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DISCOURS SUR LE PSAUME LXXXVI.SERMON AU PEUPLE.Probablement prêché à Carthage, en présence de lévêque de cette ville, Aurèle.LA JÉRUSALEM CÉLESTE.
La ville chantée dans le psaume est la cité de Dieu que nous chantons, si nous laimons. Cest la sainte Sion dont les Apôtres et les Prophètes sont tout à la fois les citoyens et les montagnes sur lesquelles cette cité est bâtie. Le Christ est cette pierre de langle où se sont rencontrées les deux murailles venant lune de la circoncision, lautre de la gentilité. Il est aussi la base de la Cité, et au lieu que les édifices de la terre partent den bas, lédifice spirituel vient den haut. Le Christ est encore la porte du bercail, et le berger, et cet édifice est vivant dans chacune de ses pierres, et chaque pierre est carrée afin dêtre debout en tout sens. Les Apôtres et les Prophètes en sont la base, parce quils soutiennent notre faiblesse, et les portes, parce que nous y entrons par eux; et y entrer par eux, cest y entrer par Jésus-Christ. De là ce nombre de douze portes, nombre qui désigne luniversalité, et correspond aux douze siéges, parce quon viendra de tous côtés pour y entrer, y siéger, y juger. Le Christ nous y a précédés et y entre dans chacun de ses membres qui sest appliqué les mérites de la passion. Cest là que viennent Rabab et Babylone, ou les Gentils purifiés. Cest le Christ qui a fondé cette ville où il est né, comme il a créé sa mère. Là est le roi, lineffable bonheur.
1. Le psaume que lon vient de chanter na que peu de paroles; mais il est riche de pensées. Il a été lu tout entier, et vous voyez le peu de temps quil a fallu pour arriver à la fin. Notre bienheureux père, qui nous honore de sa présence, ma proposé tout à lheure de lexposer à votre charité autant que Dieu voudra bien me laccorder. Une proposition si subite serait embarrassante, si celui qui mengage ne me venait en aide par ses prières. Que votre charité soit donc attentive. Ce psaume chante et signale à notre attention une ville dont nous devenons les citoyens en devenant chrétiens, et doù nous sommes exilés en cette vie mortelle; une ville dont nous approchons par la voie qui y conduit. On ne pouvait jadis trouver cette voie encombrée dépines et de ronces; mais afin que nous pussions arriver à cette cité, le roi lui-même sen est fait la voie. Donc, en marchant dans le Christ, étrangers ici-bas jusquà ce que nous soyons arrivés, en soupirant dans le désir de lineffable repos qui règne en cette cité, repos pour lequel on nous a promis « ce que loeil na point vu, ce que loreille na pas entendu, ce qui nest pas monté au coeur de lhomme 1 »; en marchant donc, chantons de manière à stimuler nos désirs. Dans lhomme qui désire en effet, le coeur chante, quand même la langue se tairait; mais pour
1. I Cor, II, 9.
lhomme sans désir, quelque clameur quil fasse entendre aux hommes, il est muet pour Dieu. Voyez comme ceux qui aimaient cette ville aspiraient à y arriver; avec quelle effusion ces hommes, qui lont prophétisée, qui lont signalée à notre espérance, en ont aussi chanté les attraits. Ces désirs leur venaient de lamour de cette cité, et cet amour était une effusion de lEsprit-Saint. « Car lamour de Dieu », dit lApôtre, « est répandu dans nos coeurs, par lEsprit-Saint qui nous a été donné 1 ». Ayons donc cette ferveur de lEsprit-Saint, pour entendre ce quon va dire de cette cité bienheureuse. 2. « Ses fondements sont sur les montagnes saintes 2 ». Le Prophète navait rien dit encore de cette ville, et tout à coup il sécrie: « Ses fondements sont sur les montagnes saintes ». Les fondements de quoi? Sans doute les fondements dune ville, puisquils sont placés sur des montagnes. Citoyen donc de cette ville, et plein de lEsprit-Saint, roulant en son âme tous les motifs damour et de soupirs, pour une cité aussi sainte, il échappe tout à coup ses méditations et sécrie : « Ses fondements sont sur les montagnes saintes»; comme sil en avait déjà parlé. Comment dire quil nen avait point parlé, lui qui navait point cessé den parler dans son coeur? Comment dire « ses fondements», quand on ni
