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HOMÉLIE XI. CAR DIEU, DANS LA PROMESSE QU'IL FIT A ABRAHAM, N'AYANT POINT DE PLUS GRAND QUE LUI PAR QUI IL PUT JURER, JURA PAR LUI-MÊME. (VI, 13, JUSQU'À 19.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Abraham est cité comme type de l'espérance chrétienne. — Il a vu se réa lise r certaines promesses dans le temps; il a attendu la réalisation des autres dans une vie meilleure. — La promesse de Dieu est appuyée de son serment. — Le Père et le Fils s'abaissent à nos usages pour exciter notre foi et notre espérance. — L'espérance est une ancre solide, et Jésus est notre précurseur au ciel.

3 et 4. Le sacrifice que Dieu demande est, avant tout, celui du coeur et l'offrande de la vertu. — Bien noble est aussi le sacrifice du corps, le martyre volontaire de la pénitence. — Le sacrifice de l'argent par l'aumône complète notre holocauste. — Ayons l'intelligence du pauvre. — Vaines excuses pour ne pas donner; reproches cruels faits aux pauvres. — La malignité accuse même les moines mendiants.

 

1. L'apôtre avait commencé par remuer fortement, par effrayer saintement, ses chers Hébreux. Maintenant il leur donne une double consolation la louange d'abord, et bientôt, ce qui est plus encourageant encore, l'assurance certaine de posséder un jour ces biens qui font l'objet de leur espérance. Et cette consolation il la tire non du présent, mais encore une fois du passé : ce qui était plus persuasif pour eux. De même que pour les effrayer davantage, il leur a fait envisager le châtiment à venir, de même, pour mieux les consoler maintenant, il leur fait entrevoir les récompenses futures. Il montre aussi que la conduite ordinaire de Dieu est non pas de réa lise r sur-le-champ ses promesses, mais de les ajourner au contraire longtemps. Et ce plan divin révèle deux intentions : Dieu veut d'abord nous donner ainsi une preuve dé sa grande puissance, puis nous exciter à la confiance en lui, afin que vivant au sein des tribulations sans recevoir encore les récompenses promises, nous soyons engagés à ne point défaillir à la peine. Oubliant tous les autres modèles en ce genre, bien qu'il en ait beaucoup, saint Paul met en scène Abraham , tant à cause de la dignité de ce grand homme, que parce que, plus que personne, il a ici donné l'exemple. Il avoue, cependant, à la fin de son épître, que tous les élus de l'Ancien Testament dont il rappelle la mémoire, après avoir contemplé et embrassé de loin tes promesses, ne les ont pas reçues toutefois; Dieu n'ayant pas voulu qu'ils fussent couronnés sans nous.

«Car Dieu, dans la promesse qu'il fit à Abraham, n'ayant point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, jura par lui-même, et lui dit ensuite : Soyez assuré que je vous comblerai de mes bénédictions et que je multiplierai votre race à l'infini ; et ayant ainsi attendu avec patience, il a obtenu l'effet de ses promesses (13-15) ». Comment donc l'apôtre, à latin de cette épître , avance-t:-il qu'Abraham même ne reçut point l'accomplissement des promesses, tandis qu'ici, selon lui, sa longue patience lui en obtint l'effet? En quel sens n'a-t-il pas reçu? En quel sens a-t-il obtenu? — C'est qu'il ne s'agit pas des mêmes promesses et récompenses dans les deux passages. Abraham a été, lui, doublement couronné. Des promesses lui ont été faites. Les premières, celles dont il s'agit ici, se réalisèrent dans sa vie après un long délai, mais non pas les secondes; celles-ci regardent un autre avenir; dans les deux cas, au reste, sa longue patience lui en valut l'accomplissement. Voyez-vous que la promesse à elle seule n'a pas tout fait, mais qu'il fallut encore une longue patience? Cette réflexion de l'apôtre est faite pour inspirer aux Hébreux la terreur, en leur apprenant que  souvent la promesse se brise contre une honteuse pusillanimité. Et il. le prouve par l'histoire de son peuple. C'est par le fait de leur étroitesse de coeur que les Israélites n'ont pas atteint le but de la promesse; Abraham lai sert à montrer tout l'opposé. Quant aux paroles qui terminent son écrit, elles nous apprennent que ceux mêmes dont la longue patience n'a pas été couronnée par le succès, ne se sont pas pour cela découragés.

