PSAUME C
Précédente Accueil Remonter


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
PSAUME XCI
PSAUME XCII
PSAUME XCIII
PSAUME XCIV
PSAUME XCV
PSAUME XCVI
PSAUME XCVII
PSAUME XCVIII
PSAUME XCIX
PSAUME C

DISCOURS SUR LE PSAUME C.

SERMON AU PEUPLE.

LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT.

 

Que nul ne compte sur l’impunité à cause de la divine miséricorde, car le Psalmiste qui chante cette miséricorde tout d’abord, y joint le jugement ou la justice. Souvent chez les hommes la miséricorde a nui à la justice, et la justice à la miséricorde; mais Dieu tout d’abord miséricordieux ne tolère les méchants que pour les juger ensuite, après les avoir amenés à la pénitence. Saint Paul qui proclame la miséricorde de Dieu pour lui-même, n’en menace pas moins du jugement de Dieu, ceux qui se rassurent à cause de l’impunité de cette vie. Outre la crainte, ce jugement doit nous inspirer l’amour, puisque nous serons couronnés. Sans la divine miséricorde, Paul n’était qu’un blasphémateur ; mais la grâce de Dieu lui fait espérer la couronne de Justice qui lui est due ; il est ici le type des pécheurs. Mais Dieu ne nous épargne que pour nous amener à la pénitence, autrement il serait notre complice. Il nous mettra en face de nous-mêmes pour nous convaincre. C’est donc là le chant du Christ, chef de l’Eglise, en qui nous sommes Christ. Mais pour chanter avec lui, il faut ne pas nuire aux autres, ni à soi-même. Autrement notre conscience perverse ne nous permettrait pas d’habiter ni dans le Christ, ni dans notre intérieur. Répudions les prévaricateurs pour nous unir à Dieu, bien qu’il ne nous exauce pas toujours. Malgré sa tristesse en face de la mort, le Sauveur s’unit à la volonté de son père. Dans le malheur nous accusons parfois Dieu qui désapprouve le pécheur. Rapprochons-nous le Dieu et fuyons la table des méchants: désapprouvons ce qu’ils aiment, comme Jésus à la table de Sinon était loin de son orgueil. Asseyons-nous avec les fidèles, afin de juger avec eux. Nous sommes donc ici-bas au temps de la nuit, ou de la miséricorde de Dieu qui nous éprouve comme il éprouva Job et les Apôtres. Extermination réservée à ceux qui ne se tourneront point vers lui.

 

1. Le premier verset de ce psaume centième contient tout ce que nous devons chercher dans tous les autres : « Je chanterai, le Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Que nul ne compte sur la divine miséricorde, pour se promettre l’impunité; car il y a aussi le jugement: et que nul pécheur converti ne redoute le jugement; car il y a aussi la miséricorde. Quand les hommes jugent, ils se laissent parfois dominer par la miséricorde, et ils prononcent contre la justice: et alors ils ont, du moins en apparence, la miséricorde et non la justice; souvent aussi, pour être trop sévères dans leurs jugements, ils perdent la miséricorde. Quant à Dieu, l’effusion de sa miséricorde ne lui fait point perdre la sévérité du jugement, et dans la sévérité du jugement il n’oublie point sa bonté miséricordieuse. Si nous remarquons bien l’ordre de ces deux expressions : miséricorde et justice, nous trouverons que ce n’est point sans raison qu’elles sont ainsi placées de manière à ne point dire justice et miséricorde, mais bien, « miséricorde et justice » : et au point de vue du temps, nous verrons que c’est aujourd’hui le temps de la miséricorde, et dans l’avenir le temps du jugement. Comment la miséricorde vient-elle tout d’abord? Considère tout d’abord en Dieu les dons que tu as reçus, afin d’imiter ton Père céleste. Car il n’y a point arrogance de notre part à dire que nous devons imiter notre Père; puisque Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, nous y exhorte en disant : « Soyez semblables à votre Père céleste ». Après avoir dit dans l’Evangile: « Aimez vos ennemis; priez pour ceux qui vous persécutent»; il ajoute: « Afin que ,vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Telle est la miséricorde. Quand tu vois les justes et les injustes contempler le même soleil, jouir de la même lumière, boire aux mêmes fontaines, s’enrichir aux mêmes pluies, récolter en abondance les mêmes fruits de la terre, respirer le même air, se partager aussi les nièmes biens de cette vie, garde-toi d’accuser d’injustice ce même Dieu qui donne également ces biens aux justes et aux injustes. C’est maintenant le temps de la miséricorde, et non celui de la justice. Si lotit d’abord il ne mous pardonnait dans sa miséricorde, il ne trouverait personne qu’il pût couronner dans son jugement. Il y a donc un temps de miséricorde, alors que le Seigneur amène les pécheurs à la pénitence par la patience.

2. Ecoute l’Apôtre qui distingue ces deux

 

1. Matth. V, 48, 44, 45.

 

462

 

