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DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVIISERMON AU PEUPLE.LA VOCATION A LA JÉRUSALEM DU CIEL.
Dimanche dernier, le passage relatif au jugement dernier nous a empêché de nous occuper de ce psaume, en nous jetant dans la crainte, et toutefois que pouvons-nous craindre, puisque notre juge nous aime et sera juste ? Il y a dans notre psaume un passage relatif à la neige, au brouillard, au cristal, qui a besoin dêtre bien compris ; et néanmoins, entre le psaume et lEvangile de dimanche, une certaine analogie ; car le jugement annoncé par cet Evangile nous ouvrira la Jérusalem du ciel dont nous parle notre psaume. La crainte que nous inspire le jugement est salutaire, puisquelle nous prémunit contre lamour de la vie et tient en éveil la foi dans nos coeurs. Ce psaume fut composé pendant la captivité de Jérusalem, qui était une figure de notre captivité, car tel est notre état ici-bas, et le nombre de 70 années, un nombre septénaire, est la figure du temps qui sécoule, sept jours par sept jours. Que tous les élus bénissent donc le Seigneur, car telle sera leur occupation, puisquil ny aura plus alors besoin des oeuvres extérieures le miséricorde ; et les hommes de Jérusalem sont ceux qui ne mettent point leur bonheur ici-bas, ou rougissent et se repentent davoir pris part à ses pompes. Sion et Jérusalem signifient vision, ce qui nous montre que si les mondains ont leurs spectacles ici-bas, nous aurons les nôtres dans les cieux. Nous louons Dieu ici-bas au milieu des défections, là haut il ny en aura plus, on ne pourra sortir, Dieu a consolidé les serrures. Cherchons à y entrer comme les vierges qui ont de lhuile dans leurs lampes. Elles sont vierges et au nombre de cinq, symbole des cinq sens qui sont vierges sils sont exempts de corruption ; il en est de môme des autres qui sont vierges aussi, ou sans corruption, mais aussi sans huile, au sans piété intérieure, et cherchant les applaudissements du dehors. Elles allument leurs lampes, ou fout éclater lus oeuvres, sendorment parce que tous doivent passer par la mort. Les vierges sages sont humbles, et craignent de navoir pas en suffisance lhuile de la piété intérieure. Faisons toujours des oeuvres de miséricorde, et remettons pour quil nous soit remis ; la veuve achète le ciel avec deux deniers ; et lon se servira à notre égard de la mesure que nous aurons employée. Cest Dieu qui nous tend la main, et Dieu qui nous a donné. Cest Dieu qui a béni en Sion les enfants qui y demeurent dans le giron de la charité ; qui établit la paix sur ses confins, Or, cette paix nest point pour lhérésie, qui condamne sans connaître, qui ne croit ni à Moïse, ni aux Prophètes, ni ai Christ ; puisquelle se prétend la véritable Eglise, tandis que cette Eglise doit être universelle. La voilà incrédule couse les frères du mauvais riche, qui nen eussent pas cru même à celui qui serait ressuscité dentre les morts, puisquelle nes croit point au Christ ressuscité, qui dit que la pénitence et la rémission des péchés seront prêchées en son nom, cest bien là lEpouse ou lEglise, et prêchées par toute la terre, cest bien là sa catholicité, et à partir de Jérusalem, ou de cette ville de la terre, image de la Jérusalem du ciel. De là encore le don des largues après la descente du Saint-Esprit, parce que lEglise devait être prêchée en toutes les langues ; ce don nexiste plus parce que la prophétie est réalisée, et que lEglise parle toutes les langues des peuples. Remercions Dieu davoir part un jour à cette Jérusalem, où nous aurons la moelle du froment, Dieu nous aidant à nous élever à lui en nous envoyant son Verbe qui est rapide, qui se revêt, comme dune laine, de cette neige qui est froide,au de ces hommes froids dabord et qui se convertissent, qui appellent ces hommes à la pénitence symbolisée par la cendre en les faisant passer par le brouillard, symbole de nos ténèbres, qui fait fondre Saul, cristal si dur, et par lui donne aux fidèles, le lait et le pain de la doctrine. Ce Verbe de Dieu peut donc dissoudre la glace la plus dure, son souffle en fait couler ces eaux de la vie éternelle. Il enseigne sa parole à Jacob, ou ses desseins de miséricorde, en lui montrant par la lutte que le ciel souffre violence. Il ny a que Jacob à qui tout cela ait été annoncé dune manière efficace, car ceux qui le comprennent sont Jacob et Israël, par Isaac, et par Abraham.
1. Votre charité sen souvient, nous avons remis à vous parler aujourdhui du psaume que lon vient de chanter. Cest lui, en effet, quon vous a lu dimanche, et que javais même entrepris de vous exposer. Mais la lecture de lEvangile nous effraya, et cette crainte ainsi que le bien que nous en espérions pour vous, nous forcèrent de nous arrêter sur les paroles du Seigneur à propos du dernier jour, et sur la vigilance, sur les précautions avec lesquelles nous devons attendre son arrivée. Il nous effrayait par des exemples, pour ne point nous condamner en son jugement, nous disait quil en serait à lavènement du Fils de lhomme, de même quaux jours de Noé: « Les hommes alors mangeaient et buvaient, ils achetaient, ils vendaient, ils mariaient leurs filles, épousaient des femmes, jusqu à ce que Noé entra dans larche, et que le déluge vint les perdre tous 1 » . Pris dinquiétude et frappé de crainte (qui peut en effet croire à ces choses sans trembler?) nous avons appuyé sur ce sujet, autant que possible, nous avons parlé sur la pureté de vos moeurs, sur la vie régulière, qui doit être la
1. Matth. XXIV, 37, 42,
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nôtre à tous, afin que nous puissions non-seulement voir arriver sans crainte, mais encore désirer ce jour si terrible. Car si nous aimons le Christ, nous devons appeler de nos voeux son avènement. Craindre lavènement de celui que nous aimons, et néanmoins lui dire dans nos prières « Que votre règne arrive 1 », quand nous redoutons dêtre exaucés, cest un contre-sens tel que je ne saurais y croire. Pourquoi craindre, en effet? Parce que notre juge viendra? Mais est-il donc injuste? Est-il malveillant? Est-il jaloux? Est-ce par autrui quil doit connaître ta cause, et peux-tu redouter que celui que tu as chargé de ce soin, ou ne te trahisse dans sa duplicité, ou ne manque déloquence et dhabileté pour démontrer ton innocence? Rien de cela nest à redouter. Qui donc viendra? Pourquoi ne point te réjouir? Qui doit venir te juger, si mon celui qui est venu pour être jugé à cause de toi? Ne crains pas pour accusateur celui dont le Sauveur lui-même a dit : « Le prince de ce monde a été chassé dehors 2 ». Ne redoute pas un avocat peu habile tu as pour avocat celui qui sera ion juge. Il ny aura que lui, et toi, et ta cause; le plaidoyer de ta cause sera le témoignage de ta conscience. Si donc tu crains le juge à venir, redresse dès aujourdhui ta conscience. Est-ce peu pour toi quil ne recherche point dans le passé? Il te jugera sans plus te laisser de temps; mais maintenant quil commande, quel espace de temps ne laisse-t-il pas écouler? Alors il ne te sera plus possible de te corriger. Mais qui ten empêche maintenant? Toute ce que nous représentions avec tant de terce dimanche dernier, parce que cest une mérité, parce quil ny a que cela en quelque manière à vous représenter, un temps bien long sécoula, et nous dûmes remettre pour aujourdhui le psaume que nous avions entrepris dexpliquer. Le voici maintenant; quil fixe notre attention, ou plutôt écoutons le Seigneur qui, dans sa miséricorde, a bien moulu nous faire dicter par son Esprit ces paroles saintes, selon le besoin quil nous connaît dans notre faiblesse. Quel malade, en effet, voudrait donner des conseils au médecin ? 2. A la lecture du psaume, vous avez remarqué, je pense, que tous les versets, ou du moins un grand nombre, veulent, pour être
1. Matth. VI, 10. 2. Jean, XII, 31.
compris, que lon frappe à la porte ; surtout quand il est dit que « Dieu donne la neige comme la laine, quil répand les frimas comme la poussière, quil jette son cristal comme des morceaux de pain. Qui pourra résister à la rigueur de son froid 1? » A ces paroles, quiconque les entend à la lettre, porte sa pensée sur les oeuvres de Dieu. Qui donne la neige, sice nest Dieu? Qui répand les frimas, si ce nest Dieu? Qui durcit le cristal, si ce nest lui encore? Or, ces trois phénomènes ont avec des objets bien différents de frappantes analogies. La neige, en effet, ressemble quelque peu à la laine, comme la poussière au frimas, comme un morceau de pain blanc à la blancheur et à léclat du cristal. Car on appelle cristal une espèce de verre, mais blanc. Ceux qui savent ces choses et du témoignage desquels nous pouvons douter dautant moins que lEcriture, qui est très-certaine, les vient appuyer, ceux, dis-je, qui savent ces choses, nous disent que le cristal vient dune neige durcie pendant de longues années sans se fondre, et qui se congèle au point quelle ne saurait plus se résoudre. Lété qui arrive dissout facilement les neiges dun hiver qui sécoulent, parce quelles nont pas eu le temps de se durcir. Mais que des neiges viennent samonceler pendant beaucoup dannées, et que cet amas vienne à résister aux chaleurs de lété, et non dun seul été, mais détés nombreux, surtout dans cette partie de la terre qui forme la plage du nord, et où le soleil, même en été, nest pas très-brûlant, cette dureté que le temps a fortifiée produit ce que lon appelle cristal. Que votre charité soit attentive. Quest-ce donc que le cristal? Une neige que la glace a durcie durant de longues années, de sorte que le soleil ni le feu ne peuvent la dissoudre facilement. Nous donnons cette explication un peu longue, parce que beaucoup lignorent; quant à ceux qui la savent, quils écoutent sans peine ce que lon dit, non pour eux, mais pour ceux qui pourraient ignorer ce que nous disons. Lors donc que le lecteur récitait ce passage, je ne doute pas que vous vous soyez laissés aller à bien des pensées, que quelques-uns aient dit, et avec vérité : Que les oeuvres du Seigneur sont grandes, quoique lon nen rapporte ici quune partie, encore est-ce une partie terrestre, et que tout le monde connaît