1. Rom. V, 5. 2. Ps. LXIXXI, 1.
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point encore parlé de la ville? Aussi, ayant médité longuement cette ville dans le silence de ses pensées et soupiré vers Dieu, soudain il éclate aux oreilles des hommes : « Ses fondements sont sur les saintes montagnes ». Et comme si les hommes lui demandaient de quelle ville? « Dieu », répond-il, « aime les portes de Sion ». Telle est la cité dont les fondements sont sur les montagnes saintes. Cest de Sion que le Seigneur aime les portes « plus que tous les tabernacles de Jacob 1 ». Mais quest-ce à dire que e ses fondements sont u sur les saintes montagnes? » Quelles sont les montagnes sur lesquelles est bâtie cette cité? Un de ses habitants, lapôtre saint Paul, nous la dit clairement. Prophètes et Apôtres sont également citoyens de cette ville. Sils en parlaient, cétait pour exhorter les autres citoyens. Mais comment lApôtre et le Prophète étaient-ils habitants de cette cité? Peut-être encore étaient-ils en même temps ces montagnes sur lesquelles sélève cette ville dont le Seigneur aime les portes. Que cet autre citoyen nous lexpose donc clairement, de manière à exclure tout doute. Sadressant aux Gentils, lApôtre les exhorte à revenir au Christ, à entrer en quelque sorte dans la sainte construction : « Vous serez élevés », leur dit-il, « sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ». Et comme si les Apôtres et les Prophètes, qui servent de fondement à la cité, navaient point par eux-mêmes une solidité suffisante, lApôtre ajoute : « Le Christ en est lui-même la principale pierre angulaire ». Et de peur que les Gentils ne vinssent à croire quils nappartenaient pas à Sion ; puisque Sion était une cité terrestre et qui figurait une autre cité, la Jérusalem céleste, dont lApôtre a dit qu « elle est notre mère à tous 2»; de peur, dis-je, quils ne vinssent à croire quils nappartenaient point à Sion, parce quils ne faisaient point partie du peuple de Jérusalem, lApôtre leur dit u Vous s nêtes donc plus des étrangers et des hôtes, « mais vous êtes les citoyens de la cité des saints, de la maison de Dieu, comme un édifice bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes ». Telle est la construction de la cité; mais doù vient la solidité de cette construction; sur quoi est-elle appuyée pour ne tomber jamais? « Sur Jésus-Christ, qui en est ta pierre angulaire 3 ».
1. Ps. LXXXVI, 2. 2. Gal. IV, 26. 3. Ephés. II, 19, 20.
3. Quelquun dira peut-être: Si le Christ est ta pierre angulaire, deux murailles alors viennent se réunir en lui, car il ny a pas dangle à moins que deux murs, ayant une direction différente, ne viennent le former. Or, deux peuples sont venus, lun de la circoncision, lautre de la Gentilité, et se sont unis pour la paix chrétienne, dans une même foi, une même espérance, une même charité. Mais si Jésus-Christ est la pierre de langle, il semble que les fondements lont précédé, et que la pierre angulaire nest venue quaprès, et quelquun peut nous objecter que cest le Christ qui sappuie sur les Prophètes et sur les Apôtres, et non ceux-ci sur le Christ, puisquils sont le fondement, tandis quil est la pierre de langle. Mais que celui qui parle ainsi, examine bien le fondement et la pierre angulaire; car langle nest pas seulement dans ce qui est apparent, et sélève hors de terre, il commence dès le fondement; et pour vous faire mieux comprendre que le Christ est le premier et le principal fondement, « personne», dit lApôtre, « ne peut établir un autre fondement que celui qui est déjà posé et qui est Jésus-Christ 1 ». Comment alors les Prophètes et les Apôtres sont-ils des fondements de la ville sainte, et comment Jésus-Christ lui-même est-il le fondement au-delà duquel il ny a plus rien? Comment le comprendre, à moins de dire en figure quil est le fondement des fondements, comme le Saint des saints. Si donc tu considères les sacrements, le Christ est le Saint des saints; si tu jettes les yeux sur lhumble bercail, le Christ en est le pasteur; si tu envisages lédifice, le Christ en est le fondement des fondements. Dans nos édifices matériels, on ne saurait mettre la même pierre au sommet et à la hase: si elle est à la base, elle ne sera point au sommet; et si elle est au sommet, elle ne sera point à ta base. Tout corps a ses Limites, et ne peut être ni en tout lieu ni en tout temps. Pour la divinité, au contraire, elle est présente partout à la fois, et lon peut en tirer toutes sortes de comparaisons ; et même tout peut être en comparaison, puisque, à proprement parler, elle nest rien de ce que lon en dit. Ainsi, le Christ est-il une porte comme celte que fait louvrier? Assurément non. Et pourtant il a dit: « Je suis la porte ». Ou bien est-il un berger comme ceux que nous
