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DISCOURS SUR LE PSAUME C.SERMON AU PEUPLE.LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT.
Que nul ne compte sur limpunité à cause de la divine miséricorde, car le Psalmiste qui chante cette miséricorde tout dabord, y joint le jugement ou la justice. Souvent chez les hommes la miséricorde a nui à la justice, et la justice à la miséricorde; mais Dieu tout dabord miséricordieux ne tolère les méchants que pour les juger ensuite, après les avoir amenés à la pénitence. Saint Paul qui proclame la miséricorde de Dieu pour lui-même, nen menace pas moins du jugement de Dieu, ceux qui se rassurent à cause de limpunité de cette vie. Outre la crainte, ce jugement doit nous inspirer lamour, puisque nous serons couronnés. Sans la divine miséricorde, Paul nétait quun blasphémateur ; mais la grâce de Dieu lui fait espérer la couronne de Justice qui lui est due ; il est ici le type des pécheurs. Mais Dieu ne nous épargne que pour nous amener à la pénitence, autrement il serait notre complice. Il nous mettra en face de nous-mêmes pour nous convaincre. Cest donc là le chant du Christ, chef de lEglise, en qui nous sommes Christ. Mais pour chanter avec lui, il faut ne pas nuire aux autres, ni à soi-même. Autrement notre conscience perverse ne nous permettrait pas dhabiter ni dans le Christ, ni dans notre intérieur. Répudions les prévaricateurs pour nous unir à Dieu, bien quil ne nous exauce pas toujours. Malgré sa tristesse en face de la mort, le Sauveur sunit à la volonté de son père. Dans le malheur nous accusons parfois Dieu qui désapprouve le pécheur. Rapprochons-nous le Dieu et fuyons la table des méchants: désapprouvons ce quils aiment, comme Jésus à la table de Sinon était loin de son orgueil. Asseyons-nous avec les fidèles, afin de juger avec eux. Nous sommes donc ici-bas au temps de la nuit, ou de la miséricorde de Dieu qui nous éprouve comme il éprouva Job et les Apôtres. Extermination réservée à ceux qui ne se tourneront point vers lui.
1. Le premier verset de ce psaume centième contient tout ce que nous devons chercher dans tous les autres : « Je chanterai, le Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Que nul ne compte sur la divine miséricorde, pour se promettre limpunité; car il y a aussi le jugement: et que nul pécheur converti ne redoute le jugement; car il y a aussi la miséricorde. Quand les hommes jugent, ils se laissent parfois dominer par la miséricorde, et ils prononcent contre la justice: et alors ils ont, du moins en apparence, la miséricorde et non la justice; souvent aussi, pour être trop sévères dans leurs jugements, ils perdent la miséricorde. Quant à Dieu, leffusion de sa miséricorde ne lui fait point perdre la sévérité du jugement, et dans la sévérité du jugement il noublie point sa bonté miséricordieuse. Si nous remarquons bien lordre de ces deux expressions : miséricorde et justice, nous trouverons que ce nest point sans raison quelles sont ainsi placées de manière à ne point dire justice et miséricorde, mais bien, « miséricorde et justice » : et au point de vue du temps, nous verrons que cest aujourdhui le temps de la miséricorde, et dans lavenir le temps du jugement. Comment la miséricorde vient-elle tout dabord? Considère tout dabord en Dieu les dons que tu as reçus, afin dimiter ton Père céleste. Car il ny a point arrogance de notre part à dire que nous devons imiter notre Père; puisque Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, nous y exhorte en disant : « Soyez semblables à votre Père céleste ». Après avoir dit dans lEvangile: « Aimez vos ennemis; priez pour ceux qui vous persécutent»; il ajoute: « Afin que ,vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 1». Telle est la miséricorde. Quand tu vois les justes et les injustes contempler le même soleil, jouir de la même lumière, boire aux mêmes fontaines, senrichir aux mêmes pluies, récolter en abondance les mêmes fruits de la terre, respirer le même air, se partager aussi les nièmes biens de cette vie, garde-toi daccuser dinjustice ce même Dieu qui donne également ces biens aux justes et aux injustes. Cest maintenant le temps de la miséricorde, et non celui de la justice. Si lotit dabord il ne mous pardonnait dans sa miséricorde, il ne trouverait personne quil pût couronner dans son jugement. Il y a donc un temps de miséricorde, alors que le Seigneur amène les pécheurs à la pénitence par la patience. 2. Ecoute lApôtre qui distingue ces deux
1. Matth. V, 48, 44, 45.
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temps, et distingue-les avec lui : « Toi donc, ô homme, qui condamnes ceux qui commettent ces fautes, et qui les commets toi-même, penses-tu éviter le jugement de Dieu 1? » Redoublez dattention. Il se voyait lui-même, cet homme à qui sadresse lApôtre, qui ne parle pas à un homme seulement, mais au genre humain qui est tel, il se voyait tomber chaque jour dans beaucoup de fautes, bien quil ne laissât pas de vivre, et quil ne lui arrivât aucun mal; et alors il simaginait ou que Dieu dort, ou quil na aucun souci des choses humaines, ou bien quil prend plaisir au mal que font les hommes. Saint Paul détruit celte pensée dans leurs coeurs, pourvu néanmoins quils le comprennent. Que dit-il donc? « O homme qui juges ceux qui commettent ces fautes, et qui les fais toi-même, crois-tu donc échapper au jugement de Dieu? » Et comme si on lui répondait : Tant de fois chaque jour je me rends coupable, pourquoi donc ne marrive-t-il aucun mal? voilà que lApôtre continue en lui montrant que nous sommes au temps de la miséricorde: « Méprises-tu », lui dit-il, « les trésors de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité 1? » Il les méprisait, en effet, mais lApôtre lui suggère linquiétude. «Ignores-tu », lui dit-il, « que la bonté de Dieu tinvite à la patience? » Voilà le temps de la miséricorde. Mais pour lempêcher de croire que ce temps durera toujours, comment lui inspire-t-il de leffroi? « Quant à toi » (écoute le jour du jugement après avoir entendu le jour de la miséricorde , puisquil est dit : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement) : quant à toi, par la dureté de ton coeur, et par ton impénitence, tu te grossis un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 2 ». Voilà: « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement». Mais saint Paul nous menace du jugement de Dieu: ce jugement ne doit-il donc nous inspirer que la crainte, et non lamour? Les méchants doivent le craindre à cause du châtiment, et les bons laimer à cause de la couronne quils doivent recevoir. Mais puisque lApôtre a effrayé les méchants, dans le passage que jai cité, écoute lespérance quil donne aux bons à propos même du jugement;
