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DISCOURS SUR LE PSAUME XCIX.SERMON AU PEUPLE.LA JUBILATION DANS LÉGLISE.
Que la terre entière soit dans la jubilation et confesse le Seigneur. Cette jubilation est lexpression inarticulée dune joie excessive, à la vue des grandeurs de la création; mais le coeur pur comprend seul ces grandeurs, le coeur impur ne désire même pas la lumière ; pour voir il faut Sapprocher, et lon sapproche de Dieu par la ressemblance avec lui. Tout est également présent pour lhomme qui voit et pour laveugle, mais le résultat est bien différent. Approcher de Dieu, cest te voir autant quil est possible en cette vie mortelle, cest a source de la jubilation. Le joug du Seigneur est doux, et nous devons le servir par amour, afin dêtre ainsi esclaves et libres. Servons le avec allégresse, mais ici-bas la jubilation nest pas entière, nous sommes daims la tribulation, comme le lis au milieu des épines. Le chrétien doit-il donc se séparer des méchants pour vivre dans la solitude ? Mais dabord ses exemples de vertu seront perdus, et puis la solitude a ses tentations, ses faux frères, ses combats, et notre paix ici-bas nest que dans la foi aux promesses divises Ce qui nous trompe, cest que nos voyons uniquement ou les avantages ou les inconvénients dun genre de vie; on loue lEglise sans dire quelle renferme aussi des méchants ; on blâme les mauvais chrétiens salis faire attention aux bons. Il en est de même des clercs, de même des solitaires. Le Seigneur a donc raison de nous dire, que deux travailleront dans le champ du Seigneur, et que le bon seul sera admis, de même des deux à la meule, ou qui travaillent en apparence à leur salut. Sachons donc nous soumettre à Dieu, confessons nos fautes avant dentrer dans ce bercail, où se continuera notre confession, mais confession de louanges en lhonneur de Dieu.
1. Vous avez, mes frères, entendu le psaume quand on la chanté; il est court et na rien dobscur : je vous donne cette garantie, afin que vous nayez pas à craindre la fatigue. Appliquons néanmoins notre attention, et dautant plus volontiers que nous en avons plus le temps, à pénétrer le sens de ces paroles déjà si claires, afin den trouver la signification spirituelle autant que nous le pourrons. Quel que soit lorgane que prenne la voix de Dieu, cest toujours la voix de Dieu; il ny a que sa parole qui plaise à ses oreilles ; et quand nous parlons, nous ne lui plaisons quà la condition quil parlera lui-même par notre bouche. 2. « Psaume pour la confession » : telle est linscription, tel est son titre: « Psaume pour la confession 1 ». Il contient peu de paroles, mais qui sont pleines dun grand sens; puissent-elles jeter la bonne semence dans vos âmes, afin que lon prépare le grenier céleste pour la moisson du Seigneur. Poussons des cris de joie au Seigneur, cest là ce que veut ce psaume de la confession, cest à quoi il nous exhorte. Or, cette exhortation ne sadresse point à un coin de la terre, ni à quelque lieu séparé, ou à quelque réunion dhommes; mais comme Dieu sait quil a
1. Ps. XCLX, 1
répandu ses bénédictions sur toute la terre, il exige de toute la terre la jubilation. 3. « Vous tous, habitants de la terre, acclamez le Seigneur 1». Est-ce que la terre entière peut entendre ma voix ? Cependant la terre entière a entendu la voix du psaume. Déjà la terre entière acclame le Seigneur, et celle qui ne lacclame point encore, lacclamera bientôt. Car la bénédiction qui est partie de Jérusalem avec lEglise naissante, se répand dans toutes les nations 2, renverse partout limpiété pour établir la piété en tout lieu : les bons sont mélangés aux méchants, et comme les méchants sont par toute la terre, les bons aussi sont par toute la terre. Toute la terre murmure avec les méchants, comme toute la terre pousse avec les bons des cris de jubilation. Quest-ce que la jubilation? Car le titre de « psaume pour la confession », appelle notre attention sur cette expression du psaume. Quest-ce que jubiler dans la confession? Il est une autre parole du psaume ainsi conçue: « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation 3». Sans doute cest quelque chose de grand, puisquon est heureux de te comprendre. Que le Seigneur donc, que notre Dieu, qui donne aux hommes le bonheur, me donne de comprendre ce que je dois dire, et