 

501

 

« Les hommes jurent par un plus grand qu'eux-mêmes, et le serment à leurs yeux doit clore tout débat important. Or, Dieu ne pouvant jurer par un plus grand que lui a juré par lui-même (16) ». C'est vrai. Mais qui est celui qui fit à Abraham ce serment? N'est-ce pas le Fils? Non, dites-vous.  — Et pourquoi dites-vous non ? — C'est bien certainement lui; mais je ne dispute pas. Car, lorsqu'il se sert lui-même de cette formule de serment: « En vérité, en vérité, je vous le dis », n'est-ce pas, de fait, parce qu'il n'a pas non plus de supérieur par qui il puisse jurer? En effet, aussi bien que le Père, le Fils jure par lui-même, quand il s'exprime ainsi : « Eu vérité, en vérité, je vous le a dis». L'apôtre rappelle aux Hébreux les formules de serment dont le Christ usait si fréquemment : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi ne mourra point éternellement ». Mais que veut dire ceci : « Le serment clôt et confirme toute controverse ?» — Comprenez que le serment, dans toute discussion, fait évanouir les doutes; et entendez-le, non de telle ou telle discussion, mais de toutes en général. Cependant, même sans ajouter de serment , Dieu doit avoir toute notre foi.

« C'est pourquoi Dieu voulant faire voir avec plus de certitude aux héritiers de la promesse, la fermeté immuable de sa résolution, a employé le serment (17) ». Ces «héritiers » comprennent aussi les chrétiens fidèles, et c'est pourquoi l'apôtre rappelle cette promesse faite à toute la communauté des croyants. Il a, dit-il, employé le moyen du serment. Ce serment qui sert de moyen terme, nous rappelle que le Fils a été intercesseur entre Dieu et nous. « Afin qu'étant appuyés sur ces deux choses inébranlables par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe... (18) ». Quelles sont ces deux choses? Sa parole et la promesse d'une part, et de l'autre le serment qu'il ajoute à sa promesse. Car, comme chez les humains, le serment paraît plus croyable que la simple affirmation, il a bien voulu le donner par surcroît.

2. Vous voyez que Dieu ne tient pas compte de sa dignité, mais que son but est de persuader les hommes; à; ce prix, il permet qu'on parle de lui-même en termes si peu dignes, parce qu'il veut nous convaincre pleinement et sûrement. Dans le fait d'Abraham, l'apôtre nous montre que tout vient de Dieu, et non pas de la longue patience de ce patriarche, puisque Dieu daigne et promettre et jurer. Les hommes jurent par Lui; Dieu aussi jure par lui-même; mais les hommes lui font appel comme à plus grand qu'eux; lui qui ne peut invoquer plus grand que soi , s'invoque cependant. Car il y a une grande différence qu'un homme jure par soi ou jure au nom de Dieu, puisque l'homme n'est aucunement maître de sa chétive personnalité. Or, voyez que ces paroles ne sont pas plus à l'adresse d"Abraham qu'à la nôtre. «Ayons », dit l'apôtre, « ayons, une très-solide consolation, nous qui avons mis, notre refuge dans la conquête des biens qui nous sont proposés par l'espérance ». Ici encore la réalisation des promesses est présentée comme étant l'effet de la patience de l'attente et non pas du serment.

Quant à la nature du serment, il la définit en disant qu'on jure par plus grand que soi. C'est parce que les hommes sont incrédules, que Dieu s'abaisse ainsi à nos idées et à nos exemples. Oui, c'est à cause de nous qu'il fait serment, bien que ce soit une indignité de ne pas le croire simplement. C'est dans le même sens qu'il est écrit : « Il a appris par, les épreuves qu'il a subies », parce que aux yeux des hommes, pour être plus digne de foi sur un point, il faut en avoir fait l'expérience. — Qu'est-ce que « l'espérance proposée? » Que le passé, dit-il, nous garantisse l'avenir. Car si une première promesse s'est ainsi réalisée après un long délai, ainsi bien certainement en sera-t-il des secondes promesses. Ce qui est arrivé à Abraham, nous fait foi des biens à venir.