1. Rom. II, 4. 2. Id. 5.
il se met en avant et montre par lui-même que cest maintenant le temps de la divine miséricorde. Car sil neût lui-même rencontré la miséricorde, queût trouvé en lui le jugement? le blasphème, la persécution, loutrage. Voilà ce quil avoue lui-même en nous signalant ce temps de miséricorde qui est le nôtre: « Tout dabord », nous dit-il, « jai été un blasphémateur, un persécuteur, un insolent; mais jai obtenu miséricorde 1 ». Peut-être est-il le seul pour avoir obtenu miséricorde? Ecoute comment il nous relève: « Jésus-Christ », nous dit-il, « a voulu montrer en moi sa longanimité pour linstruction de ceux qui croiront en lui 2». Quest-ce à dire, « a voulu montrer en moi sa longanimité? » Cest-à-dire que tout pécheur, tout criminel comprenant que Paul a obtenu son pardon, ne doit point sabandonner au désespoir. Le voilà qui se montre afin de relever les autres. Où? Dans le temps de la miséricorde. Ecoute ce quil dit aux bons à propos du jugement, en parlant de lui et des autres. Dabord il a obtenu miséricorde; et comment? Parce quil a blasphémé, persécuté, outragé. Le Seigneur est donc venu pour pardonner à Paul, non pour le récompenser. Sil eût voulu lui rendre selon ses oeuvres, queût-il trouvé pour Paul, sinon le châtiment et le supplice? Il na point voulu le châtier, il lui a fait don de la grâce. Ecoute bien comment celui qui a reçu cette grâce, ne voit plus dans le Seigneur quun débiteur. Il a trouvé en lui un donateur au temps de la miséricorde, il compte sur lui comme sur un débiteur au temps du jugement. Ecoutez ce quil dit à ce propos : « Je touche déjà à limmolation, et le temps de ma mort approché. Jai combattu un bon combat, jai achevé ma course, jai gardé la foi ». Voilà pour le temps de la miséricorde; écoute pour celui du jugement : « Il ne me reste quà lui tendre la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me rendra au grand jour 3». Il ne dit pas : Me donne; mais, « me rendra ». Donner, cétait la miséricorde; rendre, ce sera la justice; car « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice ». En lui pardonnant ses péchés, il sengageait à le couronner. Cest là que « jai reçu miséricorde ». Le Seigneur est donc tout dabord miséricordieux; cest lui qui « me rendra » la
1. I Tim. I, 15. 2. Id. 16. 3. II Tim. IV, 6-8.
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couronne « de justice ». Pourquoi la rendre? Parce qu « il est un juste juge ». Pourquoi est-il alors un juste juge? Cest que «jai combattu un bon combat, jai achevé ma course, jai gardé ma foi n. Voilà ce que la justice ne peut se dispenser de couronner. Car elle a trouvé de quoi couronner; mais auparavant quavait-elle trouvé? « Un blasphémateur, un persécuteur ». Il a pardonné ces derniers actes, il couronnera les seconds ; il a pardonné les uns au temps de la miséricorde, il couronnera les autres au temps du jugement, car « cest votre miséricorde et ensuite votre jugement que je veux chanter, ô mon Dieu ». Mais Paul est-il donc le seul pour avoir mérité celte grâce? Car je vous lai dit, comme il nous effraie dans un de ses témoignages, ainsi il nous console dans lautre. Après avoir dit : « Le Seigneur, qui est un juste juge, me rendra en ce grand jour » ; il ajoute: « Et non-seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment sa manifestation et son royaume 1». 3. Donc, mes frères, tant que nous sommes dans le temps de la miséricorde, ne nous flattons point, ne nous négligeons point, ne disons point que Dieu pardonne toujours. Jai péché hier, Dieu ma pardonné; je pèche aujourdhui, Dieu pardonne encore; donc je pécherai encore demain, puisque Dieu veut bien pardonner. Tu ne vois que la miséricorde, et tu ne crains pas le jugement. Si tu veux chanter la miséricorde et le jugement, comprends bien que sil te pardonne, cest afin que tu te corriges, et non afin que tu demeures dans ton péché. Ne te grossis pas un trésor de colère pour le jour de la colère et de la juste révélation du jugement de Dieu 2. En ce qui regarde le temps de la miséricorde, il est dit dans un autre psaume: « Dieu a dit au pécheur: Pourquoi parler de ma justice, et mettre dans ta bouche mon alliance? Tu hais lordre, et tu as rejeté ma parole bien loin derrière toi: si tu voyais un voleur, tu courrais à lui, tu partagerais lhéritage des adultères ; tu tasseyais pour parler contre ton frère, tu mettais le scandale devant le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu 3». Voilà le temps de la miséricorde. Quest-ce à dire, «je me suis tu? » Est-ce à dire que je nai point réprimandé? Non, mais je nai point jugé. De quel silence accuser celui qui parle chaque jour, dans les saintes Ecritures, dans les Evangiles,
