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COMMENTAIRE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX HÉBREUX, PUBLIÉ APRÈS SA MORT, D'APRÈS SES NOTES, PAR CONSTANTIN, PRÊTRE D'ANTIOCHE.

 

ARGUMENT

 

Analyse.

 

Pourquoi Paul, étant juif, n'a-t-il pas été envoyé vers les juifs. — Pourquoi, à quelle époque et à quelle occasion a-t-il écrit une épître aux Hébreux?

 

Le bienheureux Paul écrit aux Romains: « Tant que je serai l'apôtre des gentils, j'honorerai mon ministère, en lâchant d'exciter de l'émulation dans ceux qui me sont unis selon la chair », (Rom. XI, 13, 14) ; et ailleurs il dit encore : « Celui qui a agi efficacement dans Pierre, pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre l'apôtre des gentils ». (Gal. II, 8.) Donc il était l'apôtre des gentils, ce qui résulte des Actes des apôtres où Dieu lui dit : « Va, je vais t'envoyer bien loin chez les gentils ». (Act. XXII, 21.) Qu'avait-il -de commun avec les Hébreux? Pourquoi cette épître qu'il leur adresse, lui surtout qui leur inspirait une haine évidemment prouvée par plusieurs passages ? Écoutez ce que lui dit Jacques : « Tu vois, frère, combien de milliers de juifs ont cru, eh bien ! ils ont tous entendu dire que tu leur prêches l'apostasie de la loi » (XXI, 20; 21) : et bien des questions lui furent souvent adressées à ce sujet.

Pourquoi donc, dira quelqu'un, versé comme il était dans la loi, en disciple élevé aux pieds de Gamaliel, pourquoi transporté comme il était du zèle de cette loi, et capable par conséquent de confondre ses adversaires, n'a-t-il pas été envoyé par Dieu aux juifs? C'est que toutes ces qualités étaient précisément autant de titres à leur antipathie. Cette antipathie, Dieu la connaissait d'avance ; il savait que Paul ne serait pas accueilli par les juifs. Il lui dit donc : « Va trouver les gentils, car les juifs ne recevront pas le témoignage que tu leur rendras de moi ». (Act. XXII, 18.) Il répondit : « Seigneur, ils savent eux-mêmes que c'était moi qui mettais en prison et, qui faisais fouetter dans les synagogues ceux qui croyaient en vous, et que lorsqu'on répandait le sang de votre martyr Étienne, j'étais présent, je consentais à sa mort et je gardais les vêtements de ceux qui le lapidaient ». (Ibid. XIX, 20.) Il veut montrer et prouver par là qu'on ne croira pas à sa parole. Car il en est ainsi : une nation se voit-elle abandonnée par un homme infime et de nulle valeur,. cet abandon ne lui fait pas grand'peine. Mais si le transfuge est un homme distingué et brûlant de zèle qui partageait autrefois ses idées, cet abandon est pour la nation entière un chagrin, un tourment, c'est une atteinte gravé portée à ses dogmes. Il y avait encore une chose qui pouvait rendre les juifs incrédules. Pierre et les autres avaient vécu avec le Christ; ils avaient été témoins de ses prodiges et de ses miracles; mais, pour Paul, rien de tout cela n'avait eu lieu. C'était un transfuge qui, (452) après avoir été avec les juifs, était tout à coup passé dans notre camp, ce qui avait donné beaucoup de force à notre doctrine. Les autres pouvaient passer pour des témoins complaisants qui rendaient témoignage à un maître bien-aimé qu'ils regrettaient; mais lorsque Paul témoignait de la résurrection de Jésus-Christ, il était évident qu'il n'écoutait que la voix de la vérité. Aussi voyez-les à l'oeuvre : ils le détestent du fond du coeur; ils excitent contre lui la sédition, ils font tout pour le perdre. Mais, si les juifs incrédules avaient leurs raisons pour lui être hostiles, pourquoi les croyants ne l'aimaient-ils pas ? C'est qu'il était obligé de prêcher aux gentils la religion chrétienne dans toute sa pureté, et, si parfois il se trouvait en Judée, il ne faisait nulle attention au pays où il était. Pierre et ses compagnons prêchaient à Jérusalem, où le zèle de la loi était dans toute sa ferveur; ils devaient donc permettre l'observation de la loi mais Paul usait d'une grande liberté. Il y avait plus de gentils que de juifs en dehors de. Jérusalem. Ce qui les détachait de la loi, ce qui les portait à s'en affranchir, c'est que Paul prêchait le pur christianisme. De là ces avis adressés à Paul, pour l'engager à respecter la multitude : « Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs ont cru; eh bien ! ils te haïssent, parce qu'ils ont oui dire que tu prêches aux juifs d'apostasier leur loi ».

