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HOMÉLIE XII. CAR CE MELCHISÉDECH, ROI DE SALEM, PRÊTRE DU DIEU TRÈS-HAUT, QUI VINT AU-DEVANT D'ABRAHAM LORSQUE CELUI-CI REVENAIT DE LA DÉFAITE DES ROIS, QUI LE BÉNIT, A QUI ABRAHAM DONNA LA DIME DE TOUT CE QU'IL AVAIT PRIS, QUI S'APPELLE, SELON L'INTERPRÉTATION DE SON NOM, PREMIÈREMENT ROI DE JUSTICE, PUIS ROI DE SALEM, C'EST-A-DIRE ROI DE PAIX, QUI EST SANS PÈRE ET SANS MÈRE, SANS GÉNÉALOGIE, QUI N'A NI COMMENCEMENT DE SES JOURS NI FIN DE SA VIE, ÉTANT AINSI L'IMAGE DU FILS DE DIEU, DEMEURE PRÊTRE POUR TOUJOURS. (VII, 1, 2, 3, JUSQU'A 10.)

 

Analyse.

 

1 et 2. Résumé de l'épître aux Hébreux : comment s'échelonnent les raisonnements de saint Paul. — Melchisédech, parle silence mystérieux de l'Ecriture sur sa naissance et sa mort, était la figure de Jésus comme Verbe éternel. — Décimateur d'Abraham qu'il bénit, il est, à ce double titre, plus grand qu'Abraham ; si telle est la          figure, quelle sera la vérité ? Lévi même a payé (545) la dîme au roi de Salem, abaissant ainsi son pontificat devant lui : combien plus devant Jésus, dont Melchisédech n'est que la figure?

3 et 4. Part de notre libre arbitre dans nos bonnes oeuvres, de l'aveu des saintes Écritures. — Mauvais usage de notre volonté, qui ne s'instruit pas à l'école du malheur d'autrui, et se profane par le péché. — Saint usage de notre liberté par la conversion. — Retour à Dieu qui nous appelle, nous aide,et nous purifiera.

 