1. Ps. XCIX, 2. 2. Luc, XXIV, 47. 3. Ps. LXXXVIII, 16.
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à vous de comprendre ce que vous entendrez: « Bienheureux le peuple qui comprend la jubilation ». Courons à cette félicité, comprenons la jubilation, ne la répandons point sans la comprendre. A quoi bon jubiler, et obéir aux invitations de ce psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur », si lon ne comprend la jubilation, si cette jubilation nest que dans notre voix et nota dans notre coeur? Car le son du coeur, cest lintelligence. 4. Vous savez ce que je vais dire. Jubiler, ce nest point parler, cest exhaler sans paroles un cri de joie : cest la voix dune âme dont la joie est au comble, qui exhale autant que possible ce quelle ressent, mais ne comprenant point ce quelle dit dans les transports de son allégresse, lhomme après des paroles indicibles et inintelligibles exhale sa joie en cris inarticulés : en sorte que lon comprend à la vérité sa joie dans ses cris, mais quil ne saurait exprimer en paroles cette joie excessive. Voilà ce que lon remarque dans ceux qui chantent même sans pudeur. Sans doute notre jubilation ne ressemble point à leur jubilation, puisque notre allégresse na pour bot que la justice, tandis quils ne jubilent que dans le crime : notre allégresse est dans la confession, la leur dans la confusion. Toutefois, afin de mieux comprendre mes paroles, et même de vous rappeler ce que vous savez, ceux qui jubilent sont principalement les ouvriers des champs. Labondance des récoltes met en joie les moisson fleurs, les vendangeurs, et tous ceux qui recueillent des fruits; cette fécondité, cette richesse de la terre leur donne des chants dallégresse; et dans ces chants, ils mêlent aux paroles des ions confus qui témoignent de leur joie, voilà ce quon appelle jubilation. Si quelquun ne comprend point mes paroles, parce quil ny a point fait attention, quil le remarque à lavenir; puisse-t-il cependant ne trouver personne à remarquer, de peur que Dieu ne trouve quelquun à renverser. Mais puisque les épines renaissent sans relâche, signalons, dans ceux qui exhalent une joie profane, la jubilation que Dieu réprouve, afin de lui offrir la jubilation quil couronne. 5. Quand est-ce que nous jubilons? Quand nous chantons ce qui est inexprimable. Nous dons les yeux sur la terre, les mers, les cieux, et tout ce quils renferment. Nous voyons que toutes les créatures ont leurs principes et leurs raisons, une force reproductive, un ordre de naissance, une manière de subsister, un dépérissement et une disparition, nous les voyons suivre sans aucune perturbation le cours des siècles, les astres couler en quelque sorte dOrient en Occident, marquer la suite des années, la longueur des mois, létendue des heures; et dans tout cela, je ne sais quoi dinvisible, que lon appelle âme ou esprit, qui est dans tous les êtres animés, qui cherche le bonheur et redoute la gêne, afin de conserver sa vitalité; des traits dans lhomme qui lui sont communs avec les anges de Dieu, et non avec les animaux, comme la vie, louïe, la vue et le reste. Ainsi il connaît Dieu, ce qui est le propre de lesprit, qui discerne le bien du mal, comme loeil discerne le blanc du noir. Que lâme, en considérant toutes ces créatures que nous avons pu nommer et parcourir, se demande: Qui a fait tout cela? Qui a créé toutes ces choses? Qui ta créée toi-même parmi elles? Que sont toutes ces choses que tu considères? Ques tu toi-même qui les considères? Qui a fait, et ces créatures à considérer, et lâme qui les considère? Quel est ce Créateur? Nomme-le : et pour le nommer, réfléchis. Ta pensée peut voir ce que ta parole ne saurait peut-être dire, mais jamais tu ne pourras dire ce que tu nauras pu penser. Pense donc à ce Créateur avant de le nommer, et pour penser à lui, il faut sen approcher. Quand tu veux bien voir, afin de pouvoir parler, tu tapproches pour mieux regarder, afin de nêtre point trompé par léloignement. Mais de même que les yeux dis corps perçoivent tous ces objets, de même cest lesprit qui voit Dieu, cest le coeur qui le considère et le contemple. Et quel doit être le coeur pour contempler Dieu? « Bienheureux », est-il dit, « ceux dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 1». Jentends, je crois, je comprends, comme je puis, que cest le coeur qui voit Dieu, et que Dieu ne se découvre quaux coeurs purs : mais jentends un autre passage de lEcriture : « Qui se glorifiera davoir un coeur chaste? Ou qui se glorifiera dêtre exempt de toute faute 2? » Jai considéré, autant que je lai pu, toutes les créatures; jai vu, dans le ciel et sur la terre, celles qui
1. Matth. V, 8. 2. Prov. XX, 9.
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ont un corps, et une créature spirituelle en moi qui parle, qui fait agir mes membres, entendre ma voix, mouvoir ma langue, qui prononce des paroles, qui en discerne le sens. Mais quand est-ce que je me comprends en moi-même? et doù pourrais-je comprendre ce qui est au-dessus de moi? Et toutefois lEcriture promet à lhomme quil verra Dieu, et lui indique la manière de purifier son coeur ; voici son conseil : Prépare-toi, de manière à voir Dieu que tu aimes, avant de le voir. Quand on parle de Dieu et de son saint nom, qui ne se réjouit dentendre, sinon limpie séparé de Dieu, rejeté au loin? « Ceux qui séloignent de vous périront », dit le Prophète ; et il ajoute: « Vous avez perdu ceux qui sont adultères loin de vous ». Mais à nous quarrivera-t-il? Car ceux-là sont loin de vous, et dès lors dans les ténèbres, et leurs yeux sont tellement obscurcis par les ténèbres, que non-seulement ils ne désirent point la lumière, mais quils en ont horreur; pour nous, qui ne sommes point éloignés, que nous est-il promis? « Approchez de lui et soyez dans la lumière 1 ». Mais pour approcher de lui et en recevoir la lumière, il faut que les ténèbres te déplaisent; condamne ce que tu es, afin de mériter dêtre ce que tu nes pas. Tu es injuste et tu dois être juste; tu narriveras jamais à la justice, si liniquité a de lattrait pour toi. Brise-la dans ton coeur, et purifie-toi; chasse-la de ton coeur où veut habiter Celui que tu veux voir. Voilà donc lâme qui sapproche de Dieu, lhomme intérieur restauré à limage de Dieu, parce quil avait été créé à limage de Dieu, et qui en était dautant plus éloigné, quil lui était devenu plus dissemblable. Car ce nest point par la distance des lieux quon sapproche de Dieu ou quon sen éloigne. Tu es loin de lui, quand tu es dissemblable à lui; tu es près de lui, si tu es à son image. Vois comment le Seigneur veut que nous approchions de Dieu, puisquil commence par nous rendre semblables à lui, afin que cette ressemblance nous rapproche. « Soyez », dit-il, « comme votre Père qui est dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes 3». Apprends à aimer un ennemi, si tu veux éviter un ennemi. A mesure que la charité grandit en toi, quelle te reforme, et
