HÉBREUX XXIX
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HOMÉLIE XXIX. VOUS N'AVEZ PAS ENCORE RÉSISTÉ JUSQU'AU SANG, EN COMBATTANT CONTRE LE PÉCHÉ. (CHAP. XII, DU VERSET 4 AU VERSET 11 .)

 

Analyse.

 

1 et 2. Deux consolations, contradictoires en apparence, et qui se complètent l'une par l'autre. — Les épreuves et les adversités ne sont point une marque d'abandon de Dieu : bien au contraire, elles nous apprennent qu'il est notre vrai Père, et que nous sommes ses véritables enfants. — Dieu nous aime mieux que nos pères mêmes, quand il nous châtie. — Il n'agit point par caprice ni pour son intérêt, mais uniquement pour notre bien.

3 et 4. Tous les saints de l'Ancien et du Nouveau Testament ont accepté de bon cœur les souffrances de la vie; tous les pécheurs ont passé par les délices, qui ont causé leur perte dans le temps et dans l'éternité. — Les moeurs de nos jours sont, malheureusement, celles de Babylone et de Sodome. — Les hommes s'efféminent par le luxe des vêtements et par la bonne chère; les femmes y perdent leur force et leur beauté, l’âme se pourrit dans ce corps qui s'énerve.

 

1. Deux manières de consoler, bien contradictoires en apparence, donnent au cœur une force merveilleuse, quand on les présente ensemble aussi saint Paul les emploie-t-il l'une et l'autre. L'une a lieu, quand nous disons à une âme navrée, que plusieurs avant elle ont beaucoup plus souffert; à cette pensée, l'âme attristée se calme, parce qu'elle aperçoit de nombreux témoins de ses combats ; c'est ce moyen qu'employait précédemment saint Paul, lorsqu'il rappelait aux Hébreux leurs propres exemples: « Souvenez-vous, disait-il, de ces anciens jours, où récemment appelés à la lumière, vous avez soutenu de grands combats au milieu de diverses souffrances ». (Hébr. X, 32.) L'autre consolation parle un langage tout opposé; vous n'avez pas, dit-elle, souffert un mal bien grand ! Une observation pareille change le cours de vos idées, vous réveille, vous rend plus empressés à souffrir encore. Le premier genre de consolation était un calmant, un topique sur votre âme blessée; le second est un excitant qui ranime une âme affaiblie, relâchée , qui remue un cœur engourdi et terrassé déjà, et le tire d'une première et fâcheuse indécision. Et comme, d'ailleurs, le premier témoignage qu'il leur a rendu pourrait leur donner quelque orgueil, il croit à propos de leur dire cette seconde parole : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang, en combattant contre le péché, et vous avez oublié la consolation... » Et, sans poursuivre alors le fil de son discours, il leur a montré d'abord tous ces héros qui ont résisté jusqu'à l'effusion de leur sang; il a ensuite ajouté que les souffrances de Jésus-Christ font notre gloire et la sienne; et après ces préliminaires, il a pu librement continuer sa course et son exhortation entraînante.

C'est dans le même sens qu'il écrivait aux Corinthiens : « Puissiez-vous n'être attaqués que par une tentation humaine » (I Cor. X, 13), c’est-à-dire petite et supportable. Car pour relever, pour redresser une âme, il suffit de lui inspirer la pensée qu'elle n'a pas encore gravi les plus hauts sommets de la vertu, et de l'en convaincre par les épreuves mêmes qu'elle a traversées déjà. Et voici bien, en effet, ce que dit l'apôtre: Vous n'avez pas encore subi la mort; vous n'avez souffert que jusque dans vos biens et dans votre gloire, que jusqu'à l'exil. Jésus-Christ a pour nous répandu son sang; vous ne l'avez pas même versé pour votre propre compte. Il a combattu, lui, jusqu'à la mort, pour la vérité, et dans votre seul intérêt; et vous n'avez pas encore affronté, vous, des périls où la vie soit en jeu.

« Et vous avez oublié la consolation »...;c’est-à-dire, vous avez laissé tomber vos bras découragés, vous avez été brisés, bien que vous n'eussiez pas encore, ajoute-t-il, résisté jusqu'au sang dans ces combats contre le péché. Cette parole nous montre (577) que le péché souffle comme l'orage, et qu'il est contre nous armé de toutes pièces. Car l'expression : « Vous avez résisté » s'adresse à des soldats fermes et debout.

