|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME XCIII (1).LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS.
La prospérité du méchant est ici-bas un scandale pour les faibles, qui sont portés à imiter ceux quils croient heureux, oui néviter le mal que par la crainte. Dieu découvre le mal quils feraient sans cette crainte, et dans loccasion ils montrent leur méchanceté. Ainsi naguère une famille attirait ses victimes à imiter ses forfaits. Le lion bravait les gardiens, que redoute le loup non moins coupable. Dieu veut nous faire pratiquer la justice par amour pour cette justice. Ce psaume tend à guérir nos pensées; il est pour le quatrième jour, ou celui de la création des astres, parce que les saints doivent briller comme des astres, mais sans quon doive les adorer ils brillent en effet et poursuivent leur carrière sans sarrêter aux crimes dont ils sont les témoins muets. Ils doivent supporter les injustes afin de ne point tomber du ciel ou de la loi, que nous devons lire ici-bas afin que rien ne nous ébranle. Dieu se vengera de ceux qui murmurent contre sa providence, de sème quil népargnait personne ici-bas, quand il encourageait les justes par la promesse du ciel. Il les épargnera moins encore maintenant quils lont crucifié, à moins quen shumiliant ils ne méritent de faire des miracles, comme quelques-uns de ses bourreaux. Ils croient ou que Dieu ignore leurs crimes, ou que ces crimes lui plaisent. Mais dabord le juste doit savoir que cest ici-bas le lieu de souffrir, que la patience fait partie du labeur, ensuite que Dieu qui a planté loeil et loreille eus voir et entendre; que le péché devient la fosse du pécheur, de lorgueilleux, qui sarroge le bien quil trouve en lui, ou qui se préfère aux autres, que Jésus-Christ nous apprend lhumilité, en prenant notre chair, en mourant sur la croix, et que relit humilité fait descendre Dieu vers nous; que sil corrige le juste ici-bas, cest pour lépargner dans léternité; que nous devons adapter notre volonté à celle de Dieu ; quil a pris nos sentiments humains afin de les redresser, de les sanctifier; quil nous donnera la force de surmonter nos tentations, nous amènera à confesser nos faiblesses, car il aime laveu, et il tendit la main à Pierre sur le point dêtre submergé ; que nul homme injuste ne pourra sasseoir auprès de celui qui fait de la douceur un précepte; que sil soumet à la douleur ceux qui lui appartiennent, que ne réserve-t-il pas aux pécheurs? Que sil sest donné à nous ici-bas, que nous réserve-t-il dans léternité ? Il veut nous rendre le repos, un repos éternel, au prix dun travail pendant notre vie. Laffection réveille notre foi comme la tempête réveilla les Apôtres. Aux menaces des méchouis opposons les menaces de Dieu, qui a le droit du potier, de faire des vases à sa volonté, qui se sert des méchants pour nous exercer, sauf à les traiter selon lintention qui les guide. Que notre foi nous soutienne ici-bas par des actes de charité.
1. Nous avons écouté avec beaucoup dattention la lecture du psaume, écoutons aussi ce quil plaît à Dieu de nous révéler des mystères quil y a cachés. Si Dieu en effet a jeté le voile du mystère sur quelques passages des Ecritures, cest moins pour nous les dérober, que pour nous forcer à frapper à la porte pour en obtenir lentrée. Si donc vous frappez avec une tendre piété et une charité sincère, Dieu vous ouvrira m, lui qui voit ce qui vous excite à frapper. Chacun de nous sait quil y eut autrefois beaucoup de murmurateurs contre la patience de Dieu (et puissions-nous nêtre point de ce nombre), des hommes qui saffligeaient de voir les méchants et les impies vivre sur la terre, et même y obtenir de la puissance; et ce qui est plus impénétrable encore, de leur voir contre les bons assez de puissance pour les opprimer; de voir enfin les méchants dans la joie, les bons dans laffliction; les méchants dans la gloire, les justes dans lhumiliation. A la vue de ces désordres, et ils sont nombreux dans le genre humain,
1. Sermon donné probablement dans un autre diocèse, à la prière de quelques évêques. 2. Matth. VII, 7.
des hommes dun esprit faible et impatient se persuadent que cest en vain quils sont vertueux, puisque Dieu détourne, ou semble détourner les yeux des bonnes oeuvres que font les hommes pieux et fidèles, et augmenter encore les jouissances des méchants. Asses faibles dès lors pour se persuader que cest sans profit quils lâchent de vivre saintement; ou bien ils sont portés à imiter les désordres de ceux quils voient en quelque sorte fleurir ici-bas; ou bien, si quelque faiblesse de caractère ou de conscience les fait reculer devant le mal, ils sont retenus plutôt par la crainte des lois humaines, que par lamour de la justice, ou plus clairement, ils craignent dencourir parmi les hommes la réprobation des hommes, et ils évitent les actions condamnables, sans toutefois éviter les pensées honteuses. Et parai toutes ces pensées iniques, celle qui en est la source est cette impiété qui leur persuade que Dieu néglige la conduite de ce monde, et nen prend aucun soin; quil ne met aucune différence entre les bons et les méchants, ou, ce qui est plus horrible encore; qui1 favorise les méchants et persécute les bons. Tout homme (387) qui a ces pensées est impie envers lui-même, et se nuit quand même il ne nuirait à personne. Il natteint pas Dieu, il est vrai, mais il est son propre meurtrier, Dominés par ces pensées et par la crainte, ils peuvent bien ne pas nuire aux hommes, mais Dieu découvre et punit dans leurs pensées leurs homicides, leurs adultères, leurs fraudes et leurs rapines. Car il voit leurs désirs, lui dont loeil nest point arrêté par ce voile charnel, et peut pénétrer leur volonté. Que loccasion se présente, et ces hommes ne deviennent plus méchants, ils montrent quils le sont : ce nest pas ce qui vient de naître quils mettent en évidence, mais bien ce qui était caché dans leurs coeurs. Il ny a que peu dannées, cest hier en quelque sorte que lon a vu ce que jénonce, et les esprits les plus lents ont pu le comprendre; il y avait ici une famille très-puissante, dont Dieu sétait fait un fléau contre le genre humain; et le genre humain se fût corrigé à cette occasion, sil eût reconnu là une main paternelle, et redouté la sentence du juge. Pendant que cette famille exerçait en cette ville sa grande puissance, beaucoup gémissaient sous sa tyrannie, murmuraient, blâmaient, maudissaient, blasphémaient. Mais combien les hommes se nuisent à eux-mêmes, et combien sont abandonnés par un juste jugement de Dieu aux désirs de leur coeur 1 ? Puis subitement les murmurateurs devenaient membres de cette famille, et faisaient endurer aux autres les maux dont ils murmuraient un peu auparavant. Un homme est donc véritablement bon quand il ne fait point le mal quil pourrait faire ; cest de lui quil est dit: « Il a pu violer la loi, et ne la point violée, faire le mal, et il ne la point fait. Quel est-il, et nous le comblerons de louanges? car il a fait des merveilles en sa vie 2 ». Ainsi dit lEcriture au sujet des hommes puissants qui demeurent inoffensifs. Un loup a la volonté de nuire autant quun lion. Le mal est inégal, mais non la volonté. Car un lion, non-seulement dédaigne les aboiements du chien, mais il le met en fuite, puis sélance dans létable, et enlève ce quil lui plaît, sans que le chien ose souffler : tandis quun loup nose le faire quand le chien aboie. Mais en est-il plus innocent quand il se retire sans rien prendre, effrayé quil est par les aboiements du chien?
1. Rom. II, 24. 2. Eccli. XXXI, 9, 10.
Dieu nous apprend donc à pratiquer linnocence, non par la crainte du châtiment, mais par lamour de la justice. Cest alors que linnocence est libre, et véritablement innocence. Lhomme, innocent par crainte, nest pas vraiment innocent, bien quil ne fasse point le mal quil voudrait bien faire. Il ne nuit point par une action coupable; mais il se nuit beaucoup à lui-même, par son coupable désir. Vois dans lEcriture comment il se nuit: « Quiconque aime liniquité, hait son âme 1 ». Cest donc nous tromper gravement que prétendre tourner contre les autres nos injustices, et non contre nous-mêmes. Cest contre les autres que lon veut être injuste, on veut les blesser, détruire leurs biens, envahir leurs campagnes, enlever leurs esclaves, dérober leur or, leur argent, tout ce quils peuvent posséder. Ce nest guère quen ces manières quun autre est victime de nos injustices. En ce cas, ton iniquité pourrait donc nuire au corps de ton prochain, et pas à ton âme? 2. Une doctrine si simple, si vraie, qui apprend aux hommes de bien à aimer la justice elle-même, à chercher par elle à plaire à Dieu, à reconnaître quil répand dans nos âmes une lumière invisible qui nous prépare aux bonnes oeuvres, et à préférer, à tous les biens qui nous captivent ici- bas, cette lumière de la sagesse, un tel enseignement provoque les murmures des hommes ; et sils ne sexhalent de leurs bouches, ils rongent du moins leurs coeurs. Que disent-ils donc ? Est-il vrai que je plaise à Dieu par la justice? Que les justes lui plaisent, quand sa providence laisse fleurir ainsi les méchants ? Ils sont si criminels, et ne sont point châtiés. Et sil leur arrive quelque mal, que vont-ils nous répondre, si nous leur disons : Voyez quelle vengeance Dieu a tirée des crimes de cet homme? quelle fin malheureuse ! Ils vous énumèrent tous les justes qui ont essuyé quelque malheur, et nous les opposent en disant: si cet homme a essuyé des malheurs à cause de sa méchanceté, pourquoi donc a-t-il été traité de la sorte, ce juste qui a vécu si saintement, qui a fait tant daumônes, tant de bonnes oeuvres dans lEglise, pourquoi une fin si tragique? Pourquoi cette ressemblance entre sa mort et la mort de cet homme si coupable? Ce langage fait voir que sils ne commettent point le mal, cest quils ne peuvent,
