: « Sion est ma mère », et c’est par lui que ceux-ci viennent en Sion. Mais quel est cet homme? Le Prophète nous l’indique, si nous savons l’entendre et le comprendre : « Un homme dira: Sion est ma mère ». Comme si l’on demandait au Prophète quel est cet homme par qui Rahab et Babylone, et les étrangers, et Tyr, et les Ethiopiens viendront à Jérusalem. Voici, répond-il: « Un homme dira : Sion est ma mère; un homme a été fait en elle, et cet homme est le Très-Haut qui l’a fondée ». Quoi de plus clair, mes frères? Oui, assurément, « ô cité sainte, on a dit de toi les plus surprenantes merveilles». Voici qu’un homme dira : « Sion est ma mère ». Quel est cet homme? « Celui qui a été fait homme en elle ». Un homme donc a été fait en elle, et cet homme l’a fondée. Comment a été fait en elle celui-là même qui l’a fondée? Pour qu’un homme fût fait en elle, déjà elle était fondée. Comprends, si tu le peux. Car il dira : « Sion est ma mère »; mais celui qui dira: « Sion est ma mère, est homme » : or, « un homme a été fait en elle »; mais « celui qui l’a fondée » n’est point homme, il est le « Très-Haut ». Il a donc fondé la ville où il devait naître, quand il a créé celle qui devait être sa mère. Quelle merveille, mes frères ! quelles promesses ! quelles espérances ! C’est pour vous que le Très-Haut a fondé une cité: il appelle cette cité sa mère, c’est en elle qu’ « il a été fait homme, et le Très-Haut l’a fondée ».

8. Mais comme si l’on demandait: D’où savez-vous ces choses? Nous venons de chanter ces paroles, et le Christ en son humanité les chante pour nous tous, lui homme pour nous et Dieu avant nous. Mais quelle grandeur d’avoir été avant nous? Avant la terre et le ciel, avant les siècles. C’est donc ce Dieu fait homme pour nous, dans cette cité, c’est le Très-Haut qui l’a fondée. D’où le savons-nous? « Le Seigneur le racontera dans les annales des peuples ». Car voilà ce que dit ensuite

 

1. Ps. XLIV, 11, 12. — 2. Cette variante vient des Septante. Ps. LXXXVI, 5.

 

le psaume: « Un bomme dira: Sion est ma mère, et cet homme a été fait en elle, c’est lui, le Très-Haut, qui l’a fondée. Le Seigneur le racontera dans les annales des peuples et des princes 1 ». De quels princes? De ceux qui ont été faits en elle. Les princes qui ont été faits en elle, sont devenus ses princes. Car avant qu’ils fussent princes dans cette cité, Dieu avait choisi ce qu’il y a de méprisable dans le monde pour confondre les forts 2. Le pêcheur était-il un prince? Est-ce un prince qu’un publicain? Oui, ils sont des princes; car ils ont été faits princes dans cette ville. Quels sont ces princes? Des princes qui sont venus de Babylone, des princes selon le monde ont embrassé la foi et sont venus à Rome, dans cette capitale de Babylone; et sans aller au palais des Empereurs, ils sont allés au tombeau d’un pêcheur. Pourquoi sont-ils devenus des princes? Parce que Dieu a choisi ce qu’il y a de faible pour confondre les forts, ce qu’il y a de méprisable, ce qui n’est rien pour détruire ce qui est 3. Telle est l’oeuvre de celui qui relève le pauvre de la poussière, et l’indigent de son fumier. Pourquoi le relever? Pour le faire asseoir entre les princes, entre les princes de son peuple 4. Quelle merveille ! mes frères, quelle joie ! quelle allégresse ! Des orateurs sont venus ensuite dans cette cité, mais ils n’y seraient point venus, si les pêcheurs ne les y avaient précédés. Grandes merveilles que tout cela; mais où s’accomplissent de telles merveilles, sinon dans cette cité de Dieu, dont on a dit tant de miracles?

9. Aussi réunissant tant de sujets de joie, que dira le Prophète pour conclure? «Tu es le séjour de tous ceux qui tressaillent d’allégresse 5». Elle est donc la cité de la joie, la cité de tous ceux qui s’abreuvent de délices. Ici-bas nous sommes dans la tristesse, là nous aurons une joie sans mélange et sans fin. Il n’y aura ni labeur, ni gémissement; aux supplications succédera la louange. Nul donc ne sera sans délices: nul gémissement, nul soupir, mais la jouissance dans la joie. Nous serons en présence de celui qu’appellent nos soupirs, et semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 6. Là toute notre tâche sera de louer Dieu, de jouir de Dieu. Que pourrions-nous chercher, quand celui qui a tout fait, nous

 