1. Ps. CXLVII, 16, 17.
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comme la neige que Dieu fait descendre, le frimas quil répand, le cristal quil durcit. Dautres se sont dit: Est-ce bien sans raison que cela se trouve dans les saintes Ecritures, et le sens littéral de ces paroles est-il bien le véritable sens? Ny a-t-il pas un sens caché sous cette neige que lon compare à la laine, sous ce frimas comparé à la poussière, sous ce cristal comparé au pain? Mais pourquoi lEcriture a-t-elle voulu employer ces voiles et ces comparaisons? Ne vaudrait-il pas mieux sexprimer plus clairement? Pourquoi faut-il chercher le sens de ces paroles, et le chercher en hésitant? Pourquoi ne puis-je les écouter sans heurter contre des difficultés? Pourquoi même, après avoir entendu le psaume, nen savoir pas davantage le puis souvent? Cest là ce que je vous disais tout à lheure : Laisse-toi guérir, cest ainsi quil faut te soigner. Un malade est bien orgueilleux, bien impatient quand il donne des avis au médecin, ce médecin ne fût-il quun homme. Où est donc ce malade assez téméraire pour conseiller son médecin? Quand le malade est lhomme, et Dieu le médecin, cest une grande disposition à la guérison, que cette piété qui nous fait croire que Dieu a dû parler de la sorte, avant même que nous sachions ce qui est dit. Car cette piété te rendra capable de chercher le sens des paroles, de le trouver après lavoir cherché, et de te réjouir de lavoir trouvé. Que vos prières aient donc devant le Seigneur notre Dieu ce degré de ferveur, et si ce nest pour nous, que du moins, en votre considération, il daigne nous découvrir ce quil y a de caché sous ces voiles. Supposez donc que je vous ai assigné un jour pour vous donner un spectacle tout divin, et quen prononçant ces versets sans les expliquer, je vous ai fait entrevoir seulement quelques richesses de celui qui nous donnera ces divins spectacles. Ces richesses nous sont montrées sous une enveloppe, afin de nous en faire désirer la découverte; pour vous, tenez-vous prêts, non-seulement à les regarder, mais encore à vous en revêtir. 3. Nous disions dimanche, et il doit vous en souvenir, vous qui étiez présents, que la lecture de lEvangile, qui nous arrêta si longtemps, au point quil nous fallut remettre lexplication de notre psaume, avait beaucoup danalogie avec le psaume lui-même. Nous lavons dit alors, mais sans pouvoir le démontrer, puisquil fallut différer lexposition du psaume. Cest aujourdhui quil nous faut établir cette analogie. La lecture de lEvangile nous effraya au sujet du dernier jour; mais cette frayeur est la mère de la sécurité, car cette frayeur nous met sur nos gardes, et la sécurité vient de la vigilance. De même quune sécurité mal fondée nous jette en un plus grand effroi, de même une crainte sage amène la sécurité. La crainte qui nous saisit alors nous détourne de nous attacher à cette vie qui nous échappe, qui passe et sévanouit, de laimer comme sil ny en avait point dautre pour nous; car sil ny en a point dautre, aimons celle-ci. Sil nest point dautre vie, ceux qui ont passé la nuit à lamphithéâtre sont plus heureux que nous. Que dit en effet lApôtre : « Si notre espérance dans le Christ nest que pour cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes ». Il est donc une autre vie, Que chacun dans sa foi interroge le Christ; mais la foi est endormie. Te voilà donc justement agité par les flots, parce que le Christ est endormi dans la barque. Car Jésus dormait dans la barque, et cette barque était battue par les flots, et par toutes sortes de tempêtes. Notre coeur est dans lagitation quand le Christ dort. Et néanmoins le Christ veille toujours. Que signifie donc le sommeil du Christ? Le sommeil de la foi. Pourquoi te laisser encore agiter par les flots du doute? Eveille donc le Christ, éveille ta foi : envisage des yeux de la foi cette vie future pour la. quelle tu as cru, pour laquelle tu as été marqué du signe de celui qui est venu en cette vie tout exprès, afin de te montrer combien est méprisable cette vie que tu aimes, combien il faut espérer lautre vie en laquelle tu ne croyais point. Si donc tu éveilles ta foi, pour diriger ton regard sur tes fins dernières, sur ce siècle futur qui doit faire notre joie après lautre avènement du Seigneur, après larrêt du jugement, après que les saints seront mis en possession du royaume des cieux; si, dis-je, ta pensée sarrête sur cette vie, sur le repos toujours agissant dont nous jouirons alors, et dont nous vous avons parlé souvent, mes bien-aimés, notre action ne sera plus agitée; ce sera une et action dans un repos plein de douceur, une in action que ne troublera aucune peine, que ninterrompra aucune fatigue, ni aucun (271) nuage dennui. Quelle sera donc alors toute notre oeuvre? De louer Dieu, de laimer et de le louer; de le louer en laimant, de laimer en le louant. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans e les siècles des siècles 1». Pourquoi, sinon parce quils vous aimeront aussi dans les siècles des siècles? Pourquoi, sinon parce quils vous verront dans les siècles des siècles? Quel spectacle pour nous, mes frères, quel spectacle de voir Dieu! Que les hommes voient un chasseur dans lamphithéâtre, ils en tressaillent de joie. Malheur à ces misérables, sils ne se corrigent! Ces mêmes hommes qui tressaillent de joie à la vue dun chasseur, pâliront de tristesse à la vue du Sauveur. Quoi de plus misérable que ces hommes que le Sauveur ne sauvera point? Rien donc détonnant quils ne trouvent point leur salut dans un Dieu qui délivre, ceux qui mettent leurs délices dans un homme qui combat. Quant à nous, mes frères, sil nous souvient que nous sommes ses membres, si nous laimions, si nous persévérons en lui, nous le verrons et il sera notre joie. Sa cité sera pure, et dans ses citoyens purifiés on ne trouvera mi séditieux, ni turbulent ; cet ennemi qui mous porte envie et nous barre le passage vers cette patrie bienheureuse, ne pourra plus nous y tendre des embûches; on ne lui en permet pas même lentrée. Si dès ici-bas il est banni du coeur des fidèles, comment ne serait-il point exclu de la terre des vivants? Que sera-ce, mes frères, je vous le demande, que sera-ce dhabiter cette ville, quand en parler nous cause tant de joie? Préparons nos coeurs pour cette vie future, et quiconque lui réserve son coeur, dédaigne tout ce qui est ici-bas; et ce mépris lui fait attendre avec sécurité ce grand jour, dont lexpectative nous a effrayés dans la bouche du Seigneur. 4. Dès lors que notre psaume chante cette vie future dont il noué entretient, et que lEvangile nous effraie au sujet de celle-ci, le psaume nous fait aimer lavenir et lEvangile haïr le présent. Le Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et nous en parle dautant mieux quil nous expose sans voile ce que nous devons comprendre; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce qui est dit ici en figures. LEvangile donc nous disait :
1. Ps. LXXXIII, 5.
Prenez garde au dernier jour qui viendra, au jour de lavènement du Fils de lHomme 1 : parce quil surprendra dans leur malheur ceux qui sont aujourdhui en sécurité, et précisément parce que cest là une fausse sécurité , puisquils se croient en sécurité dans les voluptés du siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises du siècle. Cest à cette vie que nous prépare lApôtre dans ces paroles que jai citées alors : « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à ceux qui ont des femmes dêtre comme sils nen avaient point; à ceux qui achètent, comme sils nachetaient point; à ceux qui se réjouissent, comme sils ne se réjouissaient point; à ceux qui pleurent, comme sils ne pleuraient point; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme sils nen usaient point; car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes 1». Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude; mais, comme tel, il est hors de larche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à lhomme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de Dieu 3, sil est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve au dedans la joie de lespérance; si les affaires du temps lui causent de la joie, il se réjouit, mais son coeur nourrit une crainte spirituelle, en sorte quil ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur. Cest là, en effet, pleurer comme si lon ne pleurait point, et se réjouir comme si lon ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans lexiger, ou ne cherche dans le mariage quun remède à sa propre faiblesse, et pleure de navoir pu se passer dune femme, plutôt quil ne met en elle sa complaisance; quiconque vend son bien, parce quil sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait pas heureux; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point sa confiance dans ses biens, quelle quen soit labondance, et même la surabondance, qui du bien quil a, fait laumône à ,celui qui na pas, afin de recevoir ce quil na pas de celui à qui tout appartient;
1. Matth. XIV, 41. 2. I Cor. VII, 29-32. 3. Id. X, 31.
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quiconque en est là peut attendre avec sécurité le dernier jour, parce quil nest point hors de larche; mais il fait partie de ces bois incorruptibles dont larche est construite 1. Quil ne craigne donc point lavènement du Sauveur, mais plutôt quil lespère et le désire; car il ne viendra point pour lui infliger un châtiment , mais pour mettre fin à ses misères. Or, tout cela se fait par le désir que nous avons de cette cité sainte. Les avertissements de lEvangile se réalisent dès lors dans nos soupirs vers cette Jérusalem que chante notre psaume, et de là vient laccord de lEvangile avec ce chant du Prophète. 5. Ecoutons quelle est la cité que chante le psaume. Ecoulons et chantons; notre joie, en lécoutant, est elle-même un cantique en lhonneur de notre Dieu. Car chanter nest pas seulement répéter un cantique avec le bruit de la voix et des lèvres; il est aussi un chant intérieur, parce quun autre a loreille dans notre intérieur. Chantons de la voix pour nous stimuler, chantons du coeur afin de lui plaire. Ce psaume est intitulé : « Psaume dAggée et de Zacharie 2». Or, Aggée et Zacharie furent des Prophètes, et ces Prophètes vivaient au temps de la captivité de cette Jérusalem qui était la figure de la Jérusalem du ciel. Or, pendant la captivité de cette ville, comme ils étaient à Babylone, ils prophétisèrent au sujet de Jérusalem, annonçant que le peuple sortirait de la captivité 3, que sur les ruines de lancienne serait bâtie une cité nouvelle. Or, nous connaissons cette captivité, si nous connaissons véritablement la nôtre. Dans ce inonde, en effet, dans ces tribulations du siècle, au milieu de ces scandales sans nombre, nous sommes dans une sorte de captivité, mais nous en serons délivrés; on nous prédit une vie nouvelle semblable à celle-ci. Après la promesse des Prophètes saccomplit dune manière visible tout ce qui devait faire de cette cité une image de la cité invisible. Jérusalem fut rebâtie après soixante et dix ans de captivité. Ce nombre de soixante et dix était précisé par Jérémie, qui nous montre, sous la figure du nombre septénaire, le temps présent qui sécoule; puisque nos jours, vous le savez, sécoulent sept par sept, nombre qui passe pour revenir invariablement. Or, Jérémie, en
1. Gen. VI, 14. 2. Ps. CXLVII, 1. 3. Esdras, V, 1; VI, 14.
prophétisant que Jérusalem serait rebâtie après soixante et dix ans, couvrait sous cette image une prophétie de lavenir ; car il veut nous faire entendre quaprès lécoulement de ces jours qui se comptent par sept, notre ville sera construite pour léternité, qui nest quun aujourdhui, puisque dans cette de. meure le temps ne passe plus, parce que ses citoyens ne meurent point. Telle est la cité que les Prophètes voyaient en esprit; cest elle quils voyaient quand ils parlaient de la cité dici-bas. Mais ils disaient au sujet de celle dici-bas ce quils rapportaient à celle den haut: et tout ce qui se faisait dans le temps par le mouvement des corps et par les actions des hommes, devenait autant de signes et de prédictions pour lavenir. 6. Ecoutons donc ce que lon dit de cette ville ; élevons-nous jusquà elle. Cest elle que nous fait estimer lEsprit-Saint, en répandant lamour de cette cité dans nos coeurs, afin dy faire monter nos soupirs, et que gémissant dans cet exil, nous ayons hâte darriver en la ville sainte. Aimons-la, mes frères, laimer cest y aller. Aimons-la daprès cette bouche sacrée, cette bouche prophétique de lEsprit de Dieu qui nous dit : « Jérusalem loue le Seigneur 2 ». Dans cette captivité les Prophètes voient ces troupeaux ou plutôt lunique troupeau de tous les citoyens rassemblés de toutes les contrées, pour former la cité sainte. Ils voient la joie de cette masse qui ne craint plus rien, qui na rien à souffrir, puisquelle est dans le grenier céleste après avoir été foulée et vannée; et comme ils sont encore sur cette terre au milieu de tant dafflictions, ils se font précéder par la joie de lespérance, ils soupirent après cette patrie, sunissant ainsi de coeur aux anges de Dieu, et à ce peuple qui doit demeurer avec eux dans une sainte joie : « Loue le Seigneur, Jérusalem ». Quelle sera ton occupation,ô Jérusalem? Car tout labeur, tout gémissement passera. Quelle sera donc ton occupation ? De labourer, de semer, de planter, de naviguer, de faire le négoce? Quelle sera ton occupation? Te faudra-t-il encore texercer dans ces oeuvres, quelque bonnes quelles soient, et qui viennent de la miséricorde? Considère le nombre de tes enfants, vois de toutes parts ceux qui forment la société : vois sil en est un homme qui ait faim et à qui tu