1. I Cor. III, 11.
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voyons prendre soin de leurs troupeaux? Pourtant il a dit: « Cest moi le berger 1». Et dans un même endroit il dit les deux choses à la fois. Car il dit dans lEvangile que le bon pasteur entre par la porte; et en même temps il dit: « Je suis le bon pasteur » ; et là encore il dit : « Je suis la porte ». Le pasteur entre par la porte. Et quel est ce pasteur qui entre par la porte? «Je suis le bon pasteur ». Et quelle est cette porte, par laquelle vous entrez, ô bon pasteur? « Cette porte, cest moi ». Comment donc êtes-vous toutes choses? Comme toutes choses sont par moi. Ainsi quand Paul entre par la porte, nest-ce point le Christ qui entre par la porte? Pourquoi? Ce nest pas que Paul soit le Christ, cest que le Christ est en Paul, et que Paul est par le Christ; na-t-il pas dit : « Voulez-vous éprouver le Christ qui parle par ma bouche 2 ? » Quand ses saints et ses fidèles entrent par la porte, nest-ce point le Christ qui entre par la porte? Comment le prouver? Saul, qui nétait pas encore Paul, persécutait ses fidèles quand le Christ lui cria den haut: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu 3?» Le Christ est donc tout à la fois, le fondement et la pierre de langle qui sélève den bis, si toutefois il est en bas. Car cest en haut que commence lédifice dont nous parlons: et de même que tout édifice matériel a son fondement eu bas, ainsi lédifice spirituel a son fondement en haut. Si nous bâtissions pour la terre, il nous faudrait une base terrestre; mais comme nous bâtissions pour le ciel, notre fondement nous a précédés dans les cieux. Cest donc lui qui est la pierre angulaire, et les montagnes sont les Apôtres, les grands Prophètes, qui supportent la Cité et en sont un édifice vivant. Cest de cet édifiée que partent les cris de vos coeurs, cest là loeuvre ingénieuse de la main de Dieu, pour vous faire entrer dans les justes Proportions de cet édifice. Car ce nest pas sans raison que larche de Noé était construite avec des bois carrés pour devenir la figure de lEglise. Que signifie ce carré? Voyez une pierre carrée pan exemple; tel doit être le modèle du chrétien. Car le chrétien ne doit succomber à aucune tentation: poussé de çà et de là, eu tom sens, il ne tombe point. Tourne comme tu le voudras une pierre carrée, elle se tient debout.