« Espérance qui sert à notre âme comme d'une ancre ferme et assurée et qui pénètre jusqu'au dedans du voile, ou Jésus comme précurseur est entré pour nous, ayant été établi Pontife éternel selon l'ordre de Melchisédech (19. 20) ». Bien que nous soyons encore dans ce monde, et non délivrés de la vie présente, l'apôtre nous montre en possession des promesses. Grâce à l'espérance, en effet, nous sommes déjà dans les cieux. Attendez, nous dit-il, le succès est certain. Et bientôt nous apportant une conviction pleine et définitive; pour mieux dire, s'écrie-t-il, l'espérance vous met déjà en possession. Il ne dit pas Nous sommes dans-le ciel; mais :Notre espérance y est entrée, ce qui est plus vrai et plus persuasif. Telle, en effet, que l'ancre une fois fixée ne laisse plus ballotter follement le navire, mais qu'en dépit des vents qui le battent, cette ancre fixée le rend ferme et immobile , ainsi fait l'espérance. Et voyez quelle justesse dans la comparaison employée par l'apôtre. Il dit une ancre, et non pas un fondement, qui rendrait mal l'idée. Car tout en flottant sur l'eau, tout en ne paraissant avoir ni fermeté, ni stabilité, un navire se maintient sur l'eau comme sur la terre, chancelant et ne chancelant point , tour à tour. Ceux qui sont très-fermes, très-solides, vraiment sages, se trouvent admirablement dépeints dans la, parabole du Sauveur : « Ils ont », dit-il, «bâti leur maison sur la pierre ». (Matth. VII, 24.) Mais au contraire ceux qui déjà s'affaissent et veulent être portés par l'espérance, trouvent leur portrait dans ces paroles de saint Paul. Les vagues et l'effort d'une violente tempête secouent une barque; mais l'espérance l'empêche d'être emportée à l'aventure, parles vents qui sans cesse l'agitent. Si donc nous n'avions pas eu cette espérance, déjà depuis ,longtemps nous aurions sombré. Et ce n'est pas seulement dans les choses spirituelles, c'est aussi dans les nécessités de la vie que vous retrouvez cette salutaire vertu de l'espérance, par exemple : dans le commerce, dans le labour, sous les drapeaux ; nul, s'il n'avait devant soi l'espérance, ne pourrait seulement mettre la main à l'oeuvre. L'apôtre ne l' appelle pas simplement une ancre, il ajoute ancre ferme et inébranlable, pour montrer quelle fermeté elle procure à ceux qui s'appuient sur elle pour être sauvés. Aussi ajoute-t-il : Qu'elle pénètre jusqu'au dedans du voile, c'est-à-dire qu'elle monte jusqu'au ciel.

 

502

 

A l'espérance l'apôtre ajoute la foi, pour que nous n'ayons pas seulement l'espérance vague , mais la ferme et véritable espérance. Après le serment divin, il place une nouvelle démonstration par les faits eux-mêmes; je veux dire, par ce fait, que Jésus, comme précurseur, est entré pour nous. Un précurseur est précurseur de quelqu'un , comme Jean le fut de Jésus-Christ. Et il ne dit pas seulement : Il est entré , mais : « Où comme précurseur il est entré pour nous », parce que, nous aussi, nous devons arriver au même terme. La distance ne doit pas même être bien grande entre le précurseur et ceux qui le suivent; autrement il ne serait plus leur précurseur. Le précurseur et les suivants sont nécessairement sur la même route; l'un ouvre là marche, les autres le pressent. « Ayant été établi Pontife éternel selon l'ordre de Melchisédech». Voilà encore une consolation, puisque notre Pontife est à une telle hauteur et qu'il l'emporte si fort sur ceux des Juifs non-seulement quant au mode du sacrifice, mais quant à la résidence, au tabernacle, au testament, à la personne. Ce qu'on dit ici de Jésus, est dit de Jésus comme homme.