« La consolation que Dieu vous adresse comme à ses fils, en vous disant : Mon fils, ne négligez pas le châtiment dont le Seigneur vous corrige, et ne vous laissez pas abattre lorsqu'il vous reprend ». Non content de les avoir consolés par les faits, il les encourage surabondamment par les paroles, et leur apporte ce témoignage de 1'Ecriture : « Ne vous laissez pas abattre », dit-il, « lorsqu'il vous reprend ». Ces paroles sont donc de Dieu lui-même. Et ce n'est pas une mince consolation pour nous, sans doute, que de reconnaître ainsi dans les événements les plus fâcheux l'œuvre de Dieu, qui les permet, comme saint Paul l'atteste lui-même : « C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et il m'a répondu : Ma grâce vous suffit: car ma force éclate davantage dans la faiblesse ». ( II Cor. XII,          8.) il est donc bien vrai que Dieu permet les épreuves. « Car le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe de verges celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants (6) ». On ne peut pas prétendre qu'un seul juste soit sans affliction ; car bien qu'au dehors rien ne paraisse, nous ne savons pas les autres tribulations intimes qu'il subit. Il faut de toute nécessité que le juste passe par ce chemin. C'est la maxime de Jésus-Christ : que la route large et spacieuse conduit à la perdition; tandis que la voie étroite et resserrée mène à la vie. (Matth. VII, 13.) Si donc, par là seulement, on peut arriver à la vie, tandis qu'il est impossible d'y parvenir autrement, concluez que tous ceux qui sont parvenus à la vie, y sont arrivés par la voie étroite.

« Si vous supportez cette rude discipline », continue-t-il, «Dieu vous regardera comme ses enfants. Car, qui est l'enfant que son père ne corrige point? » S'il le forme et l'élève, assurément c'est pour le redresser, et non pour le punir, pour se venger de lui, pour le maltraiter. Saisissez cette idée de l'apôtre. Les événements mêmes qui leur auraient fait croire à l'abandon de Dieu, doivent, selon lui, les convaincre qu'ils ne sont point abandonnés de Dieu. C'est comme s'il leur disait : Parce que vous avez subi de si rudes épreuves,. vous croyez que Dieu vous a délaissés et qu'il vous hait. Au contraire, si vous n'aviez pas ainsi souffert, vous devriez avoir ce soupçon décourageant. Car si Dieu frappe de verges celui qu'il reçoit au nombre de ses enfants, il se peut qu'on ne soit pas de ce nombre; si l'on n'est pas ainsi frappé. — Mais quoi? direz-vous : les méchants ne sont-ils donc jamais atteints? — Ils éprouvent aussi des maux, vous répondrai-je : car pourquoi seraient-ils épargnés? Aussi ne vous dit-on pas : Quiconque est frappé est son enfant; mais seulement : Tout enfant est frappé. Vous ne pouvez donc faire cette objection. Car si les coups tombent sur un grand nombre de méchants mêmes, comme sont les homicides, les brigands, les escrocs, les profanateurs de sépultures, ces misérables sont punis pour leurs crimes; et loin d'être flagellés comme . devrais fils, ils sont châtiés comme scélérats. Vous l'êtes, vous,  à titre d'enfants. Voyez-vous comme l'apôtre emprunte partout ses arguments consolants? Il en trouve dans les faits de la sainte Ecriture, dans les textes sacrés, dans leurs propres idées, dans les exemples ordinaires de la vie, dans la coutume universelle.

2. « Et si vous êtes en dehors du châtiment disciplinaire,dont tous les autres ont eu leur part,vous n'êtes donc pas du nombre des enfants, mais des bâtards (8) .». Voyez-vous comme l'apôtre confirme ce que j'ai dit précédemment: qu'il n'est point possible d'être enfant sans être châtié? Le cas présent suit cette loi générale de la famille, où nous voyons, en effet, qu'un père n'a point souci des bâtards, lors même ;qu'ils n'apprennent rien et qu'ils n'acquièrent aucune illustration, tandis que, pour ses fils légitimes, il craint de les voir se livrer à la paresse et au marasme. Si donc cette privation d'éducation vigoureuse est une note d'illégitimité, il faut se réjouir de subir la discipline, puisqu'on l'applique seulement aux enfants de légitime naissance. Dieu à votre égard se montre comme à ses véritables fils. C'est pour appuyer ce raisonnement que saint Paul ajoute : « Que si nous avons eu du respect pour les pères de notre corps, lorsqu'ils nous ont châtiés, combien plus devons-nous être soumis à celui qui est le Père des esprits, afin de jouir de la vie (9)?» Nouvel et consolant appel aux souffrances que les Hébreux ont subies personnellement. il avait dit plus haut : «Souvenez-vous de vos anciens jours »; il redit ici dans le même sens : Dieu agit envers nous comme envers des fils. Il n'y a pas à répondre : nous ne pouvons suffire à la peine ! Il nous traite comme ses fils, et comme ses fils bien-aimés. Et puisque ceux-ci vénèrent toujours leurs pères selon la chair, comment n'auraient-ils pas la même vénération pour le Père céleste? — Et cette circonstance de dignité ne fait pas la seule différence; il n'y a pas seulement non plus, une différence de personnes; vous en trouvez aussi dans la cause et dans la nature même de la discipline. Non, Dieu ne vous redresse pas pour le même motif que l'ont fait vos pères. Car, ajoute l'apôtre :

