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DISCOURS SUR LE PSAUME XCVI.SERMON AU PEUPLE.LES SAINTES JOIES DE LÉGLISE.
Ce que les saints personnages ont désiré voir, cest le salut de Dieu chez les nations.: ce salut est Jésus-Christ, auquel nous devons rapporter tout notre psaume, si nous voulons le comprendre. Il a pour titre : « Pour David », ou pour le Christ fils de David. « Quand sa terre fut rétablie », cest-à-dire quand les Juifs égarés jusquà mettre à mort le Christ, se convertirent en grand nombre à la Pentecôte. De là les Apôtres passèrent chez les Gentils, et le Christ fut la pierre angulaire unissant la circoncision à la gentilité. Ainsi sa terre fut établie; ce que lon peut encore entendre de la résurrection. Le Seigneur a donc régné par sa parole prêchée sur les continents et dans les îles; ces îles que battent les flots sais les submerger peuvent aussi désigner les Eglises persécutées et non détruites. Ces ténèbres dune part, la justice et léquité dautre part, caractérisent ceux qui entendent la prédication, nuageuse pour les orgueilleux, pleine de lumière pour les humbles qui forment son trône. Le feu qui marche devant le Seigneur, nest point le feu de lenfer, mais cest le feu de la persécution qui a consumé les persécuteurs mêmes, ou le feu de la charité qui a embrasé le monde, et dévoré les ennemis de Dieu, en jetant les incrédules dans la réprobation, et -en ramenant à lui les hommes de bonne foi. Les Apôtres fuient comme des nuées doù jaillirent ces éclairs de miracles et de prédications qui émurent la terre, qui fondirent les montagnes ou les orgueilleux. Honte à ceux qui adorent des pierres; pour nous, notre pierre est vivante ! Ils adorent lidole ou le démon, qui se repaît de nos malheurs : un bon esprit refuserait tout culte. Sion a entendu le baptême de Corneille, et lappel fait aux Gentils, elle a tressailli de joie. Ainsi le Seigneur sest montré supérieur aux démons et aux anges Nous qui aimons le Seigneur, haïssons le mal, au risque dêtre persécutés; car la persécution ne peut nous ôter ni le ciel, ni la vie de lâme, ni la lumière dest haut. Nayons de joie que dans le Seigneur ; puisquil ny a pas de joie pour limpie, la nôtre est pour lautre vie, selon la promesse de lEvangile.
1. Dieu donne au coeur chrétien de grands spectacles, et que rien ne surpasse en douceur, si toutefois nous avons le palais de la foi qui goûte le miel de Dieu. Vous tous, qui avez la foi en Jésus-Christ, vous avez en vous, je le crois, lEsprit-Saint, qui vous donne une sainte joie quand vous entendez lire les prophéties, émanées depuis tant de (425) siècles de la bouche de saints personnages, et qui saccomplissent après tant dannées dans la conversion des Gentils. Ces saints prophètes ressentaient une grande joie de ce quils voyaient, non pas accompli, mais dans lavenir. Oui, cétait là une grande joie pour eux; et même telle était la charité dont ils étaient embrasés pour nous, pour nous quils ne voyaient point encore, et quils enfantaient par lesprit, quils eussent voulu vivre de notre temps et avec nous, sil leur eût été possible, et voir saccomplir ce quils prédisaient en esprit. De là cette parole du Sauveur aux disciples qui commençaient à voir cet accomplissement: « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne lont point vu; et entendre ce que vous entendez, et ne lont pas entendu 1 ». Bien quils vissent tout cela en esprit, ils ne le voyaient néanmoins que dans un lointain avenir; tandis que les Apôtres lavaient sous les yeux. Cest pourquoi le saint vieillard Siméon fut transporté dune grande joie, quand il vit lenfant Jésus, en découvrant sa grandeur dans un tel abaissement, et dans une faible chair, le Créateur du ciel et de la terre. Grande fut sa joie, parce quil avait reçu la promesse quil ne sortirait point de cette vie, sans voir le salut de Dieu. Il le reconnut donc, en conçut une grande joie, et sécria dans un saint ravissement: «Seigneur, vous laisserez maintenant mourir en paix votre serviteur; car mes yeux ont vu votre salut 2 ». Voilà une grande joie, et que produit la charité. Le chant du psaume vous a donné une sainte soie; quelques passages étaient clairs pour tous; dautres, autant que jen puis juger, ne létaient que pour un petit nombre, mais non pour tous assurément. Considérons-le donc tous ensemble, dans ce discours dont je vous suis redevable; et voyons avec quelle bonté Dieu nous ménage le bonheur de voir ses promesses et de nous en montrer la vérité par leur accomplissement. 2. Voici le titre du psaume: « Pour David, lorsque sa terre a été rétablie 3 ». Il faut rapporter le tout au Christ, si nous voulons saisir le véritable sens; ne nous écartons point de la pierre angulaire 4, de peur que notre intelligence ne tombe en ruine; quen lui se consolide tout ce qui est mobile et
1. Matth. XIII, 17. 2. Luc, II, 25-20. 3. Ps. XCVI, 1. 4. Ephés. II, 20.
chancelant, quen lui saffermisse tout ce qui est incertain. Quelque doute que fassent naître dans notre esprit les saintes Ecritures, que lhomme ne séloigne pas du Christ, et sil le découvre dans ses lectures, quil soit certain de les avoir comprises, et quil ne se persuade point quil les comprend, tant quil ny rencontre pas le Christ, « qui est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront en lui 1». Quest-ce à dire, et comment appliquer au Christ cette parole : « Quand sa terre fut rétablie? » On comprend aisément que David ici désigne le Christ, puisque le Christ est né de Marie dans la famille de David, et coin me il devait naître dans la postérité de David, ce nom servait à le désigner en figure. Ainsi donc David cest le Christ, et David signifie la main puissante; or, quelle main est plus puissante que celle qui, de la croix, vainquit le monde? Car après la résurrection et lAscension du Sauveur, quand les Apôtres reçurent le Saint-Esprit et parlèrent diverses langues 2, ceux qui avaient crucifié le Sauveur sémurent, et demandèrent un conseil de salut, quils reçurent, et embrassèrent la foi. Et Dieu leur pardonna le sang de son Christ quils avaient répandu, et ils burent ce sang du Christ; de persécuteurs, ils devinrent ses fidèles; ils crurent en celui quils avaient crucifié, et voulurent avoir pour chef, pour tête, celui devant qui ils avaient branlé la tête 3 avec tant dinsolence. Cest ainsi que « sa terre fut rétablie», selon le titre du psaume. Cette terre était la Judée; or, la Judée avait péri entièrement quand les Juifs crucifièrent leur Seigneur; frénétiques ignorants, ils sévirent contre le médecin, repoussant follement leur salut. La Judée avait donc péri totalement comment totalement? Les Apôtres eux-mêmes furent ébranlés; Pierre qui suivait son maître avec un amour audacieux, le renia trois fois avec une crainte excessive 4. Après sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ trouve quelques-uns dentre eux qui parlent de lui en voyageant, et quand il leur demande le sujet de leur entretien, ils vont jusquà lui dire : « Etes-vous donc le seul étranger à Jérusalem pour ignorer ce qui vient de sy passer en ces jours? Et il leur dit : Quoi donc? Touchant Jésus de Nazareth, ce prophète puissant en oeuvres