temps, et distingue-les avec lui : « Toi donc, ô homme, qui condamnes ceux qui commettent ces fautes, et qui les commets toi-même, penses-tu éviter le jugement de Dieu 1? » Redoublez d’attention. Il se voyait lui-même, cet homme à qui s’adresse l’Apôtre, qui ne parle pas à un homme seulement, mais au genre humain qui est tel, il se voyait tomber chaque jour dans beaucoup de fautes, bien qu’il ne laissât pas de vivre, et qu’il ne lui arrivât aucun mal; et alors il s’imaginait ou que Dieu dort, ou qu’il n’a aucun souci des choses humaines, ou bien qu’il prend plaisir au mal que font les hommes. Saint Paul détruit celte pensée dans leurs coeurs, pourvu néanmoins qu’ils le comprennent. Que dit-il donc? « O homme qui juges ceux qui commettent ces fautes, et qui les fais toi-même, crois-tu donc échapper au jugement de Dieu? » Et comme si on lui répondait : Tant de fois chaque jour je me rends coupable, pourquoi donc ne m’arrive-t-il aucun mal? voilà que l’Apôtre continue en lui montrant que nous sommes au temps de la miséricorde: « Méprises-tu », lui dit-il, « les trésors de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité 1? » Il les méprisait, en effet, mais l’Apôtre lui suggère l’inquiétude. «Ignores-tu », lui dit-il, « que la bonté de Dieu t’invite à la patience? » Voilà le temps de la miséricorde. Mais pour l’empêcher de croire que ce temps durera toujours, comment lui inspire-t-il de l’effroi? « Quant à toi » (écoute le jour du jugement après avoir entendu le jour de la miséricorde , puisqu’il est dit : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement) : quant à toi, par la dureté de ton coeur, et par ton impénitence, tu te grossis un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 2 ». Voilà: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement». Mais saint Paul nous menace du jugement de Dieu: ce jugement ne doit-il donc nous inspirer que la crainte, et non l’amour? Les méchants doivent le craindre à cause du châtiment, et les bons l’aimer à cause de la couronne qu’ils doivent recevoir. Mais puisque l’Apôtre a effrayé les méchants, dans le passage que j’ai cité, écoute l’espérance qu’il donne aux bons à propos même du jugement;

 

1. Rom. II, 4.— 2. Id. 5.

 

il se met en avant et montre par lui-même que c’est maintenant le temps de la divine miséricorde. Car s’il n’eût lui-même rencontré la miséricorde, qu’eût trouvé en lui le jugement? le blasphème, la persécution, l’outrage. Voilà ce qu’il avoue lui-même en nous signalant ce temps de miséricorde qui est le nôtre: « Tout d’abord », nous dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un insolent; mais j’ai obtenu miséricorde 1 ».  Peut-être est-il le seul pour avoir obtenu miséricorde? Ecoute comment il nous relève: « Jésus-Christ », nous dit-il, « a voulu montrer en moi sa longanimité pour l’instruction de ceux qui croiront en lui 2». Qu’est-ce à dire, « a voulu montrer en moi sa longanimité? » C’est-à-dire que tout pécheur, tout criminel comprenant que Paul a obtenu son pardon, ne doit point s’abandonner au désespoir. Le voilà qui se montre afin de relever les autres. Où? Dans le temps de la miséricorde. Ecoute ce qu’il dit aux bons à propos du jugement, en parlant de lui et des autres. D’abord il a obtenu miséricorde; et comment? Parce qu’il a blasphémé, persécuté, outragé. Le Seigneur est donc venu pour pardonner à Paul, non pour le récompenser. S’il eût voulu lui rendre selon ses oeuvres, qu’eût-il trouvé pour Paul, sinon le châtiment et le supplice? Il n’a point voulu le châtier, il lui a fait don de la grâce. Ecoute bien comment celui qui a reçu cette grâce, ne voit plus dans le Seigneur qu’un débiteur. Il a trouvé en lui un donateur au temps de la miséricorde, il compte sur lui comme sur un débiteur au temps du jugement. Ecoutez ce qu’il dit à ce propos : « Je touche déjà à l’immolation, et le temps de ma mort approché. J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Voilà pour le temps de la miséricorde; écoute pour celui du jugement : « Il ne me reste qu’à lui tendre la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me rendra au grand jour 3». Il ne dit pas : Me donne; mais, « me rendra ». Donner, c’était la miséricorde; rendre, ce sera la justice; car « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice ». En lui pardonnant ses péchés, il s’engageait à le couronner. C’est là que « j’ai reçu miséricorde ». Le Seigneur est donc tout d’abord miséricordieux; c’est lui qui « me rendra » la

 

1. I Tim. I, 15. — 2. Id. 16. — 3. II Tim. IV, 6-8.

 

463

 

couronne « de justice ». Pourquoi la rendre? Parce qu’ « il est un juste juge ». Pourquoi est-il alors un juste juge? C’est que «j’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi n. Voilà ce que la justice ne peut se dispenser de couronner. Car elle a trouvé de quoi couronner; mais auparavant qu’avait-elle trouvé? « Un blasphémateur, un persécuteur ». Il a pardonné ces derniers actes, il couronnera les seconds ; il a pardonné les uns au temps de la miséricorde, il couronnera les autres au temps du jugement, car « c’est votre miséricorde et ensuite votre jugement que je veux chanter, ô mon Dieu ». Mais Paul est-il donc le seul pour avoir mérité celte grâce? Car je vous l’ai dit, comme il nous effraie dans un de ses témoignages, ainsi il nous console dans l’autre. Après avoir dit : « Le Seigneur, qui est un juste juge, me rendra en ce grand jour » ; il ajoute: « Et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment sa manifestation et son royaume 1».

3. Donc, mes frères, tant que nous sommes dans le temps de la miséricorde, ne nous flattons point, ne nous négligeons point, ne disons point que Dieu pardonne toujours. J’ai péché hier, Dieu m’a pardonné; je pèche aujourd’hui, Dieu pardonne encore; donc je pécherai encore demain, puisque Dieu veut bien pardonner. Tu ne vois que la miséricorde, et tu ne crains pas le jugement. Si tu veux chanter la miséricorde et le jugement, comprends bien que s’il te pardonne, c’est afin que tu te corriges, et non afin que tu demeures dans ton péché. Ne te grossis pas un trésor de colère pour le jour de la colère et de la juste révélation du jugement de Dieu 2. En ce qui regarde le temps de la miséricorde, il est dit dans un autre psaume: « Dieu a dit au pécheur: Pourquoi parler de ma justice, et mettre dans ta bouche mon alliance? Tu hais l’ordre, et tu as rejeté ma parole bien loin derrière toi: si tu voyais un voleur, tu courrais à lui, tu partagerais l’héritage des adultères ; tu t’asseyais pour parler contre ton frère, tu mettais le scandale devant le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu 3». Voilà le temps de la miséricorde. Qu’est-ce à dire, «je me suis tu? » Est-ce à dire que je n’ai point réprimandé? Non, mais je n’ai point jugé. De quel silence accuser celui qui parle chaque jour, dans les saintes Ecritures, dans les Evangiles,