1. II Tim. IV, 8. 2. Rom. II, 5. 3. Ps. XLIX, 16-21.
Dans ses prédicateurs? Cest le supplice, et non la parole, qui a été en demeure. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ». Et parce que Dieu sest tu ou na point tiré vengeance, qua dit le pécheur dans le secret de son âme? Ecoute : « Tu mas soupçonné diniquité », dit le Seigneur, « de ressemblance avec toi ». Cest-à-dire, cest peu pour toi dêtre ainsi, tu mas cru semblable. Après avoir montré le temps de la miséricorde, le Seigneur nous effraie au sujet du jugement. « Je te convaincrai»,dit-il au même endroit, « je te mettrai en face de toi-même 1 ».Tu te places par derrière, mais je te placerai en face de toi-même. Quiconque, en effet, ne veut point voir ses fautes, se place derrière lui-même, relève exactement celles des autres, non par une sainte vigilance, mais par envie: sans vouloir guérir, il veut accuser, et soublie lui-même. Cest à ces hommes que le Seigneur a dit: « Tu vois la paille dans loeil de ton frère, et non la poutre qui est dans ton oeil 2 ». Puis donc que le Prophète chante pour nous la miséricorde et la justice, faisons la justice, et nous attendrons le jugement dans la sécurité : soyons dans son corps mystique, afin de les chanter aussi. Car cest le chant du Christ : mais si le chef le chantait seul, ce serait le cantique du Seigneur, et non le nôtre. Or, si cest tout le Christ qui le chante, cest-à-dire la tête et les membres, attache-toi à lui par la foi, par lespérance et par la charité, et tu chanteras en lui, tu tressailliras en lui; comme lui-même souffre en toi, endure en toi la faim, la soif, la tribulation. Il meurt en toi encore aujourdhui, et toi tu es déjà ressuscité en lui. Sil ne mourait en toi, il ne demanderait pas de répit à celui qui te persécute, et ne dirait point: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3?» Donc, mes frères, cest le Christ qui chante, mais en la manière que vous connaissez: car nous vous avons souvent parlé du Christ, et je sais quil ny a point en vous dignorance. Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait. Cest ce Verbe qui sest fait chair pour nous racheter, et qui a habité parmi nous 4 : il sest fait homme, lui qui était Dieu par-dessus tout, Fils de Dieu égal à son Père; il sest fait homme, afin dêtre Dieu, médiateur entre Dieu et les hommes, afin de réconcilier ceux qui étaient éloignés, de réunir ceux qui étaient séparés, de rappeler
1. Ps. XLIX, 21. 2. Matth. VII, 3. 3. Act. IX, 4. 4. Jean, 1, 3, 14.
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ceux qui étaient étrangers, de ramener. les bannis; voilà pourquoi il sest fait homme. Il est donc devenu la tête de lEglise, ayant un corps et des membres. Parce que ses membres gémissent sur la terre dans lunivers entier, au dernier jour ils seront dans la joie, quand ils recevront. cette couronne de justice dont saint Paul a dit, que « le Seigneur, dans la justice de son jugement, doit nous la rendre alors 1 ». Et maintenant unissons-nous en un même corps et chantons en espérance. Car après avoir revêtu le Christ, nous ne sommes quun même Christ avec notre chef, puisque nous sommes assurément de la race dAbraham. Cest le langage de lApôtre. Et si jai dit que nous sommes le Christ, lApôtre a dit : « Vous êtes donc la race dAbraham, les héritiers selon la promesse ». Vous êtes de la race dAbraham : or, voyons si le Christ est la race dAbraham : « En ta race les nations seront bénies. Il ne dit pas : Dans tes descendants, comme sils étaient plusieurs; mais bien comme dun seul: Et en celui qui naîtra de toi, et. qui est le Christ 2 ». A nous aussi il est dit: « Donc vous êtes la race dAbraham ». Il est donc évident que nous appartenons au Christ, et que nous sommes ses membres, sou corps ne formant avec notre chef quun seul homme. Ainsi répétons, nous aussi : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice ». 4. « Je chanterai votre gloire, et je connaîtrai les voies de linnocence, quand vous viendrez à moi 3».Tu ne saurais chanter et comprendre que dans les voies de linnocence. Si tu veux comprendre, chante dans la voie pure, cest-à-dire travaille avec joie pour le Seigneur. Quelle est cette voie pure? Ecoute la suite : « Je marchais dans linnocence de mon coeur, au milieu de ma maison ». Cette voie pure commence par linnocence, et arrive encore au terme par linnocence. A quoi bon chercher tant de paroles? Sois pur, et toute justice est accomplie. Mais en quoi consiste linnocence? Un homme peut nuire en deux manières à un autre homme, ou en, le rendant misérable, autant quil est en lui, ou en labandonnant dans la misère; car tu ne veux point quun autre te plonge dans la misère, ni quil tabandonne, si tu es misérable. Quel est celui qui fait la misère des autres ? Celui qui use de violences ou