1. Jérém. XXV, 12; XXIX, 10. 2. Ps. CXLVII, 2.
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donnes du pain, qui ait soif et à qui tu puisses donner un verre deau froide; vois sil est un étranger à qui tu puisses donner lhospitalité, sil est un malade à visiter, sil y a des plaideurs que tu puisses concilier 1; sil est un moribond que tu puisses ensevelir. Que feras-tu donc? « Jérusalem, loue le Seigneur ». Voilà quelle sera ton occupation. De même que lon écrit sur un titre : Fais-en bon profit, je te répéterai « Jérusalem, loue le Seigneur ». 7. Soyez tous Jérusalem; souvenez-vous de ce quil est dit: « Seigneur, vous réduirez leur image au néant dans votre ville 2 ». Ce sont les hommes qui maintenant font leurs délices de ces vaines pompes, ceux qui ne sont point venus aujourdhui parce quon leur fait une largesse. A qui profite cette largesse? Qui en supporte le contre-coup ? Doù vient la libéralité? Doù vient le dommage? Ce nest point seulement à ceux qui donnent ces spectacles, quils sont coûteux, mais ils le sont bien plus à ceux qui y mettent leur joie. lux uns ils coûtent lor de leurs coffres, aux autres les richesses de justice qui ornaient leurs coeurs. Ceux qui donnent ces spectacles pleurent bien souvent quand il faut vendre leurs terres, et combien doivent pleurer des pécheurs qui perdent leurs âmes? Quand le Seigneur nous criait dimanche : « Veillez », était-ce donc pour que lon veillât ainsi aujourdhui? Je vous en supplie, ô vous citoyens de Jérusalem, je vous en conjure par la voix de Jérusalem, par celui qui est le Rédempteur, larchitecte, le directeur de Jérusalem, offrez à Dieu pour eux vos supplications. Quils voient, quils comprennent la futilité de ces divertissements, et quaprès avoir été attentifs à ces sortes de spectacles qui font leurs délices, ils soient à eux-mêmes leurs spectacles, et spectacles de tristesse. Cest ce qui est arrivé pour beaucoup, à notre grande joie; nous-mêmes avons jadis pris part à ces assemblées, à ces folies, Et combien de ceux quon voit maintenant, seront un jour chrétiens, et même évêques? Le passé nous est une garantie de lavenir: et ce que Dieu a déjà fait nous dit ce quil doit faire encore. Que vos prières veillent donc, mes frères, ce nest pas inutilement que vous gémissez. Ils sont exaucés ceux qui, ayant échappé au péril, implorent le Seigneur en laveur de ceux qui y sont encore
1. Matth. XXV, 35, 36. 2. Ps. LXXII, 20.
engagés, parce quils ont couru les mêmes dangers, et Dieu tirera son peuple de la captivité de Babylone, et il le rachètera, le sauvera, et alors sera parfait le nombre des élus qui portent son image. Mais ils ny seront point ceux dont le Seigneur doit mépriser et anéantir limage dans sa ville sainte, parce queux-mêmes ont anéanti son image dans leur cité, cest-à-dire dans Babylone. Tel est le peuple qui louera Dieu, le peuple quannonce par avance son esprit prophétique; il nous dit de tressaillir dans lespérance, daspirer à la réalité. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem; Sion, bénis ton Dieu » . « Loue de concert», parce que tu es formée dun grand nombre de citoyens; « bénis », parce que tu nes quune seule ville. « Nous sommes plusieurs », dit lApôtre, « et néanmoins nous sommes un en Jésus-Christ 1 ». Louons donc de concert, parce que nous sommes plusieurs, et louons parce que nous ne sommes quun. Nous sommes à la fois, et plusieurs et un seul, parce que celui en qui nous avons lunité, est toujours un. 8. Pourquoi, dira cette Jérusalem, louer de concert le Seigneur, et moi Sion, pourquoi louer mon Dieu? Sion nest quune avec Jérusalem. Ces deux noms tiennent à deux causes différentes : Jérusalem signifie vision de la paix, et Sion contemplation. Voyez si ces deux noms désignent autre chose que des spectacles; que les païens ne sapplaudissent point alors de leurs spectacles, comme si nous navions point les nôtres. Quelquefois, quand on ferme le théâtre ou lamphithéâtre, et quil sort de ces gouffres une foule dhommes corrompus qui ont lesprit tout occupé de vains fantômes, repaissant leur mémoire de souvenirs non-seulement inutiles, mais pernicieux, sapplaudissant de ces plaisirs qui ont une douceur, mais douceur empoisonnée ; ils voient, et même souvent, passer les serviteurs de Dieu quils reconnaissent ou bien à leurs vêtements, ou bien à leur maintien, ou même à leur figure, et ils disent en eux-mêmes : Combien ces gens sont malheureux ! que nont-ils pas perdu aujourdhui! Prions Dieu, mes frères, de récompenser leur bienveillance; car ils prennent cela pour un bien. Cest par bonté quils nous plaignent; mais celui qui aime liniquité, hait son âme 2. Et sil hait
1. I Cor. X, 17. 2. Ps. X, 6.
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son âme, comment pourrait-il aimer la mienne? Toutefois, cest par une bienveillance et perverse, et vaine, et futile, si lon peut appeler cela bienveillance, quils nous plaignent de perdre ce quils aiment. Prions à notre tour, afin quils ne perdent point ce que nous aimons. Voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète exhorte à louer Dieu, ou plutôt dont il prédit la louange. Ce ne sera point quand nous verrons Dieu, et quand nous laimerons, quand nous le louerons, que le Prophète aura besoin den gager, de stimuler cette ville à louer le Seigneur; mais les Prophètes nous parlent de la sorte, afin de nous porter à goûter, autant que possible, en cette chair fragile, ces joies futures des bienheureux, et en jetant dans nos oreilles le trop plein de leur âme, dallumer en nous lamour de cette cité divine. Que nos désirs soient donc fervents; loin de nous tout coeur tiède. 9. Mais voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète invite à louer Dieu, et pourquoi elle doit le louer. Cest parce que son bonheur sera parfait. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem; ô Sion, loue ton Dieu ».Et comme si Jérusalem demandait: Comment louer Dieu avec une telle sécurité? « Cest », dit le Prophète, « parce quil a fortifié les barrières de tes portes 1 ». Redoublez dattention, mes frères. « Il a fortifié les barrières de tes portes». On affermit les barrières non des portes ouvertes, mais des portes closes. De là vient quon lit dans plusieurs exemplaires : « Il a fortifié les serrures de tes portes ». Que votre charité comprenne ceci. Le Prophète dit que cest une Jérusalem bien fermée qui loue le Seigneur. « Loue de concert le Seigneur, Ô Jérusalem ; Sion, loue ton Dieu ». Nous louons maintenant le Seigneur, nous le louons de concert, mais au milieu des scandales. Beaucoup entrent parmi nous contre notre volonté, beaucoup sen vont, en dépit de nos efforts; de là tant de scandales. « Et comme liniquité abonde », a dit la Vérité, « la charité refroidit chez plusieurs 2 », à cause de ceux qui entrent et que nous ne saurions juger, et de ceux qui sortent sans que nous puissions les retenir. Pourquoi? parce que la perfection nest point dici-bas, ni le bonheur dici-bas. Pourquoi encore ? Parce que nous sommes dans laire et non dans le grenier. Que
1. Ps. CXLVII, 13. 2. Matth. XXIV, 12.
faire alors, sinon dêtre sans crainte pour lavenir? « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; loue ton Dieu, ô Sion: parce quil a fortifié les barrières de tes portes ». « Il a fortifié », dit le Prophète, et non-seulement il a mis des barrières. Que nul ne sorte plus, que nul nentre plus. Que nul ne sorte, cest ce qui nous réjouit ; que nul nentre plus, cest ce quil nous faut craindre. Mais sois sans crainte, on ne parlera de la sorte que quand tu seras entré. Sois seulement au nombre de ces vierges qui prirent avec elles de lhuile 1. 10. Ces vierges, en effet, désignent les âmes. Elles nétaient pas seulement au nombre de cinq, mais ces cinq marquent des milliers. Dans ce nombre cinq sont donc renfermés des milliers non de femmes seulement, mais dhommes aussi ; car ce mot de femme désigne les deux sexes à cause de, lEglise ; puisque lEglise, qui renferme les deux sexes, est appelée vierge. « Je vous ai fiancée à lunique Epoux, pour vous présenter à Jésus-Christ comme une épouse chaste 2 ». Peu sont vierges de corps, mais tous doivent lêtre de coeur. La virginité du corps consiste dans une chair intacte, la virginité du coeur, dans une foi pure. On dit de toute lEglise quelle est vierge, et au masculin on la nomme peuple de Dieu : or, les deux sexes forment le peuple de Dieu, un seul peuple, un peuple unique; de même quil ny a quune seule Eglise, une seule colombe ; et dans cette virginité, des saints par milliers. Ces cinq vierges dès lors désignent toutes les âmes qui doivent entrer dans le ciel : et le nombre cinq nest point employé sans raison, puisque le corps est doué de cinq sens, comme chacun sait. Rien ne passe du corps dans lâme que par ces cinq portes, car toute convoitise mauvaise nous vient sôit des yeux, soit de lodorat, soit du goût, soit des oreilles, soit du tact. Quiconque na point laissé entrer la corruption par ces cinq portes, est mis au nombre des cinq vierges. Or, la corruption est la fille des dé. sirs illicites ; et lEcriture nous fait voir de toutes parts ce qui est permis ou ce qui ne lest point. Il est donc nécessaire que tu sois au nombre de ces cinq vierges, et tu nauras pas à craindre cette parole : Que nul nose entrer. Cest en effet ce qui est écrit et ce qui sera exécuté ; à ton entrée, toutefois, nul ne
1. Matth. XXV, 4. 2. II Cor. XI, 2.
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viendra te barrer le passage; mais quand tt seras entré, on fermera les portes de Jérusalem, et lon en fortifiera les barrières, si tu ne veux pas être vierge de coeur, ou si, quoique vierge, tu prends place parmi les vierges folles, pour demeurer au dehors et frapper vainement à la porte. 14. Quelles sont ces vierges folles? Elles aussi sont au nombre de cinq; et quelles sont ces vierges, sinon les âmes qui gardent la continence de la chair, afin déviter la corruption qui nous vient par tous les sens que nous énumérions tout à lheure? Elles évitent la corruption, nimporte doù elle vienne, sans porter dans leur conscience et sous les yeux de Dieu seul, le bien quelles font; elles veulent plaire aux hommes et sarrêter à leur jugement. En quête des faveurs vulgaires, elles savilissent en voulant plaire à ceux qui les voient; leur conscience ne leur suffit point. Cest donc avec raison que, selon lEvangile, elles ne portent pas dhuile avec elles; car lhuile, à cause de son éclat, de sa netteté, signifie la gloire. Mais que dit lApôtre? Vois dons sa parole ces vierges sages qui portent lhuile avec elles. « Que chacun éprouve son oeuvre, et il aura de quoi se glorifier en lui même et non dans un autre 1 ». Voilà les vierges sages. Quant aux vierges folles, elles allument leurs lampes à la vérité, leurs oeuvres paraissent avec éclat ; mais elles doivent mourir et séteindre, parce quelles ion! point dhuile intérieure. Les voilà qui sendorment toutes parce que lEpoux tarde à venir; quelle que soit en effet celle de ces deux catégories que choisissent les hommes, ils sendorment du sommeil de la mort ; et les vierges sages et les vierges folles, en attentant lavènement du Seigneur, passent par cette mort du corps, mort visible, que lEcriture appelle un sommeil, comme tout chrétien le sait. LApôtre dit en effet : « Cest pourquoi, parmi vous, beaucoup sont infirmes, languissants, et beaucoup sont endormis 2 » ; endormis, dit-il, ou plutôt morts. Mais voilà que lEpoux va venir, et tous vont se lever, mais non tous entrer. Voilà que sévanouiront les oeuvres de ces vierges folles, qui nont point lhuile de la bonne conscience. Elles ne trouveront plus, pour leur en acheter, ces flatteurs qui leur vendaient la louange. Car il y a de lironie
1. Gal. VI, 4. 2. I Cor. XI, 30.
plutôt que de la jalousie dans cette parole « Allez en acheter ». Ces vierges folles en avaient demandé aux vierges sages, et leur avaient dit: « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes séteignent ». Que répondent les vierges sages? « Non, de peur que nous nen ayons pas suffisamment pour vous et pour nous ; allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous ». Cétait leur dire sous la forme dun avis : De quoi vous servent maintenant ceux dont vous achetez la louange ? « Et pendant quelles y allaient »,dit lEvangile, « voilà que les autres « entrèrent, et la porte fut close 1 ». Pendant quelles y vont de coeur, pendant quelles soccupent de ces pensées, quelles séloignent dans ce dessein, quelles se ressouviennent de leur vie passée, elles vont en quelque sorte vers ceux qui vendent lhuile , et ne les trouvent plus favorables; elles ne trouvent plus dapplaudissements chéz ceux qui les flattaient , elles qui sexcitaient au bien, non par le mouvement dune bonne conscience, mais par le stimulant des langues étrangères. 12. Cette réponse des vierges sages: « De peur quil ny en ait pas suffisamment pour nous», témoigne aussi dun grand sentiment dhumilité. Car lhuile que nous portons dans notre conscience, cest le jugement que nous portons sur nous-mêmes, et qui nous fait voir tels que nous sommes; or, il est difficile de se juger, de juger parfaitement de son état. Mes frères, quels que soient les progrès dun homme dans la vertu ; tant quil se jette en avant et oublie ce qui est derrière 2; sil se dit : cest bien ; Dieu aussitôt tire de ses trésors la règle inflexible, et procède à un sévère examen. Or, qui se glorifiera davoir un coeur pur ?Qui osera dire quil est sans péché 3? Mais que dit lEcriture? « Il y aura un jugement sans miséricorde pour celui qui na pas fait miséricorde 4». Quels que soient tes progrès, tu espéreras donc dans la miséricorde. Car si la miséricorde ne vient tempérer la justice , tout homme se trouvera condamnable en quelque point. Or, quel passage de lEcriture va nous consoler? Celui-là même qui nous exhorte à la miséricorde, afin que nous nous appliquions à donner notre superflu. Car nous avons beaucoup de