 

1. II Tim. IV,  8. — 2. Rom. II, 5.— 3. Ps. XLIX, 16-21.

 

Dans ses prédicateurs? C’est le supplice, et non la parole, qui a été en demeure. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ». Et parce que Dieu s’est tu ou n’a point tiré vengeance, qu’a dit le pécheur dans le secret de son âme? Ecoute : « Tu m’as soupçonné d’iniquité », dit le Seigneur, « de ressemblance avec toi ». C’est-à-dire, c’est peu pour toi d’être ainsi, tu m’as cru semblable. Après avoir montré le temps de la miséricorde, le Seigneur nous effraie au sujet du jugement. « Je te convaincrai»,dit-il au même endroit, « je te mettrai en face de toi-même 1 ».Tu te places par derrière, mais je te placerai en face de toi-même. Quiconque, en effet, ne veut point voir ses fautes, se place derrière lui-même, relève exactement celles des autres, non par une sainte vigilance, mais par envie: sans vouloir guérir, il veut accuser, et s’oublie lui-même. C’est à ces hommes que le Seigneur a dit: « Tu vois la paille dans l’oeil de ton frère, et non la poutre qui est dans ton oeil 2 ». Puis donc que le Prophète chante pour nous la miséricorde et la justice, faisons la justice, et nous attendrons le jugement dans la sécurité : soyons dans son corps mystique, afin de les chanter aussi. Car c’est le chant du Christ : mais si le chef le chantait seul, ce serait le cantique du Seigneur, et non le nôtre. Or, si c’est tout le Christ qui le chante, c’est-à-dire la tête et les membres, attache-toi à lui par la foi, par l’espérance et par la charité, et tu chanteras en lui, tu tressailliras en lui; comme lui-même souffre en toi, endure en toi la faim, la soif, la tribulation. Il meurt en toi encore aujourd’hui, et toi tu es déjà ressuscité en lui. S’il ne mourait en toi, il ne demanderait pas de répit à celui qui te persécute, et ne dirait point: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3?» Donc, mes frères, c’est le Christ qui chante, mais en la manière que vous connaissez: car nous vous avons souvent parlé du Christ, et je sais qu’il n’y a point en vous d’ignorance. Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait. C’est ce Verbe qui s’est fait chair pour nous racheter, et qui a habité parmi nous 4 : il s’est fait homme, lui qui était Dieu par-dessus tout, Fils de Dieu égal à son Père; il s’est fait homme, afin d’être Dieu, médiateur entre Dieu et les hommes, afin de réconcilier ceux qui étaient éloignés, de réunir ceux qui étaient séparés, de rappeler

 

1. Ps. XLIX, 21.— 2. Matth. VII, 3.— 3. Act. IX, 4.— 4. Jean, 1, 3, 14.

 

464

 

ceux qui étaient étrangers, de ramener. les bannis; voilà pourquoi il s’est fait homme. Il est donc devenu la tête de l’Eglise, ayant un corps et des membres. Parce que ses membres gémissent sur la terre dans l’univers entier, au dernier jour ils seront dans la joie, quand ils recevront. cette couronne de justice dont saint Paul a dit, que « le Seigneur, dans la justice de son jugement, doit nous la rendre alors 1 ». Et maintenant unissons-nous en un même corps et chantons en espérance. Car après avoir revêtu le Christ, nous ne sommes qu’un même Christ avec notre chef, puisque nous sommes assurément de la race d’Abraham. C’est le langage de l’Apôtre. Et si j’ai dit que nous sommes le Christ, l’Apôtre a dit : « Vous êtes donc la race d’Abraham, les héritiers selon la promesse ». Vous êtes de la race d’Abraham : or, voyons si le Christ est la race d’Abraham : « En ta race les nations seront bénies. Il ne dit pas : Dans tes descendants, comme s’ils étaient plusieurs; mais bien comme d’un seul: Et en celui qui naîtra de toi, et. qui est le Christ 2 ». A nous aussi il est dit: « Donc vous êtes la race d’Abraham ». Il est donc évident que nous appartenons au Christ, et que nous sommes ses membres, sou corps ne formant avec notre chef qu’un seul homme. Ainsi répétons, nous aussi : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice ».

4. « Je chanterai votre gloire, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi 3».Tu ne saurais chanter et comprendre que dans les voies de l’innocence. Si tu veux comprendre, chante dans la voie pure, c’est-à-dire travaille avec joie pour le Seigneur. Quelle est cette voie pure? Ecoute la suite : « Je marchais dans l’innocence de mon coeur, au milieu de ma maison ». Cette voie pure commence par l’innocence, et arrive encore au terme par l’innocence. A quoi bon chercher tant de paroles? Sois pur, et toute justice est accomplie. Mais en quoi consiste l’innocence? Un homme peut nuire en deux manières à un autre homme, ou en, le rendant misérable, autant qu’il est en lui, ou en l’abandonnant dans la misère; car tu ne veux point qu’un autre te plonge dans la misère, ni qu’il t’abandonne, si tu es misérable. Quel est celui qui fait la misère des autres ? Celui qui use de violences ou

 