1. Jean, X. 11. 2. II Cor. XIII, 3. 3. Act. IX, 4. 4. Gen. VI, 14, suiv. les Septante.
Les martyrs paraissaient tomber, quand on les faisait mourir: mais quest-il dit dans nos cantiques? « Lorsque le juste tombera, il ne sera point brisé, parce que le Seigneur le soutient par la main 1». Si donc vous êtes préparés à toute tentation, et carrés en quelque sorte, que nulle violence ne vous renverse, et soyez prêts à tout événement. Tu entres donc dans cet édifice, par de saintes affections, par une piété sincère, par la foi, lespérance et la charité ; et entrer dans lédifice, cest marcher devant Dieu. Dans les cités de la terre, autre est lédifice, et autre ceux qui lhabitent; mais la Cité qui nous occupe est bâtie de ses propres citoyens; ce sont eux qui en sont les pierres, car ces pierres sont vivantes. « Quant à vous »,dit saint Pierre, « vous êtes comme des pierres vivantes formant un édifice spirituel 2 ». Cest à nous que sadresse lApôtre. Continuons à parler de la Cité. 4. « Les fondements sont sur les saintes montagnes, le Seigneur aime les portes de Sion ». Je vous ai déjà fait comprendre, mes frères, quil ne faut pas voir de différence entre les fondements de la cité et ses portes. Pourquoi donc les Apôtres, les Prophètes, sont-ils des fondements? Parce que leur autorité soutient notre faiblesse. Pourquoi des portes? Parce que cest par eux que nous entrons dans le royaume des cieux, car ce sont eux qui nous prêchent. Et quand nous entrons par eux, nous entrons par le Christ. Car lui-même est la porte 3. Il est dit que Jérusalem a douze portes 4, et le Christ est en même temps la porte unique, et les douze portes, parce quil est dans les douze. De là le nombre douze pour les Apôtres; ce nombre douze est très- mystérieux, u Vous serez assis « sur douze trônes, dit Le Christ, pour juger « les douze tribus dIsraël 5 ». Sil ny a que douze trônes, il ny en aura point pour asseoir Paul, treizième apôtre, et il ne pourra juger: et pourtant il affirme quil jugera, et non-seulement les hommes, mais encore les anges 6. Quels anges, sinon les anges apostats? Mais, lui dira la foule, pourquoi te vanter de juger? où tasseoir? Le Seigneur assure quil y a douze siéges pour les douze Apôtres. Judas lun deux est tombé, et Matthias a été ordonné à sa place 7; le nombre des douze trônes est donc complet : trouve dabord où tasseoir
1. Ps. XXXVI, 24. 2. I Pierre, II, 5. 3. Jean, X, 9. 4. Apoc. XXI, 12. 5. Matth. XIX, 28. 6. I Cor. VI, 3. 7. Act. I, 15-26.
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avant de menacer de ton jugement. Voyons donc ce que signifient ces douze trônes. Cest un symbole de lunivers entier, parce que lEglise doit se répandre dans tout lunivers, doù Dieu fait appel pour lédifice du Christ. Ainsi, parce que lon viendra de toutes parts pour juger, il y a douze trônes; de même quil y a douze portes, parce que lon entre de toutes parts. Non-seulement donc les douze Apôtres avec saint Paul, mais tous ceux qui doivent juger appartiennent à ces douze trônes, dont le nombre marque luniversalité; de même que tous ceux qui entreront appartiennent aux douze portes. Il y a, en effet, dans le monde quatre parties, lOrient et lOccident, le Nord et le Midi. Ces parties reviennent fréquemment dans les saintes Ecritures. Cest de ces quatre parties, ou comme il est dit dans lEvangile, de ces quatre vents que le Seigneur rassemblera ses élus 1. Cest donc de ces quatre vents que 1Eglise est appelée. Comment est-elle appelée? De toutes parts elle est appelée au nom de la Trinité: car nul nest appelé dans le baptême quau nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Or,en multipliant quatre par trois, on obtient douze. 5. Heurtez donc par lamour à ces portes, et que le Christ lui-même crie en vous : «Ouvrez-moi les portes de la justice 2 ». Il marche en avant comme chef, il suit dans chacun des membres. Voyez ce que dit lApôtre, car le Christ souffrait en lui : «.Jaccomplis en ma chair ce qui marque aux douleurs du Christ 3 ». « Jachève ». Quoi ? «ce qui manque ». A quoi? « aux douleurs du Christ». Où? « dans ma chair». Pouvait-il donc y avoir quelque chose dinsuffisant dans les douleurs de cet homme dont le Verbe sétait revêtu en naissant de la vierge Marie? Car, enfin, il a souffert ce quil devait souffrir, et par sa volonté, non par la volonté du péché. Et nous voyons quil ne restait plus rien à souffrir, puisque sur la croix, après avoir bu le vinaigre, il sécria : « Cest achevé, et baissant la tête il rendit lesprit 4». Quest-ce à dire, « cest achevé? » La mesure de mes douleurs est épuisée; tout ce qui a été prédit de moi est accompli, comme sil neût attendu pour mourir que cet accomplissement. Qui sort pour un voyage, comme il