3. Fidèles d'un tel prêtre, nous devons donc nécessairement être d'autant plus parfaits;, oui, foute la distance qui sépare Jésus-Christ d'Aaron doit se retrouver entre nous et les Juifs. Voilà qu'en effet au ciel nous avons notre victime, au ciel notre Prêtre, au ciel notre sacrifice. Offrons donc des hosties dignes d'être placées sur un autel semblable, non plus, par conséquent, des boeufs et des brebis, non plus de la graisse et du sang. Ces symboles sont abolis et remplacés par l'introduction d'un culte raisonnable. Et qu'appelé-je un culte raisonnable? Les offrandes de l'âme, de l'esprit. « Dieu est esprit », dit le Seigneur, « et ceux qui l'adorent, doivent l'adorer en esprit et en vérité » (Jean, IV, 24), ce qui ne réclame ni le corps, ni les instruments, ni les lieux, mais bien la modestie, la tempérance, l'aumône, le support mutuel, la douceur, la patience. Ces sacrifices ont été figurés déjà dans les siècles passés. « Offrez», dit David, « offrez au Seigneur un sacrifice de justice. Oui, je-vous sacrifierai une victime de louanges; c'est un sacrifice de « louange qui me glorifiera devant Dieu , un esprit pénitent est un sacrifice ». (Ps. IV, 6;CXV,17; XLIX,23 et L, 19) — « Que vous demande le Seigneur, sinon que vous l'écoutiez?» (Mich. VI, 8.) — « Les holocaustes offerts pour les péchés ne vous étaient plus agréables ; alors j'ai dit : Je viens pour faire, ô mon Dieu, votre volonté ». (Ps. L, 18 et XXXIX; 8, 9.) Et en d'autres Prophètes : « Pourquoi m'apportez-vous l'encens de Saba? » (Jérém. VI, 20.) — « Eloignez de moi le son de vos cantiques: je n'écouterai plus les accents, de vos instruments de musique ».(Amos, V, 23.) «Au lieu de tout cela, je veux la miséricorde et non le sacrifice». (Osée, VI, 6.)

Voyez-vous quels sacrifices rendent Dieu propice? Voyez-vous qu'il y a déjà plusieurs siècles que, cette sorte d'offrande est sans valeur, tandis qu'une offrande nouvelle y a été substituée? Présentons celle-ci. La première est le fait de là richesse et de ceux qui la possèdent ; la seconde est le propre de la vertu. L'une est extérieure, l'autre intérieure. Les premiers venus pouvaient pratiquer celle-là; celle-ci est l'oeuvre du petit nombre: Autant l'homme est meilleur et d'un plus grand prix que la brebis, autant notre sacrifice l'emporte sur l'ancien. Ici, en effet, vous apportez votre âme comme victime.