1. II Tim. IV, 8. — 2. Gal, III, 8,16, 29 ; Gen. XII, 3. — 3. Ps. C, 2.

 

d’embûches, qui ravit le bien d’autrui, qui opprime les pauvres, qui se livre au vol, qui recherche l’adultère, qui calomnie, qui fait gémir les autres, pour le bonheur de nuire, Quel est celui qui abandonne les misérables? C’est celui qui voit un pauvre dénué de tout secours, et qui néglige de le soutenir comme il le pourrait, qui le dédaigne, qui lui ferme son coeur. Quand même on serait homme à n’avoir jamais besoin de miséricorde, il y aurait encore de l’orgueil, dans l’abandon d’un misérable : mais lorsqu’on est dans la tribulation de la chair, qu’on ne sait ce qui peut arriver demain, et qu’on méprise les larmes d’un malheureux, on n’est plus innocent. Mais alors qui est innocent? Celui qui ne nuit point aux autres ni à lui-même. Car se nuire à soi-même, ce n’est plus être innocent, Je n’ai rien dérobé à personne, me dira quelqu’un, ni fait violence à personne; c’est avec mon bien, avec le juste fruit de mon travail que je prends mes ébats, que je veux avoir une table bien servie, dépenser autant qu’il me plaira et boire avec mes amis, autant qu’il me plaira; à qui ai-je fait tort? A qui ai-je fait violence ? Qui se plaint de moi ? Il paraît innocent. Mais s’il se pervertit, s’il détruit en lui-même le temple de Dieu, comment espérer qu’il sera miséricordieux pour les autres, qu’il prendra en pitié les malheureux? Pourrait-il avoir de la pitié pour les autres, quand il est si cruel envers lui-même? Toute la justice se résume ainsi dans ce mot d’innocence. — « Aimer l’iniquité, c’est haïr son âme 1». Lorsqu’il aimait l’iniquité, il croyait nuire aux autres; mais vois s’il nuisait aux autres. « Aimer l’iniquité», dit le Psalmiste, « c’est haïr son âme ». C’est donc à lui-même qu’on nuit tout d’abord, quand on veut nuire aux autres : on ne se met point au large, l’espace manque : toute malice est toujours à l’étroit; il n’y a que l’innocence pour être au large et se promener à l’aise. « Je me promenais dans l’innocence de mon coeur, au milieu de ma maison». Par ce milieu de la maison, il entend ou l’Eglise elle-même dans laquelle se promène le Christ, ou notre coeur qui est une maison intérieure ; alors, au milieu de ma maison, serait une répétition de ce qu’il a dit plus haut: « Dans l’innocence de mon coeur». Quiconque tient cette maison en mauvais état,

 

1. Ps. X, 6.

 

465

 

en est chassé; quiconque en effet est harcelé par une mauvaise conscience, ressemble à un homme qui demeure sous un toit d’où l’eau tombe de toutes parts, ou qui sort pour éviter la fumée, qui ne saurait demeurer chez lui tel est l’homme dont le coeur n’est point tranquille, et qui ne saurait y habiter à l’aise. La distraction de leur esprit jette ces hommes au dehors d’eux-mêmes, et leur fait chercher le plaisir dans les choses corporelles, demander le calme aux bagatelles, aux spectacles, à la luxure, à toutes sortes de crimes. Pourquoi chercher leurs délices au dehors, sinon en ce qu’ils ne peuvent à 1’intérieur goûter la paix de la conscience? Aussi le Seigneur, après avoir guéri le paralytique, lui dit-il: « Enlevez votre grabat et allez en votre maison 1 ». Voilà ce que doit faire une âme qui est comme amollie par la paralysie qu’elle se raffermisse dans les bonnes oeuvres de ses membres, qu’elle fasse le bien, qu’elle emporte son grabat, qu’elle soumette le corps; puis, qu’elle aille dans sa maison ou sa conscience, et qu’elle la trouve assez large pour s’y promener, y chanter, y avoir l’intelligence.

5. « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste 2».Qu’est-ce à dire que « Je ne mettais sous mes yeux aucune injustice? » Je n’y attachais point mon coeur, car, vous le savez, on dit d’un homme qui en aime un autre qu’il l’a sous les yeux, Et un homme que l’on méprise se plaint en disant : Je ne suis rien à ses yeux. Ainsi donc, avoir une chose sous ses yeux, c’est l’aimer; qu’est-ce que ne pas l’aimer? Ne pas y être de coeur. Le Prophète nous dit donc: « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste » : je ne m’attachais pas au mal; et il nous dit ce qu’est le mal : « Je haïssais quiconque violait la loi ». Ecoutez bien, mes frères, si vous marchez avec le Christ au milieu de sa maison, c’est-à-dire si vous goûtez dans votre coeur un saint repos, ou si dans l’Eglise vous prenez le bon chemin qu’a suivi votre chef, vous ne devez pas seulement haïr les prévaricateurs que vous rencontrez au dehors, mais encore tous ceux de l’intérieur. Quels sont les prévaricateurs? Ceux qui haïssent la loi de Dieu; ceux qui l’entendent sans la pratiquer, voilà les prévaricateurs. Poursuis de ta haine les prévaricateurs, écarte-les de toi. Mais c’est le prévaricateur,

 

1. Matth, IX, 6.— 2. Ps. C, 2.

 

et non l’homme, que tu dois haïr. Le même homme qui devient prévaricateur a deux dénominations; il est homme, puis prévaricateur : aime alors ce que Dieu a fait en lui, mais poursuis ce qu’il a fait lui-même. Poursuivre la prévarication, c’est tuer ce qu’a fait l’homme, pour délivrer ce qu’a fait Dieu. « J’ai haï ceux qui commettent le péché ».