1. Ps. X, 6.
388
ou quils nosent. Car la langue rend ici témoignage des volontés du coeur. Mais leur langue demeurât-elle muette et perdue par la crainte, que Dieu verrait encore intérieurement les pensées des hommes, quun autre homme ne saurait découvrir. Ce sont donc les pensées des hommes, pensées secrètes, ou qui se manifestent par des actes ou des paroles, que notre psaume veut guérir: si les malades veulent être guéris, quils écoutent, et quils se guérissent. Dieu veuille que dans cette foule rassemblée dans lenceinte de cette église, et qui entend par ma bouche la parole de Dieu, il ny ait personne à guérir de cette maladie. Oui, quil ny ait personne. Et quand bien même il ny aurait ici aucune de ces blessures, il nest pas inutile den parler. Il faut apprendre à vos coeurs à guérir ceux qui tiendront de semblables discours. Tout chrétien, je me le persuade facilement, sil est fidèle, sil se confie en Dieu, sil met son espérance dans lavenir, et non sur cette terre, et en cette vie, sil nentend pas inutilement ces paroles: Vos coeurs en haut, méprise ces récriminations sil les entend, plaint ceux qui profèrent de semblables murmures, et se dit en lui-même : Dieu sait ce quil fait, et nous ne pouvons pénétrer ses conseils, ni comprendre pourquoi il pardonne aux méchants pour un temps, et pourquoi il afflige dans le temps ceux qui le servent. Il me suffit que laffliction du juste doive passer, comme le bonheur des méchants. Celui qui en est là est donc en sûreté, et supporte facilement le bonheur des impies ; il supporte également, il tolère laffliction des bons, jusquà la fin du siècle, jusquà ce que liniquité soit passée. Il jouit déjà du bonheur, Dieu la déjà instruit de sa loi, lui a quelque peu adouci la rigueur des mauvais jours, jusquà ce que lon creuse une fosse aux pécheurs. Que celui qui nen est point encore là nous écoute, et reçoive de notre bouche ce quil plaît au Seigneur; ou plutôt, que Dieu parle à son coeur, lui qui voit mieux que nous ce quil y doit guérir. 3. Voici le titre ou linscription du psaume: « Psaume de David pour le quatrième jour du sabbat ». Ce psaume doit enseigner la patience à tous les justes qui sont dans laffliction. Il affermit notre patience, et nous apprend à voir sans aigreur le bonheur des méchants. Voilà ce quil contient dun bout à lautre. Pourquoi donc est-il intitulé : Pour le quatrième jour de la semaine? Le premier jour de la semaine est le dimanche. Le second est la seconde férie, que le monde appelle jour de la Lune ou lundi; le troisième jour est la troisième férie, appelé jour de Mars ou mardi. Le quatrième jour du sabbat est donc la quatrième férie, appelée jour de Mercure, ou mercredi par les païens et beaucoup de chrétiens. Nous voudrions quils sen corrigeassent, et ne parlassent plus ainsi; car ils ont leur langage dont ils doivent se servir. Ces noms en effet ne sont point les mêmes chez tous les peuples, et les uns ont tel nom, les autres tel autre. Il serait donc mieux quun chrétien se servît du langage de lEglise. Toutefois si quelquun se laisse entraîner à la coutume, et se sert dun langage quil condamne au fond de son coeur, quil reconnaisse du moins que ceux dont on adonné les noms aux astres sont des hommes, et que les astres nont point commencé avec ces hommes, quils étaient dans les cieux avant que ces hommes fussent sur la terre. Mais que ces hommes puissants et éminents ici-bas, sétant rendus chers à leurs semblables, à cause de certains bienfaits périssables, et qui ne regardaient point la vie éternelle, mais bien cette vie présente, ont reçu des mortels les honneurs divins. En effet les anciens du monde, trompés eux-mêmes et trompant les autres adulateurs envers ceux qui leur procuraient quelque bonheur en cette vie, montraient dans les cieux les constellations, et assuraient que cétait ici létoile dun tel et là létoile de tel autre. Car des hommes qui navaient rien examiné auparavant, qui navaient point vu que ces étoiles occupaient celte place même avant leur naissance, crurent quelles commençaient à luire. Ainsi saccrédita une opinion mensongère; opinion que le diable confirmée, que le Christa détruite. Dans votre langage donc, le quatrième jour de la semaine est le quatrième, en commençant au dimanche, Que votre charité examine le sens du titre, II y a là un grand mystère, mais très-caché. Le reste du psaume sera clair, les mouvements en sont de toute évidence et se comprennent facilement mais il faut lavouer, le titre nest pas dune faible obscurité. Toutefois, avec le secours de Dieu, le nuage se dissipera, vous comprendrez le psaume, et dès lentrée vous en saisirez le sens. Car cest au début que nous lisons: « Psaume pour David ou (389) quatrième jour du sabbat ». Voilà ce qui est écrit au frontispice, gravé sur le portail. Un homme veut lire lenseigne avant dentrer dans la maison. Rappelons-nous alors les oeuvres que dans la Genèse lEcriture sainte assigne au premier jour; nous trouvons qualors fut créée la lumière : ce qui fut lait le second jour; et notas trouvons le firmament appelé le ciel : ce qui fut fait le troisième jour; et nous trouvons la terre qui prend une forme, ainsi que la mer, et leur séparation de manière que lon appela mer le vaste réservoir des eaux, et terre tout ce qui était aride. Le quatrième jour Dieu fit les deux grands flambeaux des cieux 1: le soleil pour luire pendant le jour, et la lune et les étoiles pour briller pendant la nuit 2, Voilà loeuvre du quatrième jour. Mais pourquoi ce titre de quatrième jour donné à notre psaume? Cest quil nous apprend à supporter avec patience la félicité des méchants, laffliction des bons. Souvenons-nous de cette parole de saint Paul aux fidèles et aux saints affermis dans le Christ : « Accomplissez toutes choses sans murmure et sans contestation, afin que vous soyez sans reproche, simples et sans tache comme des enfants de Dieu, au milieu dune nation perverse et corrompue, où vous brillerez comme des astres dans le monde, portant en vous la parole de la vie 3». Saint Paul compare les saints à des astres, afin quils soient sans murmure dans le monde, qui est tortueux et dépravé. 4. Mais, pour quon ne simagine point que lon doive adorer les flambeaux des cieux, parce que lApôtre sen sert comme dun point de comparaison pour désigner les saints, montrons tout dabord au nom du Christ quil ne suit pas de là quil faille adorer le soleil, ou la lune, ou les étoiles, ou le ciel, bien que lApôtre se serve de cette comparaison pour nous parler des saints. Il est en effet dans la nature bien dautres objets auxquels on a comparé les saints et que lon nadore point. Sil fallait adorer tout ce qui a servi de comparaison pour les saints, il faudrait adorer les montagnes et les collines, puisquil est dit: « Les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme les agneaux 4». Ce que tu dis des saints, je le dis du Christ. Il faut adorer les lions, puisquil est dit : « Il
1. Gen. I, 3-19. 2. Ps. CXXXV, 8, 9. 3. Philipp. II, 14, 11. 4. Ps. CXIII, 4.
a vaincu, ce Lion de la tribu de Juda 1». Il faut adorer la pierre, puisquil est dit: « Et la pierre était le Christ 2 ». Mais si tu nadores pas ces choses terrestres, nonobstant les comparaisons que lon en a tirées; de même quand on prend quelques autres points de comparaison pour désigner les saints, tu dois comprendre que la créature nest ici quune figure, et adorer lauteur de toute créature. Notre-Seigneur Jésus-Christ a été appelé soleil 3: mais est-il ce soleil que voient comme nous les plus chétifs animaux? De qui donc est-il dit: « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde 4? » Car cette lumière que lon voit néclaire pas seulement les hommes, mais les bêtes de somme, les troupeaux et tous les animaux. Mais celle qui éclaire les hommes, leur donne la lumière du coeur où est seulement lintelligence. 5. Que votre charité veuille comprendre à qui lApôtre a dit: « Vous serez au milieu dune nation tortueuse et perverse», cest-à-dire au milieu des méchants, « et vous y brillerez comme des astres dans le monde, ayant la parole de vie 5 » : nous donnant par là le moyen de comprendre le psaume, et den connaître le titre. Du haut de leur conversation dans le ciel, des saints qui ont en eux la parole de vie, méprisent toutes les iniquités que lon commet sur la terre: comme les astres pendant le jour aussi bien que pendant la nuit, marchent dans les cieux, poursuivent leur carrière par des mouvements réglés; tous les crimes qui se commettent sur la terre, ne les font point dévier de la route fixée : ils gardent exactement dans la vaste étendue des cieux le sentier que leur a tracé le Créateur : ainsi doit-il en être des saints, si toutefois leurs coeurs sont fixés dans le ciel, si ce nest pas en vain quils nous entendent, et quils répondent que leurs coeurs sont en haut, sils imitent Celui qui a dit « Notre conversation est dans les cieux 6 ». Dès quils sont dans les cieux, et que leurs pensées sont occupées à des choses du ciel, ainsi quil est dit : « Où est votre trésor, là aussi est votre coeur 7 »; les pensées des choses den haut leur donnent la patience, les rendent peu soucieux aux événements du monde, jusquà ce quils achèvent leur pèlerinage en cette vie, de même que les astres,
1. Apoc. V, 5 2. I Cor. X, 4 3. Sag. V, 6. 4. Jean, 1, 9. 5. Philipp. II, 15, 16. 6. Id. III, 20. 7. Matth. VI, 21.
390
dans les cieux, nont dautre souci que de continuer leur course le jour et la nuit, quels que soient les crimes que lon commette sur la terre. Mais il est peut-être facile aux justes de supporter les iniquités que les méchants ne commettent point contre eux: ils doivent supporter aussi celles dont ils sont victimes, comme ils supportent celles que lon commet contre les autres. Ce nest point en effet parce quelles se commettent contre les autres, quils doivent les supporter: mais fussent-elles commises contre eux, ils ne doivent jamais perdre la patience. Perdre la patience, cest tomber du ciel; mais pour lhomme dont le coeur est fixé dans le ciel, cest la terre qui souffre sur la terre. Combien de fables inventées par les hommes au sujet des astres, et que ces astres souffrent patiemment? Ainsi les justes doivent supporter avec patience toutes les calomnies dont on les noircit, Dire par exemple que cette étoile est de Mercure, comme nous le disions tout à lheure, que cette autre est de Saturne, telle autre de Jupiter, cest là calomnier les étoiles. En entendant ces blasphèmes, ces étoiles sont-elles émues, en continuent-elles moins leur course? Ainsi lhomme qui a la parole de Dieu au milieu dune nation tortueuse et perverse, ressemble à lastre qui brille dans les cieux. Combien paraissent honorer le soleil, et le chargent de mensonges? Dire que le Christ est le soleil, cest outrager le soleil qui sait bien que le Christ est son Créateur. Et sil était capable dindignation, il en ressentirait contre les faux honneurs quon lui rend, plus encore que contre les calomnies dont on le charge. Pour un fidèle serviteur, linjure quil ressent le plus est celle de son maître. Combien de faussetés débitées contre les astres, qui les supportent, qui les tolèrent, qui ne sen émeuvent point! Pourquoi? parce quils sont dans le ciel, Quest-ce donc que le ciel? Mentionnons encore ceci: que de fables débitent les hommes, quand ils voient la lune sobscurcir, quand ils disent que les magiciens la font descendre ! Tandis que cest par lordre de Dieu quelle a ses éclipses à des temps marqués. Mais parce que cet astre est dans les cieux, il se rit des fables des hommes. Quest ce à dire, quelle est dans les cieux? Elle est solide au firmament. Ainsi lhomme, dont le coeur est dans le firmament du livre de Dieu, se rit des paroles des hommes. 6. Par le ciel, en effet, ou par le firmament, on entend dordinaire le livre de la loi. Aussi est-il dit en certain endroit : « Dieu déroula le ciel comme une peau 1 ». Si le ciel sétend comme une peau, il sétend comme un livre afin quon y lise, car une fois le temps passé on ny lira plus. Si nous lisons encore la loi, cest que nous ne sommes point encore parvenus à cette sagesse qui remplit les coeurs et les esprits de ceux qui la contemplent; et alors il ne sera plus nécessaire pour nous de la lire. Dans une lecture, en effet, les syllabes résonnent et passent lune après lautre; pour la lumière de la vérité, elle ne passe point, mais elle demeure fixe et enivre les coeurs de ceux qui la voient; ainsi que la dit le Prophète : « Ils seront enivrés de labondance de votre maison, ils boiront au torrent de vos voluptés, parce que la source de la vie est en vous, ô mon Dieu. Et voyez quelle est cette source : « Cest à votre flambeau que nous verrons la lumière 2 ». La lecture nous est donc nécessaire ici-bas, tant que « nous ne voyons quen partie, que nous ne prophétisons quen partie », comme la dit lApôtre : « mais quand nous arriverons à létat complet, tout ce qui nest quen partie disparaîtra 3 ». Dans cette cité de Jérusalem, en effet, où vivent les anges, doù nous sommes aujourdhui bannis par un exil qui nous fait gémir, si nous comprenons bien que nous sommes des exilés; car cest haïr sa patrie que se plaire en exil : dans cette cité quhabitent les anges, lit-on lEvangile, où les écrits de lApôtre? On sy nourrit du Verbe de Dieu, et ce Verbe de Dieu pour se faire entendre à nous dans le temps, «a été fait chair pour habiter parmi nous 4». La loi écrite est toutefois un firmament pour nous, et si votre coeur sy repose, il nest point ébranlé par les iniquités des hommes. «Le Seigneur donc», est-il dit, «étend les cieux comme une peau»; mais quand sera écoulé le temps où les livres sont nécessaires, quest-il dit alors? « Le ciel sera replié comme un livre 5 ». Celui-là, dès lors, dont le coeur est en haut, a un coeur lumineux, qui brille dans le ciel, et que nobscurcissent point les ténèbres. Car les ténèbres sont au dessous, les ténèbres sont liniquité, et les ténèbres ne sont point immuables. Déjà nous lavons dit hier, et ceux