1. Saint Paul voulant montrer la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament, dissémine, en plusieurs passages, ses instructions à ce sujet, pour y amener par des préludes, par des essais, qui préparent d'avance les esprits de ses auditeurs. Dès le début de son ép!tre, il a jeté comme une base fondamentale cette vérité : que Dieu a parlé aux anciens dans les prophètes, tandis qu'à nous, c'est dans son Fils ; à eux, de plusieurs manières et en divers temps, à nous, parce Fils adorable. Ensuite il a dit quel est ce Fils et quelle est son oeuvre; il a exhorté à lui obéir, pour éviter de partager le malheur des Juifs insoumis ; il a dit que Jésus est prêtre, selon l'ordre de Melchisédech ; il a voulu aborder toutefois la question de cette différence essentielle ; et après maintes préparations prudentes, après des reproches adressés, à leur faiblesse, mêlés à des encouragements et à des consolations capables de leur rendre confiance ; après les avoir mis en état d'écouter avec docilité ses enseignements, il entreprend enfin de leur expliquer la différence entre Jésus-Christ et leur grand prêtre. Car une âme abaissée et découragée ne peut facilement écouter, comme peut vous en convaincre l'Écriture quand elle dit . « Et ils n'écoutèrent pas Moïse à cause de leur abattement ». L'apôtre a donc eu soin de guérir cette maladie de leur âme par ses paroles  tantôt terribles, tantôt calmes et charitables; en sorte qu'il peut maintenant aborder la question de la différence entre les deux rois. Voici donc ce qu'il dit : « Car ce Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu très-Haut ». Chose admirable ! dans le-type même qu'il choisit, il montre déjà combien est grande la différence. Car, comme je l'ai dit, il emprunte toujours une figure pour concilier la foi à la vérité ; il se sert du passé pour affirmer le présent, à cause de la faiblesse de ses auditeurs. Donc : « Ce Melchisédech, roi de Salem, et prêtre du Dieu Très-Haut, qui vint au-devant d'Abraham, lorsqu'il revenait de la défaite des rois, et le bénit; à qui Abraham donna la dîme de tout ce qu'il avait pris ». Après avoir résumé tout le récit du Livre saint, il l'interprète mystiquement. C'est d'abord le nom de Melchisédech qui attire son attention. « Qui s'appelle, selon l'interprétation de son nom, premièrement Roi de Justice ». En effet, « Sédech » veut dire justice et « Melchi »; roi; d'où Melchisédech, roi de justice. Voyez-vous, jusque dans les noms, quel choix et quelle exactitude ? Or, quel est le roi de justice, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ? — Puis : «Roi de Salem », nom de sa cité; le sens est roi de paix, car telle est la traduction de Salem : encore un trait du Christ. Car c'est lui qui nous à faits justes et qui a pacifié tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre. Quel homme est vraiment roi de. justice et de paix? Aucun, à l'exception du seul Jésus-Christ Notre-Seigneur. — Il ajoute bientôt une autre différence : « Sans père, sans mère, sans généalogie, qui n'a ni commencement, ni fin de sa vie, étant ainsi l'image du Fils de Dieu, qui demeure prêtre a pour toujours ». Mais ici se présentait un texte qu'on pouvait objecter : « Vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech », parce que celui-ci était mort, et n'était pas prêtre pour l'éternité. Voyez donc à quel point de vue élevé se place l'apôtre. On va lui objecter : Comment parler ainsi d'un homme? Aussi, dit-il, je ne prends pas cette parole au pied de la lettre, mais voici ce que je veux dire : Nous ne savons quel père ni quelle mère eut ce prince; nous ne le voyons ni naître, ni mourir. — Eh bien ! alors, que conclure, dira-t-on ? De ce que nous ne savons rien, s'ensuit-il qu'il ne soit pas mort, qu'il n'ait pas eu de parents? — Non, vous avez raison d'affirmer qu'il est mort, qu'il a eu des parents. — Comment donc est-il sans père ni mère? Comment n'a-t-il ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie? Comment? En ce sens que l'Écriture n'en dit rien. — Et où va cette remarque ? — A dire que ce prince est sans père, parce qu'on ne donne pas sa généalogie, mais que Jésus-Christ possède ce privilège réellement et en toute vérité.

2. Voici donc un roi qui n'a ni commencement ni fin ; c'est-à-dire, que comme nous ignorons et son commencement et sa fin, parce que ces faits n'ont pas été écrits, ainsi les ignorons-nous de Jésus, non parce que l'Écriture n'en dit rien, mais parce qu'en réalité il n'a ni l'un ni l'autre. Parce que le premier est la figure,, l'Écriture se tait sur son commencement et sa fin ; et parce que le second est la vérité, il n'a réellement ni commencement ni fin. Ainsi en est-il de leurs noms; pour l'un, sa royauté de justice et de paix n'est qu'un pur titre sans réalité; pour Jésus-Christ, il est tout cela véritablement. Comment donc a-t-il un principe? Vous voyez que le Fils est sans principe, non dans ce sens qu'il existe sans cause, car c'est impossible : il a un père, autrement comment serait-il Fils ? Mais il est sans principe anarkhos, en ce sens que sa vie n'a ni commencement ni fin. « Melchisédech est semblable au Fils de Dieu ». Où est la ressemblance ? C'est que de l'un comme de l'autre, nous ne savons ni le commencement ni la fin; de l'un, il est vrai, parce que ces dates n'ont pas été écrites, et de l'autre, au contraire, parce que ces termes n'existent pas : voilà la ressemblance. Que si cette ressemblance portait sur tous les points, vous ne verriez pas d'un côté la figure, et de l'autre la vérité; tous deux seraient figures. C'est ainsi que dans les portraits et images, vous trouvez et ressemblance et différence. Les traits et le dessin reproduisent la ressemblance; mais les couleurs une fois posées, la différence s'accuse évidemment, on voit similitude ici, et là, dissemblance.