1. Marc, XIII, 27. 2. Ps. CXVII, 19. 3. Coloss. I, 24. 4. Jean, XIX, 30.
sort de son corps? Mais qui peut mourir ainsi? Celui qui a dit tout dabord : « Jai le pouvoir de donner mon âme, et aussi le pouvoir de la reprendre : nul ne me lôte, mais je la donne de moi-même, et je la reprends encore 1 ». Il a donc donné sa vie quand il la voulu, et la reprise quand il la voulu: nul na pu la lui ôter, la lui arracher. Toutes les souffrances marquées ont donc été accomplies, mais dans le Chef; il restât à les accomplir dans le corps du Christ. Or, vous êtes le corps et les membres du Christ 2. Aussi lApôtre, qui faisait partie de ces membres, a-t-il dit : « Afin que jaccomplisse dans ma chair ce qui manque à la passion du Christ». Nous allons donc où le Christ nous a précédés, et le Christ ne laisse point daller où il est allé le premier. Le Christ nous a précédés dans son chef, il doit suivre dans son corps. De là vient quil souffre encore ici-bas, et il souffrait de la part de Saul, quand Saul entendit : « Saut, Saul, pourquoi me persécuter 3? » De même que si lon nous marche sur le pied, la langue aussitôt sécrie : Vous mécrasez. Nul ne touche à cette langue, et pourtant elle se récrie, plutôt parce quelle est unie au membre qui souffre, que par la douleur quelle endure. Ici-bas encore le Christ est dans lindigence, ici-bas il est étranger, ici-bas il souffre, ici-bas il est en prison. Parler ainsi, ce serait linjurier, sil navait dit lui-même : « Jai eu faim, et vous mavez donné à manger; jai eu soif, et vous mavez donné à boire; jétais étranger, et vous mavez recueilli; nu, et vous mavez revêtu; malade, et vous mavez visité. Et eux: Quand, Seigneur,vous avons-nous vu en proie à ces misères, et vous avons-nous secouru? Et lui : Quand vous lavez fait au moindre des miens, cest à moi que vous lavez fait 4 ». Entrons donc dans lédifice du Christ qui a pour fondement les Apôtres et les Prophètes 5, et dont il est la pierre angulaire parce que « le Seigneur aime les portes de Sion, plus que tous les tabernacles de Jacob »; comme si cette même Sion nétait point dans les tabernacles de Jacob. Et où donc était Sion, sinon dans ce peuple de Jacob? Car Jacob, lige du peuple juif, était petit-fils dAbraham, et ce peuple a reçu le nom dIsraël, parce que Jacob lui-même fut
1. Jean, X, 17, 18. 2. I Cor. XII, 27. 3. Act. IX, 4. 4. Matth. XXV, 35-40. 5. Ephès. II, 20
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appelé Israël 1. Cest là ce que vous savez. Mais comme il y avait autrefois des tentes passagères et figuratives, et que le Prophète parle dune cité spirituelle dont la ville terrestre nétait que lombre et limage, le Prophète sécrie : « Dieu aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob ». Il aime cette cité spirituelle, plus que tous les tabernacles figuratifs, qui nous marquaient cette ville céleste, ville impérissable et toujours en paix. 6. « Cité de Dieu, on dit de toi des choses merveilleuses ». On dirait que le Prophète envisage cette Jérusalem qui est sur la terre. Voyez toutefois de quelle cité on a dit des choses admirables : la Jérusalem de la terre est détruite; la violence de ses ennemis la jetée à terre; elle nest plus ce quelle était; elle nétait quune figure, et cette ombre est passée. Où sont donc « ces merveilles sur la cité de Dieu? » Ecoutez : « Je me souviendrai de Rahab et de Babylone qui mont connu 2 ». Dans cette cité, dit le Prophète, en parlant au nom du Seigneur, je me souviendrai de Rahab, je me souviendrai de Babylone. Rahab nappartient pas au peuple juif, non plus que Babylone. Car le Prophète dit ensuite : « Voilà que les étrangers de Tyr, et le peuple de lEthiopie ont « été dans tes murs ». Cest donc avec raison que « lon chante vos merveilles, ô cité de Dieu», puisque vos murailles ne renferment pas seulement ce peuple Juif né dAbraham, mais toutes les nations, dont quelques-unes sont nommées, pour nous faire entendre les autres. « Je me souviendrai de Rahab », est-il dit: quelle est cette courtisane? Cette cabaretière de Jéricho, qui accueillit les envoyés, les mit sur un autre chemin, crut à la promesse, et craignit Dieu, à qui lon conseilla de faire descendre par la fenêtre un cordon de pourpre, cest-à-dire, de mettre sur son front le signe du sang de Jésus-Christ. Elle fut ainsi sauvée 5 et figura lEglise des Gentils. De là cette parole du Sauveur aux pharisiens orgueilleux : « En vérité, je vous le déclare, les publicains et les courtisanes entreront avant vous dans le royaume des cieux ». Ils entreront avant vous, parce quils font violence. Ils heurtent par la foi, et tout cède à la foi; nul ne peut leur résister;