Pourquoi donc écrit-il aux juifs, puisqu'il n'est pas chargé de les instruire? Où leur écrit-il? A Jérusalem et en Palestine, sel6n moi. Mais comment leur écrit-il ? Comme il baptisait sans en avoir reçu l'ordre. Il dit, en effet (I Cor. I, 17), qu'il n'a pas reçu mission de baptiser; non que cela lui fût interdit, mais c'était un surcroît à son oeuvre. Et pourquoi n'écrivait-il pas à ceux pour lesquels il eût voulu être anathème? (Rom. IX, 3.) C'est ce qui lui faisait dire . « Vous savez que notre frère Timothée est en liberté, et, s'il vient bientôt, je viendrai vous voir avec lui ». (Hébr. XIII, 23.) A cette époque, il n'était pas encore prisonnier. Après deux ans de détention à Rome, il sortit enfin de prison. Puis il partit pour l'Espagne, se rendit ensuite en Judée et vit les Juifs. Ce fut alors qu'il revint à Rome, où il fut mis à mort sous Néron. Cette épître est postérieure à celle à Timothée, où il est dit : «Je suis comme une victime que l'on va immoler » ; et la première fois que j'ai défendu ma cause, nul ne m'a assisté. (II Tim. IV, 6, 16.) Car il a eu bien des luttes à soutenir. Ainsi il écrit aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus les imitateurs des ég lise s de la Judée ». (l Thess. II, 14.) Et s'adressant aux juifs eux-mêmes, il leur dit : « C'est avec joie que vous avez accepté le pillage de vos biens ». (Hébr. X, 34.) Voyez comme il a combattu. Ah ! s'ils traitaient ainsi les apôtres, non-seulement en Judée, mais partout où ils les rencontraient, comment auraient-ils traité le reste des fidèles? Aussi voyez quelle est pour ces fidèles la sollicitude de Paul, lorsqu'il dit : « Je vais prêter mon ministère aux saints de Jérusalem » (Rom. XV, 25), lorsqu'il exhorte les Corinthiens à la bienfaisance, en disant que les Macédoniens ont déjà contribué (II Cor. I, 3), en ajoutant que, s'il le faut, il partira, lorsqu'il dit : « Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, de que j'ai eu aussi grand soin de faire ». C'est la même sollicitude qui le guide (Gal. II, 10) ; c'est elle encore qui lui dicte ces paroles : « Il nous donnèrent la main, à Barnabé et à moi, en signe d'union, pour que nous prêchions l'Evangile aux gentils, et eux aux circoncis ». (Ibid. 9.) Il ne parle pas ainsi des pauvres qui étaient là. Mais il veut nous faire participer à l'œuvre de la bienfaisance qui a ces pauvres pour objet. Il n'en est pas, en effet, de la charité comme de la prédication. Nous n'avons pas chargé les uns de faire la charité aux juifs, les autres de la faire aux gentils. Vous voyez cette sollicitude de Paul, qui s'exerce en tous lieux, et c'était justice. Dans les autres pays où les juifs vivaient pêle-mêle avec les gentils, les choses ne se passaient pas comme en Judée. La Judée avait conservé une apparence de liberté; les Juifs étaient encore autonomes, et n'étaient pas pleinement soumis aux Romains. Quoi d'étonnant s'ils s'arrogeaient le pouvoir le plus tyrannique ? Si dans les villes appartenant aux gentils, comme à Corinthe, ils frappaient le chef de la synagogue, sous les yeux même du proconsul siégeant à son tribunal, que ne devaient-ils pas faire en Judée ?

2. Vous voyez comme dans ces villes, les juifs traînent les apôtres devant les magistrats, en réclamant contre eux l'assistance des gentils. Chez eux, ils n'agissent pas ainsi, ils convoquent un conseil et punissent ceux qu'il leur plaît. C'est ainsi qu'ils ont fait périr Etienne , c'est ainsi qu'ils ont fait subir aux apôtres le supplice du fouet, sans consulter les magistrats; c'est ainsi qu'ils auraient fait périr Paul, sans l'intervention d'un. tribun. Quand ils se livraient à de pareils excès, l'autorité des pontifes subsistait encore, le temple était debout; ils avaient conservé leur culte et leurs sacrifices. Voyez Paul au tribunal du grand prêtre. « Je ne savais pas que c'était le grand prêtre », dit-il (Act. XXIII, 5) ; et cela se passait devant un magistrat romain, tant les Juifs prenaient de licence 1 Voyez quel était à cette époque le malheur des fidèles qui habitaient Jérusalem et le reste de la Judée ! Quoi d'étonnant alors, si l'homme qui voulait être anathème pour les incrédules, et qui s'inquiétait si fort des nouveaux convertis, si l'homme qui consentait à partir au besoin, pour leur venir en aide, daigne leur écrire pour les consoler et pour relever leur courage ? Leurs forces et leurs coeurs succombaient sous le poids de leurs tribulations. C'est ce que montre évidemment la fin de cette épître,: « Relevez donc », leur dit saint Paul, «vos mains languissantes et vos genoux affaiblis ». (Hébr. XII, 12.) Et il dit aussi : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas» ; et plus bas : « Si vous n'êtes point châtiés, quand tous les autres l'ont été, vous êtes donc des bâtards et non des fils légitimes ». (Ibid. X, 37, et XII, 8.) En leur qualité de juifs, ils avaient appris de leurs frères qu'ils devaient s'attendre à rencontrer sous leurs pas lesbiens et les maux, et que la vie était ainsi faite. Maintenant tout leur était contraire. Les biens n'étaient pour eux que des (453) espérances qui devaient se réa lise r après leur mort; les maux, ils les touchaient du doigt, et l'excès de leurs souffrances était bien capable de les abattre.