1. Ps. CIII, 2. 2. Id. XXXV, 9, 10. 3. I Cor. XIII, 9, 10. 4. Jean, I, 14. 5. Isa. XXXIV, 4.
391
qui sont ténèbres aujourdhui, avec la bonne volonté seront demain la lumière ; ceux qui étaient ténèbres en entrant ici, peuvent être lanière dès maintenant. Car lApôtre, afin que nul ne croie que les ténèbres nous sont naturelles, et quon ne saurait les changer, nous dit clairement : « Vous étiez ténèbres autrefois, et maintenant que vous êtes lumière dans le Seigneur, marchez comme des enfants de la lumière 1». Vous êtes lumière, mais dans le Seigneur, nous dit lApôtre, et non en vous-mêmes. Que votre coeur soit donc dans ce livre : et votre coeur dans ce livre sera dans le firmament du ciel. Si votre coeur est là, quil tire de là sa lumière, elles iniquités dau-dessous de lui ne lébranleront point : non quil soit au ciel selon la chair, mais il y sera par sa conversation, comme la dit saint Paul : « Notre conversation est dans le ciel 2 ». Tu ne saurais avoir une idée de cette cité que tu nas point vue encore; mais veux-tu penser au ciel? Pense su livre de Dieu. Ecoute ce que dit le psaume : « Le jour et la nuit il méditera sa loi». Et le même psaume appelle « bienheureux celui qui nest pas allé dans le conseil des impies, qui ne sest pas arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne sest point assis dans la chaire de pestilence ; mais qui a mis sa volonté dans la loi du Seigneur 3». Vois cet astre dans le firmament : « Il méditera jour et nuit la loi du Seigneur ». Veut-il endurer tout avec patience? Quil ne descende point du ciel, quil y médite nuit et jour la loi de Dieu. Que son coeur soit donc dans le ciel, et si son coeur est dans le ciel, toutes les iniquités qui se commettent pour un temps sur la terre, toute la félicité des méchants, toutes les vexations des justes ne sont rien pour celui qui médite jour et nuit la loi de Dieu; il endure tout, et il est heureux dans la lumière de Dieu. Comment donc est-il dans le firmament des cieux? Cest que la loi est ce firmament. « Bienheureux, Seigneur, lhomme que vous aurez instruit vous-même lhomme à qui vous aurez enseigné votre loi. Afin que vous adoucissiez en sa faveur les jours mauvais, jusquà ce que lon creuse une fosse au pécheur 4». Voyez donc ces astres réglés dans leur cours ; ils marchent, ils se couchent, ils reviennent, ils poursuivent
1. Ephés. V, 8. 2. Phïlipp. III, 20. 3. Ps. I, 1, 2. 4. Id, XCIII, 12, 13.
leur carrière, ils distinguent le jour de la nuit, ils mesurent les temps et les années, et malgré les maux qui se commettent sur la terre, ne perdent rien de la paix quils ont dans les cieux. Quest-ce donc que Dieu nous enseigne? Ecoutons le psaume. 7. « Le Dieu des vengeances, le Seigneur, le Dieu des vengeances agit dans sa liberté 1». Oses-tu bien croire quil ne se venge point? Il se venge assurément, puisquil est le Dieu des vengeances. Quest-ce à dire le Dieu des vengeances? Le Dieu qui se venge. Ce qui soulève tes murmures, cest quil ne se venge point sur les méchants. Garde-toi de murmurer, afin de nêtre point de ceux dont il tire vengeance. Tel commet un larcin, et vit néanmoins, et tu murmures contre Dieu parce quil ne fait point mourir celui qui est voleur à ton préjudice; mais à ton tour, vois si tu nes point voleur; et si tu ne les plus, vois si tu ne las pas été. Si tu es au jour, souviens-toi de ta nuit, et si tu es fixé au ciel, souviens-toi davoir été sur la terre. Tu trouveras peut-être quun jour tu fus voleur, et quun autre sen prit à Dieu de ce que tu survivais à ton vol, et de ce quil ne te faisait point mourir. Mais de même que dans ta faute le Seigneur ta épargné, ta laissé vivre afin quà lavenir tu ne fusses plus voleur; ne cherche point après ton passage à détruire le pont de la divine miséricorde. Ne sais-tu pas que beaucoup doivent passer par où tu as passé toi-même? Existerais-tu maintenant pour murmurer, sil eût écouté ceux qui murmuraient jadis contre toi ? Et néanmoins tu veux que Dieu se venge des méchants, quil punisse un voleur ; et tu murmures contre Dieu, parce que ce voleur nest point mis à mort. Pèse dans la balance de léquité le vol et le blasphème; tu nes pas voleur, dis-tu, mais tes murmures contre Dieu te rendent blasphémateur. Tel profite du sommeil des autres pour commettre le vol; et toi tu accuses Dieu de dormir et de ne pas voir les hommes. Si donc tu veux que la main du voleur se redresse, commence par redresser ta langue: tu veux que celui-là cesse dêtre injuste envers les hommes, cesse de lêtre envers Dieu, de peur que cette vengeance divine que tu appelles ne tombe dabord sur toi. Dieu viendra, en effet, il viendra et jugera tous ceux qui persévèrent dans linjustice, qui auront été peu reconnaissants de ses
1. Ps. XCIII, 1.
392
grâces, qui auront méprisé sa patience, qui auront amassé un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 1, car ce le Seigneur est le « Dieu des vengeances, et le Dieu des vengeances agira en toute confiance ». Il népargnait personne quand il parlait ici-bas; car, si le Seigneur vivait dans linfirniité de la chair, il avait néanmoins la force de la parole. Il neut aucun égard pour les princes des Juifs. Que ne dit-il point contre eux, et comme la dit le Prophète, avec une pleine assurance? Car cest de lui quil est dit dans le psaume : « A cause de la misère des pauvres et des gémissements des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur 2». Quels sont ces pauvres? ces indigents? Ceux qui nont despoir quen lui, qui seul ne trompe point. Voyez, mes frères, quils sont pauvres et indigents. Car ces pauvres, dont lEcriture parle avec éloge, ne paraissent point être ces pauvres qui nont rien. On voit quelquefois un pauvre qui, recevant une injure, a recours aussitôt à son patron chez qui il demeure, dont il est le locataire, le fermier, le client; il affirme hautement quon le traite avec injustice, parce quil appartient à un tel homme. Il a mis son coeur dans cet homme, son espérance dans cet homme, sa cendre dans cette cendre. Dautres sont riches des biens du monde et jouissent des honneurs mondains, et pourtant ne mettent point leur espérance dans cet argent, ni dans leurs terres, ni dans leurs enfants, ni dans léclat dune dignité passagère; mais ils fondent leur espérance dans celui à qui nul ne succède, qui ne peut mourir, non plus que se tromper ou tromper ceux-ci, bien quils paraissent avoir de grands biens aux yeux du monde, sont néanmoins au nombre des pauvres de Dieu, parce quils dispensent leurs biens avec sagesse et pour les besoins des pauvres. Ils comprennent les dangers qui les environnent en cette vie, ils sy trouvent étrangers: ils se conduisent au milieu de leurs grands biens comme le voyageur qui passe par une hôtellerie, mais sans y rien posséder. Que fera donc le Seigneur? « A cause de la misère des pauvres, et des gémissements, des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur. Je les mettrai dans le salut ». Or, le salut du Seigneur, Cest notre Sauveur,.
1. Rom, II, 4-6. 2. Ps. XI, 6.
Cest en lui que le Prophète a voulu placer lespérance du pauvre et du misérable. Et que dit-il? « Jagirai en lui avec confiance 1 ». Quest-ce à dire, «jagirai avec confiance ? » Il ne craindra point, il népargnera point les vices des hommes, ni leurs convoitises. Cest donc un médecin fidèle, muni du fer salutaire de sa parole, et qui a tranché dans nos plaies. Ainsi les Prophètes lavaient annoncé davance, ainsi les hommes lont vu. Il prêchait sur la montagne, quand il dit: « Bienheureux les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux leur appartient». Il déclare même « bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice », et dans le même discours il ajoute que « le royaume des cieux leur appartient ». Et pour les faire briller comme des astres, cest-à-dire pour les rendre patients dans toutes ces persécutions passagères, il leur dit : « Vous serez heureux quand ils vous persécuteront, quand ils diront toute sorte de mal contre vous ; réjouissez-vous alors et tressaillez, parce que votre récompense est grande dans les cieux 2 ». Dans la suite de ce discours, bien quenvironné de la foule, il tient à ses disciples quil instruit un langage qui frappait en face les Pharisiens et les Juifs, lesquels étaient en quelque sorte les maîtres dans lexposition des saintes Ecritures, croyaient être justes et passer pour tels, et enfin voyaient le peuple soumis à leur autorité, il ne les épargne pas, et sécrie : « Quand vous priez, ne soyez point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et dans les coins des rues, afin dêtre vus par les hommes 3 » ; et dautres enseignements semblables. Il les attaqua tous, sans redouter personne. Et après ce discours, voici la conclusion quen tire lHistorien évangélique: « Il arriva que Jésus ayant terminé son discours, la foule était dans ladmiration au sujet de sa doctrine. Car il enseignait comme un homme qui a lautorité, et non à la manière des Scribes et des Pharisiens 4». Combien de fois donc Celui dont il est dit: « Il leur enseignait comme un homme qui a lautorité », combien de fois leur dit-il: « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 5 ! » Combien de fois leur parla-t-il ainsi et en face ! Il ne redouta personne. Pourquoi ? Parce quil est le Dieu des vengeances.
1. Ps. XI, 6. 2. Matth. V, 3, 1012. 3. Id. VI, 5. 4. Id. VII, 28, 29. 5. Id. XXIII, 13.
393
Il ne les épargnait point en paroles, afin de pouvoir un jour les épargner au jugement refuser en effet cette médecine amère de la parole, cétait encourir la condamnation du jugement à venir, Pourquoi? Parce que « le Seigneur est le Dieu des vengeances, et que le Dieu des vengeances agit avec liberté», cest-à-dire népargne personne. Or, celui dont les paroles ne ménagent personne, quand il vient pour souffrir, ménagera-t-il quand il viendra pour juger? Lui qui ne redoute personne quand il vient dans son humilité, redoutera-t-il quand il viendra dans sa gloire? Ce quil a fait avec tant de confiance te donne à juger de ce quil fera à la fin des temps. Garde-toi donc de, murmurer contre Dieu, qui semble épargner les méchants ; mais sois de ces bons quil népargne pas dans cette vie peut-être, afin de les épargner au jugement. « Le Dieu des vengeances est le Seigneur, le Dieu des vengeances agit avec liberté ». 8. Mais cette liberté dans ses actions, ils nont pu la souffrir. Et comme il était venu humble, comme il avait pris une chair mortelle et venait pour mourir; non pour agir comme les pécheurs, mais pour souffrir de leur part; comme il était venu pour agir en toute liberté, et que ces Pharisiens ne pouvaient supporter la franchise de ses invectives, que firent-ils? Ils le saisirent, le flagellèrent, se moquèrent de lui, le souffletèrent, lui crachèrent au visage, le couronnèrent dépines, lattachèrent à la croix, et enfin le firent mourir. Mais que dit le Prophète de cette active confiance? « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre 1 ». Ils lont saisi dans son humilité, le saisiront-ils dans sa gloire? Eux qui ont jugé un homme mortel, ne seront ils pas jugés par lui devenu immortel? Que dit donc le Prophète? Elevez-vous, ô vous qui avez agi avec liberté, vous dont les invectives hardies leur étaient insupportables , vous que dans leur malice ils ont cru faire beaucoup de saisir et de crucifier : au lieu de vous saisir pour croire en vous, ils vous ont saisi pour vous persécuter; ô vous donc, qui avez agi avec tant de confiance parmi les méchants, qui navez redouté personne, et qui avez souffert, « élevez-vous », cest-à-dire ressuscitez pour aller au ciel, et que lEglise endure avec patience ce que le chef de lEglise a si patiemment enduré; « élevez-vous,
1. Ps. XCIII, 2.
ô vous qui jugez la terre, rendez leur salaire aux superbes ». Il le rendra, mes frères. Quest-ce en effet quil est dit ici : « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes? » Cest une parole prophétique, et non un commandement téméraire. Ce nest point parce que le Prophète a dit: « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre », que le Christ a obéi à son Prophète en ressuscitant pour monter au ciel; mais cest parce que le Christ devait le faire que le Prophète la prédit. Car le Christ ne la point fait parce que le Prophète lavait prédit, mais le Prophète la prédit parce que le Christ devait le faire. Il voit en esprit le Christ humilié, mais humilié sans redouter personne, sans ménager personne de sa parole, et il dit qu « il agit avec liberté». Il le voit agir avec cette confiance, il le voit saisi, il le voit crucifié, humilié, puis il le voit ressuscitant et montant au ciel, doù il viendra pour juger ceux-là mêmes entre les mains desquels il a souffert tant de maux. « Elevez-vous», lui dit alors le Prophète, « ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il le rendra aux méchants, et non aux humbles, Quels sont les superbes? Ceux qui, non contents de mal faire, veulent encore défendre leurs péchés. Quelques-uns, en effet, de ceux qui ont crucifié le Christ, ont réellement opéré des miracles, quand ils se sont séparés des Juifs pour embrasser la foi, et Dieu leur a pardonné le sang du Christ. Ce sang du juste rougissait encore leurs mains, et déjà ce juste lavait son sang versé. Ceux qui avaient meurtri son corps mortel quils voyaient, se sont unis à son corps spirituel ou à lEglise. Ils avaient répandu ce sang qui devait être leur rançon, alla de boire cette même rançon. Plusieurs, en effet, se convertirent ensuite aux miracles que faisaient les Apôtres, plusieurs milliers embrassèrent la foi en un même jour 1; et ils se trouvèrent si étroitement unis au Christ, quils vendaient tout leur bien pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres, et on le distribuait à celui qui en avait besoin; et ils navaient en Dieu quun même coeur et quune même âme, eux dont plusieurs avaient crucifié le Sauveur. Mais pourquoi Dieu ne sen est-il pas vengé? Parce quil est dit: « Rendez le salaire aux superbes», et que ceux-ci ne voulurent pas être orgueilleux
