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DISCOURS SUR LE PSAUME CXLII.SERMON AU PEUPLE.LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST DANS LÉGLISE.
David est ici la figure du Christ, et Absalon, la figure de Judas. Le Christ est né de la sainte Vierge ou de cette cité de Dieu que lui-même a fondée : de là cette femme vêtue du soleil, foulant aux pieds la lune ou la mortalité. Cest le Christ qui souffre en nous qui sommes ses membres, lui qui est un avec son Père, et un avec nous, qui lavons revêtu. Judas, fils de lEpoux, persécutait donc lEpoux, ce qui existe encore aujourdhui ; de là ces plaintes du Christ contre ses ennemis intérieurs. Souvenez-vous de moi dans votre justice, et non dans celle qui me viendrait de la toi, mais dans celle de la foi ; et nentrez pas en jugement avec votre serviteur, qui se défie de ses oeuvres, puisque devant vous nul fils dAdam nest juste. Quiconque vous sert est votre ami, et vos amis, comprenant quils avaient besoin de miséricorde, disaient tomme nous : « Remettez-nous nos dettes ». Lennemi nous persécute, en nous détournant du ciel, en nous jetant dans les ténèbres, comme ceux qui sont justement condamnés à mourir ; mais comme le Christ navait rien en lui de répréhensible, il se plaint ici comme au jardin des Oliviers. Le Prophète médite les oeuvres de Dieu, afin den admirer plus parfaitement louvrier, de qui nous vient tout bien qui est en nous ; car de nous-mêmes nous navons que la malice, et cest Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. En voyant que tout bien me vient de Dieu, jai tendu mes mains vers vous ; car mon Orne a soif de vous, hâtez-vous de me donner le bonheur, car mon esprit sest affaissé en moi. Ne détournez pas de moi votre face, comme vous lavez fait quand létais orgueilleux, autrement je tomberais dans ces ténèbres où lon na plus que le mépris. Je veux espérer en vous par la patience, vous chercher par de bonnes oeuvres et dans le secret. Cest dans les ténèbres que le pécheur cherche un refuge, lhomme contrit cherche en Dieu un refuge contre les princes du monde, qni entreraient en nous comme en Judas, recevant indignement le morceau de pain. Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu, mon héritage; cest à vous de nous prescrire ce que nous devons faire, cest vous qui nous sauverez à cause de votre saint nom.
1. Je dirai ce que Dieu voudra bien minspirer, sur le psaume que lon vient de chanter. Hier notre psaume était court, et le temps nous permettait de parler longuement sur quelques versets; aujourdhui que le psaume est plus long, nous ne pouvons nous arrêter (210) aussi longtemps à chaque parole, de peur que Dieu ne nous permette point de lachever. 2. Voici le titre du psaume. « Pour David, quand son fils le poursuivait 1 ». Or, le livre des Rois nous apprend que cela sest fait, quAbsalon se déclara lennemi de son père 2, quil souleva contre lui non-seulement une guerre civile, mais une guerre domestique. Quant à David, loin de succomber sous le poids de cette injustice, il shumilia profondément, accepta ce châtiment de Dieu, supporta ce remède amer, sans rendre injustice pour injustice, mais avec un coeur toujours prêt à suivre Ja volonté de Dieu. Ce David fut donc louable. Mais il nous faut reconnaître un autre David, qui eut vraiment la main puissante, comme lexprime ce mot David, et qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ces faits anciens étaient des figures de lavenir; et je ne veux point marrêter à vous expliquer ce que vous avez entendu sauvent, et fort bien retenu. Cherchons donc dans ce psaume notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui sannonce lui-même dans cette prophétie, et nous prêche dans les faits passés ce qui doit arriver de nos jours. Car cest lui-même qui sannonçait par les Prophètes, puisquil est le Verbe de Dieu, et que les Prophètes ne parlaient que pleins de ce Verbe divin. Ils étaient donc pleins du Christ pour annoncer le Christ; ils marchaient devant leur prince qui devait venir après eux et nabandonnaient pas ceux qui le précédaient. Reconnaissons donc comment le Christ était poursuivi par son fils; car il avait des fils, dont il est dit: « Les fils de lEpoux ne jeûnent point tandis que lEpoux est avec eux; mais quand lEpoux leur sera enlevé, ils jeûneront 3». Donc les fils de lEpoux sont les Apôtres, et parmi eux Judas le persécuteur, qui fut un démon. Cest donc sa passion que le Christ va nous annoncer dans ce psaume. Ecoutons. 3. Jappelle aussi votre attention sur ce point, mes frères, non pour vous apprendre ce que vous ignorez, mais pour vous rappeler ce que vous savez déjà, cest que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est la tête de son corps cest que lunique médiateur de Dieu et des hommes, cest Jésus-Christ homme 4, né de h Vierge, comme dans une solitude, ainsi qm