1. Matth. XXV, 1-13. 2. Philipp. III, 13. 3. Prov. XX, 9, 4. Jacques, II, 13.
superflu, si nous nous en tenons au strict nécessaire ; mais rien ne nons suffira, si nous recherchons ce qui est futile. Cherchez donc, mes frères, ce qui suffit à loeuvre de Dieu, et non ce qui suffit à vos désirs ; car votre désir nest point loeuvre de Dieu; mais votre forme, votre âme, votre corps, voilà toute loeuvre de Dieu. Cherche donc ce qui suffit pour cela, et tu verras quil faut peu de chose. Il ne fallut à la veuve de lEvangile que deux deniers, pour faire une oeuvre de miséricorde 1, deux deniers pour acheter le royaume de Dieu. Pour habiller des acteurs, quelle dépense ne fait point un donneur de spectacles? Voyez non-seulement quil faut peu pour vous suffire, mais aussi combien peu vous demande le Seigneur. Cherche avec soin ce quil ta donné, prends-en ce qui te suffit; quant au reste, qui est superflu pour toi, cest le nécessaire des autres; le superflu du riche est le nécessaire du pauvre. Cest posséder le bien dautrui que posséder du superflu. 13. Cest quand tu feras miséricorde, et particulièrement celle ci que lon fait gratuitement : « Remettez-nous, comme nous remettons 2» ; et où lon ne fait dautre dépense que celle de la charité, laquelle saccroît à proportion quon la dépense; cest, dis-je, quand tu feras avec ferveur des oeuvres de miséricorde, bonnes oeuvres, avons-nous dit, qui ne seront plus nécessaires dans lautre vie, puisquil ny aura plus aucun malheureux à qui lon puisse faire miséricorde 3, cest alors que tu attendras en toute sécurité le jugement, non pas dans la sécurité de la justice, mais dans la sécurité de la divine miséricorde, puisque toi-même auras été miséricordieux. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui naura point fait miséricorde. Et la miséricorde», ajoute le même Apôtre, «lemporte sur le jugement 4 ». Gardez-vous de croire, mes frères, que le Seigneur nest point juste, ou quil sécarte de la justice, quand il na point pitié de nous. Il est juste quand il nous damne, et juste encore quand il nous prend en pitié. Quoi de plus juste de faire miséricorde à celui qui limplore ? Quoi de plus juste aussi, que duser envers nous de la mesure dont nous nous serons servis 5? Donne à ton frère qui a faim. A quel frère? Au Christ. Si donc faire la charité à ton frère cest
1. Marc, III, 42. 2. Luc, VI, 37; Matth. VI, 12. 3. Voir Discours sur le Ps. LXXXIII, n.8, 11. 4. Jacques, II, 13. 5. Matth. VII, 2.
la faire au Christ, et si le Christ est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles 1, cest un Dieu qui a voulu avoir besoin de toi, et ta main se retire ? Tu tends la main à Dieu pour lui demander: écoute lEcriture : « Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour donner 2 ». Dieu veut quon lui donne de ce quil a donné. Que pourrais-tu donner, en effet, quil ne taie point donné? « Quas-tu, que tu naies point reçu 3 ? » Et même, sans parler de Dieu, à qui pourrais-tu donner de ce qui est à toi? Tu donnes de ce qui appartient à celui qui te commande de donner. Sois donc véritablement dispensateur, et non usurpateur. Cest en agissant de la sorte, et en disant avec humilité de cette huile: « De peur quil ny en ait pas suffisamment pour nous 4 », que tu entreras, et que la porte ne te sera point fermée. Ecoute ce mot de lApôtre : « Peu mimporte dêtre jugé par vous 5». Comment pourriez-vous, en effet, juger ma conscience? Comment verriez-vous lintention qui me dirige dans toutes mes actions? Quel jugement les hommes peuvent-ils porter sur un autre homme? Lhomme peut beaucoup mieux se juger, mais Dieu peut mieux encore juger lhomme, que lhomme ne peut se juger lui-même. Si donc tu es tel que nous disons, tu entreras, tu seras au nombre de ces cinq vierges, et les vierges folles seront exclues. Cest ce que nous dit lEvangile ; la porte sera fermée, elles seront là, heurtant à cette porte et criant: « Ouvre-nous 6 »; et on ne leur ouvrira point, parce « que le Seigneur a fortifié les barres de vos portes». Oui, dit le Prophète, il a fortifié les barres de tes portes, sois en toute sécurité, chante avec assurance, et chante sans fin. Tes portes sont solidement closes, nul ami ne sort, nul ennemi ne peut entrer. « Il a consolidé les barrières de tes portes». 14. « Il a béni tes enfants en toi ». Ils ne sont ni vagabonds au dehors, ni exilés; il sapplaudissent dans ton enceinte, cest là quils chantent le Seigneur, là quils sont bénis. ils nendurent plus les douleurs de lenfantement, parce quils nont plus à enfanter. Ils sont vos enfants, vos saints; et ces enfants, ces saints, sont dans lallégresse, dans la louange; la charité à ressenti pour eux les douleurs de lenfantement, et les a enfantés;
1. Rom. IX, 5. 2. Eccli. IV, 36. 3. I Cor. IV, 7. 4. Matth. XXV, 9. 5. I Cor. IV, 2. 6. Matth. XXV, 11.
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la charité les renferme dans son giron. Ecoute la charité qui les enfante: cest elle qui donnait à Paul non-seulement un coeur de père, nais un coeur de mère, pour ses enfants: « Mes petits enfants», dit-il, «que jenfante une seconde fois 1». Or, Paul qui enfante, cest la charité qui enfante; et la charité qui enfante, cest lEsprit de Dieu qui enfante. « La charité, en effet, est répandue dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné 2 ». Quelle rassemble donc ceux quelle a enfantés avec douleur, ceux quelle a mis au monde. Ils sont déjà dans lintérieur, ils sont en sûreté. Ils ont pris leur essor du nid de la crainte, ils ont pris leur essor pour les cieux, pour les tabernacles éternels ; rien de temporel nest à redouter pour eux. 15. « Il a béni tes fils en toi ». Qui a béni? « Celui qui a mis la paix sur tes frontières 3». Quelle nest point la joie universelle à cette parole ? Aimez-la, mes frères. Nous éprouvons une grande joie quand lamour de la paix éclate ainsi du fond de vos coeurs. Quelle joie cette parole a suscitée ! Je navais rien dit encore, je navais rien expliqué, je prononce le verset et vos cris partent. Quest-ce qui a crié en vous? Lamour de la paix. Quai-je mis sous vos yeux ? Pourquoi ces cris, si vous ne ressentez cet amour ? Doù vient cet amour, si vous ne voyez rien ? La paix est invisible. Où est loeil qui la vue pour laimer ? Et toutefois, on ne pousserait aucun cri si on ne laimait. Ce sont là, mes frères, les spectacles invisibles que Dieu nous présente. De quelle beauté lidée seule de la paix nai-elle point frappé vos coeurs? Que dire encore dola paix, et comment la louer? Votre allégresse a dépassé toutes mes paroles. Je nachève point, je ne saurais, je suis trop faible. Remettons donc léloge de la paix, jusquà ce que nous soyons dans la patrie de la paix. Cest là que nous pourrons la louer plus pleinement, en jouir plus pleinement. Si nous laurions ainsi quand elle commence, quelles louanges lui donner quand elle sera parfaite? Jugez-en vous-mêmes, ô fils bien-aimés, fils de la paix, citoyens de Jérusalem, car Jérusalem est la vision de la paix ; et tous ceux qui aiment la paix sont bénis dans son enceinte, ils peuvent y entrer et les portes se ferment, et les barrières sont consolidées. Cette paix dont le nom seul fait éclater votre amour, cultivez-la,
1. Gal. IV, 19. 2. Rom. V, 6. 3. Ps. CXLVII, 14.
recherchez-la sincèrement; aimez-la dans vos maisons, aimez-la dans vos affaires, aimez-la dans vos épouses, aimez-la dans vos enfants, aimez-la dans vos serviteurs, aimez-la dans vos amis, aimez-la dans vos ennemis. 16. Telle est la paix que nont point les hérétiques. Quelle est loeuvre de cette paix, dans les perplexités de ce monde, dans lexil de notre mortalité, où nul nest connu dun autre, ou nul ne connaît le coeur de son voisin ? Que fait la paix ? Elle ne juge pas de ce qui est incertain, et naffirme rien dinconnu. Elle est plus inclinée à croire le bien dun homme, quà en soupçonner le niai. Elle ne safflige point de sêtre trompée en croyant bon lhomme qui est méchant ; mais elle se croit coupable davoir cru au mal chez lhomme de bien. Je ne le connais point, dit-elle, que perdrai-je à croire quil est bon ? Si cela est incertain, il est permis dagir avec précaution, car peut-être nest-ce pas vrai ; mais garde-toi de condamner comme si tu étais certain. Cest le précepte de la paix. « Cherche la paix», dit le Prophète, «et poursuis-la 1 ». Que dit lhérésie au contraire ? Elle condamne sans connaître, et condamne le monde entier ; tout le monde a péri, il ny a plus un seul chrétien, lAfrique seule est demeurée. Bien jugé. Mais de quel tribunal peux-tu condamner le monde entier? Sur quel forum le monde a-t-il comparu devant toi ? Que lon aie sen rapporte pas à moi, jy consens; mais pas à toi non plus. Quon en croie au Christ, à lEsprit de Dieu, qui a parlé par les Prophètes, quon en croie à la loi de Moïse. Qua dit Moïse des temps futurs qui sont les nôtres? « En ta postérité », fut-il dit à Abraham, « toutes les nations seront bénies 2 ». As-tu des doutes sur cette race dAbraham? Il ny a plus de doute à conserver quand lApôtre a parlé ; ou si tu nen crois point à lApôtre, pourquoi dire : La paix, la paix, quand il ny a point de paix 3? Que dit lApôtre ? « Les promesses de Dieu sont faites à Abraham et à sa postérité. LEcriture ne dit point : « Et à ceux qui naîtront de lui, comme sils eussent dû être plusieurs; mais comme en parlant dun seul, elle dit : Et à celui qui naîtra de toi, qui est le Christ 4 ». Il y a des milliers dannées quil fut dit à Abraham: « Les nations seront bénies en ta postérité » .Or,