« Considérez donc combien grand il devait être, puisque Abraham même lui donna la dîme de ce qu'il y avait de meilleur (4) ». Il a fait (506) ressortir la justesse de la figure. Enhardi dès lors, il montre qu'elle est plus glorieuse que les réalités juives elles-mêmes. Or, si par cela seul que ce roi portait en lui la figure de Jésus-Christ, il se trouvait ainsi plus grand et plus remarquable non-seulement que les prêtres, mais même que cet Abraham, d'où sortait la tribu des prêtres, que direz-vous de la Vérité? Voyez-vous comme il prouve surabondamment la supériorité de Jésus-Christ? —«Regardez », dit-il, « combien est grand celui à qui Abraham donna la dîme de ce qu'il y avait de meilleur ». Cette expression « de meilleur », fait allusion aux dépouilles. Et l'on ne peut dire qu'Abraham les ait partagées avec lui, parce qu'il aurait pris part au combat. Paul a soin de vous faire observer que le patriarche était revenu de la défaite des rois, quand il le rencontra. Ainsi, nous dit-il, le prince était chez lui, quand Abraham lui donna les prémices du butin conquis par ses travaux.

« Aussi ceux qui, étant de la race de Lévi, entrent dans le sacerdoce, ont droit, selon la loi, de prendre la dîme du peuplé, c'est-à-dire de leurs frères, quoique ceux-ci soient sortis d'Abraham aussi bien qu'eux (5) ». Telle est la dignité du sacerdoce, dit-il, que des hommes égaux à d'autres par les ancêtres, n'ayant avec eux qu'un seul et même père et principe de leur commune famille, se trouvent cependant préférés et privilégiés de beaucoup à l'égard des autres, puisqu'ils prélèvent la dîme sur eux. Or, si vous trouvez un personnage qui reçoive la dîme de dès privilégiés eux-mêmes, n'est-il pas vrai que ceux-ci descendent dès lors au rang des laïques, et que lui prend place parmi les prêtres ? Il y a plus : le roi de Salem n'avait pas, du côté de la naissance, l'égalité d'honneur avec eux; il était d'une antre race. Aussi Abraham n'eût-il point donné la dîme à un étranger, s'il n'avait reconnu en lui une grande supériorité d'honneur. Mais, ô ciel ! Que vient de démontrer le grand apôtre ? Une vérité incroyable, plus étonnante que celle qu'il a énoncée dans l'épître aux Romains. Car dans cette épître, il se contente de déclarer qu'Abraham est le chef et le premier père de notre religion, comme de celle des Juifs. Mais ici il ose plus encore à l'égard de ce patriarche, il montre qu'un incirconcis l'emporte sur lui de beaucoup. Et quelle preuve en donne-t-il? C'est que Lévi a donné la dîme. Abraham,dit-il, en a fait l'offrande. — Et que nous importe, à nous, diront les Juifs? — Mais beaucoup, sans doute, car vous ne pouvez prétendre que les lévites soient au-dessus d'Abraham. « Or, celui qui n'a point de place dans leur généalogie, prit la dîme  sur Abraham». Et pour ne point passer légèrement sur ce fait, il ajoute : «Et il bénit celui qui avait reçu les promesses ». Ces promesses étaient incontestablement la gloire des Juifs : saint Paul montre qu'ils sont inférieurs à cet étranger, en honneur et en gloire, et cela au jugement de tout le monde. « Or; il est incontestable que celui qui reçoit la bénédiction, est inférieur à celui qui la donne », c'est-à-dire, d'après l'estimation commune, ce qui est moindre est béni par ce qui est plus grand. Donc ce roi, figure de Jésus-Christ, est plus grand que le dépositaire même des promesses.