1. II Tim. IV, 8. 2. Gal, III, 8,16, 29 ; Gen. XII, 3. 3. Ps. C, 2.
dembûches, qui ravit le bien dautrui, qui opprime les pauvres, qui se livre au vol, qui recherche ladultère, qui calomnie, qui fait gémir les autres, pour le bonheur de nuire, Quel est celui qui abandonne les misérables? Cest celui qui voit un pauvre dénué de tout secours, et qui néglige de le soutenir comme il le pourrait, qui le dédaigne, qui lui ferme son coeur. Quand même on serait homme à navoir jamais besoin de miséricorde, il y aurait encore de lorgueil, dans labandon dun misérable : mais lorsquon est dans la tribulation de la chair, quon ne sait ce qui peut arriver demain, et quon méprise les larmes dun malheureux, on nest plus innocent. Mais alors qui est innocent? Celui qui ne nuit point aux autres ni à lui-même. Car se nuire à soi-même, ce nest plus être innocent, Je nai rien dérobé à personne, me dira quelquun, ni fait violence à personne; cest avec mon bien, avec le juste fruit de mon travail que je prends mes ébats, que je veux avoir une table bien servie, dépenser autant quil me plaira et boire avec mes amis, autant quil me plaira; à qui ai-je fait tort? A qui ai-je fait violence ? Qui se plaint de moi ? Il paraît innocent. Mais sil se pervertit, sil détruit en lui-même le temple de Dieu, comment espérer quil sera miséricordieux pour les autres, quil prendra en pitié les malheureux? Pourrait-il avoir de la pitié pour les autres, quand il est si cruel envers lui-même? Toute la justice se résume ainsi dans ce mot dinnocence. « Aimer liniquité, cest haïr son âme 1». Lorsquil aimait liniquité, il croyait nuire aux autres; mais vois sil nuisait aux autres. « Aimer liniquité», dit le Psalmiste, « cest haïr son âme ». Cest donc à lui-même quon nuit tout dabord, quand on veut nuire aux autres : on ne se met point au large, lespace manque : toute malice est toujours à létroit; il ny a que linnocence pour être au large et se promener à laise. « Je me promenais dans linnocence de mon coeur, au milieu de ma maison». Par ce milieu de la maison, il entend ou lEglise elle-même dans laquelle se promène le Christ, ou notre coeur qui est une maison intérieure ; alors, au milieu de ma maison, serait une répétition de ce quil a dit plus haut: « Dans linnocence de mon coeur». Quiconque tient cette maison en mauvais état,
1. Ps. X, 6.
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en est chassé; quiconque en effet est harcelé par une mauvaise conscience, ressemble à un homme qui demeure sous un toit doù leau tombe de toutes parts, ou qui sort pour éviter la fumée, qui ne saurait demeurer chez lui tel est lhomme dont le coeur nest point tranquille, et qui ne saurait y habiter à laise. La distraction de leur esprit jette ces hommes au dehors deux-mêmes, et leur fait chercher le plaisir dans les choses corporelles, demander le calme aux bagatelles, aux spectacles, à la luxure, à toutes sortes de crimes. Pourquoi chercher leurs délices au dehors, sinon en ce quils ne peuvent à 1intérieur goûter la paix de la conscience? Aussi le Seigneur, après avoir guéri le paralytique, lui dit-il: « Enlevez votre grabat et allez en votre maison 1 ». Voilà ce que doit faire une âme qui est comme amollie par la paralysie quelle se raffermisse dans les bonnes oeuvres de ses membres, quelle fasse le bien, quelle emporte son grabat, quelle soumette le corps; puis, quelle aille dans sa maison ou sa conscience, et quelle la trouve assez large pour sy promener, y chanter, y avoir lintelligence. 5. « Je ne mettais sous mes yeux rien dinjuste 2».Quest-ce à dire que « Je ne mettais sous mes yeux aucune injustice? » Je ny attachais point mon coeur, car, vous le savez, on dit dun homme qui en aime un autre quil la sous les yeux, Et un homme que lon méprise se plaint en disant : Je ne suis rien à ses yeux. Ainsi donc, avoir une chose sous ses yeux, cest laimer; quest-ce que ne pas laimer? Ne pas y être de coeur. Le Prophète nous dit donc: « Je ne mettais sous mes yeux rien dinjuste » : je ne mattachais pas au mal; et il nous dit ce quest le mal : « Je haïssais quiconque violait la loi ». Ecoutez bien, mes frères, si vous marchez avec le Christ au milieu de sa maison, cest-à-dire si vous goûtez dans votre coeur un saint repos, ou si dans lEglise vous prenez le bon chemin qua suivi votre chef, vous ne devez pas seulement haïr les prévaricateurs que vous rencontrez au dehors, mais encore tous ceux de lintérieur. Quels sont les prévaricateurs? Ceux qui haïssent la loi de Dieu; ceux qui lentendent sans la pratiquer, voilà les prévaricateurs. Poursuis de ta haine les prévaricateurs, écarte-les de toi. Mais cest le prévaricateur,