1. Ps. XXXIII, 12. 2. Gen. XXII, 18 3. Jérém. VI, 14. 4. Gal. III, 16.
278
ce qui a été prédit il y a tant de siècles, et ce quun seul a cru, nous le voyons accompli aujourdhui. Dun côté nous lisons la promesse, de lautre nous voyons laccomplissement, et tu viens à la traverse résister à la vérité ? Que vas-tu dire ? Garde-toi de croire. De croire à qui ? A lesprit de Dieu? A Dieu qui parle à Abraham ? A qui croirai-je alors? A toi ? Ce nest point là ce que je dis, répondras-tu. Tu ne le dis point? Comment, tu ne dis pas : Crois-en plutôt à moi quà lEsprit. Saint, quà Dieu qui sadresse à Abraham? Que viens-tu me dire alors? Tel a livré les livres saints, tel autre encore les a livrés. Est-ce un passage de lEvangile que tu rapportes là, ou des Apôtres, ou des Prophètes? Examine toutes les Ecritures, et lis-moi cette parole, dans ceux en qui repose ma foi ; car je ne crois pas en toi. Où donc liras-tu cela? Cest ce que ma dit mon père, me répond-il, ce que ma dit mon aïeul, mon frère, mon évêque. Mais voici la parole du Seigneur à Abraham: « Les nations seront bénies en celui qui naîtra de toi ». Un seul homme entendit cette parole et y crut, et après de longs siècles, elle saccomplit dans des millions dhommes. On croit à cette promesse, quand elle se fait, et on en doute quand elle saccomplit? Voilà donc ce qua dit Moïse; donnons maintenant la parole aux Prophètes. Vois le prix de notre rédemption : le Christ suspendu à la croix. Considère le prix quil donne, et tu comprendras ce quil achète. Il veut faire un achat, et tu ne sais encore quel achat; vois alors, vois la grandeur du prix, et tu comprendras limportance de lachat. Il répand tout son sang, cest au prix de son sang quil achète, du sang de lAgneau sans tache, du sang du Fils unique de Dieu. Que petit-on donc acheter au prix du sang du Fils unique de Dieu ? Encore une fois, considère à quel prix. Longtemps avant laccomplissement, le Prophète a dit : « Ils ont percé mes « mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Je vois la grandeur du prix, ô Christ, faites que je voie aussi ce que vous avez acheté : « Toutes les extrémités de la terre sen souviendront, et se tourneront vers le Seigneur ». Dans le même psaume, je vois tout ensemble et lacheteur, et le prix, et la possession. Cet acheteur cest le Christ, le prix est son Sang, et la possession, lunivers entier. Ecoutons les paroles du Prophète, qui contredisent les chicanes des hérétiques. Voilà ce que possède mon Dieu. Je lis son droit dans le psaume: « Ils en garderont la mémoire, et tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur, toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence 1 ». LAcheteur est donc le Christ, et non lapostat Donat. « Ils ladoreront ». Très-bien: « Toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence ». Pourquoi très-bien? « Parce que lempire est au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations ».Voilà ce quon lit dans Moïse, dans les Prophètes, et mille autres témoignages semblables. Qui pourrait compter les passages de lEcriture au sujet de lEglise qui sera répandue dans toute la terre? Qui les comptera? Il y a moins dhérésies contre lEglise, que la loi na de témoignages en sa faveur. Quelle page ne dit point son triomphe? Quel verset ne la point consigné? Tout parle de concert en faveur de cette unité, qui est au Seigneur, parce quil a mis la pain dans les confins de Jérusalem. Et cest contre tout cela que tu viens aboyer, ô hérétique? Cest avec raison que lon applique à cette cité sainte ce mot consigné dans lApocalypse : « Loin dici les chiens 2». Cest contre tout cela que tu viens aboyer. Comme je le disais tout à lheure, oses-tu bien condamner le monde entier? Quel est ton tribunal, sinon la présomption de ton coeur? Tribunal bien haut sans doute, mais ruineux. Voilà ce qua dit Moïse, ce quont dit les Prophètes ; et des hommes qui veulent passer pour chrétiens ne le croient pas encore. 17. Le mauvais riche était dans les tourments de lenfer, et lardeur des flammes lui fit désirer quune goutte deau tombât du doigt du pauvre quil avait autrefois méprisé à sa porte. Comme ce rafraîchissement lui était refusé, puisquon doit « juger sans miséricorde celui qui naura point fait miséricorde 3 », comme donc on le lui refusait « Père Abraham », sécrie-t-il, « envoyez Lazare dans la maison de mon père, où jai cinq autres frères; quil leur dise combien je souffre, afin quils ne viennent point aussi dans ce lieu de tourments ». Que répond Abraham? « Ils ont Moïse et les Prophètes ». Et celui-ci : « Mon père Abraham, mais si quelquun ressuscitait dentre les morts, ils le croiraient ». Et Abraham:
1. Ps. XXI, 17,18, et 28,19. 2. Apoc. XXII, 15. 3. Jacques, II, 13.
279
« Sils nécoutent ni Moïse, ni les Prophètes ils ne croiront pas quand même quelquun ressusciterait dentre les morts 1 ». De qui dit-il, qu « ils ont Moïse et les Prophètes ? » De ces frères assurément qui vivaient encore, qui avaient pour se corriger un long espace de temps, qui nétaient point encore dans ces lieux de tourments. « Ils ont Moïse et les Prophètes, quils les écoutent », dit Abraham. Ils ne croient point en eux, « mais ils croiraient si quelquun ressuscitait dentre les morts. Sils nécoutent ni Moïse, mi les Prophètes, ils ne croiront pas même mi celui qui ressusciterait dentre les morts». Cest la décision dAbraham. En quel endroit et de quel endroit Abraham la-t-il prononcée? Dun certain lieu élevé, dun lieu plein de repos et de joie. Que voyait en élevant les yeux cet infortuné qui souffrait dans lenfer? Il voyait aussi dans son sein,cest-à-dire dans son secret, le pauvre qui tressaillait de joie. Voilà quel est ce tribunal. Cest là quhabite le Seigneur, puisque Dieu habite dans les saints. Delà vient ce désir que lApôtre nous exprime ainsi : « Mourir pour être avec le Christ serait de beaucoup préférable 2 ». Il fut dit aussi au bon larron : « Aujourdhui tu seras .avec moi dans le paradis 3 ». Cest le Seigneur qui est avec Abraham et en Abraham qui a porté cette sentence : « Ils ont Moïse et es Prophètes; sils ne les écoutent point, ils nécouteraient point non plus celui qui ressusciterait dentre les morts». O hérétiques, vous avez ici Moïse et les Prophètes, et vous vivez encore, et vous pouvez encore écouter, et vous pouvez encore vous corriger, dompter votre fureur, et embrasser la vérité : examinez avec vous-mêmes sil faut en croire Moïse et les Prophètes, qui ont rendu à leur foi de si grands témoignages, quand nous voyons les événements du monde arriver selon leurs prédictions. Pourquoi hésiter encore à en croire à Moïse et aux Prophètes? Pourquoi cette hésitation? Attendriez-vous par hasard quun homme ressuscité dentre les morts sen vienne vous parler de son Eglise? Cest ce que voulait le mauvais riche dans lenfer; il voulait que lon envoyât vers ses frères 4 quelquun dentre les morts; on le reprend de cette exigence parce que Moïse et les Prophètes devaient suffire à ses frères. Sa prière
1. Luc, XVI, 19,31. 2. Philipp. I, 23. 3. Luc, XXXII, 43. 4. Id. XVI, 27.
fut vaine, afin que cet exemple vous profitât, et que vous ne fussiez point tourmenté comme lui, pour avoir fait trop tard de vaines prières. Ecoutez Moïse et les Prophètes. Que dit Moïse? « Dans ta postérité seront bénies toutes les nations 1 ». Quont dit les Prophètes? « Tous les confins de la terre se souviendront, et se tourneront vers le Seigneur 2». Et tu viendras me dire encore quun homme se lève dentre les morts, je ne croirai que quand on viendra de là me parler ! Bénie soit votre miséricorde, ô mon Dieu! vous avez voulu mourir, afin quun homme se levât des morts, et cet homme nest point un homme quelconque, mais cest la Vérité qui est sortie des enfers. Il pourrait dire la vérité sur les effets, sans être sorti des enfers; et néanmoins, à cause de ces voix méchantes et ignorantes, il a voulu mourir et se lever dentre les morts. Que dis-tu, ô hérétique, que dis-tu? Jécouterai tes raisons, tu na plus dexcuses ; quand tu aurais les exigences du riche dans les enfers, voilà que le Christ est ressuscité dentre les morts; daigneras-tu lécouter lui-même? Tu as conçu en ta vie le désir de ce riche après sa mort, et voilà que le Christ est revenu des enfers; ce nest ni ton père, ni ton aïeul, ils ne sont point ressuscités des morts, ceux qui ont accusé je ne sais qui dentre nous davoir livré les saints livres. Mais accordons quils naient point calomnié, quils aient dit vrai. Veux-tu savoir combien cela mimporte peu? Ecoutons ensemble ce qua dit celui qui est ressuscité dentre les morts. A quoi bon tant discourir? Ecoutons, ouvrons lEvangile, lisons ce qui sest fait comme sil saccomplissait maintenant : remettons sous nos yeux le passé afin de nous mettre en mesure contre lavenir. Voilà que le Christ ressuscité dentre les morts se montre à ses disciples. Voici ses noces, il est lEpoux, lEglise et lEpouse. Cet Epoux que lon disait mort, exterminé, anéanti, est ressuscité plein de vie, le voilà qui se montre aux yeux des disciples, qui se laisse toucher de leurs mains, ils touchent en effet ses plaies, ses meurtrissures qui leur avaient fait perdre lespérance. Il se fait voir à leurs yeux, et en le touchant des mains ils le prennent pour un esprit car ils ont perdu tout espoir quil pût être sauvé. Il les exhorte, les affermit dans la foi « Touchez et voyez, car un esprit na ni chair,
1. Gen. XXII, 18. 2. Ps. XXI, 28.
280
ni os, comme vous voyez que jen ai 1 ». Ils le touchent, ils sont dans la joie, dans létonnement. « Comme ils étaient encore dans le trouble de la joie », est-il écrit dans lEvangile. Quelquefois on ne croit que difficilement ce qui donne de la joie, quelle quen soit la certitude. Un certain doute qui nous rend tardifs à croire assaisonne le bonheur qui nous vient alors. Plus nous avons désespéré de ce qui nous arrive, plus notre bonheur est grand; et ce fut pour rendre leur bonheur plus doux et plus grand que le Sauveur ne voulut pas être connu tout dabord. Il ferma les yeux de ces deux disciples quil rencontra parlant ensemble de leur peu despérance et se disant : « Nous espérions quil serait le Rédempteur dIsraël ». Ils lavaient pensé, et ne le pensaient déjà plus. Lespérance nétait plus en eux, et le Christ était avec eux; mais pour se rendre à eux, et leur ramener lespérance. Ce fut donc seulement après, et quand ils leurent reconnu à la fraction du pain, quil se montra aux autres disciples qui le prenaient pour un esprit, quil leur dit : « Touchez et voyez, car un esprit na pas de chair et dos, comme vous voyez que jen ai ». Et comme la joie les troublait: « Avez-vous, ajouta-t-il, quelque chose à manger? Il prit ce quils présentèrent, le bénit, en mangea, et leur en donna ». Il parut alors quil avait réellement un corps, et toute crainte derreur disparut aussitôt. Que fit-il ensuite? « Ne saviez-vous donc pas quil fallait que saccomplît en moi tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes?» Or, comme ils croyaient aux Prophètes et à Moïse; car il est vrai de dire avec Abraham : « Sils nen croient point à Moïse et aux Prophètes, ils nen croiront point à celui qui ressusciterait dentre les morts »; comme ils en croyaient à Moïse et aux Prophètes, et nétaient point de ceux que reprend Abraham, ils écoutèrent ce que dit le Seigneur: «Ne saviez-vous pas quil fallait que saccomplît en moi ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes? » Les voilà qui en croient à Moïse et aux Prophètes, voyez comment sur leur témoignage ils croient à celui qui est ressuscité dentre les morts. « Alors il leur ouvrit lintelligence, afin quils comprissent les Ecritures, et il leur dit : Il fallait,