« En effet, dans la loi,   ceux qui reçoivent la dîme sont des hommes mortels; au lieu que celui qui la reçoit ici n'est représenté que comme vivant (8) ». Mais pour qu'on ne lui dise pas Pourquoi invoquer ces siècles si lointains? Que fait à nos prêtres , qu'Abraham ait donné la dîme ? Parlez de ce qui nous regarde nous-mêmes? il continue et ajoute : « Et pour ainsi dire» (Paul fait bien de ne pas parler affirmativement, de peur de blesser trop ses lecteurs), « pour ainsi dire, Lévi l'a payée aussi lui-même dans la personne d'Abraham, lui qui la reçoit des autres ». Comment l'a-t-il payée ? — « Parce qu'il était encore dans Abraham son aïeul, lorsque Melchisédech vint au-devant de ce patriarche ». Entendez : Lévi était en lui, bien qu'il ne fût pas encore né , et par son père, il a payé la dîme. Remarquez: il ne dit pas : « Les lévites », mais : « Lévi », choisissant ainsi ce qu'il y a de plus grand pour mieux faire ressortir la supériorité de Melchisédech.

Avez-vous compris quelle distance sépare Abraham de Melchisédech, qui n'est cependant que la figure de notre pontife ? Encore l'apôtre nous y fait-il voir une prééminence de pouvoir, et non de nécessité. L'un, en effet, donné la dîme qui est un droit sacerdotal , l'autre donne la bénédiction qui prouve un pouvoir de supériorité et d'excellence. Cette prééminence a- passé jusqu'aux descendants. Et voilà comme Paul, par une victoire admirable et glorieuse, renverse l'édifice du judaïsme. Voilà pourquoi il leur disait: « Vous êtes devenus faibles ». (Hébr. V, 11.) C'était une précaution qu'il prenait pour ne pas les faire regimber, en leur montrant trop brusquement la vérité. Telle est la prudence de Paul; il n'aborde les questions qu'après y avoir préparé les esprits. Car l'esprit humain est difficile à persuader; il demande pour être redressé plus de précautions que les plantés. On ne trouvé en celles-ci que la nature des éléments et de la terre, qui obéit aux plains des laboureurs ; mais chez nous se rencontre la libre volonté de choisir, qui prend à son gré mille formes changeantes, et opte tantôt pour une chose, tantôt, pour l'autre, et qui a toujours une grande pente pour le mal.

3. Il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes, pour ne jamais sommeiller. « Car », dit le Prophète, « il ne sommeillera pas, il ne dormira pas, celui qui garde Israël. N'exposez donc pas votre pied à chanceler ». (Ps. CXX, 4.) Il n'a pas dit : Ne soyez pas ébranlés, mais n'exposez pas, ne donnez pas : donner, exposer, cela dépend de nous, à l'exclusion de toute autre puissance. Car si nous voulons nous maintenir fermes, debout, immobiles, nous ne serons pas. ébranlés. Ces paroles du Prophète insinuent ce sens.

Mais quoi ? La puissance même de Dieu n'a-t-elle ici aucune action? — Certainement tout au monde est soumis à la divine puissance, mais de telle sorte que, notre libre arbitre n'en est aucunement, blessé. — Mais alors, si tout dépend de Dieu, direz-vous, pourquoi nous attribue-t-il la faute? — Aussi bien ai-je dit : De telle sorte (507) cependant que notre libre arbitre n'en est point blessé. L'oeuvre dépend donc à la fois et de son pouvoir et de notre pouvoir. Il faut, en effet, que nous choisissions d'abord le bien, et après notre choix fait, Dieu apporte son concours. Il ne prévient pas nos volontés, pour ne pas anéantir notre liberté. Mais quand nous avons choisi, aussitôt il nous apporte un secours abondant.

Comment donc alors, si tel est notre pouvoir, Paul affirme-t-il que       « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui « fait miséricorde ? » (Rom. IX, 16.) — Je réponds d'abord que saint Paul ne donne pas ici son sentiment personnel, mais il conclut d'après le but qu'il se propose et d'après les prémisses qu'il a posées. Il vient de dire : « Il est écrit : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j'aurai pitié de celui de qui il me plaira d'avoir pitié » ; il conclut : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu qui fait miséricorde ». — Pourquoi donc alors Dieu nous blàme-t-i1, objecterez-vous?