6. « Le coeur méchant n’a pas eu d’accès auprès de moi 1». Qu’est-ce à dire un coeur méchant? Un coeur tortueux. Qu’est-ce que le coeur tortueux? Le coeur qui n’est pas droit. Quand est-ce que le coeur n’est pas droit? Vois d’abord ce qu’est le coeur droit, tu sauras ce que peut être un coeur qui ne l’est pas. On appelle droit le coeur d’un homme qui ne repousse rien de ce que Dieu veut. Redoublez d’attention. Un homme demande à Dieu que je ne sais quoi ne lui arrive point, mais sa prière ne l’a point détourné. Qu’il redouble ses prières de tout son pouvoir; ce qu’il veut éviter lui arrive contre sa volonté: qu’il se soumette alors à la volonté de Dieu, et ne résiste point à cette volonté si grande. C’est ce que nous apprend l’exemple du Sauveur lui-même, qui veut personnifier eu lui notre infirmité, et quai s’écrie, au moment de souffrir: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 2». Et pourtant il ne craignait pas la mort, lui qui avait le pouvoir de donner sa vie, et aussi le pouvoir de la reprendre 3. Et Paul, ce soldat et serviteur du Christ, s’écrie : « J’ai combattu un bon combat, j’ai gardé ma foi, j’ai achevé ma course; il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est juste juge 4». Il tressaille parce qu’il va mourir ; et son Seigneur, son chef est triste devant la mort! Le serviteur vaut donc mieux que le chef? Alors que devient cette parole du divin Maître : « Il doit suffire au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple d’être comme son maître 5?, Voilà que Paul est brave en face de la mort, et que le Seigneur est triste. « Je désirais », dit-il, « ma dissolution, afin d’être avec le Christ 6». Paul est dans la joie en face de la dissolution, afin d’être avec le Christ, et le Christ sera dans la tristesse, lui avec qui Paul se réjouit d’être un jour? Qu’est-ce que cette parole, sinon Le cri de notre infirmité? Beaucoup d’hommes faibles sont encore attristés

 

1. Ps. C, 4.— 2. Matth. XXVI, 38.— 3. Jean, X, 18.— 4. II Tim. IV, 7. — 5. Matth. X, 25.— 6. Philipp. I, 23.

 

466

 

en face de la mort; mais qu’ils aient le coeur droit, qu’ils évitent la mort autant qu’ils le pourront; et s’ils ne le peuvent, qu’ils disent ce que le Seigneur a dit, non pour lui, mais pour nous. Qu’a-t-il dit? « Mon Père, s’il est «possible, que ce calice s’éloigne de moi». Telle est bien l’expression de la volonté humaine: vois que déjà le coeur est droit: « Néanmoins, ô mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne 1 ». Si donc le coeur droit suit le Seigneur, le coeur dépravé lui résiste. Qu’il lui arrive quelque chose de fâcheux, et il s’écrie : O Dieu, que vous ai-je fait? Quel est mon crime? Quelle faute ai-je commise? Il veut être juste, et que Dieu soit injuste. Quel manque de droiture! C’est peu d’être tortueux, on veut encore que la règle soit faussée. Corrige-toi d’abord, et alors te paraîtra droit celui dont tu t’es éloigné. Ses actes sont justes, les tiens injustes; et tu es dépravé, parce que tu donnes le nom de juste à l’homme, à Dieu celui d’injuste. Quel homme appelles-tu juste? Toi-même. Dire en effet : Que vous ai-je fait? c’est te croire juste. Mais que Dieu te réponde : li est vrai que tu ne m’as rien fait, tu as toujours agi pour toi. Car en agissant pour moi, tu eusses fait le bien. Tout le bien que l’on fait, c’est pour moi qu’on le fait, puisque c’est pour obéir à mon précepte. Tout le mal que tu commets, tu le fais pour toi, et non pour moi; car le méchant, dans ce qu’il fait, n’agit que pour lui, puisque je ne lui commande Point ces actes. Mes frères, quand vous rencontrerez ces hommes, avertissez-les, reprenez-les, corrigez-les: et si vous ne pouvez les reprendre ou les corriger, ne vous attachez point à eux, afin de pouvoir dire: « Le coeur pervers n’a eu nul accès auprès de moi ».

7. « Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire:

« Je ne le connaissais pas? » Je ne l’approuvais point, ne l’applaudissais point, il me déplaisait, Nous voyons, en effet, que l’Ecriture domine souvent au mot connaître, le sens de plaire. Que peut-on cacher à Dieu , mes frères? Verra-t-il donc les justes sans voir les injustes? Quelle est ta pensée qu’il ne connaisse point? Je ne dis pas quel acte, mais quelle pensée peux-tu lui dérober? Je ne dis pas seulement quelle pensée actuelle, mais quelle pensée à venir n’a-t-il pas vue avant

 

1. Matth. XXVI, 38, 39.

 

toi? Dieu connaît donc tout, et néanmoins, à la fin, c’est-à-dire au jour du jugement, qui suivra sa miséricorde, il dit de quelques-uns: « En ce jour, beaucoup viendront, et diront: Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas chassé les démons en votre nom, fait beaucoup de prodiges en votre nom, mangé et bu en votre nom? et je leur dirai: Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, je ne vous connais point 1 ». Y a-t-il donc quelqu’un que Dieu ne connaisse pas? Mais que signifie: « Je ne vous connais pas? » Je ne vous trouve point conformes à ma règle. Car je connais la règle de ma justice, et vous n’y êtes point conformes, vous vous en êtes écartés, vous êtes tortueux. C’est en ce sens qu’il est dit ici: « Je ne connaissais point. Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire : « Je ne le connaissais pas? » Serait-ce parce qu’un méchant, rencontrant un juste dans tin chemin étroit, se dit cette parole de Salomon au livre de la Sagesse : « Il m’est odieux , même de le voir 2 » ; et qu’alors il se détourne du chemin pour ne point le voir? Mais combien de méchants voyons-nous, et combien nous voient, qui loin de se détourner de nous, accourent au contraire auprès de nous, et voudraient faire de nous les complices de leurs iniquités? Nous le voyons souvent. Comment donc se détournent-ils? Quiconque n’est pas semblable à toi, s’éloigne de toi. Qu’est-ce à dire qu’il s’éloigne? Qu’il ne te suit pas. Qu’est-ce à dire, qu’il ne te suit pas? Qu’il n’imite pas tes exemples. Donc, « comme le méchant s’éloignait de moi », c’est-à-dire comme le méchant ne me ressemblait point, ne voulait point marcher sur mes traces, ni suivre l’exemple que je lui donnais; «je ne le connaissais point ». Qu’est-ce à dire: « Je ne le connaissais point? » non pas que je le méconnaissais, mais que je ne l’approuvais point.