1. Matth, IX, 6. 2. Ps. C, 2.
et non lhomme, que tu dois haïr. Le même homme qui devient prévaricateur a deux dénominations; il est homme, puis prévaricateur : aime alors ce que Dieu a fait en lui, mais poursuis ce quil a fait lui-même. Poursuivre la prévarication, cest tuer ce qua fait lhomme, pour délivrer ce qua fait Dieu. « Jai haï ceux qui commettent le péché ». 6. « Le coeur méchant na pas eu daccès auprès de moi 1». Quest-ce à dire un coeur méchant? Un coeur tortueux. Quest-ce que le coeur tortueux? Le coeur qui nest pas droit. Quand est-ce que le coeur nest pas droit? Vois dabord ce quest le coeur droit, tu sauras ce que peut être un coeur qui ne lest pas. On appelle droit le coeur dun homme qui ne repousse rien de ce que Dieu veut. Redoublez dattention. Un homme demande à Dieu que je ne sais quoi ne lui arrive point, mais sa prière ne la point détourné. Quil redouble ses prières de tout son pouvoir; ce quil veut éviter lui arrive contre sa volonté: quil se soumette alors à la volonté de Dieu, et ne résiste point à cette volonté si grande. Cest ce que nous apprend lexemple du Sauveur lui-même, qui veut personnifier eu lui notre infirmité, et quai sécrie, au moment de souffrir: « Mon âme est triste jusquà la mort 2». Et pourtant il ne craignait pas la mort, lui qui avait le pouvoir de donner sa vie, et aussi le pouvoir de la reprendre 3. Et Paul, ce soldat et serviteur du Christ, sécrie : « Jai combattu un bon combat, jai gardé ma foi, jai achevé ma course; il ne me reste quà attendre la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est juste juge 4». Il tressaille parce quil va mourir ; et son Seigneur, son chef est triste devant la mort! Le serviteur vaut donc mieux que le chef? Alors que devient cette parole du divin Maître : « Il doit suffire au serviteur dêtre comme son Seigneur, et au disciple dêtre comme son maître 5?, Voilà que Paul est brave en face de la mort, et que le Seigneur est triste. « Je désirais », dit-il, « ma dissolution, afin dêtre avec le Christ 6». Paul est dans la joie en face de la dissolution, afin dêtre avec le Christ, et le Christ sera dans la tristesse, lui avec qui Paul se réjouit dêtre un jour? Quest-ce que cette parole, sinon Le cri de notre infirmité? Beaucoup dhommes faibles sont encore attristés
1. Ps. C, 4. 2. Matth. XXVI, 38. 3. Jean, X, 18. 4. II Tim. IV, 7. 5. Matth. X, 25. 6. Philipp. I, 23.
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en face de la mort; mais quils aient le coeur droit, quils évitent la mort autant quils le pourront; et sils ne le peuvent, quils disent ce que le Seigneur a dit, non pour lui, mais pour nous. Qua-t-il dit? « Mon Père, sil est «possible, que ce calice séloigne de moi». Telle est bien lexpression de la volonté humaine: vois que déjà le coeur est droit: « Néanmoins, ô mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne 1 ». Si donc le coeur droit suit le Seigneur, le coeur dépravé lui résiste. Quil lui arrive quelque chose de fâcheux, et il sécrie : O Dieu, que vous ai-je fait? Quel est mon crime? Quelle faute ai-je commise? Il veut être juste, et que Dieu soit injuste. Quel manque de droiture! Cest peu dêtre tortueux, on veut encore que la règle soit faussée. Corrige-toi dabord, et alors te paraîtra droit celui dont tu tes éloigné. Ses actes sont justes, les tiens injustes; et tu es dépravé, parce que tu donnes le nom de juste à lhomme, à Dieu celui dinjuste. Quel homme appelles-tu juste? Toi-même. Dire en effet : Que vous ai-je fait? cest te croire juste. Mais que Dieu te réponde : li est vrai que tu ne mas rien fait, tu as toujours agi pour toi. Car en agissant pour moi, tu eusses fait le bien. Tout le bien que lon fait, cest pour moi quon le fait, puisque cest pour obéir à mon précepte. Tout le mal que tu commets, tu le fais pour toi, et non pour moi; car le méchant, dans ce quil fait, nagit que pour lui, puisque je ne lui commande Point ces actes. Mes frères, quand vous rencontrerez ces hommes, avertissez-les, reprenez-les, corrigez-les: et si vous ne pouvez les reprendre ou les corriger, ne vous attachez point à eux, afin de pouvoir dire: « Le coeur pervers na eu nul accès auprès de moi ». 7. « Comme le méchant séloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Quest-ce à dire: « Je ne le connaissais pas? » Je ne lapprouvais point, ne lapplaudissais point, il me déplaisait, Nous voyons, en effet, que lEcriture domine souvent au mot connaître, le sens de plaire. Que peut-on cacher à Dieu , mes frères? Verra-t-il donc les justes sans voir les injustes? Quelle est ta pensée quil ne connaisse point? Je ne dis pas quel acte, mais quelle pensée peux-tu lui dérober? Je ne dis pas seulement quelle pensée actuelle, mais quelle pensée à venir na-t-il pas vue avant
1. Matth. XXVI, 38, 39.
toi? Dieu connaît donc tout, et néanmoins, à la fin, cest-à-dire au jour du jugement, qui suivra sa miséricorde, il dit de quelques-uns: « En ce jour, beaucoup viendront, et diront: Seigneur, Seigneur, navons-nous pas chassé les démons en votre nom, fait beaucoup de prodiges en votre nom, mangé et bu en votre nom? et je leur dirai: Retirez-vous de moi, artisans diniquité, je ne vous connais point 1 ». Y a-t-il donc quelquun que Dieu ne connaisse pas? Mais que signifie: « Je ne vous connais pas? » Je ne vous trouve point conformes à ma règle. Car je connais la règle de ma justice, et vous ny êtes point conformes, vous vous en êtes écartés, vous êtes tortueux. Cest en ce sens quil est dit ici: « Je ne connaissais point. Comme le méchant séloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Quest-ce à dire : « Je ne le connaissais pas? » Serait-ce parce quun méchant, rencontrant un juste dans tin chemin étroit, se dit cette parole de Salomon au livre de la Sagesse : « Il mest odieux , même de le voir 2 » ; et qualors il se détourne du chemin pour ne point le voir? Mais combien de méchants voyons-nous, et combien nous voient, qui loin de se détourner de nous, accourent au contraire auprès de nous, et voudraient faire de nous les complices de leurs iniquités? Nous le voyons souvent. Comment donc se détournent-ils? Quiconque nest pas semblable à toi, séloigne de toi. Quest-ce à dire quil séloigne? Quil ne te suit pas. Quest-ce à dire, quil ne te suit pas? Quil nimite pas tes exemples. Donc, « comme le méchant séloignait de moi », cest-à-dire comme le méchant ne me ressemblait point, ne voulait point marcher sur mes traces, ni suivre lexemple que je lui donnais; «je ne le connaissais point ». Quest-ce à dire: « Je ne le connaissais point? » non pas que je le méconnaissais, mais que je ne lapprouvais point. 8. « Celui qui parle en secret contre son prochain, je le poursuivais 3». Cest là une salutaire persécution, non contre lhomme, mais contre le péché. « Je ne masseyais à table, ni avec lhomme à loeil superbe, ni avec lhomme dun coeur insatiable ». Quest-ce à dire : « Je ne masseyais point à leur table? » Que votre charité fasse attention; nous entendrons quelque chose dadmirable.