1. Ps. CXLII, 1. 2. II Rois, XV, 14 et seq. 3. Matth. IX, 15 4. I Tim. II, 5.
nous lapprenons de lApocalypse. Et par cette solitude, nous devons entendre, je crois, que seul il est né de la sorte. Cette femme a enfanté celui qui doit conduire les hommes avec une verge de fer 1 ; et cette femme est la cité de Dieu dont il est dit dans un psaume : « O cité de Dieu, on dit de vous des choses merveilleuses 2»; cette cité qui eut son commencement en Abel, comme la cité du mal en Caïn 3, lantique cité de Dieu, toujours tourmentée sur la terre, espérant le ciel, et dont le nom est Jérusalem et Sion. Cest assurément dun homme né en Sion, et fondateur de Sion, quun psaume nous a dit: « Un homme dira: Sion est ma mère ». Quel est cet homme? « Un homme qui a été fait en elle, et cest le Très-haut qui la fondée 4». Cest donc en Sion quil a été fait homme, mais homme humble, et lui-même qui est le Très-Haut a fondé cette cité en laquelle il a été fait homme. Cest pourquoi celte femme était revêtue du soleil 5 , et du soleil de justice lui-même, que les impies ne connaissent point, eux qui diront au dernier jour: « Nous avons donc erré hors de la voie de la vérité, et la lumière de la justice na pas lui à nos yeux, le soleil ne sest point levé pour nous 6 ». Il est donc un soleil de justice qui ne se lève point pour les impies. Du reste, il fait lever ce soleil sur les bons et sur les méchants 7 . Cette femme était donc revêtue du soleil, et portait dans ses entrailles un fou quelle devait enfanter. Le même était donc fondateur en Sion, et naissait en Sion; et cette femme, cité de Dieu, était protégée par la lumière de celui quelle portait dans ses entrailles. Cest avec raison dès lors quels lune était sous ses pieds, parce que dansa force elle foulait aux pieds la mortalité de cette chair qui croît et décroît. Donc notre Seigneur Jésus-Christ est tout à la fois la tête et le corps. Lui qui a voulu mourir pour nous a daigné parler en notre nom et faire du nous ses membres. Aussi parla-t-il quelque. fois au nom de ses membres, et quelquefois en son propre nom, comme chef. Il peut parler en dehors de nous, et nous jamais sans lui. LApôtre a dit : « Afin de suppléer en sa chair aux douleurs du Christ 8 » . Ce qui manque, non pas à mes douleurs, mais aux douleurs du Christ, non plus en la chair du
1. Apoc. XII, 5, 6. 2. Ps. LXXXVI, 3. 3. Gen. IV, 8, 17. 4. Ps. LXXXVI, 5 5. Apoc. XII, I. 6. Sag. V, 6. 7. Matth. V, 45 8. Coloss. I, 21.
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Christ, mais en la mienne. Le Christ, en effet, souffre non pas en sa chair, puisque cest en elle quil est monté au ciel, mais en ma chair qui souffre encore sur la terre. Cest en ma chair que Jésus-Christ souffre : « Je vis, non pas moi, mais cest le Christ qui vit en moi 1». Et si le Christ ne souffrait point dans ses membres, cest-à-dire dans les fidèles, Saul ne persécuterait point sur la terre le Christ qui est assis dans les cieux. Enfin, dans un endroit de ses Epîtres il nous dit clairement : « Et comme notre corps, qui est un, est néanmoins composé de plusieurs membres, et que tous ces membres, quoique nombreux, ne sont néanmoins quun seul corps; ainsi en est-il du Christ 2 ». Il ne dit point: Ainsi en est-il du Christ et de son corps ; mais bien: « Le corps est un avec plusieurs membres; de même en est-il du Christ ».Tout donc nest quun seul Christ. Et comme tout ne forme quun seul Christ , la tête sécriait du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 3? » Retenez bien cela, mes frères, et quil demeure dans votre mémoire, puisque vous êtes les enfants instruits de la doctrine et de la foi catholique. Reconnaissez dans Jésus-Christ ta tête et le corps, et dans ce même Christ le Verbe de Dieu, unique et égal au Père. Voyez de là par quelle admirable grâce vous touchez à Dieu, au point quil a voulu être un avec nous, lui qui est un avec son Père. Comment un avec son Père? « Mon Père et moi sommes un 4 ». Comment un avec nous? « LEcriture ne dit point: Et ceux qui naîtront », comme pour en marquer plusieurs; mais elle dit, comme parlant dun seul: « Celui qui naîtra de vous et qui est le Christ ». Mais, dira-t-on, si le Christ est de la race dAbraham, en sommes-nous? Souvenez-vous que le Christ est la race dAbraham, et que dès lors si nous sommes la race dAbraham, nous sommes aussi le Christ. Or, « le corps dans son unité a néanmoins plusieurs membres, il en est de même du Christ. Et vous tous qui êtes baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ». Toutefois le Christ est la race dAbraham, et lon ne saurait contredire les paroles si claires de lApôtre: « Et dans ta race, qui est le Christ ». Voyez encore ce quil nous dit: « Si donc vous êtes au Christ, vous êtes de la race