C'est qu'il est permis de dire du principal auteur d'une couvre qu'il a fait l'oeuvre tout entière. Oui, le premier choix, la volonté est notre fait à nous. Parfaire et conduire l'oeuvre à sa fin, est la part de Dieu. Or, comme cette part, qui est de beaucoup la plus importante, se trouve être la sienne, Paul lui attribue tout, et en cela il se conforme à. nos idées et à notre langage humain; nous ne faisons pas autrement, en effet. Par exemple, nous voyons un édifice admirablement construit, nous le rapportons en entier à l'architecte, et cependant la construction n'est pas entièrement de lui, mais des ouvriers aussi, mais du propriétaire qui fournit les matériaux, mais d'une foule d'autres agents. Mais comme l'architecte a plus contribué que personne, nous le disons auteur du tout. C'est ce qui arrive ici. — De même encore, en présence d'une foule où il y a beaucoup de monde, nous disons Tout le monde est là; et s'il y a peu de monde, nous disons qu'on ne voit personne. C'est ainsi que Paul a dit dans ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde ». II nous donne ainsi deux grandes et magnifiques leçons. La première, que nous ne devons pas nous enorgueillir de nos bonnes oeuvres;.la seconde, qu'il convient d'attribuer à Dieu la cause de nos saintes actions. Malgré votre course empressée, dit-il, malgré le zèle que vous déployez, ne regardez pas comme vôtre l'œuvre saintement faite. Car si vous n'obtenez pas le secours d'en-haut, tout est vain. Toutefois, il est évident qu'avec cette aide puissante, vous atteindrez le but de votre effort: mais à la condition que vous saurez et courir et vouloir. L'apôtre ne dit pas : En vain courez-vous! mais : En vain courez-vous, si vous croyez que tout dépend dé votre course, si vous n'attribuez encore plus le, succès à Dieu. Dieu n'a pas voulu que tout fût son couvre à lui seul, pour n'avoir pas l'air de nous couronner au hasard; ni que tout vint de nous, pour ne pas nous exposer à l'orgueil. Car si, lorsque nous n'avons que la moindre part, nous concevons déjà un sentiment d'orgueil, un vain contentement de nous-mêmes, que ne ferions-nous pas si tout était en notre pouvoir ? Dieu a pris toutes les précautions possibles pour prévenir notre orgueil, Et d'ailleurs de combien de faiblesses sa main adorable nous a entourés, pour briser ainsi notre vaine gloire ? De combien de monstres il nous a environnés? Car lorsque bien des gens s'écrient : Pourquoi ceci? A quoi bon cela? ils parlent contre les desseins de Dieu. Il vous a placés au sein de mille terreurs, et malgré cet état, vous n'avez pas encore d'humbles sentiments de vous-mêmes; mais au moindre succès qui vous arrive, votre coeur s'enfle jusqu'au ciel !

4. Et voilà ce qui explique ces perpétuelles révolutions et ces misérables chutes, qui ne servent pas même à nous corriger. Voilà pourquoi les morts prématurées, bien que fréquentes, nous laissent encore l'orgueilleuse idée que personnellement nous sommes immortels, comme si le coup fatal ne devait jamais nous atteindre. De là nos rapines, nos attentats à la propriété d'autrui, comme si nous ne devions jamais en rendre compte. Ainsi nous bâtissons, comme si nous avions ici-bas une demeure permanente et éternelle, et ni la parole de Dieu qui retentit tous les jours à nos oreilles, ni les faits journaliers eux-mêmes ne nous servent de leçons. Il n'est pas un jour, pas une heure qui ne nous donne le spectacle de quelques convois funèbres. C'est en vain ! Rien ne peut toucher notre insensibilité. Nous ne pouvons, nous ne voulons même pas nous amender par les malheurs d'autrui. Alors seulement nous rentrons en nous-mêmes, quand seuls nous avons à gémir; et si Dieu retient la main qui nous frappe, nous relevons aussitôt la nôtre pour commettre le mal.