1. Gen. XXXII, 28. 2. Ps. LXXXVI, 3, 4. 3. Josué, II ; VI, 25. 4. Matth. XXI, 31.
parce que ceux qui font violence, emportent ce royaume, selon cette parole: « Le royaume des cieux souffre violence, et ceux qui font violence lemportent 1 ». Voilà ce que fit le larron 2, plus fort à la croix que dans ses brigandages. « Je me souviendrai de Rahab et de Babylone ». Babylone était la ville du siècle. De même quil ny avait quune ville sainte nommée Jérusalem, il ny avait quune ville de liniquité appelée Babylone; tous les impies appartiennent à Babylone, comme tous les saints à Jérusalem. On sort de Babylone pour aller à Jérusalem. Et comment, sinon par celui qui justifie limpie 3? La cité des saints est donc Jérusalem, comme Babylone est la cité des méchants. Or, celui qui justifie limpie est venu; car «je me souviendrai » , dit-il, « non seulement de Rahab », mais aussi « de Babylone ». Mais pourquoi se souviendra-t-il de Rahab et de Babylone? «Parce quelles mont connu ». Aussi lEcriture a-t-elle dit quelque part : « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu 4 ». Ici il dit: « Répandez votre colère sur les nations qui ne vous ont point connu »; et ailleurs : « Prévenez de votre miséricorde ceux qui vous connaissent 5». Et pour vous montrer que Rahab et Babylone sont prises ici pour les Gentils; comme si on lui demandait: Pourquoi « vous souvenir de Rahab et deBabylone qui vous connaissent? » Pourquoi parler ainsi? « Ce sont les étrangers » , répond-il, qui appartiennent à Rahab, à Babylone, «cest Tyr». Mais jusquoù prendrez-vous ces nations? Jusquaux extrémités de la terre. Car il a pris pour son peuple celui qui est aux derniers confins de la terre. « Jusquau peuple de lEthiopie », dit-il, « qui a été là ». Si donc lon y retrouve Rahab, si lon y est venu de Babylone, si lon y voit Tyr et le peuple des Ethiopiens, cest avec raison, « ô cité de Dieu, que lon célèbre tes merveilles ». 7. Mais reconnaissez ici un grand mystère. Rahab est ici par celui qui y fait venir Babylone, et cette Babylone a dépouillé Babylone pour devenir Jérusalem. La fille est divisée davec sa mère, et commence à devenir membre de cette reine à laquelle on dit: « Oubliez votre peuple et la maison de votre père , car le roi sest épris de votre