« Nos pères nous châtiaient comme il leur plat« sait et pour quelques jours (10) » ; c'est-à-dire que souvent ils se donnaient à eux-mêmes cette satisfaction, sans envisager toujours notre véritable intérêt. Mais, ici, on ne peut faire ce reproche. Dieu n'agit point, en frappant, pour son avantage personnel, mais pour vous, et uniquement pour votre bien. Vos parents out voulu, avant tout, vous forcer à leur être utiles; souvent même ils ont sévi sans motif. Mais, ici, rien de semblable. Voyez-vous encore comme l'apôtre les console? En effet, notre amitié se donne bien plus volontiers aux personnes qui nous commandent ou nous conseillent sans aucune idée d'intérêt égoïste, et surtout avec un zèle tout dévoué à notre bonheur. Nous reconnaissons l'affection sincère, la seule réelle affection à nous voir ainsi aimés, lorsque, nous sommes hors d'état d'être utiles à la personne qui nous aime, qui nous chérit non pour recevoir, mais. pour donner. Dieu nous forme, Dieu fait tout, Dieu veut tout au monde, pour nous (578) rendre capables de recevoir ses biens infinis. « Nos pères nous ont châtiés pour cette vie éphémère seulement et pour leur bon plaisir : mais Dieu nous châtie autant qu'il est utile, pour nous rendre capables de participer à sa sainteté». Qu'est-ce que cette sainteté? C'est la pureté de coeur; qui selon nos forces nous rendra dignes de Lui. Lui-même désire vous la faire accepter, et fait tout pour vous la donner : et vous n'auriez, vous, aucun zèle pour la recevoir? «J'ai dit au Seigneur», chantait le Prophète, « vous êtes mon Dieu, parce que vous n'avez aucun besoin de mes biens ». (Ps. XV, 2.)

Puis, dit l'apôtre, nous avons eu dans nos pères selon la chair des maîtres sages et fermes, et nous les avons respectés : combien plus devons-nous, pour trouver la vie, obéir au Père des esprits, c'est-à-dire au Père des grâces, de la prière, des puissances immatérielles! Si nous mourons sous cet empire de l'obéissance, alors nous vivrons. Et saint Paul remarque avec raison que nos parents ne nous ont formés que pour une vie éphémère et selon leur bon plaisir. Ici, le bon plaisir et l'utile ne se rencontrent pas toujours : tandis que l'utile est nécessairement dans la pensée de Dieu.

3. Ainsi l'éducation par la souffrance est dans notre intérêt; ainsi nous fait-elle entrer en participation de la sainteté. C'est le grand moyen par excellence. En effet, quand la souffrance exclut toute lâcheté, toute convoitise mauvaise, tout amour de ces choses qui nous enchaînent à la vie présente; quand elle nous change le coeur, jusqu'à nous donner la force de réprouver toutes les vanités de ce monde, et tel est l'effet des souffrances,  n'est-il pas vrai que la douleur alors est sainte, et qu'elle arrache au ciel toutes ses grâces? Rappelons-nous plutôt et toujours l'exemple des saints et le côté par lequel tous ont brillé. Au premier rang, Abel, Noé n'ont-ils pas été illustres par la douleur? Comment celui-ci n'aurait-il pas souffert en se voyant seul au milieu de cette innombrable multitude de pécheurs? Car, l'Ecriture le dit : « Noé étant seul parfait dans son siècle, plut à Dieu». (Gen. VI, 9.) Réfléchissez, en effet, je vous prie, et dites: Si, trouvant aujourd'hui par milliers et des pères et des maîtres, dont la vertu nous sert d'exhortation et d'exemple, nous sommes toutefois désolés à ce point, combien a dû être affligé ce juste isolé dans cette masse immense de perdition? — Mais comme j'ai parlé déjà de ce déluge étrange et incroyable, ne dois-je pas plutôt vous raconter Abraham et ses fréquents pèlerinages, et le rapt de son épouse, et ses dangers, et ses guerres, et ses tentations? Ou bien encore Jacob, et tous les maux terribles qu'il a soufferts, banni de tout pays, travaillant en vain, et dépensant pour d'autres tous ses labeurs? Non, il n'est pas besoin de dénombrer toutes ses épreuves; mais son témoignage s'offre de lui-même à l'appui de nos raisonnements; puisqu'il disait à Pharaon : « Mes jours sont courts et mauvais; ils n'ont pas atteint en nombre ceux de mes pères ». (Gen. XLVII, 9.) — Faut-il plutôt vous citer Joseph, ou Moïse, ou Josué, ou David, ou Samuel, Elie, Daniel, tous les prophètes? Vous les verrez tous s'illustrant par les souffrances : et vous, dites-moi, voulez-vous chercher la gloire dans le loisir, le repos, les plaisirs? C'est chercher l'impossible.