Toutefois il y a d'autres hosties encore, et qui sont à la lettre des holocaustes : j'ai nommé-le corps de nos martyrs; en eux, corps et âme, tout est saint. Tout, chez eux, respire un parfum d'agréable odeur. Et vous aussi, si vous le voulez, vous pouvez offrir un sacrifice de ce genre. Pourquoi regretter de n'avoir pu livrer votre corps aux flammes ? Ne pouvez-vous le consumer par un autre feu, par celui de la pauvreté volontaire, par celui de la souffrance? En effet, avoir la faculté. de mener vie joyeuse, abondante, délicate; et choisir un régime laborieux et crucifiant, et mortifier ainsi votre corps, n'est-ce pas vraiment offrir un holocauste? Frappez de mort, crucifiez cette chair, et vous recevrez la couronne d'un si noble Martyre. Ce que le glaive fait ailleurs, l'ardent héroïsme de votre coeur le reproduit ici. Que l'amour de l'argent ne vous brûle ni ne vous captive; mais que le feu de l'esprit chrétien, au contraire, dévore et consume cette cupidité honteuse et criminelle; qu'elle tombe sous ce glaive spirituel. Voilà un beau sacrifice; il n'a pas besoin d'une main sacerdotale, mais la victime elle-même doit l'offrir; il s'achève dans ce bas monde, mais il monte aussitôt vers les célestes hauteurs. N'admirons-nous pas qu'autrefois le feu, descendant du ciel, dévorait une oblation? Il se peut, aujourd'hui même, qu'il descende encore un leu bien autrement admirable , et qui dévore toute une offrande, ou plutôt, non, qui ne la dévore pas, mais la transporte tout entière au ciel ! Loin de réduire nos dons en cendres, cette flamme les offre à Dieu. Telles étaient les offrandes de Corneille dont il est dit : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu'en la présence et au souvenir de Dieu ». (Act. X, 4.) Comprenez-vous- ce qu'il y a d'excellent dans l'union de ces deux oeuvres ? Oui, nous. sommes exaucés,quand nous exauçons nous-mêmes le pauvre qui nous prie. « Celui », dit l'Ecriture, «celui qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la prière du pauvre, est certain que Dieu n'entendra pas non plus ses prières (Prov. XXI,13). Bienheureux qui a l'intelligence des misères du pauvre et l'indigent : au jour mauvais, Dieu le délivrera ». (Ps. XL, 2.) Ce jour mauvais n'est autre chose que celui qui sera si redoutable au pécheurs. Mais que veut dire «cette intelligence du pauvre ? c'est l'étude de l'indigence , c'est le zèle à connaître ses souffrances. Car quiconque aura compris ces souffrances du pauvre, bien certainement en prendra pitié. Si donc vous voyez un nécessiteux, ne passez pas votre chemin, mais plutôt pensez à ce que-vous seriez, si vous étiez à sa place. Que ne voudriez-vous pas alors que chacun fit pour, vous? Celui qui a l'intelligence, dit l'Esprit-Saint; réfléchissez donc que le pauvre (503) est comme vous, un homme libre, qu'il partage vos titres de noblesse, que tout est commun entre lui et vous; hélas ! et souvent, vous ne le faites pas même l'égal de vos chiens, que vous rassasiez de pain, tandis que lui s'endort avec la faim; souvent cet homme libre est rabaissé, dégradé au-dessous de vos esclaves. — Mais, direz-vous, ceux-ci nous rendent service. En quoi? Ils vous sont utiles ? Alors que direz-vous si je vous montre que, bien plus qu'eux, l'indigent travaille pour vos intérêts? Car c'est lui qui sera votre défenseur au jour du jugement; c'est lui qui vous arrachera aux flammes dévorantes. Quel service pareil vous rendent jamais vos esclaves? Quand Tabitha mourut, qui donc la ressuscita, de ses esclaves nombreux ou des pauvres mendiants? Mais vous, de cet homme libre vous ne voulez pas faire l'égal même d'un esclave. Le froid est intense, et le pauvre git, couvert de haillons, mourant les dents serrées et grinçantes; horrible tableau fait pour,émouvoir! Et vous, bien réchauffé, bien repu, vous passez ! Comment voulez-vous que Dieu vous sauve, quand vous serez sous le poids du malheur ?

Souvent vous osez dire : «Si c'était moi, si j'avais surpris quelqu'un à m'offenser beaucoup,volontiers j'aurais pardonné, et Dieu ne pardonne pas! » Oh! ne tenez point ce langage; car voici un homme qui n'a aucunement péché contre vous, vous pouvez le sauver, et vous le méprisez. Si vous le méprisez, comment Dieu vous pardonnera-t-il, à vous qui péchez contre sa Majesté sainte? De pareils méfaits ne méritent-ils point l'enfer? Mais faut-il s'en étonner ? Souvent vous prodiguez à un cadavre privé de sentiment, incapable d'apprécier cet honneur funèbre, vous prodiguez, dis-je, les vêtements les plus variés, les tissus d'or et de pourpre; et cet autre corps qui souffre; qui est déchiré, torturé, supplicié par la faim et le froid, vous le méprisez; vous accordez plus à la vaine gloire qu'à la crainte de Dieu. Et plût au ciel que votre dureté n'allât pas plus loin. Mais, dès qu'il s'approche, ce pauvre, vous l'accusez aussitôt : pourquoi, dites-vous, pourquoi ne travaille-t-il pas? Pourquoi nourrir un .oisif ? Répondez-moi, à votre tour : ce que vous possédez vous-même, le devez-vous à votre travail? ne- l'avez-vous pas reçu en héritage de vos pères? En supposant même que vous travaillez, pourquoi cette insulte au prochain? l'entendez-vous pas ce que dit saint Paul : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger »; voilà ce qu'il dit; mais il ajoute aussitôt : «Pour vous, faites le bien, sans jamais vous lasser ».