1. Luc, XXIV, 19.
selon quil est écrit, que le Christ souffrit et quil ressuscitât dentre les morts le troisième jour ». 18. Tu vois déjà lEpoux de lEglise. Ni Moïse, ni les Prophètes, nont gardé le silence à propos du Christ qui devait ressusciter le troisième jour, qui devait souffrir. On nous a décrit lEpoux afin de nous faire éviter toute erreur. Mais parce que nous navons aucune erreur à propos de lEpoux, il sest trouvé certains hommes qui semblent croire ce que nous croyons au sujet de lEpoux, et qui nous viennent dire, pour nous séparer de ses membres : Sans doute, le même Epoux que vous croyez est le même que nous croyons; mais lEpouse nest point cette Eglise dont vous êtes les membres. Quelle est donc cette Epouse? Cest le parti de Donat. Voilà ton affirmation, mais est-ce bien toi qui parles, ou bien est-ce 1Epoux? Est-ce toi qui le dis, ou Dieu qui la dit par Moïse ? Moïse me montre lEglise; car Moïse a dit : « Toutes les nations seront bénies en ta postérité ». Est-ce toi qui le dis, ou lEsprit de Dieu par les Prophètes? Les Prophètes me montrent lEglise, car un Prophète ma dit : « Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». Jai donc pour moi le témoignage de la loi et des Prophètes; écoutons encore celui qui est ressuscité dentre les morts. Il montre quil est lEpoux, nous en avons la certitude. Il nous en a convaincus par des témoignages visibles. Car Moïse et les Prophètes avaient dit que de « Christ devait souffrir, et se lever dentre les morts ».Ces paroles nous indiquent lEpoux à vous et à moi; et dès lors ces paroles tamèneront à croire à Moïse et aux Prophètes: croyons de même en celui qui est ressuscité dentre les morts. Quil continue donc et dise: Seigneur, cen est fait, je crois que le Christ est lEpoux. Que nul ne me sépare des membres de votre Epouse, car si je ne faisais partie de ses membres vous ne seriez point ma tête, Parlez-moi aussi de votre Epouse; car je ne doute plus de lEpoux. Ecoute ce qui est dit de lEglise ; voilà que 1Epoux continue en disant que lon doit « prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés ». Rien de plus vrai; la pénitence et la rémission des péchés sont prêchées en son nom. Mais où? Ici, disent les uns; là, disent les autres. Mais lui, que dit-il? « Ne les croyez (281) point: il sélèvera de faux Christs et de faux Prophètes, qui diront : Cest ici, cest là 1» . Ce nest point du chef quils disent: « cest ici, cest là »; on sait que le Christ est dans le ciel, mais cest de lEglise en laquelle est le Christ qui a dit: « Voilà, je suis avec vous jus-« quà la consommation des siècles 2 ». Or, le Seigneur a dit: « Ne les croyez point». Dire en effet : « Cest ici, cest là », cest vous montrer des parties; or, jai acheté le tout. Que lEvangile me tienne encore ce langage: Dites cela vous-mêmes dans lEvangile, vous Seigneur, qui êtes ressuscité dentre les morts, afin quils croient aussi en vous, ceux qui croient à Moïse et aux Prophètes; dites-moi cela vous-même. Je vous écoute. « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour, et quen son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem 3 ». Que vas-tu répondre, ô hérétique? Quand je citais Moïse, quand je citais les Prophètes, tu en appelais à celui qui devait ressusciter dentre les morts. Voilà quil est ressuscité, quil a parlé; lEglise du Christ, lEpouse du Christ nest pas plus douteuse que nest douteux le corps du Christ que voyaient, que touchaient ses disciples. Celui qui est ressuscité dentre les morts nous a montré lun et lautre; il nous a montré la tête, montré les membres, montré lEpoux et montré lEpouse. Ou crois ces deux articles avec moi, ou nen crois quun seul, mais pour ta damnation. Crois-tu, en effet, quil se soit levé dentre les morts, et levé dans le même corps? Cest bien; puisquil a montré ses meurtrissures , puisquil sest montré tel quil a été à la croix, et au sépulcre, tu as raison de croire; écoute la parole de celui en qui tu as mis ta foi: « Il faut que la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées en son nom ». Où prêchées? Dans létendue des terres. Si je parlais ainsi moi-même, dans ma polémique, dans ma lutte contre les hérétiques, dans nies conflits sur une telle question, je ne pourrais parler contre les hérétiques daujourdhui avec autant de précision que le Christ contre ceux de lavenir. Que veux-tu de plus? Où prêche-t-on la rémission des péchés au nom du Christ? Où? « Dans toutes les nations». A Partir doù? « A partir de Jérusalem ». Entre dans la
1. Matth. XXIV, 27, 24. 2. Id. XXVIII, 20. 3. Luc, XXIV, 13-47.
communion de cette Eglise. Pourquoi disputer encore? Cest dans la Jérusalem de la terre que lEglise a pris naissance, afin de se réjouir en Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle commence à lune pour se terminer à lautre. Elle sera tout entière dans la Jérusalem du ciel, mais cest dans celle de la terre quelle a commencé à croire. 19. Vois dans les Actes des Apôtres, si je ne me trompe, comment les disciples étaient assemblés à Jérusalem, quand le Saint-Esprit descendit. Tu comprendras alors le sens de cette parole : « A partir de Jérusalem », quand tu verras ces mêmes hommes sur qui le Saint-Esprit est descendu 1 parlant toutes les langues. Pourquoi ne veux-tu point parler la langue de tous les peuples? Voilà bien que toutes les langues se font entendre, ô Jérusalem. Pourquoi celui qui reçoit maintenant le Saint-Esprit ne parle-t-il point toutes les langues? Cétait alors le signe que le Saint-Esprit descendrait sur les hommes, et quils parleraient la langue de tous. Que vas-tu répondre, ô hérétique? Que lon ne donne plus lEsprit-Saint. Je ne demande pas où on le donne, mais le donne-t-on? Si on ne le donne point, que prétendez-vous faire, en parlant, en baptisant, en bénissant? Que faites-vous? dinutiles cérémonies? Diras-tu quon le donne? Alors pourquoi ceux qui le reçoivent ne parlent-ils point toutes les langues? Le don de Dieu est-il en défaut, son fruit a-t-il diminué? Livraie a poussé sans doute, mais aussi le froment. « Laissez croître lune et lautre jusquà la moisson 2». Le Sauveur na point dit : Que livraie croisse, et que le froment diminue; ils croissent lun et lautre. Pourquoi le Saint-Esprit ne se fait-il point voir dans le don des langues? Que dis-je? il se montre maintenant dans toutes les langues; lEglise alors nétait point répandue par toute la terre, de manière que ses membres pussent parler chez tous les peuples. Dieu alors accomplissait dans un seul homme ce qui était annoncé pour tous. Aujourdhui le corps du Christ parle toutes les langues, et il parlera celles quil ne pante pas encore; car lEglise croîtra jusquà ce quelle occupe toutes les langues du monde. Quel nest point laccroissement de cette Eglise que vous avez abandonnée! Possédez avec nous ce quelle possède, afin darriver avec nous jusquoù
1. Act. I, 4-14, et II, 1-12. 2. Matth. XIII, 30.
282
elle doit sétendre. Je parle toutes les langues, et jose bien vous dire : Je suis parmi les membres du Christ, dans lEglise du Christ; si le corps de Jésus-Christ parle toutes les langues, je suis aussi dans toutes les langues; je parle grec, je parle syriaque, je parle hébreux, je parle la langue de tous les peuples, parce que je suis dans lunité de tous les peuples. - 20. LEglise donc, mes frères, a commencé par Jérusalem, pour se répandre dans toutes les contrées. Quy a-t-il de plus clair que ces témoignages de la loi, des Prophètes, et du Seigneur lui-même? Partout retentissent les voix des Apôtres qui rendent témoignage à notre espérance dans lunité du corps de Jésus-Christ. Tressaillez dêtre parmi le froment, supportez livraie, gémissez sous le fléau, aspirez au grenier. Viendra le temps où nous nous réjouirons dans Jérusalem, dont Dieu aura fortifié les barrières. Quil entre, celui qui doit y entrer. Quiconque doit y entrer au grand jour, nentre point ici sous un déguisement. Celui qui entre ici à la dérobée, demeure au dehors; le voilà dehors, sans le savoir : le van le lui montrera, les serrures le lui apprendront. Quiconque est maintenant à lintérieur, vraiment à lintérieur, y sera là dune manière inébranlable; celui qui est ici-bas à lintérieur, et en souffrance, y sera là dans la joie. Car les confins de Jérusalem sont la paix, puisque Dieu u a établi la paix « sur ses frontières ». Nous aspirons maintenant à la paix que nous ne possédons quen espérance. Quest-ce, en effet, que cette paix que nous avons en nous-mêmes? « La chair conspire contre lesprit, et lesprit contre la chair 1 ». Est-il un seul homme pour jouir dune paix parfaite? Or, quand un seul homme aura la paix parfaite, elle sera parfaite aussi pour tous les citoyens de Jérusalem. Or, quand sera-t-elle parfaite? Quand ce corps corruptible sera revêtu dincorruption, ce corps mortel, revêtu dimmortalité 2 ; nous aurons alors une paix entière, une paix parfaite; rien dans lhomme ne se soulèvera contre lâme, ni elle-même contre elle-même, puisquelle ne sera plus meurtrie; elle ne souffrira ni de la fragilité de la chair, ni des nécessités du corps, ni de la faim, ni de la soif, ni du froid, ni de la chaleur, ni de la fatigue, ni de lindigence, ni daucune querelle,
1. Gal. V, 17. 2. I Cor. XV, 53.
ni même des soucieuses précautions déviter un ennemi et de laimer. Tout cela, en effet, mes frères, conspire contre nous-mêmes; la paix est loin dêtre entière, dêtre parfaite. Ces cris que vous poussiez tout à lheure, au nom de la paix, viennent du désir que vous en avez: cest le cri dune âme qui a besoin, mais non qui est satisfaite; car la justice ne sera parfaite quavec la paix parfaite. Maintenant nous avons faim et soif de la justice « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 1». Comment seront-ils rassasiés? Quand nous jouirons de la paix. Cest pourquoi, après ces paroles : « Il a établi la paix dans tes confins » ; le Prophète ajoute : « Et il te rassasie de froment », parce que nous serons rassasiés sans éprouver aucun besoin. 21. Comme cette paix dont nous parlons, mes frères, nest pas complètement en nous,cest-à-dire nest point parfaite en chacun de nous, peut-être votre âme se plaît-elle à nous écouter encore; et pourtant, bien que le corps ne sy refuse point, nous finirons le psaume. Je ne vous vois jamais fatigués, et néanmoins, Dieu le sait, je crains de vous être à charge ou à quelques-uns de nos frères : jen vois plusieurs dentre vous qui exigent de moi ce travail, et jai cette confiance dans le Seigneur, que nies sueurs ne seront point sans fruit. Jéprouve une grande joie, en vous voyant goûter dans la parole de Dieu un tel plaisir, que cette ardeur louable du bien, et quenfante le bien, lemporte sur lardeur des insensés qui sont dans- lamphithéâtre. Y pourraient-ils demeurer debout aussi longtemps? Ecoutons donc le reste, mes frères, puisque tel est votre désir. Que le Seigneur me vienne en aide, quil soutienne mon esprit et mes forces. Le Prophète, sadressant à la Jérusalem du ciel, lui dit: « Il a établi la paix dans tes confins, et il te rassasie de la moelle du froment». La faim et la soif de la justice passeront, et nous serons rassasiés. Quelle sera en effet la moelle du froment, sinon le pain qui est descendu du ciel vers nous 2? Comment nous rassasiera-t-il dans la patrie, celui qui nous a ainsi nourris dans notre exil? 22. Le Prophète va nous entretenir de cet exil, doù nous passons à cette Jérusalem, où nous chanterons le Seigneur tous ensemble, où nous bénirons le Seigneur notre Dieu,