1. Gal, II, 20. 2. I Cor. XII, 12. 3. Act. IX, 4. 4. Jean, X, 30. 5. Gal. III, 16.
dAbraham 1». De là ce grand sacrement « Ils seront deux dans une même chair ». LApôtre la dit: « Ce sacrement est grand, je lentends de Jésus-Christ et de lEglise 3». Le Christ et lEglise sont deux dans une seule chair. Deux à cause de la distance qui nous sépare de la majesté divine, deux certainement; car nous ne sommes point le Verbe, puisque nous nétions au commencement ni Dieu, ni en Dieu; nous ne sommes point celui par qui tout a été fait 4. Mais au point de vue de la chair, on trouve le Christ, et lon nous trouve avec lui. Ne nous étonnons donc plus du langage des psaumes; le Prophète parle souvent au nom du chef, et souvent au nom des membres, et il en parle comme sils nétaient quune même personne; et il nest pas étonnant que deux dans une même chair naient quune même voix. 4. Judas, fils de lÉpoux, persécutait donc lÉpoux. Cest ce q ni est arrivé; mais ny avait-il point là une figure de lavenir? LÉglise, en effet, devait avoir bien des faux frères,et maintenant encore le fils de lEpoux persécute lEpoux, et le persécutera jusquà la fin. «Quun ennemi mait outragé, je laurais supporté », dit-il ailleurs, « et si celui qui me hait sélevait contre moi, je me déroberais à ses poursuites 5 ». Quel est lennemi? Quel est celui qui me hait? Celui-là même qui dit : Qui est le Christ? Le Christ est un homme qui na pu vivre quand il voulait vivre: il est mort malgré lui, disent-ils, mort convaincu, mort sur une croix, mort daprès une sentence. Voilà ce que disent les ennemis. Celui-là, dit le Christ, est un ennemi déclaré, il me hait, il me fait ouvertement la guerre: on peut facilement le, supporter ou léviter. Mais que faire avec Absalon? Que faire avec Judas?que faire avec de faux frères? que faire avec de mauvais fils, mais fils néanmoins, qui ne se soulèvent point contre nous pour blasphémer le Christ, mais qui adorent le Christ avec nous, et qui persécutent le Christ en nous? Cest deux que le même psaume nous dit ensuite quil eût été facile de tolérer un ennemi déclaré, ou de se dérober à ses embûches. Cest, en effet, se dérober au païen que dentrer dans lEglise. Mais quand cest dans lEglise que lon trouve ce que lon redoutait ailleurs, où chercher un refuge? Aussi le même Apôtre, qui gémit des
1. Gal. III, 16, 27,29. 2. Gen. II, 24. 3. Ephés. V, 32. 4. Jean, I, 1, 3. 5. Ps. LIV, 13.
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périls quil trouve chez les faux frères, nous dit-il que ce sont « des combats au dehors, et des craintes à lintérieur 1. Si lhomme qui « me haïssait se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites; mais toi qui navais avec moi quune même âme». Il y a ici unité dâme, comme unité dans le Christ. LEglise a donc à souffrir au dehors et à gémir à lintérieur; et toutefois, quelle croie à des ennemis au dehors et au dedans; ceux du dehors plus faciles à éviter, ceux de lintérieur plus difficiles à tolérer. 5. Que notre Sauveur donc, que le Christ avec nous, le Christ tout entier sécrie : « Seigneur, exaucez ma prière, prêtez loreille à mes supplications 2 ». « Exaucez » a le même sens que « prêtez loreille ». Cest une répétition qui a pour but de corroborer. « Exaucez-moi dans votre vérité, dans votre justice ». Ne passons pas légèrement sur cette expression : « dans votre justice ». Elle nous prêche la grâce de Dieu, afin que nul dentre nous ne simagine que sa justice vient de lui-même. Car cette justice vient bien de Dieu, et si tu las, cest quil te la donnée. Que dit, en effet, lApôtre de ceux qui ont voulu se glorifier de leur propre justice? « Je leur rendrai», dit-il, « ce témoignage quils ont le zèle de Dieu ». Il parlait alors des Juifs. « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu», nous dit-il; « mais non selon la science 3». Quest-ce à dire: « non point selon la science? »Quelle science, ô saint Apôtre, nous donnez-vous comme utile? Est-ce la science qui enfle dès quelle est seule, qui nédifie que quand elle est unie à la charité 4? Ce nest point cette science, assurément, mais la science qui est la compagne de la charité, la maîtresse de lhumilité,Vois si telle est la science dont il est dit: «Ils ont à la vérité le zèle de Dieu,mais non selon la science » .Quil nous dise lui-même de quelle science il parle : «Ignorant la justice qui vient de Dieu», nous dit-il, « et voulant établir leur propre justice, ils nont pas été soumis à la justice de Dieu 5 ». Quels sont donc les hommes qui veulent établir leur propre justice? Ceux qui sattribuent à eux-mêmes le bien, et à Dieu le mal quils font. Cest le comble de la perversité: ils ne seront droits quà la condition de se corriger. Il y a donc perversité à rejeter sur Dieu le mal que lon
1. II Cor. VII, 5; Ps. LIV, 13, 14. 2. Ps. CXLII, 1. 3. Rom. X, 2. 4. I Cor, VIII, 1. 5. Rom. X, 3.
commet, à sarroger le bien : il ny a de droiture quà sattribuer le mal, et à Dieu le bien que lon fait. Car tu ne passerais pas dune vie impie à la vie des justes, si tu nétais devenu juste par celui qui justifie limpie 1. Donc, dit le Prophète : « Exaucez-moi dans votre justice », et non dans la mienne: afin que «je sois trouvé en Dieu, non point avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi 2 ». Voilà ce que signifie: « Exaucez-moi dans votre justice». Quand en effet je me considère, je ne trouve de nioi que le péché. 6. « Et nentrez point en jugement avec votre serviteur 3». Quels hommes veulent entrer en jugement avec Dieu, sinon ceux qui ignorent sa justice, et veulent établir celle qui leur est propre? Que signifie : « Nous avons jeûné et vous ne lavez point vu; nous nous sommes humiliés, et vous ne lavez point su ?» Cest comme si ces interlocuteurs disaient : Nous avons accompli vos préceptes, pourquoi ne pas accomplir vos promesses envers nous? Et Dieu te répondra : Recevoir ce que jai promis, cest un don de ma grâce, et faire ce qui mérite cette récompense est encore un don de cette même grâce. Enfin, voici ce que dit le Prophète à ces superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi? Vous mavez tous abandonné, dit le Seigneur 5». Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi et faire mention de vos actes de justice ? Comment approuver la justice dans un coeur où je condamne lorgueil? Cest donc avec raison qus notre interlocuteur, qui est humble dans le corps du Christ, apprenant de ce chef auguste à être doux et humble de coeur 6, sécrie ici: « Nentrez point en jugement avec votre serviteur ». Ne disputons point, je ne veux aucun différend avec vous, ô mon Dieu, ni faire valoir ma justice, pour être, par vous, convaincu dhumilité. « Nentrez point eu jugement avec votre serviteur ». Pourquoi? Que craint-il? « Cest que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ». Nul homme vivant,est-il dit, nul homme vivant ici-bas, vivant dans la chair, vivant pour mourir, nul homme né des hommes, vivant pour les hommes, né dAdam, ou plutôt Adam vivant; tout homme vivant de la sorte pourra sans doute paraître juste à ses propres yeux, mais