1. Ps. LXXII, 27. 2. Id. XXXIII, 6. 3. Matth. V, 45.
ravive en toi limage de Dieu, elle sétend à tes ennemis, afin que tu deviennes semblable à Celui qui fait luire son soleil, non-seulement sur les bons, mais aussi sur les méchants; et pleuvoir, non-seulement sur les justes, mais sur les justes et suries injustes. Plus la ressemblance est vive, et plus tu avances dans la charité, plus aussi tu commences à goûter Dieu. Et quel est celui que tu goûtes? Celui qui vient à toi, ou Celui à qui tu reviens? Car ce nest point lui qui sest éloigné de toi; sil est loin de toi, cest que tu téloignes de lui. Tout est également présent et aux aveugles, et à ceux qui voient; quun aveugle et quun voyant soient dans un même lieu, ils sont environnés des mêmes images: pour lun ces images sont présentes, mais absentes pour lautre : ainsi donc, voilà deux hommes en un même lieu, lun est présent, lautre absent; non que les objets se rapprochent de lun, séloignent de lautre, mais cela tient à la différence des yeux. On dit de lun quil est aveugle, parce quil est inutilement en présence des objets quil ne voit pas, puisquen lui est éteint lorgane qui nous met en rapport avec la lumière, qui donne une forme à tout; et même on peut dire quil est plus absent que présent: partout en effet où il na pas un sens, on dit avec raison quil est absent; car labsence nest quun défaut de sens. Cest ainsi que lon dit que Dieu est en tout lieu, tout entier partout. Sa sagesse atteint dune extrémité à lautre avec force, et dispose toutes choses avec douceur 1. Or, ce quest Dieu le Père, son Verbe, sa Sagesse lest aussi, lui qui est Dieu de Dieu, et lumière de lumière. Que veux-tu donc voir? Ce que tu veux voir nest pas loin de toi. LApôtre nous dit en effet quil est placé non loin de chacun de nous, puisque « nous avons en lui la vie, le mouvement et lêtre 2 ». Quelle misère donc dêtre loin de celui qui est partout! 6. Sois donc semblable à Dieu par la piété, laimant par la pensée : car les perfections invisibles de Dieu, sont devenues visibles par les oeuvres visibles quil a opérées 3. Envisage donc ces oeuvres, admire-les, cherches en lauteur. Si tu es dissemblable, il te repoussera; si tu lui es semblable, tu seras dans la joie. Or, dès que tu tapprocheras de Dieu par la ressemblance, et que tu sentiras
1. Sag. VIII, 1. 2. Act. XVII, 27, 28. 3. Rom. I, 20.
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Dieu, à mesure que grandira ta charité, comme « Dieu est charité 1», tu ressentiras quelque chose que tu disais sans le dire toutefois. Avant de le sentir, tu disais: Cest Dieu ; mais après lavoir goûté, tu comprends quil est impossible dexprimer tes sentiments. Or, après que tu auras compris ton impuissance à dire ce que tu sens, faudra-t-il te taire, ou chanter des louanges? Faudra-t-il donc taire la louange de Dieu, et ne point rendre grâces à celui qui a voulu se révéler à toi ? Tu le bénissais eu le cherchant, tairas-tu ta louange après lavoir trouvé ? Nullement, tu ne seras pas ingrat. A lui appartiennent et lhonneur, elle respect, et toutes les louanges. Vois ce que tu es, terre et cendre; vois celui qui a mérité de voir, et de voir quoi? Qui ? Quoi?Cest un homme qui voit Dieu. Je reconnais, non point le mérite chez lhomme, mais la miséricorde en Dieu. Bénis donc cette miséricorde. Comment la bénirai-je, me diras-tu? à peine puis-je exprimer le peu que je sens, en partie, en énigme, à travers un miroir 2. Ecoute le psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur ». Si ta joie est dans le Seigneur, tu comprends déjà la jubilation de la terre entière en lhonneur de Dieu. Que ta joie soit donc pour le Seigneur; et ne la divise point entre telles et telles créatures. Tout le reste se peut dire en quelque manière; celui-là seul est ineffable qui a dit, et tout a été fait. la dit, et nous avons été faits; mais nous ne pouvons le nommer 3. Le Verbe qui nous a dit dêtre, est son Fils ; et pour que nous puissions la nommer en quelque façon, nous si infirmes, lest devenu infirme. Au lieu de verbe, nous pouvons jeter un cri confus, mais nulle parole ne peut exprimer le Verbe. « O terre entière, jubilez au Seigneur». 7. « Servez le Seigneur dans lallégresse ». Toute servitude est pleine damertume; tous ceux qui sont sous le joug de la servitude, ne servent quavec murmure. Ne redoutez point le joug du Seigneur: il ny a là ni gémissement, ni murmure, ni indignation ; nul ne cherche à sen affranchir, on goûte le bonheur dêtre racheté. Il y n donc, nies frères, un grand bonheur dêtre dans cette maison, bien quil y ait des entraves. Ne redoute point ces entraves, heureux serviteur, mais confesse-toi mu Seigneur; nattribue ces entraves quà tes mérites; rends gloire à Dieu dans ces chaînes,