1. Rom. X, 4. 2. Act. II, 4, 37 . 3. Matth. XXVII, 39. 4. Id. XXVI, 70.
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et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple; et comme les princes des prêtres et nos magistrats lont livré pour être condamné à la mort et lont crucifié. Or, nous espérions quil délivrerait Israël 1». Ils navaient déjà plus despérance en lui; ils ne disent point : Nous espérons quil rachètera Israël; mais: « Nous espérions quil rachèterait Israël ». Il était avec eux, mais eux nespéraient pas en lui. Il se montre à eux, il se fait voir aux autres disciples; on le voit, on le touche, ceux qui le croyaient mort le rencontrent ; la foi de ceux qui étaient tombés se releva, « et sa terre fut rétablie ». Après avoir passé quarante jours avec eus, il sélève au ciel 2; et, comme je lai dit tout à lheure, il envoie le Saint-Esprit à ses disciples, qui naguère ignorants, parlent maintenant toutes les langues. Alors tous ceux pour qui le Christ navait pas dit inutilement: « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce quils font 3 », furent touchés, disions-nous encore, et demandèrent le salut, et on leur conseilla de croire en lui. Trois mille embrassèrent la foi en un seul jour, et cinq mille en un autre 4. Alors le Christ vit surgir une Eglise fervente, dans ces mêmes lieux où leffervescence lavait couvert dopprobre, « et sa terre fut restituée». Mais comme il avait dit: « Jai dautres brebis, qui ne sont point de ce bercail, et il me faut les appeler, afin quil ny ait quun seul bercail et un seul pasteur 5»; il envoya ses Apôtres chez les Gentils auxquels il navait pas envoyé les Prophètes. Ils allèrent chercher ceux qui ne cherchaient point, et trouvèrent ceux qui nespéraient rien. Ils navaient aucune promesse, et ils trouvèrent un Dieu Sauveur. Quant aux Juifs, ils avaient les promesses de Dieu, par les Prophètes, qui leur avaient annoncé le Christ, prêché le Christ, et sous leurs yeux ne le reconnurent point. Aux Gentils, au contraire, nulle promesse navait été faite : mais les Prophètes avaient parlé de conversion. Nulle parole ne leur avait été adressée, mais ou avait parlé deux. Les Apôtres leur furent envoyés, et vous avez entendu ce que Dieu fit pour eux; la lecture des Actes des Apôtres vous a fait connaître comment le centenier Corneille embrassa la foi. Ce centenier nétait point juif de nation. Il priait, il jeûnait, il faisait des aumônes. Dieu ne
1. Luc, XXIV, 18-21. 2. Act. I, 3,9. 3. Luc, XXIII, 31. 4. Act. II, 4,1; IV, 4. 5. Jean, X, 16.
labandonna point, bien quil appartint aux peuples idolâtres; mais un ange lui fut envoyé pour lui annoncer que ses aumônes et ses oraisons étaient agréables à Dieu. Il crut, après avoir appelé Pierre chez lui 1. Lange ne pouvait-il pas linstruire? Pierre lui fut envoyé, afin quun homme fît naître en lui une foi plus parfaite, et lui montrât que Dieu a daigné visiter les hommes, et quil daigne bien nous instruire par les hommes, lui qui a bien voulu se faire homme. Cest ainsi que « sa terre a été rétablie », quand une muraille est venue des Juifs, et une autre muraille des Gentils : et quil a été lui-même la pierre angulaire reliant ces murailles qui venaient de directions différentes 2. 3. Comment pouvons-nous encore entendre: «Quand sa terre fut rétablie? » Quand il ressuscita dans la chair. Car cet autre sens, qui ne séloigne pas du Christ, peut encore se soutenir : sa terre rétablie, cest sa chair ressuscitée. Cest après sa résurrection que saccomplirent toutes les merveilles que chante notre psaume. Ecoutons donc ce chant joyeux sur le rétablissement de la terre. Que le Seigneur notre Dieu veuille bien exciter en nous une attente et une joie qui réponde à la grandeur de ces mystères ; quil me donne une parole qui aille à vos coeurs, et que la joie que la vue de ces spectacles fait naître en mon âme vienne sur ma langue pour passer de là dans vos coeurs, puis dans vos actes. 4. « Le Seigneur a régné ». Celui qui a comparu devant un juge, qui a reçu des soufflets, qui a été flagellé, qui a été conspué, lui a été couronné dépines, dont le visage a été meurtri par les coups, qui a été suspendu au gibet, qui a été insulté sur la croix, qui est mort sur cette même croix, qui a été percé dune lance, qui a été enseveli, et qui est ressuscité, « le Seigneur a régné». Quils sévissent de toute leur puissance dans ces royaumes de la terre, que feront-ils au roi des rois, au Seigneur de tous les potentats, au créateur de tous les siècles ? Est-il donc méprisable, pour avoir paru sur la terre si soumis, si humilié ? Cest là un acte de miséricorde, et non dimpuissance. Sil apparaît humble, cest afin dêtre à. notre portée. Mais voyons ces paroles: « Le Seigneur a régné: que la terre en tressaille, que les îles en soient dans la joie ». Car la parole de Dieu na pas été seulement prêchée sur les continents,
1. Act. X. 2. Ephés. II, 20.
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mais encore dans les îles qui sont au milieu des mers ; et voilà quelles sont pleines de chrétiens, pleines de serviteurs de Dieu. Car lOcéan nest pas une barrière pour celui qui u fait la nier. Où les navires peuvent aborder, la parole de Dieu ne le pourrait? Oui, les îles sont pleines de cette parole. Toutefois ces îles peuvent être une expression figurée pour les Eglises. Pourquoi des îles ? Parce quelles sont entourées des flots des tentations. De même toutefois quune île environnée de flots écumeux, peut bien être battue, mais non brisée par ces flots, comme elle les brise au contraire, bien plus quelle nen est brisée; ainsi les Eglises de Dieu, répandues en tout lieu dans le monde, sont en butte à la persécution de la part des infidèles qui frémissent de toutes parts, et résistent marne les îles, et la mer est apaisée. « Que les îles soient dans la joie ». 5. « Les nuées et les ténèbres lenvironnent, la justice et léquité sont la base de son trône 1 ». Pour qui « Dieu est-il entouré de muées et dobscurité? » Pour qui « la justice et léquité sont-elles la base de son trône?» Il ny a de nuages et dobscurité que pour les impies qui ne lont point compris. La justice et le jugement sont pour les fidèles qui ont cru en lui. Lorgueil a obscurci les yeux des uns, lhumilité a mérité aux autres dêtre affermis. Ecoute dune part les nuées et lobscurité, dautre part la justice elle jugement. Le Sauveur adit lui-même mie suis venu eu ce monde pour le jugement, main que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2». Quest-ce à dire, « que ceux qui voient deviennent aveugles?» Que ceux-là ne comprennent point et deviennent aveugles, quils croient voir, qui pensent être sages, qui se persuadent quils nont pas besoin du médecin. Et « que ceux qui ne voient pas voient », cest-à-dire, afin quils méritent dêtre éclairés, ceux qui confessent leur aveuglement. Quil y ait donc « autour de lui un nuage et des ténèbres». pour ceux qui ne lont point connu; mais pour ceux qui confessent leurs fautes et qui sen humilient, « la justice et léquité sont la base de son trône »; car ce sont eux qui forment son trône, puisque la sagesse habite eu eux. Car le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu 3. Un autre passage de lEcriture nous