Maintenant, vous parlerai-je des apôtres? Mais eux aussi ont surpassé par les souffrances tous leurs devanciers. Pourquoi traiterais-je ce sujet, déjà traité par Jésus-Christ? « Vous aurez », leur disait-il, « l'affliction en ce monde». Et ailleurs « Vous pleurerez et vous gémirez, tandis que le monde se réjouira ». (Jean, XVI, 33 ; Matth. VII, 74.) La voie qui conduit à la vie est étroite et rude, c'est le Maître de la voie lui-même qui le déclare; et toi, chrétien, tu cherches la voie large? N'est-ce pas absurde? Aussi, par cette route différente tu trouveras non la vie, mais la mort! Toi-même as fait choix du chemin qui doit y conduire.

Mais préférez-vous que je vous cite, que j'énumère devant vous tant de pécheurs qui ont passé leur vie dans les délices? Remontons des plus rapprochés de nous, jusqu'aux plus anciens. Expliquez-moi la perte du mauvais riche plongé dans son abîme de feu; la perte des juifs qui vécurent pour le ventre dont ils faisaient leur Dieu, ne cherchant au désert même que loisir et repos; la perte des hommes encore de l'époque de Noé. N'ont-ils, pas péri pour avoir choisi une vie de bonne chère et de dissolution? Ceux de, Sodome ne furent-ils pas victimes de leur gourmandise? «Ils se jouaient», dit l'Ecriture, « dans l'abondance de leur pain ». (Ezéch. XVI, 49.) Que si l'abondance du pain amena une telle catastrophe, que dirons-nous de tant d'autres inventions de la friandise et de la bonne chère? — Esaü ne vivait-il pas dans le loisir et la fainéantise? N'était-ce pas le crime aussi de ces enfants de Dieu qui admirèrent la beauté des femmes et coururent ainsi aux précipices de l'enfer? N'était-ce pas la vie de ceux qui se livrèrent à des passions folles et furieuses contre nature? Et tous ces rois païens de Babylone ou d Egypte n'ont-ils pas tristement fini? Ne sont-ils pas dans les supplices?

Or, dites-moi, nos moeurs d'aujourd'hui sont-elles donc différentes? Ecoutez la parole de Jésus-Christ: « Ceux qui se couvrent de vêtements somptueux, sont dans les palais des rois » (Matth. XI,8); et ceux qui ne s'habillent point ainsi, sont dans les cieux. Un vêtement de mollesse amollit, brise, corrompt un coeur même austère; quand bien même il couvrirait un corps rude et sauvage, il l'aurait bientôt énervé et affaibli sous son tissu voluptueux. Quelle autre cause que celle-là, dites-moi, amollit ainsi les femmes? Serait-ce leur sexe seulement? Non, mais bien leur manière de vivre et leur éducation. Cette façon de les élever à l'ombre, ces loisirs, ces bains, ces onctions, ces parfums de tout genre, ces lits mollets et délicats, font une femme ce que vous voyez! Et pour vous en convaincre, écoutez une comparaison