1. Matth. VII, 22, 23 2. Sag. II, 15. 3. Ps. C, 5.
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Sil ne sasseyait pas à table avec eux, il ne mangeait point; sasseoir à table, cest manger; pourquoi donc voyons-nous que le Seigneur a mangé avec les orgueilleux? Non point avec ces publicains et avec ces pécheurs, car ils étaient humbles, ils connaissaient leur maladie et cherchaient un médecin; mais cest avec les orgueilleux pharisiens que nous lisons quil mangea. Un de ces orgueilleux lavait invité; cest à lui que déplut cette femme pécheresse, fameuse dans sa ville natale, et qui vint se jeter aux pieds du Sauveur; cest à ce pharisien qui disait en son coeur (et la pureté des pharisiens allait jusquà ne point se laisser toucher par des hommes impurs; pour peu que les touchât un homme impur, ils étaient saisis dhorreur, et craignaient de devenir impurs par lattouchement dun homme impur) : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme vient à ses pieds 1». Comment savait-il que Jésus ne connaissait point cette lemme? Cest quil le soupçonnait parce quil ne la repoussait point? Lui, Simon, leût repoussée bien loin. Or, le Seigneur, non-seulement connaissait cette femme, mais il voyait encore les blessures incurables faites à lorgueil de Simon. A la vue de ses pensées, et pour lui montrer son propre orgueil : « Simon », lui dit-il, « jai quelque chose à te dire: un créancier avait deux débiteurs, dont lun lui devait cinquante deniers, et lautre cinq cents : comme ils ne pouvaient sacquitter, il leur remit leur dette à tous deux : qui des deux laima le plus? » Et celui-ci prononça contre lui-même cette sentence que la vérité lui arrachait : « Je crois, Seigneur, que cest celui à qui il a le plus remis. Alors se tournant vers la pécheresse : Vois-tu cette femme, dit-il à Simon? Je suis entré dans ta maison, et tu ne mas point donné deau pour laver mes pieds; mais celle-ci ma lavé les pieds avec ses larmes 2 », et le reste que vous savez. il nest pas nécessaire de nous arrêter plus longtemps sur les détails de ce passage que nous citons. Ce pharisien donc était orgueilleux, et le Seigneur mangeait avec lui; pourquoi David nous dit-il : « Je ne prenais mes repas ni avec lhomme au regard orgueilleux, ni avec lhomme au coeur insatiable? » Quest-ce à dire : « Je ne prenais point
1. Luc, VII, 39. 2. Id. 36-44.
mes repas? » Je ne mangeais pas avec lui. Comment nous propose-t-il ce quil ne fait point? Il nous engage à limiter: or, nous le voyons dans un festin avec les orgueilleux, comment nous défendra-t-il de manger avec eux? Pour nous, mes frères, nous nous séparons quelquefois de nos frères, nous nous abstenons de manger avec eux, afin quils se corrigent. Nous acceptons plus volontiers avec les étrangers, avec les païens, quavec ceux de nos proches que nous voyons plongés dans une vie de désordres, afin quils en rougissent et sen corrigent ; ainsi que la dit lApôtre : « Si quelquun nobéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le, et nayez point de commerce avec lui, ne le regardez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère 1 ». Cest ce que nous faisons souvent avec nos frères pour les guérir; et pourtant nous mangeons souvent avec des étrangers et avec des impies. 9. Que signifie cette parole: « Je ne prenais point mes repas avec lhomme au regard orgueilleux, au coeur insatiable ? » Un coeur pieux a sa nourriture, et un coeur orgueilleux sa nourriture aussi. Cest en vue de cette nourriture du coeur superbe, que le Prophète a dit : « Lhomme au coeur insatiable ». Quelle est la nourriture du coeur superbe? Sil y a orgueil, il y a envie, il nen peut être autrement. Lorgueil est père de lenvie, il ne peut engendrer que lenvie, et quêtre toujours avec elle. Tout orgueilleux est envieux, et il se repaît du mal dautrui. De là cette parole de lApôtre : « Si vous vous déchirez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous détruire mutuellement 2 ». Voyez donc de quoi ils se nourrissent, et ne mangez point avec eux, fuyez un tel festin. Mais la joie du mal dautrui ne les rassasie point, car ils sont insatiables. Garde-toi de tomber de leurs festins dans les filets de Satan. Tel était le festin des Juifs quand ils crucifièrent le Seigneur, ils se repaissaient en quelque sorte ries souffrances du Sauveur; ce qui est bien différent de nous qui nous repaissons de sa croix, parce que nous mangeons sa chair. Ils lui disaient, en le voyant suspend à la croix et en lui insultant, car leur coeur était insatiable, ils disaient donc : « Sil est le Fils de Dieu, quil