1. Matth. XI, 12. 2. Luc, XXIII, 40-43. 3. Rom. IV, 5. 4. Ps. LXXVIII, 6. 5. Id. XXX, 11.
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beauté 1 ». Comment Babylone pourrait elle aspirer à Jérusalem? Comment Rahal arriverait-elle à ces fondements? Comment pourraient y venir les étrangers ? Comment Tyr? Comment les peuples de lEthiopie Ecoute bien: « Un homme dira: Sion est ma mère 2 ». Donc, il est un homme qui dit: « Sion est ma mère », et cest par lui que ceux-ci viennent en Sion. Mais quel est cet homme? Le Prophète nous lindique, si nous savons lentendre et le comprendre : « Un homme dira: Sion est ma mère ». Comme si lon demandait au Prophète quel est cet homme par qui Rahab et Babylone, et les étrangers, et Tyr, et les Ethiopiens viendront à Jérusalem. Voici, répond-il: « Un homme dira : Sion est ma mère; un homme a été fait en elle, et cet homme est le Très-Haut qui la fondée ». Quoi de plus clair, mes frères? Oui, assurément, « ô cité sainte, on a dit de toi les plus surprenantes merveilles». Voici quun homme dira : « Sion est ma mère ». Quel est cet homme? « Celui qui a été fait homme en elle ». Un homme donc a été fait en elle, et cet homme la fondée. Comment a été fait en elle celui-là même qui la fondée? Pour quun homme fût fait en elle, déjà elle était fondée. Comprends, si tu le peux. Car il dira : « Sion est ma mère »; mais celui qui dira: « Sion est ma mère, est homme » : or, « un homme a été fait en elle »; mais « celui qui la fondée » nest point homme, il est le « Très-Haut ». Il a donc fondé la ville où il devait naître, quand il a créé celle qui devait être sa mère. Quelle merveille, mes frères ! quelles promesses ! quelles espérances ! Cest pour vous que le Très-Haut a fondé une cité: il appelle cette cité sa mère, cest en elle qu « il a été fait homme, et le Très-Haut la fondée ». 8. Mais comme si lon demandait: Doù savez-vous ces choses? Nous venons de chanter ces paroles, et le Christ en son humanité les chante pour nous tous, lui homme pour nous et Dieu avant nous. Mais quelle grandeur davoir été avant nous? Avant la terre et le ciel, avant les siècles. Cest donc ce Dieu fait homme pour nous, dans cette cité, cest le Très-Haut qui la fondée. Doù le savons-nous? « Le Seigneur le racontera dans les annales des peuples ». Car voilà ce que dit ensuite
1. Ps. XLIV, 11, 12. 2. Cette variante vient des Septante. Ps. LXXXVI, 5.
le psaume: « Un bomme dira: Sion est ma mère, et cet homme a été fait en elle, cest lui, le Très-Haut, qui la fondée. Le Seigneur le racontera dans les annales des peuples et des princes 1 ». De quels princes? De ceux qui ont été faits en elle. Les princes qui ont été faits en elle, sont devenus ses princes. Car avant quils fussent princes dans cette cité, Dieu avait choisi ce quil y a de méprisable dans le monde pour confondre les forts 2. Le pêcheur était-il un prince? Est-ce un prince quun publicain? Oui, ils sont des princes; car ils ont été faits princes dans cette ville. Quels sont ces princes? Des princes qui sont venus de Babylone, des princes selon le monde ont embrassé la foi et sont venus à Rome, dans cette capitale de Babylone; et sans aller au palais des Empereurs, ils sont allés au tombeau dun pêcheur. Pourquoi sont-ils devenus des princes? Parce que Dieu a choisi ce quil y a de faible pour confondre les forts, ce quil y a de méprisable, ce qui nest rien pour détruire ce qui est 3. Telle est loeuvre de celui qui relève le pauvre de la poussière, et lindigent de son fumier. Pourquoi le relever? Pour le faire asseoir entre les princes, entre les princes de son peuple 4. Quelle merveille ! mes frères, quelle joie ! quelle allégresse ! Des orateurs sont venus ensuite dans cette cité, mais ils ny seraient point venus, si les pêcheurs ne les y avaient précédés. Grandes merveilles que tout cela; mais où saccomplissent de telles merveilles, sinon dans cette cité de Dieu, dont on a dit tant de miracles? 9. Aussi réunissant tant de sujets de joie, que dira le Prophète pour conclure? «Tu es le séjour de tous ceux qui tressaillent dallégresse 5». Elle est donc la cité de la joie, la cité de tous ceux qui sabreuvent de délices. Ici-bas nous sommes dans la tristesse, là nous aurons une joie sans mélange et sans fin. Il ny aura ni labeur, ni gémissement; aux supplications succédera la louange. Nul donc ne sera sans délices: nul gémissement, nul soupir, mais la jouissance dans la joie. Nous serons en présence de celui quappellent nos soupirs, et semblables à lui, puisque nous le verrons tel quil est 6. Là toute notre tâche sera de louer Dieu, de jouir de Dieu. Que pourrions-nous chercher, quand celui qui a tout fait, nous