4. Mais que répondez-vous — Ce pauvre est un fripon. — Que dites-vous, malheureux? Quoi pour un pain, pour un vêtement vous l'appelez fripon ! —Oui , parce qu'il vend ce qu'il reçoit. — Et vous, disposez-vous toujours sagement de ce que vous avez ? Puis, tons les pauvres le sont-ils pour cause de paresse ? N'en est-il aucun qui le soit par suite d'un malheur, d'un naufrage, par exemple, ou d'un vol, ou d'un procès injuste, ou d'aventures périlleuses, ou de maladies, enfin par suite de tout autre accident ? Et dès que nous entendrons quelqu'un déplorer une semblable infortune; regarder, pauvre et nu, vers, le ciel; porter inculte sa longue chevelure, me couvrir de haillons, lui jetterons-nous aussitôt les noms d'imposteur, de vagabond, de trompeur? N'êtes-vous pas honteux de prodiguer cette appellation odieuse ?Ne lui donnez rien et ne l'insultez pas. — Mais il a de quoi , me dites-vous, et il joue la misère. — Cette accusation retombe sur vous, et non sur lui. Il sait trop qu'il a affaire à des êtres cruels, à des bêtes féroces plutôt qu'à des hommes; il sait qu'en vain voudrait-il employer le langage le plus touchant, parce qu'il ne gagnerait personne; il lui faut donc nécessairement s'envelopper de dehors plus misérables encore que sa condition même, pour vous briser le coeur. Qu'un homme ose implorer notre charité avec un vêtement honnête : Voilà bien un trompeur, disons-nous; il se présente ainsi pour faire croire qu'il est d'une condition distinguée. Qu'il se montre avec des dehors tout opposés, nous le blâmons encore. Que feront donc ces malheureux? O cruauté! ô insensibilité! Pourquoi montrent-ils leurs membres mutilés? La faute en est à vous. Si nous étions charitables, ils n'auraient pas besoin de semblables moyens; s'ils pouvaient toucher notre coeur au premier abord, ils n'auraient pas recours à ces tristes moyens. Qui, en effet, serait assez misérable pour, se plaire à jeter les  hauts cris, à se conduire de cette façon dégradée, à pleurer ainsi en public, à se lamenter avec une épouse toute nue, à se couvrir de cendres avec ses enfants ? Ces accessoires sont pires que la pauvreté même. Et toutefois ces spectacles, loin de nous inspirer la pitié pour eux, nous fournissent contre eux un prétexte d'insulte. Et nous serons, à notre tour, indignés contre Dieu, parce qu'il n'exauce pas nos prières? Nous serons au désespoir de ne pouvoir le fléchir par nos supplications? Et nous ne frissonnons pas d'épouvante, frères bien-aimés !

Mais, direz-vous, j'ai donné souvent. — Eh bien! ne mangez-vous pas aussi tous les jours? Et bien que vos enfants souvent demandent, les repoussez-vous? O impudence! Vous appelez le pauvre impudent! Vous, qui êtes un ravisseur, vous n'êtes pas impudent sans doute; mais lui , l'humble suppliant, il est impudent, parce qu'il vous demande du pain ! Ne réfléchissez-vous donc pas aux exigences de l'estomac ? Est-ce que vous ne faites pas tout au monde pour lé satisfaire? Ne négligez-vous pas pour lui votre religion ? Le ciel, le royaume des cieux, ne vous est-il pas proposé? Mais pour contenter la tyrannie de l'appétit, loin d'en mépriser les exigences, vous supportez tout; voilà l'impudence!