1. Act. IV, 4.
394
En voyant les miracles qui sopéraient au nom de ce Jésus quils croyaient avoir mis à mort, ils furent émus de ces miracles, et prêtèrent loreille à Pierre, qui leur déclara au nom de qui ils sopéraient. Serviteurs fidèles, ces hommes ne voulurent point sarroger la puissance de leur maître et dire quils opéraient eux-mêmes ce que leur maître opérait par leurs mains. Les serviteurs rendirent donc au maître la gloire qui lui était due; ils dirent que ces merveilles que lon admirait saccomplissaient au nom de celui que les Juifs avaient crucifié. Et ces juifs shumilièrent, et touchés au fond du coeur, troublés, ils confessèrent leur péché 1 ; puis demandèrent conseil, en disant : « Que ferons-nous? » Loin de désespérer de leur salut, ils cherchent le médecin. Alors Pierre leur dit : « Faites pénitence, et que chacun dentre vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ 2 ».En faisant pénitence, ils devinrent humbles, et Dieu ne leur rendit point ce quils avaient mérité. Voici en effet ce que dit notre psaume : « Elevez-vous, ô vous qui ce jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Or, ceux-ci nétaient plus de ce nombre : en eux sétait accomplie cette parole du Sauveur à la croix: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils font 3 ». « Elevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il doit donc rendre aux hommes ce quils méritent? Oui, mais aux superbes. 9. Mais quand? oui, quand le rendra-t-il? Parfois les méchants triomphent, les méchants tressaillent, ils blasphèment, ils font toutes sortes de maux. En es-tu étonné ? Cherche avec piété plutôt que de blâmer avec orgueil. En es-tu étonné? Le Psalmiste est dans la même peine et il cherche avec toi non point quil en ignore la cause, mais il cherche ce quil sait bien, afin que tu trouves en lui ce que tu ne sais pas encore. Quand un homme veut consoler un autre homme, il ne le relève point sans pleurer dabord avec lui. Il pleure donc avec lui, dabord, puis il lui donne des paroles consolantes. Mais sil entrait chez lui en se raillant de sa tristesse, il nagirait point comme nous lavons lu tout à lheure dans lApôtre : « Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux ce qui pleurent 4 ». Tu pleures donc avec lui,
1. Act. II, 37. 2. Id. II, 4. 3. Luc, XXIII, 34. 4. Rom. XII, 15.
dabord, afin quensuite il entre dans ta joie; tu entres dans sa douleur afin de le relever: cest ainsi que le psaume, de même que lEsprit de Dieu qui sait tout, cherche avec toi, et sempare en quelque sorte de tes paroles: « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs seront-ils dans la joie?jusques à quand répondront-ils et diront-ils liniquité? jusques à quand élèveront-ils la voix, ceux qui commettent liniquité 1?» Nest-ce point parler contre Dieu, que de dire : De quoi nous sert de vivre de la sorte? Que dira-t-il? Que font à Dieu les actions des hommes? Parce quils vivent, ils simaginent que Dieu ne sait ce quils font. Vois quel est leur malheur: lhomme du poste qui les verrait les arrêterait, aussi cherchent-ils à éviter tout poste, dans la crainte dêtre arrêtés; mais nul ne peut échapper à loeil de Dieu, qui voit non-seulement dans la chambre la plus secrète, mais dans le secret de notre coeur. Eux aussi croient que lon ne peut rien déclarer à Dieu, et parce quils ont la conscience du crime quils commettent, quils se trouvent en vie bien que Dieu connaisse leurs crimes, ils se disent : Tout cela plaît donc à Dieu, car si nos actions déplaisaient à Dieu comme elles déplaisent aux juges, comme elles déplaisaient aux rois, aux empereurs, à ceux qui sont chargés den connaître, pourrions-nous échapper à loeil de Dieu, comme nous échappons à loeil des hommes? Nos oeuvres plaisent donc à Dieu? Aussi Dieu dans un autre psaume fait-il ce reproche à limpie: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu: tu as soupçonné liniquité, tu as pensé que je ce serais semblable à toi 2 ». Quest-ce à dire: « Je serais semblable à toi ? Que je me plairais dans tes crimes comme tu ty plais. Puis vient la menace de lavenir : « Je te convaincrai ». Il ne se tait donc point celui qui a dit : « Je me suis tu ». Bien quil ait dit : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu, et tu as soupçonné liniquité en croyant que je serais ce semblable à toi » : néanmoins il navait point gardé le silence. Lorsque nous parlons, il ne se tait point; quand le lecteur lit, Dieu ne se tait point; quand le Psalmiste chante, Dieu ne se tait point. Or, toutes ces voix de Dieu se dispersent dans lunivers entier, Comment donc Dieu peut-il se taire et ne point se taire? Sa parole ne se tait point, mais
1. Ps. XCIII, 3, 4. 2. Id. XLIX, 21.
395
sa vengeance se tait. Quest-ce à dire alors: « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu? »Voilà ce que tu as fait, et je nen ai point tiré vengeance. « Dès lors tu as soupçonné que je serais mauvais et semblable à toi». Dieu parle ailleurs de ce silence à légard de la punition, ou plutôt du châtiment différé : « Je me suis tu, me tairai-je donc toujours 1 ? ». « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs se glorifieront-ils, jusques à quand répondront-ils pour dire liniquité, et devront-ils parler ceux qui commettent linjustice?» Il énumère toutes leurs oeuvres : « Ils répondront, ils diront diniquité ». Quest-ce à dire : « Ils répondront?»Ils trouvent une réponse qui déroute le juste. Un homme de bien vient et leur dit: Loin de toi liniquité. Pourquoi? De peur de mourir. Voilà que je lai commise, pourquoi donc ne suis-je point mort? Un tel a fait des oeuvres de justice et il est mort: pourquoi? Moi, jai commis liniquité : pourquoi Dieu ne ma-t-il pas ôté la vie? Pourquoi donc a-t-il tiré vengeance de celui qui a fait les oeuvres de la justice? Pourquoi tel autre est-il dans la misère, vous diront-ils ? Voilà ce que David appelle répondre. Ils ont de quoi vous répliquer: ils trouvent de quoi répondre dans la patience de Dieu à qui les épargne. Dieu les épargne dans un motif, et ils répondent par un autre motif, cest quils vivent. LApôtre, en effet, nous dit pourquoi Dieu les épargne et nous explique le dessein de Dieu dans cette patience. « Penses-tu donc en agissant de la sorte que tu éviteras le jugement de Dieu? Oses-tu mépriser les richesses de sa bonté, de sa patience? Ignores-tu que la patience de Dieu tinvite à la pénitence? Quant à toi », cest-à-dire à celui qui répond et qui dit: Si je déplaisais à Dieu, Dieu ne mépargnerait pas ainsi; vois le tort que tu te fais à toi-même, écoute lApôtre : « Pour toi, par la dureté, par limpénitence de ton coeur, tu amasses coutre toi un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres 2 ». Dieu donc prolonge sa bonté, lorsque tu prolonges ton iniquité. Il aura un trésor déternelle miséricorde pour ceux qui nauront point méprisé sa miséricorde; mais toi, ton trésor sera dans la colère: ce que tu amasses chaque jour
1. Isa. XLII, 14. 2. Rom. II, 3-6.
peu à peu deviendra une masse accablante, tu la grossis insensiblement, et tu arriveras au comble. Ne compte point chaque jour sur la légèreté des fautes; les moindres gouttes forment de grands fleuves, 10. Mais que font ceux qui répondent si insolemment à Dieu, que font-ils pour quil les épargne? « Seigneur, ils ont humilié votre peuple » ; cest-à-dire, tous ceux qui veulent vivre dans la justice, cest contre eux que les méchants exercent leur insolence. « Seigneur, ils ont humilié votre peuple, ils ont opprimé votre héritage, ils ont tué la ce veuve et lorphelin, ils ont mis à mort le prosélyte 1 », cest-à-dire létranger, lhôte, le nouveau venu, voilà ce quil appelle le prosélyte. Tout cela est clair, et nous navons pas à nous y arrêter. 11. « Et ils ont dit: Le Seigneur ne le verra point 2 ». Il na de tout cela ni soin ni souci ; dautres pensées loccupent, il ne sarrête point à cela. Voilà, mes frères, les deux excuses des méchants: lune que nous avons exposée : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu; alors tu mas soupçonné diniquité, et de ressemblance avec toi 3 ». Quest-ce à dire « que jaurai de la ressemblance avec ce toi ? que je vois tes oeuvres et quelles me sont agréables, dès lors que je nen tire point vengeance. Lautre excuse est celle-ci, que Dieu ne considère point les oeuvres des hommes, quil se met peu en peine de notre vie, quil ne prend de nous aucun souci. Est-il croyable que Dieu sarrête à me regarder? quil me compte pour quelque chose? quil énumère les actions des hommes? Misérable créature ! Dieu, qui a pris soin de te créer, naurait aucun souci de te faire marcher dans le bien? Tel est donc le langage des méchants. « Ils ont dit: Le Seigneur ne le ce verra point, le Dieu de Jacob ne le cornu prendra point ». 12. « O vous, plus insensés que la populace, comprenez enfin, ayez enfin de la sagesse, ô hommes sans intelligence 4 ». Dieu instruit son peuple, dont les pieds pourraient chanceler à la vue de la prospérité des méchants. Voilà un homme qui vit parmi les saints de Dieu, ou les enfants de lEglise; il voit les méchants dans la prospérité, eux qui commettent le crime, et alors il en est jaloux et se sent porté à les imiter dans leurs oeuvres; il voit encore
1. Ps. XCIII, 5, 6. 2. Id. 7. 3. Id. XLIX, 21. 4. Id. XCIII, 8.
que sa piété, que son humilité ne lui servent de rien sur la terre, où il attendait sa récompense. Sil ne lattendait que dans le ciel, il ne la croirait point perdue, puisque le temps de la recevoir nest point venu pour lui. Tu es à travailler dans une vigne, fais ton oeuvre, et tu recevras ta récompense. Tu ne la demandes point au père de famille, avant de lavoir gagnée, et tu lexiges de Dieu avant tout travail? Cette patience même fait partie de ton travail qui sera récompensé. Cest diminuer le travail dans la vigne, que ne vouloir pas attendre, car cette patience qui se résigne fait partie de loeuvre qui doit être salariée. Mais si tu es fourbe, prends garde, non-seulement de te priver de toute récompense, mais encore dêtre châtié comme un ouvrier infidèle. Quand un ouvrier infidèle commence à mal faire, il fixe les yeux du père de famille, il examine celui qui la engagé pour travailler à sa vigne, afin de ralentir son travail, de muai faire sil détourne les yeux, dagir bien tant quil le voit. Mais Dieu, qui ta engagé, ne détourne jamais les yeux; tu ne saurais donc jamais mal faire, le père de famille a toujours les yeux sur toi; cherche comment tu pourras le tromper, et tu cesseras alors dagir. Si donc vous commenciez à vous ébranler en voyant la prospérité des méchants, si vos pensées faisaient chanceler vos pas dans la voie de Dieu, cest à vous que sadresse le Psalmiste; mais si nul dentre vous nen est là, cest aux autres quil sadresse, mais par vous-mêmes, lorsquil dit: « Comprenez maintenant». Ils ont dit: « Dieu ne verra point, le Dieu de Jacob ne comprendra point ». « Comprenez », sécrie le Prophète, « vous qui êtes insensés parmi la populace, devenez enfin sages, vous qui êtes sans jugement». 13. « Nentendra-t-il pas, Celui qui a planté loreille?» Ne peut-il entendre, Celui qui ta donné le pouvoir dentendre? « Nentendra-t-il pas, Celui qui a planté loreille? Celui qui a fait loeil, ne voit-il point? Celui qui instruit les nations, ne reprendra-t- il point 1? » Considérez avec attention, mes frères : «Celui qui instruit les nations, ne reprendra-t-il point? » Voilà ce que Dieu fait maintenant, il instruit les nations: cest pour cela quil a envoyé aux hommes son Verbe, dans toutes les contrées de la terre : il la envoyé par les anges, par
1. Ps. XCIII, 9, 10.
les patriarches, par les Prophètes, par ses serviteurs, tout autant de hérauts qui ont précédé le souverain Juge. Enfin, il a envoyé son Verbe lui-même, il a envoyé son Fils unique ; il a envoyé les serviteurs de son Fils, et parmi ses serviteurs, son Fils lui-même. Cette parole de Dieu est prêchée dans lunivers entier. Où nest-il point dit aux hommes : Laissez vos iniquités passées et tournez-vous vers la voie droite ? Il vous épargne donc, afin que vous vous corrigiez; il ne sest point vengé hier, afin que vous viviez aujourdhui plus saintement. Il instruit donc les nations, mais ne les reprendra-t-il point ? Nentendra-t-il point ceux quil instruit? Ne jugera-t-il point ceux auxquels il a jeté sa parole comme une semence? Dans une école recevrais-tu toujours sans rien répéter jamais ? Cest sinstruire que recevoir du maître, il te confie les leçons quil te donne, mais nexige-t-il pas quelquefois que tu les répètes ? Et en commençant cette répétition, ne crains-tu pas le châtiment? Nous recevons donc aujourdhui les leçons, plus tard nous paraîtrons devant le juge, afin de rendre compte de tout notre passé; cest-à-dire afin de lui donner raison de toutes les faveurs dont nous sommes comblés maintenant. Ecoute cette parole de lApôtre : « Nous comparaîtrons tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant quil était revêtu de son corps 1. Celui qui instruit les nations, ne les reprendra-t-il pas ; celui qui donne à lhomme la science?» Peut-il ignorer ce quil ta fait savoir, « Lui qui donne à lhomme la science? ». 14. « Le Seigneur connaît les pensées des hommes, il voit quelles sont vaines 2 ». Tu peux bien ne pas comprendre combien sont justes les pensées de Dieu; mais lui « sait combien sont vaines les pensées des hommes ». Des hommes, il est vrai, ont connu les pensées de Dieu ; mais il ne découvre ses secrets quà ses amis. Quant à vous, mes frères, ne vous méprisez pas vous-mêmes : cest entendre les pensées de Dieu que dapprocher du Seigneur avec foi: voilà ce que vous apprenez maintenant, ce que nous vous disons, en vous découvrant pourquoi Dieu pardonne ici-bas aux méchants, afin que vous ne murmuriez point contre le Seigneur « qui donne à