1. Jean, IV, 8. 2. I Cor. XIII, 12. 3. Ps. XXXII, 9.
si tu veux quelles soient pour loi un ornement. Ce nest pas en vain, ni sans avoir été exaucé, que le Prophète a dit: « Que les cris des captifs montent jusquà vous, ô mon Dieu 1. Servez le Seigneur dans lallégresse», Cest être libre que servir le Seigneur, cest être libre, puisquon le sert, non par contrainte, mais par amour. « Pour vous»,dit saint Paul, « vous êtes appelés à la liberté, mes frères: seulement que cette liberté ne soit point une occasion de vivre dans la chair; mais assujettissez-vous les uns aux autres par lesprit de charité 2» Que la charité te rende esclave, puisque tu es laffranchi de la vérité. « Si vous demeurez fermes dans ma parole », dit le Sauveur, « vous êtes véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira 3 ». Te voilà donc esclave, esclave et libre; esclave parce que tu as été créé; libre parce que tu es aimé de Dieu ton créateur: ou plutôt libre, parce que tu aimes celui qui ta créé. Ne le sers donc point avec murmure ; tes murmures ne te dispenseront point de le servir, seulement ils feront de toi un mauvais serviteur. Tu es le serviteur du Seigneur, laffranchi du Seigneur; ne désire point la liberté au point dêtre mis hors de la maison de Celui qui taffranchit. 8. « Servez le Seigneur avec allégresse ». Cette allégresse sera pleine et entière, quand notre corps corruptible sera revêtu dincorruptibilité, et que notre mortalité aura revêtu limmortalité 4 : cest alors que la joie sera pleine, lallégresse parfaite, la louange sans défaut, lamour sans scandale, la jouissance sans crainte, et la vie sans trépas. Mais ici-bas? Ny aura-t-il donc nulle joie? Sil ny a aucune joie, aucune jubilation, pourquoi dire: « Terre entière, soyez dans lallégresse, au nom du Seigneur? » Il est assurément une joie ici-bas; lespérance de la vie future nous rassasie par avance. Mais il faut que le bon grain souffre, mélangé à livraie : il est environné de paille 5; cest un lis au milieu des épines. Quest-il dit de lEglise? « Comme un lis au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles 6 ». Il nest pas dit, au milieu, des filles étrangères, mais «au milieu des filles ». Quelle consolation pour nous, ô mon Dieu! Comme vous nous fortifiez! Comme vous nous effrayez ! Que dites-vous en effet?
1. Ps. LXXVIII, 11. 2. Gal. V, 13. 3. Jean, VIII, 31, 32. 4. I Cor. XV, 54. 5. Matth. III, 12; XIII, 30. 6. Cant. II, 2.
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« Comme le lis est au milieu de quelques épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu de quelles filles ? » Quelles sont ces filles que vous appelez des épines ? Elles sont pour moi des épines à cause de leurs moeurs, et des filles a cause de mes sacrements. Plût à Dieu que lon neût à gémir que parmi les étrangers! on en gémirait moins. Mais combien est plus amer ce gémissement: « Si un ennemi meût outragé, je leusse supporté; si un homme irrité se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ». Ainsi dit le psaume; celui qui connaît les saintes lettres peut suivre; que celui qui les ignore, les apprenne et suive : « Si lhomme qui me haïssait eût répandu la malédiction sur moi, je me serais dérobé à lui; mais toi, qui nétais quun avec moi, toi, mon guide, mon ami, qui prenais avec moi la douce nourriture 1 ». Quelle douce nourriture prennent-ils donc avec nous, ceux qui ny doivent pas être éternellement ? Quelle douce nourriture, sinon : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 2? » Cest au milieu deux que nous devons gémir. 9. Mais comment le chrétien pourrait-il se séparer, pour ne pas vivre parmi les faux frères? Où ira-t-il? Que fera-t il? Dans la solitude? Les scandales ly suivront. Celui qui avance dans la vertu, doit-il se séparer de manière à ne plus supporter les hommes? Et quarriverait-il, si nul ne le supportait lui-même avant ses progrès? Si donc les progrès qu il fait lempêchent de supporter personne, par là même quil ne veut point souffrir les autres, il est convaincu de navoir fait aucun progrès. Que votre charité veuille bien écouter. «Supportez-vous mutuellement », dit lApôtre, « dans la charité, vous efforçant de conserver lunion des coeurs dans les liens de la paix 3». « Supportez-vous mutuellement » nas-tu donc rien quun autre doive supporter? Tu métonnerais, si tu navais rien; mais admettons quil ny ait rien en toi, tu es dautant plus fort pour supporter les autres, que les autres nont rien à supporter de ta part. Si tu ne fais rien supporter, supporte les autres. Je ne saurais, diras-tu. Donc tu as en toi quelque chose que lon doit supporter. « Supportez-vous mutuellement dans la charité ». Tu abandonnes le genre humain, tu te sépares afin que nul ne te voie; à qui seras-tu utile? En serais-tu arrivé là, si