Ne voyez-vous pas ces vieillards mutilés ou boiteux? — Mais, ô délire ! Celui-ci, m'objectez-vous, prête à usure tant d'écus; d'or; tel autre, tant; -et avec cela il mendie ! - Vous contez là des fables, des sottises, des folies, dignes d'enfants sans intelligence; lés nourrices, en effet, leur font de semblables contes. Eh bien, moi ! je n'y crois pas, ,je refuse d'y croire, et absolument. Quoi ! cet homme prête à usure, et. comblé de richesses il mendie? Expliquez-moi donc pourquoi? Est-il chose plus honteuse que de mendier? Jusqu'à quand serons-nous cruels et inhumains? Car enfin, (504) quoi! sont-ils tous des usuriers? sont-ils tous des fripons? N'est-il point de vrais pauvres? Sans doute, me répondez-vous, il y en a beaucoup. Pourquoi donc ne leur portez-vous pas secours, vous qui examinez de si près leur conduite? Autant de prétextes, autant d'excuses. « Donnez à quiconque vous demande, et ne vous détournez pas de celui qui vous veut emprunter. Etendez a votre main, et qu'elle ne soit pas resserrée ». Nous ne sommes pas chargés d'examiner la conduite des pauvres, autrement nous n'aurions pitié de personne. Pourquoi, quand vous priez Dieu, dites-vous: Seigneur ne vous souvenez pas de, mes péchés? Quand bien môme l'indigent, lui aussi, serait un grand pécheur, appliquez cette parole, et ne vous souvenez pas de ses péchés. Voici le temps de la charité et du pardon, et non pas d'un examen rigoureux et sévère; de la miséricorde, et non d'un froid raisonnement. Il vous demande sa nourriture: donnez, si vous voulez; sinon renvoyez-le, mais sans chercher cruellement la cause de sa misère et de son malheur. Pourquoi non contents d'être sans pitié vous-mêmes, détournez-vous encore les autres de la charité? Que tel ou tel apprenne de vous que ce pauvre est un trompeur, cet autre un hypocrite, un comédien, ce troisième un usurier; dès lors il ne donne plus ni à ceux-ci, ni à ceux-là; car il les soupçonne d'être tous pareils. Soyons miséricordieux, non d'une façon telle quelle, mais comme l'est notre Père céleste. Il nourrit les adultères, les débauchés, les charlatans, que dis-je ? ceux mêmes qui réuniraient tous les vices. Il en faut de semblables pour composer ce monde immense; toutefois il donne à tous et la nourriture, et le vêtement; personne ne meurt de faim , à moins par hasard qu'il ne meure ainsi de son choix. Soyons aussi miséricordieux, et venons en aide à quiconque est dans le besoin.

Hélas ! de nos jours, nous sommes arrivés à un tel degré d'inhumanité, que, non contents d'appliquer notre blâme à ces pauvres qui courent les rues et les carrefours, nous n'épargnons pas même les moines. Tel ou tel de ceux-ci, dit-on, est un imposteur. Ne disais-je pas tout à l'heure, que si nous sommes résolus à donner à tous indifféremment, nous serons toujours charitables; mais que, si une fois nous écoutons une coupable curiosité, nous ne serons plus jamais charitables? Que dites-vous? Pour recevoir du pain, il joue le rôle d'un imposteur ! S'il demandait des talents d'or et d'argent, des habits précieux et magnifiques, un cortége d'esclaves, vous auriez raison de le qualifier d'escroc. S'il ne demande rien de pareil, au contraire, mais seulement la nourriture et le vêtement, ainsi qu'un philosophe, comment alors, dites-moi, comment, pour si peu, l'appeler trompeur? Brisons, mes frères, avec cette curiosité absurde, satanique, pernicieuse. Si cet homme se prétend membre du clergé, s'il se donne le titre de prêtre, faites votre examen alors, soyez curieux de savoir le vrai. Ce n'est pas sans danger qu'en cas semblable on se livre à de tels hommes; il y va de trop précieux intérêts. Mais demande-t-il à manger? Ne cherchez rien au delà; car vous ne donnez pas, vous recevez. Recherchez, si vous voulez, oui, examinez comment Abraham se montrait hospitalier pour tous ceux qui .l'approchaient. S'il avait trop curieusement scruté pour savoir à qui il donnait refuge, il n'aurait pas donné l'hospitalité à des anges. Car, peut-être ne croyant pas qu'ils fussent des anges, les eût-il repoussés avec les autres; mais recevant tout le monde, il accueillit aussi les anges. Est-ce que Dieu vous donne la récompense d'après la conduite de ceux qui reçoivent votre aumône ? Non, mais bien d'après la libre et bonne résolution de votre coeur, d'après votre grande libéralité et générosité, d'après votre bienveillance et bonté. Ayez cela, et vous gagnerez tous les biens. Puisse-t-il nous être donné à tous de les acquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartient, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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