1. Rom. IV, 5. 2. Philipp. III, 9. 3. Ps. CXLII, 2. 4. Isa. LVIII, 3. 5. Jérém. II, 29. 6. Matth. XI, 29.
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non à vos yeux. Comment à ses propres yeux? Ayant pour lui-même des complaisances, et dès lors il vous déplaira : « Car devant vous nul homme vivant ne paraîtra juste ». Nentrez donc point en jugement avec moi, je vous en supplie, ô mon Dieu. Quelle que soit ma justice à mes propres yeux, vous tirez de vos trésors la règle infaillible, vous lappliquez surmoi, et vous nue trouvez tortueux. «Nentrez point en jugement avec votre serviteur». Oui, « avec votre serviteur». Il est indigne de vous, ô Dieu, dentrer en jugement avec celui qui vous sert, non plus quavec votre ami. Autrement vous ne diriez point: « Je vous le déclare, à vous qui êtes mes amis 1», si de vos serviteurs vous ne les aviez faits vos amis. Bien que vous me donniez le nom dami, je confesse que je ne suis quun serviteur. Jai besoin de miséricorde, je reviens de mes égarements, implorant mon pardon, et indigne dêtre appelé votre fils 2. « Nentrez donc pas en jugement avec votre serviteur ; car nul homme vivant ne sera juste à vos yeux. Ne louez personne avant sa mort 3 ». Nul homme donc absolument. Que dirons-nous de ces chefs du troupeau, de ces apôtres dont il est dit : « Offrez au Seigneur les fils des béliers 4». Lun deux, saint Paul, sait bien, nous dit-il, quil nest point parfait : «Non pas que jaie déjà reçu, ou que je sois parfait 5 ». En un mot, mes frères, ils ont appris à faire la même prière que nous, le divin Jurisconsulte leur a prescrit la même règle de supplications. « Cest ainsi que vous prierez 6 », leur dit-il, et après quelques articles qui précèdent il prescrivit ce que devaient dire ces béliers, ces chefs du troupeau, ces principaux membres du Pasteur suprême, de celui qui rassemble toutes les brebis en un seul troupeau; ils apprirent à dire ; « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 7 ». Ils ne dirent point: Nous vous rendons grâces parce que vous nous avez remis nos dettes, comme nous remettons, nous aussi, à ceux qui nous doivent; mais bien : remettez-nous comme nous remettons. Déjà, sans doute, les Apôtres priaient, les fidèles priaient; car cette prière est enseignée par le Sauveur principalement à ceux qui lui sont fidèles; si lon entendait par ces dettes celles qui sont remises
1. Luc, XII, 4. 2. Id. XV, 21. 3. Eccli. XI, 30. 4. Ps. XXVIII, 1. 5. Philipp. III, 12. 6. Matth. VI, 9. 7. Id. 12.
au baptême, les catéchumènes principalement devraient dire: « Remettez-nous nos dettes». Que les Apôtres donc disent eux-mêmes : «Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Et quand on leur dira: Pourquoi ce langage? quelles sont vos dettes? quils répondent: « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ». 7. « Car lennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre 1 ». Voyez-nous, Seigneur, voyez notre chef pour nous: « Cest que lennemi a persécuté mon âme». Le diable, en effet, a persécuté lâme du Christ, Judas lâme de son maître; et maintenant encore le même diable continue à persécuter le corps du Christ ; à Judas succède un autre Judas. Le corps du Christ ne manque pas dennemi, et dès lors il peut dire : « Voilà que lennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre ». Au lieu de cette parole : « Il a humilié ma vie sur la terre », nous lisons ailleurs : « Ils ont courbé mon âme 2 ». Quel est en effet le but que se propose à notre égard son persécuteur, sinon de nous détourner de toute espérance du ciel, et de nous inspirer le goût de la terre? Cest là ce quils font eux-mêmes autant quil est en eux; mais Dieu nous préserve dun tel malheur, nous à qui il est dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, ayez du goût pour les choses du ciel où le Christ est assis à la droite de Dieu; cherchez ce qui est du ciel, et non ce qui tient à la terre; car vous êtes morts 3». Nul homme vivant, en effet, ne sera justifié devant Dieu. Ces persécuteurs donc, soit à force ouverte, soit par de secrètes embûches, sefforcent de nous amener à la vie terrestre. Soyons en garde contre eux, afin de pouvoir dire : « Toute notre conversation est dans le ciel 4. Lennemi», dit le Prophète, «a humilié ma vie sur la terre ». 8. « Ils mont placé dans les ténèbres, comme les morts du siècle ». Ces paroles conviennent mieux à notre chef, et se comprennent mieux en lui. Il est mort en effet pour nous, mais il nest pas un mort du siècle. Quels sont, en effet, les morts du siècle? et comment notre chef nestil pas un mort du siècle? Ceux-là sont les morts du siècle, qui sont morts justement, qui ont reçu le châtiment