1. Rom. XIV, 10; II Cor. V, 10. 2. Ps. XCIII, 11.
lhomme la Science. Le Seigneur connaît combien sont vaines les pensées des hommes». Laissez donc ces pensées des hommes qui sont vaines, et comprenez toute la sagesse des pensées de Dieu. Mais qui comprend les pensées de Dieu ? Celui qui est fixé dans le firmament du ciel. Voilà ce que nous avons chanté, ce que nous avons exposé. 15. « Heureux lhomme que vous enseignerez, Seigneur, et que vous instruirez de votre loi ; afin de lui adoucir les jours mauvais, jusquà ce que la fosse soit creusée pour le pécheur ». Tel est le secret du conseil divin, voilà pourquoi il épargne les pécheurs: cest quune fosse est creusée au méchant. Tu veux déjà lensevelir, mais on creuse encore sa fosse, ne te hâte point de ly jeter. Quest-ce à dire, «jusquà ce que la fosse soit creusée au pécheur? » Ou bien, quel est ce pécheur? Est-ce un seul homme? Non : quest-ce donc? Tous ceux du genre humain qui sont impies, tout le corps des superbes; car il a dit auparavant: « Rendez aux superbes ce qui leur est dû ». Il était pécheur en effet, ce publicain, qui se tenait les yeux baissés vers la terre, et se frappait la poitrine en disant : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur 2». Mais parce quil nétait point superbe, et que cest aux superbes que Dieu rend le salaire, ce nest point à lui, mais à ceux-ci, que lon creuse une fosse, jusquà ce que Dieu rende à leur orgueil ce quil mérite. Ainsi donc dans cette parole: «Jusquà ce que la fosse soit creusée pour le pécheur», il faut entendre pour le superbe. Mais quel est le superbe? Celui dont la pénitence ne va point jusquà la confession des péchés, afin dêtre guéri par lhumilité. Quel est lhomme superbe? Celui qui sarroge le peu de bien qui peut paraître en lui, et lenlève à la divine miséricorde. Quel est lhomme superbe ? Celui qui, tout en attribuant à Dieu le bien quil fait, insulte néanmoins à ceux qui ne le font point, et sélève au-dessus deux. Ce Pharisien, en effet, disait: «Je vous rends grâces». Il ne disait point: Cest moi qui agis, mais il rendait grâces à Dieu du bien quil faisait. Il reconnaissait donc quil faisait le bien, et quil le faisait par le secours de Dieu. Pourquoi donc est-il réprouvé ? Parce quil insultait au publicain. Ecoutez donc, afin de devenir parfaits. Tout homme ou toute femme doit commencer par laveu de
1. Ps. XCIII, 12, 13. 2. Luc, XVIII, 13.
ses fautes, par une pénitence salutaire, qui témoigne quil se corrige et non quil se rit de Dieu. Après cette pénitence, quand il commencera à saffermir dans le bien, il doit encore veiller sur lui, afin de ne point sattribuer le bien quil fait, mais den rendre grâces à Celui par la bonté duquel il est entré dans le bien. Car cest Dieu qui la appelé, Dieu qui la éclairé. Le voilà donc déjà parfait? Point du tout. Il lui manque une chose encore. Que lui manque-t-il? De ne point sélever au-dessus de ceux qui ne vivent point encore comme il vit. Quiconque en est là est en sûreté; ce nest point à lui que lon rendra le salaire dont il est dit : « Rendez aux superbes ce quils méritent»; il nest point parmi ceux à qui lon creuse une fosse. Voyez en effet celui qui disait: «Je vous rends grâces de ce que je ne ressemble point aux autres hommes, qui sont injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce Publicain ». Combien sélève-t-il dans cette parole « Je ne suis point comme ce Publicain? » Mais celui-ci, la tête baissée, se frappait la poitrine en disant: « Mon Dieu, soyez-moi propice, parce que je suis un lécheur». Lun était orgueilleux de ses bonnes actions, lautre shumiliait de ses fautes. Voyez, mes frères, combien lhumilité dans les fautes est plus agréable à Dieu que lorgueil dans les bonnes actions, tant Dieu déteste lorgueil. Cest pourquoi le Sauveur conclut ainsi : « Je vous déclare que le Publicain sortit justifié beaucoup plus que le Pharisien ». Et il en donne le motif: «Cest ce que tout homme qui sélève sera humilié, ce tout homme qui shumilie sera élevé ». Mes frères, pour nous montrer que Jésus-Christ nous apprend lhumilité, il nest besoin que dun seul fait : cest quun Dieu sest fait homme. Voilà cette humilité qui déplaît tant aux païens, et doù ils nous adressent cette injure: Quel est votre Dieu? un homme qui est né pauvre. Quel est votre Dieu? un crucifié. Lhumilité du Christ déplaît donc aux superbes; mais toi, chrétien, imite-la si elle te plaît. Dès quon limite, il nest plus rien de pénible, car le Sauveur a dit: « Venez à moi, ô vous qui souffrez et qui êtes chargés, et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur 2 », Tel est donc lenseignement chrétien, que nul ne fait bien que par la grâce de Dieu Le mal que fait lhomme vient de
1. Luc, XVIII, 10-14. 2. Matth. XI, 28, 29
398
lhomme, le bien quil fait vient de la faveur divine: sil commence à faire le bien, quil ne se lattribue point ; et sil ne se lattribue point, quil en rende grâces à celui dont il la reçu; quand il fait le bien, quil ninsulte point à celui qui ne le fait point, et ne sélève point au-dessus de lui. Ce nest point à lui que se termine la grâce de Dieu de manière à ne point couler sur les autres. 16. « Afin que vous adoucissiez pour lui les jours mauvais, jusquà ce que la fosse soit creusée au pécheur 1». O toi, qui es chrétien, sois doux pendant les jours mauvais. Or, ils sont mauvais, ces jours pendant lesquels on voit fleurir le pécheur et souffrir le juste: mais la douleur du juste nest que le châtiment dun Père, et la félicité des pécheurs est la fosse quon leur creuse. Mais parce que Dieu nous mûrit pendant les jours mauvais, pendant que lon creuse la fosse aux pécheurs, ne vous imaginez point que les anges sont quelque part avec des hoyaux, creusant une fosse immense pour contenir toute la race des méchants Et quand vous les voyez en si grand nombre, ne dites point dans un sens grossier: Quelle tosse pourra vraiment contenir une si grande foule de méchants? Quel temps faudrait-il pour creuser une fosse aussi profonde? Dieu devra donc leur pardonner. Loin de nous ces pensées. La fosse des pécheurs est leur félicité, ils y tombent comme dans une fosse. Pesez bien ceci, car il est assez étrange dappeler fosse le bonheur lui-même: « Tant ce que lon creuse une fosse au pécheur ». Cest par une secrète justice que Dieu épargne lhomme dont il reconnaît les fautes et limpiété, et cette patience même de Dieu lui donne occasion de sélever à cause de limpunité. Il se croit élevé et il tombe, et sa chute vient de ce quil se croit élevé. Ce quil appelle marcher dans sa grandeur, Dieu lappelle une fosse; car une fosse descend vers labîme, et ne va point vers le ciel: or, les pécheurs et les orgueilleux semblent monter vers les cieux, tandis quils se plongent dans labîme. Les humbles au contraire paraissent descendre vers la terre, et ils montent jusquau ciel. Humilie-toi donc, ô toi, qui que tu sois, si tu es instruit dans la loi de Dieu, afin que ton coeur soit un astre dans le ciel. Car cest au quatrième jour, appelé le quatrième du sabbat, et doù notre psaume emprunte
1. Ps. XCIII, 13.
son titre, que Dieu a formé les astres. De même que tu vois ces astres suivre avec patience le cours qui leur est tracé, peu soucieux de ce que les hommes disent contre eux; dédaigne à ton tour les attaques dune chair fragile. Car tout homme nest que de la chair et du sang, et tu nes point vil en comparaison de cette autre chair qui paraît topprimer. Cest le même Dieu qui sest revêtu dune chair et qui a répandu son sang pour toi comme pour lui, et qui vous conduira lun et lautre à son tribunal. Et sil ta fait cette grâce, lorsque tu étais dans limpiété, que ne réserve-t-il pas à ta fidélité? Que cette pensée te rende humble. Comment devenir humble? En te disant : Les méchants ne sont dans le bonheur que par la volonté de Dieu, il veut les épargner afin de les amener à la pénitence ; et sils ne se convertissent point, il sait comment il les jugera. Or, lhomme nest point humble, quand il veut sopposer à cette bonté de Dieu, à cette patience, à ce pouvoir, à cette justice du juste. Dans son orgueil il sélève contre Dieu, et Dieu le rabaisse, et cette humiliation est dans lacte même qui sélève contre Dieu. Car il est dit dans un autre psaume: « Vous les avez précipités alors quils ce sélevaient 1». Il nest point dit: Vous les avez précipités parce quils sélevaient, afin de séparer le temps de lélévation du temps de la chute; mais, pour eux, sélever, cétait parti même tomber. Plus en effet le coeur de lhomme est orgueilleux, et plus il est éloigné de Dieu, et séloigner de Dieu cest tomber dans labîme. Un coeur humble au contraire fait descendre du ciel Dieu lui-même qui veut sen rapprocher. Dieu est élevé, Dieu est au-dessus des cieux, il domine les anges: combien ne faut-il pas télever pour atteindre ces hauteurs? Mais ne te mets pas en danger de te rompre à force de télever: je veux te donner un conseil, de peur que dans cette élévation lorgueil nen vienne à te rompre. Oui, Dieu est élevé: humilie-toi profondément et il descendra jusquà toi. 17. Nous comprenons donc pourquoi Dieu pardonne aux méchants; leur félicité est leur fosse. Dieu nous dit que ce nest point à nous de connaître comment ni pourquoi cette fosse leur est creusée, mais à nous de comprendre dans sa loi que nous devons être patients jusquà ce que la fosse soit creusée au pécheur.
1. Ps. LXXII, 18.
399
Mais moi, diras-tu, moi qui souffre au milieu des pécheurs, que marrivera-t-il? La réponse qui va suivre te dira que « Dieu ne repoussera point son peuple 1 ».Il le tient en haleine, mais ne le repousse point. Que nous dit en effet lEcriture à un autre endroit? « Que Dieu châtie celui quil aime; quil frappe celui «quil admet parmi ses enfants 2». Il reçoit celui quil châtie, et tu dis quil le repousse ? Voilà ce que des hommes font à leurs enfants sous nos yeux; ils corrigent ceux qui leur donnent de lespérance, mais ils abandonnent à leur vie de liberté, ces âmes indomptables qui ne laissent aucune espérance de bien. Or, il na point lintention dadmettre à son héritage celui quil abandonne à sa liberté : et quand il corrige un enfant, cest quil lui réserve son héritage. Que le fils que Dieu corrige, savance sous la main qui le frappe; puisque le frapper cest le préparer à lhéritage. Dieu donc néloigne pas de lhéritage le fils quil corrige, mais il ne le corrige que pour ly admettre. Que ce fils toutefois ne pousse point la jalousie enfantine, jusquà dire: Mon frère est plus aimé que moi de mon père, qui le laisse vivre en liberté, et moi, au moindre mouvement contre sa défense, le fouet est là. Réjouis-toi sous le fouet du châtiment, puisque lhéritage test réservé, et que « Le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Il corrige dans le temps, mais il ne damne point pour léternité. A ceux au contraire quil épargne dans le temps, malédiction sans fin. Choisis donc: veux-tu un labeur qui passera, ou une félicité éternelle? Une félicité dun moment, ou bien une vie éternelle? De quoi vous menace le Seigneur? dune peine sans fin. Que vous promet-il? un bonheur sans fin. Les châtiments qui pèsent sur les bons ne sont que passagers, lexemption des méchants nest que passagère non plus, car « le Seigneur ne «rejettera point son peuple, et nabandonnera point son héritage». 18. « Jusquà ce que la justice devienne un jugement, et quon voie auprès delle ceux qui ont le coeur droit 3 ». Travaille donc maintenant à posséder la justice, puisque tu ne peux encore avoir le jugement. Il faut la justice tout dabord, mais le jugement affirmera cette justice. Ici-bas les Apôtres avaient la justice, ils supportaient les hommes diniquité, mais que leur est-il promis? « Vous