1. Ps. LIV, 13-15. 2. Id. XXXIII, 8 3. Ephés. IV, 2, 3.
nul ne tavait aidé? Parce que tu crois avoir le pied assez agile pour passer le fleuve, vas-tu couper le pont? Cest vous tous que jexhorte, mes frères, cest la voix de Dieu qui vous exhorte: « Supportez-vous mutuellement dans la charité ». 10. Je me serai, dit un autre, je me séparerai avec quelques gens de bien, et jaurai la paix avec eux. Car il y a impiété, cruauté même à nêtre utile à personne. Telles ne sont point les leçons du Seigneur mon Dieu, qui condamne un serviteur, non pour avoir usé de largent quil avait reçu, mais pour nen avoir tiré aucun profit. Mesurons la peine du voleur à la peine du paresseux: « Serviteur méchant et paresseux », dit le maître en le condamnant. Il ne dit point: Tu as tourné à ton profit mon argent; il ne dit point: Je tai confié, et tu ne mas point remis le dépôt entier; mais parce que ce dépôt ne sest point accru, parce que tu ne las point mis à la banque, je punirai ton indolence 1. Le Seigneur en effet est avare de notre salut. Je me séparerai donc, dit cet homme, avec quelques hommes choisis : quai-je à faire avec la foule? Cest bien : mais ces quelques bons, de quelle foule ont-ils été tirés? Si toutefois ce petit. nombre est tout à fait bon, cest une pensée humaine, mais une pensée bonne et louable de vivre avec ceux qui ont choisi une vie paisible, de vous retirer loin du. bruit populaire, des fou les tumultueuses, et ne chercher comme dans un port un abri contre ces grands flots du monde. Mais est-ce bien là quon trouve cette joie pleine? Est-ce bien là cette jubilation quon se promettait? Pas encore; mais on y gémit encore, on y éprouve encore des tentations. Ce port a quelque part une entrée; puisque sil était fermé de toutes parts on ny pourrait pénétrer: il est donc ouvert quelque part; mais par cette ouverture le vent sengouffre quelquefois, et les vaisseaux qui ne craignent rien des rochers, se brisent les uns contre les autres. Où sera donc la sûreté, si elle nest dans le port? Et néanmoins on est plus heureux dans le port quen pleine mer, il faut lavouer, je laccorde, cest la vérité. Que ces vaisseaux dans le port saiment donc mutuellement, quils se tiennent unis étroitement, et ne se heurtent point : quils gardent légalité, luniformité, une charité constante; et quand par
1. Matth. XXV, 14-30.
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hasard le vent viendra sy engouffrer par louverture, que le gouvernail soit dirigé sagement. 11. Mais que me dira celui qui, dans ces lieux paisibles, est préposé à ses frères ou plutôt est leur serviteur, dans cet asile appelé monastère? Que me dira-t-il? Je me tiendrai sur mes gardes, je nadmettrai aucun méchant, Comment nadmettre aucun méchant? Je nadmettrai aucun homme dhumeur fâcheuse, aucun frère méchant qui voudrait y montrer; je me bornerai à quelques bons. Comment connaître celui que tu devras exclure ? On ne peut connaître sa méchanceté quaprès des épreuves dans le monastère. Or, comment exclure celui qui veut entrer, que tu dois éprouver ensuite, et que tu ne saurais éprouver sil nest entré? Repousseras-tu donc tous les méchants? car tu le promets, et tu as le coup doeil juste. Ils viennent tous à toi le coeur sur la main? Mais ceux qui veulent titrer ne se connaissent point, comment les connaîtrais-tu? Plusieurs avaient promis de mener cette vie sainte, qui met tout en commun, où nul ne revendique de propriété, où tous nont quun coeur et quune âme 1 ; une fois dans la fournaise, ces vases ont crevé. Comment connaître celui qui ne se connaît point lui-même? Excluras-tu les faux frères le la société des bons? Mais toi qui parles de la sorte, bannis de ton esprit, si tu le peux, toutes les pensées mauvaises; ne laisse entrer dans ton coeur aucune suggestion fâcheuse. Je ny consens point, dis-tu. Cette suggestion nest pas moins entrée, car nous voulons tous que nos coeurs soient sur leur garde, au point de ne laisser entrer aucune suggestion. Qui peut même savoir par où elle entrera? Chaque jour notre coeur seul nous livre des combats, et un seul homme trouve dans son coeur une foule dennemis. Suggestions de lavarice, suggestions de la luxure, suggestions de lintempérance, suggestions las joies du siècle, suggestions de toutes parts. Attaqué partout, il résiste partout, sabstient de tout; mais il est bien difficile de nêtre point blessé parfois. Où trouver la sécurité? nulle part en cette vie, sinon dans lespérance des promesses de Dieu. Cest dans laccomplissement de ces promesses que nous louerons la parfaite sécurité, alors que se fermeront les portes de la Jérusalem céleste,