8. « Celui qui parle en secret contre son prochain, je le poursuivais 3». C’est là une

salutaire persécution, non contre l’homme, mais contre le péché. « Je ne m’asseyais à table, ni avec l’homme à l’oeil superbe, ni avec l’homme d’un coeur insatiable ». Qu’est-ce à dire : « Je ne m’asseyais point à leur table? » Que votre charité fasse attention; nous entendrons quelque chose d’admirable.

 

1. Matth. VII, 22, 23 — 2. Sag. II, 15. — 3. Ps. C, 5.

 

467

 

S’il ne s’asseyait pas à table avec eux, il ne mangeait point; s’asseoir à table, c’est manger; pourquoi donc voyons-nous que le Seigneur a mangé avec les orgueilleux? Non point avec ces publicains et avec ces pécheurs, car ils étaient humbles, ils connaissaient leur maladie et cherchaient un médecin; mais c’est avec les orgueilleux pharisiens que nous lisons qu’il mangea. Un de ces orgueilleux l’avait invité; c’est à lui que déplut cette femme pécheresse, fameuse dans sa ville natale, et qui vint se jeter aux pieds du Sauveur; c’est à ce pharisien qui disait en son coeur (et la pureté des pharisiens allait jusqu’à ne point se laisser toucher par des hommes impurs; pour peu que les touchât un homme impur, ils étaient saisis d’horreur, et craignaient de devenir impurs par l’attouchement d’un homme impur) : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme vient à ses pieds 1». Comment savait-il que Jésus ne connaissait point cette lemme? C’est qu’il le soupçonnait parce qu’il ne la repoussait point? Lui, Simon, l’eût repoussée bien loin. Or, le Seigneur, non-seulement connaissait cette femme, mais il voyait encore les blessures incurables faites à l’orgueil de Simon. A la vue de ses pensées, et pour lui montrer son propre orgueil : « Simon », lui dit-il, « j’ai quelque chose à te dire: un créancier avait deux débiteurs, dont l’un lui devait cinquante deniers, et l’autre cinq cents : comme ils ne pouvaient s’acquitter, il leur remit leur dette à tous deux : qui des deux l’aima le plus? » Et celui-ci prononça contre lui-même cette sentence que la vérité lui arrachait : « Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Alors se tournant vers la pécheresse : Vois-tu cette femme, dit-il à Simon? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds; mais celle-ci m’a lavé les pieds avec ses larmes 2 », et le reste que vous savez. il n’est pas nécessaire de nous arrêter plus longtemps sur les détails de ce passage que nous citons. Ce pharisien donc était orgueilleux, et le Seigneur mangeait avec lui; pourquoi David nous dit-il : « Je ne prenais mes repas ni avec l’homme au regard orgueilleux, ni avec l’homme au coeur insatiable? » Qu’est-ce à dire : « Je ne prenais point

 

1. Luc, VII, 39. — 2. Id. 36-44.

 

mes repas? » Je ne mangeais pas avec lui. Comment nous propose-t-il ce qu’il ne fait point? Il nous engage à l’imiter: or, nous le voyons dans un festin avec les orgueilleux, comment nous défendra-t-il de manger avec eux? Pour nous, mes frères, nous nous séparons quelquefois de nos frères, nous nous abstenons de manger avec eux, afin qu’ils se corrigent. Nous acceptons plus volontiers avec les étrangers, avec les païens, qu’avec ceux de nos proches que nous voyons plongés dans une vie de désordres, afin qu’ils en rougissent et s’en corrigent ; ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le, et n’ayez point de commerce avec lui, ne le regardez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère 1 ». C’est ce que nous faisons souvent avec nos frères pour les guérir; et pourtant nous mangeons souvent avec des étrangers et avec des impies.

9. Que signifie cette parole: « Je ne prenais point mes repas avec l’homme au regard orgueilleux, au coeur insatiable ? » Un coeur pieux a sa nourriture, et un coeur orgueilleux sa nourriture aussi. C’est en vue de cette nourriture du coeur superbe, que le Prophète a dit : « L’homme au coeur insatiable ». Quelle est la nourriture du coeur superbe? S’il y a orgueil, il y a envie, il n’en peut être autrement. L’orgueil est père de l’envie, il ne peut engendrer que l’envie, et qu’être toujours avec elle. Tout orgueilleux est envieux, et il se repaît du mal d’autrui. De là cette parole de l’Apôtre : « Si vous vous déchirez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous détruire mutuellement 2 ». Voyez donc de quoi ils se nourrissent, et ne mangez point avec eux, fuyez un tel festin. Mais la joie du mal d’autrui ne les rassasie point, car ils sont insatiables. Garde-toi de tomber de leurs festins dans les filets de Satan. Tel était le festin des Juifs quand ils crucifièrent le Seigneur, ils se repaissaient en quelque sorte ries souffrances du Sauveur; ce qui est bien différent de nous qui nous repaissons de sa croix, parce que nous mangeons sa chair. Ils lui disaient, en le voyant suspend à la croix et en lui insultant, car leur coeur était insatiable, ils disaient donc : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il

 

1. II Thess. III, 11, 15. — 2. Gal. V, 15.

 

468

 

descende de la croix; il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même 1». Ils se repaissaient de leur cruauté, et pour lui, sa nourriture était sa miséricorde. « Mon Père », dit-il, « pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font 2 ». Ils avaient donc leur nourriture, et lui sa nourriture. Mais écoutez ce qui est dit de la table des orgueilleux: « Que leur table soit pour eux un piège, une vengeance, un scandale 3 ». Ils s’en sont repus et ont été pris; de même que les oiseaux se font prendre en mangeant l’appât du piège, et les poissons en mordant à l’hameçon Les impies ont donc leurs festins, et les hommes pieux leurs festins. Ecoutez,voici le festin des bons : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 4 ». Si donc l’homme pieux se rassasie de justice et l’impie d’orgueil; il n’est pas étonnant que celui-ci ait le coeur insatiable, car il a pour nourriture l’iniquité; loin de toi ce pain de l’iniquité; et l’homme à l’oeil superbe, au coeur insatiable ne mangera point avec toi.