1. Matth. V, 6. 2. Jean, VI, 51.
283
nous qui serons Jérusalem et Sion, quand les serrures de nos portes seront consolidées. Que fait pour nous, dans cet exil, celui qui nous rassasiera de la moelle du froment? Il fait ce qui suit : « Il envoie son Verbe à la terre». Nous sommes ici-bas dans le labeur, en butte à la fatigue, à la langueur, à la mollesse, à la tiédeur : quand nous serait-il possible de nous élever, jusquà nous rassasier de la moelle du froment, si Dieu nenvoyait son Verbe à cette terre,dont le poids nous accable, à cette terre qui nous empêche de retourner à la patrie? Loin de nous abandonner au désert, il nous a envoyé son Verbe, il a fait pleuvoir la manne du ciel. « Cest lui qui a envoyé son Verbe à la terre ». Comment la-t-il envoyé? quel est ce Verbe? « Son Verbe court jusquà la rapidité ». Il ne dit point que ce Verbe est rapide, mais « quil court jusquà la vitesse même ». Comprenons, mes frères; le Prophète ne pouvait choisir un terme plus propre. Avoir chaud, cest leffet de la chaleur; avoir froid, leffet du froid, et marcher rapidement, un effet de la rapidité. Mais quy a-t-il de plus chaud que la chaleur, qui échauffe tout ce qui est chaud, de plus froid que ce même froid que subit tout ce qui se refroidit, de plus rapide que cette rapidité que subit tout ce qui va rapidement? On peut dire de beaucoup de choses quelles vont rapidement, les unes plus, les autres moins; et une chose est plus rapide à mesure quelle participe plus à la rapidité. Plus sa part est grande, plus grande est sa rapidité; moins sa part est grande, moins grande est sa rapidité. Dès lors, quoi de plus rapide que la rapidité elle-même? Comment donc se répand cette parole: « Jusquà la rapidité ? » Renchéris autant quil te plaira sur la rapidité du Verbe; dis, si tu le veux, quil est plus rapide que tel ou tel objet, plus rapide que les oiseaux, que les vents, que les anges. Y a-t-il rien qui sélance avec rapidité, comme la rapidité elle-même? « Jusquà la rapidité », dit le Prophète. Quest-ce, mes frères, que la vitesse? Elle est partout, et nest point dans quelque partie séparée. Or, cest le propre du Verbe de Dieu, de nêtre point dans quelque partie séparée, dêtre partout le Verbe et par lui-même, dêtre le vertu de Dieu et la sagesse de Dieu avant davoir pris notre chair. Si nous nous représentons Dieu dans la forme
1. I Cor. I, 24.
de Dieu, le Verbe est égal au Père; il est cette sagesse dont il est dit : « La sagesse atteint dune extrémité à lautre avec force 1 ». Quelle vitesse ! « Elle atteint dune extrémité à lautre avec force ». Mais cest peut-être sans se mouvoir quelle y atteint. Si elle ressemblait à un vaste bloc dc pierre qui occupe un espace, on dirait quelle atteint dune extrémité à lautre de cet espace, et sans mouvement. Que disons-nous donc? Ce Verbe est-il sans mouvement , et cette sagesse est-elle stupide ? Que devient alors ce qui est dit de lEsprit de sagesse? Car au nombre des qualités quon lui donne, il est écrit quil est « délié,mobile, certain, incorruptible 2 ». Donc la sagesse de Dieu est mobile. Si donc elle a de la mobilité, quand elle touche un objet, nen touche-t-elle pas un autre? ou abandonne-t-elle celui-là pour toucher celui-ci? Où serait alors la vitesse? Car telle est la vitesse, quelle est partout en tout lieu, et renfermée nulle part. Mais pour élever jusque-là nos pensées, nous avons trop de lenteur dans lesprit. Qui peut concevoir ces choses? Jen ai dit, mes frères, ce que jai pu, si tant est que jy ai pu comprendre quelque chose, et vous avez compris comme vous lavez pu. Mais que dit lApôtre? « Gloire à celui qui peut faire au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons comprendre 3 ». Que veut-il nous montrer par là? Que toutes les fois que nous comprenons une chose, nous ne la comprenons pas telle quelle est. Pourquoi? Cest que « le corps corruptible appesantit lâme 4 ». Donc sur la terre nous demeurons froids, tandis que la vitesse nest que chaleur; que tout ce qui a plus de chaleur a plus de vitesse, comme tout ce qui est plus froid est aussi plus pesant. Nous sommes lents, donc nous sommes froids. Quant à la sagesse, elle court jusquà la rapidité. Elle est donc toute de feu, et « nul ne se dérobe à sa chaleur 5». 23. Pour nous que le froid du corps a ralentis, qui ployons sous la chaîne de cette vie corruptible, navons-nous donc nulle espérance davoir notre part à ce Verbe qui court jusquà la vitesse ? Ou même nous aurait-il délaissés, quand le poids du corps nous entraîne si bas? Nest-ce point ce même Verbe qui nous a prédestinés avant notre naissance en un corps lourd et mortel? Cest donc celui
1. Sag. VIII, 1. 2. Id. VII, 22. 3. Ephés. III, 20. 4. Sag. IX, 15. 5. Ps. XVIII, 7.
qui nous a prédestinés qui a donné à la terre la neige, ou nous-mêmes. Arrivons à ces versets obscurs du psaume; déroulons ces voiles qui les couvrent, puisque votre avidité pour la parole de Dieu saccroît à mesure que nous vous parlons. Nous voici donc lents sur la terre, et en quelque sorte gelés ici-bas. Il en est de nous comme de la neige, qui gèle dans les hauteurs et descend en bas ; de même, à mesure que la charité se refroidit 1, la nature humaine descend sur cette terre, et sous lenveloppe dun corps tardif devient semblable à la neige. Mais dans cette neige il y a des fils prédestinés de Dieu. Car Dieu « donne la neige comme la laine». Quest-ce à dire: comme la laine? Cest-à-dire quil doit tirer parti de cette neige quil a donnée, de ces hommes froids et lents desprit quil a prédestinés. La laine est la matière dun vêtement; en voyant la laine on comprend quelle est destinée à vêtir. Donc parce que Dieu a prédestiné ceux qui pour un temps sont froids et rampent sur la terre, qui nont point encore la ferveur de lesprit de charité (car le Prophète encore ici parle de prédestination), Dieu a fait de ces hommes une laine dont il se fera un vêtement Cest donc avec raison que, sur la montagne, les vêtements du Christ brillèrent comme la neige 2. La robe du Christ devint blanche comme la neige, comme si déjà il se fût fait une robe de cette neige quil a donnée comme la laine, ou de ceux qui languissaient encore, quoique prédestinés. Mais attendez quelque peu; vois ce qui suit: Parce quil les a donnés comme la laine, il sen fait un vêtement. On dit en effet de lEglise quelle est la robe du Christ, comme on dit quelle est le corps du Christ; de là cette parole de lApôtre: « Afin de faire paraître devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride 3». Oui, quil montre devant lui une Eglise pleine de gloire, sans tache et sans ride; quil se fasse une robe de cette laine, quil a prédestinée quand elle était neige encore. De ces hommes encore incrédules, froids et pesants, quil se fasse un vêtement, un vêtement de cette laine; afin quil en lave les taches et la purifie par la foi; et pour en effacer les rides, quil létende sur la croix. « Il donne la neige comme la laine ». 24. Sils sont prédestinés, il faut quils soient appelés. « Car il a appelé ceux quil a
1. Matth. XXIV, 12. 2. Id. XVII, 2. 3. Ephés. V, 27.
prédestinés 1». Comment sont-ils appelés, et tirés de la langueur de ce corps dont ils font partie, pour recouvrer la santé? Comment sont-ils appelés? Ecoute lEvangile: « Ce ne sont point « les justes, mais les pécheurs, que je suis venu appeler à la pénitence 2». Cette prédestina. lion, quand il est neige encore, porte lhomme à connaître sa torpeur, à confesser son péché; cette vocation lamène à la pénitence. Dieu dès lors, « qui donne la laine comme la neige », pour sen faire un vêtement, appelle aussi à la pénitence, et « répand les frimas comme la cendre». Qui donc répand les frimas comme la cendre? Celui qui donne la neige comme la laine. Il appelle à la pénitence les prédestinés, car ceux quil a prédestinés, dit lApôtre, il les a aussi appelés. Or, la cendre est le symbole de la pénitence. Ecoute celui qui appelle à la pénitence, dans les, reproches quil fait à quelques villes : « Malheur à toi, Corozaïn ! « Malheur à toi, Bethsaïda! Car si les prodiges accomplis au milieu de vous avaient été accomplis autrefois dans Tyr et dans Sidon, elles auraient fait pénitence dans le cilice et dans la cendre 3». Cest donc lui qui répand les frimas comme la cendre. Quest-ce à dire, quil répand les frimas comme la cendre? Quand on appelle un homme à connaître Dieu , et quon lui dit : Goûte la vérité, il commence à vouloir goûter cette vérité, mais il ny suffit point, il se voit dans une obscurité quil ne remarquait point auparavant. Ce frimas ou brouillard tapprend dabord que tu ne sais rien, afin de tapprendre ce quil faut savoir, et de te montrer que tu es trop faible pour comprendre ce quil est nécessaire de. connaître. Car si, nonobstant ce brouillard, tu as la présomption de croire que tu sois quelque chose, lApôtre te dira: « Quiconque se flatte de savoir quelque chose, ne sait pas même comment il doit savoir 4» Tu nas donc rien compris encore, tu es encore dans le brouillard. Mais il ne tabandonne pas, celui qui allume pour toi le flambeau de sa chair. Pour ne pas errer dans le brouillard, suis-le par la foi. Mais parce que tu essaies de voir sans en être capable encore, repens-toi de tes péchés ; voilà que le brouillard est répandu comme la cendre. Conçois enfin un repentir de ton obstination coutre Dieu, conçois un vif regret davoir suivi tes voies dépravées. Tu sens combien il est
1. Rom. VIII, 30. 2. Matth. IX, 13. 3. Id. XI, 21. 4. I Cor. VIII,2.
difficile darriver à la vision bienheureuse; et il te deviendra salutaire, ce brouillard que Dieu répand comme la cendre. Tu es encore un brouillard, mais comme la cendre; car les pénitents se roulent dans la cendre, témoignant ainsi, mes frères, quils ressemblent à cette poussière, et disant à leur Dieu: « Je ne suis que cendre ». On lit en effet quelque part dans lEcriture: « Je me suis méprisé, et jai rougi de moi, en me comparant à la boue et à la cendre 1 ». Telle est lhumilité du pénitent. Quand Abraham parle à son Dieu, et quil veut quon lui découvre lembrasement de Sodome: « Je ne suis », dit-il, « que terre et que cendre 2 ». Nest-ce point toujours cette humilité que lon retrouve dans les grandes âmes et dans les saints? Donc le Seigneur répand le brouillard comme la cendre; pourquoi? « Parce quil appelle ceux quil a prédestinés 3, lui qui nest point « venu pour appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs 4 ». 25. « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». Il nest pas besoin de nous fatiguer encore à expliquer ce quest le cristal. Nous en avons dit un mot, que sans doute votre charité na point oublié. Que signifie donc: « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain 5? » De même que la neige vient de lui parce quelle désigne les prédestinés; de même que le brouillard vient de lui, parce quil désigne ceux quil appelle à la pénitence après les avoir prédestinés; ainsi le cristal lui appartient en quelque sorte. Quest-ce que le cristal? Un corps très-dur, fortement congelé, et quon ne saurait dissoudre facilement comme la neige. Cette neige de plusieurs années, durcie pendant de longs siècles, prend le nom de cristal; et voilà ce que Dieu envoie comme des morceaux de pain. Que veut dire tout ceci? Des pécheurs très-endurcis ne sauraient plus être comparés à la neige, mais bien au cristal ; et toutefois ils sont prédestinés et appelés, quelques-uns même lont été de, manière à nourrir les autres, à leur être utiles. Et quest-il besoin de vous citer ici tel ou tel que nous connaissons? Chacun de vous peut se rappeler combien étaient endurcis, et se roidissaient contre la vérité quelques hommes quil a connus, et qui prêchent aujourdhui
1. Job, XXX, 19. 2. Gen. XVIII, 27. 3. Rom. VIII, 30. 4. Matth. IX, 13. 5. Ps. CXLVIII, 17.
cette même vérité ; les voilà devenus des morceaux de pain. Quel est ce pain unique? « Quoique nous soyons plusieurs », dit lApôtre, « nous ne sommes quun en Jésus-Christ 1. Nous ne sommes tous quun seul pain, un seul corps 2 ». Si donc le corps du Christ est un seul pain, ses membres sont des morceaux de pain. Il change en ses membres quelques coeurs endurcis, quil fait servir à la nourriture des autres. Pourquoi chercher si loin des exemples? Il en est un bien connu, celui de lapôtre saint Paul. Rien nest plus connu que ce grand homme, rien de plus doux, rien de plus familier dans les saintes Ecritures. Sil en est dautres qui soient devenus du pain après avoir été endurcis comme lui, quau nom de saint Paul ils vous reviennent à la mémoire comme des exemples, afin dexpliquer le sens de cette parole : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». Lapôtre saint Paul était donc un cristal, un cristal dur, rebelle à la vérité, déclamant contre lEvangile, comme pour sendurcir contre le soleil. Il était dur ce nourrisson de la loi, disciple du docteur de la loi Gamaliel 3. Il nécoutait ni Moïse, ni les Prophètes, qui annonçaient le Christ. Quelle dureté! Les nations, il est vrai, nécoutaient point les Prophètes, nécoutaient point Moïse, elles étaient froides, mais nétaient pas un cristal. Il était bien plus endurci, cet homme croyant aux paroles qui annoncent le Christ, et ne croyant point au Christ quil avait devant lui. Donc, parce quil était un cristal, il paraissait net et brillant, mais il était dur et fortement congelé. Comment paraissait-il net et brillant? « Hébreu, et fils dHébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi ». Cest léclat du cristal. Vois maintenant combien il est dur « Quant au zèle pour le judaïsme, persécuteur de lEglise du Christ 4 ». Il était, cet homme endurci, et plus endurci peut-être que tous les autres, il était parmi ceux qui lapidaient le martyr saint Etienne. Il gardait les habits de ceux qui le lapidaient, le lapidant ainsi par les mains de tous. 26. Nous comprenons donc, et la neige, et le brouillard, et le cristal: Dieu veuille souffler et les dissoudre. Sil ne le fait, sil ne dissout lui-même une glace si dure, « qui pourra subsister sous la rigueur de son froid? » En face de son froid; du froid de qui? de Dieu.