Voilà pourquoi Paul s'étend sur ce chapitre. Mais nous développerons ce sujet en son lieu; pour le moment nous nous bornerons à montrer qu'il devait nécessairement écrire à des hommes dont le sort lui causait tant d'inquiétude. Quoiqu'il ne leur ait pas été envoyé pour les motifs que nous connaissons, rien ne l'empêchait de leur écrire. C'est à leur abattement qu'il fait allusion par ces mots : « Relevez vos mains languissantes, vos genoux qui fléchissent, et marchez dans la droite voie » ; et il leur dit en outre : « Dieu n'est pas injuste pour oublier vos oeuvres et votre charité ». (Ibid. XXII, 12; 13, et VI, 10.) Car l'âme ébranlée par des tentations fréquentes, est sujette à sortir du giron de la foi. De là ces exhortations de Paul qui cherche à les raffermir et à les garantir de l'incrédulité. Voilà pourquoi, dans cette épître surtout, il s'étend sur le chapitre de la foi, et leur montre enfin par de nombreux exemples, que leurs pères aussi n'ont pas vu se réa lise r ces promesses d'un bonheur immédiat: Puis, afin que dans leur malheur ils ne se crussent point tout à fait abandonnés de Dieu, il les instruit de deux manières. Il les engage d'abord à supporter toutes les tribulations avec courage, ensuite à espérer une palme assurée ; car Dieu ne laissera pas sans récompense Abel et les justes qui lui ont succédé. Puis il leur offre trois sortes de consolations : c'est la passion du Christ qu'il leur offre pour exemple ; le serviteur ne doit pas être mieux traité que le maître; ce sont les prit que Dieu propose à ceux qui croient en lui : c'est enfin la nature même des tribulations auxquelles ils sont en proie. Pour affermir leurs coeurs, il invoque non-seulement l'avenir qui aurait pu ne pas faire assez d'impression sur eux, mais le passé et l'histoire des malheurs de leurs pères. Et c'est ainsi ce que fait le Christ, lorsqu'il déclare que l'esclave n'est pas plus grand que le maître, lorsqu'il affirme qu'il y a plus d'une place auprès de son père, lorsqu'il ne cesse de crier : Malheur aux incrédules !

L'apôtre fait souvent mention    e l'Ancien et du Nouveau Testament, parce qu'il remarquait que c'était là un puissant moyen pour les faire croire à la résurrection. Pour que la passion de Notre-Seigneur ne jette aucun doute sur sa résurrection, il entasse autour de ce dogme. les témoignages des prophètes, et apprend à ses auditeurs que c'est notre religion et non celle des juifs qu'il faut vénérer. C'est que le temple était encore debout avec ses sacrifices, et voilà ce qui lui fait dire : « Sortons du camp , en portant l'ignominie de sa croix ». (Hébr. XIII, 13.) Ici des contradicteurs pouvaient lui dire : Si tout cela est ombre et symbole, pourquoi toutes ces ombres ne passent-elles pas, pourquoi ne s'effacent-elles pas aux rayons de la vérité qui se lève ? Pourquoi l'ancien état de choses est-il toujours florissant? Il leur fait donc entendre que ce qui n'est point encore arrivé, arrivera en temps et lieu. Il leur fait voir enfin qu'autrefois déjà, et pendant longtemps, ils avaient persévéré dans la' foi, au milieu des tribulations. Depuis le temps qu'on vous instruit, leur dit-il, vous devriez déjà être maîtres. — Que nul d'entre vous ne laisse pénétrer dans son coeur le poison de l'infidélité. — « Vous vous êtes rendus les imitateurs de ceux qui, par leur foi et parleur patience, sont devenus les héritiers des promesses ». (Ibid. V, 12; III, 12; VI, 12.)

 

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