1. Ps. CXLII, 7. 2. Id. LVI, 7. 3. Coloss. III, 1-3. 4. Philipp. III, 20.
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de liniquité, qui ont dû mourir à cause de la transmission du péché, selon cette parole « Voilà que je suis conçu dans liniquité, et ma mère ma nourri avec le péché dans ses entrailles 1» ; tandis que le Christ est venu au sein dune Vierge prendre une chair, mais non liniquité de la chair, prendre une chair pure et purifiante. Or, ceux qui le croyaient pécheur, le regardaient comme un mort du siècle. Mais celui qui a dit dans un autre psaume : « Je payais ce que je navais point ravi 2 » qui a dit encore dans lEvangile : « Voici le Prince du monde », le préposé de la mort, linstigateur de toute oeuvre mauvaise, qui en exige le châtiment ; « le voici, mais il ne trouvera rien en moi 3 ». Quest-ce à dire, qu « il ne trouvera rien en moi? » Aucune faute, rien qui mérite la mort. « Mais afin », dit-il, « que tous connaissent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons dici 4 ». Mourir, nous dit-il , cest accomplir la volonté de mon Père; mais je nai rien fait qui soit digne de mort. Je nai rien fait qui mérite la mort, seulement je veux mourir, afin de délivrer, par la mort dun innocent, tous ceux qui ont mérité de mourir. « Ils mont placé dans les ténèbres », comme dans les enfers, comme dans le sépulcre , comme dans la passion même; ils ont traité comme les morts du siècle celui qui a dit : « Je suis devenu comme un homme sans secours, libre entre les morts 5». Quest-ce à dire libre? Pourquoi libre ? Parce que tout homme qui commet le péché est esclave du péché 6. Ensuite ii ne nous délivrerait point de nos chaînes, sil nétait lui-même libre de toute entrave. Celui-là donc qui était libre a tué la mort, enchaîné les chaînes, captivé la captivité, et ils lont placé dans les ténèbres comme un mort du siècle. 9. « Et voilà quen moi lesprit a été accablé dennui 7 ». Reportez-vous à cette autre parole: « Mon âme est triste jusquà la mort 8». Voyez que cest bien la même plainte. Le passage du chef aux membres et des membres au chef nest-il pas visible? « En moi lesprit a été accablé dennui »; parole qui nous mappelle : « Mon âme est triste jusquà la mort ». Mais nous étions là nous-mêmes.
1. Ps. L, 7. 2. Id. LXVIII, 5. 3. Jean, XIV, 30. 4. Id. 31. 5. Ps. LXXXVII, 5, 6. 6. Jean, VIII, 34. 7. Ps. CXLII, 4. 8. Matth. XXVI, 38.
« Car il a transfiguré en lui notre corps misérable, en le rendant conforme à son corps glorieux 1» ; et notre vieil homme a été attaché avec lui à la croix 2. s Mon coeur sest troublé au dedans de moi». «Au dedans de moi», dit le Prophète, et non dans les autres. Les autres, en effet, mont abandonné, et ceux qui sétaient attachés à moi se sont retirés; en me voyant mourir, ils mont cru tout autre, cédant ainsi le pas à un voleur qui croyait en moi 3, quand eux-mêmes sesquivaient. 10. Le Prophète passe ensuite aux membres: « Je me suis souvenu des jours dautrefois ». A-t-il pu se souvenir des jours anciens, Celui pour qui tout jour a été fait? Mais cest le corps qui parle ici, linterlocuteur est tout homme justifié par la grâce et attaché au chef par les liens de la charité et dune humble piété; cest lui qui dit : «Je me suis souvenu des jours anciens, jai médité sur toutes vos oeuvres 4». Car toutes vos oeuvres sont parfaites, et rien neût été affermi, si vous ne leussiez affermi vous-même. Toutes vos créatures sont pour moi un grand spectacle : je cherche louvrier dans son ouvrage, et le créateur dans la créature. Pourquoi cela? pourquoi cette recherche, sinon afin de comprendre que tout ce quil y a de bon en lui vient de Dieu, de peur que dans son ignorance de la justice de Dieu il ne pré. tendît établir la sienne, et ne fût plus dès lors soumis à la justice de Dieu 5? Dès lors cette parole du commencement lui est applicable : « Dans votre vérité et dans votre justice ». Ainsi donc, dès quil médite les oeuvres de Dieu, quil sapplique à les considérer, linterlocuteur nous insinue la grâce de Dieu, nous en établit limportance, et sapplaudit davoir trouvé cette grâce qui nous sauve gratuitement. Pourquoi te glorifier dans ta justice? Pourquoi télever, ô toi qui ignores la justice de Dieu? Il ten a coûté, diras-tu, pour être sauvé; mais quas-tu donné pour être homme? Considère dès lors lauteur de ta vie, de ta substance, de ta justice, lauteur de ton salut. « Médite les oeuvres de ses mains », et tu comprendras que la justice qui est en toi est une oeuvre de la main de Dieu. Ecoute une leçon de lApôtre : « Cela ne vient point des oeuvres, de peur quon ne vienne à senorgueillir 6 ». Sommes-nous donc sans bonnes