Dans quelque oasis du désert, parmi les arbres battus des vents, prenez-moi un rejeton quelconque, et transplantez-le dans un lieu humide et ombragé, vous le verrez bientôt indigne du lieu où il a pris naissance. Que ce fait se vérifie chez nous, les femmes des champs en sont la preuve : plus vigoureuses même que les hommes des villes, on (579) en a vu qui en terrassaient plusieurs dans la lutte. Or, quand le corps s'est ainsi amolli, il faut bien que l’âme en partage la ruine; les forces de l'un sont, en grande partie, attaquées de la même manière que les facultés de l'autre. C'est ainsi que dans les maladies nous sommes tout changés, parce que nous sommes affaiblis ; et quand la santé revient, il se fait en nous une nouvelle révolution. Quand les cordes d'une lyre se détendent et ne rendent plus qu'un son faible et faux, tout le talent de l'artiste est paralysé, parce qu'il est comme asservi et lié à cet instrument désaccordé : ainsi l'âme souffre maints dommages, subit maintes nécessités sous l'empire de son enveloppe corporelle. Celle-ci a tant besoin de soins absorbants, que l'âme en doit souffrir un rude esclavage. Je vous en supplie donc : créons-nous un corps vigoureux et robuste, et gardons-nous de le rendre faible et maladif.

Ici je ne parle pas seulement aux hommes, mais aux femmes aussi. Pourquoi, ô femmes, énerver vos membres par les délices, et les rendre ainsi chétifs et misérables ? Pourquoi, par l'embonpoint excessif, leur ôter toute vigueur? Cet excès n'est point une force, vous le savez, mais une cause d'affaiblissement. Au contraire, laissez toutes délices, conduisez-vous tout différemment, et la beauté physique s'ensuivra au gré de vos désirs, dès que le corps se retrouvera solide et fort. Que si vous aimez mieux l'assiéger de maladies sans nombre, il y perdra sa fleur, il y compromettra tout son tempérament : car alors, vous serez dans un perpétuel chagrin. Or, vous savez que, comme une maison déjà belle, s'embellit encore au souffle riant du zéphyr, ainsi un beau visage doit gagner en beauté, lorsque votre âme lui prête un reflet de sa joie ; tandis que, livrée à la tristesse et au chagrin, elle devra l'enlaidir. Les maladies et les souffrances engendrent la tristesse ; et les maladies viennent de ce qu'on délicate trop le corps. Pour cette raison au moins, croyez-moi, fuyez les délices.

4. Mais, direz-vous, on éprouve du plaisir à s'y livrer. — Oui, mais on y trouve encore plus de peines. Le plaisir ne va pas au-delà de votre langue, de votre palais. Une fois la table enlevée et les mets engloutis, vous n'êtes pas plus heureux que si vous n'aviez pas eu part au banquet ; vous êtes même beaucoup plus mal, puisque vous emportez de ces excès, la pesanteur, l'embarras, une tète alourdie, un sommeil semblable à la. mort, souvent même l'insomnie, triste fruit de la satiété, la suffocation , les éructations. Mille fois sans doute, vous avez maudit votre estomac, lorsque vous ne deviez maudire que l'intempérance.

N'engraissons donc point notre corps, et plutôt écoutons la parole de saint Paul : « N'ayez point de souci de votre chair dans ses mauvais désirs ». (Rom. XIII, 14.) C'est avec raison qu'il signale ainsi les mauvais désirs : car l'aliment de ces convoitises se trouve précisément dans les délices. L'homme qui se livre à leur attrait, fùt-il le plus fervent adepte de la sagesse, doit nécessairement subir cette influence du vin et des mets exquis; nécessairement il s'y énerve, nécessairement il allume en son coeur une flamme maudite; de là, les prostitutions, de là les adultères. L'amour coupable ne s'engendre pus dans un estomac maté par la faim, pas même dans celui qui sait se borner à une nourriture simplement suffisante, tandis que les penchants obscènes naissent et se forment dans celui qui se livre à la bonne chère. Les vers pullulent dans un sol profondément humide, dans un fumier largement mouillé et arrosé : au contraire, purgée de cette humidité, débarrassée de cet excès, la terre se couvre de fruits; sans culture même, elle se revêt d'herbages ; cultivée, elle donne toutes sortes de productions : c'est là notre image. Gardons-nous donc de rendre notre chair inutile ou même nuisible; plantons-y des semences utiles et productives, des arbres qui portent leurs fruits un jour, et gardons-nous de la stéri lise r par les délices, dont la triste pourriture, au lieu d'une moisson, n'enfanterait que des vers. Telle est, en effet, notre concupiscence native, que si nous l'inondons de délices, elle produit de honteuses, d'infâmes délectations. Peste véritable, que nous arracherons de toute manière, afin de pouvoir gagner lesbiens qui nous sont promis, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.

 

 

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