1. Ps. LXXXVI, 6. 2. I Cor. I, 27. 3. Id. 28. 4. Ps. CXII, 7, 8. 5. Id. LXXXVI, 7 6. I Jean, III, 2.
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suffit? Il habitera en nous, et nous habiterons en lui; tout lui sera soumis, afin quil soit Dieu tout en tous 1. « Bienheureux donc ceux qui habitent votre demeure ». Pourquoi bienheureux? Parce quils auront de lor, de largent, une maison nombreuse, de nombreux enfants? Pourquoi bienheureux? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 2 ». Telle est la tâche ou plutôt le repos qui les rendra heureux. Nayons donc, mes frères, dautre désir que darriver à ce bonheur; préparons nous à bénir Dieu, à nous réjouir en Dieu. Nous vous le disions hier, autant quil était en nous : il ny aura plus doeuvre de miséricorde, puisquil ny aura plus de misère. Tu ny rencontreras ni pauvres à secourir, ni lhomme nu à revêtir, ni lhomme qui a soif, ni létranger, ni aucun malade à visiter, ni aucun mort à ensevelir, ni des hommes en procès à réconcilier. Que feras-tu donc? Des besoins corporels te forceront-ils à défricher, à labourer, à pratiquer le négoce, à voyager? Ce sera le repos suprême; car il ny aura plus de ces travaux que la nécessité nous impose : et avec la nécessité disparaîtront les oeuvres de nécessité. Quarrivera-t-il donc? Le Prophète la dit, comme une langue humaine le peut dire e Tu es comme le séjour de tous ceux qui « tressaillent de joie». Pourquoi comme le séjour? Parce que la joie que nous ressentirons alors, est de celles que nous ne connaissons point. Je vois ici-bas bien des délices, beaucoup se réjouissent en cette vie, lun pour tel motif, lautre pour tel autre motif; mais je ne trouve rien de comparable à cette joie, qui sera comme un agrément sans fatigue. Si je dis simplement un agrément, tel homme va penser à lagrément quil trouve à boire, dans un festin, dans lavarice, dans les honneurs dici-bas. Car les hommes trouvent là des transports et une espèce de folie: mais, « il ny a point de joie pour limpie », a dit le Seigneur 3. Il est donc une joie que loeil na point vue, que loreille na pas entendue, qui nest pas entrée dans le coeur de lhomme 4. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont
1. I Cor. XV, 28. 2. Ps. LXXXIII, 5. 3. Isa. XLVIII, 22, suiv. les Septante. 4. I Cor. II, 9.
comme dans la joie». Préparons-nous donc à une joie supérieure; nous pouvons bien en trouver des images ici-bas, mais elle ny est point: ne nous préparons point à jouir dans le ciel de ce qui fait ici-bas notre joie, autrement notre abstention deviendrait lavarice. Vous invitez des hommes à un repas magnifique, où lon doit servir beaucoup de mets recherchés; ils ne dînent pas: et si vous en demandez la cause, ils répondent : Nous jeûnons. Jeûner est assurément une oeuvre sainte, une oeuvre chrétienne. Mais ne vous hâtez pas de louer; cherchez la cause, et vous verrez quil sagit du ventre, et non de la religion. Pourquoi ce jeûne? Cest de peur que des mets vulgaires nembarrassent lestomac, et quon ne puisse toucher ensuite aux mets délicats. Cest donc la sensualité que lon recherche dans le jeûne. Chose étrange que le jeûne! tantôt il réprime les appétits, la sensualité, tantôt il les favorise. Si donc, mes frères, cest un plaisir semblable que vous espérez dans cette patrie, où nous invite la trompette céleste, si vous vous abstenez des plaisirs dici-bas, pour en recevoir de semblables et au centuple là haut; vous ressemblez à ceux qui jeûnent pour mieux manger, et qui sont tempérants par intempérance. Arrière toutes ces pensées! Préparez-vous à des joies ineffables, et purifiez votre coeur de toutes les affections de la terre, de tous les plaisirs du siècle. Nous venons dans le ciel, et ce que nous verrons nous rendra bienheureux, et cette vue seule nous suffira. Eh! quoi donc? Nous ne mangerons point? Oui, sans doute, nous mangerons, et telle sera notre nourriture, quelle nous rassasiera, sans nous manquer jamais. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la joie ». Nous avons dit quelle sera cette joie : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ô mon Dieu, ils vous béniront dans les siècles des siècles». Louons donc le Seigneur ici-bas, autant quil est en nous; mêlons nos gémissements à nos louanges, car en louant Dieu, nous le désirons, sans le posséder encore. Et quand nous le posséderons, nous serons tout en lui, le gémissement disparaîtra pour faire place à la louange, notre unique, notre pure et notre éternelle préoccupation.
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