10. Mais toi, ô Prophète, où était ta nourriture? A quelle table te plaisais-tu, quand

l’impie ne mangeait pas avec toi ? « Mes yeux », répond-il, «étaient sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi 5 ». Le Seigneur nous dit: «Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils demeurent avec moi » : c’est-à-dire qu’ils y soient assis. Comment être assis ? « Vous serez assis sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël 6 ». Les fidèles de la terre seront donc juges, et c’est à eux que saint Paul a dit: «Ne savez-vous point que nous jugerons les anges 7? Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi. Celui qui marchait dans la soie pure, était celui qui me servait ». « Moi», et non pas lui. Beaucoup en effet sont ministres de l’Evangile, mais ministres pour eux, cherchant leurs intérêts et non ceux du Christ 8. Qu’est-ce que servir le Christ? Chercher ce qui est des intérêts de Jésus-Christ. Or, que les méchants annoncent l’Evangile, ils sauvent 1es autres, en se perdant eux-mêmes. Car il est écrit : « Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils  font 9». Tu n’as donc rien à craindre quand

 

1. Matth. XXVII, 40, 42. — 2. Luc, XXIII, 34. — 3. Ps. LXVIII, 23.— 4.  Matth. V, 6 — 5. Ps. C, 6. — 6. Matth. XIX, 28.— 7. I Cor. VI, 3. — 8. Philipp. II , 21, — 9. Matth. XXXI, 3.

 

c’est un méchant qui t’annonce l’Evangile. Malheur à celui qui se sert lui-même, c’est-à-dire qui cherche ses intérêts : toi, cherche ceux du Christ. « Celui qui marchait dans la voie droite, celui-là me servait ».

11. « Celui qui se comporte avec orgueil, n’habitera point l’intérieur de ma maison ». Reportez-vous à la maison indiquée plus haut, c’est-à-dire au coeur. Nul homme aux acres orgueilleux n’habitait dans mon coeur, nul homme semblable n’y demeurait, il en sortait à l’instant. Nul ne demeure dans mon coeur, s’il n’est doux et paisible : l’orgueilleux n’y habitait point, car l’injuste n’habite point le coeur du juste. Qu’un homme juste soit séparé de  toi par des distances en des contrées; vous habitez ensemble, si vous avez un même coeur. « L’homme qui se comporte avec orgueil n’a point habité dans  mon coeur, l’homme aux paroles d’iniquité, ne marchera point d’un pas ferme en ma présence ». Telle est la voie sans tache, qui nous donne l’intelligence, quand le Seigneur vient à nous.

12. « Dès le matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre 2 ». Ce passage est obscur; écoutons bien, je vous prie, le psaume touche à sa fin. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Pourquoi? « Afin de bannir de la cité du Seigneur tous ceux qui commettent l’iniquité ». Il en est donc dans la cité du Seigneur qui commettent l’iniquité, et ils sont épargnés aujourd’hui. Pourquoi? Parce que nous sommes dans le temps de la miséricorde, et qu’après viendra celui du jugement. «Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ».  Il nous a dit plus haut que les bons seuls s’attachent à lui, qu’il ne s’est pas attaché aux méchants, qu’il ne se plaît point dans le festin d’iniquité de ces hommes qui ne servent qu’eux-mêmes, et non le Seigneur, c’est-à-dire qui cherchent leurs propres intérêts.  Et comme si nous lui demandions : Pourquoi donc avoir toléré si longtemps ces hommes dans votre cité ? C’était le temps de la miséricorde, nous dit-il. Mais qu’est-ce que le temps de la miséricorde? C’est-à-dire que le jugement n’est pas encore dévoilé: c’est la nuit, viendra le jour, et le jugement apparaîtra. Ecoute l’Apôtre: « Gardez-vous de juger quelqu’un avant le

 

1. Ps. C, 7. — 2. Id. 8.

 

469

 