1. Act. IV, 32, 35.
dont les serrures sont inébranlables 1; là notre jubilation sera pleine, et notre bonheur ineffable. Mais aujourdhui ne louez pas sans crainte une vie quelconque, ne chantez pas un homme avant sa mort 2. 12. Ce qui trompe les hommes, ce qui les détourne dune profession sainte, ou les y engage témérairement, cest que dans leurs louanges, quand ils veulent en donner, ils nexpriment point les inconvénients de certain genre de vie, et que dans leurs blâmes, ils font entrer la jalousie et le venin, au point de fermer les yeux sur ce quil y a de bien, et de se borner à exagérer le mal réel ou supposé quon y trouve. Il arrive de là que ces professions mal exposées, ou exposées sans précaution, attirent par ces applaudissements des hommes qui sétonnent dy rencontrer ensuite ceux quils étaient loin dy soupçonner: offusqués alors dy trouver des méchants, ils se séparent même des bons. Mes frères, que cette leçon vous serve à régler votre vie, écoutez pour vivre pieusement. Pour, parler en général, cest lEglise quon loue: les chrétiens, dit-on, sont de grands hommes, il ny a queux de grands. Vive lEglise catholique; tous ses membres saiment, se font tout le bien quils peuvent; dans toute la terre, ils sadonnent à la prière, au jeûne, à la louange de Dieu, et sunissent dans un concert de paix pour louer le Seigneur. Un homme qui entend ce langage, qui ne sait pas ce quon ne lui dit point, que les méchants y sont mêlés aux bons, vient à lEglise attiré par ces louanges; il y trouve des méchants dont la présence ne lui était pas signalée, et laversion que lui inspirent ces faix chrétiens, léloigne même des chrétiens véritables. Des hommes haineux, au contraire, des hommes envenimés se répandent en injures: Quelles gens que ces chrétiens ! Que sont-ils? des avares, des usuriers. Ne les voit-on pas aussi dans les jours de fêtes et de spectacles, remplir les théâtres et les amphithéâtres, puis aller dans leurs églises aux jours de fêtes? Ils sont ivrognes, gourmands, envieux, se déchirent mutuellement. Il y en a de semblables, il est vrai, mais ils ne sont pas les seuls. Ce censeur est aveugle et ne dit rien des bons, et ce panégyriste est imprévoyant et ne dit rien des méchants. Si lon veut chanter maintenant lEglise de Dieu comme la chantent les saintes
1. Ps. CXLVII, 13. 2. Eccli. XI, 30.
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Ecritures, voici comme il faut dire: « Ma bien-aimée est au milieu des filles,comme le lis au milieu des épines 1». Un homme nous entend, il considère, le lis lui plaît, il entre, il sattache au lis, et tolère les épines : il mérite ainsi léloge et fixe les regards de lépoux, qui dit: « Ma bien-aimée est au milieu des filles, comme le lis est au milieu des épines ». Ainsi en est-il des clercs. Leurs panégyristes considèrent parmi eux les ministres excellents, les fidèles dispensateurs, ceux qui supportent tout le monde, qui donneraient jusquà leurs entrailles pour ceux dont ils souhaitent les progrès, qui ne cherchent pas leurs propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ 2. Voilà ce quon loue, et lon oublie que les méchants y sont mélangés. De même ceux qui blâment lavarice des clercs, la rapacité des clercs, les procès des clercs, les représentent comme avides du bien dautrui, comme des ivrognes, des gourmands. Cest là blâmer avec jalousie, cest louer étourdiment. Toi qui loues, dis quil y a là des méchants; et toi qui blâmes, regarde les bons. Ainsi en est-il de cette vie commune que des frères mènent dans les monastères. Ce sont là des hommes admirables, des hommes saints, qui sont chaque jour dans les hymnes, dans la prière, dans la louange de Dieu, qui en vivent et qui soccupent de saintes lectures; le travail des mains pourvoit à leur subsistance ; ils vivent sans avarice, ne demandent rien, et tout ce quils reçoivent de là piété de leurs frères, ils en usent avec charité, et selon leur besoin; nul ne sarroge une chose quun autre nait pas; ils saiment tous, et se supportent mutuellement. Mais tu as loué cette vie, tu las louée ; et celui qui nen connaît point lintérieur, qui ne sait point que le vent pénètre parfois dans le port, et que les vaisseaux sentrechoquent, entre dans ces maisons, espérant y trouver le calme, et navoir plus personne à supporter; il y trouve de faux frères, dont on ne pouvait connaître la méchanceté, quaprès les avoir admis: (il faut dabord les tolérer dans lespoir quils se corrigeront; il est difficile de les exclure sans les avoir quelque peu supportés). Cet homme alors devient à son tour dune impatience insupportable. Qui mappelait ici, sécrie-t-il? Je croyais ici rencontrer la charité. Irrité alors par ce quil y