1. Rom. XII, 5 2. I Cor. X, 17. 3. Act. XXII, 3. 4. Philipp. III, 5.
286
Doù vient quil est le froid de Dieu? Quil abandonne le pécheur, quil ne lappelle point, quil ne lui ouvre point lesprit, quil ne répande pas en lui sa grâce, que lhomme dissolve, sil le peut, les glaces de sa folie. Il ne le peut. Pourquoi ne le peut-il? « Qui pourra se maintenir en présence de son froid? » Vois-le se durcir comme une glace, et dire: « Je sens dans mes membres une autre loi qui est contraire à la loi de lesprit, et qui me retient captif sous la loi des péchés qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » Voilà que le froid me saisit et me glace; quelle chaleur viendra me délier, afin de prendre ma cause? « Qui me délivrera du corps de cette mort? Qui pourra se maintenir en présence de son froid? » Qui pourra se délivrer si Dieu ne le délivre? Doù vient la délivrance? « De la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ 1». Ecoute la grâce de Dieu, dans notre psaume : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain: qui pourra se maintenir en présence de son froid? » Faut-il donc désespérer? Loin de là. Car le Prophète continue: « Il enverra son Verbe, qui va les dissoudre 2». Arrière donc tout désespoir, et pour la neige, et pour le brouillard, et pour le cristal. La neige est en effet comme la laine dont on fait un vêtement. Le brouillard trouve le salut dans la pénitence; puisque « Dieu appelle ceux quil a prédestinés 3 ». Quel que soit lendurcissement des prédestinés, bien que le temps ait endurci leur glace, et les ait changés en cristal, ils ne seront point trop durs pour la divine miséricorde. « Dieu enverra son Verbe, qui va les dissoudre ». Quest-ce à dire, « les dissoudre? » Ne donnons pas à cette expression une interprétation défavorable, elle signifie que Dieu les fondra, les rendra liquides. Cest en effet lorgueil qui les endurcit; et lon donne avec raison à lorgueil le nom dengourdissement; car tout ce qui est engourdi est froid. Or, les hommes qui ont ressenti un froid vif nous disent tous les jours: Je suis engourdi. Donc lorgueil est un engourdissement. « Dieu enverra son Verbe et les fera couler ». Et de fait, des amas de neige se liquéfient et sabaissent sous laction de la chaleur. Le froid donc élève un monceau de neige, et lorgueil élève les insensés. « Dieu
1. Rom. VII, 23-25. 2. Ps. LXLVII, 18. 3. Rom. VIII, 30.
enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Voilà donc Saul qui est un cristal endurci après la mort et la lapidation dEtienne; son endurcissement le rendit insensible contre le Christ, et il vient demander aux prêtres des lettres contre les chrétiens, ne respirant que le meurtre. Le voilà endurci, cest un glaçon en face du feu de Dieu. Quels que soient néanmoins son endurcissement et sa glace, voilà que celui qui envoie son Verbe, et qui les rend liquides, sécrie avec feu du haut du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 1?» Parole unique, et néanmoins ce cristal si dur est dissous. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Ne désespérons pas du cristal, encore moins de la neige, ou du brouillard, Non, que le cristal ne nous désespère point. Ecoutez une parole de ce même cristal: « Jai été dabord blasphémateur, persécuteur, insulteur ».Mais pourquoi Dieu a-t-il liquéfié ce cristal? Pour que la neige ne désespère point delle-même. Car le même cristal ajoute: « Jai obtenu miséricorde, afin que le Christ fît éclater en moi toute sa patience, et que je servisse dexemple à ceux qui doivent croire en lui pour la vie éternelle 2». Tel est donc le cri de Dieu aux nations: Jai fondu le cristal, venez, ô vous qui êtes la neige. «Il enverra son Verbe, et les rendra liquides, son esprit soufflera, et les eaux couleront ». Voilà que le cristal et les neiges se dissolvent, et sen vont en eaux; quils viennent, ceux qui ont soif, et quils boivent. Saul était dur comme le cristal, et il persécuta Etienne jusquà la mort; et voilà que Paul, devenu eau vive, invite les nations aux véritables sources. « Son esprit soufflera, elles eaux couleront. Cest un esprit de chaleur, et de là vient cette parole dun autre psaume: « Seigneur, changez notre captivité, comme les torrents au souffle du Midi 3 ». Jérusalem captive à Babylone était gelée en quelque sorte au souffle du Midi; cette glace de la captivité sest fondue, et la ferveur de la charité sest élancée vers Dieu. « Son esprit soufflera et les eaux couleront. Il se formera en eux une source deau qui jaillira jusquà la vie éternelle 4». 27. « Il annonce sa parole à Jacob, ses décrets et ses jugements à Israël 5». Quels décrets et quels jugements? Il déclare que toutes les douleurs endurées par les hommes,
1. Art. IX, 1- 4. 2. I Tim. I, 13, 16. 3. Ps. CXXV, 4. 4. Jean, IV, 14. 5. Ps. CXLVII, 19.
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quand ils nétaient que neige, ou frimas, ou cristal, est le juste châtiment de leur orgueil et de leur révolte contre Dieu, Remontons à lorigine de notre chute, et voyons combien le psaume a dit vrai quand il chante : « Jai péché avant dêtre humilié 1 ». Mais celui qui dit : « Jai péché avant dêtre humilié », dit aussi « Cest pour mon bien que vous mavez humilié, afin que japprenne les moyens de votre justice 2». Ces moyens de justice, Dieu les a enseignés à Jacob, en mettant Jacob en lutte avec un ange; et dans la personne de cet ange le Seigneur luttait lui-même. Jacob le retint, lui fit violence pour le retenir, et parvint à le retenir en effet. Dieu se laissa retenir par miséricorde, et non par faiblesse. Jacob lutta donc, et prévalut, et retint le Seigneur : et il pria celui quil semblait avoir vaincu, de le bénir 3. Quelle idée se faisait-il de cet adversaire contre qui il luttait, et quil retenait? Pourquoi le retenir, et user ainsi de violence? « Cest que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls peuvent le ravir 4 ». Pourquoi donc lutter, sinon parce quil faut de grands efforts? Pourquoi ne recouvrons-nous quavec peine ce que nous perdons si facilement? Cest afin que cette peine à le recouvrer nous apprenne à ne point le perdre. Que lhomme donc sefforce de conserver; et il sera plus ferme à conserver ce quil naura recouvré quavec peine. Donc le Seigneur manifesta ses desseins à Jacob, à Israël ; et pour parler plus clairement, cest par un juste décret du Seigneur que les justes doivent subir ici-bas les fatigues, les dangers, les chagrins et les douleurs. Celui-là seul peut dire quil a souffert sans sujet, bien que ce ne soit pas absolument sans sujet, puisque cétait pour nous, qui seul peut dire aussi : « Je payais ce que je navais point enlevé 5», qui seul peut dire : «Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ». Comme si quelquun lui disait: Pourquoi donc souffrez-vous? il ajoute: «Mais afin que tous comprennent que jaccomplis là volonté de mon Père, levez-vous, sortons dici 6». Quant aux autres, qui souffrent tous pour leurs péchés, par un juste jugement de Dieu, et quand même ils souffriraient pour la justice, quils ne sarrogent pas lhonneur de souffrir innocemment
1. Ps. CXVIII, 67. 2. Id. 71. 3. Gen. XXXII, 24-26. 4. Matth. XI, 12. 5. Ps. LXVIII, 5. 6. Jean, XIV, 30, 31.
comme le Christ. Ecoute lapôtre saint Pierre « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ». Quand il exhorte les martyrs, les témoins de Dieu, à supporter avec patience les menaces et les fureurs du monde, il leur dit : « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur; si donc il commence par nous.; quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à lEvangile? Si le juste est à peine sauvé, où paraîtront le pécheur et limpie 1? Le Seigneur annonce à Jacob sa parole, ses décrets et ses justices à Israël ». 28. « Il na point traité ainsi toutes les nations ». Que nul ne vienne vous tromper; on na prêché à aucun peuple ce secret de Dieu qui condamne à la douleur le juste et linjuste, ni comment tous lont mérité, ni comment la grâce de Dieu délivre le juste, et non pas ses mérites. Que faisons-nous donc, si ce décret na été prêché à aucun peuple, mais seulement à Jacob, seulement à Israël? Où serons-nous? Dans Jacob, dans Israël. « Il ne leur a point manifesté ses jugements ». A qui? A tous les peuples. Pourquoi toutes les neiges ont-elles été appelées après que le cristal a été fondu? Comment toutes les nations ont-elles été appelées après que Paul a été justifié? Comment, sinon afin quelles fussent dans Jacob? On a coupé lolivier sauvage pour le greffer sur lolivier franc 2. Ils appartiennent maintenant à lolivier; on ne doit plus les nommer les nations, mais une seule nation en Jésus-Christ, la nation de Jacob, le peuple dIsraël. Pourquoi la nation de Jacob, la nation dIsraël? Parce que Jacob est issu dIsaac, et Isaac dAbraham. Or, que fui-il dit à Abraham? « En ta postérité seront bénies toutes les nations 3 ». Cette même parole a été répétée à Isaac et à Jacob. Nous appartenons donc à Jacob, puisque nous appartenons à Isaac, nous appartenons à Abraham. Car la postérité dAbraham, ce nest ni moi qui le dis, ni aucun autre homme, cest saint Paul qui le dit, cette postérité cest le Christ. Et il ajoute : « LEcriture ne dit point : Et dans ceux qui naîtront de vous, comme sil y avait plusieurs; mais elle dit, comme en parlant dun seul: En celui qui naîtra de vous, et cest le Christ 4 ». Si donc il ny a quune seule postérité, quun seul Jacob,
1. I Pierre, IV, 4, 17, 18. 2. Rom. XI, 17, 3. Gen. XXII, 18; XXVI, 4; XXVIII, 14. 4. Gal. III, 16.
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quun seul Israël, tous les peuples ne sont quun seul peuple en Jésus-Christ. Ce que Dieu a révélé à Jacob et à Israël appartient donc aux nations : et lon doit regarder comme appartenant aux autres peuples ceux-là seulement qui refusent de croire au Christ, refusent dabandonner lolivier sauvage et dêtre entés sur lolivier franc. Elles demeureront dans les forêts, ces branches amères et stériles. Mais que Jacob soit dans la joie. Quest-ce que Jacob? Le supplantateur, car Jacob supplanta son frère 1. « Une partie dIsraël est tombée dans laveuglement, jusquà ce que soit entrée la plénitude des nations 2 ». Jacob est donc devenu Israël. Quest-ce à dire Israël? Ecoutons ceci, nous tous qui sommes Israël, écoutons; soit vous qui êtes ici parmi les membres du Christ, soit ceux qui sont au dehors, sans être dehors néanmoins, soit ceux qui sont parmi les peuples, partout au dehors et partout à lintérieur. QuIsraël écoute lui-même ce Jacob devenu Israël, Que signifie Israël? Qui voit Dieu. Où verra-t-il Dieu? Dans la paix. Dans quelle paix? La paix de Jérusalem; car cest Dieu qui a établi tes confins dans la paix. Cest là que nous louerons le Seigneur, nous tous qui ne serons quun seul dans un seul et pour un seul, puisque désormais nous ne serons plus dispersés.
1. Gen. XXVII, 36. 2. Rom. XI, 25.
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