1. Philipp. III, 21. 2. Rom. VI, 6. 3. Luc, XXIII, 40-42. 4. Ps. CXLII, 5. 5. Rom. X, 3. 6. Ephés. II, 9.
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oeuvres? Nous en avons assurément; mais vois ce qui suit : « Nous sommes louvrage de Dieu », nous dit le même Apôtre. Or, en disant que nous sommes louvrage de Dieu, lApôtre a-t-il voulu, par ce mot douvrage, désigner cette nature qui fait de nous des hommes? Nullement; il est question de nos oeuvres. « Cela ne vient pas de nos oeuvres», dit-il, « afin que nul ne sélève». Mais, sans nous en tenir à des conjectures, écoutons-le : « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes oeuvres ». Ne timagine pas faire quelque chose, si ce nest dans ta malice. Laisse ton oeuvre pour nenvisager que loeuvre de ton créateur : cest lui qui ta formé dabord, quil te uétablisse dans ce quil tavait fait, et que lu as détruit. Il a fait que tu sois; et si tu es bon, cest lui qui te fait bon. « Opérez votre salut », nous dit-il, « avec crainte et tremblement 2». Mais si notre salut est une oeuvre qui nous soit propre, pourquoi le faire avec crainte et tremblement, puisque notre oeuvre dépend de nous? Ecoute bien cette crainte et ce tremblement. « Cest Dieu qui, dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire 3 ». Donc avec crainte et tremblement, afin que ce divin ouvrier se plaise à opérer dans les vallées; car celui qui juge les nations, qui les couvre de ruines, agit en nous comme en sabaissant. « Jai médité sur loeuvre de vos mains». Jai donc vu, « jai considéré vos ouvrages » ; car il nest en nous rien de bon qui ne vienne de tous qui nous avez faits. 11. Quai-je fait après avoir vu que toute grâce excellente vient de vous, que tout don partait noué vient den haut, descend du Père des lumières, en qui il ny a ni changement, ni ombre de vicissitude 4? A cette vue je me suis détourné du mal que javais fait en moi: «Et jai tendu mes mains vers vous » . « Jai étendu», dit le Prophète, « mes mains vers vous, et mon âme, devant vous, est une terre sans eau 5 ». Répandez sur moi votre rosée, afin que je porte de bons fruits. « Car cest le Seigneur qui répandra la douceur afin que la terre porte son fruit 6 » . « Jai étendu mes mains vers vous, mon âme est une terre sans eau devant vous », et non devant moi. Je puis en effet vous témoigner ma
1. Ephés. II, 10. 2. Philipp. II, 12. 3. Id. 13. 4. Jacques, I, 17. 5. Ps. CXLII, 6. 6. Id. LXXXIV, 13.
soif, mais non mabreuver moi-même. « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau »; car mon âme a soif du bien vivant 1. Quand viendrai-je,sinon quand Dieu lui-même viendra? Mon âme a soif du Dieu vivant, parce que « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ». Je vois la mer qui regorge, elle a de grandes eaux qui sélèvent avec fracas, mais des eaux amères. Voilà que leau est séparée, et laride paraît 2; cest mon âme, arrosez-la, « car elle est devant vous comme une terre sans eau ». 11. « Hâtez-vous, Seigneur, de mexaucer 3». Pourquoi différer quand je suis altéré, et attiser ainsi ma soif? Mais si vous retenez vos eaux sacrées, cest afin que jy puise plus avidement, que je ne les dédaigne point quand vous les répandez. Si vous ne les retenez que dans ce dessein, donnez-les-moi maintenant; car « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ; hâtez-vous, Seigneur, de mexaucer, mon esprit est en défaillance ». Puisque mon esprit tombe en défaillance, comblez-moi de votre esprit. Cette défaillance de mon esprit est un motif de mexaucer plus promptement. Me voilà pauvre desprit, donnez-moi le bonheur du ciel 4. Que lesprit vive dans lhomme, il y a orgueil, cest par lesprit quil sélève contre Dieu. Puisse-t-il être assez heureux pour que cette parole saccomplisse en lui : « Vous leur ôterez leur esprit, et ils tomberont, et ils rentreront dans leur poussière 5 », afin quun humble aveu leur fasse dire : « Souvenez-vous que nous sommes poussière 6 ». Mais après avoir dit . « Souvenez-vous que nous sommes poussière »; quils disent encore : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau». Quelle terre est sans eau plus que la poussière ? Mais « hâlez-vous de mexaucer, ô mon Dieu o, répandez sur moi votre rosée et votre force, afin que je ne sois plus comme une poussière que le vent soulève de la surface de la terre 7. « Hâtez-vous de me secourir, ô mon Dieu, mon esprit a défailli ». Ne mettez aucun retard à secourir mon indigence. Vous mavez ôté mon esprit, afin que dans ma défaillance et en restant dans ma poussière, je puisse dire: « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau » : accomplissez en moi cette autre parole du psaume : « Vous enverrez votre