1. Cant. II, 2. 2. Philipp. II, 21.
a dagaçant chez quelques hommes, et nayant point le courage daccomplir son dessein, il abandonne son projet de sainteté, et apostasie ses voeux. Mais au sortir de là, il blâme, il maudit à son tour, il ne dit que les choses quil na pu supporter, et qui sont souvent vraies ; mais il faut supporter les défauts des méchants, si lon veut jouir de la société des bons. « Malheur à ceux qui ne savent rien supporter », dit lEcriture. Ce qui est pire encore, cet homme, dans son indignation, répand pour ainsi dire lodeur infecte de ces lieux, et en détourne ceux qui voudraient entrer, parce quil na pu y demeurer après y être lui-même entré. Quest. ce que ces gens? des jaloux, des querelleurs, qui ne peuvent souffrir personne. Celui-ci y a fait tel crime, celui-là tel autre crime. Au méchant, pourquoi ne rien dire des bons? Tu blâmes ceux que tu nas pu supporter, sans rien dire de ceux qui ont supporté tes défauts. 13. Quelle est juste, mes frères, quelle est admirable cette parole de lEvangile, émanée de la bouche de Notre-Seigneur: « Deux hommes seront dans un champ, lun sera pris, lautre sera laissé: deux femmes seront à moudre, lune sera prise, lautre sera laissée; deux dans un lit, on prendra lun, on laissera lautre 2 ». Qui, ces « deux dans un champ?» Ceux dont saint Paul a dit: « Jai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné laccroissement. Vous êtes le champ du Seigneur ». Nous travaillons dans ce champ. « Deux sont dans ton champ », ce sont les clercs: « lun sera pris, lautre laissé»; On prendra le bon, on laissera le mauvais. « Deux seront à moudre », dit le Sauveur, en revenant au peuple. Pourquoi à « la meule?» Parce que les liens du siècle les tiennent attachés au cercle des choses temporelles. « Lun de ces esclaves sera choisi, lautre dédaigné ». Lequel sera choisi? Celui qui fait des bonnes oeuvres, qui prend en pitié lindigence des serviteurs de Dieu, qui est fidèle à confesser Dieu, qui met sa joie dans une espérance certaine, qui est attentif à Dieu, qui ne veut de mal à personne, qui aime autant quil peut, non-seulement ses amis, mais encore ses ennemis, lhomme qui ne connaît dautre femme que la sienne, lépouse
1. Eccli. II, 16. 2. Matth. XXIV, 40, 41; Luc, XVII, 34, 35 3. I Cor. III, 6, 9.
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qui ne connaît que son époux, voilà celui que lon prendra à la meule; on laissera quiconque vit dune autre manière. Dautres vous disent : Nous voulons le repos, tavoir à souffrir de personne, nous retirer de la foule, vivre en paix dans quelque lieu retiré. Chercher le repos, cest chercher un lit, où lon fait trève à toute inquiétude. Mais là encore « on prendra lun, et on laissera lautre ». Ne vous laissez point illusionner, mes frères; si vous ne voulez vous tromper, si vous aimez vos frères, sachez que dans lEglise toute profession a ses faux frères. Je ne dis point que tout homme soit faux, mais il y a des faux dans toute profession: il y a de mauvais chrétiens, mais il y a aussi de bons chrétiens. Tu ne vois en quelque sorte que des mauvais, qui sont comme la paille, et qui ne te laissent pas approcher du bon grain 1; mais il y a aussi du bon grain, approche, vois, secoue, juges-en par ta bouche. Tu trouveras des vierges déréglées; faut-il pour cela blâmer la virginité ? Il en est beaucoup qui ne senferment point dans leurs maisons, qui courent les maisons des autres, qui sont curieuses, parlent sans discrétion, orgueilleuses, causeuses 2, sadonnent au vin: bien quelles soient vierges, quest-ce que cette pureté du corps avec une âme corrompue? Le mariage, dans lhumilité, est préférable à une virginité orgueilleuse; le mariage lui donnerait un frein pour la retenir et lui enlèverait ce nom qui lenorgueillit. Mais pour des vierges indignes, faut-il condamner celles dont la chair est pure et lâme sainte 3? ou pour celles qui sont louables, faudra-t-il doue louer celles qui sont condamnables? Partout on prendra lun, on laissera lautre. 14. Finissons, mes frères, notre psaume, qui est clair dans tout le reste. « Servez le Seigneur avec joie 4 ». Cest à vous que sadresse le Psalmiste, ô vous qui souffrez tout dans la charité, et vous réjouissez dans lespérance. « Servez le Seigneur », non dans lamertume de vos murmures, mais bien « dans la joie » de la charité. « Entrez en sa présence, dans lallégresse ». Il est facile de se réjouir dans les choses du dehors; tressaille en la présence de Dieu. Que cette allégresse ne soit point en paroles, que la conscience soit dans lallégresse. « Entrez en sa présence, et dans lallégresse ».