1. Ps. XCVI, 2. 2. Jean, IX, 39. 3. I Cor. I, 24.
met en pleine lumière cette pensée : « Lâme du juste est le siège de la sagesse ». Donc, parce quils sont devenus justes en croyant en lui, parce quils sont justifiés par leur foi, ils deviennent son trône: cest en eux quil siége, en eux quil juge, eux quil redresse. Pourquoi? Parce quil les trouve doux comme des animaux dociles, qui ne savent point regimber, ni se cabrer sous le fouet, ni secouer leur tête orgueilleuse pour rejeter le joug ce sont des animaux doux et souples qui méritent cet éloge du psaume : « Il conduira dans la justice ceux qui sont doux, et dirigera les humbles dans ses voies 1». Pour ceux donc qui ne sont point droits, il y a « nuages et ténèbres »; mais ceux qui sont humbles, sont dans « la justice et dans laffermissement de son trône ». 6. « Le feu marchera en sa présence, et embrasera ses ennemis autour de lui 2 ». Quel est ce feu, mes frères, dont il est dit qu « il marchera devant lui, et dévorera ses ennemis autour de lui ? » Je ne pense pas quil sagisse du feu dans lequel on jettera les irai pies au jour du jugement, lesquels seront placés à gauche ainsi quil vous souvient de lavoir lu dans lEvangile, et auxquels on dira: « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges 3 » ; tel nest point ce feu, selon moi. Et doù me vient cette opinion? Parce quil est question dun feu qui marchera devant le Christ, avant quil vienne pour le jugement. Il est dit, en effet, que ce feu le précédera, et quil embrasera ses ennemis autour de lui, cest-à-dire dans toute la terce. Le feu de lenfer ne sera quaprès son avènement; celui dont il est question doit le précéder. Quel est doue ce feu? Nous pouvons lentendre de la peine des méchants, et du salut de la rédemption. En quel sens de la peine des méchants? Parce quils ont soulevé une persécution contre le Christ que lon prêchait parmi les nations: or, cette colère a été un feu qui a dévoré les persécuteurs plutôt que ceux qui étaient persécutés. Quand nous voyous deux hommes, dont lun se met en colère, dont lautre souffre avec patience, jugez par vous-mêmes qui de ces deux est en feu. Vous pouvez chaque jour vous donner ce spectacle parmi les hommes. Représentez-vous un homme injuste, à lâme emportée, au visage menaçant, aux regards enflammés, aux paroles
1. Ps. XXIV, 9. 2. Id. XCVI, 3. 3. Matth. XXV, 41.
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étincelantes, se ruer sur un autre pour le tuer, pour le dépouiller, pour loutrager, pour linjurier, un homme hors de lui-même, incapable de se contenir, lautre qui souffre en paix ces outrages, ces violences, tout ce quon veut lui faire, qui tend lautre joue quand on le frappe sur une joue : or, en voyant dune part la fureur, dautre part le calme; ici la colère, et là la patience; ici lemportement, et là la paix, peut-on hésiter à se prononcer sur celui des deux qui est consumé et qui souffre la peine des flammes? Est-ce celui dont le corps est meurtri, ou celui dont lâme est embrasée? Aussi le prophète Isaïe a-t-il dit : « Et maintenant le feu dévorera ses ennemis 1». Quest-ce à dire : « Et maintenant ? » Avant que vienne le grand jour du jugement , ils sont consumés par leur propre fureur, ceux qui doivent endurer ensuite la flamme éternelle. Pourriez-vous, en effet, mes frères, vous imaginer que linjustice que commet un homme en voulant nuire à un autre, nuise à celui quelle attaque sans nuire à son propre auteur? Comment cela serait-il possible? Quelquefois on applique une torche ardente à un tison humide et vert; ce tison ne brûle point, mais la torche continue à se consumer : ainsi en est-il de votre ennemi. Quun homme diniquité vienne à te tendre des embûches, ou à te ménager quelque peine, cest là une injustice: mais si tu es un bois vert, cest-à-dire plein dun suc spirituel et vivace, qui résiste à la flamme de la haine; si tu pries pour celui qui te nuit, son injustice ne te nuira point, mais à lui-même; cest lui qui brûle, et toi tu es intact. A moins peut-être que tu ne prennes pour une offense le mal corporel que lon pourrait te faire, alors que ton âme pure et sans tache méritera de Dieu une couronne, en suivant lexemple du divin maître qui a voulu souffrir de la part des Juifs, qui pouvait ne point mourir et qui est mort, qui a voulu naître, quoiquil eût pu ne point naître. Naître, cest pour toi ta condition ; pour lui, cest sa volonté; mourir est dans ta condition; pour lui, cest un acte de miséricorde. De même alors que les Juifs ne lui ont point nui, ainsi nulle persécution ne pourra tatteindre, si tu veux être membre de ce chef auguste. 7. Cest ainsi que nous entendons le feu qui marche devant lui, cest-à-dire un feu qui,
1. Isa. XXVI, 11.
dès ici-bas même, est un châtiment pour les infidèles et pour les hommes injustes. Cherchons un autre feu qui soit le salut de la rédemption, comme nous nous létions proposé. Car le même Seigneur a dit: « Je suis venu jeter le feu sur la terre 1 ». Il parle ici du feu comme du glaive, car au même endroit il dit quil nest point venu apporter la paix, mais le glaive 2 ; le glaive pour diviser, le feu pour brûler : mais lun et lautre sont nécessaires, car le glaive de sa parole nous a heureusement séparés de nos habitudes mauvaises. Il a donc apporté le glaive pour séparer chaque fidèle, ou dun père qui ne croit point au Christ, ou dune mère également infidèle, ou du moins de ses aïeux, sil est né de parents fidèles. Il nest, en effet personne dentre nous qui nait son aïeul, ou son bisaïeul, ou quelquun de ses ancêtres engagé dans le paganisme et plongé dans cette infidélité dont Dieu avait horreur: nous sommes donc séparés de ce que nous étions: lépée est venue, non pas nous donner la mort, mais nous diviser. Ainsi en est-il de ce feu : « Je suis venu jeter le feu sur la terre». Les hommes qui ont cru en lui, se sont enflammés, puis ont reçu lembrasement de la charité : cest pour cela que le Saint-Esprit, envoyé aux Apôtres, apparaît sous la forme du feu : « Ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent et se reposèrent sur chacun deux 3 ». Touchés de cette. flamme sacrée, ils se répandirent dans le monde pour y porter cette flamme et en incendier les ennemis qui lenvironnent. Quels ennemis? Ceux qui ont abandonné le vrai Dieu qui les a créés, pour adorer les idoles quils ont faites. Sils étaient mauvais, cette flamme les consumait; sils étaient bons, elle les perfectionnait. Atteint par ce feu de la parole de Dieu, ou bien lincrédule résistait à la foi, et alors devenant pire, il était consumé, dévoré par le feu de sa propre envie. Sil se convertissait, ce feu nen avait pas moins agi en lui. Le foin brûlait afin que lor en devînt plus pur. Cet or, cest la foi; le foin, cest la convoitise charnelle. « Toute chair est un foin », dit Isaïe, « et tout honneur de la chair tombera comme lherbe 4 ». Tout ce quil y a dans lhomme charnel, convoitant ce qui est frivole et passager, nest quune herbe. Combien, peut-être même dentre nos frères, sont allés au théâtre?