1. Ps. XLI, 3. 2. Gen. I, 9 3. Id. CXLII, 7. 4. Matth. V, 3. 5. Ps. CIII, 29. 6. Id. CII, 14. 7. Id. 1, 4.
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esprit, et ils seront créés; vous renouvellerez la face de la terre 1 », Si donc quelquun est à Jésus-Christ, cest une nouvelle créature : le passé nest plus 2. Cest leur esprit vieilli qui nest plus, et cest votre esprit qui a tout renouvelé. 13. « Ne détournez point de moi votre face». Vous lavez détournée de mon orgueil, car autrefois jétais dans labondance et je mélevais. « Pour moi », jai dit un jour, dans mon abondance: « Je ne serai jamais ébranlé ». Je disais donc : Jamais je ne serai ébranlé, jignorais votre justice , et jétablissais la mienne; mais « cest votre bonté, Seigneur, qui ma consolidé dans mon état florissant». Jai dit, dans mon abondance : « Jamais je ne serai ébranlé » ; mais cest de vous que me venait toute cette abondance, et pour me montrer quelle me venait de votre bonté, « vous avez détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble 3 ». Après ce trouble où je suis tombé quand vous avez détourné votre face, après cet ennui de lesprit, ce trouble du coeur que jai ressenti parce que vous avez détourné de moi votre face, voilà que jai été devant vous comme une terre sans eau : « Ne détournez point de moi votre face ». Vous lavez détournée de mon orgueil, daignez la rendre à mon humilité. « Ne détournez pas de moi votre face » , si vous la détournez « je serai semblable à ceux qui descendent dans labîme. Quest-ce à dire, ceux qui descendent dans labîme ? Quand limpie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise 4. Ceux-là descendent dans labîme, qui perdent tout aveu ; cest contre ce malheur que le Prophète dit au Seigneur : « Que le gouffre ne referme pas sa bouche sur moi 5 ». Telles sont les profondeurs que lEcriture appelle souvent labîme, et quand le pécheur y est tombé, il na plus que le mépris. Quest-ce à dire, le mépris? Il ne reconnaît plus aucune Providence, ou sil en reconnaît une, il ne croit point en être lobjet. Sans espérance de pardon, il donne libre carrière à ses passions coupables et ne recule devant aucun péché. Il ne dit point : Je retournerai à Dieu, afin quil revienne à moi ; il ne comprend point cette parole : « Convertissez-vous à moi et je reviendrai à vous 6», parce que dans ces profondeurs il
1. Ps. CIII, 30. 2. I Cor. V, 17. 3. Ps. XXIX, 7, 8. 4. Prov. XVIII, 3. 5. Ps. LXVIII, 16. 6. Malach. III, 7.
na plus que le dédain. « Car », dit le sage, « un mort ne confesse pas le Seigneur non plus que sil nétait pas 1 ». Ne détournez donc point de moi votre face, autrement je serai semblable à ceux qui descendent dans labîme». 14. « Faites-moi entendre dès le matin votre miséricorde, parce que jai espéré en vous 2 ». Je sais que je suis dans la nuit, mais jespère en vous jusquà ce que liniquité des ténèbres soit passée 3. « Nous avons en effet », comme le dit saint Pierre, « une preuve plus certaine chez les Prophètes, sur qui vous ferez bien darrêter les yeux comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusquà ce que le jour commence à paraître et que létoile du matin se lève dans vos coeurs 4 ». Il donne alors le nom de matin à ce jour qui doit suivre la fin du monde, et qui nous montrera ce que nous aurons cru en cette vie. « Au matin vous entendrez ma voix, au matin je me tiendrai devant vous pour vous contempler 5». Faites-moi comprendre au matin votre miséricorde, parce que jai espéré en vous. Car « si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous lattendons par la patience ». La nuit a besoin de patience, le jour nous donnera la joie. « Faites-moi entendre au matin votre miséricorde, parce que mon espoir est en vous ». 15. Mais que faire ici-bas, en attendant que le matin vienne? Il ne suffit pas,en effet,despérer, nous avons une oeuvre à faire. Pourquoi une oeuvre à faire ? Cest quil est dit dans un autre psaume : « Jai recherché Dieu au jour de ma tribulation 7»; comme jai recherché Dieu dans le temps de ma nuit. Comment lavez-vous cherché, ô Prophète? « De mes mains, la nuit, en sa présence, et je nai pas été trompé » . Quest-ce à dire de mes « mains?» Par de bonnes oeuvres. «En sa présence » : « En faisant laumône, garde-toi de sonner de la trompette, et ton Père qui voit dans le secret, te récompensera 8 ». Comme donc il nous faut espérer le matin, et supporter ainsi la nuit dici-bas, et persévérer dans la patience jusquà larrivée du jour, que devons. nous faire jusque-là? Ne feras-tu point quelque chose sur toi-même, pour mériter darriver au matin? « Seigneur, faites-moi connaître
1. Eccli. XVII, 26. 2. Ps. CXLII, 8. 3. Id LVI, 2. 4. II Pierre, I, 19. 5. Ps. V, 4, 5. 6. Rom. VIII, 25. 7. Ps. LXXVI, 3. 8. Matth. VI, 2, 4.
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la voie par laquelle jentrerai ». Ces pour cela que le Seigneur a fait briller ce flambeau prophétique, cest pour cela quil nous a envoyé son Fils dans la chair comme dans un vase dargile, lui qui a dit : « Ma face est desséchée comme largile 1 ». Marche donc à la lumière des -Prophètes, marche au flambeau de ces prédictions de lavenir marche à la parole de Dieu, Tu ne vois pas encore ce Verbe qui était au commencement, ce Dieu en Dieu 2 ; marche à cette lumière de la forme de lesclave, et tu arriveras à la forme de Dieu. « Faites-moi connaître, ô mon Dieu, par quelle voie jentrerai ; parce que jai élevé mon âme vers vous ». Oui, vers vous, mais non contre vous. Cest en vous quest la source de vie 3; «jai élevé mon âme vers vous», comme un vase que lon apporte à la source. Remplissez-moi,Seigneur, « puisque cest vers vous que jai élevé mon âme ». 16. « Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu, je me réfugie en vous 4 ». Jadis je vous ai fui, maintenant je me réfugie en vous. Adam senfuit de devant la face du Seigneur, et se cacha dans les bosquets du paradis 5, en sorte quon peut lui appliquer cette parole de Job « Comme le serviteur qui fuit son maître, et qui recherche les ombres 6 ». Il senfuit donc de devant la face du Seigneur, et chercha les ombres puisquil senfuit dans les obscurs bosquets du paradis. Malheur à lui sil demeure dans cette ombre et sil fait dire un jour « Tout a passé comme une ombre 7. Délivrez-moi de mes «ennemis ». Dans ces ennemis je ne vois point des hommes. « Car nous navons pas à combattre contre la chair et le sang ». Contre qui dès lors? « Contre les princes et les puissances qui dirigent ce monde ». Quel monde? Non point les cieux et la terre, puisquils ne sauraient gouverner ce quils nont point fait. « Qui gouvernent le monde ». Quel monde alors? « Ces ténèbres 8 ». Quelles ténèbres? Les méchants. « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur 9 ». Cest donc contre les princes du monde, de ces ténèbres, contre les princes des méchants, que vous avez à combattre; guerre bien nouvelle 10, davoir à vaincre un ennemi quon ne voit point !