1. II Thess. III, 11, 15. 2. Gal. V, 15.
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descende de la croix; il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même 1». Ils se repaissaient de leur cruauté, et pour lui, sa nourriture était sa miséricorde. « Mon Père », dit-il, « pardonnez-leur, parce quils ne savent ce quils font 2 ». Ils avaient donc leur nourriture, et lui sa nourriture. Mais écoutez ce qui est dit de la table des orgueilleux: « Que leur table soit pour eux un piège, une vengeance, un scandale 3 ». Ils sen sont repus et ont été pris; de même que les oiseaux se font prendre en mangeant lappât du piège, et les poissons en mordant à lhameçon Les impies ont donc leurs festins, et les hommes pieux leurs festins. Ecoutez,voici le festin des bons : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 4 ». Si donc lhomme pieux se rassasie de justice et limpie dorgueil; il nest pas étonnant que celui-ci ait le coeur insatiable, car il a pour nourriture liniquité; loin de toi ce pain de liniquité; et lhomme à loeil superbe, au coeur insatiable ne mangera point avec toi. 10. Mais toi, ô Prophète, où était ta nourriture? A quelle table te plaisais-tu, quand limpie ne mangeait pas avec toi ? « Mes yeux », répond-il, «étaient sur les fidèles de la terre, afin quils soient établis avec moi 5 ». Le Seigneur nous dit: «Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin quils demeurent avec moi » : cest-à-dire quils y soient assis. Comment être assis ? « Vous serez assis sur douze trônes, pour juger les douze tribus dIsraël 6 ». Les fidèles de la terre seront donc juges, et cest à eux que saint Paul a dit: «Ne savez-vous point que nous jugerons les anges 7? Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin quils soient établis avec moi. Celui qui marchait dans la soie pure, était celui qui me servait ». « Moi», et non pas lui. Beaucoup en effet sont ministres de lEvangile, mais ministres pour eux, cherchant leurs intérêts et non ceux du Christ 8. Quest-ce que servir le Christ? Chercher ce qui est des intérêts de Jésus-Christ. Or, que les méchants annoncent lEvangile, ils sauvent 1es autres, en se perdant eux-mêmes. Car il est écrit : « Faites ce quils vous disent, mais ne faites pas ce quils font 9». Tu nas donc rien à craindre quand
1. Matth. XXVII, 40, 42. 2. Luc, XXIII, 34. 3. Ps. LXVIII, 23. 4. Matth. V, 6 5. Ps. C, 6. 6. Matth. XIX, 28. 7. I Cor. VI, 3. 8. Philipp. II , 21, 9. Matth. XXXI, 3.
cest un méchant qui tannonce lEvangile. Malheur à celui qui se sert lui-même, cest-à-dire qui cherche ses intérêts : toi, cherche ceux du Christ. « Celui qui marchait dans la voie droite, celui-là me servait ». 11. « Celui qui se comporte avec orgueil, nhabitera point lintérieur de ma maison ». Reportez-vous à la maison indiquée plus haut, cest-à-dire au coeur. Nul homme aux acres orgueilleux nhabitait dans mon coeur, nul homme semblable ny demeurait, il en sortait à linstant. Nul ne demeure dans mon coeur, sil nest doux et paisible : lorgueilleux ny habitait point, car linjuste nhabite point le coeur du juste. Quun homme juste soit séparé de toi par des distances en des contrées; vous habitez ensemble, si vous avez un même coeur. « Lhomme qui se comporte avec orgueil na point habité dans mon coeur, lhomme aux paroles diniquité, ne marchera point dun pas ferme en ma présence ». Telle est la voie sans tache, qui nous donne lintelligence, quand le Seigneur vient à nous. 12. « Dès le matin jexterminais tous les pécheurs de la terre 2 ». Ce passage est obscur; écoutons bien, je vous prie, le psaume touche à sa fin. « Au matin jexterminais tous les pécheurs de la terre ». Pourquoi? « Afin de bannir de la cité du Seigneur tous ceux qui commettent liniquité ». Il en est donc dans la cité du Seigneur qui commettent liniquité, et ils sont épargnés aujourdhui. Pourquoi? Parce que nous sommes dans le temps de la miséricorde, et quaprès viendra celui du jugement. «Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Il nous a dit plus haut que les bons seuls sattachent à lui, quil ne sest pas attaché aux méchants, quil ne se plaît point dans le festin diniquité de ces hommes qui ne servent queux-mêmes, et non le Seigneur, cest-à-dire qui cherchent leurs propres intérêts. Et comme si nous lui demandions : Pourquoi donc avoir toléré si longtemps ces hommes dans votre cité ? Cétait le temps de la miséricorde, nous dit-il. Mais quest-ce que le temps de la miséricorde? Cest-à-dire que le jugement nest pas encore dévoilé: cest la nuit, viendra le jour, et le jugement apparaîtra. Ecoute lApôtre: « Gardez-vous de juger quelquun avant le