temps ». Qu’est-ce à dire « avant le temps? » Avant le jour. Vois qu’il s’agit ici du jour : « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui doit éclairer les secrets des ténèbres, manifester les pensées des coeurs, et alors chacun recevra sa louange de Dieu 1». Maintenant en effet que vous ne voyez point mon coeur et que je ne vois point le vôtre, c’est la nuit. Tu demandes à un homme je ne sais quoi qu’il te refuse, et tu te crois méprisé; or, peut-être n’es-tu pas méprisé. Car tu ne vois point le mur, et à l’instant tu murmures, il faut te pardonner comme à un homme qui erre pendant la nuit. Tu es aimé d’un homme, et tu crois qu’il te hait; ou bien il te hait quand tu crois en être aimé : l’une et l’autre erreur est l’effet de la nuit. Sois donc sans crainte, mets ta confiance dans le Christ, et tu auras la lumière en lui : n’appréhende aucun mal de sa part, car nous sommes en sûreté, ayant la certitude qu’on ne peut le tromper et qu’il nous aime. Mais nous n’avons point cette certitude à l’égard de nous-mêmes. Dieu connaît notre amour mutuel, mais nous, bien que nous nous aimions, qui connaît notre intention alors ? Pourquoi le coeur se dérobe-t-il à tous? Parce que nous sommes dans la nuit. Or, dans cette nuit les tentations abondent. C’est de cette nuit que le psaume a dit: « Vous avez amené les ténèbres, et voilà la nuit; alors les bêtes de la forêt glissent dans l’ombre : les lionceaux rugissent après leur proie, et demandent à Dieu leur pâture 2 ». C’est pendant la nuit que les lionceaux cherchent la nourriture. Quels mont ces lionceaux? Les princes et les puissances de l’air, le démon et ses anges 3. Comment cherchent-ils leur nourriture ? En nous suggérant la tentation. Mais comme ils ne peuvent nous approcher si Dieu ne leur en donne le pouvoir, le Psalmiste ajoute qu’ « ils demandent leur proie au Seigneur ». Le démon demande de tenter Job. Quelle était cette proie? Une proie riche, opulente, le juste de Dieu, à qui le Seigneur lui-même avait rendu témoignage en l’appelant « homme irréprochable, et véritable serviteur de Dieu ». Demander de le tenter, c’était demander à Dieu sa proie, et il reçut le pouvoir, non de l’accabler, mais de le tenter 4; de le purifier, non de le perdre. Néanmoins il arrive que d’autres sont livrés au tentateur pour l’avoir

 

1. I Cor. XV, 5.— 2. Ps. CIII, 20,21.— 3. Ephés. II, 2.— 4. Job, I, 8-12.

 

mérité, parce qu’ils se sont livrés eux-mêmes à leurs concupiscences. Le diable en effet ne nuit à personne s’il n’en a reçu de Dieu le pouvoir. Mais quand ? pendant la nuit. Qu’est-ce à dire pendant la nuit? En cette vie. Mais quand à la nuit succédera le jour, les méchants seront précipités avec le diable dans le feu éternel, et les justes auront une vie sans fin 1. Là plus de tentateur, parce qu’il n’y aura plus de lionceaux, la nuit sera passée. Aussi le Seigneur dit-il à ses disciples: « Cette nuit Satan a demandé de vous cribler comme le froment; mais, Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne pas à faiblir 2». Qu’est-ce à dire, « vous cribler à comme le froment ?» De même que l’homme ne mange le froment qu’après l’avoir brisé pour en faire du pain, de même nul ne devient en quelque sorte la proie de Satan, qu’après avoir été brisé sous la meule de l’affliction. Il nous brise donc pour nous manger; mais toi, si dans l’affliction tu demeures un véritable grain, tu ne seras point broyé, et il ne t’arrivera aucun mal. Quand les boeufs foulent le grain, n’ont-ils d’action que sur le grain seulement? Ne les chasse-t-on point sur la paille dans la grange ? Mais est-ce le froment qui doit craindre? Nullement. La paille seule est brisée, le froment est dépouillé du superflu, et alors viendra le van, qui fera du froment une masse pure. Le grain que l’on trouve alors est mis en réserve dans les greniers, et le monceau de paille jeté au feu inextinguible 3.

13. A quoi bon ce langage? Parce que nous espérons voir le jour, Ce jour pour nous doit être dans le Christ, et pendant que nous sommes daims la tentation, c’est la nuit. Pendant la nuit, Dieu épargne les pécheurs, et ne les extermine point; il leur inflige des épreuves douloureuses, afin de les corriger, il les tolère dans sa cité. Mais croyons-nous qu’il les souffrira toujours? Si Dieu usait toujours de miséricorde, il n’y aurait point de jugement. Mais si le psaume a dit vrai « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement »; il n’épargne aujourd’hui que pour juger plus tard. Or, quand jugera-t-il? Quand la nuit sera passée. De là cette parole : « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Qu’est-ce à dire, «au matin? » Au point du jour, quand la

 

1. Matth.  XXV, 46. — 2. Luc, XXII, 31, 32. — 3. Matth. III, 2.

 

470

 

nuit sera passée. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre » : pourquoi les avoir épargnés jusqu’au matin ? Parce que c’était la nuit. Qu’est-ce à dire, c’était la nuit? C’était le moment de l’indulgence; car Dieu pardonnait, quand le coeur des hommes était dans les ténèbres. Tu vois un homme vivant dans le désordre; tu as pour lui de la tolérance; comme il est dans la nuit, tu ne sais ce qu’il deviendra, si vivant aujourd’hui dans le désordre, il ne sera pas demain plus régulier; et si l’homme régulier d’aujourd’hui ne sera pas demain l’homme du désordre. Nous sommes dans la nuit, et Dieu tolère les pécheurs dans sa longanimité. Il les tolère afin qu’ils se retournent vers lui. Mais ceux qui ne se convertiront point ici-bas seront exterminés. Pourquoi exterminés? Afin qu’ils soient bannis de la cité de Dieu, de la société de Jérusalem, de la société des saints, de la société de l’Eglise. Quand seront-ils exterminés? « Au matin ». Qu’est-ce à dire « au matin? » Quand la nuit sera passée. Pourquoi les épargner aujourd’hui ? Parce que c’est le temps de la miséricorde. Pourquoi n’épargner pas toujours? Parce que « je chanterai, Seigneur, votre miséricorde, et ensuite votre jugement ». Mes frères, que nul ne se fasse illusion. Tous ceux qui commettent l’iniquité seront exterminés : le Christ les exterminera au matin, et les bannira de sa cité. Mais aujourd’hui que nous sommes dans le temps de la miséricorde, que les pécheurs l’écoutent. Partout il nous prêche, et dans sa loi, et dans les Prophètes, et dans les psaumes, et dans les Epîtres et dans l’Evangile. Reconnaissez qu’il ne se tait point, qu’il épargne, qu’il use même de miséricorde; mais veillez sur vous, car voici le jugement.

 

 

 

Haut du document

 

 

Précédente Accueil