1. Ps. XCIII, 14. 2. Hébr. XII, 6. 3. Ps. XCIII, 15.
serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus dIsraël 1 ». Donc leur justice se convertira en jugement. Quiconque est en effet juste ici-bas, nest tel que pour endurer et supporter le malheur. Quil souffre dans le temps des souffrances; viendra le temps de juger. Mais que dirai-je des serviteurs de Dieu ? Le Seigneur, qui est juge des vivants et des morts, a voulu dabord être jugé, puis juge ensuite. « Jusquà ce que la justice devienne un jugement, et ceux qui ont cette justice ont tous le coeur droit ». Avoir ici-bas la justice, ce nest point juger encore. Il faut dabord avoir la justice afin de juger ensuite; souffrir dabord les méchants, puis ensuite juger les méchants. Ayons premièrement cette justice, qui sera plus tard changée en jugement. Le juste subira les méchants autant quil plaît à Dieu, autant que son Eglise les souffrira, afin que leur malice lui serve dinstruction. Toutefois Dieu ne repoussera point son peuple, «jusquà ce que la justice devienne un jugement; et ceux qui la possèdent, sont des hommes au coeur droit ». Quels sont les hommes au coeur droit? Ceux qui veulent ce que Dieu veut. Dieu épargne les pécheurs, tu veux quil les damne dès ici-bas. Ton coeur est tortueux, ta volonté perverse; car tu veux une chose, et Dieu en veut une autre. Dieu veut épargner les méchants, toi tu ne veux aucun ménagement; Dieu est patient pour les pécheurs, tu nas pour eux aucune patience. Tu veux donc une chose, et Dieu une autre chose; redresse alors ton coeur, et tourne-le vers Dieu, parce que Dieu a pris en pitié les faibles. Il a vu que dans son corps, qui est son Eglise, il y a des infirmes qui cherchent à suivre leur volonté tout dabord, mais qui redresseront leur coeur pour vouloir ce que Dieu veut, en voyant que Dieu veut autre chose Ne cherche donc point à rendre tortueuse la volonté de Dieu, mais redresse la tienne sur celle de Dieu. La volonté de Dieu est pour nous comme une règle : si tu viens à fausser la règle, sur quoi la redresser? Mais cette règle demeure toujours droite; elle est immuable. Tant que la règle subsiste, tu peux te redresser, et ce quil y a de tortueux en toi. Que désirent les hommes? Cest peu, pour eux, davoir une volonté tortueuse; ils veulent faire obliquer la volonté de Dieu, la former sur leur coeur, afin que Dieu fasse
1. Matth. XIX, 28.
400
leur volonté quand ils doivent eux-mêmes faire ce que Dieu veut. 19. Comment le Seigneur, de deux volontés qui étaient en lui, a-t-il suivi celle qui sétait formée dans lhomme quil portait en lui? Il a voulu montrer en son corps ou dans son Eglise ceux qui, dans lavenir, voudront dabord agir selon leur volonté, puis embrasseront la volonté de Dieu; car il prévoyait quil y aurait des faibles parmi les siens, et il voulait quils fussent personnifiés en lui-même. Cest pour cela quune sueur de sang couvrit son corps 1, parce que dans son Eglise, qui est son corps, le sang des martyrs devait couler de toutes parts. Le sang couvrit donc tout son corps : ainsi le sang des martyrs a coulé dans tout le corps de lEglise. Mais pour personnifier en lui-même ou dans son corps ceux qui sont faibles, il dit en leur nom et par pitié pour eux : « Mon Père, sil est possible, éloignez de moi ce calice ». Il montre ainsi la volonté de lhomme, et sil persévérait dans cette volonté, il ne nous montrerait plus un coeur droit. Mais sil ta pris en pitié, il ta aussi guéri en lui. Suis-le donc, lorsquil dit ensuite : « Toutefois, non pas ma volonté, mais la vôtre, ô mon Père 2». Quand la volonté humaine vient te suggérer: Oh ! si le Seigneur donnait la mort à cet ennemi, qui ne mopprimerait plus? Oh! si je pouvais moins souffrir de sa part! Si tu persistes dans cette volonté, si tu y goûtes quelque plaisir, bien que tu saches que Dieu le défend, ton coeur est corrompu, tu nas point cette justice qui doit devenir un jugement; car «tous ceux qui ont cette justice ont le coeur droit». Et quels sont « les coeurs droits? » Ceux qui disent avec Job : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté: comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que son nom soit béni 3 ». Cest là un coeur droit. De même quand il est couvert de plaies, que dit-il à son épouse, que le démon lui avait laissée et navait pas mise à mort, afin de sen faire une aide, et non une consolatrice de son mari? Satan se souvenait que cétait par Eve quAdam avait été trompé 4, et il pensait que cette nouvelle Eve lui devenait un instrument nécessaire. Mais Adam vainqueur sur son fumier, fut bien supérieur à Adam vaincu dans le paradis. Que répondit Job à cette femme? Vois un coeur tout prêt, un
1. Luc, XXII, 44. 2. Matth. XXVI, 39. 3. Job, I, 21. 4. Gen. III, 6.
coeur droit, Nendurait-il pas alors une persécution, et une persécution bien cruelle? Les chrétiens en souffrent aussi ; et quand les hommes se lassent de sévir, le diable sévit à son tour, Et si les empereurs sont devenus chrétiens, le diable est-il aussi devenu chrétien, lui? Voyez, mes frères, ce quest un coeur droit. Sa femme sapproche et lui dit: « Parle contre Dieu, et meurs ». Elle énumère les maux quil endure ou quelle endure elle-même, puis elle ajoute : « Parle contre Dieu et meurs ». Mais Job reconnut Eve, et voulant retourner au point doù il était tombé, le coeur fixé en Dieu, comme un astre dans le firmament du ciel, demeurant du coeur dans le livre de Dieu: « Tu as parlé», lui répond-il, « comme une femme insensée; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi nen pas recevoir aussi les maux 1? » Son coeur était fixé en Dieu, et dès lors jutait droit. Fixe donc ton coeur en Dieu, afin quil ait toujours la droiture. Mais il se glisse parfois une certaine volonté humaine, et je ne sais quelle mollesse charnelle sempare de ton esprit; alors garde-toi de désespérer. Cest toi, et non lui-même, que le Seigneur figurait autrefois dans sa faiblesse : car il ne craignait point de mourir, lui qui devait ressusciter le troisième jour. Quand même il neût souffert que comme un homme, et non comme un Dieu qui venait souffrir, comment eût-il craint de mourir, sachant quil ressusciterait le troisième jour, tandis que saint Paul navait pas cette crainte, lui qui ne devait ressusciter quà la fin des siècles? « Car ce je me sens pressé de deux côtés », nous dit lApôtre; « jai dune part un ardent désir dêtre dégagé des liens du corps, et dêtre avec Jésus-Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur; mais de lautre il est plus avantageux pour vous que je reste en cette vie 2». La vie lui était donc à charge, et un double désir partageait son âme; mourir pour être avec le Christ lui paraissait préférable de beaucoup. Aussi, quels tressaillements, quand vint le temps de souffrir ! quelle sainte joie! « Jai combattu un bon combat, jai achevé ma course, jai gardé la foi; il ne me reste plus quà recevoir la couronne de justice, que le Seigneur en ce grand jour maccordera comme un juste juge 3». Lun tressaille parce quil sera couronné, et celui
1. Job, II, 9, 10. 2. Philipp. I, 23, 24. 3. II Tim. IV, 7, 8.
201
qui doit le couronner est triste ! LApôtre est dans la joie, et Notre-Seigneur dit : « Mon Père, sil est possible, que ce calice séloigne de moi 1» Il a pris nos tristesses comme il pris notre chair. Ne croyez point que le Seigneur nait tuas été triste; ce nest point là ce que nous disons, et si nous parlions de la sorte en présence de cette affirmation de lEvangile : « Mon âme est triste jusquà la mort 2», on pourrait dire aussi que Jésus ne dormit point, quand lEvangile assure quil dormit 3; quil ne mangea point, quand lEvangile affirme quil mangea 4 : un ver de corruption se glisserait dans la foi, et ny laisserait rien de sain ; on pourrait dire encore quil navait pas un corps véritable, ni une chair véritable. Tout ce qui est écrit de lui, unes frères, sest fait réellement, tout est vrai. II fut donc triste? Oui, triste en réalité, mais dune tristesse qui fut volontaire, comme il avait pris volontairement notre chair; et comme il avait pris volontairement une chair réelle,il prit volontairement une tristesse réelle. Il voulut montrer en lui-même cette tristesse, afin que, sil venait à sinsinuer dans notre âme quelque faiblesse humaine, qui opposât notre volonté à la volonté de Dieu, nous pussions voir que nous sommes en dehors de la règle, rattacher notre coeur à cette règle, et redresser en Dieu ce même coeur qui perdait de sa droiture en lhomme. Cest donc ta faiblesse que Jésus montrait en lui, quand il disait : «Mon âme est triste jusquà la mort ». Cest en elle quil dit aussi : « Mon Père, sil est possible, que ce calice séloigne de moi ». Néanmoins, fais aussitôt ce quil fit ensuite, afin de tinstruire : « Toutefois, non pas ma volonté, mais la vôtre, ô mon Père 5 ». Si vous agissez de la sorte, vous aurez la justice; et avoir la justice, cest avoir le coeur droit; et si le coeur est droit, cette justice qui souffre maintenant sera changée en jugement, et quand le Seigneur viendra juger, tu ne craindras aucun châtiment, mais tu te réjouiras de porter la couronne. Tu verras alors à quoi sera venue aboutir la patience de Dieu, ou à châtier les autres, ou à te couronner. Maintenant tu ne vois pas, il est vrai; mais crois ce que tu ne vois pas encore, afin de ne point rougir quand tu verras. « Jusquà ce que la justice devienne un jugement, et tous
1. Matth. XXVI, 39. 2. Id. 38. 3. Id. VIII, 28. 4. Luc, XIV, 1. 5. Matth. XXVI, 37, 38.
ceux qui ont cette justice ont le coeur droit». 20. « Qui sélèvera pour moi contre les méchants, ou qui prendra mon parti contre les artisans diniquité 1? ». De toutes parts on te porte au mal, et le serpent ne cesse de te suggérer liniquité. Quelque part que lon se tourne, dès que lon a fait quelque progrès dans la piété, on cherche un émule de vie chrétienne, et à peine peut-on le trouver : tu es environné de méchants, comme un peu de bon grain au milieu de beaucoup de paille. Il y a des grains dans laire, mais encore sous le fléau. Une fois quils seront séparés de la paille, ils seront en grand nombre. Peu nombreux en comparaison de la paille, ils sont nombreux en eux-mêmes. Ainsi donc, lorsque les méchants murmurent de toutes parts, et te disent : Pourquoi vivre ainsi? Es-tu seul chrétien? Pourquoi ne point imiter les autres? Pourquoi naller point aux spectacles comme les autres hommes ? Pourquoi navoir point leurs remèdes, leurs ligatures? Pourquoi ne point consulter les augures et lastrologie, comme le font les autres? Tu fais alors le signe de la croix, tu dis : Je suis chrétien, pour repousser ce langage empoisonné, Mais lennemi te presse et va plus loin ; ce qui est pire encore, il veut étouffer le chrétien par lexemple des chrétiens. Lâme est alors dans le trouble, dans langoisse. Elle peut vaincre néanmoins, mais est-ce par ses propres forces? Aussi écoutez sa réponse De quoi me servirait demployer ces remèdes pour ajouter peu de jours à ma vie? Voilà que je vais sortir de ce monde pour paraître devant mon Dieu, et il me jettera dans lenfer, parce que jaurai préféré quelques jours à la vie éternelle. Quel enfer? Le supplice de léternel jugement de Dieu. Vraiment, tu crois donc que Dieu prend soin de la vie des hommes ? Peut-être nest-ce point un ami qui vous parle ainsi sur la place publique, mais quelquefois une épouse au foyer domestique, ou un mari qui veut séduire une sainte et fidèle épouse. Si cest la femme au mari, elle est une Eve pour lui ; si cest le mari à lépouse, il est Satan pour elle. Ou Eve pour le mari, ou le serpent pour la femme. Parfois un père qui veut former son fils, le trouve corrompu, perdu de débauches. Il a du zèle, puis il est irrésolu, il cherche comment vaincre, il est
1. Ps. XCIII, 16.
presque absorbé à son tour, presque de connivence; que Dieu le protège. Ecoutez donc le psaume : « Qui sélèvera pour moi contre les méchants? » Ils sont en si grand nombre! quelque part que je regarde, je les vois. Qui tiendra tête au prince du mal, au diable et à ses anges, aux hommes quil a séduits? 21. « Si le Seigneur ne meût secouru, mon âme eût habité les enfers 2 ». Elle serait descendue dans la fosse préparée aux pécheurs. Voilà ce que signifie: « Peu sen faut que mon âme neût habité dans lenfer » Notre interlocuteur, se voyant ébranlé, près de consentir au mal, a jeté les yeux sur le Seigneur. Des railleries peut-être lamenaient à liniquité. Souvent les méchants se rassemblent pour insulter aux gens de bien, surtout quand ils sont en plus grand nombre et quils environnent un homme isolé, comme la paille dans laire environne le bon grain. (Mais ils ne seront plus ensemble quand cette masse aura été vannée). Cet homme de bien se trouve donc environné de méchants, qui le persiflent, qui le circonviennent, qui sefforcent de simposer à lui, qui le harcèlent parce quil est juste, qui font de sa justice un sujet de sarcasmes : Vous êtes, lui disent-ils, un grand Apôtre; vous avez été ravi au ciel comme Elle. Ainsi parlent ces hommes, afin que, fatigué de ces traits envenimés, le juste rougisse enfin au milieu deux, Quil résiste donc à ces méchants, et que pour leur résister il ne compte point sur ses forces, de peur quil ne devienne orgueilleux en voulant fuir les orgueilleux et naille augmenter leur nombre. Que dire alors? « Qui sélèvera pour ce moi contre les méchants, ou qui voudra sunir à moi contre ceux qui font le mal? Si Dieu ne métait venu en aide, peu sen ce faudrait que mon âme ne fût dans lenfer». 22. « Si je disais mon pied est ébranlé; votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait 2 ». Vois combien laveu est précieux devant Dieu. Ton pied chancelle, et tu ne dis point : Mon pied chancelle; mais tu affirmes que tu es ferme lorsque déjà tu es abattu. Au contraire, lorsque tu te sens ébranler, lorsque tu chancelles, confesse ton ébranlement pour navoir pas à pleurer ta chute; afin que Dieu te tende la main et que ton âme naille point dans les enfers. Dieu veut la confession, il aime lhumilité. Tu es