Personne n'a de goût pour les choses spirituelles; personne ne méprise la terre, personne ne regarde le ciel. Mais semblables à l'animal immonde dont l'œil abaissé cherche la terre, que son ventre y incline, qui se roule dans la fange, des hommes, et en,grand nombre, et sans même en être affectés, se souillent d'une boue sans nom; car mieux vaut se souiller de fange que de péché. Ainsi souillé; on peut être lavé bientôt et redevenir semblable à celui qui ire s'est pas d'abord plongé dans le bourbier. Mais celui qui se précipite dans le cloaque du péché, y contracte une souillure que l'eau ne saurait effacer, et qui exige bien du temps, une pénitence parfaite, des larmes et des sanglots, plus de gémissements et de plus amers que ceux que vous faites entendre sur les têtes les plus chères. Il est, en effet, telle ordure qui nous arrive du dehors et dont nous sommes bientôt débarrassés; mais celles-ci naissent au-dedans de nous, et c'est à peine si tous nos efforts nous en purifient.

« C'est du coeur en effet », a dit Jésus-Christ, « que sortent les mauvaises pensées, les fornications, les adultères, les vols, les faux témoignages ». (Matth. XV, 19.) Aussi le Prophète s'écriait : « Créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu ». (Ps. I, 12.) Et un autre : « Lave les vices de ton coeur, ô Jérusalem! » (Jérém. IV, 14. ) Vous voyez ici encore que le bien dépend et de nous et (508) Dieu. Et ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu ». (Matth. V, 8.) Faisons tous nos efforts pour nous rendre purs; lavons nos péchés. Et comment peut-on les laver, le Prophète nous l'enseigne, en disant : « Lavez-vous, soyez purs ; ôtez vos vices de vos âmes devant mes yeux ». (Is. I, 16.) Devant mes yeux, qu'est-ce à dire? C'est que plusieurs paraissent être exempts de vices, mais devant les hommes; au contraire, aux yeux de Dieu, ils ne sont que des sépulcres blanchis. Et c'est pourquoi il dit : Otez-les tels que je les vois. « Apprenez à « faire le bien , cherchez la justice , rendez-la au « petit et au pauvre, et puis venez et discutons « ensemble, dit le Seigneur. Et quand vos péchés « seraient comme la pourpre, je vous blanchirai « comme la neige; et quand même ils seraient « comme l'écarlate, je vous rendrai blancs comme « la laine ». (Isaïe, 1, 17, 18.) Vous voyez que nous devons commencer à nous purifier, et alors Dieu nous purifiera. Car après avoir dit d'abord: «Soyez purs », il ajoute:« Et moi je vous blanchirai ». Que nul donc, parmi ceux qui sont arrivés au faite du crime, ne désespère de lui-même. Car, dit le Seigneur, quand même vous auriez revêtu le vêtement et presque la nature même du vice, ne craignez pas. Il ne s'agit pas de couleurs fugitives et sans consistance, mais de celles qui font partie de l'es. sente même du corps; or, ceux qui en sont imprégnés peuvent retrouver un état tout contraire, car il ne parle pas seulement de les laver, mais de les blanchir comme la neige et comme la laine, afin de nous donner bon espoir.

Quelle est donc la vertu de la pénitence, puisqu'elle nous rend beaux comme la neige, blancs comme la laine, quand bien même le péché aurait déjà envahi et imprégné nos âmes? Etudions-nous donc à devenir purs; Dieu n'a pas fait un commandement difficile : rendez justice à l'orphelin, et traitez la veuve selon le droit. Vous voyez comment Dieu tient compte partout et toujours de la miséricorde et de la protection donnée à ceux qui sont sous le poids de l'injustice. Abordons ces bonnes œuvres et nous pourrons obtenir aussi par la grâce de Dieu les biens à venir. Puissions-nous tous en devenir dignes en Jésus-Christ Notre-Seigneur! Ainsi soit-il.

 

 

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