1. Luc, XII, 49. 2. Matth. X, 31. 3. Act. II, 3. 4. Isa. XL, 6.
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Lherbe les entraînait. Ne faut-il pas désirer que ce feu dévore le foin, afin que lor soit purifié? Toute la foi qui Peut être en eux est étouffée par lherbe. Il est donc bon pour eux dêtre embrasés dun feu divin, afin que lherbe étant consumée, on voie éclater cet or précieux racheté par le Christ. Donc « le feu marchera devant lui, pour dévorer les ennemis qui lenvironnent ». Il en est quil a consumés pour leur bonheur, et qui sont fidèles aujourdhui; dennemis quils étaient, les voilà fidèles; tu cherches des ennemis, il nen est plus ; tout est brûlé, tout est consumé: la charité a consumé en eux ce qui persécutait le Christ, et purifié en eux ce qui croyait au Christ. « Il a dévoré les ennemis qui lenvironnent ». 8. « Ses éclairs brillent dans lunivers entier 1 ». Quelle allégresse ! nest-ce point ce que nous voyons? ce qui est évident? Ses éclairs ont brillé dans le monde entier : voilà ses ennemis embrasés, ses ennemis consumés. Tout ce qui contredisait a été consumé, et lunivers enliera vu ses éclairs». Pourquoi ces éclairs? Pour donner la foi. Doù venaient ces éclairs? Des nuées. Quelles sont ces nuées du Seigneur? Les prédicateurs de la vérité. Vois-tu dans le ciel cette nuée? Elle est ténébreuse, obscure; elle recèle je ne sais quoi quun éclair séchappe de la nuée , tu en vois léclat; et ce que tu méprisais a fait jaillir ce qui teffraie. Notre-Seigneur Jésus-Christ u envoyé ses apôtres, ses prédicateurs comme des nuées. On ne voyait en eux que des hommes, et on les méprisait, comme on méprise les nuées quon voit avant quelles naient produit ce qui doit nous surprendre. Ils nétaient tout dabord que des hommes revêtus dune chair, fragile; ensuite des hommes sans lettres, ignorants, méprisables. Mais il y avait en eux cette foudre qui devait et tonner et briller. Pierre, cet humble pêcheur, venait, priait, et les morts ressuscitaient 2. La forme humaine montrait une nuée, mais le miracle était léclair. Ainsi dans leurs paroles, dans leurs actes, quand ils disent des merveilles, et accomplissent des merveilles, « ses éclairs brillent dans lunivers entier. La terre les a vus et sen est émue ». Voyez si cela nest point vrai, si la terre entière, devenue chrétienne, ne répond point amen, bouleversée par les éclairs qui sortent de ces
1. Ps. XCVI, 4. 2. Act. IX, 40.
nuées. La terre les a vus et sen est émue». 9. « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur 1». Quelles sont ces montagnes? Les orgueilleux. Toute hauteur qui sélève contre Dieu, a tremblé, a succombé devant les actes du Christ et des chrétiens, et lon ne saurait trouver une expression plus juste que celle du Prophète, se fondre. « Les montagnes se sont fondues devant la face du Seigneur». Où est cette hauteur des puissances? Où est lendurcissement des infidèles? « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur ». Le Seigneur a été pour elles un feu, et elles ont fondu en sa présence comme la cire, qui nest dure que jusquaux approches du feu. Toute hauteur est aplanie aujourdhui et nose plus blasphémer le Christ. Le païen qui ne croit point en lui sabstient de tout blasphème; sil nest pas encore devenu une pierre vivante, il nest déjà plus une montagne endurcie. « Les montagnes ont fondu comme la cire devant la face du Seigneur, en présence du Seigneur de la terre entière » : non-seulement des Juifs, mais encore des Gentils, comme a dit lApôtre 2 : ce nest pas le Dieu des Juifs seulement, mais le Dieu des nations. Donc le Seigneur de toute la terre, le Seigneur Jésus-Christ, né en Judée, nest pas né seulement pour les Juifs; car avant de naître il a tout fait; et ayant tout fait, il a tout restauré. « Devant la face du Dieu de la terre entière ». 10. « Les cieux ont annoncé sa justice, tous les peuples ont vu sa gloire 3». Quels cieux lont annoncé? « Les cieux qui racontent la gloire de Dieu 4». Quels cieux? Ceux qui lui servent de trône. De même que le Seigneur a pour trône les cieux, il a pour trônes les Apôtres, et les prédicateurs de lEvangile. Toi aussi tu seras le ciel, si tu le veux. Veux-tu être le ciel? Purifie ton coeur de ce quil a de terrestre. Si tu nas plus de convoitises terrestres, si tu ne mens point en répondant que ton coeur est en haut; tu es un ciel. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ » (et lApôtre sadresse aux fidèles), « cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu; goûtez les choses den haut, et non celles dici-bas 5 ». En commençant à goûter les choses den haut, et non les choses de la
1. Ps. XCVI, 5. 2. Rom. III, 29. 3. Ps. CXVI, 6. 4. Id. XVIII, 2. 5. Colos. III, 1, 2.
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terre, nes-tu pas devenu un ciel? Tu as encore une chair, et ton coeur est un ciel; car fa conversation est dans les cieux 1. Cest alors que toi aussi tu annonces le Christ. Quel fidèle pourrait sen taire? Que votre charité redouble dattention; croyez-vous que nous qui prêchons ici soyons seuls à prêcher le Christ, et que vous ne le prêchiez point? Doù vient alors que des hommes que nous navons jamais vus, jamais connus, jamais exhortés, viennent à nous pour devenir chrétiens? Ont-ils cru sans quon leur ait annoncé la foi? LApôtre dit cependant : « Comment croire à celui dont on nentend point parier? Et comment en entendre parler,si on ne le prêche 2 ?» Donc toute lEglise prêche le Christ, et les cieux prêchent sa justice: parce que tous les fidèles qui ont à coeur de gagner à Dieu ceux qui ne croient pas encore, et qui le font par charité, sont des cieux. Cest par eux que Dieu fait éclater le tonnerre de ses jugements: et linfidèle tremble, et la crainte lamène à la foi. Montrez aux hommes ce qua pu le Christ dans lunivers entier, en leur parlant et en les amenant à lamour du Christ. Combien en est-il aujourdhui qui ont entraîné leurs amis pour voir un comédien, un joueur de flûte? Pourquoi, sinon par amour pour ces histrions? Vous aussi, aimez le Christ. Aimez celui qui a donné de si grands spectacles, où lon ne peut trouver rien à reprendre, et qui a vaincu le siècle. Quelquefois, en sattachant à un personnage de théâtre, on est vaincu avec lui. Mais nul nest vaincu avec le Christ, nul na motif den rougir. Saisissez donc, amenez-nous, entraînez ceux que vous pourrez ne craignez rien, cest les amener à celui qui ne saurait déplaire à quiconque le verra : priez-le quil les éclaire, afin quils le considèrent bien. « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire». 11. «Quils soient confondus, ceux qui adorent des idoles 3». Tout cela nest-il point arrivé? Nont-ils pas été dans la confusion ? Ny vont-ils pas chaque jour? Ces idoles sont en effet des statues faites par la main des hommes. Pourquoi ceux qui adorent les idoles sont-ils confondus tous? Parce que tous lus peu pies ont vu la gloire du Christ. Déjà tous les peuples chantent cette gloire: quils rougissent, les adorateurs de la pierre. Car ces pierres sont mortes, et nous avons trouvé la