1. Ps. XCIII, 17. Id. 18.
ébranlé parce que tu es homme, il te soutient parce quil est Dieu. Dis-lui donc ce Mon pied est ébranlé ». Pourquoi dire : Je tiens ferme, lorsque ton pied sébranle? « Si je disais: Mon pied chancelle, votre miséricorde me soutenait, ô mon Dieu ». Cest ainsi que Pierre ne mit point sa confiance en lui-même. On vit un jour le Seigneur marchant sur la mer, foulant aux pieds toutes les têtes orgueilleuses de ce monde. Et il a montré quil foulait aux pieds les têtes orgueilleuses, quand il marcha sur les flots en courroux. Ainsi en est-il de lEglise, car cest lEglise qui est Pierre. Et toutefois Pierre nosa de lui-même marcher sur la mer : mais que dit-il? « Seigneur, si cest vous, ordonnez que jaille à vous sur les eaux ». Jésus marche par sa puissance, Pierre par lordre de Jésus. « Ordonnez que jaille à vous », dit-il. Et Jésus répondit : « Viens 1». LEglise donc marche sur la tête des superbes: mais comme elle est lEglise, comme elle a sa part des infirmités humaines, afin daccomplir cette parole : « Si je disais : Mon pied est chancelant », Pierre chancela sur la mer, et sécria: « Seigneur, je péris ». Ainsi donc, ce qui est écrit ici : « Si je disais : Mon pied a chancelé », se traduit dans lEvangile par : « Seigneur, je péris 2 ». Et cette autre parole : « Votre miséricorde me soutenait », saccomplit ici : « Jésus tendit la main en disant : Homme de peu de foi, ce pourquoi douter 3? » Dieu est admirable dans les épreuves quil envoie aux hommes; et nos propres dangers nous rendent plus cher le libérateur. Voyez en effet ce qui suit. Le Prophète a écrit : « Si je disais: Mon pied a chancelé : votre miséricorde venait à mon secours, ô mon Dieu ». Le Seigneur qui la tiré du danger lui est devenu plus cher; et en exposant cette bonté du Seigneur, il sécrie : « Seigneur, vos paroles ont versé dans mon âme une joie proportionnée à mes douleurs 4 ». Ces douleurs étaient grandes, et grandes aussi vos consolations; la blessure était cuisante, mais le remède en est doux. 23. « Y aurait-il près de vous un siège diniquité, ô vous qui imposez la douleur comme un précepte 5? » Cest-à-dire : Tout homme injuste ne pourra sasseoir avec vous, et vous naurez point vous-même un siège diniquité.
1. I Matth. XIV, 28. 2. Id. 30. 3. Id. 31, 32. 4. Ps. XCIII, 19. 5. Id. 20.
Et comme pour en donner la raison, il ajoute: « Vous formez la douleur comme un précepte ». Ce qui me fait comprendre quil ny a près de vous aucun trône diniquité, cest que vous ne nous épargnez point. Nous lisons dans lépître de saint Pierre un passage quil emprunte aux saintes Ecritures, et qui est une preuve de ceci : « Voici le moment », dit-il, « où le jugement va commencer par la maison du Seigneur 1 »; cest-à-dire, le moment où vont être jugés ceux qui appartiennent à la maison du Seigneur. Si les enfants sont châtiés, que ne doivent pas attendre les serviteurs infidèles? Puis saint Pierre ajoute: « Si le Seigneur commence ainsi par nous, que peuvent attendre ceux qui ne croient point à lEvangile? » Ce quil appuie de ce témoignage : « Et si le juste est à peine sauvé, que deviendront le pécheur et limpie 2? » Comment les impies seraient-ils avec vous, puisque vous népargnez pas vos fidèles serviteurs, que vous exercez et que vous châtiez? Mais comme cest pour nous instruire quil ne nous épargne point, le Psalmiste a dit : « Vous formez la douleur comme un précepte ». Vous la formez, cest-à-dire vous la faites, vous la créez, vous la pétrissez : Fingis ; vous lui donnez une forme; de là vient que louvrier dargile se nomma Fingulus, et le vase quil forme fictile, car le mot fictum ne signifie pas toujours mensonge, mais ce que lon prépare en lui donnant une forme, ce qui a donc une certaine forme, ainsi que le Psalmiste la dit : Celui qui a formé loeil ne verra-t-il point? Qui finxit oculum, et cette expression finxit ne désigne aucune feinte, mais elle signifie donner une forme à loeil, faire loeil. Dieu ne ressemble-t-il pas à louvrier dargile, figulus, quand il fait lhomme si fragile, si faible, si terrestre? Ecoute cette parole de lApôtre : « Nous avons ce trésor dans des vases de terre 3 ». Mais peut-être ces vases de terre nous viennent-ils dun autre? Ecoute sa réponse: « O homme, qui es-tu pour oser répondre à Dieu? Le vase dargile a-t-il droit de dire à celui qui la fait : Pourquoi mavez-vous fait ainsi? Le potier na-t-il pas le droit de former avec la même masse dargile ou un vase dhonneur, ou un vase dignominie 4?»Vois dans lEvangile que le
1. I Pierre, IV, 17. 2. Id. 18; Prov. XI, 31. 3. II Cor. IV, 7. 4. Rom. IX, 20, 21.
Christ Notre-Seigneur se compare à louvrier dargile; car sil a fait lhomme avec de la boue 1, ce fut aussi de la boue quil mit sur les yeux de celui dont il navait formé les yeux que dune manière imparfaite au sein de sa mère 2. Donc cette parole: « Y aura-t-il près de vous un siège pour liniquité, quand vous préparez la douleur comme un précepte? » nous devons lentendre comme sil disait: Y aura-t-il près de vous un siége pour liniquité, vous qui formez la douleur comme un précepte? Qui formez la douleur comme un précepte, qui nous faites un précepte de la douleur, en sorte quelle nous soit imposée. Comment la douleur est-elle un précepte pour nous? Cest quand celui qui est mort pour toi te flagelle, sans te promettre le bonheur en cette vie, lui qui ne peut tromper, et qui ne te donne point ici-bas ce que tu cherches. Quel bien donnera-t-il? Où le donnera-t-il? Combien donnera-t-il, lui qui ne donne rien en cette vie, qui châtie en cette vie, qui fait de la douleur un précepte? Cest maintenant le temps du travail, le repos nous est promis pour la suite. Tu considères le labeur qui téchoit en cette vie, mais considère le repos que Dieu te promet. Peux-tu seulement te le figurer? Si tu le pouvais, tu comprendrais que ton travail ne saurait lui être comparé. Ecoute celui qui voyait ces biens en partie, qui sécriait : « Je connais ce maintenant en partie seulement 3 » ; que nous dit lApôtre? « Nos tribulations actuelles qui doivent passer, et qui sont légères, préparent en nous, dune manière incroyable et incomparable, un poids éternel de gloire ». Quest-ce à dire « un poids éternel de gloire? » Pour qui cette gloire? « Pour ceux qui ne sarrêtent point à ce quon voit, mais à ce qui est invisible. Car ce que lon ce voit nest que pour un temps, ce que lon ce ne voit pas est éternel 4». Ne tamollis point dans un travail qui passe rapidement, et tu jouiras dun bonheur sans fin. Dieu te donnera la vie éternelle; juge de quel travail tu la dois acheter. 24. Ecoutez, bien, mes frères, voici un marché. Tout ce que jai est à vendre, dit le Seigneur, achète-le. Qua-t-il à vendre? Il a un repos à vendre, achète-le par le travail. Ecoutez afin que nous soyons au nom du
1. Gen. II, 7. 2. Jean, IX, 1-6. 3. I Cor. XIII, 12. 4. II Cor. IV, 17, 18.
404
Christ des chrétiens courageux; il ne nous reste que très-peu de notre psaume, ne nous fatiguons point. Comment pourrait-il être courageux pour agir, celui qui sattiédit à écouter ? Dieu maidera à vous expliquer le reste du psaume. Ecoutez comment Dieu a mis à lencan le royaume des cieux. Combien vaut-il, lui diras-tu ? On lachète par le travail: sil te répondait quon lachète avec de lor, cela ne suffirait point: tu demanderais aussi combien dor ; car il y a le grain dor, lonce dor, la livre dor, et tout autre poids. Il te dit donc le prix, afin de tépargner la fatigue de le chercher. Le prix de ce royaume, cest le travail. Quel est ce travail ? Demande combien il te faut travailler ; car tu ne sais pas encore quel est ce travail, et combien tu dois travailler: Dieu te dit simplement : Je te fais voir quel est ce repos, juge de quel travail tu dois lacheter. Que Dieu nous dise alors quel sera le repos. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront ce dans les siècles des siècles 1». Tel est donc le repos éternel; ce sera un repos sans fin, un bonheur sans fin, une allégresse sans fin, une incorruptibilité sans fin. De quel travail peut-on acheter un bonheur qui est sans fin? Si tu veux être juste dans la comparaison, si tu veux juger dans la vérité, un repos éternel doit être acheté par un travail éternel. Cela est vrai, mais ne crains point, Dieu est miséricordieux. Mais avec un travail éternel, tu narriverais jamais au repos éternel. Si tu travaillais sans fin, comment pourrais-tu arriver à ce repos éternel, qui mériterait quon lachetât par un travail sans fin? Pèse bien les valeurs : un repos éternel vaut un travail éternel. Mais travailler toujours, cest narriver jamais au repos. Si donc tu veux arriver à ce que tu achètes, il faut que ton travail ait une fin, non que le repos ne vaille pas un tel prix, mais afin que tu puisses posséder ce que tu as acheté. Un travail éternel devrait en être le prix; mais on ne saurait lacheter que dun travail passager. Assurément il fut bien un travail éternel pour un repos éternel. Quest-ce quun mil lion dannées dans le travail? Un million dannées passera; mais ce que je donnerai, dit le Seigneur, naura point de fin. Combien est grande la divine miséricorde! Elle ne dit pas mille années de travail; elle ne dit point cinq
1. Ps. LXXXIII, 5.
cents ans de travail, mais bien : travaille tant que tu vivras, peu dannées, et tu auras le repos, et le repos sans fin. Ecoute encore la suite : « Dans les maux sans nombre qui affligeaient mon coeur, vos paroles ont versé la consolation dans mon âme ».Tu travailles peu dannées, et ce labeur est entrecoupé par la joie, car il y a des consolations en cette vie, Toutefois ne mets point ta joie dans ce monde, réjouis-toi dans le Christ, réjouis-toi dans sa parole, réjouis-toi dans ses préceptes. Ces entretiens avec vous, cette parole que vous entendez, font partie de votre joie. Combien de consolations dès lors dans un travail si court! Elle est donc vraie, cette parole de lApôtre: « Nos tribulations actuelles, qui doivent ce passer et qui sont légères, préparent en nous, dune manière incroyable et incomparable, un poids de gloire éternelle ». Voilà donc le prix que nous donnons à Dieu ! Quelques légumes grossiers pour des trésors éternels; les légumes du travail, pour un repos indicible daprès cette parole : « Voilà ce qui nous prépare dune manière incomparable un poids de gloire éternelle ». Tu te réjouis dans le temps, mais ny mets point la confiance : la vie a ses tristesses, ne désespère point. Ne te laisse ni corrompre par la prospérité, ni abattre par ladversité : ne dis pas en toi-même : il est impossible que Dieu admette auprès de lui les méchants, quand il châtie les justes eux-mêmes afin de les sauver: puisquil ne châtie que pour redresser. « Si le juste à peine est sauvé, quarrivera-t-il à limpie et au pécheur 1? Y aura-t-il auprès « de vous un siège diniquité? » Cest-à-dire, les impies sassiéront-ils auprès de vous, quand vous faites de la douleur un précepte, quand vous voulez exercer vos enfants par la douleur; afin de les instruire quand vous avez voulu leur donner des préceptes pour quils ne fussent point sans crainte, quils ne vinssent à aimer autre chose, et à vouloir vous oublier. Vous, leur véritable bien? Dieu est bon; et si, dans sa miséricorde, il ne mêlait quelque amertume aux félicités de cette vie, nous en arriverions à loublier. 25. Mais quand les peines et les afflictions viennent foudre sur nous, notre foi qui sommeillait sort de son assoupissement. La mer était calme, quand Jésus dormait : cest pendant son sommeil que séleva la tempête, et