1. Matth. III, 12. 2. I Tim. V, 13. 3. I Cor. VII, 34. 4. Ps. XCIX, 2.
15. « Sachez que le Seigneur est lui-même votre Dieu 1». Qui ne sait que le Seigneur est Dieu ? Mais le Psalmiste parle de ce Seigneur que les hommes ne croyaient pas un Dieu: « Sachez que le Seigneur est lui-même Dieu ». Que ce Seigneur ne soit point méprisable à vos yeux. Vous lavez crucifié, flagellé, couvert de crachats, couronné dépines, revêtu dun manteau dignominie, suspendu à la croix, percé de clous, frappé dune lance, fait garder dans son sépulcre, et il est Dieu. « Sachez que le Seigneur est Dieu lui-même. Cest lui qui nous a faits, et non point nous-mêmes ». « Cest lui qui nous a faits », puisque tout a été fait par lui, et rien sans lui 2. Pourquoi vos transports, pourquoi votre orgueil? Un autre vous a faits, et celui qui vous a faits vous lavez fait souffrir. Mais vous, votre jactance, votre orgueil, votre enflure, feraient croire que vous vous êtes faits vous-mêmes. Il est avantageux pour vous que celui qui vous a faits, vous perfectionne. « Cest lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes ». Loin de nous tout orgueil ; tout le bien qui est en nous, nous vient du Créateur ; tout ce qui est notre oeuvre aboutit à notre condamnation, et tout ce quil a mis en nous, à notre couronnement. « Cest lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail ». Les brebis et la brebis, tous ses brebis, et une seule brebis. Et quel amour a pour nous notre pasteur ! Il abandonne les quatre-vingt-dix-neuf brebis, pour en chercher une seule, quil a rachetée de son sang et quil rapporte sur ses épaules 3 ; pasteur qui est mort sans hésiter pour sa brebis, et qui possède sa brebis en ressuscitant. « Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail». 16. « Entrez dans ses portes par la confession 4». La porte marque lentrée; commencez par la confession. Cest là le titre du psaume, « la confession », ou les transports. Confessez que vous ne vous êtes pas faits vous-mêmes, louez Celui par qui vous avez été faits. Que de lui vienne tout ton bien, puisque tout ton mal est de têtre séparé de lui. « Entrez dans ses portes par la confession 4». Que le troupeau entre par la porte, sans rester dehors, exposé aux loups. Et comment entrer? « Par la confession ». Que
1. Ps. XCIX, 3. 2. Jean, I, 3. 3. Luc, XV, 4, 5. 4. Ps. XCIX, 4.
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la porte ou lentrée soit pour toi la confession, doù cette parole dun autre psaume « Commencez avec le Seigneur par la confession 1», où le mot « commencez » répond à « la porte » de notre psaume : « Entrez dans ses portes par la confession ». Et quoi donc! naurons-nous rien à confesser quand nous serons entrés ? Confesse toujours, parce que tu as toujours de quoi confesser. Il est difficile ici-bas quun bornoie change au point de navoir plus rien de répréhensible. Accuse-toi donc toi-même, de peur dêtre accusé par celui qui te damnera. Donc en entrant fais une confession. Quand ne sera-ce plus celle des péchés ? Dans ce repos où notas ressemblerons aux anges. Mais comprenez mes paroles: il ny aura plus de confession des péchés ; je nai point dit quil ny aura plus de confession, car alors il y aura la confession de la louange. Toujours tu confesseras quil est ton Dieu, que tu es sa créature, quil est le protecteur et toile pupille. Tu seras en quelque sorte caché en lui, ainsi quil est dit : « Vous le cacherez, Seigneur, dans le secret de votre face ». Dans son parvis « chantez des hymnes à sa gloire ». Chantez sur ses portes, et quand vous serez dans son parvis, chantez encore des hymnes à sa « gloire ». Les hymnes sont des louanges. En entrant, accuse-toi ; et quand tu seras entré, chante à sa gloire. « Ouvrez pour moi les portes de la justice », dit un autre psaume, « et en entrant, je me confesserai au Seigneur» 3. Mais dit-il : Quand jy serai entré,
1. Ps. CXLVI, 7. 2. Id. XXX, 21. 3. Id. CXVII, 19.
je naurai plus de confession à faire au Seigneur? Même après lentrée il y aura confession. Etait-ce donc des péchés que Notre-Seigneur accusait à son Père, quand il disait: « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre 1 ? » Cette confession était un cantique à Dieu, et non une accusation de lui-même. 17. « Louez son nom, car le Seigneur est doux». Ne craignez point de vous lasser en le bénissant ; cette louange sera pour vous une nourriture ; plus vous chanterez, plus vous aurez de forces, et plus vous sera doux lobjet de vos louanges. « Louez son nom, parce que le Seigneur est doux, sa miséricorde éternelle ». Sa miséricorde, en effet, ne sarrêtera point à la délivrance, et il y va de cette miséricorde, de te protéger dans la vie éternelle. « Sa miséricorde est éternelle, et sa vérité sétend de génération en génération ». Cette expression, « de génération en génération », doit sentendre de toute génération, ou de deux générations, lune terrestre et lautre céleste ; une génération qui enfante les hommes à une vie mortelle, et une génération qui les engendre à la vie éternelle. Dans lune et dans lautre est sa vérité ; et garde-toi de croire que sa vérité ne soit point ici-bas. Si sa vérité nétait point ici-bas, un autre psaume ne dirait point: «La vérité sest levée de la terre 2 » ; et la vérité elle-même ne dirait point: « Voilà que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles 3 ».
1. Matth. XI, 25. 2. Ps. LXXIV, 12. 3. Matth. XXVIII, 20.
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