1. Philipp. III, 20. 2. Rom. X, 14. 3. Ps. XCVI, 7.
pierre vivante. Et même ces pierres nont jamais vécu pour être appelées des pierres mortes : tandis que notre pierre est vivante, quelle a toujours vécu en son Père, quelle est morte pour nous, puis ressuscitée, quelle vit maintenant, et quelle nest plus soumise à lempire de la mort 1. Telle est la gloire que les peuples ont connue pour déserter les temples et accourir dans nos églises. « Quils soient confondus, tous ceux « qui adorent des idoles». Veulent-ils encore adorer ces idoles? Ils ne veulent pas abandonner ces dieux, et ces dieux les abandonneront. « Quils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». Mais quelque raisonneur, qui se croit savant, viendra me dire: Ce nest point la pierre que jadore, non plus que le simulacre insensible. Votre prophète na pu voir quil a des yeux et ne voit pas 2, sans que je sache, moi aussi, que cette idole na point dâme, quelle ne voit point de ses yeux, nentend point de ses oreilles; ce nest point là ce que jadore, mais en adorant ce qui est visible, je sers ce qui est indivisible. Qui donc alors? Une divinité qui préside à cette statue. Ils se croient habiles, en exposant ainsi le culte des idoles, et en nous disant quils nadorent point la statue, mais quils adorent les démons. Car lApôtre la dit: « Les sacrifices des Gentils sont offerts aux démons, et non à Dieu. Je ne veux point»,dit-il encore, « que vous ayez part avec les démons 3 » : car lidole nest rien, nous le savons 4; et lApôtre nous dit : « Nous savons que lidole nest rien, « mais que les offrandes des Gentils sont faites aux démons,et non à Dieu ». Cest lui qui dit encore : « Je ne veux point que vous ayez part avec les démons ». Quils ne viennent donc plus nous dire quils ne rendent pas un culte à des idoles inanimées : ils nen sont que mieux sous le joug des dénions, ce qui est plus dangereux. Sils nadoraient que des idoles, ces pierres ne pourraient les aider en rien, leur nuire en rien ; mais adorer et servir les démons, cest les avoir pour maîtres. Et quels seront tes maîtres? Ceux qui sont jaloux de ton bonheur, qui ne peuvent que tenvier ta liberté, qui voudraient te posséder toujours, et te rendre tels, quils te puissent toujours entraîner. Il est en effet dans ces esprits une malice qui leur est naturelle, une volonté de nuire: le mal
1. Rom. VI, 9. 2. Ps. CXIII, 5. 3. I Cor. X, 19, 20. 4. Id. VIII, 4.
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des hommes fait leur joie, ils se repaissent de nos erreurs, quand ils peuvent nous tromper. Et que cherchent-ils? Non pas des hommes quils puissent dominer éternellement, mais qui soient avec eux sous le poids dune éternelle damnation, comme le voleur jaloux qui se plaît à accuser linnocent. Quil soit brûlé vif, en souffrira-t-il moins si un autre brûle avec lui? En mourra-t-il moins pour mourir avec un autre? Sa peine est égale, mais sa méchanceté se rassasie. Quil meure avec moi, dit-il, non pour en mourir moins, mais pour se consoler par le malheur dun autre. Telle est la malice du diable, qui veut séduire afin quon partage son supplice. Mais comme une peut tromper la justice de Dieu (car il nexcuse pas les innocents à son tribunal) il les pousse au péché afin davoir de véritables crimes à reprocher. Voilà les maîtres que se créent ceux qui adorent les idoles et les démons. « Les sacrifices des païens sont offerts aux démons, et non à Dieu : je ne veux point que vous ayez part avec les démons. » 12. Mais nous, quel est notre Dieu? Ecoutez la suite. Après avoir dit : « Quils soient confondus, tous ceux qui adorent des sculptures, qui se glorifient dans les simulacres », il prévoit quon viendra donner raison de ces idoles et nous dire : Ce nest point la pierre que jadore, mais la puissance divine. Quelle puissance? Dis-moi, est-ce aux démons que lu rends un culte, ou bien aux bons esprits, tels que sont les anges? Car il y a les saints anges, et les esprits mauvais. Pour moi, jaffirme que dans vos temples on nadore que les mauvais esprits : ceux qui sont assez orgueilleux pour exiger des sacrifices, qui veulent être adorés comme des dieux, sont des méchants et des superbes. Tels sont aussi les hommes peu soumis à Dieu, qui recherchent leur propre gloire, et méprisent celle de Dieu. Mais voyez les hommes vraiment saints et qui ressemblent aux anges. Quon veuille rendre un culte à un homme saint, au véritable serviteur de Dieu, quon le veuille adorer comme un Dieu, il vous empêche à linstant; loin de sarroger les honneurs divins, de se poser comme un Dieu à tes yeux, il adore Dieu avec toi. Voilà ce que tirent les saints apôtres Paul et Barnabé, quand ils prêchaient la parole de Dieu en Lycaonie. Pleins dadmiration pour les merveilles quils avaient accomplies dans ces contrées, les Lycaoniens amenèrent des victimes et voulaient leur offrir des sacrifices, en donnant à Barnabé le nom de Jupiter, et à Paul celui de Mercure; ceux-ci les rejetèrent avec horreur. Mais la cause de cette horreur était-elle parce quon les comparait aux démons? Non, mais bien parce quils avaient en abomination un culte divin rendu à des hommes. Leurs paroles sont claires, et je ne fais point de conjectures. Voici la lecture de ce passage, qui indique leur indignation : « Alors Paul et Barnabé déchirèrent leurs vêtements, et sécrièrent: Mes frères, que faites-vous? Nous sommes, comme vous, des hommes mortels 1». Remarquez bien ceci, De même que les hommes vraiment bons arrêtent ceux qui les veulent adorer comme des dieux, et ne veulent que pour Dieu seul le culte divin, pour Dieu seul les honneurs divins, pour Dieu seul le sacrifice, et non pour eux-mêmes; ainsi les saints anges cherchent la gloire de celui quils aiment; ils brûlent du désir dattirer à lui ceux quils aiment, de leur inspirer une sainte ardeur pour lui rendre un culte, pour ladorer, pour le contempler; cest lui quils annoncent, et non pas eux-mêmes, parce quils sont des anges : et comme ils sont aussi ses soldats, ils ne savent que chercher la gloire de leur général; sitôt quils chercheraient leur gloire, ils seraient condamnés comme des usurpateurs. Tel est le diable avec ses démons, cest-à-dire avec ses anges. Il usurpa les honneurs divins pour lui et pour tous ses sectateurs ; il remplit les temples des païens, il leur persuada de lui élever des idoles, de lui offrir des sacrifices. Ne serait-il pas mieux dadorer les bons anges, que dadorer les démons? Ils nous répondent: Nous nadorons pas les anges mauvais. Nous adorons ces esprits que vous appelez des anges, et qui sont les puissances du Dieu souverain, les ministres du grand Dieu. Fasse le ciel que vous les adoriez, ils vous apprendraient bientôt à ne plus les adorer. Ecoutez un ange qui nous instruit. Il faisait une révélation à un disciple du Christ, et lui montrait ces nombreuses merveilles consignées dans lApocalypse de saint Jean. A la vue de ces merveilles que lange lui découvrait, Jean est ravi et se jette à ses pieds; mais lange, qui ne cherchait que la gloire de son Seigneur, lui dit: « Levez-vous, que faites-vous? adorez le Seigneur,
1. Act. XIV, 13, 14.
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car moi, je suis serviteur comme vous et comme vos frères 1 ». Quon ne dise point : Je crains que lange ne sirrite contre moi, si je ne tadore point comme un dieu; il sirrite au contraire quand tu lui rends les honneurs divins, car il est bon et il aime Dieu. De même que les démons sirritent quand on ne les adore point; de même les bons anges sirritent quand on les adore comme des dieux. Mais quune âme faible et timide ne vienne point nous dire: Si les démons sirritent quand on ne les adore point, je crains de les offenser. Que pourra donc te faire le diable qui est leur chef? Sil avait quelque puissance, nul de nous ne resterait debout. Ne savons-nous point combien les chrétiens le maudissent chaque jour, et pourtant les chrétiens se multiplient? Si tu es en colère contre ton serviteur, tu lui donnes son nom, tu lappelles diable, tu lappelles Satan. Tu es dans lerreur en appelant ainsi un homme; cest la colère qui te porte à cet outrage envers limage de Dieu : tu choisis, pour la lui dire, une injure qui te fait horreur. Si le démon avait quelque puissance, ne se vengerait-il point? Mais Dieu ne le lui permet point, et il ne peut rien que dans la mesure que Dieu permet. Il voulut mettre Job à lépreuve, et il en demanda simplement la permission 2, sans laquelle il navait aucun pouvoir. Pourquoi donc ne pas adorer Dieu sans crainte, puisque sans son ordre nul ne peut te nuire, et quil ne le permet que pour te corriger, et non pour te nuire? Sil plaît au Seigneur ton Dieu de permettre quun homme te nuise, ou même un esprit, il te corrige alors, pour te faire dire avec David: « Le Seigneur ma châtié, mais ne ma point livré à la mort 3». Donc « quils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans des simulacres, Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».Que les païens apprennent ici à servir Dieu. Ils veulent adorer les anges, quils imitent les anges, et quils adorent celui que les anges adorent. « Adorez-le, vous qui êtes. ses anges». Quil ladore, cet ange qui fut envoyé à Corneille, car cest en adorant Dieu quil envoya Corneille à Pierre : quil adore le Christ, Seigneur de Pierre, lui qui est serviteur comme Pierre. « Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».