1. Prov. XI, 31; I Pierre, IV, 18.
405
quils furent en péril. Le coeur du chrétien sera donc dans la paix et dans la tranquillité, nais seulement quand notre foi sera en éveil; quelle sendorme et nous sommes en danger. Le sommeil du Christ nous apprenait alors que ceux-là sont en danger qui laissent dormir leur foi. Mais comme dans les secousses du navire les disciples réveillèrent leur maître, en sécriant : « Seigneur, nous périssons », comme il se leva, commanda à la tempête, commanda aux flots, lit cesser la tempête et rétablit le calme 1; ainsi le trouble des passions mauvaises, les instigations du démon, sont comme des flots qui doivent sapaiser. Le découragement sempare-t-il de toi, et penses-tu nappartenir plus à Dieu ? réveille ta foi ; fais lever le Christ dans ton coeur; et ta foi séveillant te montrera où tu es: et si les flots des convoitises se soulèvent, regarde les promesses de Dieu ; et ces ineffables promesses te feront mépriser les délices de ce monde : et si les méchants te menacent de leur puissance, au point de te forcer à renoncer à la justice, écoute les menaces de Dieu: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 2», et tu nabandonneras point la justice. Tu craindras les feux éternels, et tu mépriseras les douleurs du temps; à la vue des promesses de Dieu, tu mépriseras les félicités passagères. Il ta promis le repos, endure les angoisses ; il te menace des flammes éternelles, méprise une douleur dun jour: et au réveil du Christ ton coeur sera dans le calme, et tu arriveras au port. Celui qui toffre une barque ne peut que te préparer un port de salut. « Liniquité sassiérait-elle près de vous, quand vous faites de la douleur un précepte? » Dieu se sert des méchants pour nous exercer, et de leurs persécutions pour nous châtier. La malice du méchant sert à frapper le juste, et lesclave à corriger le fils: ainsi la douleur devient un précepte. Les méchants font ce que Dieu leur permet, dans le temps quil les épargne. 26. Quajoute le Prophète? « Ils tendront des pièges à lâme du juste 3 ». Pourquoi tendre des pièges? parce quils ne trouvent aucune faute réelle à lui reprocher. Pourquoi tendre des piéges au Seigneur? Impuissant à lui trouver des crimes réels, ils en ont inventé de fictifs 4. « Et ils condamneront le sang
1. Matth. VIII, 23-26. 2. Id. XXV, 41. 3. Ps. XCIII, 21. 4. Matth. XXVI, 59.
Innocent ». Le Prophète va nous dire pourquoi tout cela. 27. « Et le Seigneur », dit-il, « est devenu pour moi un refuge 1».Tu ne chercherais pas un tel refuge si tu nétais dans le danger: mais tu nas été dans le danger quafin de le chercher; car cest Dieu qui fait de la douleur un précepte. Il se sert de la malice des méchants pour nous affliger; sous laiguillon de la douleur, je cherche un refuge que je navais point cherché dans les délices du monde. Où est lhomme qui se tourne aisément du côté de Dieu, sil est toujours heureux et content des espérances terrestres? Que ces espérances mondaines disparaissent, et livrons-nous à lespérance de Dieu, afin de pouvoir dire : « Le Seigneur est devenu pour moi un refuge ». Je consens à souffrir, pour que le Seigneur soit mon asile : « Et mon Dieu sest fait le protecteur de mon espérance ». Ici-bas Dieu est pour nous en espérance; tant que nous sommes sur la terre, nous navons que lespérance, et non point la réalité. Mais de peur que nous ne perdions courage, Dieu qui nous a fait des promesses, nous relève et adoucit les maux que nous souffrons. Car ce nest pas en vain quil est écrit : « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces, mais il ouvrira une issue à lépreuve, afin que vous puissiez ce persévérer 2»: quil nous jette dans la fournaise de la tribulation, de manière à cuire le vase et non à le briser. « Et le Seigneur est ce devenu un refuge pour moi, Dieu a soutenu ce mon espérance ». Pourquoi donc voyais-tu une injustice en Dieu qui épargne les méchants? Vois comment le psaume se corrige, et corrige-toi avec lui; car cest pour cela que le psaume parlait ton langage. Quel langage? «Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand ce les pécheurs se glorifieront-ils? » Le psaume parlait donc tout à lheure comme toi, parle maintenant comme le psaume. Que dit le psaume? « Le Seigneur est devenu mon refuge, et mon Dieu est lappui de mon espérance ». 28. « Le Seigneur leur rendra selon leurs oeuvres, le Seigneur notre Dieu les détruira ce selon leur malice 3 ». Ce nest pas sans raison que le Prophète dit: « Selon leur malice». Ils me font un grand bien, et néanmoins ils sont méchants et nullement bienfaiteurs. Dieu
1. Ps. XCIII, 22. 2. I Cor. X, 13, 3. Ps. XCIII, 23,
406
se sert visiblement des méchants pour nous exercer, pour nous affliger. Pourquoi nous châtier? Assurément pour le royaume des cieux. « Il flagelle tous ceux quil reçoit au nombre de ses enfants. Et quel est le fils à qui son ce père ne donne point la discipline 1? » Quand le Seigneur en agit ainsi, il nous dresse pour lhéritage éternel, et souvent il le fait par les méchants, exerçant et perfectionnant notre charité quil nous ordonne détendre jusquà nos ennemis, car il ny a de parfaite charité dans le chrétien, quà la condition daccomplir ce précepte du Christ: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent 2». Cest ainsi que lon triomphe du diable, et que lon remporte la couronne de la victoire. Tel est le bien que Dieu nous procure au moyen des méchants: et pourtant il doit les traiter, non selon le bien dont ils ont été pour nous les instruments, mais selon leur malice. Voyez ce quil nous a procuré au moyen de linfâme trahison de Judas. Car Judas livre le Fils de Dieu pour être crucifié, et cest par la croix du Fils de Dieu que tous les peuples ont été rachetés pour le ciel ; et néanmoins Dieu na point récompensé Judas de la rédemption de tous les peuples, mais il la châtié selon son crime. Si lon considère seulement en Judas quil a livré Jésus-Christ, sans regarder avec quel esprit il la fait, Judas a fait ce que Dieu le Père a fait, puisquil est écrit qu « il na pas épargné son propre Fils, mais la livré à la mort pour nous tous 3». Judas a fait ce qua fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisquil est dit qu « il sest livré à ce Dieu pour nous, comme une offrande et une hostie dagréable odeur »; puis encore qu « il a aimé son Eglise, et sest livré à la mort pour elle 4». Cependant nous rendons grâces à Dieu, qui na pas épargné son Fils, qui la livré pour nous, de même que nous rendons grâces au Fils qui sest livré pour nous, accomplissant ainsi la volonté de son Père; et nous détestons Judas, dont le crime a servi à Dieu pour nous procurer un si grand bien, et nous disons avec raison: Dieu lui a rendu selon son iniquité, et la perdu selon sa malice. Ce nest point pour nous en effet que Judas a livré le Christ, mais pour posséder largent de son crime: quoique le
1. Prov. III, 12; Hébr. XII, 6, 7. 2. Matth. V, 44. 3. Rom. VIII, 32. 4. Ephés. V, 2, 25,
Christ ainsi livré soit demeuré notre salut, et que ce marché nous ait délivrés. Ainsi encore ceux qui persécutaient les martyrs ne les torturaient sur la terre quen les envoyant au ciel ; ils leur ôtaient sciemment la vie présente, pour leur faire gagner, sans le savoir, la vie future. Mais quand ces persécuteurs se sont obstinés dans leur injuste haine contre les saints, Dieu les a traités selon leurs iniquités, et les a perdus selon leur malice. De même en effet que la bonté des justes nuit aux méchants, de même liniquité des méchants est avantageuse aux bons. Car le Seigneur a dit: « Je suis venu afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ! », Et lApôtre: « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort, aux autres une odeur de vie pour la vie 2 ». La malice des méchants est pour les justes larme de gauche, ainsi que la dit le même Apôtre: « Par les armes de la justice, à droite et à gauche, cest-à-dire par la gloire et par lignominie 3 » : et il continue à énumérer les armes de la droite, la gloire de Dieu, la bonne renommée, la vérité qui leur faisait connaître quils vivaient, quils nétaient point morts; quils devaient se réjouir, quils enrichissaient les autres, et quils possédaient toutes choses : les armes de la gauche, qui étaient pour eux lignominie, subir la diffamation, passer pour séducteurs, être ignorés, mis à mort, emprisonnés, subir tous les maux, être méprisés comme des pauvres et des indigents. Et quy a-t-il détonnant que des soldats du Christ combattent le Christ par ces différentes armes, à droite et à gauche? Mais comme la paix est aux hommes de bonne volonté 4, même quand ils sont pour les autres une odeur de mort pour la mort; de même la mort est pour les hommes de mauvaise volonté, même quand ils sont pour les justes des armes de gauche pour le salut, Dieu donc leur rendra, non point selon quils nous auront été utiles, mais selon liniquité quils aimaient en haïssant leurs âmes: il ne les glorifiera point selon ce quil nous procure par leur malice, lui qui tire un sage parti de leur malice : « Mais le Seigneur notre Dieu les perdra selon leur malice ». 29. Que le juste donc supporte linjuste; que pendant son labeur passager, le juste supporte
1. Jean, IX, 39. 2. II Cor. II, 16. 3. Id. VI, 7, 8. 4. Luc, II, 14.
407
limpunité passagère des méchants, puisque le juste vit de la foi 1. Il ny a dautre justice pour lhomme en cette vie, que de vivre selon la foi qui agit par la charité 2. Or, si le juste vit de la foi, quil croie, quaprès cette vie de labeur, il jouira du repos éternel, comme le méchant, après la joie dici-bas, souffrira des tourments sans fin. Or, si la foi agit par la charité, quil aime jusquà ses ennemis 3, et autant quil est en lui, quil cherche à leur être utile : par là, malgré leur volonté, ils ne pourront lui nuire aucunement. Et quand parfois Dieu leur aura donné la puissance de nuire et de dominer quil élève son coeur en haut, où nul ne peut nuire; quil sinstruise et se nourrisse de la toi de Dieu, afin que ses jours soient adoucis jusquà ce quune fosse soit creusée au pécheur. Si sa volonté est dans la loi de Dieu, sil médite cette loi jour et nuit 4, si sa conversation est dans le ciel 5, du haut du firmament il brillera sur la terre, selon le titre du psaume, à propos du quatrième jour, où fument créés les astres 6 : en sorte quil fera tout sans murmure, gardant la parole de Dieu, au milieu dune nation tortueuse et perverse 7. De même que la nuit néteint pas dans les cieux la lumière des astres : ainsi liniquité nabattra point les âmes des fidèles fixées dans le firmament des Ecritures divines. Cette puissance que Dieu abandonne
1. Rom. I, 17. 2. Gal. V, 6. 3. Matth. IV, 44. 4. Ps. I, 2. 5. Philipp. III, 20. 6. Gen. I, 14. 7. Philipp. II, 14-16.
quelquefois aux méchants, sur nos biens terrestres, non-seulement sert à nous instruire, à nous faire chercher en Dieu notre refuge, dans le Seigneur lappui de notre espérance; mais elle sert encore à creuser une fosse au pécheur, dont il est dit dans un autre psaume : « Il chancellera et tombera, quand il aura dominé le pauvre 1». 30. Un si long discours vous a fatigués sans doute : quoique votre ferveur mait empêché de le voir, pardonnez-moi néanmoins sil en est ainsi ; dabord, je ne lai fait que pour obéir; car le Seigneur me la commandé par la bouche de ces frères en qui il habite; Dieu en effet ne commande que de son trône. Ensuite votre avidité à mécouter, je lavoue, ma donné lavidité de vous parler. Que le Seigneur bénisse donc mon travail, et que cette sueur de mon visage soit pour vous un gage de salut, et non de condamnation; cest-à-dire, mes frères, que mes paroles vous stimulent dans la vertu; que vous les méditiez en. vous-mêmes, que vous nen perdiez pas le souvenir, et quelles se gravent, non-seulement dans votre esprit, mais aussi dans vos pratiques journalières. Une vie sainte, réglée sur les préceptes de Dieu, est comme le stylet qui grave dans le coeur ce que lon entend au dehors. Gravez-le sur la cire, il seffacera bientôt: écrivez-le dans vos coeurs, dans vos saintes pratiques, et il ne seffacera jamais.
1. Ps. IX, 10.
|