1. Ps. LXXXVI, 6. — 2. I Cor. I, 27. — 3. Id. 28. — 4. Ps. CXII, 7, 8. — 5. Id. LXXXVI, 7 — 6. I Jean, III, 2.

 

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suffit? Il habitera en nous, et nous habiterons en lui; tout lui sera soumis, afin qu’il soit Dieu tout en tous 1. « Bienheureux donc ceux qui habitent votre demeure ». Pourquoi bienheureux? Parce qu’ils auront de l’or, de l’argent, une maison nombreuse, de nombreux enfants? Pourquoi bienheureux? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 ». Telle est la tâche ou plutôt le repos qui les rendra heureux. N’ayons donc, mes frères, d’autre désir que d’arriver à ce bonheur; préparons nous à bénir Dieu, à nous réjouir en Dieu. Nous vous le disions hier, autant qu’il était en nous : il n’y aura plus d’oeuvre de miséricorde, puisqu’il n’y aura plus de misère. Tu n’y rencontreras ni pauvres à secourir, ni l’homme nu à revêtir, ni l’homme qui a soif, ni l’étranger, ni aucun malade à visiter, ni aucun mort à ensevelir, ni des hommes en procès à réconcilier. Que feras-tu donc? Des besoins corporels te forceront-ils à défricher, à labourer, à pratiquer le négoce, à voyager? Ce sera le repos suprême; car il n’y aura plus de ces travaux que la nécessité nous impose : et avec la nécessité disparaîtront les oeuvres de nécessité. Qu’arrivera-t-il donc? Le Prophète l’a dit, comme une langue humaine le peut dire e Tu es comme le séjour de tous ceux qui « tressaillent de joie». Pourquoi comme le séjour? Parce que la joie que nous ressentirons alors, est de celles que nous ne connaissons point. Je vois ici-bas bien des délices, beaucoup se réjouissent en cette vie, l’un pour tel motif, l’autre pour tel autre motif; mais je ne trouve rien de comparable à cette joie, qui sera comme un agrément sans fatigue. Si je dis simplement un agrément, tel homme va penser à l’agrément qu’il trouve à boire, dans un festin, dans l’avarice, dans les honneurs d’ici-bas. Car les hommes trouvent là des transports et une espèce de folie: mais, « il n’y a point de joie pour l’impie », a dit le Seigneur 3. Il est donc une joie que l’oeil n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, qui n’est pas entrée dans le coeur de l’homme 4. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont

 

1. I Cor. XV, 28. — 2. Ps. LXXXIII, 5. — 3. Isa. XLVIII, 22, suiv. les Septante. — 4. I Cor. II, 9.

 

comme dans la joie». Préparons-nous donc à une joie supérieure; nous pouvons bien en trouver des images ici-bas, mais elle n’y est point: ne nous préparons point à jouir dans le ciel de ce qui fait ici-bas notre joie, autrement notre abstention deviendrait l’avarice. Vous invitez des hommes à un repas magnifique, où l’on doit servir beaucoup de mets recherchés; ils ne dînent pas: et si vous en demandez la cause, ils répondent : Nous jeûnons. Jeûner est assurément une oeuvre sainte, une oeuvre chrétienne. Mais ne vous hâtez pas de louer; cherchez la cause, et vous verrez qu’il s’agit du ventre, et non de la religion. Pourquoi ce jeûne? C’est de peur que des mets vulgaires n’embarrassent l’estomac, et qu’on ne puisse toucher ensuite aux mets délicats. C’est donc la sensualité que l’on recherche dans le jeûne. Chose étrange que le jeûne! tantôt il réprime les appétits, la sensualité, tantôt il les favorise. Si donc, mes frères, c’est un plaisir semblable que vous espérez dans cette patrie, où nous invite la trompette céleste, si vous vous abstenez des plaisirs d’ici-bas, pour en recevoir de semblables et au centuple là haut; vous ressemblez à ceux qui jeûnent pour mieux manger, et qui sont tempérants par intempérance. Arrière toutes ces pensées! Préparez-vous à des joies ineffables, et purifiez votre coeur de toutes les affections de la terre, de tous les plaisirs du siècle. Nous venons dans le ciel, et ce que nous verrons nous rendra bienheureux, et cette vue seule nous suffira. Eh! quoi donc? Nous ne mangerons point? Oui, sans doute, nous mangerons, et telle sera notre nourriture, qu’elle nous rassasiera, sans nous manquer jamais. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la joie ». Nous avons dit quelle sera cette joie : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ô mon Dieu, ils vous béniront dans les siècles des siècles». Louons donc le Seigneur ici-bas, autant qu’il est en nous; mêlons nos gémissements à nos louanges, car en louant Dieu, nous le désirons, sans le posséder encore. Et quand nous le posséderons, nous serons tout en lui, le gémissement disparaîtra pour faire place à la louange, notre unique, notre pure et notre éternelle préoccupation.

 

 

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