1. Apoc. XIX, 10. 2. Job, I, 11. 3. Ps. CXVII, 18. 4. Act. X, 3.
13. « Sion n entendu et a tressailli 1 ».Qua donc entendu Sion? Que tous ses anges ladorent. Qua entendu Sion? Voici ce quelle a entendu: « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire: quils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». LÉglise, en effet, nétait point répandue encore parmi les nations.; quelques Juifs croyaient en Judée, et ces Juifs croyaient que le Christ nétait que pour eux seuls: les Apôtres furent envoyés aux Gentils, ils prêchèrent à Corneille, et Corneille embrassa la foi, fut baptisé, et tous ceux qui étaient avec lui furent baptisés. Mais vous savez ce que Dieu fit pour les amener au baptême: il est vrai que le lecteur na pas été jusque-là aujourdhui, plusieurs sen souviennent, mais que ceux qui ne sen souviennent plus, mécoutent quelque peu. Lange fut envoyé à Corneille, il envoya Corneille à Pierre, et Pierre vint à Corneille. Et comme Corneille était païen, comme ceux de sa suite, ils nétaient point circoncis; afin quil ny eût aucune hésitation à prêcher lEvangile à des Gentils incirconcis, avant que Corneille fût baptisé avec sa suite, le Saint-Esprit vint, les remplit, et ils parlèrent diverses langues. Le Saint-Esprit jusqualors nétait tombé que sur des baptisés, mais il descendit sur ces derniers avant le baptême. Pierre aurait pu hésiter à donner le baptême à des incirconcis, mais le Saint-Esprit descendit, et ils parlèrent diverses langues, ils reçurent un don invisible, qui leva toute hésitation à propos du sacrement visible ; et tous furent baptisés. Il est écrit au même endroit: « Or, les Apôtres, et les frères qui étaient en Judée, apprirent que les Gentils avaient reçu la parole de Dieu, et bénissaient le Seigneur 3 ». Voilà ce quannonce le Prophète: « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans lallégresse ». Quest-ce que Sion a entendu, pour être dans la joie? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Une muraille sétait élevée, mais langle nexistait pas. Sion est proprement lEglise qui était en Judée et qui a reçu cette dénomination. « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans lallégresse». Cest ce qui est écrit: « Les Apôtres, et les frères qui étaient dans la Judée entendirent ». Voyez si « les filles
1. Ps. XCVI, 8. 2. Act. XI, 1.
433 de Juda nont point tressailli ». Quentendirent les frères? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Que dit à ce propos notre psaume? « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire ». Et comme les Gentils, adorateurs des idoles, embrassaient la foi, le psaume continue: « Quils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres. Sion a entendu et a tressailli; les filles de Juda ont été dans lallégresse ». Plus tard quelques circoncis voulurent reprocher à Pierre sa conduite, en disant : « Pourquoi êtes-vous entré chez les hommes incirconcis,et avez-vous mangé avec eux 1?» Pierre se justifia, et dit que dans son oraison un linceul, qui avait apparu, appendu au ciel par ses quatre coins, et que ce linceul, qui contenait toutes sortes danimaux, désignait tous les Gentils. Il était suspendu aux quatre coins, parce que la terre qui renferme tous les peuples a quatre parties : et quon prêche les quatre Evangiles du Christ pour montrer que sa grâce doit se répandre dans les quatre parties du monde. Saint Pierre partit de cette vision qui lui était apparue, pour dire aux disciples tout ce qui sétait passé, et comment Corneille avait embrassé la foi, parce quavant de recevoir le baptême lEsprit-Saint était descendu sur lui. Cet exposé fit taire les reproches et tous bénirent le Seigneur en disant: « Dieu a donc donné la pénitence aux Gentils pour les conduire à la vie 2 ». Voilà ce « quentendit la fille de Sion qui fut dans lallégresse; et les filles de Juda tressaillirent, à cause de vos jugements, ô mon Dieu». Quels jugements? Cest que Dieu ne fait acception de personne. Cest le mot de Pierre lui-même , quand, voyant que le Saint-Esprit avait rempli Corneille et ceux de sa suite, il sécria : « En vérité, jai reconnu que Dieu ne fait acception de personne ». Donc « les filles de Juda ont tressailli à cause de vos jugements, ô mon Dieu » .Quest-ce à dire « à cause de vos jugements? » Cest que « dans toute nation, dans tout peuple, quiconque veut le servir lui est agréable 3 », et quil nest pas seulement le Dieu des Juifs, mais encore le Dieu des Gentils 4. 14. Voyez si ce nest point pour cela quont tressailli les filles de Sion. « Et les filles de
1. Act. XI, 3. 2. Id. 18. 3. Id. 34, 35. 4. Rom. III, 29.
Juda omit tressailli dallégresse à cause de vos jugements, ô mon Dieu, parce que vous êtes le seul Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre 1». Non sur la Judée seule, non sur Jérusalem seule, non sur Sion seulement, mais « sur toute la terre ». Cest dans lunivers entier que les jugements de Dieu sont en vigueur, afin de rassembler tous les peuples des extrémités du monde. Ceux qui se sont retranchés ne communiquent plus à ces peuples; ils nécoutent point cette prédiction, ne la voient point saccomplir. « Cest que vous êtes le Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre; bien supérieur à tous les dieux». Quest-ce à dire, « bien supérieur? » Le Prophète parle du Christ. Et que veut-il dire par cette expression « bien supérieurs, sinon nous faire comprendre quil est égal à son Père? Quest-ce à dire encore supérieur à tous les dieux?» Quels dieux? Les idoles nont point de sens, nont point de vie : les démons ont le sentiment et la vie, mais sont mauvais, Quelle gloire donnons-nous au Sauveur en lélevant au-dessus des idoles? Il est bien supérieur aux démons, mais ce nest point là une grandeur. Les démons sont les dieux des nations 2, mais pour lui il est élevé au-dessus de tous les dieux. Des hommes aussi ont été appelés des dieux: « Je lai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ». Il est encore écrit: « Dieu a pris séance dans lassemblée des dieux, pour juger les dieux au milieu deux 3». Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien supérieur à tous, non-seulement aux idoles, non-seulement aux démons, mais encore aux hommes justes; cest peu encore, il est supérieur à tous les anges. Pourquoi en effet ce précepte : « Adorez-le, vous qui êtes ses anges », sinon parce qu « il est bien supérieur à tous les dieux? » 15. Mais nous tous qui sommes assemblés auprès de celui qui est élevé bien au-dessus de tous les dieux, que devons-nous faire? Il nous le dit en un seul mot: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal 4 ». Il est honteux daimer en même temps le Christ et lavarice. Si tu laimes, tu dois haïr ce quil hait. Un homme est ton ennemi, mais il est ce que tu es; vous êtes loeuvre du même créateur, et dans la même condition: et néanmoins, si ton fils parle à ton ennemi, entre dans la maison de ton ennemi, a de fréquents entretiens avec