1. Ps. XXI, 16. 2. Jean, I, 1. 3. Ps. XXIV, 10. 4. Id. CXLII, 9. 5. Gen. III, 8. 6. Job, VII, 2, suiv. les Septante. 7. Sag. V, 9. 8. Ephés. VI, 12. 9. Id. V, 8. 10. Id. VI, 14.
contre les princes du monde, les princes de ces ténèbres, cest-à-dire contre le diable et ses anges, et non contre les princes de ce monde dont il est dit: « Et le monde a été fait par lui 1»; mais de cet autre dont il est écrit: « Et le monde ne la point connu. Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu, parce que jai cherché en vous un refuge». «De mes ennemis», non de Judas, mais de celui qui remplit le coeur de Judas. Je vois lun et je le souffre , jattaque lautre sans le voir. Judas prit le morceau de pain, et Satan entra dans son coeur 2, afin que cet autre David souffrît persécution de la part de son fils. Combien nest-il pas de Judas que remplit Satan, et qui dès lors ne reçoivent le pain sacré que pour leur condamnation? « Quiconque en effet mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation 3 ». Ce que lon offre nest point mauvais, mais on offre au méchant un bien qui fera sa condamnation. Le bien suprême ne saurait profiter à quiconque le reçoit mal. Donc, «délivrez-moi de mes ennemis, parce que jai cherché un refuge vers vous ». Où fuir en effet? « Comment éviter votre esprit? Si je monte vers le ciel, vous y êtes; si je descends dans labîme, vous y êtes aussi». Quelle ressource encore? « Si je prends des ailes comme la colombe, et que je menvole jusquaux confins des mers »; pour habiter par lespérance à la fin des siècles : « cest là que me conduit votre main, là que me fait arriver votre droite 4. Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur, parce que cest en vous que je cherche un asile ». 17. « Apprenez-moi à faire votre volonté; « parce que cest vous qui êtes mon Dieu 5 ». Humble confession, saint engagement! « Parce que cest vous qui êtes mon Dieu ». Jaurais recours à un autre, pour me refaire, si un autre mavait fait. Mais vous êtes mon tout, « parce que vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un père pour avoir son héritage? « Vous êtes mon Dieu »; non-seulement vous me donnez un héritage, mais vous êtes cet héritage même. « Le Seigneur est la portion de mon héritage 6 ». Chercherai-je un Seigneur pour me racheter? « Vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un homme puissant pour me délivrer? « Vous êtes mon Dieu ». Humble
1. Jean, I, 10 2. Id. XIII, 27. 3. I Cor. XI, 29. 4. Ps. CXXXVIII, 7-10. 5. Id. CXLII, 10. 6. Id. XV, 5.
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créature, souhaiterai-je dêtre créée de nouveau? « Vous êtes mon Dieu », vous êtes mon Créateur; cest vous qui mavez créé par votre Verbe, et créé de nouveau parce même Verbe. Vous mavez créé par le Verbe-Dieu qui demeure en vous, et créé de nouveau par le Verbe fait chair pour nous. « Apprenez-moi donc à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ». Si vous ne minstruisez, je ferai ma volonté, et mon Dieu mabandonnera. « Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu » . « Enseignez- moi », car vous ne serez pas mon Dieu pour que je sois mon maître. Voyez comme notre psaume prêche la grâce de Dieu. Retenez ces instructions, abreuvez-en votre âme, et que nul ne les arrache de vos coeurs; de peur que vous nayez le zèle de Dieu, mais non selon la science; de peur que dans votre ignorance de la justice de Dieu, vous ne prétendiez établir la vôtre 1, et que dès lors vous ne soyez plus soumis à la justice de Dieu. Vous savez que ces paroles sont de lApôtre; répétez dès lors avec le Prophète : « Enseignez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ». 18. « Votre Esprit plein de bonté », non le mien qui est méchant: « Votre Esprit plein de bonté me conduira dans la terre de
1. Rom. X, 2, 3.
Droiture », parce que mon esprit pervers ma conduit dans la terre de perversion. Quai-je donc mérité, Seigneur? Quelles bonnes oeuvres ai-je pu faire sans votre secours, pour obtenir, pour me rendre digne dêtre conduit par votre Esprit dans la terre de la justice? Quelles sont mes oeuvres, ou mes mérites? « Cest à cause de votre nom, ô mon Dieu, que vous me donnerez la vie ». Comprenez autant quil est en vous cette prédication de la grâce qui vous a sauvés gratuitement. Cest, à cause de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie. « Ce nest point à nous, Seigneur, quil faut donner la gloire, ce nest point à nous, mais à votre nom ». Car cest à cause de votre nom que vous nous donnerez la vie « dans votre justice », et non point dans la mienne; non point à cause de mes mérites, mais à cause de votre miséricorde. Si je prétendais mappuyer sur mes mérites, je ne mériterais que lenfer. Vous avez donc détruit en moi tout mérite, pour y insérer vos dons. « Cest à cause de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie, et dans votre justice vous délivrez mon âme de la tribulation; et dans votre miséricorde vous perdrez mes ennemis vous perdrez tous ceux qui affligent mon âme, parce que je suis votre serviteur »
1. Ps. CXII, 1.
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