1. Ps. C, 7. 2. Id. 8.
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temps ». Quest-ce à dire « avant le temps? » Avant le jour. Vois quil sagit ici du jour : « Jusquà ce que vienne le Seigneur, qui doit éclairer les secrets des ténèbres, manifester les pensées des coeurs, et alors chacun recevra sa louange de Dieu 1». Maintenant en effet que vous ne voyez point mon coeur et que je ne vois point le vôtre, cest la nuit. Tu demandes à un homme je ne sais quoi quil te refuse, et tu te crois méprisé; or, peut-être nes-tu pas méprisé. Car tu ne vois point le mur, et à linstant tu murmures, il faut te pardonner comme à un homme qui erre pendant la nuit. Tu es aimé dun homme, et tu crois quil te hait; ou bien il te hait quand tu crois en être aimé : lune et lautre erreur est leffet de la nuit. Sois donc sans crainte, mets ta confiance dans le Christ, et tu auras la lumière en lui : nappréhende aucun mal de sa part, car nous sommes en sûreté, ayant la certitude quon ne peut le tromper et quil nous aime. Mais nous navons point cette certitude à légard de nous-mêmes. Dieu connaît notre amour mutuel, mais nous, bien que nous nous aimions, qui connaît notre intention alors ? Pourquoi le coeur se dérobe-t-il à tous? Parce que nous sommes dans la nuit. Or, dans cette nuit les tentations abondent. Cest de cette nuit que le psaume a dit: « Vous avez amené les ténèbres, et voilà la nuit; alors les bêtes de la forêt glissent dans lombre : les lionceaux rugissent après leur proie, et demandent à Dieu leur pâture 2 ». Cest pendant la nuit que les lionceaux cherchent la nourriture. Quels mont ces lionceaux? Les princes et les puissances de lair, le démon et ses anges 3. Comment cherchent-ils leur nourriture ? En nous suggérant la tentation. Mais comme ils ne peuvent nous approcher si Dieu ne leur en donne le pouvoir, le Psalmiste ajoute qu « ils demandent leur proie au Seigneur ». Le démon demande de tenter Job. Quelle était cette proie? Une proie riche, opulente, le juste de Dieu, à qui le Seigneur lui-même avait rendu témoignage en lappelant « homme irréprochable, et véritable serviteur de Dieu ». Demander de le tenter, cétait demander à Dieu sa proie, et il reçut le pouvoir, non de laccabler, mais de le tenter 4; de le purifier, non de le perdre. Néanmoins il arrive que dautres sont livrés au tentateur pour lavoir
1. I Cor. XV, 5. 2. Ps. CIII, 20,21. 3. Ephés. II, 2. 4. Job, I, 8-12.
mérité, parce quils se sont livrés eux-mêmes à leurs concupiscences. Le diable en effet ne nuit à personne sil nen a reçu de Dieu le pouvoir. Mais quand ? pendant la nuit. Quest-ce à dire pendant la nuit? En cette vie. Mais quand à la nuit succédera le jour, les méchants seront précipités avec le diable dans le feu éternel, et les justes auront une vie sans fin 1. Là plus de tentateur, parce quil ny aura plus de lionceaux, la nuit sera passée. Aussi le Seigneur dit-il à ses disciples: « Cette nuit Satan a demandé de vous cribler comme le froment; mais, Pierre, jai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne pas à faiblir 2». Quest-ce à dire, « vous cribler à comme le froment ?» De même que lhomme ne mange le froment quaprès lavoir brisé pour en faire du pain, de même nul ne devient en quelque sorte la proie de Satan, quaprès avoir été brisé sous la meule de laffliction. Il nous brise donc pour nous manger; mais toi, si dans laffliction tu demeures un véritable grain, tu ne seras point broyé, et il ne tarrivera aucun mal. Quand les boeufs foulent le grain, nont-ils daction que sur le grain seulement? Ne les chasse-t-on point sur la paille dans la grange ? Mais est-ce le froment qui doit craindre? Nullement. La paille seule est brisée, le froment est dépouillé du superflu, et alors viendra le van, qui fera du froment une masse pure. Le grain que lon trouve alors est mis en réserve dans les greniers, et le monceau de paille jeté au feu inextinguible 3. 13. A quoi bon ce langage? Parce que nous espérons voir le jour, Ce jour pour nous doit être dans le Christ, et pendant que nous sommes daims la tentation, cest la nuit. Pendant la nuit, Dieu épargne les pécheurs, et ne les extermine point; il leur inflige des épreuves douloureuses, afin de les corriger, il les tolère dans sa cité. Mais croyons-nous quil les souffrira toujours? Si Dieu usait toujours de miséricorde, il ny aurait point de jugement. Mais si le psaume a dit vrai « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement »; il népargne aujourdhui que pour juger plus tard. Or, quand jugera-t-il? Quand la nuit sera passée. De là cette parole : « Au matin jexterminais tous les pécheurs de la terre ». Quest-ce à dire, «au matin? » Au point du jour, quand la
1. Matth. XXV, 46. 2. Luc, XXII, 31, 32. 3. Matth. III, 2.
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nuit sera passée. « Au matin jexterminais tous les pécheurs de la terre » : pourquoi les avoir épargnés jusquau matin ? Parce que cétait la nuit. Quest-ce à dire, cétait la nuit? Cétait le moment de lindulgence; car Dieu pardonnait, quand le coeur des hommes était dans les ténèbres. Tu vois un homme vivant dans le désordre; tu as pour lui de la tolérance; comme il est dans la nuit, tu ne sais ce quil deviendra, si vivant aujourdhui dans le désordre, il ne sera pas demain plus régulier; et si lhomme régulier daujourdhui ne sera pas demain lhomme du désordre. Nous sommes dans la nuit, et Dieu tolère les pécheurs dans sa longanimité. Il les tolère afin quils se retournent vers lui. Mais ceux qui ne se convertiront point ici-bas seront exterminés. Pourquoi exterminés? Afin quils soient bannis de la cité de Dieu, de la société de Jérusalem, de la société des saints, de la société de lEglise. Quand seront-ils exterminés? « Au matin ». Quest-ce à dire « au matin? » Quand la nuit sera passée. Pourquoi les épargner aujourdhui ? Parce que cest le temps de la miséricorde. Pourquoi népargner pas toujours? Parce que « je chanterai, Seigneur, votre miséricorde, et ensuite votre jugement ». Mes frères, que nul ne se fasse illusion. Tous ceux qui commettent liniquité seront exterminés : le Christ les exterminera au matin, et les bannira de sa cité. Mais aujourdhui que nous sommes dans le temps de la miséricorde, que les pécheurs lécoutent. Partout il nous prêche, et dans sa loi, et dans les Prophètes, et dans les psaumes, et dans les Epîtres et dans lEvangile. Reconnaissez quil ne se tait point, quil épargne, quil use même de miséricorde; mais veillez sur vous, car voici le jugement.
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