1. Ps. XCVI, 9. 2. Id. XCV, 5. 3. Id. LXXXI, 1, 6. 4. Id. XCVI, 10.
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ton ennemi, tu veux le déshériter, parce quil parle à ton ennemi. Et comment? Parce que tu trouves cette raison juste: Tu es lami de mon ennemi et tu veux une part de mon bien! Un peu dattention. Tu aimes le Christ, et lavarice est lennemie du Christ; pourquoi tentretenir avec elle? Cest peu dire, tu tentretiens avec elle; pourquoi être son esclave? Le Christ commande bien souvent, tu nobéis point; lavarice commande, à linstant tu obéis. Le Christ ordonne de vêtir celui qui est nu, et tu ne le fais point; lavarice commande la fraude, et tu la fais à linstant. Sil en est ainsi, si telle est ta conduite, garde-toi despérer une belle part dans lhéritage du Christ. Jaime le Christ, me diras-tu. « O vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». La preuve que tu aimes le bien, est dans la haine que tu montreras pour le mal. « Haïssez le mal, ô vous qui aimez le Seigneur ». 16. Mais dès que nous commençons à haïr le mal, voici bientôt la persécution. Nous haïssons le mal; et voilà quun persécuteur vient nous dire: Commets telle fraude; vient nous dire: Adore cette idole ; vient nous dire: Offre de lencens aux dénions; mais nous lavons entendu : « Vous tous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Nous lavons entendu, il est vrai, mais si nous nobéissons, il sévira contre nous. Jusquoù sévira-t-il? Que nous enlèvera-t-il? Réponds-moi, pourquoi es-tu chrétien? Est-ce pour acquérir lhéritage éternel, ou une félicité terrestre ? Interroge ta foi, traduis ton âme au tribunal de la conscience, tourmente-la par la crainte du jugement, dis-moi en qui as-tu mis ta foi, et pourquoi cette foi? Mais, dis-tu, jai cru au Christ. Que ta promis le Christ, sinon ce quil nous montre en lui? Que montre-t-il en lui? Il est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux. Veux-tu ly suivre? Imite ses souffrances et attends ses promesses. Que peut tenlever un persécuteur, quand tu commenceras à haïr le mal par amour pour le Seigneur? Que tenlever?Ton patrimoine? Est-ce le ciel? Quil tenlève, sil veut, ce que Dieu ta donné: (il ne peut même lenlever, si Dieu ne le veut point; mais, quand Dieu le permet, il te ravit ce que Dieu ta donné, de peur que Dieu lui-même ne se dérobe à toi). Mais pour Dieu, nul ne peut te lenlever; toi seul, en fuyant Dieu, tu peux te le ravir. 17. Peu mimporte mon patrimoine, me diras-tu peut-être. « Dieu me la donné, Dieu me la ôté ». Puis-je dire avec Job : « et comme il a plu au Seigneur, il a été fait 1 ». Mais je crains que mon ennemi ne me tue, Cest là toute ma crainte. Ecoute alors la consolation du Psalmiste: « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs». De même quil avait dit plus haut: « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal » : pour te délivrer de la crainte de ne haïr le mal, que par la peur que tu aurais dêtre tué par le méchant, le Psalmiste ajoute aussitôt : « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs ».Apprends dans 1Evangile quil garde les âmes de ses serviteurs: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer lâme 2». Il tue le corps, ce persécuteur, cest lapogée de sa puissance; mais que ta-t-il fait?Ce quil a fait au Seigneur ton Dieu. Pourquoi vouloir posséder ce que possède le Christ, quand tu crains de souffrir ce quil a souffert?il est venu pour se revêtir dune vie temporelle, infirme, assujettie à la mort. Crains de mourir, jy consens, si tu peux ne point mourir. Pourquoi ne point embrasser par la foi ce que tu ne peux éviter par ta nature? Que cet ennemi si redoutable par ses menaces tenlève cette vie, Dieu te donnera une autre vie; car cest lui qui ta donné celle-ci, et sil ne le voulait-on ne te lenlèverait point: mais sil lui plaît quon te lenlève, il a de quoi faire un échange, ne crains point dêtre dépouillé pour lui. Crains-tu de perdre un vêtement en lambeaux? Il te donnera la robe de la gloire. De quelle robe me parlez-vous? « Il faut que, corruptible, ce corps soit revêtu dincorruptibilité, et mortel, dimmortalité 3». Cette chair même ne périra point. Notre ennemi peut sévir jusquà la mort : mais au delà il na de pouvoir ni sur lâme, ni sur la chair; en dispersant ta chair, il nempêcherait pas la résurrection. Les hommes craignaient pour leur âme, et que leur dit Jésus-Christ? « Les cheveux de votre tête sont tous comptés 4 ». Craindras-tu de perdre ton âme, lorsque tu ne perds pas un cheveu? Dieu en sait le nombre, il rétablira tout, lui qui a tout créé. Il les a créés quand ils nétaient point, et quand ils existent, une saurait les réparer? Croyez donc de tout votre coeur, mes frères, et « vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Soyez forts, non-seulement dans votre amour pour
1. Job, I, 21. 2. Matth. X, 28. 3. I Cor. XV, 53. 4. Matth. X, 3O.
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Dieu, mais aussi dans votre haine pour le mal. Que nul ne vous effraie: celui qui vous a appelés est plus puissant encore, il est le tout-puissant. Il est plus fort que toute force, plus élevé que toute élévation. Le fils de Dieu est mort pour nous; sois assuré de recevoir sa vie, toi qui as pour gage de cette vie sa mort même. Pour qui est-il mort? Est-ce pour les justes? écoute saint Paul: « Le Christ est mort pour les impies 1 ». Tu étais impie, et il est mort pour toi: et quand tu es justifié, il tabandonnerait? Lui qui a justifié limpie, pourrait-il abandonner lhomme juste? «Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal», Que nul ne craigne, puisque « le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs, et les tirera des mains du pécheur ». 18. Mais, diras-tu, je perds néanmoins cette lumière. « La lumière sest levée pour le juste ». Quelle lumière crains-tu de perdre? Crains-tu dêtre dans les ténèbres? Ne crains pas de perdre la lumière, ou plutôt prends garde quen craignant de perd me cette lumière tu ne perdes la vie éternelle. Mais voyons en effet à qui est donnée celle que tu crains de perdre, et avec qui elle vous est commune. Ny a-t-il que les bons pour voir le soleil, quand Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 2 ? Cette lumière est commune avec les méchants, commune avec les voleurs, commune avec les impudiques, commune avec les bêtes, avec les mouches, avec les vermisseaux. Quelle lumière ne ménage-t-il point au juste, celui qui en donna une semblable à de pareils êtres? Cest la lumière que les martyrs ont vue avec justice dans la vivacité de leur foi; eux qui méprisaient cette lumière terrestre, en voyaient une autre après laquelle ils soupiraient, en dédaignant celle-ci. « La lumière sest levée pour le juste, et la joie tour les coeurs droits 3 ». Nallez pas croire quils étaient véritablement à plaindre, quand ils étaient chargés de chaînes. La prison était large pour les fidèles, et les chaînes légères pour les confesseurs. Ils paraissaient avec joie devant les tribunaux, eux qui prêchaient le Christ dans les tourments. « La lumière sest levée pour le juste ». Quelle lumière sest levée? Celle qui ne se lève point pour linjuste ; non point, cette lumière que Dieu fait lever sur les bons comme
1. Rom. V, 6. 2. Matth. V, 45. 3. Ps. XCVI, 11.
sur les méchants, Il est une autre lumière qui se lève pour le juste, lumière qui ne se lève point pour les hommes diniquité, et qui leur fera dire au dernier jour: « Nous avons erré loin du sentier de la vérité : la lumière de la justice ne sest point levée pour nous, son soleil na point paru à nos yeux 1 ». Ils ont aimé ce soleil terrestre et sont tombés dans les ténèbres du coeur. Que leur sert davoir vu lun des yeux du corps, quand ils ne verront point lautre des yeux de lesprit? Tobie était aveugle et il enseignait à son fils la voie de Dieu. Vous savez quil lui donnait des conseils et lui disait : « Mon fils, fais laumône, parce que laumône ne te laissera point aller dans les ténèbres 2 ». Il était plongé lui-même dans les ténèbres en parlant de la sorte. Voyez-vous dès lors quil y a une autre lumière qui sélève pour le juste, une autre joie pour ceux qui ont le coeur droit? Il était aveugle, et disait néanmoins à son fils: « Fais laumône, parce que laumône ne te laissera point aller dans les ténèbres». Il ne craignit point que son fils lui dît en son coeur: Vous donc, navez-vous pas fait laumône? Pourquoi parier ainsi quand on est aveugle? Voilà que vos aumônes vous ont fait devenir aveugle, et comment me dites-vous que « les aumônes mempêcheront de tomber dans laveuglement? » Pourquoi ce père parlait-il avec confiance,sinon parce quil voyait une autre lumière? Le fils tendait la main au père pour diriger sa marche; mais le père montrait au fils le chemin de la vie. Il est donc une autre lumière qui se lève pour le juste. « La lumière se lève pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit ». Veux-tu la connaître? Aie le coeur droit. Quest-ce à dire: Aie le coeur droit? Prends garde daller à Dieu avec un coeur replié, en résistant â sa volonté et en cherchant à la courber vers toi au lieu de te redresser sur elle, et tu ressentiras la joie, la joie que goûtent tous ceux qui ont le coeur droit. « La lumière sest levée pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit. » 19. « Tressaillez, vous qui êtes justes ». Peut-être que des fidèles qui entendent cette parole: « Tressaillez », rêvent des festins, préparent des coupes, attendent la saison des roses, parce que lon dit; « Tressaillez, ô justes ». Ecoutez le mot suivant: « Dans le Seigneur. «Vous qui êtes justes, tressaillez dans le Seigneur ».
1. Sag. V, 6. 2. Tob. IV, 7, 11.
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Tu attends la belle saison afin de te réjouir. Si le Seigneur est ta joie, il est toujours avec toi ; il ny a point de saison pour lui : tu lauras la nuit, comme tu lauras le jour. Aie la droiture de coeur, et il sera toujours ta joie, car la vraie joie nest pas toujours celle qui vient du monde. Ecoute en effet le prophète Isaïe : « Il ny a point de joie pour limpie, dit le Seigneur 1 ».Ce que les impies appellent joie , nest pas vraiment joie. Quelle joie connaissait donc celui qui condamnait cette joie? Croyons, mes frères, ce quil nous en dit. Il était homme, et connaissait deux joies bien différentes. Homme, il connaissait la joie du vin, la joie de la table, la joie molle dun lit, il connaissait toutes ces joies mondaines et luxurieuses. Et néanmoins connaissant toutes ces joies, il dit hardiment: « Il ny a pas de joie pour limpie, dit le Seigneur » .Ce nétait point lhomme qui parlait, mais bien « le Seigneur ». Donc, dans la vérité du Seigneur, « il ny a point de joie pour les impies ». Ils paraissent avoir de la joie, mais « il nest point de joie pour limpie », telle est la parole non pas dun homme, mais la parole « du Seigneur ». De là vient quà la vue de cette joie, un autre a dit : « Je nai point désiré le jour des hommes, vous le savez, Seigneur 2». O vous qui me montrez un autre jour, qui menseignez une autre lumière, qui répandez une autre joie dans mon coeur, qui me faites goûter intérieurement dautres délices, vous mamenez à ne point désirer le jour des hommes. Isaïe voyait sans doute les hommes plongés dans livresse, dans la luxure, dans les spectacles; il voyait le monde entier séprendre de toutes les bagatelles et néanmoins il sécriait: « Il nest point de joie pour les impies, dit le Seigneur ». Si là nest point la joie, quelle joie voyait donc le Prophète, en comparaison de laquelle cette joie dici-bas nest rien? Quun homme admire la lumière dune lanterne, toi qui connais le soleil, tu lui diras: Cette lumière nest rien. Pourquoi nest-elle rien? Lui la prend pour quelque chose, il sen réjouit; et toi, tu dis que cette lumière nest rien. Quun homme encore admire un singe, tu diras: telle nest point la beauté : et sil sattache à considérer cet animal, à admirer lagencement de ses membres, et leur proportion; toi qui connais la beauté, tu nierais celle du singe, et tu dirais : Ce nest point la
1. Isa. XLVIII, 22; LVII, 21. 2. Jérém. XVII, 16.
beauté. Pourquoi? Parce que tu en connais une autre. Mais, diras-tu : Je ne vois point la beauté que voyait Isaïe. Crois, et tu la verras. Tu nas peut-être pas ce quil faut pour la découvrir; car il est un oeil qui voit la beauté. De même que loeil corporel voit cette lumière, cest loeil du coeur qui voit la beauté. Cet oeil, chez toi, est peut-être blessé, obscurci, troublé par la colère, par lavarice, par la convoitise, par le délire des passions; oui, ton oeil est troublé, et tu ne saurais voir cette lumière. Crois avant de voir, et tu seras guéri, et tu verras. « La lumière sest levée pour le juste, et la joie pour les coeurs droits». 20. « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et rendez hommage à la mémoire de sa sainteté 1». Dans cette joie du Seigneur, dans les délices que vous goûterez, rendez-lui témoignage, car ce nest que par sa volonté que nous goûtons en lui cette joie. Car le Seigneur a dit lui-même : « Je vous ai parlé de ces choses, afin que vous ayez la paix en moi; vous aurez des afflictions dans le monde 2». Si vous êtes chrétiens, espérez ici-bas la tribulation; nespérez pas des temps meilleurs et plus calmes; ce serait vous tromper, mes frères; ne vous promettez point ce que lEvangile ne vous promet point. Vous savez ce quil vous prédit; nous parlons à des chrétiens, ne soyons pas des prévaricateurs de la foi. LEvangile dit que dans les derniers temps, il sélèvera beaucoup de calamités, beaucoup de scandales, beaucoup dafflictions, beaucoup diniquités: mais que celui qui persévérera sera sauvé, « La charité de plusieurs se refroidira 3 », est-il dit encore. Celui donc qui persévérera dans lesprit de ferveur, selon ce mot de lApôtre: « Soyez -fervents en esprit 4»; celui-là ne verra point sa foi se refroidir : « Car lamour de Dieu est répandu dans nos coeurs par lEsprit-Saint, qui nous a été donné 5 ». Que personne donc ne se promette ce que lEvangile ne promet point. Des temps plus heureux viendront, et je ferai ceci, jachèterai cela. Il vous est bon de vous en tenir à celui qui ne se trompe point, qui ne trompe personne, qui vous a promis la joie, non pas dici-bas, mais en lui-même; afin quaprès cette vie vous espériez de régner avec lui éternellement. Si tu veux régner sur la terre, tu ne trouveras de joie, ni en cette vie, ni dans lautre vie.
1. Ps. XCVI, 12. 2. Jean, XVI, 33. 3. Matth. XXIV, 3, 13. 4. Rom. XII, 11. 5. Id. V, 5.
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